Le Quotidien du 9 mai 2024 : Égalité de traitement

[Thèse] La diversité : Étude en droit du travail, par Marie Peyronnet, Maître de conférences, Droit privé et sciences criminelles, à l'Université de Bordeaux

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[Thèse] La diversité : Étude en droit du travail, par Marie Peyronnet, Maître de conférences, Droit privé et sciences criminelles, à l'Université de Bordeaux. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/106929221-these-la-diversite-etude-en-droit-du-travail-par-marie-peyronnet-maitre-de-conferences-droit-prive-e
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le 07 Mai 2024

Membres du jury de thèse :

Présidente du jury : Danièle Lochak, Professeure émérite à l'Université de Paris Ouest Nanterre La Défense

Rapporteurs de thèse :

  • Patrice Adam, Professeur à l’Université de Lorraine
  • Sophie Robin-Olivier, Professeure à l’Université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Autre membre : Gilles Auzero, Professeur à l’Université de Bordeaux

Directeur de thèse : Christophe Radé, Professeur à l'Université de Bordeaux 

Domaine de la thèse : Droit du travail

École doctorale : École doctorale de droit (ED41)

Laboratoire de recherche : COMPTRASEC - Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale - UMR 5114

► Pour lire la thèse, voir M. Peyronnet, La diversité : Étude en droit du travail, 2018, Lexbase N° Lexbase : X0357CRN.


 

Résumé et apports de la thèse

Mots-clés : diversité • égalité • discrimination • mesures positives • genre • orientation sexuelle • origine • religion • handicap • inclusion • justice sociale • droit du travail

La diversité est vue dans cette thèse comme le chaînon juridique manquant entre l’égalité et la non-discrimination. Faire de la diversité une manifestation de la réalisation de l’égalité permet de repérer les effets de système conduisant à l’exclusion et de répartir les responsabilités dans la déperdition de diversité constatée. Ex. la déperdition de diversité a l’entrée et à la sortie du système scolaire est de la responsabilité de l’État, celle qui aurait lieu au sein de la sphère professionnelle est de la responsabilité des employeurs. 

La diversité permet ainsi de se concentrer sur les mesures de mise en œuvre de l’égalité dans une optique d’évitement et de suppressions des discriminations (notamment indirectes et surtout systémiques) en dehors de tout contentieux individuel. L’absence de diversité devrait cependant pouvoir jouer un rôle dans le contentieux des discriminations, comme on a pu le voir dans certaines décisions, l’absence de diversité d’effectifs de travailleurs (déterminée sur la base des registres du personnel et des noms de famille) peut constituer un élément de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Néanmoins, cette méthode de preuve doit être affutée pour être réellement pertinente (V. le modèle canadien).

Réapparue au cours des années 2000, la « diversité » est, en France, mobilisée dans les discours politiques et managériaux pour tenter d’introduire des mesures positives en faveur des catégories discriminées. Aux États-Unis, à l’inverse, cette notion a été consacrée sur le plan juridique en 1978 et introduite pour sauver de l’extinction les programmes d’affirmative action de plus en plus contestés, tant socialement que juridiquement. L’irruption dans le champ juridique français de la « diversité », au travers des conventions et accords collectifs de travail l’ayant pris pour objet, bouleverse nos conceptions traditionnelles de l’égalité « formelle » et de l’universalisme. L’enjeu de cette étude est de vérifier si d’une part, la notion de diversité peut s’intégrer à l’ordre juridique français et à nos conceptions de l’égalité, et ensuite si elle présente un intérêt dans la réalisation du droit à la non-discrimination. Notamment, est-ce que la démonstration d’un manque de diversité peut constituer un élément de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination ou même directement une discrimination selon la finesse de la comparaison réalisée ? 

La première partie de cette étude entend donc démontrer que la reconnaissance de la notion de diversité est difficile à concilier avec le principe de l’universalité des droits et le concept d’égalité formelle qu’il consacre. Le prisme de la diversité permet de discuter ce principe de l’universalité des droits, notamment au regard des nombreuses exceptions qu’il comporte et permet également de penser une nouvelle forme d’universalité, plus inclusive. En ce sens, le principe de non-discrimination apparait comme le bras armé de l’universalisme et les motifs qu’il prohibe sont le reflet de la dimension pathologique de la diversité. C’est par eux que le législateur identifie les aspects meurtris de la diversité. Le rattachement de la diversité à un objectif d’égalité permet de l’éloigner des objectifs utilitaristes actuellement promus par les entreprises. Cette approche utilitariste a en effet été relevée et critiquée par les juges américains qui ont eu à statuer, à plusieurs occasions, sur le bien-fondé des politiques de diversité menées dans certains établissements d’enseignement supérieur. Le recul offert par le droit américain justifie le choix de recourir à la notion de diversité sur le fondement de l’égalité complexe et non de la justice utilitariste. La recherche de diversité doit donc être contextuelle, elle est fonction du droit ou du bien rare devant faire l’objet d’une répartition ou d’une sélection.

La seconde partie de cette étude a pour objet la mise en œuvre de la diversité en droit du travail en tenant compte des conditions définies précédemment. 

Dans un premier temps sont étudiés les dispositifs visant à promouvoir plus de diversité dans les effectifs de travail. Cela consiste notamment à procéder à la détermination des objectifs chiffrés de diversité au sein de la sphère de l’emploi où se confrontent des droits et libertés de même valeur : le droit d’obtenir un emploi et le droit pour l’employeur de choisir ses collaborateurs. De tels objectifs de résultat, et les méthodes de promotion qu’ils permettent, doivent tenir compte de la nécessité pour l’employeur de recruter des personnes compétentes pour exercer l’emploi qu’il propose, sans pour autant laisser à ce dernier une totale discrétion sur le choix de la personne dès lors que ce choix serait fondé de manière directe ou indirecte sur des caractéristiques identitaires. Ce n’est donc pas la diversité « française » qu’il conviendra de reproduire au sein des entreprises, mais celle des individus formés pour occuper les emplois proposés. Cette précaution semble nécessaire pour éviter les effets pervers des mesures positives, notamment la présomption ou le soupçon d’incompétence qui pèserait sur toute personne pouvant bénéficier d’une mesure positive. Ce filtre de la compétence existe déjà en droit canadien dans le cadre de l’application de la notion de discrimination systémique. Par exemple, le taux de femmes ouvrières présentes dans l’entreprise est comparé au taux d’ouvrières au niveau national à travers ce que le droit canadien appelle une « analyse de disponibilité » (V. son application dans CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114). L’utilisation de statistiques pour réaliser ces analyses de disponibilité et mesurer les écarts de représentation repose la question (politique) des statistiques ethniques. Les demandes actuelles consistant à obtenir l’effacement de la donnée du sexe sur la carte d’identité ou sur le numéro de sécurité sociale, ou la possibilité d’une auto-déclaration, entre en totale contradiction avec ce type de mesures positives devant se fonder sur des données objectives.

Dans un second temps, l’étude porte sur la sauvegarde de la diversité atteinte au sein des effectifs. En effet, si les pratiques de recrutement peuvent être modifiées pour mieux promouvoir la diversité, faut-il encore que les personnes recrutées trouvent leur place au sein des entreprises. Or, un grand nombre de règles de fonctionnement des entreprises laisse entrevoir que le monde du travail est optimisé pour certains profils uniquement. Les personnes aux besoins et aux habitudes de vie différentes ne pourront pas s’intégrer aussi facilement et durablement dans le fonctionnement de l’entreprise que celles pour qui il a été façonné (on pense bien évidemment aux rythmes de travail qui ne posent aucune difficulté aux pratiquants de la religion chrétienne alors que dans le même temps les musulmans ou juifs doivent demander des autorisations d’absence pour se rendre à la mosquée ou synagogue). Il apparait donc que le droit du travail applicable dans l’entreprise, qui a intégré dans son « logiciel » les modes de fonctionnement « classiques » des entreprises, doit être repensé pour être plus inclusif. Il convient dès lors de distinguer selon que les caractéristiques identitaires relèvent de certaines vulnérabilités pouvant affecter la vie des êtres humains (âge, état de santé, handicap, ou à la parentalité) ou selon qu’elles résultent de l’exercice d’une liberté ayant pour effet de marginaliser l’individu. Si les vulnérabilités doivent être systématiquement prises en considération dans l’élaboration des règles communes du droit du travail pour que le travail et l’entreprise soient adaptées à leurs conditions ; il ne peut en être de même en ce qui concerne l’exercice d’une liberté pouvant entrer en contradiction avec d’autres libertés. Dans ce cas de figure, le respect de la diversité se traduirait par le traitement identique de toutes les expressions de la liberté. 

En définitive, « la » diversité est (en toute logique) composée de variables de natures différentes ne pouvant faire l’objet d’un traitement homogène. Si l’approche consistant à comparer des écarts de représentation en matière de sexe, de handicap ou de « race » peut être pertinente pour démontrer une discrimination (souvent systémique) et y remédier pour l’avenir, d’autres caractéristiques ne peuvent donner lieu à un tel traitement. Par ailleurs, la manipulation de données sensibles par les entreprises dans cette optique de monitoring de la diversité, n’est pas sans difficulté au regard des règles du RGPD, ce qui plaide pour un traitement externe de ces données pas les organismes sociaux.

Sommaire de la thèse

Partie 1 : L'ancrage difficile de la notion de diversité en droit français N° Lexbase : X8696CQ7

Titre 1 : La décomposition de l'universalisme au prisme de la diversité N° Lexbase : X8687CQS

Chapitre 1 : L'utopie universaliste N° Lexbase : X8668CQ4

Chapitre 2 : La réalité de la diversité N° Lexbase : X8669CQ7

Titre 2 : La recomposition de l'universalisme au prisme de la diversité N° Lexbase : X8688CQT

Chapitre 1 : Le concept de la diversité juridique aux États-Unis N° Lexbase : X8670CQ8

Chapitre 2 : La difficile réception en droit français du concept de diversité N° Lexbase : X8671CQ9

Partie 2 : La mise en œuvre ordonnée de la diversité en droit du travail N° Lexbase : X8697CQ8

Titre 1 : La recherche de diversité N° Lexbase : X8689CQU

Chapitre 1 : Des composantes de la diversité inégales face à la mesure statistique N° Lexbase : X8672CQA

Chapitre 2 : Les moyens d'introduction de certaines composantes de la diversité N° Lexbase : X8673CQB

Titre 2 : La sauvegarde de la diversité N° Lexbase : X8690CQW

Chapitre 1 : L'obligation pour l'entreprise de s'adapter à la diversité des situations des travailleurs N° Lexbase : X8674CQC

Chapitre 2 : La gestion égalitaire des libertés individuelles dans l'entreprise N° Lexbase : X8675CQD

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