La lettre juridique n°927 du 8 décembre 2022

La lettre juridique - Édition n°927

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Faute inexcusable : rappel par la Cour de cassation du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil

Réf. : Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, n° 21-10.773, F-B N° Lexbase : A45478WC

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N3512BZ4

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par Laïla Bedja

Le 07 Décembre 2022

► Si l’article 4-1 du Code de procédure pénale permet au juge civil, en l’absence de faute pénale non intentionnelle, de retenir une faute inexcusable en application de l’article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé.

Les faits et procédure. Un salarié de la société A a été victime, le 4 octobre 2011, d’un accident pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie au titre de la législation professionnelle. Par jugement d’un tribunal de police, l’employeur a été relaxé des poursuites du chef de blessures involontaires.

La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

La cour d’appel. Pour dire la faute inexcusable établie, la cour d’appel a retenu que, quelle que soit la cause de l’ouverture de la vanne, le dispositif de sécurité était inadéquat et que l'employeur connaissait ou aurait dû connaître le fait que cette vanne n'était munie d'aucun dispositif de verrouillage en position fermée, contrairement aux règles de sécurité applicables en la matière.

La décision. Rappelant la règle précitée relative à l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond. En statuant ainsi, alors que pour prononcer la relaxe de l’employeur des poursuites du chef de blessures involontaires, la juridiction pénale, après avoir relevé que les causes de l’ouverture de la vanne étaient indéterminées, a écarté un manquement aux règles de sécurité lié à l’absence de double vanne ou d’un système de verrouillage de la vanne nécessitant un outil spécifique, la cour d’appel a violé le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, et les articles 4-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1100KZR et L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5300ADN.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L’incidence de la faute dans la réalisation de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, Le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3173ETP.

newsid:483512

Collectivités territoriales

[Brèves] Conclusion de baux sur des biens du domaine privé d’une commune : pas d’obligation de publicité et de mise en concurrence préalables !

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 2 décembre 2022, n° 460100, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A69228WB

Lecture: 2 min

N3556BZQ

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par Yann Le Foll

Le 07 Décembre 2022

► La conclusion de baux sur des biens du domaine privé d’une commune n’est pas conditionnée à une obligation de publicité et de mise en concurrence préalables, ceux-ci ne constituant pas une autorisation pour l'accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l'article 4 de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Principe. L'article 12 de la Directive 2006/123/CE, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4, transposé à l'article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L9569LDR implique des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d'autorisations d'occupation du domaine public permettant l'exercice d'une activité économique.

Toutefois, ainsi que l'a jugé la CJUE par son arrêt du 14 juillet 2016, « Promoimpresa Srl » (aff. C-458/14 et C-67/15 N° Lexbase : A2158RX9), il ne résulte ni des termes de cette Directive, ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s'appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l'accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l'article 4 de cette même Directive.

En n'imposant pas d'obligations de publicité et mise en concurrence à cette catégorie d'actes, l'État ne saurait donc être regardé comme n'ayant pas pris les mesures de transposition nécessaires de l'article 12 de la Directive 2006/123/CE, du 12 décembre 2006 (pour rappel, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires (CE, 30 octobre 2009, n° 298348, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6040EMN). 

Décision. Par suite, en écartant comme inopérant le moyen tiré de ce que la conclusion du bail en litige (bail emphytéotique portant sur les murs et dépendances de l'hôtel du Palais signé entre la commune de Biarritz et la société Socomix) méconnaîtrait cette Directive, la cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 3e ch., 2 novembre 2021, n° 19BX03590 N° Lexbase : A94037ZB) n'a pas commis d'erreur de droit.

À ce sujet. Lire P.-M. Murgue-Varoclier, L’exploitation économique du domaine privé face à la Directive « Services », Lexbase Public, octobre 2020, n° 601 N° Lexbase : N4874BY8.

newsid:483556

Distribution

[Jurisprudence] Faute grave de l’agent commercial découverte après la rupture : revirement de jurisprudence en faveur de l’agent

Réf. : Cass. com., 16 novembre 2022, n° 21-17.423, FS-B N° Lexbase : A28488TN

Lecture: 15 min

N3576BZH

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par Stéphane Brena, Maître de conférences HDR en droit privé, Directeur de l’Institut de droit des affaires internationales de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au Caire (Égypte)

Le 08 Décembre 2022

Mots-clés : agent commercial • mandant • faute grave • manquement antérieur à la rupture du contrat • découverte du manquement postérieurement à la rupture du contrat • revirement de jurisprudences • courrier de rupture • d’une clause d’interdiction de représentation de produits concurrents • droit d’obtenir communication de documents comptables

Rompant avec sa jurisprudence, la Chambre commerciale de la Cour de cassation exclut, de la manière la plus large qui soit, toute possibilité pour le mandant de se prévaloir d’un manquement de l’agent commercial, antérieur à la rupture mais découvert après. Dans le prolongement de ce revirement, et de manière cohérente, la Haute juridiction impose au mandant d’indiquer, dans le courrier de rupture du contrat, le comportement à l’origine de sa décision.

Cette décision est en outre l’occasion de préciser que l’inclusion d’une clause d’interdiction de représentation de produits concurrents dans l’écrit formalisant la relation d’agence, met fin à une éventuelle tolérance antérieure à cet égard ; elle est également l’occasion de rappeler que le droit d’obtenir communication de documents comptables à fins de vérification du respect de son droit à rémunération par l’agent n’est conditionné par aucun adminicule préalable, tenant notamment à la démonstration d’une quelconque activité de l’agent à l’égard de clients déterminés ou sur un territoire donné.


 

La question de l’incidence de la découverte, postérieurement à la rupture du contrat, d’un comportement grave de l’agent commercial, sur le droit à indemnité qu’il tire des dispositions de l’article L. 134-12 du Code de commerce N° Lexbase : L5660AIH, nourrit une jurisprudence abondante, tant des juridictions françaises que de la Cour de justice de l’Union européenne. Alors que cette dernière a pu décider que le comportement grave de l’agent commercial, commis pendant la période de préavis, n’était pas de nature à le priver de son droit à indemnité [1], la Cour de cassation française estimait qu’une faute grave commise antérieurement à la rupture et découverte après emportait, au contraire, perte de ce droit [2]. C’est cette position, suivie par les juges du fond, que la Haute juridiction abandonne dans la présente espèce, qui est également l’occasion d’apporter quelques éclairages complémentaires sur la faute grave ainsi que sur le droit à commission de l’agent.

Une société Acopal exerçait, depuis 2008, l’activité d’agent commercial de la société Terdis, ultérieurement devenue Paniers Terdis, mandant, qui avait manifestement toléré la représentation de produits concurrents par l’agent. En 2013, un contrat d’agence commerciale est signé par les mêmes parties, contrat stipulant expressément que l’agent « ne peut accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l’objet du présent contrat », représentation de produits concurrents que l’agent a, semble-t-il, poursuivi, ce que le mandant ignorait. Par courrier du 4 mars 2016, le mandant rompt le contrat d’agence, sans préavis ni indemnité de rupture, et sans indication du manquement invoqué dans la lettre de rupture, conduisant l’agent commercial à agir en paiement d’indemnités de préavis et de rupture. L’agent demandait, en outre, la communication de documents comptables nécessaires à la vérification du respect de son droit à commission.

La cour d’appel de Versailles, par arrêt du 6 mai 2021 [3], rejetait les demandes de l’agent commercial. S’agissant de la privation de préavis et d’indemnité, les juges du fond ont considéré, d’une part, que la représentation de produits concurrents – que reconnaissait l’agent commercial – postérieurement à la signature du contrat d’agence, constituait un manquement grave à la loyauté, privatif de préavis et d’indemnité ; d’autre part, que le mandant pouvait se prévaloir d’un comportement grave antérieur à la rupture mais découvert postérieurement à celle-ci. S’agissant du droit à commission, les juges versaillais ont estimé que la demande de documents comptables ne pouvait prospérer, faute pour l’agent de justifier d’une activité particulière de sa part dans la zone géographique visée et auprès des clients concernés.

L’agent commercial introduisait un pourvoi en cassation. Concernant l’absence de préavis et d’indemnité, il estimait, d’une part, que la représentation de produits concurrents étant tolérée par le mandant antérieurement à la formalisation par écrit du contrat d’agence commerciale, ce comportement ne pouvait lui être reproché ; il soutenait, d’autre part, que, compte tenu de la position de la CJUE dans son arrêt « Volvo Car Germany GmbH » du 28 octobre 2010 [4] – et tout spécialement de ses motifs –, l’agent commercial ne saurait être privé de son droit à préavis et à indemnité pour un comportement postérieur à la rupture et découvert après, un tel comportement ne pouvant constituer la cause de la rupture du contrat. Concernant la communication de documents comptables, l’agent avançait que l’exercice de ce droit, prévu par l’article R. 134-3 du Code de commerce N° Lexbase : L9998HYX, ne saurait être conditionné par la preuve d’une activité quelconque auprès des clients concernés.

Ce sont ainsi trois difficultés – d’inégale importance – dont la Haute juridiction était saisie. Les deux premières portaient sur le comportement de l’agent. La première, d’espèce, consistait à déterminer si une représentation tolérée de produits concurrents antérieurement à la signature d’un contrat d’agence peut, dans l’hypothèse où cette représentation est maintenue, constituer une faute grave ; ce à quoi la Cour de cassation, suivant en cela la cour d’appel, répond positivement, estimant que l’insertion, dans le contrat signé en 2013, d’une clause prohibant la représentation de produits concurrents « remettait en cause la tolérance » que le mandant avait pu antérieurement consentir. La seconde difficulté, de principe bien que classique, portait sur la possibilité, pour le mandant, de se prévaloir d’une faute grave commise antérieurement à la rupture mais découverte après. Rompant expressément avec sa jurisprudence antérieure, la Haute juridiction décide, au visa des articles L. 134-12 et L. 134-13 N° Lexbase : L5661AII mais aussi de la Directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986 N° Lexbase : L9726AUR qu’« il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave antérieurement à la rupture du contrat dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité », et censure en conséquence l’arrêt d’appel. La troisième et dernière difficulté était de savoir si le droit à communication de documents comptables de l’agent permettant de vérifier le respect de son droit à commission est subordonné à la preuve d’une activité à l’endroit des clients concernés ; question à laquelle la Cour de cassation, cassant là-encore l’arrêt attaqué, répond négativement, l’agent commercial étant « en droit d’exiger de son mandant la communication de tous les documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions susceptibles de lui être dues ».

Cette décision – à travers l’appréhension de la représentation de produits concurrents par l’agent commercial et de l’obligation de communication de documents comptables pesant sur le mandant – est l’occasion d’illustrer l’exigence de loyauté réciproque que porte le contrat d’agence commerciale (II). Son intérêt majeur réside cependant dans le revirement qu’elle opère, rejetant désormais toute possibilité pour l’agent commercial de se prévaloir d’un manquement de l’agent antérieur à la rupture du contrat et découverte postérieurement à cette rupture (I).

I. La neutralisation de la faute grave antérieure à la rupture mais découverte postérieurement ou l’exigence d’une faute grave causale

En exigeant expressément que la faute grave commise par l’agent commercial soit la cause de la rupture du contrat à l’initiative du mandant – que l’on pourrait qualifier donc de faute causale –, la Cour de cassation opère un revirement spectaculaire (A). Ce changement de cap ne doit cependant pas occulter une précision importante, bien que plus discrète, qu’apporte en l’espèce la Cour de cassation, dans le prolongement de son revirement : celle de la nécessité de faire état, dans la lettre de résiliation, de la faute grave (B).

A. L’exigence de faute grave causale

L’article L. 134-12 du Code de commerce prive l’agent commercial de tout droit à préavis ainsi que de toute indemnité de rupture lorsque la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave. Jusqu’alors, la faute grave découverte après la rupture mais commise avant pouvait être invoquée par le mandant afin de contester le droit à préavis et indemnité de l’agent, position assez largement suivie par les juges du fond [5]. La Cour de cassation se ravise.

Le fondement de ce revirement réside dans la Directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986 telle qu’interprétée par la CJUE, dans deux décisions au moins que rappelle la Cour de cassation. Dans l’arrêt « CMR » du 19 avril 2018 [6], la CJUE a indiqué que toute interprétation de la Directive au détriment de l’agent commercial doit être exclue. Surtout, dans l’arrêt « Volvo » du 28 octobre 2010, elle a considéré que l’article 18 de la Directive, privatif de droits pour l’agent commercial en cas de rupture « pour » un comportement justifiant une rupture sans délai [7], doit être interprété strictement et ne peut permettre d’ajouter une cause de déchéance de l’indemnité non prévue par le texte. Il convient cependant de rappeler que, dans cette dernière affaire, la faute grave de l’agent commercial avait été commise pendant la durée du préavis, qui faisait lui-même suite à une rupture avec préavis au cours de laquelle aucune faute grave n’avait été invoquée par le mandant. On comprend, dans ces circonstances, que la faute grave ne pouvait être la cause de la rupture, celle-ci étant antérieure à celle-là. La CJUE avait pris soin de préciser (point 29) que sa décision ne traitait pas de la situation dans laquelle la faute grave serait intervenue avant la rupture ; or, en l’espèce, tel était précisément le cas. Ainsi, la Cour de cassation va-t-elle plus loin que la CJUE, tout comme l’a d’ailleurs récemment fait la cour d’appel de Bourges. Dans un arrêt du 27 janvier 2022 [8], les juges berruyers ont en effet estimé que la position de la CJUE serait identique, compte tenu des motifs de la décision, en cas de faute antérieure à la rupture. L’argument de causalité, véhiculé par le « pour » de l’article 18 de la Directive, justifierait cette approche.

La portée de cette solution nouvelle est considérable. Elle a, d’une part, vocation à s’appliquer à la rupture – qu’elle soit « simple » selon les mots de la CJUE (avec préavis et indemnité), ou fondée sur une faute grave, comme en l’espèce –, mais aussi au non-renouvellement du contrat par le mandant [9] ou encore en cas de décès de l’agent [10]. Elle crée, d’autre part, un véritable risque de « prime à la dissimulation » puisque l’agent commercial gravement fautif mais discret ou habile échappe à tout risque de privation du préavis ou de l’indemnité de rupture. Or, un tel comportement ne peut être laissé sans conséquence et il conviendra d’identifier le mécanisme adapté au traitement du comportement fautif de l’agent commercial. La CJUE a elle-même, toujours dans sa décision « Volvo », estimé possible une réduction du montant de l’indemnisation due à l’agent à raison de son comportement. Une telle réduction doit néanmoins trouver un fondement que ni la Directive, ni les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce français N° Lexbase : L5649AI3, ne contiennent expressément.

Désormais, seule la faute grave connue peut justifier la privation du droit à préavis et à indemnité ; et à condition qu’elle soit visée dans le courrier de rupture.

B. L’exigence d’indication de la faute grave causale dans la lettre de résiliation

Dès lors que la rupture est fondée sur une faute grave, le mandant se doit d’indiquer ce qui est reproché à l’agent dans le courrier de rupture. La Cour de cassation opère, sur ce point également, un renversement de sa position antérieure : elle avait en effet considéré, dans son arrêt du 14 février 2018 [11], que le comportement de l’agent pouvait être invoqué par le mandant dès lors qu’elle a été commise antérieurement à la rupture du contrat « peu important que, découvert postérieurement par [le mandant], il n’ait pas été mentionné dans la lettre de résiliation ».

Ce renversement doit être approuvé, en ce qu’il est parfaitement cohérent avec l’exigence nouvelle de connaissance de la faute grave à l’origine de la rupture et l’exigence de loyauté, de bonne foi, pesant sur les parties au contrat d’agence commerciale. En effet, dès lors que le mandant avait connaissance du comportement de l’agent, il se doit de l’indiquer lors de sa décision de rompre. Une telle position a d’ailleurs déjà été adoptée par des juges du fond [12]. Permettre au mandant de ne pas dévoiler, lors de la rupture, le comportement connu qui fonde sa décision de mettre fin à la relation sans préavis ni indemnité, eut tout à la fois contrevenu à l’esprit du contrat d’agence commerciale, contrat d’intérêt commun, et aux droits les plus élémentaires de l’agent de faire valoir ses arguments en réponse.

La rupture pour faute grave s’étoffe ainsi d’exigences formelles prétoriennes, dont l’irrespect – aux contours encore mal dégrossi – privera le mandant des arguments nécessaires à sa soustraction à l’exigence de préavis et à indemnité de fin de contrat.

Il s’agit là, bien évidemment, de l’intérêt majeur de cette décision qui permet cependant d’illustrer utilement les implications de l’exigence réciproque de loyauté entre parties au contrat d’agence commerciale.

II. L’illustration de l’exigence réciproque de loyauté entre parties au contrat d’agence

L’exigence de loyauté est en l’espèce illustrée par une approche rigoureuse de la représentation de produits concurrents par l’agent commercial (A) et, côté mandant, par l’affirmation, réitérée, du caractère inconditionnel de l’obligation de communication de documents comptables aux fins de vérification du respect du droit à communication (B).

A. L’approche rigoureuse de la représentation de produits concurrents par l’agent

La figure de la faute grave est fréquemment incarnée par la concurrence non-autorisée que l’agent commercial stimule en représentant des produits concurrents de ceux du mandant. C’était précisément ce qui était reproché en l’espèce à l’agent commercial.

Cette représentation concurrente, classiquement constitutive d’une déloyauté grave privative de préavis et d’indemnité, peut néanmoins être autorisée, expressément ou par tolérance. C’est, dans cette affaire, d’une telle tolérance que l’agent commercial a semble-t-il bénéficié dans les premières années de la relation avec le mandant, avant qu’un écrit ne soit établi ou ré-établi et stipulant expressément l’interdiction d’une telle représentation.

En rejetant le pourvoi et en retenant la possible reconnaissance d’une faute, singulièrement d’une faute grave, la Cour de cassation souligne le caractère sensible de cette représentation concurrente. En effet, contrairement à ce que l’agent commercial suggérait, la Haute juridiction ne semble pas opérer de distinction selon que l’écrit porteur de cette clause d’interdiction instrumente une nouvelle relation contractuelle (fut-ce entre les mêmes parties) ou constate une relation en cours d’existence. Il semblerait qu’en toutes hypothèses, l’insertion d’une telle clause soit de nature, pour l’avenir, à interdire une telle représentation, remettant ainsi en cause une éventuelle tolérance antérieure à l’établissement de cet écrit.

Le salut de l’agent commercial ne peut dès lors qu’être contractuel, en stipulant expressément, en contrepoint de l’interdiction, le maintien ou la reconduction de cette tolérance ; stipulation qui aurait ainsi le double avantage de sécuriser l’avenir mais aussi de consolider le passé.

Exigée de l’agent, la loyauté l’est également du mandant, qui se doit notamment de verser les commissions prévues au contrat et de permettre à l’agent de vérifier le respect de ces droits à cet égard.

B. Le caractère inconditionnel de l’obligation de communication des documents comptables

Bien que la rémunération de l’agent à la commission – c’est-à-dire proportionnellement au montant des commandes passées par la clientèle qu’il a développée au profit de son mandant – ne soit pas de l’essence du contrat d’agence, ce mode de rémunération constitue la norme contractuelle.

Les droits à rémunération de l’agent commercial sont, dans ce cas, directement liés aux commandes passées par les clients ; commandes dont l’agent commercial peut ne pas avoir connaissance, notamment lorsqu’il est titulaire d’une exclusivité ou lorsqu’un territoire ou une clientèle déterminée lui sont attribués. C’est la raison pour laquelle l’article R. 134-3 du Code de commerce impose au mandant de fournir, outre un état des commissions dues mentionnant « tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions est calculé », à la demande de l’agent, « toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues. »

Comme cela a déjà pu être décidé [13], et contrairement à ce que le mandant soutenait et à ce que la cour d’appel avait retenu, ce droit à communication est inconditionnel. Il ne saurait être subordonné à une quelconque preuve préalable, sorte d’adminicule, d’actions particulières de l’agent commercial auprès de la clientèle.

Cette solution doit être approuvée. L’exigence de loyauté postule une transparence dont le mandant doit faire preuve en communiquant les documents demandés. Les textes n’imposant aucune condition préalable à cette communication, il ne saurait en être ajouté. En outre, des commissions peuvent être dues sur des opérations réalisées sans le concours de l’agent commercial, qui serait dans ce cas privé de son droit à vérification. Seule une demande abusive, par exemple manifestement sans lien avec le contrat d’agence concerné, devrait permettre au mandant de refuser la communication.

 

[1] CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-203/09 N° Lexbase : A7809GC9.

[2] Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-14.115, F-D N° Lexbase : A2173EY7 – Cass. com., 24 novembre 2015, n° 14-17.747, F-D N° Lexbase : A0802NYD – Cass. com., 14 février 2018, n° 16-26.037, F-D N° Lexbase : A7691XD9, Lettre distrib., mars 2018, obs. S. Brena – Cass. com., 19 juin 2019, n° 18-11.727, F-D N° Lexbase : A3002ZGB, Lettre distrib., juillet-août 2019, obs. S. Brena, dans l’hypothèse d’un refus de renouvellement du contrat arrivé à son terme.

[3] CA Versailles, 6 mai 2021, n° 19/08531 N° Lexbase : A00484R9.

[4] CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-203/09, préc.

[5] CA Chambéry, 24 septembre 2019, n° 17/02769 N° Lexbase : A4682ZP4, Lettre distrib., octobre 2019, obs. S. Brena – CA Metz, 18 juin 2020, n° 17/01161, N° Lexbase : A12993PS, Lettre distrib., juillet-août 2020, obs. S. Brena.

[6] CJUE, 19 avril 2018, aff. C-645/16 N° Lexbase : A3324XLP.

[7] En droit français, il s’agit de la faute grave.

[8] CA Bourges, 27 janvier 2022, n° 21/00234 N° Lexbase : A52558U8, Lettre distrib., mars 2022, obs. S. Brena.

[9] Renversant alors Cass. com., 19 juin 2019, n° 18-11.727, F-D, préc.

[10] Ce que des juges du fond ont déjà décidé : CA Rouen, 26 novembre 2020, n° 17/04782 N° Lexbase : A794837I, Lettre distrib., janvier 2021, obs. S.Brena.

[11] Cass. com., 14 février 2018, n° 16-26.037, F-D, préc.

[12] CA Chambéry, 24 septembre 2019, préc. – CA Metz, 18 juin 2020, préc.

[13] CA Lyon, 31 janvier 2019, n° 16/07531 N° Lexbase : A7215YUR, Lettre distrib., mars 2019, obs. S. Brena.

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Un véhicule de démonstration pour la promotion d’une marque constitue une immobilisation

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 22 novembre 2022, n° 456405, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A96528TN

Lecture: 4 min

N3536BZY

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par Marie-Claire Sgarra

Le 09 Décembre 2022

Un véhicule de démonstration pour la promotion d’une marque constitue une immobilisation et non un stock.

Les faits :

  • la société Maserati West Europe, filiale de la société de droit italien Maserati S.p.a., a fait l'objet au titre de ses exercices clos en 2012 et 2013 d'une vérification de comptabilité, étendue jusqu'au 31 décembre 2014 en matière de TVA, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment remis en cause l'inscription en stock des véhicules de démonstration acquis auprès de la société Maserati S.p.a et regardés ces véhicules comme des immobilisations ;
  • le TA de Paris a rejeté comme irrecevables les conclusions de la demande de la société Maserati West Europe présentées en matière d’IS au titre de son exercice clos en 2013 et a, par ailleurs, rejeté comme non fondées ses conclusions tendant à la décharge du supplément d’IS auquel elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2012 ainsi que des rappels de TVA relatifs à la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014 ;
  • la CAA de Paris a rejeté l’appel formé contre ce jugement (CAA Paris, 8 juillet 2021, n° 20PA02183 N° Lexbase : A83488RM).

Principes :

  • le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (CGI, art. 39) ;
  • le stock est constitué par l'ensemble des marchandises, des matières premières, des matières et fournitures consommables, des productions en cours, des produits intermédiaires, des produits finis, des produits résiduels et des emballages non destinés à être récupérés, qui sont la propriété de l'entreprise à la date de l'inventaire et dont la vente en l'état ou au terme d'un processus de production à venir ou en cours permet la réalisation d'un bénéfice d'exploitation (CGI, art. 38 ter, annexe III).

L'article 211-1 du Règlement n° 99-03, du 29 avril 1999, du Comité de la réglementation comptable relatif au plan comptable général, dans sa version issue du Règlement n° 2004-06, du 23 novembre 2004, relatif à la définition, la comptabilisation et l'évaluation des actifs N° Lexbase : X7716ACR donne les définitions suivantes :

  • une immobilisation corporelle est un actif physique détenu, soit pour être utilisé dans la production ou la fourniture de biens ou de services, soit pour être loué à des tiers, soit à des fins de gestion interne et dont l'entité attend qu'il soit utilisé au-delà de l'exercice en cours ;
  • un stock est un actif détenu pour être vendu dans le cours normal de l'activité, ou en cours de production pour une telle vente, ou destiné à être consommé dans le processus de production ou de prestation de services, sous forme de matières premières ou de fournitures.

Solution du CE. Un véhicule de démonstration acquis par un prestataire de services qui exerce une activité de promotion d'une marque automobile, pour les besoins de cette activité, constitue non pas un élément de stock mais un élément de l'actif immobilisé, quand bien même ce véhicule serait revendu à l'issue de son utilisation. Il n'en va pas différemment lorsque cette cession intervient moins de douze mois après l'acquisition.

L'administration fiscale a remis en cause, au titre des exercices clos en 2012 et 2013, les provisions et reprises de provision afférentes à la dépréciation du stock de véhicules de démonstration utilisés par la société Maserati West Europe pour les besoins de son activité de promotion de la marque Maserati, motif pris que ces véhicules étaient constitutifs d'éléments de l'actif immobilisé, avant de tirer les conséquences de cette requalification sur les variations de l'actif net et sur les résultats déclarés par la société.

Si cette dernière soutient qu'elle exerce une activité de négoce parallèlement à son activité de promotion de marque et que les véhicules de démonstration en cause ont vocation à être revendus dès leur acquisition au terme d'une courte période d'utilisation, il n'est pas sérieusement contesté que les véhicules acquis par la société Maserati West Europe sont affectés à son activité de promotion de la marque Maserati dès leur acquisition. Dès lors, les véhicules de démonstration en cause ne présentaient pas le caractère d'éléments de stock mais, ainsi que l'a retenu l'administration fiscale, celui d'éléments de l'actif immobilisé.

Le pourvoi de la société est rejeté.

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[A la une] Dossier spécial « Le droit du licenciement pour motif économique : défis et perspectives »

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par Charlotte Moronval, Rédactrice en chef

Le 07 Décembre 2022

Lexbase Social vous propose cette semaine un dossier spécial, consacré au thème du droit au licenciement pour motif économique, avec les réflexions d’avocats et d’universitaires.


1. Le droit du licenciement pour motif économique, Terra non grata, par Stéphane Vernac, Professeur à l’Université de Saint-Etienne, Directeur scientifique de Lexbase Social N° Lexbase : N3584BZR

2. Le motif économique de licenciement, par Yannick Pagnerre, Professeur à l’Université d’Évry-Val d’Essonne - Paris Saclay N° Lexbase : N3548BZG

3. La rédaction du PSE : une équation à plusieurs inconnues, par Leslie Nicolaï, Avocate associée et Katia Chebbah, Avocate, cabinet Factorhy Avocats N° Lexbase : N3540BZ7

4. Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de PSE, par Judith Krivine, Avocate associée, cabinet Dellien Associés et Savine Bernard, Avocate associée, cabinet 1948 Avocats N° Lexbase : N3539BZ4

5. Actualité des dispositifs négociés de réorganisation : APC, RCC, APLD ou APC, RCC, APLD : sauvegarder l’emploi ou les réorganisations ?, par Hélène Cavat, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, Institut du Travail, UMR DRES N° Lexbase : N1744BZM

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[Le point sur...] La rédaction du PSE : une équation à plusieurs inconnues

Lecture: 17 min

N3540BZ7

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par Leslie Nicolaï, Avocate associée et Katia Chebbah, Avocate, cabinet Factorhy Avocats

Le 07 Décembre 2022

Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « Le droit du licenciement pour motif économique : défis et perspectives » et publié dans l’édition n° 927 du 8 décembre 2022 de la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N3535BZX.


Mots-clés : plan de sauvegarde de l’emploi • reclassement • mesures d’accompagnement • rédaction • partenaires sociaux • licenciement économique

Les dispositions légales n’aident que peu le rédacteur du plan de sauvegarde de l’emploi à déterminer les mesures qui figureront dans celui-ci. Au-delà du plan de reclassement, au cœur de l’exercice rédactionnel envisagé, l’entreprise ou les partenaires sociaux disposent d’une grande liberté pour établir le contenu de ce plan, dans des conditions pertinentes et suffisantes, afin de recueillir le blanc-seing administratif.


Le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) validés et/ou homologués a significativement augmenté pour la première fois depuis le 4ème trimestre 2020, qui marquait à la fois le plus grand nombre de PSE, mais également le plus grand nombre de ruptures de contrats de travail pour motif économique depuis quasiment une décennie [1].

Parallèlement à cet accroissement, le contrôle des plans de sauvegarde par les DREETS s’est intensifié.

Dans ce contexte, une attention toute particulière doit être portée à la rédaction du PSE, afin de maximiser les chances d’homologation ou de validation par la DREETS.

Les articles L. 1233-61 N° Lexbase : L7291LHI à L. 1233-63 N° Lexbase : L8596LGH du Code du travail définissent le PSE comme un outil, pour les entreprises d’au moins cinquante salariés, destiné à éviter les licenciements ou en limiter le nombre.

Si la terminologie « plan de sauvegarde de l’emploi » est aujourd’hui parfois utilisée davantage pour décrire l’instrumentum (l’accord collectif ou le document unilatéral usuellement appelé « livre 1 »), il ressort d’une stricte analyse des textes que le PSE recouvre le negotium correspondant aux seules mesures visant à sauvegarder l’emploi, à l’exclusion des modalités de détermination des salariés concernés par une mesure de licenciement ou encore des éventuelles conditions de départ (catégories professionnelles, critères d’ordre, indemnités de rupture, etc.) qui sont mentionnées dans ledit livre 1, [2] mais ne font pas, stricto sensu, partie du PSE.

Qu’il soit déterminé par voie d’accord collectif majoritaire [3] ou par un document unilatéral [4] établi par l’employeur, la rédaction du PSE s’articule autour de mesures diverses à géométrie variable, tant s’agissant de leur nature que de leur objet (II.), mais doit répondre à l’unique impératif fixé par les textes : celui d’intégrer un « plan de reclassement » (I.).

I. Un dénominateur commun : le plan de reclassement

Il s’agit de la seule mesure rendue impérative par le législateur, en ces termes :

« Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement sur le territoire national des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile » [5].

Ce plan de reclassement s’articule généralement - pour ne pas dire systématiquement, tant ce diptyque a inondé la pratique rédactionnelle en matière de PSE – autour du reclassement interne (A.) et du reclassement externe (B.).

A. Le reclassement interne, une constante incontournable

La règle générale est bien connue : le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque celui-ci ne peut être reclassé « sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel » [6].

Le reclassement s’effectue en priorité sur des emplois de même catégorie que celui occupé précédemment ou assorti d’une rémunération équivalente, mais peut également être opéré, avec l’accord du salarié, sur un emploi de catégorie inférieure ou assorti d’une rémunération moindre [7]. L’employeur doit également proposer aux salariés concernés les emplois de catégorie supérieure, sous réserve qu’ils puissent être occupés au moyen d’une simple formation d’adaptation.

Si les textes aidés d’une construction prétorienne exponentielle encadrent relativement bien l’obligation de recherche loyale et sérieuse de recherche de reclassement qui pèse sur l’employeur, il n’en demeure pas moins que le rédacteur du PSE conserve un certain nombre de choix à faire, au moment de donner forme à son plan de reclassement :

S’agissant de la communication des offres de reclassement, le rédacteur a le choix entre :

  • l’envoi d’offres de reclassement à chaque salarié concerné de manière individuelle et personnalisée. En pratique, si une même offre est proposée simultanément à plusieurs salariés, le plan devra préciser les critères de départage qui seraient mobilisés ;
  • la diffusion aux salariés de la liste des postes disponibles, par tout moyen. Dans cette hypothèse, le rédacteur devra prendre soin de ne pas omettre dans son dispositif de reclassement les modalités de candidature ;
  • ou encore de faire le choix de n’en faire aucun, comme cela ressort de plus en plus de plans, en optant pour un cumul des deux options. L’employeur peut, par exemple, adresser des offres de reclassement individualisées tout en diffusant, dans le même temps, l’intégralité des postes disponibles, permettant ainsi aux salariés d’avoir une participation active dans leur reclassement, tout en restant à la manœuvre de la procédure.

En tout état de cause, des critères de départage devront être mobilisés dans l’hypothèse où plusieurs salariés se positionneraient sur le même poste. Ici, comme dans tout problème mathématique, la précision est d’or [8].

S’agissant du périmètre de reclassement, le rédacteur a le choix entre :

  • s’en tenir à ses obligations légales en proposant au reclassement les seuls postes disponibles sur le territoire français dans l’entreprise ainsi que dans les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

À ce sujet, le rédacteur pourra décider de prévoir l’envoi d’un questionnaire aux salariés pour connaître ses souhaits en matière de mobilité géographique et ainsi restreindre le périmètre de ses recherches de reclassement [9];

  • excéder ses obligations en proposant également des mobilités internationales, aux salariés éventuellement candidats. Le cas échéant, il est préférable de prévoir, dans le PSE, l’envoi d’un questionnaire sondant les salariés concernés sur leur souhait de se voir proposer ou non un éventuel reclassement à l’étranger.

S’agissant des acteurs du reclassement, le rédacteur a le choix entre :

  • laisser l’employeur seul à la manœuvre de cette recherche de reclassement interne ;
  • prévoir l’intervention parallèle d’un cabinet de consulting afin d’assurer la mise en place d’un « espace informations et conseil » dont le rôle peut se cantonner au reclassement interne (recenser les choix de mobilité des salariés, identifier des actions de formation leur permettant d’accéder à un poste disponible en interne, les aider dans la préparation de leur candidature, etc.).

S’agissant des mesures d’accompagnement au reclassement interne, le rédacteur dispose enfin d’une multitude de potentiels outils susceptibles d’être intégrés dans le PSE :

  • aides à la mobilité géographique (voyage de reconnaissance, aide à l’installation et au logement, frais de déménagement, indemnité de double résidence, etc.) ;
  • aides à la mobilité professionnelle (bilan de compétences, actions de formation, etc.) ;
  • octroi d’une allocation compensatrice en cas de reclassement sur un poste moins bien rémunéré, etc.

Quelles que soient les mesures prévues dans le PSE, son rédacteur devra prendre soin d’en détailler tant les modalités que les conséquences, soin qu’il devra également appliquer à la construction du dispositif de reclassement externe.

B. Le reclassement externe, une matrice complexe

L’article L. 1233-62 du Code du travail N° Lexbase : L7290LHH qui prévoit une liste indicative et non exhaustive de mesures pouvant constituer le plan de sauvegarde de l’emploi fait également la part belle au reclassement externe, sous différentes formes :

  • « des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d'emploi » ;
  • « des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés » ;
  • « des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ».

Le rédacteur du PSE devra prendre soin de détailler :

  • si les salariés se verront proposer un dispositif de congé de reclassement [10] ou un contrat de sécurisation professionnelle [11], en application des dispositions légales afférentes. Il est alors de bonne pratique de préciser les modalités d’application de ces dispositifs : leurs bénéficiaires, leur durée (entre 4 et 12 mois pour un congé de reclassement, voire jusqu’à 24 mois en cas de reconversion professionnelle), la rémunération pendant le congé ou le contrat de sécurisation, les modalités d’acceptation, le sort du congé pendant les périodes travaillées, les obligations des salariés pendant le congé ou le contrat de sécurisation, etc ;
  • l’accompagnement éventuel – très courant, mais pas obligatoire – par un cabinet de reclassement externe. Le cas échéant, le plan devra préciser non seulement les missions de ce cabinet, mais également ses modalités pratiques d’accompagnement des salariés, en précisant, par exemple : la durée de l’accompagnement, la présence physique d’un consultant dans l’entreprise ou la mise à disposition de créneaux destinés à des rendez-vous dématérialisés, par exemple, etc ;
  • l’intégralité des mesures destinées à favoriser le reclassement externe des salariés : aide à la formation, bilan de compétences, aide financière à la mobilité externe géographique, prime d’incitation à l’embauche versée au nouvel employeur, versement d’une allocation temporaire dégressive portant sur le versement, aux salariés licenciés et reclassés dans un emploi moins bien rémunéré, d’une allocation destinée à compenser cette différence de rémunération, en cas de conclusion d’une convention afférente avec l’État, etc.

Une fois le plan de reclassement défini et rédigé, reste à résoudre l’équation la plus complexe pour le rédacteur du PSE : quelles sont les autres mesures qui peuvent être intégrées au PSE ?

II. Un reste à géométrie variable : les autres mesures visant à sauvegarder l’emploi

Le Code du travail propose un ensemble de mesures visant à préserver l’emploi ou anticiper la fin de carrière (A.), mais les rédacteurs disposent d’une grande liberté rédactionnelle, la liste des mesures envisagées n’étant pas exhaustive (B.).

A. Un ensemble combinatoire de mesures visant à préserver l’emploi ou anticiper la fin de carrière

L’article L. 1233-62 du Code du travail n’arrête pas là sa liste de propositions et énumère au rang de potentielles mesures destinées à la sauvegarde de l’emploi les mesures suivantes :

  • « des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d'éviter la fermeture d'un ou de plusieurs établissements » ;
  • « des créations d'activités nouvelles par l'entreprise » ;
  • « des mesures de réduction ou d'aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires réalisées de manière régulière lorsque ce volume montre que l'organisation du travail de l'entreprise est établie sur la base d'une durée collective manifestement supérieure à trente-cinq heures hebdomadaires ou 1 600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée ».

Si la première mesure fait référence à la bien connue recherche de repreneurs et doit être restreinte à l’hypothèse de la fermeture d’un ou de plusieurs établissements, force est de constater que les deux autres mesures sont extrêmement peu mobilisées, et ce, en particulier dans les récents plans de sauvegarde de l’emploi.

S’agissant de la création d’activités nouvelles par l’entreprise, ceci s’explique aisément dans le contexte conjoncturel actuel qui conduit les entreprises à cesser ou diminuer la voilure d’une partie de leurs activités plutôt qu’à se repositionner sur de nouvelles activités qui peuvent être exigeantes en termes d’investissements.

Il est tout de même intéressant de noter qu’une telle mesure peut constituer un levier d’action qui pourrait avoir des impacts potentiels sur l’ouverture de postes de reclassement, l’accompagnement en matière de formations, l’employabilité des salariés et sur toutes mesures en lien avec la mobilité.

S’agissant de la réduction ou de l’aménagement du temps de travail, il est de même peu courant de voir stipuler ou disposer, au rang des mesures du PSE, de telles mesures, qui sont davantage devenues l’apanage de la négociation des accords de performance collective.

B. Une liberté rédactionnelle exclusive de toute modélisation

Hormis ce qui précède, le législateur n’a pas entendu donner plus de précisions sur les mesures pouvant ou devant être contenues dans un PSE, hormis la référence à la détermination des modalités de suivi.

En effet, l’article L. 1233-63 du Code du travail dispose que « le plan de sauvegarde de l'emploi détermine les modalités de suivi de la mise en œuvre effective des mesures contenues dans le plan de reclassement prévu à l'article L. 1233-61. Ce suivi fait l'objet d'une consultation régulière et détaillée du comité social et économique dont l'avis est transmis à l'autorité administrative. »

Les textes n’imposent pas la constitution d’une commission spécifique dédiée au suivi du plan de reclassement, bien que, dans la pratique, la quasi-totalité des accords et décisions unilatérales prévoit la mise en place d’un tel organe.

La pratique majoritaire consiste ainsi à créer un organe conventionnel ou ad hoc (en cas de décision unilatérale relative au PSE) appelé « commission de suivi », le plus souvent paritairement constitué par des représentants de l’entreprise, des représentants des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, ou encore des membres du CSE ainsi qu’un ou deux représentants du cabinet externe ayant accompagné les salariés dans le cadre d’un « espace information conseils » et/ou d’une antenne emploi.

À cet égard, un point mérite la vigilance du rédacteur s’agissant la constitution d’une commission de suivi. Il est préférable qu’il soit clairement établi qu’une telle commission ne constitue pas une émanation du CSE, mais bien un organe distinct, formé pour les seuls besoins du suivi du plan de reclassement, à l’exclusion de toute attribution représentative.

Une telle précision, si elle peut paraître plus sémantique que pragmatique, procède au contraire d’un intérêt réel en cas de cessation d’activité de l’entreprise. En effet, la cessation de l'activité de l'entreprise entraînerait la dissolution du CSE [12], mais pas de la commission de suivi. Cette dernière pourrait ainsi poursuivre son suivi jusqu’au terme du dernier congé de reclassement, potentiellement 24 mois après la cessation d’activité et la fermeture de la société, alors que le CSE aurait été dissous avant cette échéance.

Sous cette réserve, le rédacteur dispose d’une totale liberté rédactionnelle dans la détermination des mesures du plan de sauvegarde de l’emploi. Ainsi, il est fréquent de voir des mesures inédites dans les PSE adaptées à la situation particulière de l’entreprise concernée, ou encore aux catégories d’emploi des salariés visées par PSE.

Cette liberté a d’ailleurs été encore récemment rappelée à l’occasion d’un contentieux, aux termes duquel la Cour de cassation a exclu tout principe d’antériorité en jugeant qu’il n'y avait pas de violation du principe d'égalité de traitement lorsque deux procédures de licenciement économique collectif ont été successivement engagées dans une même entreprise, aboutissant à la mise en œuvre de PSE distincts comportant des mesures différentes[13].

Il s’agit toutefois d’une liberté à géométrie variable dont l’ampleur diffère selon que les mesures destinées à la sauvegarde de l’emploi soient mises en place :

  • dans le cadre d’un accord collectif majoritaire, le contrôle opéré par la DREETS se cantonnant alors à un contrôle de l’existence des mesures ;
  • dans le cadre d’une décision unilatérale de l’employeur, l’autorité administrative contrôlant alors non seulement l’existence, mais surtout le caractère suffisant des mesures prévues « au regard de l’importance du projet de licenciement ». Le rédacteur d’un document unilatéral devra donc systématiquement, lors de la rédaction, se poser la question de la suffisance des mesures de sauvegarde mobilisées au regard de l’importance du projet de licenciement, question par nature problématique puisque ni le Code du travail ni la jurisprudence n’a apporté de définition de « l’importance » du projet de licenciement.

L’enjeu de la rédaction du plan n’est ainsi pas le même selon que le plan procède d’un accord collectif ou d’une décision unilatérale.

Conclusion. Le législateur fait clairement du plan de reclassement le cœur du plan de sauvegarde, mais ne facilite pas la tâche du rédacteur du PSE en n’établissant pas de liste exhaustive des mesures minimales à prévoir. Si le rédacteur n’a pas eu la main suffisamment leste dans la détermination des mesures contenues dans le PSE, il risque de succomber au couperet administratif.

Certains rédacteurs pourraient s’inspirer des récentes évolutions législatives et jurisprudentielles pour créer de nouvelles mesures visant à sauvegarder l’emploi.

Par exemple, des mesures constituant le pendant de la nouvelle obligation d’information-consultation du CSE sur les conséquences environnementales du projet de licenciement collectif pourraient être envisagées, afin d’anticiper une éventuelle évolution jurisprudentielle à ce sujet, comme cela a été le cas en matière de risques psychosociaux.

D’autres dispositifs peuvent aujourd’hui sembler plus attractifs aux partenaires sociaux pour permettre de mettre en place de tels dispositifs d’aide au reclassement et à la poursuite ou l’arrêt anticipé d’activité, dans un cadre négocié, non soumis à l’intervention et au contrôle administratif. C’est notamment le cas des accords de Gestion des Emplois et des Parcours professionnels et la Mixité des Métiers (GEPPMM).

De même, l’accord de performance collective constitue une alternative de choix à la mise en œuvre d’un PSE, de plus en plus plébiscitée par les entreprises depuis la crise sanitaire [14].

Si la rédaction de tels accords n’a rien à envier à celle d’un PSE, elle échappe tant au contrôle du juge judiciaire (s’agissant du reclassement interne) qu’à celui, de plus en plus sévère, de l’administration (s’agissant de toutes les autres mesures destinées à sauvegarder l’emploi).


[2] C. trav., art. L. 1233-24-2 N° Lexbase : L7294LHM.

[3] C. trav., art. L. 1233-24-1 N° Lexbase : L4953LRU.

[4] C. trav., art. L. 1233-24-4 N° Lexbase : L8642LG8.

[5] C. trav., art. L. 1233-61 N° Lexbase : L7291LHI.

[6] C. trav., art. L. 1233-4 N° Lexbase : L7298LHR.

[7] C. trav., art. L. 1233-4 et art. L. 1233-62, 1° N° Lexbase : L7290LHH.

[8] C. trav., art. D. 1233-2-1 N° Lexbase : L6875LH4.

[9] Cass. soc., 18 mai 2022, n° 20-14.998, F-D N° Lexbase : A96787XQ.

[10] C. trav., art. L. 1233-71 et suivants N° Lexbase : L9460LHT.

[11] C. trav., art. L. 1233-65 et suivants N° Lexbase : L9460LHT.

[12] C. trav., art. R. 2312-5 N° Lexbase : L5659MCL. J-Y. Kerbourc’h, Jurisclasseur Travail Traité, fascicule n° 14-3, 8 août 2022 ; M.  Cohen et L. Milet, Le droit des comités sociaux et économiques et des comités de groupe (CSE), LGDJ, 15 mars 2022, n° 1506 et suivants.

[13] Cass. soc., 29 juin 2017, 2 arrêts, n° 15-21.008 N° Lexbase : A1625WLR et n° 16-12.007 N° Lexbase : A1626WLS, FS-P+B+R+I. Lire Ch. Radé, PSE successifs et égalité de traitement : la Cour de cassation consacre l'autonomie de chaque plan, Lexbase Social, juillet 2017, n° 707 N° Lexbase : N9483BW7.

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Sociétés

[Brèves] Démembrement de droits sociaux : la cession de l'usufruit n'est pas une cession de parts sociales et n'est pas soumise aux droits d'enregistrement !

Réf. : Cass. com., 30 novembre 2022, n° 20-18.884, FS-B N° Lexbase : A45488WD

Lecture: 4 min

N3497BZK

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par Perrine Cathalo

Le 07 Décembre 2022

► La cession de l’usufruit de droits sociaux, qui n’emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux, n’est pas soumise aux droits d’enregistrement applicables aux cessions de droits sociaux.

Faits et procédure. Par acte des 7, 15 et 22 mars 2012, enregistré le 26 avril 2012 au service des impôts des entreprises, les associés d’une SCI ont cédé l’usufruit temporaire des parts qu’ils détenaient dans cette société à une SAS, qui a acquitté le droit fixe de 125 euros prévu par l’article 680 du Code général des impôts N° Lexbase : L4356IXM.

Le 23 janvier 2015, soutenant que cet acte devait être soumis aux droits d’enregistrement proportionnel de 5 % prévu à l’article 726, I, 2°, du Code général des impôts N° Lexbase : L5598MAL, applicable aux cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière, l’administration fiscale a notifié à la SAS une proposition de rectification des droits d’enregistrement pour l’année 2012.

Après le rejet partiel de sa réclamation contentieuse, la SAS a assigné l’administration fiscale en décharge des droits supplémentaires mis en recouvrement.

Par décision du 29 juin 2020, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-10, 29 juin 2020, n° 18/27154 N° Lexbase : A77473PM) a rejeté ses demandes tendant à la décharge totale des droits supplémentaires d’enregistrement auxquels elle a été assujettie au titre de l’année 2012, aux motifs que la cession de l’usufruit des parts sociales de la SCI, qui a entraîné le transfert d’éléments de participation, entrait dans le champ d’application de l’article 726 du Code général des impôts, dans la mesure où le texte ne distingue pas selon que la cession porte sur la pleine propriété ou sur un démembrement de celle-ci.  

La SAS a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Décision. La Haute juridiction censure l’arrêt d’appel au visa des articles 726 du Code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1977, du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 N° Lexbase : L4993IRD, et 578 du Code civil N° Lexbase : L3159ABM.

En particulier, les juges de la Cour de cassation rappellent que l’usufruit n’est autre que le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. Ainsi, la Cour affirme que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l’usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux.

Or, seules les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d’enregistrement proportionnel. Il en résulte, selon la Cour de cassation, que la cession de l’usufruit de droits sociaux, qui n’emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux, n’est pas soumise aux droits d’enregistrement applicables aux cessions de droits sociaux.

En conséquence, la Cour de cassation juge que c’est à bon droit que la SAS s’est acquittée du droit fixe de 125 euros prévu à l’article 680 du Code général des impôts.

Observations. À travers cet arrêt, la Chambre commerciale réitère une solution énoncée par la troisième chambre civile le 16 février dernier (Cass. civ. 3, 16 février 2022, n° 20-15.164, FS-B N° Lexbase : A33527NH), après avis de la Chambre commerciale (Cass. avis., 1er décembre 2021, n° 20-15.164, FS-D N° Lexbase : A63597GM) selon laquelle l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, pour conclure que la cession d’un usufruit de parts sociales ne saurait s’assimiler à une cession de parts sociales. Elle tire les conséquences fiscales qui s'imposent au rejet de cette qualification.

Pour aller plus loin : v. B. Saintourens, L’usufruitier de droits sociaux n’a pas la qualité d’associé : position de principe et conséquences pratiques, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 707 N° Lexbase : N0577BZE.

 

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] L’amende pour défaut de déclaration de TVA exigible au titre d’une opération autoliquidée est conforme à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-1009 QPC, du 22 septembre 2022 N° Lexbase : A98038IW

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N3504BZS

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par Adèle Chikouche, Juriste

Le 21 Décembre 2022

Mots-clés : TVA • autoliquidation • amende • Conseil constitutionnel • CGI

Le 22 juin 2022, le Conseil d’État a transmis une question prioritaire de constitutionnalité, portant sur l’article 1788 A du Code général des Impôts, plus précisément en son premier alinéa du 4 de l’article 1788 précité, afin que les Sages en confirment ou infirment, la compatibilité de ces dispositions aux droits et libertés fondamentaux.

Le 22 septembre 2022, l’expertise des Sages de la Rue Montpensier les a conduits à traiter une question prioritaire de constitutionnalité, conformément à l’article 61-1 de la Constitution.

Ladite question portait sur la conformité des dispositions du premier alinéa du 4 de l'article 1788 A du code général des impôts aux textes protégés constitutionnellement, rédigées comme suit :

« Lorsqu'au titre d'une opération donnée le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration prévue au 1 de l'article 287, qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne l'application d'une amende égale à 5 % de la somme déductible ».


 

L’étude de cette décision appelle à traiter de la conformité de ce texte au principe de proportionnalité des peines (I) avant de rappeler que les dispositions contestées poursuivent l’objectif à valeur cons-titutionnelle de lutte contre la fraude fiscale (II).

Il sera toutefois rappelé ci-après, à titre liminaire, l’arsenal juridique querellé par les requérants. 

Les fondements querellés 

L’article 283 du CGI N° Lexbase : L8936MCX prévoit que la TVA due au titre d’une livraison de bien ou prestation de services, doit être acquittée par la personne qui réalise l’opération.

Toutefois, certaines dérogations existent et mettent à la charge de l’acquéreur, du destinataire ou du preneur, le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée.  

Ces dérogations portent sur les livraisons de biens ou prestations de services mentionnés à l’article 259 A du même Code N° Lexbase : L7015LZT.

Y sont notamment recensées ; 

  • les prestations de services se rattachant à un bien immeuble situé en France, y compris les pres-tations d'experts et d'agents immobiliers, la fourniture de logements dans le cadre du secteur hô-telier ou de secteurs ayant une fonction similaire tels que des camps de vacances ou des sites aménagés pour camper, l'octroi de droits d'utilisation d'un bien immeuble et les prestations ten-dant à préparer ou à coordonner l'exécution de travaux immobiliers, telles que celles fournies par les architectes et les entreprises qui surveillent l'exécution des travaux ; 
  • les acquisitions intracommunautaires ;
  • les livraisons à soi-même de biens ouvrant droit à déduction ;
  • les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles pour lesquelles l'acqué-reur, la société bénéficiaire, ou le débiteur de l'indemnité est redevable de la TVA ;
  • les prestations de transport de biens effectuées pour des personnes non assujetties autres que les transports intracommunautaires de biens et les prestations de transport de passagers, en fonction des distances parcourues en France. 

Toutefois, cette dérogation instaurée par l’article 283 CGI porte la création d’une obligation de décla-ration de la TVA incombant au redevable.

S’il y manque, la lettre de l’article 1788 A du Code général des impôts N° Lexbase : L5786MAK dispose que le redevable s’expose au recouvrement d’une amende de 5 % du montant de cette taxe. 

En effet, aux termes du 4 de l’article 1788 A du CGI, lorsqu'au titre d'une opération donnée le rede-vable de la taxe sur la valeur ajoutée est autorisé à la déduire, le défaut de mention de la taxe exi-gible sur la déclaration prévue au 1 de l'article 287 du CGI N° Lexbase : L5718MAZ, qui doit être déposée au titre de la période concernée, entraîne l’application d’une amende égale à 5 % de la somme déductible. 

Lorsque, dans ces situations, la TVA due n'a pas été déclarée, elle ne fait pas l’objet d’un rappel si les conditions de fond du droit à déduction sont remplies, mais entraîne l’application d’une amende égale à 5 % du montant de la taxe que le redevable est en droit de déduire.

Lorsque le redevable est un redevable partiel de la taxe, l’amende de 5 % ne porte que sur la partie du montant de la taxe effectivement déductible. 

En droit, l'amende est applicable du seul fait du défaut de mention de la taxe sur la déclaration afférente à la période au titre de laquelle cette taxe est devenue exigible. 

Néanmoins, par souci d'une application mesurée de la loi fiscale, cette amende ne sera pas appliquée à un contribuable qui, avant toute action de la part de l'administration, comme par exemple l'envoi d'un avis de vérification, constate qu'il a omis de déclarer une opération auto liquidée et dé-pose spontanément une déclaration rectificative au titre de la période concernée (décision de res-crit, no 2009/9, du 17 février 2009). 

Critiquant notamment l’absence de plafonnement du montant de l’amende prévue,  et ju-geant la question sérieuse et nouvelle, le Conseil d’État a renvoyé ladite question prioritaire de constitutionnalité aux Sages. 

Il sera ainsi rappelé que la décision rendue par les Sages s’ancre dans un courant jurispru-dentiel constant du conseil constitutionnel, dont la motivation repose sur une conformité de l’amende au principe de proportionnalité des peines (I).

Par ailleurs, les Sages confirmeront que les dispositions objets de la question prioritaire de constitutionnalité ont été introduites par le législateur en vue de se conformer à l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale (II).

C’est donc à l’aune de ce principe constitutionnel et objectif à valeur constitutionnelle que les Sages ont rendu la présente décision. 

I. Une amende conforme au principe de proportionnalité des peines 

La matière fiscale occupe une place importante dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis l’entrée en vigueur du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, issu de la loi organique n° 2009-1523, du 10 décembre 2009 N° Lexbase : L0289IGS, entrée en vigueur le 1er mars 2010.

Pour illustrer cela, le Conseil constitutionnel avait indiqué ; « Entre le 1er mars 2010 et le 31 décembre 2019, la matière fiscale représente 22 % des décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel, soit 158 décisions dont 83 de conformité, 33 de conformité sous-réserve, 8 de non-conformité partielle, 29 de non-conformité totale, 1 de non-conformité de date à date et 4 de non-lieu à statuer ». 

Le juge constitutionnel a affirmé que les sanctions fiscales ayant le caractère de punition sont sou-mises à l'ensemble des principes constitutionnels (Cons. const., décision n° 97-395 DC, du 30 dé-cembre 1997 N° Lexbase : A8445ACR).

Cela s’explique notamment par le fait que les sanctions fiscales ont été progressivement assimilées à des sanctions pénales en droit interne et ce, en cohérence avec les décisions rendues par la Cour européenne des Droits de l’Homme. 

Dans la plupart de ses décisions affectant la matière fiscale, le Conseil constitutionnel rappelle l'étendue de son contrôle, précisant :

« Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législa-teur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ».

Les griefs invoqués devant les Sages à l'encontre des sanctions fiscales s'articulent principalement autour des principes de nécessité et de proportionnalité des peines, du principe de légalité des délits et des peines, ainsi que celui d'individualisation des peines pour contester l'adéquation entre la sanction et l'infraction ou encore le cumul des sanctions et des poursuites.

Dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité trouve sa motivation dans les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lequel est le plus fréquem-ment invoqué à l'appui des recours constitutionnels en matière fiscale.

L’article 8 de la Déclaration précitée dispose :

 « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

À l’aune de cet article, les Sages rendent leur décision après s’être interrogés sur l’absence de dis-proportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue (Cons. const., décision n° 2016-745 DC, du 26 janvier 2017, Loi relative à l'égalité et à la citoyenneté A5410TAM]).

Pour ce faire, l’appréciation du Conseil repose sur l’étude de la proportionnalité des sanctions fis-cales à l’aune du taux et de l’assiette.

Il sera notamment contrôlé que la sanction, reposant notamment sur un taux, ne revêt pas un carac-tère manifestement hors de proportion avec la gravité des faits réprimés. 

Dans la décision d’espèce, le Conseil d’État a transmis la question aux Sages, jugeant notamment que celle-ci revêtait un caractère sérieux.

La société requérante arguait que ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnali-té des peines, protégé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel dispose : 

« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Les requérants invoquaient notamment l'absence de plafonnement du montant de l'amende, laquelle contreviendrait au principe de proportionnalité des peines.

Ils reprochaient également aux dispositions querellées, de sanctionner le manquement à une simple obligation déclarative, par une amende proportionnelle à taux fixe, dont l’assiette serait sans lien avec la nature de l’infraction et trouverait à être prononcée alors même que le contribuable n’aurait pas éludé l’impôt. 

Les Sages avaient déjà rappelé que le législateur avait à bon droit, instauré des pénalités fiscales, en application de l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. (Cons. const. 9 juin 2017, décision n° 2017-636 QPC, du 9 juin 2017 N° Lexbase : A7250WGM ; Cons. const., décision n° 2019-779 DC, du 10 mai 2019, Loi organique relative au renforcement de l'orga-nisation des juridictions N° Lexbase : A5080Y4W). 

Ces sanctions permettent d’assurer le bon fonctionnement du système fiscal, lequel repose sur la sincérité et l'exactitude des déclarations souscrites par les contribuables. (Cons. const., décision n° 2016-565 QPC, du 24 juin 2016 N° Lexbase : A0910RUA).

Les Sages avaient ainsi jugés conformes, des dispositions punissant d'une amende égale à 5 % des résultats omis, qui servent de base au calcul de l'impôt exigible ultérieurement, chaque man-quement au respect de l'obligation déclarative incombant aux contribuables bénéficiant d'un régime de sursis ou de report d'imposition. (Cons. const., décision n° 2017-636 QPC, du 9 juin 2017 N° Lexbase : A7250WGM).

Sur ce point, dans la décision d’espèce, les Sages rappellent que l’article litigieux trouve à s’appliquer aux peines prononcées par les juridictions répressives mais également, à toute sanction revêtant le caractère d’une punition. 

Les termes de la décision étudiée prévoient qu’il incombe ainsi au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.

Une telle décision est donc parfaitement conforme au courant jurisprudentiel du Conseil constitu-tionnel, tel qu’il le sera motivé ci-après. 

Par ailleurs, les Sages fondent leur décision, rappelant l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale. 

II. Une amende conforme à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale 

Juridiquement, la lutte contre la fraude fiscale a été reconnue et érigée en objectif de valeur consti-tutionnelle en 1999 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 99-424, du 29 décembre 1999 N° Lexbase : A8787ACG). 

Selon ce dernier, la lutte contre la fraude fiscale trouve son fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont les dispositions de l'article 13 précisent : 

« Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

L'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales vient légitimer à lui seul l'adoption de règles d'imposition spécifiques.

Parmi ces règles spécifiques, peuvent être recensées,  de façon non exhaustive, les règles tendant à la soustraction à l'impôt (Cons. const., décision n° 2017-659 QPC, du 6 octobre 2017, n° 2017 N° Lexbase : A8692WT4), de sanctions visant à réprimer cette dernière (Cons. const., décision n° 99-424 DC, du 29 décembre 1999 N° Lexbase : A8787ACG) ainsi que de procédés de contrôle, d'investigation et de poursuites adéquats (Cons. const., décision n° 2016-741 DC, du 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique N° Lexbase : A1548SPZ).

Toutefois, ces moyens doivent néanmoins être nécessaires et proportionnés eu égard à leur objectif (Cons. const., décision n° 2016-620 QPC, du 30 mars 2017 N° Lexbase : A4587UPL ; Cons. const., décision n° 2016-614 QPC, du 1er mars 2017 N° Lexbase : A3509TPN). 

Plus tard, le 29 décembre 2013 (Cons. const., décision n° 2013-685 DC, du 29 décembre 2013, Loi de finances pour 2014 N° Lexbase : A9152KSR), les Sages ajoutaient qu’il « appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitution-nellement garanties »

Dans la décision commentée, les Sages précisent que : « En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que, en instituant cette amende, le législateur a entendu assurer l’effectivité de cette obligation déclarative pour permettre le suivi et la collecte de la taxe sur la valeur ajoutée à chaque étape du circuit économique. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale ». 

Le Conseil constitutionnel, dans l’affaire d’espèce, décide que les dispositions querellées, en l’occurrence, le premier alinéa du 4 de l’article 1788 A du CGI, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1900, du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 N° Lexbase : L3007MAM, est conforme à la Constitution, notamment car le législateur a introduit ces dispositions en vue de poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.

Par voie de conséquence, les Membres du Conseil, notamment Monsieur Laurent Fabius, Prési-dent, Madame Jacqueline Gourault, Monsieur Alain Juppé, ont jugé conformes aux droits et libertés garantis par la constitution, le premier alinéa du 4 de l’article 1788 A du CGI. 

Propos conclusifs

Ainsi, le Conseil Constitutionnel conclut à l’absence de violation du droit au principe de proportionna-lité des peines , dès lors que le législateur, par la codification des dispositions querellées, a entendu poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.

Également, les Sages ajoutent que la sanction proportionnelle a la somme que le redevable peut déduire au titre de l’opération non déclarée. Par conséquent, aucune disproportion ne saurait vala-blement être invoquée puisque le taux de 5 % est bien corrélé à la gravité du manquement. 

Par voie de conséquence, les Sages ont conclu à la conformité des dispositions litigieuses, objet de la Question Prioritaire de Constitutionnalité.  

Dès l’entrée en vigueur du mécanisme de la QPC, il avait été prédit que ladite question trouverait de nombreuses applications en droit fiscal. 

Monsieur Marc Guillaume, ancien Secrétaire général du Conseil constitutionnel, constatait d’ailleurs que le droit fiscal a été, avec le droit pénal, la matière qui a fourni le plus de QPC.

En effet, dans son audition du 21 novembre 2012, Monsieur Jean-Marc Sauve, précisait que l’essentiel des questions prioritaires de constitutionnalité enregistrées au Conseil d'État concernait la matière fiscale, qui représente environ 35 % du total. 

Monsieur Sauve ajoutait que la place du contentieux fiscal était encore plus déterminante au niveau des cours et des tribunaux administratifs : 64 % des questions prioritaires de constitutionnalité enre-gistrées et 54 % des questions transmises au Conseil d'État portent sur cette matière. 

À l’aune du courant jurisprudentiel constant, dégagé par le Conseil constitutionnel, avait notamment été jugé que « le législateur ayant entendu réprimer les comportements visant à faire obstacle au contrôle fiscal, il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, et a instauré une sanction dont l'assiette est en lien avec la nature de l'infraction. Le taux de cette majoration n'est pas manifestement disproportionné au regard de la particulière gravité du compor-tement réprimé » (Cons. const., décision n° 2022-988 QPC, du 8 avril 2022 N° Lexbase : A49337SI). 

Ainsi, pour conclure, la présente décision de conformité ne saurait susciter l’étonnement dès lors qu’elle s’ancre parfaitement dans le courant jurisprudentiel du Conseil Constitutionnel.

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Urbanisme

[Focus] Les servitudes d’utilité publique

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par Max Boiron Bertrand, Avocat au barreau de Lyon

Le 07 Décembre 2022

Mots clés : servitudes d’utilité publique • utilisation du sol • patrimoine • protection des sites • monuments historiques

Les servitudes d’utilité publique liées aux monuments historiques et sites patrimoniaux, ainsi que les plans de prévention des risques naturels prévisibles, sont les plus fréquentes. Lorsqu'elles sont annexées au plan local d'urbanisme (PLU) ou publiées sur le portail national de l'urbanisme, elles sont opposables aux demandes d'autorisation d'occupation du sol. En outre, le régime législatif propre à chaque servitude d’utilité publique pourra ainsi prévoir les conditions dans lesquelles l’instauration d’une telle servitude peut ouvrir droit à indemnisation.


 

Les servitudes d’utilité publique sont prévues par de nombreuses législations (Code de l’environnement, Code minier, Code de l’énergie, etc) qu’il est intéressant d’identifier en amont (I.). Divers effets sont attachés à l’instauration de servitudes d’utilité publique, que ce soit vis-à-vis des normes d’urbanisme, des autorisations d’urbanisme, ou de l’indemnisation à laquelle elles peuvent donner droit (II.). Parmi l’ensemble des servitudes d’urbanisme, une catégorie mérite une attention particulière dans la mesure où on la retrouve très couramment : il s’agira des servitudes de protection et de mise en valeur du patrimoine (III.).

I. Présentation

A. Introduction et définition

De manière classique, une servitude est présentée comme une charge qui est instituée sur un fond servant au profit d’un fond dominant. Les servitudes les plus courantes comme les servitudes de passage, servitude de non-constructibilité, etc. relèvent du droit privé. Toutefois, il existe aussi des servitudes de droit public que sont les servitudes d’utilité publique et les servitudes d’urbanisme. Dans ce cas, il existe bien un fonds servant qui subit l’existence d’une charge, mais cette dernière n’est pas instituée au profit d’un fonds dominant. Elle sert des considérations urbanistiques ou l’utilité publique.

Comme leur nom l’indique, les servitudes d’utilité publique sont instituées dans un but d’utilité publique. Elles concernent principalement la sauvegarde du patrimoine, la protection de l’environnement et la préservation des risques. Elles sont en grande partie prévues par des législations distinctes du droit de l’urbanisme. Dans une certaine mesure, elles constituent une exception au principe d’indépendance des législations. En effet, bien que relevant de législations extérieures au droit de l’urbanisme, des passerelles entre ces servitudes et le droit de l’urbanisme ont été aménagées par le Code de l’urbanisme, de sorte qu’elles puissent notamment être opposables aux demandes d’autorisation.

B. Champ matériel

Les servitudes d’utilité publique qui ont une incidence sur l’utilisation et l’occupation du sol doivent en principe figurer en annexe au PLU existant. Elles sont classées en quatre catégories qui sont distinguées par une annexe du Code de l’urbanisme :

  • les servitudes relatives à la conservation du patrimoine (dont servitude de passage sur le littoral, réserves naturelles, règles applicables à l’intérieur d’un parc national, ainsi que diverses servitudes liées aux monuments historiques et sites patrimoniaux remarquables) ;
  • les servitudes relatives à l'utilisation de certaines ressources et équipements (dont servitudes applicables aux canalisations de transport de gaz, d'hydrocarbures et de produits chimiques, servitudes liées aux voies routières, zones auxquelles s'applique la servitude de survol des remontées mécaniques) ;
  • les servitudes relatives à la défense nationale (dont zones et polygones d'isolement, servitudes pour l'exécution des exercices de tirs, marches, manœuvres ou opérations d'ensemble) ;
  • les servitudes relatives à la salubrité et à la sécurité publiques (dont cimetières, plans de prévention des risques naturels prévisibles).

Parmi l’ensemble de ces servitudes, celles liées aux monuments historiques et sites patrimoniaux, ainsi que les plans de prévention des risques naturels prévisibles sont celles que l’on rencontre le plus souvent. Ces servitudes relevant de législations spécifiques, leurs modalités d’institution sont variées. Une fois instituées, elles peuvent avoir des effets vis-à-vis des règles d’urbanisme et vis-à-vis des autorisations d’urbanisme.

II. Les effets attachés aux servitudes d’utilité publiques

A. Les liens avec les règles d’urbanisme

Les rapports entre servitudes d’utilité publique et règles d’urbanisme ont évolué avec le temps. Par application du principe d’indépendance des législations, on pourrait penser que ces servitudes ne sont pas opposables à l’autorité réglementaire en charge de l’édiction de normes d’urbanisme.

Initialement, une telle approche était clairement exclue par le Code de l’urbanisme lui-même. Son article L. 123-1 prévoyait que les plans d’occupation des sols devaient respecter les servitudes d’utilité publique qui avaient été instituées.

Tel n’est plus le cas depuis 2000 et la refonte de la législation de l’urbanisme issue de la loi « solidarité et renouvellement urbain » (SRU) (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 N° Lexbase : L9087ARY). Les servitudes d’utilité publique ne font plus partie des normes que les plans locaux d’urbanisme doivent respecter. Cette « nouvelle » rédaction renforce ainsi le principe d’indépendance des législations, et conforte l’existence de législations parallèles. Il doit toutefois être précisé que les règles d’urbanisme contenues dans les documents locaux d’urbanisme de type PLU n’ont pas vocation à ignorer totalement l’existence des servitudes d’utilité publiques : un terrain ne pourra pas être classé en zone librement constructible alors qu’il est par ailleurs grevé de plusieurs servitudes d’utilité publiques liées, notamment, à l’existence d’un risque naturel particulier et la nécessité de protéger un espace forestier par exemple.

B. Les liens entre servitudes d’utilité publique et utilisation du sol

Les servitudes d’utilité publique ont généralement une incidence sur la constructibilité du terrain qui les supporte. C’est la raison pour laquelle l’étude du lien entre ces servitudes et les autorisations d’urbanisme est pertinente. Mais les servitudes d’utilité publique peuvent avoir un effet qui dépasse largement le champ des autorisations d’urbanisme.

Comme en ce qui concerne les rapports entre servitudes d’utilité publique et normes d’urbanisme, on pourrait estimer que ces règles extérieures au droit de l’urbanisme ne sont pas opposables aux demandes d’autorisation de type permis de construire. Il n’en est rien, et le Code de l’urbanisme le prévoit expressément.

Tout d’abord, les travaux qui font l’objet d’une demande de permis ou d’une déclaration préalable doivent être conformes aux « dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols » (C. urb., art. L. 421-6 N° Lexbase : L2609K9I), ce qui ne restreint pas uniquement les normes de référence aux règles d’urbanisme. Ensuite – et surtout – l’article L. 152-7 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3199LSB indique clairement que les servitudes d’utilité publiques annexées au PLU ou publiées sur le portail national de l'urbanisme sont opposables aux demandes d'autorisation d'occupation du sol.

En principe, toute nouvelle servitude doit être annexée au PLU. Si le maire ne réalise pas l’annexion en temps utile, le préfet doit le mettre en demeure d’y procéder sous trois mois – faute de quoi le représentant de l’État pourra d’office annexer la servitude d’utilité publique au PLU pour la rendre opposable aux demandes d’autorisation – [1].

Ces servitudes ont un champ matériel différent de celui des autorisations d’urbanisme. Il est parfois plus vaste. D’une part, parce que tous les travaux ne sont pas soumis à autorisation d’urbanisme : par exemple, l’implantation de clôtures peut échapper à tout régime d’autorisation ou de déclaration. Toutefois, même dans ce cas, ces travaux devront être conformes aux règles fixées par les servitudes d’utilité publique : un plan de prévention des risques d’inondation pourra bien souvent interdire la construction de clôtures qui entravent le libre écoulement des eaux. D’autre part, parce que les servitudes d’utilité publique n’ont pas nécessairement un objet urbanistique. Elles peuvent aussi encadrer les techniques de construction des bâtiments en imposant la réalisation de certains types de fondations par exemple.

Le non-respect d’une servitude d’utilité publique constitue un délit qui est souvent puni des sanctions pénales posées par l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L6810L7D pour les infractions aux règles d’urbanisme. Il s’agit de la technique de « pénalité par référence » (le fait est incriminé de manière autonome mais la pénalité est définie par référence aux peines prévues par l’article susvisé). 

C. L'indemnisation

Rappelons que le Code de l’urbanisme prévoit que, par principe, les servitudes d’urbanisme n’ouvrent pas droit à indemnisation (C. urb., art. L. 105-1 N° Lexbase : L2237KIP). Or, les servitudes d’utilité publiques ne sont en principe pas instituées en application des dispositions du Code de l’urbanisme : le principe de non-indemnisation ne devrait donc pas trouver à s’appliquer en ce qui les concerne.

Le régime législatif propre à chaque servitude d’utilité publique pourra ainsi prévoir les conditions dans lesquelles l’instauration d’une telle servitude peut ouvrir droit à indemnisation. Par exemple, le Code de l’énergie (à ses articles L. 323-3 N° Lexbase : L3323KG8 et suivants) autorise l'instauration de servitudes pour la distribution d'énergie électrique (appui pour des supports et ancrages sur les bâtiments, servitude de passage des conducteurs aériens d'électricité au-dessus de la propriété privée, servitudes de canalisations souterraines et supports aériens sur des terrains non bâtis et non clôturés). Cette législation donne compétence au juge judiciaire pour les questions de l'indemnisation des propriétaires affectés par ces servitudes (C. énergie, art. L. 323-7).

Il revient au propriétaire d’un terrain grevé d’une servitude d’utilité publique de rechercher si le régime législatif afférent prévoit une indemnisation. Si aucun texte ne le prévoit, la jurisprudence considère bien souvent [2] que les servitudes d’utilité publique n’ouvrent pas droit à indemnisation.

III. Focus sur la protection et la mise en valeur du patrimoine

 

Les auteurs des PLU disposent de certains outils qui leur permettent d’assurer la protection et la mise en valeur du patrimoine. À leur échelle, ils peuvent même assurer la protection de certains éléments de patrimoine qu’ils ont identifié au préalable. Cette démarche urbanistique locale ne vient que compléter un arsenal déjà bien établi, dans lequel on retrouve notamment la protection des sites et des monuments historiques.

Les servitudes d’utilité publique qui sont probablement les plus connues concernent la protection des monuments historiques et des sites.

  • La protection des sites (C. env., art. L. 341-1 N° Lexbase : L7993K9W et suivants) : il existe une liste départementale des sites classés ou inscrits qui doivent faire l’objet d’une protection particulière. Suivant le régime appliqué (site classé ou site inscrit), les effets de cette servitude sur les terrains concernés varieront. Par exemple, lorsque des travaux soumis à autorisation d’urbanisme concernent un terrain situé dans un site classé, l’obtention de l’autorisation sollicitée ne peut intervenir sans accord de l’autorité compétente (services déconcentrés de l’État).
  • La protection des monuments historiques (C. patr., art. L. 621-1 N° Lexbase : L3980HCE et suivants) : un monument peut être inscrit ou classé. Tous les travaux affectant un immeuble classé doivent faire l’objet d’une autorisation spécifique préalable qui dispense le porteur de projet d’obtenir une autorisation d’urbanisme. La demande d’autorisation pour ces travaux est traitée par les services de l’État déconcentrés (préfet de région).

La protection associée à ce régime ne concerne pas uniquement les monuments inscrits ou classés : elle concerne leurs abords. Avant, l’inscription ou le classement d’un monument historique impliquait l’application d’une protection spécifique dans un périmètre de 500 mètres autour du monument. Désormais, ce périmètre peut être défini de manière plus fine – bien souvent toutefois on applique le périmètre de 500 mètres faute de définition spécifique. Les abords des monuments historiques font ainsi l’objet d’une protection renforcée. Dans un périmètre donné (rayon de 500 mètres ou périmètre défini), sont soumis à autorisation préalable les travaux susceptibles de modifier l’aspect extérieur d’un immeuble, bâti ou non, qui est visible depuis le monument protégé, si on voit le monument historique depuis l’immeuble objet des travaux ou si on voit ces deux immeubles en même temps (condition de visibilité ou covisibilité). Le cas échéant, le permis de construire vaut autorisation préalable prévue par le Code du patrimoine.

De manière pratique, lorsque l’administration est saisie d’une demande d’autorisation d’urbanisme concernant un immeuble qui se situe dans le périmètre de protection, elle saisit l’Architecte des Bâtiments de France pour avis. Ce dernier déterminera alors si la condition de visibilité ou de covisibilité est remplie. Si l’immeuble objet des travaux est visible en même temps que le monument historique ou depuis ce dernier, ou que le monument historique est visible depuis l’immeuble objet du projet, alors l’Architecte des Bâtiments de France devra donner son accord à la réalisation des travaux. Sinon, il rendra un avis simple. Son accord ou son avis peuvent être assortis de recommandations ou de prescriptions.


[1] Elles doivent aussi être mentionnées dans le cas d’une demande de certificat d’urbanisme.

[2] Toutefois concernant les plans de prévention des risques naturels, le Conseil d’État a jugé que « le législateur a entendu faire supporter par le propriétaire concerné l'intégralité du préjudice résultant de l'inconstructibilité de son terrain nu résultant des risques naturels le menaçant, sauf dans le cas où ce propriétaire supporterait une charge spéciale et exorbitante hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi » (CE, 29 décembre 2004, 257804, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2308DGL).

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