La lettre juridique n°902 du 14 avril 2022

La lettre juridique - Édition n°902

Assurances

[Brèves] Assurances de dommages et subrogation : preuve du paiement, mais entre les mains de qui ?

Réf. : Cass. civ. 2, 31 mars 2022, n° 20-17.147, F-B N° Lexbase : A82907RH

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N1139BZ9

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 14 Avril 2022

► L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui ont causé le dommage ;
► l’article L. 121-12 du Code des assurances n’exige pas que le paiement ait été fait entre les mains de l’assuré lui-même.

Les grands principes méritent parfois, souvent même puisqu’il s’agit de grands principes, d’être rappelés. L’article L. 121-12 du Code des assurances N° Lexbase : L0088AAI, qui pose le principe de la subrogation légale de l’assureur, est de ces grands principes. En application de ce texte, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers.

La subrogation ne peut se produire que s’il y a eu paiement de l’indemnité d’assurance. La solution n’est pas nouvelle (Cass. civ. 3, 5 février 1985, n° 83-15.080, publié au bulletin N° Lexbase : A0425AH9, RGAT, 1986, 376). Cette exigence est, d’ailleurs, conforme à la lettre de l’article L. 121-12. La preuve de ce paiement se fait, en général, par la production d’une quittance (Cass. civ. 1, 2 février 1994, n° 91-19.952, inédit au bulletin N° Lexbase : A8769CKY) mais elle peut être rapportée par tous moyens, il faut simplement que l’assureur ait la qualité de subrogé avant que le juge ne statue (pour un exemple, récent CA Versailles, 19 mars 2020, n° 18/08109 N° Lexbase : A99253IG ; Cass. civ. 3, 7 janvier 2015, n° 14-12.212, F-D N° Lexbase : A5241NG9).

Pour autant, l’article L. 121-12 précité n’exige pas que ce paiement soit réalisé entre les mains de l’assuré comme le rappelle l’arrêt rapporté.

En l’espèce, un particulier fait l’acquisition d’un bateau de plaisance et souscrit, à cet effet, une assurance de dommages. À la suite d’un sinistre survenu, son assureur de dommages assigne l’assureur du vendeur aux fins de lui payer la somme versée à titre d’indemnisation. La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 19 mars 2020 (CA Versailles, 19 mars 2020, n° 18/01333 N° Lexbase : A99733I9) refuse de condamner l’assureur du vendeur à payer l’intégralité de la somme versée. Elle expose qu’aucune pièce du dossier ne permet de considérer que le paiement de l’indemnité ait été fait à l’assuré, en l’absence de production de quittance subrogative.

La Haute juridiction censure. Il suffit que le paiement de la somme ait été opéré d’ordre et pour le compte de l’assuré au titre de l’indemnisation d’assurance.

La solution n’est pas nouvelle. L’article L. 121-12 du Code des assurances, visa de l’arrêt de cassation, n’exige pas que le paiement ait été fait entre les mains de l’assuré lui-même. Il peut avoir été fait entre les mains d’un tiers qui a réparé le dommage (Cass. civ. 1, 6 janvier 1981, n° 79-13.573, publié au bulletin N° Lexbase : A2718CGR).

La seule limite est la créance détenue par l’assuré contre le responsable (Cass. civ. 2, 16 décembre 2021, n° 20-13.692, F-B N° Lexbase : A30147GQ).

Il reste à rappeler qu’en application du principe de la subrogation in futurum, la preuve du paiement effectif à l’assuré ne doit intervenir qu’à la date du jugement (pour exemple, Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-14.812, F-P+B N° Lexbase : A5384NIA).

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Autorité parentale

[Brèves] Refus d’octroi d’un DVH à l’ex-épouse de la mère : l’appréciation des juges du fond sanctionnée par la CEDH

Réf. : CEDH, 7 avril 2022, Req. 2338/20, Callamand c/ France N° Lexbase : A39737TC

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N1161BZZ

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 13 Avril 2022

► Le rejet, par les juridictions françaises, de la demande d’obtenir un droit de visite et d’hébergement de l’enfant de son ancienne conjointe a emporté violation du droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante ;

la CEDH souligne, d’une part, qu’il est difficile de déceler dans le raisonnement de la cour d’appel de Bordeaux, qui n’avait pas estimé nécessaire de procéder à une évaluation psychologique de l’enfant, la raison pour laquelle elle s’est séparée de l’appréciation du tribunal de grande instance de Bordeaux et du ministère public quant à l’issue à réserver à la demande de la requérante ; elle note, d’autre part, que les motifs de l’arrêt de la cour d’appel ne démontrent pas qu’un juste équilibre ait été ménagé entre l’intérêt de la requérante à la préservation de sa vie privée et familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant ; elle conclut donc à une violation de l’article 8 de la Convention.

L’affaire concernait le rejet de la demande de la requérante française tendant à l’obtention d’un droit de visite et d’hébergement de l’enfant de son ancienne conjointe, qui avait été conçue par assistance médicale à la procréation.

Il faut savoir que le fondement d’une telle demande siège à l’article 371-4, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L8011IWM aux termes duquel : « Si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables. »

Pour rappel, la Cour de cassation a eu l’occasion d’indiquer que ces dispositions ne confèrent pas un « droit de principe » pour le parent d’intention de maintenir des liens avec l’enfant qu’il a élevé, et qu’en cela ce texte est compatible avec les principes issus des articles 8 N° Lexbase : L4798AQR et 14 N° Lexbase : L4747AQU de la CEDH et 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant N° Lexbase : L6807BHL (Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 19-15.198, FS-P+B+I N° Lexbase : A3962ZUB ; Cass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-15.198, F-P+B+I N° Lexbase : A33673PE ; v. A. Gouttenoire, L’ex-concubine de la mère n’est pas titulaire d’un droit à entretenir des relations avec l’enfant après la séparation, Lexbase Droit privé, juillet 2020, n° 833 N° Lexbase : N4274BYX).

Il en résulte que ce droit (qui n’est pas de principe) est soumis à l'appréciation du juge en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant (v. Cass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-15.198, F-P+B+I, précité).

C’est donc dans ce cadre que la Cour de cassation, dans la présente affaire jugée par la CEDH, s’en était remise à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient estimé qu’il n’était pas de l’intérêt actuel de l’enfant de maintenir des liens avec l’ex-épouse de la mère, et qu’il y avait lieu de rejeter la demande d’attribution d’un droit de visite et d’hébergement sur l’enfant (Cass. civ. 1, 26 juin 2019, n° 18-17.767, F-D N° Lexbase : A2995ZHE : selon la Cour suprême, ayant relevé, d’abord, que l’intéressée, qui n’avait été qu’associée au projet de maternité de la mère, n’avait pas tenu à établir de liens de droit durables avec l’enfant, n’ayant engagé aucune procédure d’adoption de l’enfant pendant le temps de son mariage, ensuite, qu’elle n’avait élevé cette dernière que jusqu’à l’âge de deux ans, celle-ci ne démentant pas que le quotidien de l’enfant était pris en charge par sa mère, enfin, qu’elle n’établissait pas pouvoir accueillir sereinement l’enfant, alors que celle-ci paraissait souffrir de la situation de conflit liée à la séparation du couple, la cour d’appel avait souverainement estimé qu’il n’était pas de l’intérêt actuel de l’enfant de maintenir des liens avec elle, et qu’il y avait lieu de rejeter la demande d’attribution d’un droit de visite et d’hébergement sur l’enfant).

C’est alors que l’intéressée a décidé de faire valoir sa demande devant la CEDH. Elle obtient gain de cause.

Après avoir relevé qu’il existait entre la requérante et l’enfant des liens personnels effectifs bénéficiant de la protection de l’article 8 de la Convention N° Lexbase : L4798AQR, la Cour a noté que la requérante ne demandait ni d’établir un lien de filiation ni d’obtenir le partage de l’autorité parentale, mais seulement la possibilité de continuer à voir, de temps en temps, une enfant à l’égard de laquelle elle avait agi en se considérant comme un coparent pendant plus de deux ans depuis sa naissance.

La Cour souligne, d’une part, qu’il est difficile de déceler dans le raisonnement de la cour d’appel de Bordeaux, qui n’avait pas estimé nécessaire de procéder à une évaluation psychologique de l’enfant, la raison pour laquelle elle s’est séparée de l’appréciation du tribunal de grande instance de Bordeaux et du ministère public quant à l’issue à réserver à la demande de la requérante. Elle note, d’autre part, que les motifs de l’arrêt de la cour d’appel ne démontrent pas qu’un juste équilibre ait été ménagé entre l’intérêt de la requérante à la préservation de sa vie privée et familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle conclut donc à une violation de l’article 8 de la Convention.

En ce qui concerne le grief de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, présenté par la requérante, la Cour, après avoir relevé qu’il n’avait pas été soulevé devant le juge interne, conclut que l’exigence d’épuisement des voies de recours internes n’est pas remplie.

Pour aller plus loin : on relèvera que ce type de contentieux donne lieu à une jurisprudence abondante de la Cour de cassation, laquelle opère un contrôle (limité) de l’appréciation des juridictions du fond ; les décisions concernent tout autant des demandes d’ex-conjoint, d’ex-partenaires de PACS, ou d’ex-concubins, et se prononcent tant en faveur d’un octroi, que d’un refus d’octroi, de DVH ; v. ÉTUDE : L'autorité parentale sur la personne de l'enfant, spéc. L'entretien de relations personnelles des enfants avec leurs ascendants ou autres personnes, parents ou non, in L’Autorité parentale (dir. A. Gouttenoire), Lexbase N° Lexbase : E5810EYT.

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Avocats/Déontologie

[Focus] Un avocat peut-il partager sa salle d'attente avec un médecin ?

Lecture: 5 min

N0917BZY

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par Caroline Lantero, Maître de conférences en droit public à l’UCA, CMH-UPR 4232, Avocate associée Seban Auvergne

Le 14 Avril 2022

Mots-clés : question pratique • déontologie • avocat • médecin • secret professionnel • locaux professionnels

L’une et l’autre de ces professions sont tenues aux mêmes règles relatives au secret professionnel, lequel s’étend jusque dans la salle d’attente, et il n’existe pas de notion de secret partagé. Néanmoins, le partage de la salle d’attente semble possible.


 

Le partage des locaux professionnels - Le partage des locaux de l’avocat avec d’autres professions est assez largement admis : expert-comptable (Cass. civ. 1, 27 février 1996, n° 94-10.821, inédit au bulletin N° Lexbase : A9751C3K) ; psychothérapeute (CNB, comm. R&U, avis n° 2012-060 du 20 décembre 2012), en co-working au sein des bureaux de l’Ordre (CNB comm. R&U, avis n° 2019-40 du 25 novembre 2019), mais toujours à la condition que le risque de violation du secret professionnel soit écarté et qu’aucune situation de conflits d’intérêts ne se pose.

Secret professionnel – L’avocat y est tenu, comme le médecin. Pour les avocats, il est précisé que le secret couvre toute matière jusqu’au nom des clients et l’agenda de l’avocat (RIN, art. 2.2 N° Lexbase : L4063IP8). Pour les médecins, il est précisé que le secret couvre tout ce qui lui a été confié, ce qu’il a entendu ou compris (CSP, art. R. 4127-4 N° Lexbase : L8698GTC). Pour chacune de ces deux professions, ce secret est « général et absolu » et d’ordre public. Pour chacune de ces professions, sa violation peut donner lieu à des sanctions pénales (C. pén., art. 226-13 N° Lexbase : L5524AIG). 

Pas de « secret partagé » - Bien qu’un avocat et un médecin appartiennent chacun à une profession réglementée dotée de règles professionnelles, et qu’ils soient chacun soumis à une prestation de serment, et au secret professionnel, ces convergences ne peuvent permettre de conclure à la possibilité de partager des secrets professionnels. Chaque professionnel est gardien de son secret professionnel. Ainsi, le fait pour un médecin de transmettre le compte rendu opératoire d'une intervention d'esthétique à l'avocat de son patient, constitue un manquement au le secret professionnel (CDN, 24 avril 2009, n° 10031). D’ailleurs, même s’ils appartiennent à la même profession, ils ne partagent pas davantage leur secret. Ainsi, pour les médecins, la loi encadre la notion de secret partagé de manière drastique, la limitant à l’équipe de soin et aux seules informations indispensables à la prise en charge du patient et à la continuité des soins, ou la conditionnant à l’accord préalable du patient lorsque les informations sont échangées en dehors de l’équipe de soin (CSP, art. L. 1110-4 N° Lexbase : L4479L7Z). Deux médecins n’ayant pas de patient en commun ne peuvent en discuter. Deux avocats n’ayant pas de client commun ou successif (par exemple dans le cadre d’une succession, ou dans le cas d’un avocat à la Cour qui passe le relai à un avocat aux Conseils) ne peuvent pas davantage discuter de leurs clients.

La salle d’attente doit respecter le secret professionnel - Aucun texte ni aucune position ordinale ne traite spécifiquement de la question de la salle d’attente, mais l’étendue du secret professionnel auquel l’un et l’autre sont soumis implique nécessairement que l’identité de leurs clients et de leurs patients soit couverte par le secret. Au sujet du respect de l’anonymat, le fait pour un médecin, de transmettre au directeur de l’Agence régionale de santé des éléments non anonymisés du dossier médical d’une de ses patientes ou de mentionner des éléments permettant de lever l’anonymat constitue une violation du secret professionnel (Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, 16 avril 2019, n° 13986). En pratique, un médecin qui appelle son prochain patient par son nom dans une salle d’attente où il n’est pas seul viole le secret médical. La bonne pratique consisterait à appeler le « patient suivant » ou le numéro de dossier attribué. En ce qui concerne la profession d’avocat, dans laquelle la cadence des rendez-vous n’est pas tout à fait la même, les chances que les clients soient nombreux en salle d’attente sont moindres. D’ailleurs, l’existence même d’une salle d’attente n’est pas une obligation posée par les règles professionnelles qui se bornent à exiger un « des conditions matérielles conformes aux usages et dans le respect des principes essentiels de la profession » (RIN, art. 15.1). Dans le cas d’une file d’attente, il appartiendrait en toute logique à l’avocat de ne pas appeler le client par son nom, mais d’appeler le numéro de dossier. Cela exige d’informer au préalable le patient et le client de leur référence dossier, ou de confier cette tâche à l’accueil du cabinet. 

Confusions - Seule la salle d’attente peut être partagée (CA Besançon, 15 décembre 2020, n° 20/01072 N° Lexbase : A67504AA). Aucune confusion ne doit naître dans l’esprit des personnes accueillies. Ajouter un secrétariat commun et un traitement commun des communications paraît non conforme à l’exercice de l’une et de l’autre de ces professions (au sujet d’un partage trop étendu de moyens entre un avocat et un expert-comptable : CNB, comm.R.U., 24 juin 2014, avis n° 2014-023).

Conflits d’intérêts - Il va de soi que l’avocat qui partagerait ses locaux professionnels avec un médecin ne pourrait prendre l’un de ses patients comme client, pour un dossier contre ledit médecin.

Conflits d’obligations ? – Un obstacle inédit est né avec la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 posant une obligation vaccinale pour certains professionnels. En vertu de l’article 12 de cette loi, un médecin, comme son personnel, est tenu à l’obligation vaccinale contre le SARS-COV-2 et ne saurait continuer à partager une salle d’attente, ni même ses locaux, avec un professionnel qui n’y est pas tenu. Inversement, une lecture téléologique de la loi étendrait l’obligation vaccinale à l’avocat (et son personnel) en tant qu’il exercerait son activité dans un « demi » cabinet médical.  

Le partage de la salle d’attente est possible – Sous les conditions des règles et bonnes pratiques précitées, le partage de la salle d’attente entre un médecin et un avocat pourrait être admis. 

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Exclusion du droit de préemption du locataire commercial en cas de cession globale de l’immeuble du bailleur en liquidation judiciaire

Réf. : Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-19.174, F+B N° Lexbase : A12757RN

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N1134BZZ

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par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970

Le 13 Avril 2022

Mots-clés : bail commercial • procédures collectives • droit de préemption du preneur • ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente de gré à gré de l’immeuble • vente de l’immeuble dans sa globalité • volonté du propriétaire bailleur de vendre l’immeuble (non) • vente faite d’autorité de justice (oui) • recours contre les ordonnances du juge-commissaire

Instauré par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 et codifié à l'article L. 145-46-1 du Code de commerce, le droit de préemption du locataire commercial a soulevé de nombreuses questions, malgré l'existence de débats parlementaires, notamment quant à son champ d’application. L’arrêt rendu le 23 mars 2022 par la Cour de cassation revient sur une précision importante à propos de la volonté de la personne à l’initiative de la vente pouvant déclencher ce droit. Effectivement, la Chambre commerciale précise que la vente de gré à gré d’un immeuble pour partie donné à bail commercial par un bailleur en liquidation judiciaire est faite d'autorité de justice et ne donne par conséquent pas lieu au droit de préemption ouvert au locataire. Elle en déduit donc que le locataire est irrecevable à former un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente de l'immeuble dans la mesure où ses droits et obligations ne sont pas affectés par la décision puisqu’il n’a pas le droit de préempter.


 

1. Bien que cette décision ne soit pas totalement novatrice dans la solution qu’elle expose, elle mérite d’être soulignée en ce qu’elle tranche une difficulté relative à l’exclusion du droit de préemption entrevue par les commentateurs du droit des baux commerciaux [1]. Elle révèle, précisément dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, le caractère central de la volonté du propriétaire bailleur dans la vente de l’immeuble donné à bail commercial pour déclencher le droit de préemption dont bénéficie le locataire d’un local à usage commercial ou artisanal.

2. Dans l’espèce en question, une société bailleresse propriétaire d’un immeuble pour partie loué à usage commercial est placée en liquidation judiciaire par un jugement rendu le 29 novembre 2017. Par une ordonnance du 7 mai 2019, le juge-commissaire a par la suite autorisé la vente de gré à gré de l’intégralité de l’immeuble de la société débitrice au profit d’une autre société, au prix de 720 000 euros, sans qu’aucun recours n'ait été formé contre cette ordonnance. Le notaire de cette dernière société, chargé de la rédaction de l'acte de cession, a notifié le projet de vente à la société locataire des locaux commerciaux situés au sein de l'immeuble, et l'a informée de l'existence à son profit d'un droit de préemption. La société preneuse a confirmé, le 6 juin 2019, l’exercice de ce droit. Par une requête du 4 novembre 2019, le liquidateur, exposant les difficultés causées par cette notification, tandis que le projet d'acte de vente préparé par le notaire stipulait une clause selon laquelle la vente portait sur un immeuble vendu dans sa globalité donné pour partie à bail commercial, ce qui constituait, selon le lui, « une exemption au droit de préférence du preneur commercial », en a saisi le juge-commissaire. Par une ordonnance du 18 décembre 2019, le juge-commissaire a rétracté l'ordonnance du 7 mai 2019, ordonné l'ouverture d'un nouvel appel d'offres pour l'acquisition de l'immeuble en précisant que la société locataire ne disposait pas d'un droit de préemption sur le bien objet de la cession, et ordonné la notification de la nouvelle ordonnance, notamment à la société locataire et au dirigeant de la société bailleresse. La société locataire a donc entendu contester l’ordonnance du juge-commissaire, souhaitant que la vente soit prononcée à son profit en vertu du droit de préemption tiré de l'article L. 145-46-1 du Code de commerce N° Lexbase : L4529MBD.

3. La cour d’appel [2] ne fait pas directement droit au recours formé par la société locataire, mais annule quand même l'ordonnance du 18 décembre 2019 pour excès de pouvoir, en considérant que le juge‑commissaire était dessaisi par le prononcé de l'ordonnance du 7 mai 2019 ayant ordonné la vente de l'immeuble, à l'égard de laquelle aucun appel, aucune opposition, tierce-opposition ou recours en révision n'avait été effectué, que le liquidateur ne pouvait faire juger la difficulté tenant à l'application du droit de préemption du locataire que par la voie de l'appel et que le juge-commissaire ne pouvait donc pas rétracter cette décision. Insatisfaite d’une telle solution, la société bailleresse, par l’intermédiaire de son mandataire, se pourvoit en cassation. À l’appui de son pourvoi, elle reproche à la cour d’appel d’avoir annulé l'ordonnance du 18 décembre 2019 aux motifs que le recours contre les ordonnances du juge-commissaire n'est ouvert qu'aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectés par ces décisions et que le droit de préemption dont dispose le locataire commercial ne s'applique pas à une vente intervenue dans le cadre de la réalisation des actifs d'un débiteur en liquidation judiciaire, si bien que le locataire n’avait pas la qualité requise pour former le recours en question. Ce faisant, la cour d’appel aurait violé les articles L. 145-46-1 et L. 642-18 du Code de commerce N° Lexbase : L7335IZP, ainsi que les articles 31 N° Lexbase : L1169H43 et 125 N° Lexbase : L1421H4E du Code de procédure civile. C’est précisément à cette justification que souscrit la Cour de cassation. En effet, la Chambre commerciale, après avoir confirmé la recevabilité du moyen de pur droit, en justifie le bien-fondé. Au visa des articles L. 145-46-1, L. 642-18 et R. 642-37-1 N° Lexbase : L0334INP du Code de commerce, elle affirme , d’une part, que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice, de sorte qu’il en résulte que les dispositions du premier texte visé, qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables et qu'une telle vente ne peut donc donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par le locataire commercial, et que le recours contre une ordonnance du juge-commissaire, qui doit être formé devant la cour d'appel, n'est ouvert qu'aux tiers dont les droits et obligations sont affectés par la décision. D’autre part, elle déclare que la cour d'appel a violé les textes sus-cités, dans la mesure où la vente de l'immeuble autorisée par le juge‑commissaire au titre des opérations de liquidation judiciaire de la société bailleresse ne pouvait donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par la société locataire et où les droits et obligations de celle-ci n'étaient pas affectés par l'ordonnance du 18 décembre 2019 contre laquelle elle n'était donc pas recevable à former un recours.

4. Si l’inapplicabilité du droit de préemption du locataire commercial soulève quelques interrogations (I), l’irrecevabilité du recours en annulation de l’ordonnance autorisant la vente judiciaire de l’immeuble fondée sur le défaut du droit de préférence apparait justifiée (II).

I. L’inapplicabilité du droit de préemption du locataire commercial en l’absence de volonté du propriétaire bailleur de vendre l’immeuble

5. Depuis la loi dite « Pinel » [3], qui a créé un droit de préemption au profit du locataire d’un local à usage commercial ou artisanal, ce droit est encadré par un texte d’une relative longueur et ponctué de nombreuses exceptions. Précisément, l'article L. 145-46-1, alinéa 1er, du Code de commerce énonce d’abord qu'il y a lieu à droit de préemption « lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci », ce qui suppose l’existence d’un local, d’une personne qui en soit propriétaire ainsi que d’une vente réalisée à l’initiative de ce propriétaire. Le dernier alinéa de l’article pose ensuite cinq exceptions à l’application du droit de préemption : en cas de cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial ; de cession unique de locaux commerciaux distincts ; de cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial ; de cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux ; de cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint. Il est encore possible de citer une exclusion qui provient de la mise en œuvre du droit de préemption institué aux chapitres Ier et II du titre Ier du livre II du Code de l'urbanisme ou à l'occasion de l'aliénation d'un bien sur le fondement de l'article L. 213-11 du même code N° Lexbase : L4849MB9. Au-delà de ces conditions, le texte reste silencieux et n’envisage ni le cas de la vente par adjudication (amiable ou consécutive à une saisie immobilière) ni celui de la vente de gré à gré autorisée par le juge-commissaire dans une liquidation judiciaire [4]. C’est exactement sur cette question que la solution commentée se prononce en premier lieu.

6. Il découle de la lecture de l’article L. 145-46-1 précité que le droit de préemption peut être évincé pour deux raisons principales : soit parce que les exigences afférentes au local, à la propriété de celui-ci et à la volonté de le vendre ne sont pas remplies, soit parce qu’on se trouve en présence de cessions expressément exclues du champ d’application de ce droit. La seconde cause est d’apparence la plus simple et c’est d’ailleurs celle qui a été relevée par le liquidateur judiciaire pour saisir le juge-commissaire en vue de la rétractation de sa première ordonnance et qui a trait au fait qu'il s'agisse de la vente, dans sa globalité, d'un immeuble donné pour partie à bail commercial. Cette exception a été reprise par le bailleur dans son pourvoi, mais seulement dans la seconde partie de son moyen, pour contester l’annulation de la seconde ordonnance du juge-commissaire et écarter l’application du droit de préemption du locataire. Pourtant, ce n’est pas sur ce terrain que répond la Cour de cassation. Bien que cette exception génère de nombreuses interrogations, elle peut être utilisée lorsque deux exigences sont satisfaites : la cession doit être globale et l'immeuble doit comprendre des locaux commerciaux [5]. La première exigence implique que tout l'immeuble soit vendu et que le bien vendu soit plus vaste que l'assiette du bail. Le second critère vise le fait que l'immeuble doit contenir des locaux commerciaux (une seule exploitation commerciale étant normalement suffisante [6]), ce qui semble suggérer que l'immeuble doit comprendre aussi des locaux d'une autre nature. L’arrêt n’offre pas davantage de précisions quant à la composition de l’immeuble objet de la vente, ce qui permet difficilement d’apprécier la mise en œuvre effective de cette exception dans les faits d’espèce. Quoi qu’il en soit et bien que la Cour de cassation n’ait pas fait référence à cette exception, il s’agit bien d’une possibilité d’empêcher le jeu du droit de préemption du locataire commercial [7], de prime abord plus évidente que celle qui ressort d’une lecture interprétative et combinée des articles L. 145-46-1 et L. 642-18 du Code de commerce.

7. Malgré l’apparente simplicité de ce raisonnement, le demandeur au pourvoi a développé dans la première branche de son moyen un autre argument, plus hasardeux, pour remettre en question l’annulation de l’ordonnance du juge-commissaire : celui de l’inapplication du droit de préemption en cas de vente intervenue dans le cadre de la réalisation des actifs d'un débiteur en liquidation judiciaire. C’est cette voie que va suivre la Cour de cassation. Face au silence du Code de commerce, il y avait légitimement lieu de penser qu’aucune distinction ne soit à faire en fonction des modalités de la vente (adjudication ou vente de gré à gré autorisée). Partant, la doctrine prétend que l'adjudication amiable, qui est le résultat d'un choix du propriétaire, devrait relever du droit de préemption, alors que l'adjudication consécutive à une saisie immobilière devrait l’exclure, dans le sens où l'article L. 145-46-1, qui ne vise que le cas où le propriétaire envisage de vendre son local, paraît limiter le droit de préemption aux seules ventes volontaires [8]. À cet égard, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a refusé d'appliquer le droit de préemption tiré de l'article L. 145-46‑1 du Code de commerce à une vente judiciaire, spécifiquement une vente sur adjudication consécutive à une saisie immobilière, qui ne pouvait donc pas être considérée comme un acte volontaire [9]. De façon plus éloignée, il a également été jugé que la loi dite « Carrez » ne s'applique pas à une adjudication sur saisie, car le jugement d'adjudication ne constitue pas un « contrat réalisant ou constatant une vente » [10]. De même, le droit de préemption est exclu en l’absence de volonté de vendre du propriétaire [11]. De façon plus profonde, pour un auteur, le droit de préférence du locataire commercial devrait être maintenu en cas de cession isolée d’actif (adjudication amiable ou cession de gré à gré autorisée), car « il ne s’agit pas à proprement parler d’une aliénation forcée » et parce que la cession du bien immobilier répond au seul objectif « d’obtenir une somme avantageuse afin de faciliter l’apurement du passif du propriétaire », dont la réalisation est indifférente à la personnalité du cessionnaire [12]. Il n’existerait donc ici « aucune justification économique à la suppression de ces droits, lesquels doivent donc être maintenus » [13]. De surcroît, en considération du but même du droit de préemption institué par le statut des baux commerciaux, qui tend à assurer la stabilité du fonds de commerce et par là même la pérennité de l’activité économique [14], ce droit de préférence devrait être maintenu en cas de cession isolée d’actif. Si les deux derniers arguments nous paraissent convaincants, le premier est moins évident à saisir. Une vente autorisée, intervenant dans le cadre d’une procédure collective, est-elle vraiment voulue par le vendeur ? La réponse apparaît négative pour certains, eu égard à l’objectif même poursuivi par le droit des entreprises en difficulté, qui tend à venir en aide aux entreprises qui connaissent des difficultés pour assurer le paiement de leurs dettes, et qui dicte bien souvent le sort de l’actif [15]. Dans cette hypothèse, le propriétaire du bien « n'envisage » pas de vendre son bien, mais y est bel et bien contraint par les modalités de réalisation de l'actif exigées par le déroulement de la procédure collective. Toutefois, le curseur peut être positionné autrement pour laisser place à une autre vision qui se cristallise dans le fait que la vente de gré à gré est quand même sollicitée par le débiteur, ce qui marque un acte de volonté de vendre. Malgré l’intérêt de cette analyse, les Hauts conseillers ont jugé que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice et que le droit de préemption issu de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce ne lui est pas applicable. Même qualifiée de gré à gré, la vente de l’immeuble constitue manifestement bien une vente faite par autorité de justice au sens de l'article 1684 du Code civil N° Lexbase : L1794AB3 [16], de sorte que le droit de préemption du locataire ne peut lui être rattaché en l’absence de volition du propriétaire bailleur. Cette solution démontre que la volonté de vendre du propriétaire bailleur constitue un élément crucial pour déclencher le droit de préemption [17]. En tout état de cause, le droit de préemption aurait pu être éludé selon le premier fondement.

Les Hauts magistrats ne pouvaient ensuite qu’en déduire que le recours formé contre une ordonnance du juge-commissaire n'est pas ouvert au locataire non bénéficiaire d’un droit de préemption.

II. L’irrecevabilité du recours en annulation de l’ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente de gré à gré en présence d’un locataire non bénéficiaire d’un droit de préemption

8. D’après l’article L. 642-37-1 du Code de commerce, les ordonnances du juge-commissaire en matière de cession d’actifs sont susceptibles d'un recours devant la cour d'appel [18]. En outre, il faut savoir que le droit d’exercer ce recours est ouvert non seulement aux parties à la décision prononcée par le juge-commissaire, mais également à toute personne dont les droits et obligations sont affectés par ladite ordonnance, dans les dix jours de sa communication ou notification. La Cour de cassation a posé ce principe au profit d'un tiers, en l'espèce un créancier inscrit sur l'immeuble cédé, de sorte que la cour d'appel peut se trouver directement saisie par un intéressé qui n'était pas partie à la procédure devant le juge-commissaire [19]. À ce titre, il a été jugé, dans le cas de la cession d'un bail portant sur un actif mobilier, tel qu'un contrat de location avec option d'achat, que le bailleur, dont les droits sont affectés par l'ordonnance du juge-commissaire, a pu former recours contre cette décision devant la cour d'appel [20]. De la même manière, en cas de cession d'un immeuble pendant la procédure de liquidation judiciaire, un tiers qui prétend avoir acquis le bien en question avant le jugement d'ouverture peut former un recours [21]. A contrario, la cession d'un contrat de licence à une société constituée au Luxembourg par une société en redressement judiciaire, en vue d'exploiter une activité d'édition, n'affecte les droits et obligations du garant du paiement des redevances que de manière indirecte, si bien qu’il en résulte que le recours prévu par l'article R. 621-21 du Code de commerce N° Lexbase : L9244LTK ne lui est pas ouvert [22]. C’est sur ces deux points que la solution analysée revient en second lieu.

9. Elle applique strictement le principe attaché à la qualité de la personne qui conteste une ordonnance rendue par le juge-commissaire et casse l'arrêt d'appel en ce qu'il annule pour excès de pouvoir l'ordonnance du 18 décembre 2019. Elle approuve l’argumentation du mandataire demandeur au pourvoi en cassation, qui n’entrait que subsidiairement dans les considérations retenues par la cour d’appel tenant à l’excès de pouvoir du mandataire et reposait principalement sur le défaut de qualité du locataire pour former un recours contre l'ordonnance du 18 décembre 2019. Si le locataire avait été bénéficiaire du droit de préemption prévu par l’article L. 145-46-1 du Code de commerce et que celui-ci était affecté par l’ordonnance, l’excès de pouvoir résultant de la rétractation de la première ordonnance aurait peut-être pu être invoqué utilement pour annuler l'ordonnance du 18 décembre. En principe, une fois rendue, l’ordonnance du juge-commissaire revêt l’autorité de chose jugée, ce qui présume que le juge est dessaisi et ne saurait revenir sur sa décision [23]. A priori, il ne pourrait en aller autrement que pour une décision dont le caractère gracieux est indiscutable et dont la remise en cause n’est, elle-même, susceptible de soulever aucune contestation [24], ce qui ne semble pas être le cas dans l’affaire litigieuse. Outre cette hypothèse, l’ordonnance ne peut donc être remise en cause que par l’exercice d’une voie de recours. On aurait alors pu admettre que le juge-commissaire a commis un excès de pouvoir dès lors qu’il était dessaisi de son pouvoir dès le prononcé de la première ordonnance du 7 mai 2019 à l'égard de laquelle aucun recours n'avait été effectué et que le liquidateur ne pouvait faire juger la difficulté tenant à l'application du droit de préemption du locataire que par la voie de l'appel. Cependant, la difficulté ne se trouvait en réalité pas là, mais bel et bien dans le défaut de qualité pour former le recours. C’est pourquoi la Cour de cassation considère qu’en présence d’une vente de l'immeuble autorisée par le juge-commissaire au titre des opérations de liquidation judiciaire ne pouvant donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption, les droits et obligations du locataire n'étaient pas affectés par l'ordonnance du 18 décembre 2019 contre laquelle il n'était donc pas recevable à former un recours. C’est parce que le locataire n’a aucun droit de préemption qu’il ne peut former un quelconque recours contre l’ordonnance en cause. En d’autres termes, les droits et obligations du preneur ne pouvaient être affectés à proprement parler par l'ordonnance du juge puisque celui-ci était dans l’impossibilité d’exercer son droit de préférence.

10. Il s’en infère alors, assez logiquement selon nous, pour la Cour de cassation, statuant au fond conformément à l’article L. 411‑3, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L2546LBW, que le recours formé par la société locataire contre l'ordonnance du juge-commissaire est irrecevable et qu’il n'y a donc pas lieu à renvoi, en application de l’article susvisé et de l’article 627 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8428IRL.

 

[1] V. en ce sens : B.-H. Dumortier, Bail commercial. - Droits de préemption. - Droit de préemption des communes. - Droit de préemption du locataire commercial, J.-Cl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1455, février 2022, n° 69 ; F. Kendérian, Droit de préemption légal du preneur à bail commercial et procédures collectives : quelle articulation ?, RLDA, octobre 2016, n° 119, p. 44 ; F. Roussel, Ph. Viudès et B. Saintourens, Le droit de préférence du preneur à bail commercial : le nouvel article L. 145-46-1 du Code de commerce (1re partie), Rev. loyers, avril 2015, n° 956, p. 170 ; F. Planckeel, Le nouveau droit de préemption du locataire commercial, AJDI, septembre 2014, n° 9, p. 595 ; B.-H. Dumortier, Le domaine du droit de préemption du locataire commercial, AJDI, novembre 2015, n° 11, p. 759.

[2] CA Paris, 5-9, 2 juillet 2020.

[3] Loi n° 2014-626, du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises N° Lexbase : L4967I3D.

[4] F. Kenderian, préc. cit.

[5] B.-H. Dumortier, Bail commercial. - Droits de préemption. - Droit de préemption des communes. - Droit de préemption du locataire commercial, op. cit., n° 74.

[6] QE n° 98594 de M. Didier Quentin, JOANQ 30 août 2016, réponse publ. 6 décembre 2016 p. 10078, 14ème législature N° Lexbase : L7101LBM.

[7] Cass. civ. 3, 17 mai 2018, n° 17-16.113, FS-P+B+I N° Lexbase : A9692XMW, Ch. Lebel, Lexbase Affaires, juin 2018, n° 557 N° Lexbase : N4658BXS ; Dalloz Actualité, 24 mai 2018, obs. Y. Rouquet ; D., 2018, p. 1070 ; AJDI, 2018, p. 605, obs. J.-P. Blatter ; ibid., p. 578, étude P. Viudès et F. Roussel ; RTD com., 2018, p. 605, obs. F. Kendérian. 

[8] B.-H. Dumortier, Bail commercial. - Droits de préemption. - Droit de préemption des communes. - Droit de préemption du locataire commercial, op. cit., n° 69.

[9] Cass. civ. 3, 17 mai 2018, n° 17-16.113, préc.

[10] Cass. civ. 2, 3 octobre 2002, n° 00-18.395, FS-P+B+R N° Lexbase : A8995AZ8, AJDI 2003, p. 41, obs. Y. Rouquet.

[11] CA Bastia, 20 janvier 2016, n° 15/00833 N° Lexbase : A2441N48.

[12] F. Kendérian, Droit de préemption légal du preneur à bail commercial et procédures collectives : quelle articulation ?, op cit.

[13] Ibid.

[14] Ibid. ; v. aussi sur l’idée de pérennisation de l’activité économique : M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, préf. A.-M. Luciani, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2021.

[15] B. Ferrari, Droit de préemption du preneur commercial et vente d'un immeuble en liquidation judiciaire, obs. sous Cass. com, 23 mars 2022, n° 20-19.174, Dalloz Actualité, 5 avril 2022.

[16] A. Lévi et alii, Lamy droit commercial, 2022, n° 4607 ; v. déjà en ce sens : Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-27.899, FS-P+B+I N° Lexbase : A9406WBY; Act. proc. coll., 2018, alerte 146, G. Blanc ; JCP G, 2017, act. 564, obs. A. Duméry ; B. Brignon, Lexbase Affaires, juin  2017, n° 514 N° Lexbase : N8918BW9 – Cass. civ. 3, 6 octobre 2010, n° 09-66.683, FS-P+B N° Lexbase : A3784GBR, D., 2010, p. 2429 – Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.185, FS-P+B N° Lexbase : A7317DCY, D., 2004, p. 2045.

[17] B. Ferrari, op. cit.

[18] A. Lévi et alii, Le Lamy droit commercial, op. cit., n° 5000 ; v. pour un récapitulatif des voies de recours concernant les principales décisions : ibid., n° 5005.

[19] Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-19.622, FS-P+B N° Lexbase : A0883RQR, D., 2016, p. 2245, note F. Arbellot ; Dr. et procéd., 2016, n° 4, p. 85, note F. Arbellot ; A. Cerati-Gauthier, Lexbase Affaires, juin 2016, n° 472 N° Lexbase : N3448BWM.

[20] Cass. com., 20 septembre 2017, n° 16-15.829, F-P+B+I N° Lexbase : A7595WS4.

[21] Cass. com., 3 avril 2019, n° 17-28.954, F-P+B N° Lexbase : A3232Y89, Bull. Joly Entrep. en diff., 2019, p. 46, note J. Théron ; Rev. proc. coll. 2019, n° 5, n° 129, note P. Cagnoli.   

[22] Cass. com., 29 mai 2019, n° 18-14.606, F-D N° Lexbase : A1043ZDY.

[23] IFPPC et Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce, Manuel théorique et pratique à l’usage des juges-commissaires, Traitement des procédures de sauvegarde, redressement judiciaire & liquidation judiciaire des entreprises, p. 32.

[24] Par exemple, il pourrait s’agir d’une ordonnance autorisant le liquidateur à « engager en tant que de besoin toute action appropriée » à l’encontre d’un tiers : Cass. com., 19 décembre 2000, n° 97-20.551, inédit N° Lexbase : A3232CXY.

newsid:481134

Droit pénal de l'environnement

[Brèves] Dissimulation du dépôt de déchets dangereux : le délai de prescription ne commence à courir qu’à la découverte de l’infraction

Réf. : Cass. crim., 12 avril 2022, n° 21-81.696, F-D N° Lexbase : A4362XMI

Lecture: 3 min

N1162BZ3

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par Adélaïde Léon

Le 27 Avril 2022

Lorsque l’infraction est constituée par la dissimulation du dépôt de déchets dangereux, destinée à empêcher la connaissance de ces faits, le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir qu’à partir du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites.

Rappel des faits. Une société a été poursuivie du chef d’abandon et de dépôt illégal de déchets dangereux, pour avoir, entre le 1er janvier 2002 et le 31 janvier 2006, sur le territoire de plusieurs communes déversé des résidus de broyage automobile dans des sites non habilités pour les recevoir.

En première instance, les juges ont constaté la prescription de l’action publique et déclaré irrecevable la constitution de partie civile d’une association.

Cette dernière a relevé appel du jugement.

En cause d’appel. Sur renvoi après cassation (Cass. crim., 2 mai 2018, n° 17-82.643, F-D N° Lexbase : A4362XMI), la cour d’appel a rejeté l’exception de prescription de l’action publique et prononcé sur les intérêts civils.

La chambre correctionnelle a estimé que les dépôts de déchets reprochés à la société en cause constituaient une infraction occulte. En effet, selon les juges d’appel, les faits reprochés avaient consisté en une dissimulation des déchets sur des terrains en l’absence de toute information des utilisateurs de ces espaces.

La cour d’appel avait donc jugé que, s’agissant d’une infraction occulte, le point de départ de la prescription devait être fixé non à la date du dépôt des déchets mais à la date de la dénonciation des faits par une association de défense de l’environnement concernant un des sites et qui a amené à la découverte des déchets sur les autres sites, c’est-à-dire en octobre 2008.

La société prévenue a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Moyens du pourvoi. Il était reproché à la cour d’appel d’avoir rejeté l’exception de prescription de l’action publique en reportant le point de départ de l’infraction à la date de son apparition et de sa constatation prétexte pris que ledit dépôt avait été dissimulé. Selon le pourvoi, les juges d’appel avaient ainsi méconnu les dispositions de l’article 112-2, 4° du Code pénal N° Lexbase : L0454DZT relatives à l’application dans le temps des loi relatives à la prescription de l’action publique. La société semblait estimer que l’article 9-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6211LLM dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 N° Lexbase : L0288LDZ ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce.

Décision. La chambre criminelle rejette le pourvoi affirmant, sans détour, que le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir, en cas de dissimulation destinée à empêcher la connaissance de l’infraction, qu’à partir du jour où celle-ci est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites.

Pour aller plus loin : E. Raschel, ÉTUDE : Les causes d’extinction de l’action publique, La prescription, Les caractères généraux de la prescription de l’action publique, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E5007ZRU.

newsid:481162

Fiscalité immobilière

[Brèves] Précisions du dispositif « Loc’Avantages » : quand louer à moindre coût devient rentable

Réf. : Décret n° 2022-465, du 31 mars 2022, relatif aux conventions portant sur un immeuble ou un logement conclues par l'Agence nationale de l'habitat N° Lexbase : L2032MCA

Lecture: 3 min

N1093BZI

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par Marie-Claire Sgarra

Le 10 Juin 2022

Le décret n° 2022-465, du 31 mars 2022, publié au Journal officiel du 1er avril 2022, modifie les dispositions relatives au conventionnement entre l'Anah (Agence nationale de l’habitat) et les propriétaires bailleurs et définit les modalités d'application de la réduction d'impôt sur le revenu prévue, pour les propriétaires bailleurs conventionnant avec l'Anah à l'article 199 tricies du CGI.

Rappel. L’article 67 de la loi de finances pour 2022 (loi n° 2021-1900, du 30 décembre 2021, de finances pour 2022 N° Lexbase : L3007MAM, art. 67) prévoit la fin anticipée du dispositif Cosse-ancien (« Louer abordable ») et le remplace par le dispositif « Loc’ Avantages ».

Principe. Les propriétaires bailleurs utilisant « Loc’Avantages » louent leur bien à un loyer inférieur au marché local et obtiennent une réduction d’impôt en contrepartie. Les niveaux de loyer plafonds sont définis sur la base des loyers réels observés dans la commune où est situé le bien.

Conditions. La réduction d’impôt s’applique si les conditions suivantes sont remplies :

  • fixer un loyer dont le montant est inférieur au prix du marché local ;
  • louer un logement que le locataire occupera en tant que résidence principale ;
  • louer à un locataire dont les ressources ne dépassent pas un plafond fixé par l’État ;
  • proposer à la location un bien non meublé ;
  • louer pour une durée de six ans minimum ;
  • ne pas prendre comme locataire un membre de sa famille ;
  • ne pas louer un logement classé en E ou F, autrement dit une passoire thermique.

Trois niveaux de loyer

  • Loc 1 : le loyer se situe 15 % en dessous des loyers du marché ;
  • Loc 2 : le loyer se situe 30 % en dessous des loyers du marché ;
  • Loc 3 : le loyer se situe 45 % en dessous des loyers du marché.

 

Montant de la réduction d’impôt

 

Niveau de loyer

Taux de réduction d’impôt sans intermédiation locative

Taux de réduction d’impôt avec intermédiation locative

Loc 1

15 %

20 %

Loc 2

35 %

40 %

Loc 3

recours à une intermédiation locative obligatoire

65 %

 

Une sécurité renforcée avec l'intermédiation locative. Le bailleur peut bénéficier de l'intermédiation locative avec l'intervention d'une association ou d'une agence immobilière à vocation sociale. Cet intermédiaire assure le paiement des loyers et garantit de récupérer le bien en bon état. La réduction d'impôt est majorée et peut atteindre jusqu'à 65 % des revenus locatifs. Le bailleur peut également bénéficier d'une prime de 3 000 euros maximum.

 

Les aides aux travaux proposées par l'Anah :

  • jusqu'à 15 000 euros d'aides pour des travaux de rénovation énergétique ;
  • jusqu'à 28 000 euros pour une rénovation lourde.

La plateforme de dépôt de l’Anah a ouvert le 1er avril 2022, mais tout bail prenant effet à partir du 1er janvier 2022 est éligible à Loc’Avantages s’il respecte les conditions ci-dessus [en ligne].

La demande de convention devra être déposée sur la plateforme de l’Anah :

  • avant le 1er mai 2022 pour les baux signés avant le 1er mars 2022 ;
  • dans un délai de deux mois pour les baux signés après le 1er mars 2022.

Un simulateur en ligne est d’ores et déjà mis à la disposition des propriétaires pour leur permettre de calculer l’avantage fiscal dont ils peuvent bénéficier [en ligne].

Retrouvez le dossier de presse [en ligne].

Que prévoit le texte ? Le décret n° 2022-465, du 31 mars 2022 :

  • définit les modalités d'application de la réduction d'impôt prévue, pour les propriétaires bailleurs conventionnant avec l'Anah ;
  • modifie les dispositions relatives au conventionnement entre l'Anah et les propriétaires bailleurs ;
  • procède à la révision des clauses types des conventions passées entre l'agence et les bailleurs de logements ;
  • précise les modalités de fixation des plafonds de loyer ainsi que les plafonds de ressources des locataires.

Le décret est entré en vigueur le 2 avril 2022.

 

newsid:481093

Licenciement

[Brèves] Pas de nullité du licenciement en cas d’irrégularité dans la procédure disciplinaire conventionnelle

Réf. : Cass. soc., 6 avril 2022, n° 19-25.244, F-B N° Lexbase : A32247S9

Lecture: 2 min

N1079BZY

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par Charlotte Moronval

Le 14 Avril 2022

► Si l'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur est assimilée à la violation d'une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié des droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur, elle n'est pas de nature à entacher le licenciement de nullité.

Faits et procédure. Un salarié et sa supérieure hiérarchique saisissent la direction éthique de la SNCF, leur employeur. Se fondant sur le rapport de la direction éthique, l'employeur notifie au salarié une mesure de suspension et le convoque devant le conseil de discipline. Il est licencié le 25 septembre 2013.

Pour dire le licenciement nul, la cour d’appel (CA Angers, 19 septembre 2019, n° 18/00711 N° Lexbase : A0886ZYH) retient que :

  • s'il résulte du procès-verbal du conseil de discipline que celui-ci a entendu les explications du salarié et a pris connaissance de ses pièces, il apparaît cependant que sa décision repose largement sur le contenu du rapport de l'éthique puisqu'il n'est fait mention d'aucune autre audition ;
  • le rapport d'enquête de la direction de l'éthique, qui a été un élément déterminant dans la prise de décision du conseil de discipline, s'analyse en une compilation de témoignages anonymes. Dans ces conditions, même si le salarié a eu connaissance du contenu de ce rapport, à l'évidence, il n'a pas pu apporter des explications circonstanciées sur tous les griefs qui lui étaient reprochés avant que ne soit prise la mesure de licenciement ;
  • le conseil de discipline ne pouvait fonder sa décision de manière déterminante sur le rapport de l'éthique principalement composé de témoignages anonymes.

La cour d’appel en conclut que la procédure disciplinaire mise en oeuvre par la société ayant violé les droits de la défense, le licenciement doit donc être déclaré nul.

La société forme un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel.

Elle rappelle que le conseil de discipline, ayant un rôle purement consultatif, ne constitue pas un tribunal au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, de sorte que les dispositions de ce texte, relatives au droit à un procès équitable, ne lui sont pas applicables.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les spécificités du licenciement disciplinaire, La consultation d'un conseil de discipline préalablement au licenciement : une garantie de fond pour le salarié, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E5165EXL.

newsid:481079

Procédure civile

[Jurisprudence] L’huissier et l’insécurité née de l’article 145 du Code de procédure civile

Réf. : Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 20/21925, F-B N° Lexbase : A27717R3 et CA Lyon, 6 avril 2022, n° 21/06566 N° Lexbase : A48657SY

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N1163BZ4

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par Sylvian Dorol, Huissier de justice associé (Vénézia & Associés), Intervenant à l’ENM, EFB et Sébastien Racine, Huissier de justice associé (Jourdain, Dubois & Racine), Intervenant à l’ENM et à l’EFB

Le 14 Avril 2022

Mots-clés : constat • article 145 • ordonnance • huissier • séquestre

Deux très intéressantes décisions rendues respectivement par la Cour de cassation le 24 mars 2022 et par la cour d’appel de Lyon le 6 avril suivant intéressent l’huissier de justice praticien des « ordonnances 145 ». L’occasion de proposer un point sur le thème tout en évoquant ces arrêts.


Obtenir une ordonnance rendue sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (CPC) N° Lexbase : L1497H49, c’est bien. Mais ce n’est pas tout : encore faut-il que l’ordonnance ne porte pas en elle-même le nid de contentieux futurs.

Spécialistes de la matière, les huissiers de justice savent que ces contentieux futurs naissent fréquemment des termes mêmes de l’ordonnance, voire de ses silences dans lesquels grandissent les interrogations et suspicions.

La matière, si fréquente en pratique comme le montre l’activité de la Cour de cassation sur la question, repose cependant sur de très faibles fondements textuels. Il apparaît alors étonnant que ce soit l’œuvre du juge qui génère ce contentieux…

Étonnant, mais compréhensible dans la mesure où il est souvent saisi par voie de requête, non contradictoirement. Les possibles imperfections de la requête rejaillissent donc nécessairement sur l’ordonnance.

Les huissiers de justice connaissent ces contestations avant et après la mesure. Mais cela n’empêche pas ces officiers publics et ministériels de s’interroger sur les conditions et conséquences de leur nomination, sur la nécessité ou non d’être porteur de l’original avec formule exécutoire, sur l’opportunité des mots-clés…

C’est ainsi que, à la lumière de deux récentes décisions (Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n°20/21925, F-B N° Lexbase : A27717R3 et CA Lyon, 6 avril 2022, n° 21/06566 N° Lexbase : A48657SY), il est nécessaire de proposer un point et éclaircir certaines problématiques pouvant naître avant l’opération (I) ou lors de celle-ci (II).

I. Les éclaircissements avant l’opération

Lorsque l’huissier de justice instrumente en vertu de l’article 145 du Code de procédure civile, il agit en vertu d’une décision du juge qui va légitimer sa nomination son pouvoir (A), et qu’il va faire valoir (B).

A. Un éclaircissement : la nomination

Il est constant que seul un huissier de justice peut exécuter une ordonnance sur requête, du fait de sa nature coercitive. Il ne s’agit pas uniquement de constater, mais de sauver une preuve au mépris des oppositions qui pourraient exister, comme une simple porte fermée.

Dans la pratique, l’avocat présentant au juge des requêtes sa demande joint également un projet d’ordonnance, au format texte à la demande du magistrat. Bien souvent, l’avocat souhaite que l’huissier de justice avec lequel il travaille habituellement soit nommé par le magistrat, désir qui se traduit par l’indication du nom de ce dernier, ou de son étude, sur le projet d’ordonnance.

Bien évidemment, il appartient au magistrat de désigner expressément l’huissier de justice qui instrumentera, ou en laisser le choix au requérant [1] étant ici préciser que cette possibilité ne prive pas l’huissier de justice de son indépendance.

Cependant, il n’est nullement obligatoire que l’huissier de justice soit nommé expressément. À ce titre, il semble opportun de préciser que les dispositions de l’article 249 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1761H4Y sont sans rapport avec les dispositions de l’article 145 du même code. C’est ce qu’est venue rappeler une décision de la cour d’appel de Lyon [2], précisant par la même que, « les mesures de constats auxquelles l’huissier doit procéder ne requièrent aucunement un savoir technique particulier ».

S’il a été nommé par le juge, l’huissier de justice ne peut se faire substituer par un de ses confrères [3], ou même par un de ses associés [4] (sauf dans l’hypothèse où le juge a désigné la société d’huissiers de justice pour instrumenter, auquel cas tout huissier de justice, associé ou salarié, au sein de la structure pourra instrumenter). Dans la pratique, l’huissier recommandera à son client de désigner son étude plutôt que lui, afin de se prémunir de tout empêchement (notamment en période de Covid-19).

B. Présentation de la minute

En pratique, et dans le silence des textes, les huissiers de justice signifient copies des requête et ordonnance revêtues de la formule exécutoire, et présentent l’original de la décision en vertu duquel ils agissent. Deux questions éminemment pratiques se dessinent.

La première interrogation est relative à l’absence de la formule exécutoire. En effet, il n’est pas exceptionnel que l’ordonnance rendue sur requête remise à l’huissier de justice ne porte pas de formule exécutoire. Que faire dans cette hypothèse puisque l’article 502 du code de procédure civile dispose expressément que « Nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d'une expédition revêtue de la formule exécutoire, à moins que la loi n'en dispose autrement » ? Afin de répondre à ce questionnement, il faut rappeler que l’article 495, alinéa 2 N° Lexbase : L6612H7Z, du même code prévoit que l’ordonnance est exécutoire sur minute, ce qui constitue une exception à l’article 502 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6619H7B. Mais entre la théorie et la pratique, il peut exister une grande différence, les huissiers de justice ne le savent que trop bien.

Que se passe-t-il sur le terrain de l’exécution lorsque l’huissier de justice signifie ou instrumente en vertu d’une ordonnance non revêtue de la formule exécutoire ? Il existe un arrêt, à ce jour encore trop confidentiel, qui répond à la problématique. Dans cette décision de la cour d’appel versaillaise, les magistrats jugent « qu’il est également constant qu'en application de l'article 502 in fine, qui prévoit une simple remise de copie et non une signification, la formule exécutoire n'a pas à figurer sur les décisions exécutoires sur minute ce qui est bien le cas des ordonnances sur requête […] » et concluent « il n'appartenait pas plus à l'huissier instrumentaire de produire ou de remettre une copie de l'ordonnance revêtue de la formule exécutoire' au préposé de la société X […] dès lors que l'ordonnance sur requête, en ce qu'elle est exécutoire au seul vu de la minute conformément aux dispositions de l'article 503, alinéa 2, du Code de procédure civile N° Lexbase : L6620H7C, n'est dès lors pas revêtue de la formule exécutoire, étant relevé que les tiers opposants soutiennent, sans être contredits, que le greffe ne délivre que deux originaux des ordonnances sur requête, l'un destiné au requérant et l'autre au greffe et qu'il ne délivre pas de copie, simple ou exécutoire, de la décision » [5].

La seconde question est relative à la situation où l’huissier de justice n’est pas porteur de ma minute, c’est-à-dire de l’original de l’ordonnance. Cela est fréquemment le cas lors d’opérations multi-sites réalisées concomitamment par une équipe d’huissiers de justice. Un seul original étant délivré, comment faire pour les autres huissiers ? D’autant, qu’en pratique, outre la signification de la requête et de l’ordonnance, une pratique courante consiste à ce que l’huissier de justice instrumentaire indique qu’il est porteur de la minute et qu’il présente généralement cette dernière à la personne qui subit la mesure. Une pratique courante consiste également à porter au procès-verbal de constat la mention de cette diligence.

Cependant les textes ne prévoient nullement cette obligation, de fait, surérogatoire. C’est d’ailleurs ce qu’est venue préciser une décision de la Cour d’appel de Lyon rendue le 6 avril 2022 [6] qui a eu à se prononcer sur la validité d’un constat d’huissier de justice dans lequel ce dernier n’avait pas mentionné avoir présenté la minute de l’ordonnance. Le juge a néanmoins écarté cette demande au motif que l’ordonnance avait été signifiée préalablement aux opérations de constatations, ce qu’il considère comme une diligence suffisante, et remplaçant utilement, la présentation de la minute.

Il est possible de saluer cette décision pleine de bon sens pour plusieurs raisons.

La première raison est que l’article 495 du Code de procédure civile prévoit seulement que la présentation de l’original exonère l’huissier de justice de sa nécessaire notification prévue à l’article 503 du Code de procédure civile.

La deuxième raison est qu’aucun texte n’exige que l’huissier de justice soit porteur de l’ordonnance rendue au visa de l’article 145 du Code de procédure civile. La pratique naît d’un souci de sécurité juridique inspirée de l’article R. 141-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2183ITZ « La remise du titre exécutoire à l'huissier de justice vaut pouvoir pour toute exécution pour laquelle il n'est pas exigé de pouvoir spécial ». La lecture de cet alinéa laisse penser qu’il est tout à fait possible d’agir sans l’original à condition d’avoir un pouvoir exprès.

La troisième et dernière raison est que, en cas d’exécution multi-sites, la « certification conforme à l’original » réalisée par l’huissier porteur de la grosse et remise par lui à ses confrères suffit à notre sens à légitimer l’opération.

II. Les éclaircissements dans l’exécution de la mesure

Les opérations de constats conformes aux dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile sont soumises à un cadre strict fixé par l’ordonnance qui est en quelque sorte la « loi » de l’huissier de justice instrumentaire. Si l’huissier de justice doit s’abstenir de toute interprétation, il est normalement guidé par l’ordonnance dans ses recherches par des « mots-clés » (A). Dans la pratique, l’huissier de justice devra, néanmoins, « apprécier » ou « juger » de l’opportunité des éléments retenus au cours de ses opérations (B).

A. La pratique des mots clés

La mission de l’huissier de justice est déterminée par l’ordonnance du juge. Il ne peut ni faire plus, ni faire moins. Pour résumer, l’esprit de la matière est « l’ordonnance, rien que l’ordonnance », et si l’huissier de justice se révèle zélé et outrepasse sa mission, son procès-verbal sera susceptible d’être annulé.

L’huissier de justice est donc lié par les termes de l’ordonnance, elle-même fonction de la requête. Cela explique l’utilité que la requête soit rédigée par l’avocat en concertation avec un huissier de justice, qui le conseillera sur la formulation à adopter et l’avertira des difficultés susceptibles d’être rencontrées.

Cette mission doit, au demeurant, se révéler suffisamment précise afin d’enlever à l’huissier de justice toute nécessité d’appréciation des pièces en rapport avec le litige pour mener à bien cette mission. Une jurisprudence de la cour d’appel d’Orléans a ainsi jugé que « Le fait qu'il soit précisé que l'huissier rejettera de ses constatations 'les documents, les mentions ou les informations sensibles ou confidentielles qui ne présentent aucun lien avec le présent litige' est une protection insuffisante, notamment, de la vie privée et surtout du secret des affaires d'autant qu'il laisse le soin à l'huissier de déterminer ce qui n'a 'pas de lien avec le litige', formule très floue dans sa mise en œuvre et l'amenant à des appréciations relative au litige concernant des actes de concurrence déloyale » [7].

À cette fin, l’huissier de justice amené à exécuter une « ordonnance 145 » rendue en matière informatique dispose d’une « feuille de route » constituée d’une liste de mots-clés servant à borner ses opérations pour le préserver de mesures d’investigations trop larges. Mais « mots-clés » ne signifie pas pour autant « sécurité » s’ils sont utilisés seuls.

C’est ce qu’enseigne l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 mars 2022 [8]. Elle y juge que, même si la liste de mots-clés a été élaborée sur proposition du requérant, puisque l’ordonnance peut, dans « son étendue, être circonscrite dans son objet, en ce qu'elle n'autorise le requérant à accéder qu'aux seuls éléments de nature à établir les faits litigieux ». C’est ainsi qu’elle valide la pratique des « mots-clés » dans la mesure où elle est assortie d’une limite dans le temps et dans son objet (concurrence déloyale), ce qui constitue des filtres de résultats puissants afin de limiter le recueil excessif d’items dans le cadre de l’exécution d’une ordonnance sur le fondement de l’article 145 Code de procédure civile. Mais le recueil d’un volume important de données n’est pas à exclure malgré ces garde-fous.

B. La nécessaire appréciation de l’huissier de justice 

Parce que le constat sur ordonnance est une mesure coercitive, les informations auxquelles l’huissier de justice a accès sont prioritairement celles que la partie qui subit la mesure est normalement prête à communiquer contre des garanties préalables concernant leur non-divulgation.

Cependant, la réticence de la partie qui subit la mesure n’est pas nécessairement dictée par la mauvaise foi. Elle est souvent motivée par le secret des affaires ou encore le secret professionnel, pour ne citer qu’eux. Comme il a été exposé dans la décision du 20 mars 2022 précédemment évoquée, l’utilisation de « mots clés » et de limite temporelle et spatiale sont des moyens de cadrage permettant, dans une certaine mesure, de justifier l’atteinte à ces secrets.

Ils s’avèrent dans la pratique insuffisante.

Le juge est donc souvent amené à confier à l’huissier de justice une mission subsidiaire de tri, par exemple, lorsqu’il demande d’écarter les correspondances entre client et avocat, ou encore les correspondances de nature personnelle. Il peut arriver également que l’huissier de justice soit invité à apprécier la pertinence entre les éléments recueillis et le litige concerné.

Par ailleurs, le juge peut prévoir, même en rétractation [9], que l’huissier de justice conserve les éléments et informations constatés, et joue ainsi un rôle de séquestre [10]. Cette solution initialement issue de la pratique a finalement été confortée par le décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018 relatif à la protection du secret des affaires N° Lexbase : L3279LNR, qui introduit dans le Code de commerce les articles L. 153-1 N° Lexbase : L7371LPP et suivants. Ces articles visent à la mise en place d’un séquestre provisoire, en prévoyant ses modalités de constitution, de contestations et de mainlevée. L’article R. 153-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3347LNB est ainsi rédigé :

« Lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires.

Si le juge n'est pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l'article 497 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6614H74 dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l'alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.

Le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10 N° Lexbase : L3356LNM. »

Du séquestre, peut naître une autre difficulté ? Quel sort réserver aux pièces séquestrées alors que l’ordonnance a été rétractée en première instance, et que le jugement de première instance est frappé d’appel ? Il peut en effet arriver que l’ordonnance sur requête soit séquestrée et qu’il soit ordonné aux parties de procéder à la destruction du séquestre des pièces dans les X jours de la notification de la décision exécutoire par provision, alors même que le délai d’appel court encore. Sur cette interrogation, une décision rendue sur requête par le Président de la Cour d’appel de Versailles le 6 avril 2022 [11] enseigne que le Premier Président peut suspendre l’obligation de destruction ou de restitution des pièces séquestrées jusqu’à ce que l’appel ne soit tranché.

Le contentieux des « ordonnances 145 » est donc fourni en ce début d’année, mais il est remarquable de souligner le fait que la responsabilité des huissiers de justice n’est qu’exceptionnellement engagée, voire demandée. Preuve en est que c’est davantage la rédaction de l’ordonnance que son exécution qui génère le contentieux, ce dont il ne faut pas s’émouvoir dans la limite où il est le corollaire du rétablissement du principe du contradictoire.


[1]  Cass. com, 26 septembre 2006, n° 05-15.431, F-D N° Lexbase : A3501DR4.

[2] CA Lyon, 30 mars 2022, n° 21/05564 N° Lexbase : A74537RH.

[3] CA Versailles, 29 janvier 2014, n° 13/03423 N° Lexbase : A9789RL7.

[4] CA Paris, 1er juillet 2014, n° 12/23120 N° Lexbase : A3465MS7.

[5] CA Versailles, 15 novembre 2018, n° 18/01683 N° Lexbase : A3990YLD.

[6] CA Lyon, 6 avril 2022, n° 21/06566 N° Lexbase : A48657SY.

[7] CA Orléans, 11 juin 2020, n° 19/02808 N° Lexbase : A40463N8.

[8] Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 20-21.925, F-B N° Lexbase : A27717R3.

[9] Cass. civ. 2, 23 juin 2016, n° 15-15.186, F-P+B N° Lexbase : A2378RUM.

[10] M. Foulon et Y. Strickler, Rétractation d’une ordonnance sur requête et prorogation d’une mesure de séquestre : Gaz. Pal. 9-11 mars 2014, p. 41.

[11] Ord. Req. CA Versailles, 6 avril 2022, n° 22/02286.

newsid:481163

Responsabilité

[Brèves] Articulation entre la loi du 5 juillet 1985 et le contrat de transport : la Cour de cassation enfonce le clou !

Réf. : Cass. civ. 2, 7 avril 2022, n° 21-11.137, FS-B N° Lexbase : A38407SZ

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N1151BZN

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 13 Avril 2022

► La loi du 5 juillet 1985 est inapplicable au dommage matériel (subi par un VTM), lorsque le dommage est survenu en exécution d’un contrat de transport ; l’affirmation n’est pas sans rappeler celle retenue par la même chambre de la Cour de cassation quelques jours auparavant.

Voilà qu’à une semaine d’écart, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce à nouveau sur l’articulation entre contrat de transport et loi du 5 juillet 1985 lorsqu’en est en cause un dommage matériel (Cass. civ. 2, 31 mars 2022, n° 20-15.448, FS-B N° Lexbase : A72137RL ; v. notre brève, Lexbase Droit privé, n° 901, 7 avril 2022 N° Lexbase : N1060BZB). Un tel dommage relève-t-il de la loi du 5 juillet 1985, et donc nécessairement des juridictions civiles ? Tel était également l’enjeu ayant donné à l’arrêt rendu par la même chambre le 7 avril 2022.

Faits et procédure. En l’espèce, une société avait confié à un transporteur le transport d’un ensemble propulsif dont l’itinéraire avait été défini au préalable. Le chauffeur avait dévié de cet itinéraire et un dommage fut causé au bien transporté. La société ayant confié le transport de l’engin assigna le transporteur devant les juridictions civiles, sur le fondement de la loi de 1985. Les juges du fond avaient déclaré les juridictions civiles incompétentes.

Solution. La Cour de cassation les en approuve. Les principes retenus sont ceux posés par l’arrêt rendu le 31 mars dernier par la même chambre, et la formule est identique : la loi de 1985 « tend à assurer une meilleure protection des victimes d'accidents de la circulation par l'amélioration et l'accélération de leur indemnisation, dès lors qu'est impliqué un véhicule terrestre à moteur, n'a pas pour objet de régir l'indemnisation des propriétaires de marchandises endommagées à la suite d'un tel accident, survenu au cours de leur transport par le professionnel auquel elles ont été remises à cette fin, en exécution d'un contrat de transport. Les conditions et modalités de la réparation de tels préjudices, d'ordre exclusivement économique, sont déterminées par ce contrat et les dispositions du code de commerce qui lui sont applicables ». Ainsi, la loi de 1985 est inapplicable, la compétence des juridictions civiles est évincée au profit de celles des juridictions commerciales, seules aptes à connaître d’un litige entre commerçants (C. com., art. L. 721-3 N° Lexbase : L0126L88). Les mêmes incertitudes quant à la portée de la solution, évoquées à propos de l’arrêt rendu le 31 mars demeurent : la solution ne vaut-elle qu’en présence d’un dommage matériel ?

newsid:481151

Transport

[Brèves] Transport aérien : les passagers d’un vol retardé peuvent réclamer une indemnisation au transporteur aérien non UE

Réf. : CJUE, 7 avril 2022, aff. C-561/20 N° Lexbase : A10977TS

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N1107BZZ

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par Vincent Téchené

Le 13 Avril 2022

► Un passager d’un vol avec correspondance, comprenant deux segments de vol et ayant fait l’objet d’une réservation unique auprès d’un transporteur communautaire, au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre et à destination d’un aéroport situé dans un pays tiers via un autre aéroport de ce pays tiers, a droit à une indemnisation du transporteur aérien d’un pays tiers qui a effectué l’ensemble de ce vol en agissant au nom de ce transporteur communautaire, lorsque ce passager a atteint sa destination finale avec un retard de plus de trois heures trouvant son origine dans le second segment dudit vol.

Faits et procédure. Trois passagers aériens ont fait une réservation unique auprès d’une compagnie aérienne allemande, par l’intermédiaire d’une agence de voyages, pour un vol au départ de Bruxelles (Belgique) à destination de San José (États-Unis), avec une escale à Newark (États-Unis). L’intégralité du vol a été effectuée par un transporteur établi aux États-Unis. Les trois passagers sont parvenus à leur destination finale avec un retard de 223 minutes. Une société détentrice de leur créance a introduit un recours en indemnisation contre le transporteur effectif devant un tribunal bruxellois, en invoquant l’applicabilité du règlement n° 261/2004, du 11 février 2004, sur les droits des passagers aériens N° Lexbase : L0330DYU.

C’est dans ces conditions que des questions préjudicielles ont été posées.

Décision. Dans son arrêt du 7 avril, la CJUE rappelle tout d’abord qu’un vol avec une ou plusieurs correspondances ayant fait l’objet d’une réservation unique constitue un ensemble aux fins du droit à indemnisation des passagers prévu par le droit de l’Union. En effet, l’applicabilité du règlement sur les droits des passagers aériens doit être appréciée au regard du lieu de départ initial et de la destination finale.

Par ailleurs, la Cour précise que le transporteur aérien non UE, qui n’a pas conclu un contrat de transport avec les passagers mais qui a effectué le vol, peut être redevable de l’indemnisation des passagers. En effet, le transporteur qui, dans le cadre de son activité de transport de passagers, prend la décision de réaliser un vol précis, y compris d’en fixer l’itinéraire, constitue le transporteur aérien effectif. Ce transporteur est donc réputé agir au nom du transporteur contractuel. La Cour souligne toutefois que le transporteur aérien effectif, qui est tenu d'indemniser un passager, conserve le droit de demander réparation à toute personne, y compris des tiers, conformément au droit national applicable.

Concernant la validité du règlement sur les droits des passagers aériens au regard du principe du droit international coutumier selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien, la Cour précise qu’un vol avec correspondance relève du champ d’application du règlement au motif que les passagers ont commencé leur voyage au départ d’un aéroport situé dans un État membre. Elle ajoute que ce critère d’applicabilité ne porte pas atteinte aux conditions d’application du principe de souveraineté complète et exclusive d’un État sur son propre espace aérien.

Pour aller plus loin : v. le commentaire de G. Poissonnier et P. Dupont, Lexbase Affaires, n° 714 du 21 avril 2022, à paraître. 

 

newsid:481107

Urbanisme

[Brèves] Territoires littoraux exposés au recul du trait de côte : une ordonnance « boîte à outils » pour lutter contre le phénomène

Réf. : Ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022, relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte N° Lexbase : L2885MCT

Lecture: 4 min

N1114BZB

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par Yann Le Foll

Le 13 Avril 2022

► L’ordonnance n° 2022-489, du 6 avril 2022, relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte, publiée au Journal officiel du 7 avril 2022, destinée à compléter les mesures initialement prévues par la loi « climat et résilience » (loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R), a pour objet de mobiliser et de renforcer les outils d'aménagement et d'intervention fonciers pour aider les communes concernées à faire face à ce phénomène.

L’ordonnance définit tout d'abord une méthode d'évaluation des biens les plus exposés, à horizon de trente ans, dans le cadre de la procédure du nouveau droit de préemption pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, mais également à l'occasion de la détermination des indemnités en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (le prix d'un bien immobilier situé dans une zone exposée au recul du trait de côte étant fixé en priorité par référence à des mutations et accords amiables portant sur des biens de même qualification et avec un niveau d'exposition similaire situés dans cette même zone).

L’ordonnance prévoit également que le dispositif des réserves foncières prévu au Code de l'urbanisme peut être mobilisé pour prévenir les conséquences du recul du trait de côte.

Elle crée un « bail réel d'adaptation à l'érosion côtière », par lequel l'État, une commune ou un groupement de communes, un établissement public y ayant vocation ou le concessionnaire d'une opération d'aménagement, consent à un preneur pour une durée comprise entre douze ans et quatre-vingt-dix-neuf ans, des droits réels immobiliers en vue d'occuper lui-même ou de louer, exploiter, réaliser des installations, des constructions ou des aménagements, dans les zones exposées au recul du trait de côte. Toute intention de proposer la conclusion d'un bail réel d'adaptation à l'érosion côtière fait l'objet d'une publicité préalable.

À l'échéance du bail, le terrain d'assiette du bien fait l'objet d'une renaturation comprenant, le cas échéant, la démolition de l'ensemble des installations, des constructions ou des aménagements, y compris ceux réalisés par le preneur, et les actions ou opérations de dépollution nécessaires.

Est également créée dans le Code de l’urbanisme une section intitulée « Opération de recomposition des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte » qui prévoit que, lorsqu'un contrat de projet partenarial d'aménagement prévoit une opération d'aménagement ayant pour objet de mettre en œuvre la recomposition spatiale du territoire d'une ou plusieurs communes figurant sur la liste mentionnée à l'article L. 121-22-1 N° Lexbase : L7081L7E, il peut délimiter sur le territoire qu'il couvre des secteurs de relocalisation de constructions, d'ouvrages ou d'installations menacés par l'évolution du trait de côte.

À l'intérieur de ces secteurs, il peut, dans la mesure nécessaire à la relocalisation de constructions, d'ouvrages ou d'installations menacés par l'évolution du trait de côte, être dérogé, sous réserve de l'accord de l'autorité administrative compétente de l'État et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, à l'obligation de construire en continuité de l'urbanisation existante, lorsque ces dispositions empêchent la mise en œuvre d'une opération de relocalisation de biens ou d'activités menacés dans des espaces plus éloignés du rivage, moins soumis à l'aléa du recul du trait de côte.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, Les règles applicables aux zones particulières, Les dispositions spécifiques aux documents d'urbanisme des communes littorales, in Droit de l’urbanisme (dir. A. Le Gall), Lexbase N° Lexbase : E0593E9T.

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Vente d'immeubles

[Chronique] Chronique de jurisprudence du droit de la vente immobilière (janvier à mars 2022)

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N1112BZ9

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par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine

Le 15 Avril 2022

Mots-clés : agent immobilier • nullité du mandat • commission • préemption • diagnostic technique • notaire • responsabilité • opportunité économique • défiscalisation • nullité de la vente • restitution du prix • erreur sur la fiscalité • pourparlers • offre d'achat • garantie des vices cachés • pollution • droit de rétractation • courrier électronique

La revue Lexbase Droit privé inaugure un nouveau rendez-vous d’actualité avec la chronique de droit de la vente immobilière, sous la plume de Maître Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine.

Cette matière, en constante évolution compte tenu d'une jurisprudence particulièrement abondante de la Cour de cassation dans ce domaine, sera appréhendée largement, puisque la chronique a vocation à traiter, outre les problématiques du contrat de vente d’immeubles stricto sensu, d’autres contentieux en lien direct avec la vente d’immeubles, celui des agents immobiliers d’une part, et celui de la responsabilité des notaires d’autre part.

Pas moins d'une quinzaine de décisions, pour la plupart inédites au bulletin de la Cour de cassation, ont été sélectionnées par l'auteur pour cette première chronique, couvrant la période de janvier à mars 2022.


 

Sommaire

I. Agent immobilier

1. Convention ultérieure au mandat nul de l’agent immobilier
Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-16.698, F-D
Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 18-21.694, F-D
Cass. civ. 1, 19 janvier 2022, n° 20-14.534, F-D

2. Rémunération proportionnelle de l’agence et conséquence d’un prix moindre après préemption
Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-17.028, F-D

3. Responsabilité de l’agent immobilier
Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-22.341, F-D
Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-15.900, F-D

4. Droit à commission face à l’attitude fautive de l’acquéreur
Cass. civ. 1, 19 janvier 2022, n° 20-13.619, F-D

II. Responsabilité du notaire

5. Opportunité économique et efficacité fiscale de l’opération
Cass. civ. 1, 2 février 2022, n° 20-14.296, F-D

6. Faute du notaire et absence de préjudice
Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-11.837, F-D

7. Garantie du notaire fautif pour les restitutions après nullité de l’acte
Cass. civ. 1, 9 mars 2022, n° 20-15.194, F-D

8. Responsabilité du notaire pour erreur sur la fiscalité
Cass. civ. 1, 9 mars 2022, n° 20-14.375, F-D

III. Vente immobilière

9. Pourparlers et formation du contrat
Cass. civ. 3, 16 mars 2022, n° 21-10.586, F-D

10. Délai pour agir en garantie des vices cachés : prescription ou forclusion ?
Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-22.670, FS-B

11. Pollution et vices cachés
Cass. civ. 3, 19 janvier 2022, n° 21-10.073, F-D

12. Rétractation de l’acquéreur par courrier électronique au notaire
Cass. civ. 3, 2 février 2022, n° 20-23.468, FS-D+B


I. Agent immobilier

1. Convention ultérieure au mandat nul de l’agent immobilier (Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-16.698, F-D N° Lexbase : A79617HC ; Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 18-21.694, F-D N° Lexbase : A90217Q8 ; Cass. civ. 1, 19 janvier 2022, n° 20-14.534, F-D N° Lexbase : A19277KL)

Le droit à rémunération de l’agent immobilier est subordonné à l’existence d’un mandat respectant les prescriptions de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite « loi Hoguet » N° Lexbase : L7536AIX. Spécialement, l’article 6 de ladite loi impose à l’agent immobilier d’obtenir un mandat donné par une des parties, préalablement à toute recherche ou négociation. L’irrespect de ces prescriptions entraine la perte du droit à rémunération. Par exemple, dans l’hypothèse de l’agent qui a agi en vertu d’un mandat seulement verbal [1]. Dans un arrêt rendu le 5 janvier 2022, la Cour de cassation en tire la conséquence, évidente, que, en l’absence de mandat, l’agent immobilier ne peut faire grief au propriétaire de l’avoir écarté des négociations commerciales ayant abouti à la vente.

Une autre affaire récente, soumise à la Haute juridiction le 16 mars 2022, est particulièrement intéressante à ce titre. En l’espèce, un mandat avait été donné pour la vente d’un bien immobilier au prix de 8 000 000 d’euros ; la commission étant stipulée égale à la différence entre le prix stipulé et ce plancher. Ce premier mandat était entaché de nullité. Le bien est néanmoins négocié pour 10 500 000 euros. Un protocole d’accord intervient alors entre agence et vendeur, reconnaissant un droit à commission de 1 100 000 (au lieu de 2 500 000). La vente intervient ensuite par acte authentique, avec stipulation d’un échelonnement du prix. En conséquence de quoi, l’agence échelonne également le paiement de sa commission. Postérieurement à la vente, vendeur et acquéreur s’entendent pour différer le paiement du dernier terme du prix. À cette occasion, le vendeur précise à l’agence que sa facture corrélative, de 40 000 euros, sera payée lorsque la fraction de prix correspondante, soit 1 500 000 euros, lui sera payée par l’acquéreur.

Nonobstant la nullité du mandat initial, la cour d’appel fait droit au paiement par l’agence de l’intégralité de sa commission, telle que stipulée au protocole (CA Aix-en-Provence, 2ème ch,21 juin 2018, n° 15/11224 N° Lexbase : A5977XTK). La solution est censurée par la Cour de cassation. Reprenant une solution déjà formulée [2], elle décide que « si l'une des parties peut s'engager, hors mandat, à rémunérer les services de l'agent immobilier, cet engagement n'est valable que lorsqu'il est postérieur à la réitération de la vente par acte authentique ». En conséquence de quoi, l’engagement du vendeur de payer la commission de 40 000 est valable, s’agissant d’un engagement postérieur à la vente. Et le vendeur ne peut alors plus se prévaloir de la nullité du mandat pour refuser le paiement. En revanche, le protocole, quand bien même il reconnaît un droit à commission au profit de l’agence, ne peut produire effet, étant antérieur à la vente.

Une solution similaire est formulée dans une autre espèce examinée le 19 janvier 2022 par la Cour suprême, où une agence commercialise, sans mandat valable, la vente en plusieurs lots d’un immeuble. La Cour de cassation conforte le paiement intervenu après certaines des ventes, tout en considérant que ce paiement n’a pas pour effet de pallier l'absence de mandat pour les ventes intervenues postérieurement.

2. Rémunération proportionnelle de l’agence et conséquence d’un prix moindre après préemption (Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-17.028, F-D N° Lexbase : A89197QE)

Les mandats d’agent immobilier stipulent, ou bien une rémunération forfaitaire, ou bien une commission calculée en un pourcentage du prix de vente. La réglementation (décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, art. 75 N° Lexbase : L8042AIP) dispose que si le mandat prévoit une rémunération forfaitaire, celle-ci peut être modifiée lorsque le prix de vente ou de cession retenu par l'engagement des parties est différent du prix figurant dans le mandat. En revanche, elle ne dit rien dans l’hypothèse de la commission liquidée après application du pourcentage prévu.

Dans une affaire récente, un mandat de vente prévoyait une vente de terrain moyennant le prix de 80 euros le m² net vendeur, et une commission fixée à 6 % hors taxe du prix net vendeur « qui serait réellement perçu par le vendeur ». Une promesse de vente notariée constate l’accord des parties à ce prix, et calcule la commission d’agence à près de 800 000 euros. Les terrains font l’objet d’une préemption par la communauté urbaine. Et le prix est judiciairement fixé, selon les terrains, de 11,53 à 14,99 euros le m². La commission de l'agent immobilier se trouve ramenée à 126 716,35 euros TTC. L’agence agit alors en responsabilité contre le notaire, en indemnisation du manque à gagner. La cour d’appel (CA Rennes, 1ère ch., 19 mai 2020) retient la faute du notaire « en ne fixant pas, dans le compromis, la rémunération de l'agent immobilier à un montant de 6 % sur une base intangible de 80 €/m² ». Ce qui entraîne la censure par la Cour de cassation. Elle considère que l’agent immobilier ne peut recevoir aucune autre somme que celle prévue dans son mandat ; ici un pourcentage du prix effectivement perçu par le vendeur. Dit autrement : le montant indiqué par le notaire dans la promesse de vente, en appliquant le pourcentage au prix stipulé, n'a pas pour effet de transformer la commission en rémunération forfaitaire. De sorte qu’une baisse de prix ultérieure fait varier la commission en conséquence. La Cour justifie à raison sa solution, en considérant que c’est le mandat qui fonde le droit à rémunération (loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, art. 6) ; l’acte notarié ne faisant que rendre la commission exigible en constatant que l'opération a bien été conclue par l’intermédiaire de l’agence (décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, art. 72 et 73).

3. Responsabilité de l’agent immobilier (Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-22.341, F-D N° Lexbase : A88367QC ; Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-15.900, F-D N° Lexbase : A80697HC)

Il n’existe pas de texte spécifique sur la responsabilité de l’agent immobilier. En conséquence, il convient d’appliquer le droit commun de la responsabilité contractuelle, ainsi que les règles du mandat édictées au Code civil. De ces textes généraux, la jurisprudence induit un devoir de conseil et d’information à la charge de l’agent immobilier, dont le manquement est susceptible d’engager sa responsabilité [3]. Ce principe n’est pas sans limites, toutefois. La jurisprudence récente en donne deux illustrations.

Dans une première affaire soumise à la Cour de cassation le 16 mars 2022, une clause de la vente indiquait le risque de mérules dans le bâtiment objet de la vente ; en dépit de quoi l’acquéreur sollicitait la réception de la vente sans l’établissement d’un diagnostic spécifique à ce propos. Par malheur, la mérule s’avère bien présente dans le bien acquis. Et l’acquéreur agit en responsabilité contre l’agent immobilier, pour manquement à son devoir de conseil, en n’ayant pas conseillé l’établissement d’un diagnostic. Cette responsabilité est écartée, en considérant que l’acquéreur, au demeurant professionnel de l’immobilier, avait été suffisamment averti du risque : l’acte de vente pointait l'état de vétusté de l'habitation, l'absence d'occupation depuis plusieurs années, et les diagnostics avertissaient clairement de l'humidité présente dans certains murs, susceptible de conduire à la présence de mérules. Face à un acquéreur ainsi averti, l’agent immobilier n’avait pas à déconseiller la vente sans un diagnostic spécial relatif à la mérule.

Dans une seconde affaire examinée le 5 janvier 2022 par la Cour suprême, l’agent immobilier agissait en entremise dans le cadre d’une sous-location. Il avait mis en relation le locataire d’un bien immobilier avec deux sociétés devenues sous-locataires. Lors de la négociation, l’agent avait transmis l’information donnée par le locataire à propos de la taxe foncière, en indiquant un montant de 563 euros. Quelques temps après, il s’est avéré que la taxe foncière était plutôt d’un montant de 12 000 euros ! Il se trouve que le bailleur ne récupérait pas le bon montant de taxe foncière auprès de son locataire, ce qui avait induit ce dernier en erreur. Les sous-locataires agissent en garantie contre l’agent immobilier, lui reprochant de n’avoir pas vérifié la réalité du montant de la taxe foncière. Sa responsabilité est néanmoins écartée, en considérant que son mandant n'avait pas connaissance lui-même du problème, tant que l'impôt foncier ne lui avait pas été réclamé pour le bon montant par son bailleur, de sorte que l'attention de l'agent immobilier ne pouvait pas être spécialement attirée sur son caractère éventuellement erroné.

4. Droit à commission face à l’attitude fautive de l’acquéreur (Cass. civ. 1, 19 janvier 2022, n° 20-13.619, F-D N° Lexbase : A18047KZ)

Aux termes de l'article 6 de la loi « Hoguet » précitée, aucune commission ne peut être perçue, en principe, avant la conclusion de la vente constatée dans un écrit contenant l’engagement des parties. En conséquence, si la promesse de vente est caduque, par exemple par la défaillance de la condition suspensive de prêt, l’agent immobilier ne peut prétendre obtenir le paiement de sa commission [4]. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation est venu tempérer ce principe [5], en affirmant que « l'acquéreur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l'agent immobilier, par l'entremise duquel il a été mis en rapport avec le vendeur qui l'avait mandaté, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice ».

Une affaire récente a été l’occasion de préciser ce dernier principe. En l’espèce, la vente n’avait pas abouti par suite d’un refus de prêt opposé au potentiel acquéreur. L’agence avait tenté d’obtenir le paiement de sa commission, en invoquant le comportement fautif de l’acquéreur. La cour d’appel rejette sa demande, en se fondant sur les dispositions de la promesse de vente, selon laquelle « l'indemnisation du mandataire pour le préjudice causé par la faute de l'acquéreur défaillant est subordonnée à ce que le vendeur ait lui-même agi, avec succès, devant le tribunal compétent aux fins de déclarer la condition suspensive du prêt réalisée » - ce qui n’était pas le cas en l’espèce (CA Reims, 22-11-2019, n° 18/02187 N° Lexbase : A4130Z3D). Le raisonnement encourt la censure de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 19 janvier 2022 : celle-ci considère que les textes régissant la responsabilité délictuelle sont d'ordre public, et que leur application ne peut être limitée ou neutralisée contractuellement par anticipation. Sur ce dernier point, la décision prend appui sur le principe général dégagé en droit des contrats, selon lequel il n’est pas possible de limiter contractuellement sa responsabilité délictuelle [6]. On aurait pu ajouter que l’agent immobilier n’est pas partie à la promesse de vente, et l’on ne voit pas comment ses stipulations en sa défaveur pourraient lui être opposables.

II. Responsabilité du notaire

5. Opportunité économique et efficacité fiscale de l’opération (Cass. civ. 1, 2 février 2022, n° 20-14.296, F-D N° Lexbase : A52347LG)

Deux grandes idées se dégagent en matière de responsabilité notariale dans l’hypothèse de l’investissement malheureux.

D’une part, il est affirmé que le notaire n’est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher [7]. Ainsi, il a été jugé que, dans le cas d’une faillite du promoteur avant la réalisation des travaux, le notaire n'était pas tenu d'informer l'acquéreur du risque d'échec du programme immobilier qu'il ne pouvait suspecter au jour de la signature de la vente [8].

D’autre part, il appartient au notaire, au titre de son devoir de conseil, d’alerter sur l’incertitude fiscale du projet du client [9]. Ainsi, dans le cas d’une donation en démembrement, faisant perdre le bénéfice du dispositif « Borloo neuf », car celui-ci requiert d’avoir la pleine propriété [10].

Mais la pratique est plus nuancée. En effet, les plaideurs tentent souvent, en se plaignant sur le volet fiscal, d’être en réalité indemnisé d’un investissement ruineux. Ainsi, dans le cas d’une résidence inachevée par le promoteur, les acquéreurs ont pu être indemnisés en invoquant le défaut d’information du notaire sur la nécessité de louer l’immeuble à usage de tourisme, pour bénéficier de l’avantage fiscal désiré [11].

C’est le même schéma qui se retrouve dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 2 février 2022. Le vendeur avait fait l’objet d’une liquidation judiciaire, n’avait jamais payé son loyer, et n’avait jamais réalisées les prestations promises. L’acquéreur se trouvait donc face à un investissement malheureux, face auquel l’impossibilité de bénéficier de l’avantage fiscal désiré apparaissait une perte accessoire. C’est pourtant sur ce volet fiscal que les acquéreurs déçus tentent d’obtenir réparation du notaire, puisque l’inopportunité économique ne relève pas de la responsabilité notariale. En l’espèce les plaideurs arguaient que le notaire avait connaissance de l’objectif de défiscalisation, mais que nulle information à ce propos n’apparaissait dans son acte. Les informations adéquates sur la défiscalisation en résidence senior figuraient seulement dans le projet de bail commercial annexé à l’acte de vente. Mais la Cour de cassation ne les suit pas dans leur raisonnement, où il s’agit plus de réparer un préjudice économique que de réellement se plaindre d’un défaut de conseil fiscal. Aussi, juge-t-elle, en renvoyant à l’appréciation des juges du fond, que les acquéreurs avaient bien été informés des conditions légales permettant l'obtention des avantages fiscaux visés.

6. Faute du notaire et absence de préjudice (Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-11.837, F-D N° Lexbase : A80277HR)

La responsabilité du notaire relève de l’article 1382 du Code civil, devenu l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9. Dit autrement, la responsabilité du notaire est de nature délictuelle [12]. Sa mise en jeu suppose donc une faute, un préjudice, et un lien de causalité entre les deux. En conséquence de quoi, le notaire peut être fautif, sans pour autant être responsable. Ainsi, une jurisprudence bien établie considère que, en cas d’annulation de la vente, l’obligation du vendeur de restituer le prix est une opération de justice commutative, et n’est pas en soi un préjudice réparable [13].

Une affaire récente vient illustrer encore cette idée. En l’espèce, une vente en viager avait été judiciairement annulée en appel, pour inexécution de ses obligations par l’acquéreur. Un notaire reçoit un acte de vente, à la demande du propriétaire apparent, peu après l’arrêt de cour d’appel, sans se soucier d’un éventuel pourvoi. Or, sur renvoi après cassation, la vente en viager initiale se voit maintenue. Et le vainqueur du procès agit alors en revendication contre l’occupant de son bien. La faute du notaire ayant reçu la vente n’est pas discutée. Mais l’acquéreur évincé échoue néanmoins à être indemnisé du notaire pour l’indemnité d’occupation qu’il doit verser au véritable propriétaire. Selon la Cour de cassation, l'indemnité d'occupation due au propriétaire par l'acquéreur évincé à la suite de l'annulation d'un contrat de vente est la contrepartie de l'occupation du bien et ne constitue pas un dommage ; de sorte que les demandes de dommages-intérêts formées à l'encontre du notaire devaient être écartées.

7. Garantie du notaire fautif pour les restitutions après nullité de l’acte (Cass. civ. 1, 9 mars 2022, n° 20-15.194, F-D N° Lexbase : A50327QG)

La jurisprudence est désormais solidement établie autour de deux idées en cas de nullité d’un acte de vente découlant de la faute du notaire. D’une part, la restitution du prix après nullité n’est pas en soi un préjudice réparable, puisqu’il s’agit d’une opération de justice commutative où chacun est remis dans la situation antérieure à l’acte. D’autre part, le notaire dont la faute a contribué à la nullité de l’acte est garant subsidiaire de la restitution envers la partie qui en est créancière, en cas de défaillance avérée de celle qui en est débitrice [14].

Ce principe et son exception viennent d’être réaffirmés dans une espèce où la cour d’appel avait considéré que l’obligation du vendeur de restituer le prix n’était pas en lien direct avec la faute du vendeur ayant conduit à la nullité de la vente (CA Amiens, 6 février 2020, n° 16/05495 N° Lexbase : A53483DG).

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 mars 2022 vient toutefois apporter une précision bienvenue. Dans le cas d’un achat par un particulier, la nullité de la vente implique la nullité du prêt qui l’a financée (C. consom., art. L. 312-12). Selon la même logique que précédemment, il est alors décidé que les restitutions dues par la banque (intérêts et frais de dossier) à la suite de l'anéantissement du contrat de prêt ne constituent pas, en elles-mêmes, un préjudice réparable [15]. Mais dans l’espèce, l’acquéreur était un professionnel, et le prêt souscrit restait valable. La cour d’appel avait estimé que les intérêts du prêt, les frais de tenue de compte, l’assurance du prêt, les frais de constitution de dossier et de caution, étaient inhérents au risque de l'opération, et qu'ils n'étaient pas en lien direct avec les manquements du notaire. Cette solution entraîne la censure de la Cour de cassation, qui considère que les frais d’emprunt engagés par l'acquéreur avaient été exposés en pure perte, ce dont le notaire doit réparation.  

8. Responsabilité du notaire pour erreur sur la fiscalité (Cass. civ. 1, 9 mars 2022, n° 20-14.375, F-D N° Lexbase : A50907QL)

Là encore, même à supposer la faute du notaire, la responsabilité n’est pas systématique. En principe, le paiement de l’impôt dû n’est pas en soi un préjudice [16]. Mais le notaire est responsable de la perte de chance de s’exposer au paiement de cet impôt [17]. Si la règle se formule aisément, sa mise en œuvre pratique n’est pas évidente.

Ainsi, dans une affaire récente, où la mère avait donné l’usufruit à son fils, s’en réservant la nue-propriété. Le problème est que le notaire commet une erreur sur l’évaluation de l’usufruit. En effet, dans l’hypothèse où l’usufruitier donne son droit à l’enfant déjà nu-propriétaire, où lorsqu’il conserve l’usufruit à l’occasion d’une donation de nue-propriété, l’usufruit est évalué en fonction de l’âge du donateur (CGI, art. 669 N° Lexbase : L7730HLU). Mais si, comme dans l’espèce, la propriétaire donne seulement l’usufruit à son enfant, l’usufruit s’évalue en fonction de l’âge de celui sur la tête duquel il est constitué. Le notaire se méprend sur l’âge à retenir, et évalue l’usufruit donné à 50 % de la propriété (en fonction de l’âge de la donatrice), au lieu de 90 % (en fonction de l’âge du donataire). L’opération donnant lieu à un redressement fiscal, la donatrice agit en responsabilité contre le notaire. La cour d’appel estime que le donataire ne subit pas de préjudice, estimant, à tort, que l’enfant n’aura pas de droit de succession à acquitter lors du décès de sa mère (alors que la nue-propriété se retrouvera dans la succession). La cour d’appel considère, également, à raison cette fois, que la donation d’usufruit sort le bien de l’assiette de l’ISF, dans l’hypothèse où la donatrice y est assujettie.

Mais la Cour de cassation, par sa décision en date du 9 mars 2022, censure ce raisonnement, en considérant que cela ne suffit pas à démontrer que, en l'absence de faute du notaire, la donatrice n'aurait pas opté pour une solution fiscalement plus avantageuse. Ce qui est l’occasion de reformuler une solution de principe : le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale ne constitue pas un dommage indemnisable, sauf s'il est établi que, dûment informé ou conseillé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre.

III. Vente immobilière

9. Pourparlers et formation du contrat (Cass. civ. 3, 16 mars 2022, n° 21-10.586, F-D N° Lexbase : A88587Q7)

La jurisprudence ne cesse de fournir des illustrations de la distinction entre pourparlers – libres - et offre acceptée - qui contraint les parties. L'article 1112 du Code civil N° Lexbase : L1975LKD dispose que « l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ». Et l'article 1102 du Code civil N° Lexbase : L0823KZI précise que « chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi ». De l’autre côté, l'article 1113 du Code civil N° Lexbase : L0841KZ8 dispose que « le contrat est formé par la rencontre d'une l'offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager ».

Dans une espèce récente, un couple avait proposé d'acquérir un bien immobilier sans avoir recours à un prêt, pour le prix de 735 000 euros. Les propriétaires avaient d’abord accepté cette offre ; avant de préciser ne pas donner suite, ayant trouvé un acquéreur plus offrant. La cour d’appel avait analysé la manœuvre comme une rupture – licite – de pourparlers (CA Paris, 4, 1, 20 novembre 2020, n° 18/21521 N° Lexbase : A319837L. Pour la Cour de cassation, au contraire, il s’agit d’une vente parfaite, avec accord sur la chose et sur le prix, dont le vendeur ne peut se dédire.

10. Délai pour agir en garantie des vices cachés : prescription ou forclusion ? (Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-22.670, FS-B N° Lexbase : A42167HM)

L’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK prévoit que l’action en garantie des vices cachés doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. Ce délai peut être interrompu par une demande en justice, jusqu'à l'extinction de l'instance (C. civ., art. 2242 N° Lexbase : L7180IA8). Mais se pose la question de savoir si ce délai est suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès (C. civ., art. 2239 N° Lexbase : L7224IAS).

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 5 janvier 2022, vient de se prononcer sur la question. Dans cette affaire, un acte de vente annexe un diagnostic de l'installation d'assainissement non collectif, effectué par la Saur, qui la juge conforme. Après la vente, un nouveau diagnostic est fait, par Veolia, qui estime l’installation vétuste, incomplète et polluante. Un expert judiciaire est désigné, à la demande de l’acquéreur, par ordonnance de référé du 24 juillet 2013. Ce dernier dépose son rapport le 20 novembre 2015. Le 28 juin 2016, l’acquéreur assigne les vendeurs, le notaire, et la Saur, en résolution de la vente pour vices cachés. La cour d’appel rejette la demande comme tardive (CA Rennes, 15-09-2020, n° 18/04241 N° Lexbase : A72163TG). L’acquéreur, dans son pourvoi, invoque le bénéfice de l’article 2239 du Code civil, et la suspension du délai pendant la durée de l’expertise judiciaire. Par application littérale de l’article 2220 du Code civil N° Lexbase : L7188IAH, il a déjà été jugé que ce texte n’est pas applicable aux délais de forclusion [18].

Mais cela pose la question de la nature du délai pour agir en garantie des vices cachés : prescription ou forclusion ? Dans cette espèce, la Cour de cassation écarte la suspension pendant l’expertise judiciaire, et juge qu’il s’agit d’un délai de forclusion. En cela, elle renoue avec une décision antérieure, qui l’affirmait déjà [19]. Mais la jurisprudence semble toutefois hésitante sur le sujet, puisque d’autres décisions récentes avaient qualifié le délai de prescription [20].

11. Pollution et vices cachés (Cass. civ. 3, 19 janvier 2022, n° 21-10.073, F-D N° Lexbase : A19877KS)

Il existe actuellement un fort contentieux dans l’hypothèse de découverte par l’acquéreur d’une pollution sur le terrain acquis. Plusieurs décisions sont venues écarter, en cette hypothèse, la stipulation – classique – de non-garantie des vices cachés par le vendeur. Rappelons que l’article 1641 du Code civil N° Lexbase : L1743AB8 pose le principe de la garantie des vices cachés par le vendeur. Ce texte est toutefois supplétif, et il est possible de stipuler une absence de garantie, si le vendeur n’est pas de mauvaise foi, et s’il n’est pas un professionnel de l’immobilier. S’agissant de ces questions de pollution, il faut toutefois tenir compte du texte de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement N° Lexbase : L9425IZ4. Ce dernier dispose : « Lorsqu'une installation soumise à autorisation ou à enregistrement a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; il l'informe également, pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l'exploitation. […] À défaut, et si une pollution constatée rend le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la pollution, l'acheteur a le choix de demander la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix ; il peut aussi demander la réhabilitation du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette réhabilitation ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente. »

Sur cette base, la jurisprudence a pu sanctionner le vendeur, dans l’hypothèse où il avait alerté l’acquéreur sur la présence de trois cuves enterrées, alors qu’il y en avait en réalité six, avec une importante pollution aux métaux et hydrocarbures [21]. Même chose dans l’hypothèse de cuves enterrées qui se sont avérées fuyardes postérieurement à la vente, où la clause de non-garantie est écartée, car le vendeur était le dernier exploitant du garage automobile [22].

C’est une espèce similaire qui a été soumise à la Cour de cassation le 19 janvier 2022. Une société achète trois lots de lotissement à une commune. Lors de la construction des ateliers et bureaux projetés, sont mis à jour deux fosses en béton enfouies, d'une trentaine de mètres de long chacune, dont l'une contenait des tôles amiantées. L’acquéreur agit en garantie contre la commune. Celle-ci se défend en invoquant la clause de non-garantie des vices cachés stipulée dans la vente, et le fait qu’elle n’était pas tenue de faire des investigations sur le terrain vendu. Pourtant, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel, en retenant la garantie de la commune. En effet, le titre antérieur, entre la commune et la SNCF, précisait l’existence de fosses enterrées dans les parcelles cédées. Et, même si la commune ne les avait pas localisées, elle connaissait le risque à ce propos. De sorte que, à l’occasion de la revente, elle devait, soit effectuer des sondages suffisamment profonds pour déterminer où se trouvaient les fosses en cause soit, à défaut, informer ses futurs acquéreurs du risque potentiel. Sinon, la clause d’exclusion de garantie ne pouvait recevoir application, le vendeur ayant connaissance du vice.

12. Rétractation de l’acquéreur par courrier électronique au notaire (Cass. civ. 3, 2 février 2022, n° 20-23.468, FS-D+B N° Lexbase : A14117LT)

Si la notification de l’avant-contrat de vente immobilière donne lieu à une jurisprudence régulière, il est plus rare de voir des arrêts sur l’exercice du droit de rétractation lui-même. Une récente décision de la Cour de cassation mérite donc d’être soulignée. D’une lecture rapide, l’arrêt semble permettre de se rétracter par un simple courriel au notaire. Mais la solution est plus nuancée : bien plutôt, c’est l’attestation du notaire d’avoir reçu le courriel de rétractation qui dispense l’acquéreur de notifier sa décision de manière plus formelle. Nous renvoyons, pour le surplus, à notre note plus développée déjà rédigée sur cet arrêt [23].

 

[1] Cass. com., 17 novembre 1980, n° 78-15.770, publié au bulletin N° Lexbase : A9161CHR.

[2] Cass. civ. 1 , 14 juin 1988, n°  86-17.375, publié au bulletin N° Lexbase : A2066AHY; Cass. civ. 1, 29 janvier 1991, n° 89-15.129, publié au bulletin N° Lexbase : A4559ACT ; Cass. civ. 1, 2 oct. 2001, n° 99-13.961, inédit au bulletin N° Lexbase : A1509AWS.

[3] Par ex., Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-24.381, F-P+B+I N° Lexbase : A9954Z7S.

[4] Cass. civ. 1, 14 mai 1962 : Bull. civ. I, n° 244

[5] Ass. plén., 9 mai 2008, n° 07-12.449 N° Lexbase : A4497D83.

[6] Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-13.407, F-D N° Lexbase : A8429WLR.

[7] M. Poumarède, Opportunité économique de l’opération et devoir de conseil et de mise en garde du notaire : JCP N 2012, n° 5, 1063.

[8] Cass. civ. 1, 26 septembre 2019, n° 18-21.402, F-D N° Lexbase : A0437ZQA.

[9] A. Labarian, La responsabilité professionnelle des notaires pour manquement à leur devoir de conseil en matière fiscale : Defrénois 2011, art. 39198. A.-V. Le Fur, La responsabilité dans les opérations immobilières de défiscalisation : JCP E 2017, 1611.

[10] Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-22.147, F-D N° Lexbase : A3468Z49.

[11] Cass. civ. 1, 8 janvier 2020, n° 18-21-919, F-D N° Lexbase : A47103AP.

[12] Cass. civ. 1, 20 décembre 2012, n° 11-25.424, F-D N° Lexbase : A1630IZE.

[13] Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 10-26.790, F-D N° Lexbase : A1242IIT.

[14] Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 10-26.790, précité ; Cass. civ. 3, 11 juillet 2019, n° 18-16.690, F-D N° Lexbase : A3354ZKG.

[15] Cass. civ. 1, 2 juillet 2014 n° 12-28.615, F-P+B N° Lexbase : A2611MTU.

[16] Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-13.014, F-D N° Lexbase : A4935I38.

[17] Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-25.973, FS-D N° Lexbase : A0297IXB.

[18] Cass. civ. 3, 3 juin 2015, n° 14-15.796, FS-P+B+I N° Lexbase : A9224NIH.

[19] Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-24.289, FS-D N° Lexbase : A9021SG9.

[20] Cass. civ. 3, 11 avril 2018, n° 17-14.091, F-D N° Lexbase : A1601XLU ;Cass. civ. 3, 8 décembre 2021, n° 20-21.439, FS-B N° Lexbase : A46227EW.

[21] Cass. civ. 1, 14 octobre 2015, n° 14-15.143, F-D N° Lexbase : A5926NTN.

[22] Cass. civ. 3, 29 juin 2017, n° 16-18.087, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7179WLH.

[23] E. Meiller, Rétractation de l’acquéreur immobilier par simple courriel au notaire, Lexbase Droit privé, n° 896, 3 mars 2022 N° Lexbase : N0466BZB.

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