Le Quotidien du 18 juin 2024 : Propriété intellectuelle

[Brèves] Absence de nullité de le marque de renommée tolérée pendant cinq ans et preuve de la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l'usage de la marque postérieure

Réf. : Cass. com., 5 juin 2024, n° 23-15.380, F-B N° Lexbase : A14565GZ

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N9579BZS

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[Brèves] Absence de nullité de le marque de renommée tolérée pendant cinq ans et preuve de la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l'usage de la marque postérieure. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/108493530-brevesabsencedenullitedelemarquederenommeetolereependantcinqansetpreuvedelaconnaiss
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par Vincent Téchené

le 17 Juin 2024

► Le titulaire d'une marque jouissant d'une renommée qui a toléré en France pendant une période de cinq années consécutives l'usage d'une marque postérieure enregistrée, en connaissance de cet usage, ne peut plus demander la nullité de la marque postérieure, ni s'opposer à son usage pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, ni demander réparation du préjudice que lui aurait causé cet usage, à moins que son dépôt n'ait été effectué de mauvaise foi ;

La preuve de la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l'usage de la marque postérieure après son enregistrement peut résulter d'une connaissance générale, dans le secteur économique concerné, d'une telle utilisation, cette connaissance pouvant être déduite, notamment, de la durée de l'utilisation.

Faits et procédure. La société Holdham, holding du groupe Hamelin, leader européen de la papeterie scolaire, est titulaire de la marque verbale française « Oxford » et semi-figurative française « Oxford », déposées respectivement le 7 décembre 1971 et le 7 mai 2002 pour désigner notamment, en classe 9, les agendas et, en classe 16, les articles de papeterie.

Par un contrat du 8 avril 2002, l'usage de la marque verbale française « Oxford » (la marque n° 270), enregistrée le 9 octobre 1986 pour désigner, en classe 18, les « bagages ; valises et sacs de voyage », a été concédé à la société Modling, filiale du groupe Hamelin. Par une lettre du 24 février 2005, la société Holdham a mis un terme à cet accord de licence.

Par contrats des 30 août 2008, 30 août 2011 et 30 août 2014, la titulaire de la marque n° 270 en a concédé l'usage à la société School Pack. Par contrat du 19 septembre 2016, inscrit au registre national des marques, elle lui a cédé cette marque.

Le 17 mai 2018, reprochant à la société School Pack de proposer à la vente, en particulier sur un site internet, des trousses et cartables revêtus du signe « Oxford », la société Holdham a assigné ces sociétés en contrefaçon de ses marques et atteinte à leur renommée.

C’est dans ces conditions que par deux arrêts des 11 janvier 2023 (CA Paris, 5-1, 11 janvier 2023, n° 21/05478 N° Lexbase : A34809DA) et 31 mai 2023 (CA Paris, 5-1, 31 mai 2023, n° 23/03835 N° Lexbase : A08639YM), la cour d’appel de Paris a constaté que la société Holdham a toléré l'usage par la société School Pack de la marque « Oxford » n° 270 depuis 2009 pour des produits de bagagerie scolaire, et a déclaré irrecevable son action en atteinte à la renommée de ses marques « Oxford ». La société Holdham a formé un pourvoi en cassation.

Décision. En premier lieu, selon la Haute Cour, les articles L. 713-5 N° Lexbase : L2200ICH et L. 716-5 N° Lexbase : L7085IZG du Code de la propriété intellectuelle doivent être interprétées, dans toute la mesure du possible, à la lumière de la Directive n° 89/104/CEE, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques N° Lexbase : L9827AUI, puis des Directives n° 2008/95/CE, du 22 octobre 2008 N° Lexbase : L7556IBH et n° 2015/2436, du 16 décembre 2015 N° Lexbase : L6109KW8, qui ont repris, en substance, ses dispositions.

Or, l'article 9 de la Directive n° 2008/95/CE puis l'article 9 de la Directive n° 2015/2436, dont la transposition était assurée en droit français par l'article L. 716-5, alinéa 4, du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169, du 13 novembre 2019 N° Lexbase : L5296LTC, n'opèrent aucune distinction selon que la marque antérieure est ou non une marque renommée. Il s'ensuit que le droit de l'Union accorde une protection identique au titulaire de la marque postérieure tolérée, que la marque antérieure soit ou non renommée.

Ainsi, une interprétation des articles L. 713-5 et L. 716-5, alinéa 4, du Code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169, du 13 novembre 2019, selon laquelle, même après avoir toléré pendant cinq ans l'usage de la marque postérieure, le titulaire de la marque antérieure renommée pourrait agir, sur le fondement du premier de ces articles, aux fins de voir annuler la marque postérieure ou interdire à son titulaire d'en poursuivre l'usage, méconnaîtrait donc l'article 9 des Directives précitées.

Il y a donc lieu, selon la Cour, d'interpréter ces articles en ce sens que le titulaire d'une marque jouissant d'une renommée qui a toléré en France pendant une période de cinq années consécutives l'usage d'une marque postérieure enregistrée, en connaissance de cet usage, ne peut plus demander la nullité de la marque postérieure, ni s'opposer à son usage pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, ni demander réparation du préjudice que lui aurait causé cet usage, à moins que son dépôt n'ait été effectué de mauvaise foi.

En second lieu, la Cour de cassation rappelle qu’est irrecevable toute action en contrefaçon d'une marque postérieure enregistrée dont l'usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que son dépôt n'ait été effectué de mauvaise foi. Toutefois, l'irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l'usage a été toléré.

Or, les conditions nécessaires pour faire courir le délai de forclusion par tolérance, qu'il incombe au juge national de vérifier, sont, premièrement, l'enregistrement de la marque postérieure dans l'État membre concerné, deuxièmement, le fait que le dépôt de cette marque a été effectué de bonne foi, troisièmement, l'usage de la marque postérieure par le titulaire de celle-ci dans l'État membre où elle a été enregistrée et, quatrièmement, la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l'enregistrement de la marque postérieure et de l'usage de celle-ci après son enregistrement (CJUE, 22 septembre 2011, aff. C-482/09 N° Lexbase : A9470HXZ).

En outre, la preuve de la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l'usage de la marque postérieure après son enregistrement peut résulter d'une connaissance générale, dans le secteur économique concerné, d'une telle utilisation, cette connaissance pouvant être déduite, notamment, de la durée de l'utilisation (v., par analogie, CJUE, 11 juin 2009, aff. C-529/07, point 39 N° Lexbase : A1889EIS).

Ainsi, la cour d’appel a pu retenir que la société Holdham avait nécessairement connaissance à la fois de l'enregistrement de la marque n° 270 et, dès le mois de septembre 2009, de son exploitation par la société School Pack pour désigner des trousses et des sacs pour écoliers, et qu'elle en avait sciemment toléré l'usage depuis cette date. Son action en contrefaçon sur le fondement de ses marques était donc bien irrecevable.

La Cour de cassation rejette en conséquence le pourvoi.

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