Réf. : Cass. civ. 2, 19 octobre 2023, n° 21-20.366, F-B N° Lexbase : A65071NC
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par Sarah Maubert-Mendez et Alex Ajroud, Avocats associés, Ceno Avocats
le 15 Novembre 2023
Mots-clés : société d’exercice libéral • bénéfice • revenus d’activité non salariée • dividendes • société de participations financières de profession libérale • cotisations sociales
Le 19 octobre dernier, la Cour de cassation a délivré une analyse surprenante en matière de dividendes versés à une société de participations financières de profession libérale, appelée plus communément « SPFPL ».
Ce type de société à objet spécial, institué par la loi « Murcef » du 11 décembre 2001 [1] constituait à l’époque une innovation puisqu’elle dotait les professionnels libéraux de la possibilité de se constituer des « holdings ». Toutefois, la pratique et l’usage de ces sociétés ne tarderait pas à démontrer, et une fois de plus avec cette jurisprudence, les limites de ce véhicule.
Dans l’affaire en cause, et rejetant le pourvoi formé par le justiciable, la Cour de cassation juge, sur le fondement de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L6945LNK, que « les bénéfices de la société d’exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral ».
La publication de cet arrêt a suscité de nombreuses réactions et critiques, notamment parmi les professionnels libéraux, directement concernés par la portée de cet arrêt.
Au préalable, délivrons quelques éléments de contexte : un chirurgien-dentiste exerce son activité professionnelle au sein d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée, détenue par deux associés, le chirurgien-dentiste lui-même, pour 10 parts sociales, et une SPFPL détenant le solde des participations, soit 990 parts sociales, dont le propre capital est réparti à parts égales entre le chirurgien-dentiste et son épouse.
De manière très classique, les associés de la société d’exercice libérale prennent la décision de distribuer des dividendes. Toutefois, ces dividendes sont réintégrés par la Caisse autonome des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (la CARCDSF) dans l’assiette des cotisations vieillesse dues par le chirurgien-dentiste à titre de travailleur indépendant. Le praticien porte le contentieux devant les juridictions civiles et il est débouté en appel.
Pour justifier de sa décision, la cour d’appel d’Aix-en-Provence se fonde sur l’article L.131-6, III du Code de la sécurité sociale, qui dispose qu’ « est également prise en compte, dans les conditions prévues par le deuxième alinéa, la part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du Code général des Impôts perçus par le travailleur indépendant non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés […] qui est supérieure à 10% du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant […] ».
La cour d’appel considère que les dividendes versés par la société d’exercice libéral à la SPFPL ont un caractère professionnel dès lors que le chirurgien-dentiste était seul associé professionnel de la société d’exercice libéral et qu’il était le seul à générer des revenus permettant de constituer les dividendes ensuite versés à la SPFPL. La cour considère qu’il bénéficie ainsi indirectement de la distribution de dividendes qui constitue la rémunération de son travail et non un revenu du capital.
Contestant cette analyse, le chirurgien-dentiste se pourvoit en cassation, au moyen notamment que l’article L. 131-6 précité ne concerne que des dividendes distribués au travailleur indépendant et aux personnes qui lui sont liées, et non les dividendes versés à une société holding soumise à l’impôt sur les sociétés et non appréhendés par le travailleur, conséquence logique et implacable de l’indépendance entre personne physique et personne morale.
Malgré les moyens soulevés par le justiciable, la Cour de cassation finit par rejeter le pourvoi le 19 octobre dernier.
Elle rappelle dans un premier temps la lettre de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale, et en tire la conclusion que « le bénéfice de la société d’exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle, et doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral ».
La Cour de cassation va donc plus loin que la juridiction d’appel en affirmant que c’est en réalité le bénéfice global réalisé par la société d’exercice libéral qui constitue le produit de l’activité professionnelle du travailleur indépendant et non uniquement les dividendes versés. Le fait que les dividendes aient été distribués à la SPFPL ne serait donc qu’un élément d’espèce sans influence sur l’assujettissement du bénéfice réalisé par la société d’exercice libéral aux cotisations sociales. La simple réalisation d’un bénéfice rendrait donc celui-ci soumis aux cotisations sociales et ce peu important que ce bénéfice soit mis en réserve ou réellement distribué.
La décision de la juridiction suprême doit être commentée sur plusieurs points.
En premier lieu, en considérant que le bénéfice réalisé par la société d’exercice libéral doit être regardé comme un produit de l’activité professionnelle du travailleur indépendant, la Cour ajoute à la loi, et à la lettre de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale. En effet, celui-ci réserve l’assujettissement aux cotisations sociales aux revenus mentionnés aux articles 108 N° Lexbase : L2059HLT à 115 N° Lexbase : L4106MG8 du Code général des impôts. Or, l’article 108 précité mentionne expressément les revenus distribués, définis par l’article 109 du même Code N° Lexbase : L2060HLU comme les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital, et comme toutes les sommes mises à disposition des sociétés et non prélevées sur les bénéfices.
Dès lors, en l’absence de distribution effective, les bénéfices mis en réserve ne devraient donc pas être assujettis aux cotisations sociales, contrairement à ce que semble suggérer la cour qui considère que « les bénéfices de la société d'exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l'assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués ».
La fiscalité des dividendes des sociétés d’exercice libéral a été largement discutée en jurisprudence. Le Conseil d’État lui-même estimait un temps que les dividendes versés aux associés d’une société de capitaux constituant des revenus du patrimoine imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, les dividendes versés aux associés de sociétés d’exercice libéral ne pouvaient être regardés comme des revenus professionnels assujettis aux cotisations vieillesse [2]. À la suite de cette jurisprudence, de nombreux recours avaient été initiés par nombre de caisses professionnelles, ce qui a entraîné un revirement, porté par la décision de la Cour de cassation, considérant alors que les dividendes perçus directement par l’associé d’une société d’exercice libéral constituaient le produit de son activité professionnelle et que les sommes distribuées devaient être prises en compte dans l’assiette de ses cotisations sociales [3]. Le législateur est intervenu [4] pour donner suite à cette jurisprudence en requalifiant, pour partie, une fraction des dividendes des associés de société d’exercice libéral. Cette fraction correspond au montant des dividendes et des revenus des comptes courants excédant 10% du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte-courant. L’application de cotisations sociales aux revenus distribués directement aux associés de société d’exercice libéral a également été validé par le Conseil constitutionnel [5]. L’intégralité des décisions précitées et des modifications législatives précitées concerne toutefois les distributions intervenant directement au profit des associés-personne physique. Aucun élément ne permet à la Cour de cassation de tirer des conclusions plus larges en intégrant dans l’assiette des cotisations sociales les bénéfices versés à une société intermédiaire et non réellement appréhendées par l’associé de la SPFPL.
Ensuite, il semble que la Cour méconnaisse ici le principe élémentaire de séparation des personnes physiques et des personnes morales en précisant qu’il « importe peu qu'au regard de la réglementation applicable, la société de participations financières soit dotée d'une personnalité morale distincte et soit soumise à l'impôt sur les sociétés et non à l'impôt sur le revenu ». Toutefois, il ressort de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale que les revenus, pour être assujettis aux cotisations sociales, doivent être perçus par le travailleur indépendant, son conjoint, son partenaire civil, ou leurs enfants mineurs non émancipés. La liste est donc limitative. Or, une SPFPL est une structure d’exercice détenant la personnalité morale, acquise dès lors qu’elle obtient son immatriculation [6]. Elle est alors soumise à l’impôt sur les sociétés et reste exclue de la liste de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale, quand bien même le travailleur indépendant y serait associé, égalitaire ou majoritaire.
La question des cotisations sociales appliquée sur les distributions de dividendes issues de SPFPL a été posée par la pratique. Durant un certain temps, l’usage des SPFPL a permis à certains professionnels de se distribuer des dividendes sans cotisations sociales. Une modification du texte est intervenue [7] afin que les rémunérations versées par les SPFPL aux associés-personne physique soient, quelles que soient leurs formes, soumises aux cotisations sociales. L’analyse de la Cour de cassation dans l’arrêt du 19 octobre dernier semble mélanger les différentes règlementations appliquées aux distributions des sociétés d’exercice libéral et des SPFPL au bénéfice exclusif de personnes physiques et soumet aux cotisations sociales les distributions intermédiaires réalisées aux bénéfices des SPFPL, quand bien même ces dernières n’auraient pas procédé à une redistribution au bénéfice des associés-personne physique.
Enfin, la décision de la Cour de cassation est également largement discutable dans la mesure où elle remet en cause la notion même de bénéfice dans une société d’exercice libéral, ce qui pourrait amener à une différence de traitement entre le bénéfice issu de l’activité libérale et le bénéfice issu d’une activité commerciale ou industrielle, qui ne serait, quant à lui, jamais soumis à cotisations sociales, qu’il soit distribué ou non.
À la lecture de cette décision, les professionnels libéraux sont en droit de s’interroger sur plusieurs points.
Dans un premier temps, cette décision est-elle applicable à toutes les sociétés d’exercice libéral ou doit-elle se limiter aux seules sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée, sujet du cas d’espèce. Au vu de la mise à jour de la doctrine administrative [8] en vigueur en matière de revenus des associés de sociétés d’exercice libéral exerçant leurs fonctions au sein de la structure, ce qui inclue notamment les sociétés d’exercice libéral par actions simplifiée, traitant les rémunérations techniques exclusivement comme du BNC, il nous semble que cette décision soit transposable à toutes les sociétés d’exercice libéral.
Dans un deuxième temps, doit-on considérer que la décision de la Cour est motivée par la présence d’un associé professionnel unique, et qu’il en serait différemment si plusieurs associés exerçaient leurs fonctions dans la société. Il semble, à la lecture de l’arrêt, que chacun serait assujetti aux cotisations sociales pour la part du bénéfice correspondant à son pourcentage de détention capitalistique.
Dans un troisième temps, en serait-il de même si plusieurs associés professionnels étaient associés de la SPFPL, de sorte qu’aucun d’eux ne soit majoritaire. Il peut être considéré également que cela n’aurait pas d’impact sur la décision, la Cour traitant du bénéfice réalisé dans la société d’exercice libéral seulement, sans que la décision de distribution ne modifie l’analyse.
Chacun devra désormais s’interroger encore davantage sur son mode de rémunération et rester attentif à une éventuelle réaction du législateur. Dans l’attente, il semblerait que les praticiens doivent aujourd’hui se méfier et adopter deux comportements préventifs :
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[1] Loi n° 2001-1168, du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (MURCEF) N° Lexbase : L0256AWE.
[2] CE 1° et 6° ssr., 14 novembre 2007, n° 293642, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5808DZ7.
[3] Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, FS-P+B+R N° Lexbase : A5228D87.
[4] Loi n° 2008-1330, du 17 décembre 2008, de financement de la sécurité sociale pour 2009, art. 22 N° Lexbase : L2678IC8.
[5] Cons. const., décision n° 2010-24 QPC, du 6 août 2010 N° Lexbase : A9232E73.
[6] Loi n° 90-1258, du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales N° Lexbase : L3046AIN.
[7] Loi n° 2013-1203, du 23 décembre 2013, de financement de la sécurité sociale pour 2014, art. 11 N° Lexbase : L6939IYN.
[8] BOI-BNC-DECLA-10-10, en date du 5 janvier 2023.
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