Lexbase Contentieux et Recouvrement n°5 du 29 mars 2024 : Commissaires de justice

[Questions à...] À la rencontre de Benoît Santoire Président de la Chambre nationale des Commissaires de Justice : l'analyse de la proposition pour le recouvrement des créances commerciales

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par Alexandra Martinez-Ohayon

le 20 Mars 2024

Dans le cadre de notre série d'entretiens avec des personnalités clés du domaine judiciaire, nous avons eu l'honneur de nous entretenir avec Monsieur Benoît Santoire Président de la Chambre nationale des Commissaires de Justice (CNCJ). Cette interview nous offre une occasion de mieux comprendre la proposition portant sur la procédure simplifiée de recouvrement des créances commerciales.

Cette interview est, également, à retrouver en [vidéo].


 

                                                                

Lexbase Contentieux et recouvrement : En quoi consiste cet embryon de procédure ?

Monsieur le Président Benoît Santoire :Il faut tout d'abord comprendre la genèse de ce projet de procédure et le contexte dans lequel il s'inscrit, à savoir, un allongement des délais de paiement et forte une augmentation des impayés commerciaux.

Ces aléas de la conjoncture rendaient nécessaires la proposition de nouvelles mesures de soutien aux entreprises, en particulier les PME qui manquent de trésorerie : 

  • le montant annuel des impayés en France est aujourd'hui estimé à soixante milliards d’euros, soit environ 2 % du PIB ;
  • les retards et défauts de paiement sont à l’origine de 25 % des défaillances d’entreprises ;
  • cette insécurité financière entraine d’autres effets indirects : moindres rentrées fiscales, menaces pour l’emploi, hausse des prix des produits et des services par anticipation.

La France est le pays européen qui a connu l'augmentation la plus importante du volume de factures présentant un retard significatif.

Le principe de la nouvelle procédure que je porte : un nouveau dispositif déjudiciarisé.

Inspirée de la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances en matière de créances civiles (loi du 6 août 2015) et de la procédure de règlement des créances d'argent incontestées du droit belge qui obtient d'excellents résultats, cette nouvelle procédure, visant uniquement les créances commerciales, reposerait sur les étapes suivantes :

1. à l’expiration du délai de paiement d’une créance certaine, le commissaire de justice, à la demande du créancier, délivrerait au débiteur une sommation de payer, comprenant les pièces justificatives, l’explication de la procédure et des voies de recours ;

2. en l’absence de contestation du débiteur dans un délai d’un mois, le commissaire de justice dresserait un PV de non-contestation de la créance qu’il présenterait au greffe du tribunal de commerce, lequel contrôlerait formellement le dossier avant d’apposer la formule exécutoire ;

3. Le commissaire de justice procèderait au recouvrement judiciaire de la créance ;

Au cours de cette procédure, le débiteur aurait donc la possibilité d’entrer en relation avec le commissaire de justice, et de se voir proposer un plan d’apurement de la créance qui donnerait lieu à un titre exécutoire. Et en cas de contestation, le litige serait porté devant la juridiction commerciale.

Lexbase Contentieux et recouvrement : Cette procédure est-elle une alternative ou une remplaçante de la procédure d’injonction de payer ?

Monsieur le Président Benoît Santoire : Pour le dire de façon simplifiée, il s’agirait pour le commissaire de justice de rendre lui-même un titre exécutoire dans le cadre d’une facture en B to B, sans devoir passer par la voie judiciaire.

Bien entendu, ce procédé se ferait toujours sous le contrôle du juge, mais à postériori, et après une sommation de payer demeurée sans réponse au-delà d’un certain délai, et sauf contestation de la créance de la part du débiteur.

L’intérêt de cette procédure « accélérée » est avant tout de faciliter le recouvrement des créances, dont les impayés pénalisent de nombreuses entreprises. Tout d’abord en diminuant le délai pour l’obtention d’un titre exécutoire, ce délai pouvant être préjudiciable aux chances de recouvrement. Ensuite, en convainquant le créancier d’engager une action de recouvrement, sans être parfois réticent à engager une action judiciaire dont la méconnaissance et une prétendue complexité peuvent rebuter. Enfin, une telle procédure permettrait au créancier de pouvoir, éventuellement, et s’il le souhaite, conserver une relation commerciale avec son débiteur puisqu’il lui offre ainsi la possibilité de conclure un accord avec le commissaire de justice. En effet, et c’est son principal atout, même si le commissaire de justice fera ensuite apposer la formule exécutoire par le greffe, cette procédure restera dans un cadre amiable si le débiteur est de bonne foi et de bonne volonté.

Lexbase Contentieux et recouvrement : Quelles sont les différences avec la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances ?

Monsieur le Président Benoît Santoire : La principale différence tient à son montant, là où la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances s’applique comme son intitulé l’indique seulement à des créances d’un montant plutôt modeste, en l’occurrence cinq mille euros , notre projet ne serait pas limité, bien que nous envisagions toutefois un éventuel plafond de la créance. En effet, nous n’entendons évidemment pas porter atteinte aux droits de la défense, lorsque par exemple la représentation par avocat est obligatoire.

La seconde différence tient au procédé, là où la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances débute par un simple courrier du commissaire de justice, notre projet prévoit la signification d’un acte, en l’occurrence en l’état du projet, une sommation. Cette différence est notoire, car nous voyons que la procédure existante n’a pas trouvé son public si j’ose dire, notre projet prévoit un contact « physique » avec le débiteur, ce qui est un gage d’une meilleure efficacité. En effet, par ignorance ou négligence, dans le premier cas, il « suffit » que le débiteur ne réagisse pas positivement pour que la procédure échoue, alors que dans le process de la facture exécutoire, nous serions en mesure d’expliquer verbalement au débiteur, l’intérêt qu’il aurait à se manifester, et à défaut les conséquences de son éventuelle inaction. Nous retrouvons ici ce qui fait notre spécificité, à savoir la proximité, et bien souvent le premier contact humain pour le débiteur, et donc la première occasion pour celui-ci soit d’expliquer les raisons de son non-paiement, soit de formuler des propositions dans un climat apaisé face à un tiers de confiance.

Lexbase Contentieux et recouvrement : Quel est l’horizon temporel pour voir la naissance de cette procédure ?

Monsieur le Président Benoît Santoire : À ce stade, la Chambre nationale des commissaires de justice travaille avec les deux ministères concernés, à savoir Bercy, et la Chancellerie, notre ministère de tutelle, qui nous a demandé de creuser la notion de facture incontestée, notion qui sous-tend cette même procédure déjà en vigueur en Belgique.

Lexbase Contentieux et recouvrement : Ne craignez-vous pas une levée de boucliers des magistrats et des avocats, comme ce fut le cas pour la saisie des rémunérations ? Si non, pourquoi ?

Monsieur le Président Benoît Santoire :S’agissant des avocats, comme je l’ai dit, il est probable que nous limitions ce process à des créances en deçà d’un certain montant.

Quant aux magistrats, concernant le recouvrement judiciaire, rien ne se fera bien entendu jamais sans eux puisque le juge de l’exécution sera toujours compétent. Certes, l’obtention du titre exécutoire se fera en dehors du bureau du juge, mais l’apposition de la formule exécutoire restera du ressort du greffier.

Mais surtout, cette nouvelle procédure impliquera la non-contestation de la facture de la part du débiteur. Or, dans ce cas il semble évident que le débiteur ne se serait ni présenté à une audience sur le fond ni n’aurait contesté une injonction de payer. On constate d’ailleurs un très faible taux d’oppositions à injonction de payer, d’autant plus en matière commerciale. Et si telle était sa volonté, le débiteur aura l’occasion de réagir lors de la signification de la sommation, mettant ainsi fin à cette procédure, la créance étant alors réorientée vers le circuit judiciaire classique.

On peut affirmer que le rôle du magistrat reste inchangé, bien que dans ce cas il sera davantage cantonné à son véritable rôle, à savoir trancher les situations litigieuses, les créances non-contestées n’en faisant pas partie. Je préfère d’ailleurs parler d’une procédure pragmatique où un tiers de confiance, le commissaire de justice, suffit à trouver une solution entre le créancier et son débiteur, plutôt que de déjudiciarisation.

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