Réf. : Cass. com., 6 décembre 2023, n° 22-11.071, FS-B N° Lexbase : A6694173
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par Vincent Téchené
le 20 Décembre 2023
► La partie qui sollicite l'autorisation de faire pratiquer une saisie-contrefaçon doit présenter, au soutien de sa requête, l'ensemble des faits objectifs de nature à permettre au juge d'appréhender complètement les enjeux du procès en vue duquel lui était demandée cette autorisation et ainsi d'exercer pleinement son pouvoir d'appréciation des circonstances de la cause.
Faits et procédure. La société Puma est titulaire des marques figuratives internationales et de l'Union européenne constituées d'une bande courbe, dont la base évasée se prolonge en se rétrécissant, servant à distinguer, en classe 25, les vêtements et les chaussures.
Soutenant que la société Carrefour commercialisait une chaussure de tennis reproduisant, sur sa partie latérale, un élément figuratif constituant, selon elles, l'imitation des trois marques figuratives précitées, Puma a obtenu, sur requête, une ordonnance rendue par le délégataire du président d'un tribunal judiciaire, autorisant une saisie-contrefaçon dans les locaux d'un magasin Carrefour.
Les sociétés Puma ont ensuite assigné la société Carrefour pour atteinte aux marques renommées, contrefaçon de marques et concurrence déloyale.
Carrefour a soulevé la nullité des opérations de saisie-contrefaçon. C’est dans ces conditions que la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-2, 26 novembre 2021, n° 20/05827 N° Lexbase : A32517DR) a retenu notamment que les sociétés Puma ont engagé leur responsabilité en présentant de manière déloyale leur requête en saisie-contrefaçon et a annulé les procès-verbaux, ainsi que le procès-verbal complémentaire de saisie-contrefaçon. Les sociétés Puma ont alors formé un pourvoi en cassation.
Décision. La Cour de cassation rappelle qu’aux termes de l'article L. 716-7, devenu L. 716-4-7, alinéas 1 et 2 N° Lexbase : L5828LTZ, du Code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens. Selon ce texte « À cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou services prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits et services prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers ».
Par ailleurs, la Cour de cassation juge que ces dispositions permettent au titulaire d'un droit de propriété industrielle de bénéficier de cette procédure sans avoir à justifier de circonstances particulières nécessitant d'y recourir de manière non contradictoire, et sont à ce titre considérées comme exorbitantes du droit commun (v. Cass. com., 22 mars 2023, n° 21-21.467, F-D N° Lexbase : A01599LH), le juge saisi ne pouvant refuser d'accueillir la demande dès lors qu'elle lui a été présentée dans les formes et avec les justifications prévues par la loi (v. Cass. com., 29 juin 1999, n° 97-12.699, publié au bulletin N° Lexbase : A4729CKD).
La Haute juridiction rappelle également que, selon l'article 3 de la Directive n° 2004/48/CE, du 29 avril 2004 N° Lexbase : L2091DY4, les procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle mises en œuvre par les États membres doivent être loyales et proportionnées.
Enfin, en application de l'article 10 du Code civil N° Lexbase : L3306AB3, les parties ont l'obligation, en vertu du principe de loyauté des débats, de produire et le cas échéant communiquer en temps utiles les éléments en leur possession, en particulier lorsqu'ils sont susceptibles de modifier l'opinion des juges (en ce sens, v. Cass. civ. 1, 7 juin 2005, n° 05-60.044, FS-P+B N° Lexbase : A6590DIW)
Il en résulte, selon la Haute Cour, que les dispositions de l’article L. 716-4-7, alinéas 1er et 2 du Code de la propriété intellectuelle, lues à la lumière de la Directive, exigent du requérant qu'il fasse preuve de loyauté dans l'exposé des faits au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, afin de permettre au juge d'autoriser une mesure proportionnée.
Or, en l’espèce, les sociétés Puma se sont abstenues, lors de la présentation de leur requête en saisie-contrefaçon, de faire connaître, d'une part, que la société Carrefour était titulaire de marques françaises et de l'Union européenne portant sur le signe figuratif incriminé, d'autre part, qu'elles-mêmes s'étaient opposées à l'enregistrement de ces marques auprès, respectivement, de l’INPI et de l’EUIPO, sur la base de leurs marques antérieures, invoquées dans le litige mais que ces instances administratives avaient exclu toute imitation des marques de la société Puma et donc tout risque de confusion, antérieurement à la présentation de la requête en saisie-contrefaçon.
Et, si la décision rendue par l'instance administrative, statuant en matière d'opposition à l'enregistrement d'une marque, ne lie pas le juge saisi d'une demande en contrefaçon, les éléments de preuve destinés à être produits dans une procédure judiciaire doivent néanmoins être recueillis dans des conditions exemptes de déloyauté.
Dès lors, la Cour de cassation approuve l’arrêt d’appel d’avoir énoncé que la partie qui sollicite l'autorisation de faire pratiquer une saisie-contrefaçon doit présenter, au soutien de sa requête, l'ensemble des faits objectifs de nature à permettre au juge d'appréhender complètement les enjeux du procès en vue duquel lui était demandée cette autorisation et ainsi d'exercer pleinement son pouvoir d'appréciation des circonstances de la cause.
La cour d'appel a donc exactement retenu que, les sociétés Puma avaient manqué à leur devoir de loyauté à l'occasion de la présentation de la requête et que les procès-verbaux de saisie-contrefaçon devaient être, en conséquence, annulés.
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