Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 10 novembre 2023, n° 460684, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A79791Y8
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par Vincent Téchené
le 16 Novembre 2023
► Le principe de la personnalité des peines ne fait pas, par lui-même, obstacle à ce qu'une sanction disciplinaire, justifiée par les manquements commis par une société ayant par la suite fait l'objet d'une absorption ou d'une fusion, soit prononcée à l'encontre de la société absorbante ou issue de la fusion.
Faits et procédure. Une chambre régionale de discipline près le conseil régional de l'ordre des experts-comptables a rejeté une plainte formée à raison de comportements contraires au principe d'indépendance et de probité susceptibles de créer un conflit d'intérêts en disant n'y avoir lieu à sanction disciplinaire.
La chambre nationale de discipline auprès du conseil national de l'ordre des experts-comptables a rejeté l'appel formé par le plaignant dans cette affaire. Elle a estimé, d'une part, que les poursuites dirigées contre la société d’expertise comptable visée étaient irrecevables, d'autre part, qu'il n'y avait pas lieu à sanction disciplinaire. Le plaignant s’est alors pourvu en cassation contre cette décision.
Il convient de noter que l’intégralité des actions de la société visée par la plainte avait été acquises par une autre société qui a décidé, trois mois avant la décision de la chambre régionale de discipline, de procéder à la dissolution anticipée sans liquidation. Cette dissolution avait alors entraîné la transmission universelle de son patrimoine (TUP) au profit de l’associé unique et la perte de la personnalité juridique de la société visée par la plainte.
Se posait donc la question de savoir si la sanction disciplinaire pouvait être infligée à la société bénéficiaire de la TUP.
Décision. Le Conseil d’État précise alors que le principe de la personnalité des peines ne fait pas, par lui-même, obstacle à ce qu'une sanction disciplinaire, justifiée par les manquements commis par une société ayant par la suite fait l'objet d'une absorption ou d'une fusion, soit prononcée à l'encontre de la société absorbante ou issue de la fusion.
Selon les juges du Palais-Royal, il appartient, dans un tel cas, à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apprécier, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, la nature et le quantum de la sanction qu'il convient d'infliger à la société absorbante en tenant compte des principes dont elle est chargée d'assurer le respect, de la nature des manquements commis par la société ayant fait l'objet de l'absorption ou de la fusion et des circonstances dans lesquelles ces manquements ont été commis.
Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu la chambre nationale de discipline, le principe de la personnalité des peines ne faisait pas, par lui-même, obstacle à ce que l'une des sanctions disciplinaires prévues par l'article 53 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 puisse être prononcée à l'encontre de la société absorbante au titre de manquements qui auraient été commis par la société absorbée. Par suite, en décidant que les poursuites disciplinaires dirigées contre la société absorbante étaient, pour ce motif, irrecevables, la chambre nationale de discipline a entaché sa décision d'une erreur de droit.
Observations. Cette solution est à rapprocher de la position de la Chambre criminelle depuis l’important revirement de jurisprudence du 25 novembre 2020, par lequel elle a admis que la société absorbante peut être déclarée pénalement responsable d’infractions commises par l’absorbée (Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, FP-P+B+I N° Lexbase : A551437D, M. Segonds, Lexbase Pénal, janvier 2021, n° 34 N° Lexbase : N6117BY9)
Plus précisément, la Cour de cassation a retenu qu'en cas de fusion-absorption d'une société par une autre société, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération dans deux hypothèses :
- lorsque l'opération, conclue postérieurement au 25 novembre 2020, entre dans le champ de l'application de la Directive n° 78/855, du 9 octobre 1978, relative à la fusion des sociétés anonymes N° Lexbase : L9347AUQ, seule une peine d'amende ou de confiscation pouvant alors être prononcée à l'encontre de la société absorbante ;
- lorsque l'opération, quelle que soit sa date et quelle que soit la nature des sociétés concernées, a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu'elle constitue ainsi une fraude à la loi, toute peine encourue pouvant alors être prononcée.
Rappelant cette solution, la Chambre criminelle l’a précisée en 2022 (Cass. crim., 13 avril 2022, n° 21-80.653, FS-B N° Lexbase : A41207TR, M.-C. Sordino, Lexbase Pénal, mai 2022, n° 49 N° Lexbase : N1629BZD). Le juge doit ainsi vérifier si les conditions pour exercer des poursuites à l’encontre de la société́ absorbante ne sont pas susceptibles d’être remplies en raison d’une éventuelle fraude à la loi, soit d’office, soit à la demande de l’une des parties qui l’invoque et, au besoin, en ordonnant un supplément d’information.
On notera également que le juge administratif avait déjà admis la mise à la charge de la nouvelle entité issue de l’opération de fusion ou de scission des pénalités fiscales d’une société absorbée, fusionnée ou scindée (CE, avis, 4 décembre 2009, n° 329173 N° Lexbase : A3358EP3). De même, le principe de la personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce que, lorsqu’une société qui a commis un manquement à ses obligations professionnelles est absorbée par une autre société, le Conseil des marchés financiers prononce (devenu l’Autorité des marchés financiers), à raison de ces faits, une sanction pécuniaire à l’encontre de la société absorbante (CE, sect., 22 novembre 2000, n° 207697 N° Lexbase : A1832AIP).
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