Jurisprudence : CA Grenoble, 10-11-2022, n° 21/00234, Infirmation


C9


N° RG 21/00234


N° Portalis DBVM-V-B7F-KWKW


N° Minute :


Copie exécutoire délivrée le :


la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET


la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE GRENOBLE


Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 10 NOVEMBRE 2022


Appel d'une décision (N° RG 19/00731)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 10 décembre 2020

suivant déclaration d'appel du 08 janvier 2021



APPELANT :


Monsieur [Aab] [J]

né le … … … à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Adresse 4]


représenté par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, substituée par Me BIANCHI, avocat au barreau de GRENOBLE


INTIMEE :


S.A.S. GE HYDRO FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]


représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Jérôme WATRELOT de la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS substitué par Me Bérangère DE NAZELLE, avocat au barreau de PARIS



COMPOSITION DE LA COUR :


LORS DU DÉLIBÉRÉ :


M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,


DÉBATS :


A l'audience publique du 07 septembre 2022,

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs observations, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile🏛, les parties ne s'y étant pas opposées ;


Puis l'affaire a été mise en délibéré au 10 novembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.


L'arrêt a été rendu le 10 novembre 2022.



EXPOSE DU LITIGE':


La société par actions simplifiée GE Hydro France offre une gamme de solutions pour servir l'industrie hydroélectrique et elle dispose de trois établissements situés à [Localité 5], [Localité 2] et [Localité 3]. Elle appartient au groupe General Electric (GE), groupe américain d'envergure mondiale qui emploie de l'ordre de 295000 personnes opérant sur sept segments industriels, dont le segment des énergies renouvelables.


Le 1er juillet 2014, M. [N] [J] a été embauché par la société Alstom Power Hydro France selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité de responsable coûts, statut cadre, position II indice 108 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.


Le contrat stipule un forfait-jours annuel de 218 jours pour une rémunération annuelle de 44005 €, Une rémunération variable était prévue au contrat de travail en son article 5.


Le 1er janvier 2017, un avenant au contrat de travail a été signé par M. [N] [J] portant sur la mise en place du télétravail en application de l'accord d'entreprise du 1er septembre 2016.


Le 7 juillet 2017, un projet de réorganisation de l'entreprise, concernant notamment l'établissement de [Localité 5] a été présenté au comité central d'entreprise, ainsi qu'au comité d'établissement de [Localité 5].


Il était envisagé la suppression de 345 emplois salariés.


Le 7 décembre 2017, Monsieur [J] a signé une promesse d'embauche avec la société Tno Valp pour un contrat à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2018.


Le 13 décembre 2017, M. [N] [J] a informé son manager, M. [O] [M] lors d'une réunion de sa signature d'une promesse d'embauche.


Le 26 décembre 2017, la société Ge Hydro France a soumis un document unilatéral pour homologation à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).


Selon décision du 12 janvier 2018, la DIRECCTE a refusé d'homologuer le document au motif que la définition des catégories professionnelles ne lui paraissait pas assez précise.


Le 1er février 2018. la SAS GE Hydro France a été destinataire d'une pétition des salariés réclamant qu'un nouveau plan soit remis à la DIRECCTE et qu'un accord de suspension des contrats de travail pour les salariés ayant retrouvé un contrat à durée indéterminée dans une entreprise externe soit conclu avec les organisations syndicales.


Le 13 mars 2018, M. [N] [J] a adressé à la direction des ressources humaines contre remise en main propre, une lettre de demande de suspension de son contrat de travail, avec une demande de candidature au départ volontaire.


Le même jour, par courrier remis en main propre, la SAS GE Hydro France a refusé cette demande.


Le 14 mars 2018, M. [N] [J] a envoyé un nouveau courrier à la SAS GE Hydro France, sollicitant la rupture conventionnelle de son contrat de travail avec un départ effectif le 6 avril 2018, l'employeur ne donnant pas suite à cette demande.


Le 23 mars 2018, M. [Ab] a écrit à son employeur une lettre par laquelle il demandait à bénéficier, à compter du 4 avril 2018, d'une période de mobilité externe sécurisée en application des articles L. 1222-13 et suivants du code du travail🏛, et ce, pour 24 mois.


Le 30 mars 2018, la SAS GE Hydro France a répondu par un courrier remis en main propre au salarié qu'elle refusait sa demande, en lui rappelant l'ouverture d'une négociation sur un projet d'accord de suspensions des contrats de travail et que cette démarche collective ne permettait pas d'accepter individuellement des demandes.


Par courrier du 3 avril 2018, M. [N] [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison d'un manque allégué de loyauté de son employeur.


Le 5 avril 2018, a été conclu un accord visant à suspendre les contrats des salariés ayant trouvé un nouvel emploi.


Le 22 mai 2018, un accord collectif sur le plan de sauvegarde de l'emploi a été conclu avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives de la société.


Le 1er juin 2018, la DIRRECTE a validé l'accord de sauvegarde de l'emploi, décision qui n'a fait objet d'aucune contestation.


Le 11 juin 2018, a débuté la phase de départs volontaires en application de cet accord.


Par requête en date du 20 août 2018, M. [N] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble afin de faire juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de manquements qu'il reprochait à son employeur.


Il a formé une demande additionnelle de rappel de salaire sur rémunération variable.


La société GE Hydro France s'est opposée aux prétentions adverses.



Par jugement en date du 10 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':


- dit irrecevable la demande de rappel de salaire,

- dit que la SAS GE Hydro France a respecté son obligation de loyauté,

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de M. [N] [J] produit les effets d'une démission,

- débouté M. [N] [J] de l'ensemble de ses demandes.

- débouté la SAS GE Hydro France de sa demande reconventionnelle,

- laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.


La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusé de réception signé le 15 décembre 2020 pour M. [N] [J] et le 16 décembre 2020 pour la société Ge Hydro France.



Par déclaration en date du 08 janvier 2021, M. [N] [J] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.


M. [N] [J] s'en est remis à des conclusions transmises le 23 septembre 2021 et demande à la cour d'appel de':


Vu les dispositions des articles L 4121-1 et suivants du code du travail🏛,

Vu les dispositions de l'article L 1221-1 du code du travail🏛,

Vu les dispositions du code du travail visées,

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées communiquées,


INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il déboute la SAS GE Hydro France de sa demande reconventionnelle,

Statuant à nouveau,

JUGER que la société GE Hydro France a méconnu son obligation de loyauté à l'encontre de M. [Ab],

CONDAMNER en conséquence la société GE Hydro France à verser à M. [Ab] la somme de 8 000€ nets en réparation du préjudice subi,

JUGER que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNER en conséquence la société GE Hydro France à verser à M. [Ab] les sommes suivantes :

-11 541 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis (3 mois de salaire), outre la somme de 1154,10 euros bruts au titre des congés payés afférents.

-3 606,56 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

-35 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour une prise actes aux torts exclusifs de la société GE Hydro France produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

CONDAMNER la société GE Hydro France à régulariser les documents de fin de contrat de M. [N] [J] sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir.

CONDAMNER la société GE Hydro France à verser à M. [Ab] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, ainsi que les dépens

DEBOUTER la société GE Hydro France de sa demande tendant à obtenir la condamnation de M. [Ab] à lui verser la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛.


La société GE Hydro France s'en est rapportée à des conclusions remises le 25 juin 2021 et demande à la cour d'appel de':


Vu l'article L. 1235-3 du code du travail🏛,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats,


A TITRE PRINCIPAL :

CONFIRMER le jugement du conseil de Prud'hommes de Grenoble du 10 décembre 2020 en ce qu'il a débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNER M. [J] au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux entiers dépens.


A TITRE SUBSIDIAIRE :

Si par extraordinaire, la cour estimait que la prise d'acte devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, limiter les condamnations aux sommes suivantes :

- Indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 3 mois de salaire à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1235-3 du code du travail🏛.


Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile🏛 de se reporter à leurs écritures sus-visées.


La clôture a été prononcée le 30 juin 2022.



EXPOSE DES MOTIFS':


Sur l'obligation de loyauté et la prise d'acte':


D'une première part, il résulte de l'article L. 1222-1 du code du travail🏛 que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.


D'une seconde part, la rémunération contractuelle d'un salarié ne peut être modifiée de manière unilatérale par l'employeur sans l'accord du salarié.


Au visa de l'article 1315 du code civil🏛 devenu l'article 1353 du même code, l'employeur supporte la charge de la preuve d'une part qu'il a communiqué au salarié les objectifs conditionnant sa rémunération variable au début de la période concernée et d'autre part, que lesdits objectifs étaient réalisables.


D'une troisième part, la prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu'il reproche à son employeur.


Elle n'est soumise à aucun formalisme en particulier mais doit être adressée directement à l'employeur.


Elle met de manière immédiate un terme au contrat de travail.


Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.


A défaut, la prise d'acte est requalifiée en démission.


Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié et ne peuvent pas en laisser de côté : l'appréciation doit être globale et non manquement par manquement.

Par ailleurs, il peut être tenu compte dans l'appréciation de la gravité des manquements de l'employeur d'une éventuelle régularisation de ceux-ci avant la prise d'acte.


En principe, sous la réserve de règles probatoires spécifiques à certains manquements allégués de l'employeur, c'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il n'est pas en mesure de le faire, s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.


Lorsque la prise d'acte est justifiée, elle produit les effets selon le cas d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul de sorte que le salarié peut obtenir l'indemnisation du préjudice à raison de la rupture injustifiée, une indemnité compensatrice de préavis ainsi que l'indemnité de licenciement, qui est toutefois calculée sans tenir compte du préavis non exécuté dès lors que la prise d'acte produit un effet immédiat.


Par ailleurs, le salarié n'est pas fondé à obtenir une indemnité à raison de l'irrégularité de la procédure de licenciement.


Au cas d'espèce, il ressort d'un document d'information et de consultation sur le projet de réorganisation de l'établissement de [Localité 5] de la société GE Hydro France SAS et de ses conséquences sociales, remis le 7 juillet 2017 au comité central d'entreprise et au comité d'établissement, ainsi que du projet d'accord du 7 juillet 2017, que la société avait initialement prévu la suppression de 345 postes permanents, répartie sur l'ensemble des départements de l'établissement de [Localité 5].


La société GE Hydro France met en évidence, par la production d'une série de courriels envoyés entre le 5 octobre 2017 et le 15 décembre 2017 à l'ensemble de ses salariés, avoir informé les salariés de l'évolution des négociations et de l'état d'avancement du projet de plan de sauvegarde de l'emploi.


Ainsi, par mail du 20 novembre 2017, suite à des blocages de l'établissement au mois d'octobre et aux discussions entre les organisations syndicales et la direction, la société a exposé aux salariés qu'une extension de la période d'information et de consultation aurait lieu afin de trouver un accord en vue de remettre les documents nécessaires à la DIRRECTE le 22 décembre 2017 en vue de son approbation.

Par mail en date du 22 novembre 2017, la société a indiqué avoir proposé plusieurs mesures d'accompagnement favorables aux salariés concernant les conditions de l'indemnité de licenciement conventionnelle, une prime supplémentaire tenant compte des personnes à charge ainsi que l'extension de la durée du congé de reclassement et l'augmentation de sa rémunération.


Par mail en date du 29 novembre 2017, la direction a précisé avoir retenu certaines idées alternatives proposées par les organisations syndicales quant à la future organisation, y compris le fait que « parmi les 345 postes potentiellement impactés, certains seraient gardés dans plusieurs fonctions, d'autres seraient également conservés plusieurs mois supplémentaires pour accompagner la transition de l'organisation. Des nouveaux postes seraient par ailleurs créés. ».


Par mail daté du 8 décembre 2017, la société a informé qu'il existait deux versions du Livre 1 du projet de PSE en fonction de l'accord ou non des organisations syndicales et que le projet serait ensuite remis aux différentes instances représentatives du personnel entre le 13 et le 21 décembre avant d'être soumis à la DIRRECTE, le 22 décembre.


Par mail du 15 décembre 2017, la société a expressément rappelé le calendrier des étapes et que « La DIRECCTE aura un délai de 15 à 21 jours pour rendre son avis. Si elle valide nos propositions et si les Organisations Syndicales ne lancent pas une procédure administrative contre le plan, celui-ci pourra être mis en place d'ici fin janvier avec notamment l'ouverture du plan de départ de volontaire. Dans le cas d'un refus d'homologation de la DIRECCTE ou d'une action en justice de la part des organisations syndicales, la mise en place du plan sera retardée. ».


Finalement, par mails datés des 12 et 18 janvier et 15 février, la société a informé les salariés du refus d'homologation du PSE par la DIRECCTE, de la continuation de la procédure d'information'consultation afin de faire évoluer les catégories professionnelles et de négocier un accord sur les départs anticipés.


Ainsi, il se dégage de ses différents mails que la direction a informé les salariés, dont M. [J] de l'avancement des négociations, du calendrier prévisionnel du projet de réorganisation économique, tout en mentionnant la possibilité que celui-ci ne puisse être respecté.


Dès lors, contrairement à ce que soutient M. [Ab], la société n'a pas utilisé des effets particuliers d'annonce afin de pousser le salarié à prendre acte de la rupture de son contrat de travail avant l'adoption définitive du plan, aucune autre pièce n'étant versée aux débats à ce titre.


Néanmoins, d'une première part, il ressort de la décision de refus d'homologation de la DIRECCTE en date du 12 janvier 2018 du document unilatéral présenté par l'employeur suite à l'échec de la négociation d'un accord majoritaire que la société avait connaissance, dès le 4 août 2017, de la demande de la DIRRECTE de faire évoluer les catégories professionnelles, émises dans le projet de plan du 7 juillet 2017, en conformité avec la définition jurisprudentielle, observation réitérée les 8 et 28 septembre 2017.


De plus, il est indiqué que les différentes instances de représentation du personnel ont régulièrement demandé des explications sur les catégories professionnelles et, dans un courrier en date du 21 décembre 2017 demandant à la DIRECCTE de refuser l'homologation, elles ont alerté cette dernière « sur les erreurs et anomalies nombreuses qui affectent les documents transmis en dernière minute par notre Direction, bouleversant pour la 5ème fois sa construction unilatérale des catégories professionnelles (à la veille de la dernière réunion du CHSCT) » et que cette problématique avait expressément été relevée dans le rapport de l'expert « SYNDEX », présenté au comité central d'entreprise fin novembre 2017.


La DIRECCTE précise également que des postes ont spécifiquement été ciblés pour être supprimés, «sans justification suffisante et sans que la détermination de ces catégories professionnelles soit objectivée ».


La DIRECCTE conclut que l'employeur n'a pas adressé « aux instances représentatives du personnel tous les éléments utiles pour qu'ils soient en capacité de formuler en toute connaissance de cause leur avis sur le projet de réorganisation et ses conséquences sociales » et a refusé d'homologuer le plan soumis par la société GE Hydro France.


Or, la société n'allègue pas ni ne démontre avoir pris en compte les demandes de la DIRECCTE avant le dépôt du projet, de sorte que le refus d'homologation était prévisible et évident, aucun recours n'ayant d'ailleurs été formé par l'employeur.


Il résulte de ces éléments que la SA GE Hydro France a commis un manquement volontaire dans l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi sous forme de document unilatéral en ne prenant pas en compte les différentes alertes concernant les incertitudes et irrégularités dans l'élaboration des catégories professionnelles entre l'été 2017 et la demande d'homologation déposée le 22 décembre 2017, ce qui a conduit à un rallongement considérable des délais d'adoption du plan et de sa mise en œuvre, contraignant M. [Ab], ayant cherché un autre poste en réaction à l'annonce du PSE à l'été 2017 avec, dans le volet social, un plan de départs volontaires projeté, à prendre acte de la rupture de son contrat de travail avant l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, en juin 2018.


La cour observe que, sans avoir directement incité, par ses communications, les salariés concernés par le projet de réorganisation économique, dont M. [Ab], à la démission ou à une prise d'acte, l'employeur a pour autant directement tiré un bénéfice financier de l'allongement fautif des délais de mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi dans la mesure où le projet du 7 juillet 2017 prévoyait la suppression de 345 emplois, celui du 7 décembre 2017, 329 départs et en définitive l'accord majoritaire du 22 mai 2018 homologué par la DIRRECTE, le 1er juin 2018, n'a plus concerné que la suppression de 293 postes, étant relevé que l'effectif de l'établissement de [Localité 5] est passé de 826 au 1er janvier 2017 à 725 au 1er mai 2018, soit une réduction hors plan de sauvegarde de l'ordre de 100 salariés, de sorte que les mesures d'accompagnement n'ont plus concerné qu'un nombre significativement réduit de salariés.


Le projet de plan de sauvegarde de l'emploi dans sa version du 7 décembre 2017 confirme l'intérêt financier pour l'employeur à l'allongement des délais de mise en œuvre du projet de réorganisation économique à tout le moins s'agissant du financement du plan de sauvegarde de l'emploi puisqu'il est indiqué en page n°21 de l'avant-dernier paragraphe': «'il est prévu que le Nombre maximum de Départs initialement envisagé en application du présent Plan sera diminué de toute mobilité en dehors de l'Etablissement et de tout départ (démission, départ à la retraite, etc.) quelle qu'en soit la cause intervenue depuis le 1er janvier 2017, à condition que les salariés partant de l'Etablissement dans ce cadre appartiennent aux Catégories Concernées par le Présent Plan, au jour de l'ouverture de la Phase I en application du présent Plan'».


D'une deuxième part, M. [Ab] a sollicité, par courrier du 13 mars 2018, la suspension de son contrat de travail'; ce qui lui a été refusé par courrier du 30 mars 2018 par la direction.


Si M. [J] reproche à tort à la société Hydro France ne pas l'avoir informé des négociations en cours avec les organisations syndicales, portant sur la suspension des contrats de travail dans l'attente de l'adoption retardée du plan de sauvegarde de l'emploi, dès lors que le courrier du 30 mars 2018 fait allusion à la nécessité avancée par l'employeur de régulariser un accord collectif à ce sujet et que M. [Ab] ne peut sérieusement prétendre n'avoir pas reçu, avant son courrier de prise d'acte du 3 avril 2018, le courriel du 23 mars 2018 adressé à l'ensemble des salariés aux termes duquel la direction les a informés de la tenue d'une réunion des instances représentatives du personnel la semaine du 3 avril au sujet, notamment, dudit accord de suspensions des contrats de travail des salariés ayant retrouvé un emploi et non pas de l'imminence de la signature d'un accord, comme le conclut l'employeur, force est de constater que cet accord n'a, en définitive, été signé que le 5 avril 2018, soit 3 mois après le refus d'homologation par la DIRRECTE du document unilatéral de l'employeur valant plan de sauvegarde de l'emploi, la société GE Hydro France ayant dans l'intervalle adopté comme une position revendiquée de principe de refuser toute demande individuelle de suspension du contrat de travail'; ce qui a constitué, compte tenu des circonstances de l'espèce, un manquement fautif de sa part dans la mesure où il a été vu précédemment que l'employeur était responsable de l'allongement significatif des délais de mise en œuvre effective de son projet de réorganisation économique et de l'adoption du plan de sauvegarde de l'emploi rendu indispensable par la suppression envisagée de plus de 50 emplois, la décision de refus de la DIRRECTE du 12 janvier 2018 ayant pu être très clairement et objectivement attendue de la part de la société GE Hydro France pour les raisons sus-exposées.


D'une troisième part, la société GE Hydro France, informée à plusieurs reprises préalablement à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié de ce qu'il avait trouvé un nouvel emploi, a refusé de manière tout aussi fautive la levée de la clause d'exclusivité, qui aurait permis le cas échéant à M. [Ab] de cumuler provisoirement deux emplois, décision qui n'était aucunement conditionnée à la suspension corrélative de son contrat de travail avec la société GE Hydro France comme cette dernière le soutient, mais uniquement au respect des durées maximales du travail, étant ajouté au surplus que cette dernière ne fait qu'affirmer, sans aucunement le démontrer et encore moins le prouver, que la clause d'exclusivité était indispensable au regard des fonctions exercées par le salarié de responsable coûts.


D'une cinquième part, les parties ont clairement entendu contractualiser une rémunération variable de 6 % de la rémunération annuelle brute perçue par M. [Ab] d'après la clause suivante du contrat de travail':

«'En supplément contractuelle, M. [N] [J] est informé qu'il peut bénéficier d'une rémunération variable dont la cible est de 6 % de sa rémunération annuelle brute perçue au cours de l'exercice considérée'».


La mention, ensuite, selon laquelle «'les éléments constitutifs de ce plan de rémunération variable peuvent être revus chaque année et sont alors communiqués à M. [N] [J].'», qui s'insère directement après le paragraphe sur la fixation des objectifs, ne saurait s'interpréter comme autorisant l'employeur à modifier le pourcentage cible de la rémunération variable mais tout au plus les objectifs assignés au salarié.


L'employeur a fautivement modifié, sans l'accord du salarié, qui ne saurait résulter de son silence, la cible en la fixant à 10 % mais en modifiant de surcroît les critères pris en compte, accentuant la part de performance collective sur celle individuelle du salarié.


Il est objectivé, par des échanges de courriels, que les représentants du personnel ont émis des protestations lors de l'annonce des parts variables pour l'exercice 2016, si bien que l'employeur a versé, en définitive, une rémunération variable plus élevée, à hauteur de 1 000 euros pour M. [Ab], réduisant certes le préjudice financier du salarié mais en refusant de revenir sur le principe d'une modification unilatérale illicite de la part variable prévue contractuellement.


Par ailleurs, la société GE Hydro France admet elle-même que les nouveaux critères ont été communiqués en juillet 2016, de sorte qu'elle a de surcroît fautivement modifié les objectifs en cours d'exercice ayant débuté en avril 2016.


L'ensemble de ces manquements a présenté un degré de gravité ayant empêché la poursuite du contrat de travail dès lors que l'employeur a non seulement modifié unilatéralement la rémunération du salarié mais a encore, par les fautes commises à l'occasion de son projet de réorganisation économique de l'établissement de [Localité 5], retardé de plusieurs mois la mise en œuvre annoncée du plan de départs volontaires de sorte que M. [Ab], ayant légitimement engagé dans ce cadre une recherche s'étant avérée fructueuse d'un nouvel emploi et proposé vainement des alternatives raisonnables à l'employeur, qui ont toutes fait l'objet d'un refus, ne pouvait plus objectivement poursuivre le contrat de travail le liant à la société GE Hydro France.


Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement entrepris et de dire que la prise d'acte par M. [J] de la rupture de son contrat de travail par courrier du 3 avril 2018 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.


Sur les demandes financières':


D'une première part, infirmant le jugement entrepris, il convient d'allouer à M. [Ab] la somme de 1000 euros nets au titre de l'exécution fautive du contrat de travail, le surplus de la demande étant rejeté dès lors que le préjudice afférent au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail concerne en réalité uniquement et directement la modification unilatérale de la rémunération variable par l'employeur, le surplus des moyens développés au titre de la déloyauté de l'employeur ayant trait à la rupture injustifiée du contrat de travail par ailleurs indemnisée.


D'une seconde part, dès lors que la prise d'acte est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [Ab] est fondé en sa demande à hauteur de 11541 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1154,10 euros au titre des congés payés afférents.


D'une troisième part, il peut pour les mêmes motifs prétendre à l'indemnité de licenciement à hauteur de 3606,56 euros, somme à laquelle la société GE Hydro France est condamnée.


D'une quatrième part, au visa de l'article L 1235-3 du code du travail🏛, au jour de son licenciement injustifié, M. [Ab] avait 4 ans d'ancienneté, préavis de 3 mois compris et un salaire de 3847 euros bruts.


Il a retrouvé immédiatement un emploi avec un salaire supérieur.


Il justifie par ailleurs d'une prescription d'un somnifère de manière concomitante à sa prise d'acte.


Dans ces conditions, il lui est alloué la somme de 15 400 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le surplus de la demande étant rejeté.


Il y a lieu d'ordonner à la société GE Hydro France de remettre à M. [N] [J] des documents de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt, sans qu'il ne soit en l'état nécessaire d'assortir cette obligation de faire d'une astreinte.


Sur les demandes accessoires':


L'équité commande de condamner la société GE Hydro France à payer à M. [N] [J] une indemnité de procédure de 2 500 euros.


Le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 est rejeté.


Au visa de l'article 696 du code de procédure civile🏛, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société GE Hydro France, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.



PAR CES MOTIFS';


La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel, et après en avoir délibéré conformément à la loi';


INFIRME le jugement entrepris


STATUANT à nouveau,


DIT que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par M. [J] du 3 avril 2018 à l'égard de la société GE Hydro France produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse


CONDAMNE la société GE Hydro France à payer à M. [Ab] les sommes suivantes':

- onze mille cinq cent quarante et un euros (11 541 euros) bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- mille cent cinquante-quatre euros et dix centimes (1 154,10 euros) bruts au titre des congés payés afférents

- trois mille six cent six euros et cinquante-six centimes (3 606,56 euros) au titre de l'indemnité de licenciement

- quinze mille quatre cents euros (15 400 euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- mille euros (1 000 euros) nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail


ORDONNE à la société GE Hydro France de remettre à M.[Ab] des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt


CONDAMNE la société GE Hydro France à payer à M. [Ab] une indemnité de procédure de 2500 euros


REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛


CONDAMNE la société GE Hydro France aux dépens de première instance et d'appel.


Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


La Greffière Le Président

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