La lettre juridique n°903 du 21 avril 2022

La lettre juridique - Édition n°903

Avocats/Procédure pénale

[Brèves] Consultation du dossier pénal : les avocats vont pouvoir (officiellement) le photographier !

Réf. : Décret n° 2022-546, du 13 avril 2022, portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l'institution judiciaire, art. 10 N° Lexbase : L3646MCZ

Lecture: 2 min

N1171BZE

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par Marie Le Guerroué

Le 20 Avril 2022

► L'avocat peut, à l'occasion de la consultation du dossier pénal, réaliser lui-même et pour son usage exclusif une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment avec un scanner portatif ou la prise de photos.

Débat. La question faisait débat et a été officiellement tranchée par l'article 10 du décret portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire N° Lexbase : Z459821T publié au Journal officiel du 14 avril 2022.

Nouvel article D. 593-2. Le nouveau texte insère ainsi après l'article D. 593-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L2469MAP un nouvel article D. 593-2 qui vient préciser que dans tous les cas où, en application des dispositions du Code de procédure pénale, un avocat peut demander la délivrance d'une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2 N° Lexbase : L1320MA7, 80-2 N° Lexbase : L7146A4G 114 N° Lexbase : L2767KGL, 388-4 N° Lexbase : L0505LTU, 393 N° Lexbase : L5538LZ7, 394 N° Lexbase : L1545MAH, 495-8 N° Lexbase : L6810LW7, 627-6 N° Lexbase : L3845IRT, 696-10 N° Lexbase : L9765IPD, 706-105 N° Lexbase : L0636LTQ et 803-3 N° Lexbase : L9883I3G, il peut consulter ce dossier, l'avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d'un mandat écrit à cette fin peut, à l'occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l'utilisation d'un scanner portatif ou la prise de photographies. Il en est de même lorsque l'avocat consulte le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41-1 N° Lexbase : L0655L4Z à 41-3-1 A N° Lexbase : L9979LSE. Le décret précise aussi que cette reproduction est réalisée pour l'usage exclusif de l'avocat, qui ne peut la remettre à son client, si elle concerne un dossier d'instruction. Cette reproduction ne fait pas obstacle au droit de l'avocat d'obtenir, dans les cas et dans les délais prévus par le Code de procédure pénale, une copie du dossier auprès de la juridiction. Si le dossier est numérisé, l'avocat ne peut, en outre, refuser d'en recevoir une copie sous forme numérisée, le cas échéant selon les modalités prévues par l'article 803-1 N° Lexbase : L1638MAW, sauf, dans le cas prévu par les articles 114 et R. 165 N° Lexbase : L0076H39, décision contraire du juge d'instruction ; en cas de numérisation partielle du dossier, la copie de la partie du dossier non numérisée est remise sur support papier.

Entrée en vigueur. Le nouveau texte est entré en vigueur le 15 avril 2022.
 

newsid:481171

Contrat de travail

[Brèves] Travailleurs de plateforme numérique : comment s’apprécie l’existence du lien de subordination ?

Réf. : Cass. soc., 13 avril 2022, n° 20-14.870, FS-B N° Lexbase : A41167TM

Lecture: 3 min

N1220BZ9

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par Lisa Poinsot

Le 20 Avril 2022

► Il ne suffit pas de caractériser l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la plateforme numérique pour déterminer l’existence d’un lien de subordination et par-delà d’un contrat de travail.

Faits et procédure. Un travailleur, ayant signé un contrôle de location longue durée d’un véhicule et un contrat d’adhésion au système informatisé, voit ses relations contractuelles rompues avec la plateforme numérique. Il saisit alors la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.

La cour d’appel fait droit à sa demande en condamnant ainsi la plateforme numérique au versement de sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour procédure irrégulière, d'indemnité compensatrice de congés payés, d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de dommages et intérêts pour travail dissimulé.

Pour motiver sa décision et déterminer l’existence d’un contrat de travail, elle s’appuie sur divers indices suivants :

  • l'absence de libre choix du véhicule par le chauffeur ;
  • l'existence d’une interdépendance entre les contrats de location et d’adhésion à la plateforme ;
  • l'utilisation d’un système de localisation par GPS, en temps réel, du véhicule collecté afin que la plateforme puisse répartir de manière optimale et efficace les courses ;
  • l'indication par la plateforme du temps de prise en charge de la personne à transporter et du trajet à effectuer par ce système de localisation ;
  • le contrôle permanent de l’activité du chauffeur ;
  • la fixation et modification du montant de la course uniquement par la plateforme, au nom et pour le compte du chauffeur ;
  • l'utilisation d’un système de notation par les personnes transportées, correspondant à un pouvoir de sanction pour la plateforme selon l’article 3 du contrat d’adhésion.

Par ces indices, la cour d’appel en déduit que la plateforme détermine unilatéralement les conditions d’exécution de la prestation de services.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond. En application de l’article L. 8221-6 du Code du travail N° Lexbase : L8160KGC, prévoyant une présomption de non-salariat en faveur des personnes immatriculées au RCS, et de la définition jurisprudentielle du lien de subordination, elle rappelle que pour caractériser un lien de subordination, l’exercice d’un travail au sein d’un service organisé est un indice parmi d’autres. Il faut en outre déterminer que la plateforme possède un pouvoir de direction (adresser au travailleur des directives sur les modalités d’exécution du travail), un pouvoir de contrôle et un pouvoir de sanction en cas d’inobservation de ses directives par le travailleur.

Pour aller plus loin :

  • v. Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0887YN8 ; Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A95123GE et récemment Cass. crim., 5 avril 2022, n° 20-81.775, FS-B N° Lexbase : A21527SI ;
  • v. aussi : ÉTUDE : Les critères du contrat de travail, Les présomptions de salariat et de non-salariat, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E5006YZG.

 

newsid:481220

Cotisations sociales

[Brèves] Contrôle URSSAF : mise à jour de la charte du cotisant contrôlé

Réf. : Arrêté du 31 mars 2022, fixant le modèle de la charte du cotisant contrôlé prévue à l'article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale pour les organismes en charge du recouvrement des cotisations et contributions sociales au 1er janvier 2022 N° Lexbase : L3568MC7

Lecture: 3 min

N1244BZ4

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par Laïla Bedja

Le 20 Avril 2022

► Un arrêté du 31 mars 2022, publié au Journal officiel du 13 avril 2022, approuve la version de la charte du cotisant contrôlé utilisée depuis le 1er janvier 2022.

Pour rappel, l’existence de cette charte doit être mentionnée dans l’avis de contrôle qui précède un contrôle des agents du recouvrement de l’URSSAF. L’avis précise l’adresse électronique où le cotisant peut consulter la charte ou la possibilité de se faire adresser cette dernière sur demande.  

La charte en vigueur au 1er janvier 2022 contient les mises à jour suivantes.

1) Remboursement du solde créditeur dans un délai maximum d’un mois à compter du 1er juillet 2022 (auparavant deux mois).

2) Ajout d’un encart « Spécificités en matière de délais liées à la covid-19 » relatif à l’aménagement des délais d’émission des actes de recouvrement et de prescription pris dans le cadre de la crise sanitaire. L’encart rappelle que les délais de prescription applicables aux cotisations et contributions de sécurité sociale ont été suspendus par la loi entre le 12 mars et le 30 juin 2020, soit pendant 111 jours. Cette suspension liée à la crise sanitaire est cumulable avec la suspension du délai de prescription des cotisations et contributions pendant la période contradictoire à la suite du contrôle.
Par ailleurs, en application de l'article 25 de la loi de finance rectificative du 19 juillet 2021, tout acte de recouvrement qui aurait dû être émis entre le 2 juin 2021 et le 30 juin 2022 peut être valablement émis dans un délai d'un an à compter de cette date.

Par exemple, si le délai de trois ans dont disposent les Urssaf pour décerner une contrainte à l'issue d'une mise en demeure restée sans effet expirait le 1er juillet 2021, l'Urssaf a jusqu'au 30 juin 2022 pour engager cette action.

3) Nouvelles règles en matière de contrôle sur support dématérialisé. La dématérialisation des documents étant de plus en plus fréquente, il était nécessaire de modifier les règles relatives aux modalités de contrôle.

Ainsi, le cotisant contrôlé doit dorénavant mettre à disposition de l’employeur les copies des documents, des données et des traitements nécessaires à l’exercice du contrôle, dans le format informatique demandé par l’agent. Auparavant, le cotisant devez mettre à la disposition de l’agent chargé du contrôle un utilisateur habilité pour réaliser les opérations sur le matériel contenant les données.

En cas de refus écrit ou d'impossibilité avérée, le cotisant devra alors :

1° Soit réaliser lui-même les traitements sur son propre matériel puis produire les résultats au format et dans les délais indiqués par l'agent en charge du contrôle ;

2° Soit autoriser l'agent chargé du contrôle à procéder lui-même (ou par l'intermédiaire d'un utilisateur que le cotisant aura désigné), sur son matériel, aux opérations de contrôle par la mise en place de traitements automatisés.

Les copies fournies des fichiers transmis seront détruites par la suite, au plus tard lors de l'envoi de la mise en demeure ou lors de la notification de l'absence de redressement.

newsid:481244

Divorce

[Brèves] Prestation compensatoire : piqûre de rappel de la Cour de cassation quant à l’absence de prise en compte des droits accordés au titre du devoir de secours !

Réf. : Cass. civ. 1, 13 avril 2022, n° 20-22.807, F-B N° Lexbase : A41137TI

Lecture: 3 min

N1194BZA

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 20 Avril 2022

► Le juge ne peut prendre en considération, pour apprécier l'existence d'une disparité créée par le divorce dans les conditions de vie respectives des époux – et donc le droit d'un époux à une prestation compensatoire –, l'avantage constitué par la jouissance gratuite du domicile conjugal accordé, au titre du devoir de secours, à l'époux qui demande une prestation compensatoire.

La solution est tellement classique et répétée de longue date, que le choix opéré par la Cour de cassation de publier cette décision dans son bulletin mensuel, témoigne d’une volonté d’opérer une piqûre de rappel à l’attention des juges du fond, qui méconnaîtraient la règle.

En effet, en l’espèce, la cour d’appel de Paris, pour rejeter la demande de prestation compensatoire formée par l’épouse, avait retenu que celle-ci bénéficiait de la jouissance gratuite de l'ancien domicile conjugal depuis près de sept ans.

La décision ne pouvait donc qu’être censurée par la Cour régulatrice, qui rappelle la solution précitée (pour des exemples récents, v. Cass. civ. 1, 28 mai 2015, n° 13-23.395, F-D N° Lexbase : A8293NIY ; Cass. civ. 1, 2 décembre 2015, n° 14-18.478, F-D N° Lexbase : A6920NYX ; Cass. civ. 1, 17 mai 2017, n° 16-19.039, F-D N° Lexbase : A4796WDY ; Cass. civ. 1, 15 juin 2017, n° 16-19.333, F-D N° Lexbase : A2318WIP ; Cass. civ. 1, 14 mars 2018, n° 17-15.991, F-D N° Lexbase : A2168XHR ; Cass. civ. 1, 30 janvier 2019, n° 18-13.715, F-D N° Lexbase : A9768YUC ; Cass. civ. 1, 17 avril 2019, n° 17-28.301, F-D N° Lexbase : A6038Y9I ; Cass. civ. 1, 26 juin 2019, n° 18-11.354, F-D N° Lexbase : A3057ZHP ; Cass. civ. 1, 30 septembre 2020, n° 19-19.114, F-D N° Lexbase : A70423WQ).

Car la règle sous-jacente est la suivante : le juge fixe la prestation compensatoire en tenant compte de la situation des époux au moment du divorce (v. C. civ., art. 271 N° Lexbase : L3212INB).

Il est donc parfaitement logique que les avantages accordés à un époux au titre des mesures provisoires, en application du devoir de secours, qui vont donc cesser avec le prononcé du divorce, soient exclus des éléments à prendre en considération au titre des ressources des époux pour apprécier le droit d’un époux à une prestation compensatoire (de même que pour le chiffrage de la prestation compensatoire).

On ajoutera que la solution est identique lorsqu’il s’agit d’un avantage accordé en numéraire au titre du devoir de secours, qui doit nécessairement être exclu des éléments à prendre en compte (Cass. civ. 1, 2 décembre 2015, n° 14-18.478, F-D N° Lexbase : A6920NYX ; Cass. civ. 1, 7 décembre 2016, n° 15-28.765 N° Lexbase : A3744SPD ; Cass. civ. 1, 4 mai 2017, n° 16-19.212, F-D N° Lexbase : A9336WBE ; Cass. civ. 1, 11 octobre 2017, n° 16-20.865, F-D N° Lexbase : A8220WUY ; Cass. civ. 1, 28 février 2018, n° 16-29.101, F-D N° Lexbase : A0540XG4 ; Cass. civ. 1, 3 avril 2019, n° 18-13.631, F-D N° Lexbase : A3277Y8U).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La prestation compensatoire, spéc. Date d'appréciation du droit à prestation compensatoire, ou encore Définition des ressources à prendre en compte , in Droit du divorce (dir. J. Casey), Lexbase N° Lexbase : E0231E7P et N° Lexbase : E7556ETZ.

Pour vous former : v. Droit et pratique de la prestation compensatoire (4 heures) (code formation : LXBEL72) : cliquez-ici.

 

newsid:481194

Entreprises en difficulté

[Brèves] Responsabilité pour insuffisance d’actif : le manque de vigilance du dirigeant est une simple négligence

Réf. : Cass. com., 13 avril 2022, n° 20-20.137, F-B N° Lexbase : A41197TQ

Lecture: 4 min

N1176BZL

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par Vincent Téchené

Le 22 Avril 2022

► Le manque de vigilance du dirigeant est impropre à établir que celui-ci a commis une faute de gestion non susceptible d'être analysée en une simple négligence, écartant ainsi sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif.

Faits et procédure. Une société a bénéficié d'une procédure de sauvegarde le 28 février 2011. Elle a été mise en liquidation judiciaire le 4 juillet 2011 à la suite de la rupture brutale de ses relations commerciales avec son client unique. Le liquidateur a alors recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif du dirigeant de la débitrice.

La cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 9 juillet 2020, n° 19/14602 N° Lexbase : A89273QP) ayant condamné le dirigeant, celui-ci a formé un pourvoi en cassation au soutien duquel il faisait pour l’essentiel valoir que le manque de vigilance – à le supposer avéré – ne pouvait tout au plus constituer qu'une négligence insusceptible de caractériser une faute de gestion du dirigeant.

Décision. Cet argument convainc la Cour de cassation.

Elle rappelle qu’il résulte de l’article L. 651-2 du Code de commerce N° Lexbase : L0708L7D qu'en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l'insuffisance d'actif est écartée.

Or elle relève que, pour condamner le dirigeant au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, l'arrêt d’appel a constaté que le cocontractant unique de la débitrice avait imposé à cette dernière des investissements destinés à adapter sa capacité de production à ses demandes dans un secteur d'activité et à une période où le dirigeant pouvait légitimement croire à l'expansion de sa société et que ce cocontractant a brutalement rompu, à sa seule initiative, leurs relations commerciales. Par ailleurs, les juges du fond ont relevé que le dirigeant a manqué de vigilance en engageant la société qu'il dirigeait dans une activité reposant sur un client unique sans trouver le moyen de garantir la pérennité des relations commerciales.

La Cour de cassation censure donc l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 651-2, précité, retenant qu’en statuant par de tels motifs tirés seulement d'un manque de vigilance du dirigeant impropres à établir que celui-ci aurait commis une faute de gestion non susceptible d'être analysée en une simple négligence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Observations. La loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016, dite « Sapin II » N° Lexbase : L6482LBP (art. 146) a assoupli les modalités de l'engagement de la responsabilité du dirigeant en ajoutant une précision à l'article L. 651-2 du Code de commerce : en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. Par ailleurs, l'article 1er de la loi n° 2021-874, du 1er juillet 2021, en faveur de l’engagement associatif N° Lexbase : L0465L7D, a étendu « l'exception de négligence » prévue pour les dirigeants d'entreprises aux dirigeants associatifs bénévoles en cas de faute de gestion.

On rappellera également que la loi du 9 décembre 2016 en ce qu’elle écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif, est applicable immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours (Cass. com., 5 septembre 2018, n° 17-15.031, FS-P+B+I N° Lexbase : A3704X3L, B. Brignon, Lexbase Affaires, septembre 2018, n° 556 N° Lexbase : N5512BXG ; Cass. com., 5 décembre 2018, n° 17-22.011, F-D N° Lexbase : A7743YPH).

Enfin, plus récemment, la Cour de cassation a précisé que si la responsabilité pour insuffisance d’actif d’un dirigeant ne peut être retenue en cas de simple négligence dans la gestion de la société, celle-ci ne peut pas être réduite à l’hypothèse dans laquelle le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission (Cass. com., 3 février 2021, n° 19-20.004, F-P N° Lexbase : A01604GZ, V. Téchené, Lexbase Affaires, février 2021, n° 665 N° Lexbase : N6419BYE).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, La simple négligence, exclusive de la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d'actif, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E9960E9R.

 

newsid:481176

Fiscalité du patrimoine

[Focus] Transmettre par l’intermédiaire d’une société sans acquitter les droits de donation

Lecture: 13 min

N1192BZ8

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par Louis Poumeaud, Fiscaliste chez Couderc Dinh & Associés et chargé d'enseignements

Le 22 Septembre 2023

Mots-clés : patrimoine • droits de donation • sociétés • taux d’imposition • impôt sur les sociétés

De nombreux contribuables tendent à privilégier l’interposition de sociétés lorsqu’il s’agit de réaliser des investissements, immobiliers ou non. Détenir ou céder un bien par l’intermédiaire d’une entité relevant de l’impôt sur les sociétés peut en effet s’avérer moins coûteux « qu’en direct ». À titre d’exemple :

  • Lors de la détention : les bénéfices générés sont imposés entre 15 % et 25 %, alors que le taux d’imposition culmine – prélèvements sociaux et CEHR compris – à 66,2 % en direct. En outre, les revenus provenant d’investissements immobiliers peuvent être réduits de la déduction d’un amortissement [1] tandis que ceux provenant de valeurs mobilières sont susceptibles de bénéficier d’une imposition effective de l’ordre de 1,25 % grâce au régime mère-fille ;
  • Lors de la cession : la plus-value dégagée en cas de cession de valeurs mobilières éligibles au régime mère-fille et détenues pendant au moins de 2 ans pourront bénéficier d’une imposition effective de 3 % [2].

 

I. Problématique d’ensemble : l’emprisonnement des sommes à donner au sein de la société

Ces avantages ne doivent pas pour autant occulter les inconvénients liés au truchement d’une société. On pense tout spécialement au fait que les économies d’impôts et bénéfices réalisés par l’intermédiaire d’une société fiscalement opaque restent emprisonnées dans celle-ci, sauf à procéder à des distributions de dividendes ou réductions de capital taxées entre 30 % et 34 % [3].

Pour des contribuables disposant de revenus suffisants pour financer leur train de vie, il est assez courant de s’interroger sur le devenir de ces sommes, et notamment sur l’opportunité de les transférer à leurs proches. La manière la plus simple consiste à distribuer les sommes pour ensuite les donner. Il s’agit aussi de la plus fortement imposée.

Prenons l’exemple d’un couple ayant un enfant unique et détenant une société par actions simplifiée qui dispose d’une trésorerie distribuable de 2 millions d’euros. Ils souhaitent mobiliser cette trésorerie pour financer les frais de scolarité de l’université américaine que va intégrer leur fils à la rentrée prochaine. En cas de distribution de la trésorerie puis de donation, la fiscalité est la suivante :

Compte tenu de ce coût fiscal important – dépassant aisément les 55 % lorsque la donation est taxable au taux de 45 % – la problématique que rencontrent les ascendants se résume généralement comme suit : comment permettre à son enfant d’appréhender les liquidités sans acquitter de fiscalité lors de la distribution ni de droits de donation ?

La question s’avère d’autant plus épineuse que la jurisprudence décèle de mieux en mieux les situations dans lesquelles l’interposition d’une société a permis de réaliser une donation indirecte. Plus précisément, il est désormais acquis que l’interposition d’une société ne fait pas obstacle à l’imposition d’une donation indirecte, soit entre parents et enfants au taux de 45 % [4] soit directement au profit ou au bénéfice de la société à 60 % [5].

Deux solutions, permettant aux enfants de recevoir des sommes en acquittant uniquement la flat tax de 30 % et sans avoir à payer de droits de donation, sont ici présentées.

II. Solution n° 1 : Prévoir une répartition inégalitaire des résultats entre associés

La première stratégie peut être résumée comme suit : des parents, associés d’une société familiale, renoncent à leur droit à percevoir des dividendes afin que ceux-ci soient perçus directement par leur(s) enfant(s) associé(s) de ladite société.

Pour ce faire, il est nécessaire qu’une répartition inégalitaire des bénéfices entre associés soit prévue. Celle-ci peut résulter (A) soit d’une mention expresse dans les statuts de la société (B) soit d’une résolution adoptée à l’occasion de l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes constants le bénéfice distribuable et son affectation.

A. Répartition inégalitaire provenant des statuts

Si en principe chaque associé a une vocation aux bénéfices sociaux proportionnels à la quote-part qu’il détient du capital social, les statuts peuvent parfaitement prévoir une règle de répartition différente [6]. La liberté offerte aux associés est assez importante puisque la seule interdiction notable en la matière consiste à ne pas priver l’un d’entre eux de tout droit aux profits. À défaut, la clause serait qualifiée de léonine et réputée non écrite [7].

Dans la mesure où les profits comprennent le droit aux bénéfices (dividendes) ainsi que le boni de liquidation [8], il est admis qu’une clause statutaire puisse priver un associé de tous droits aux dividendes si tant est que ce dernier conserve ses droits sur le boni de liquidation [9].

En pratique, à la question de savoir si le fait pour un ascendant détenant la majorité des titres d’une société de renoncer statutairement à percevoir les dividendes lui revenant constitue une donation indirecte au profit des autres associés – taxable en tant que telle –, la Cour de cassation [10] a répondu par la négative. En effet, pour que la renonciation statutaire puisse s’analyser en une donation, encore faudrait-il que le parent associé s’appauvrisse au profit de ses enfants-coassociés [11] à l’occasion de celle-ci.

Or, dans son arrêt « Godefroy », la Cour de cassation estime que tel n’est pas. Plus précisément, tirant parti du « barrage » de la personnalité morale de la société, il est acquis que les bénéfices appartiennent à cette dernière, et à elle seule, tant qu’aucune décision de distribution n’est intervenue. En effet, force est de constater que la loi ne prévoit, en tant que telle, aucun « droit à dividende » au profit des associés ; les clauses d’intérêt fixe étant d’ailleurs prohibées [12].

Ainsi, lorsque des ascendants renoncent à percevoir des dividendes pour le futur, ils ne renoncent en réalité à rien puisque n’étant, au jour de la renonciation, titulaire d’aucun droit sur ces bénéfices. En effet, « les dividendes n’ont pas d’existence juridique avant la constatation des sommes distribuables et la détermination de la part attribuée à chaque associé » [13] de sorte que la jurisprudence estime que « [les ascendants] n’ayant été titulaires d’aucun droit sur les dividendes attribués à leurs enfants, n’ont pu consentir aucune donation ayant ces dividendes pour objet » [14].

Pour cette raison, le simple fait de prévoir statutairement, pour le futur, une répartition inégalitaire des bénéfices n’a pas pour effet d’appauvrir « l’associé renonçant » puisque, tant que l’assemblée générale n’a pas acté la distribution d’un dividende, l’associé ne dispose d’aucune créance. Ne pouvant renoncer à un droit sur un objet qui n’existe pas au jour de la renonciation, l’ascendant ne peut pas s’être appauvri et donc avoir consenti une donation à l’occasion de la modification statutaire.

Cette solution prévaut indépendamment du fait que les titres de la société aient fait l’objet d’un démembrement de propriété ou non [15].

B. Répartition inégalitaire provenant d’une résolution d’assemblée générale

Figer dans le marbre des statuts une répartition inégalitaire des résultats n’est pas toujours possible ni souhaitable. Pour des raisons de calendrier, il est en effet parfois difficile ou inopportun de retarder la distribution du dividende après la tenue de l’assemblée générale extraordinaire procédant à la modification des statuts. De la même manière, les familles ne sont pas toujours en clin à modifier pour une durée indéterminée les règles du pacte social et préfèrent, à l’inverse, y déroger de manière ponctuelle.

C’est dans ces circonstances que certains contribuables décident d’acter la répartition inégalitaire à l’occasion de l’assemblée générale ordinaire constatant le bénéfice réalisé et son affectation.

Juridiquement, la jurisprudence valide ce procédé en expliquant qu’aucune disposition « ne fait obstacle à ce que les bénéfices distribuables d’un exercice clos soient répartis entre les associés, sous forme de dividendes, conformément aux renonciations exprimées par certains d’entre eux en assemblée générale » [16].

Fiscalement, la jurisprudence n’a jamais eu à connaître, à notre connaissance, de la question de savoir si une telle renonciation pouvait être requalifiée en donation taxable. En tout état de cause, la jurisprudence rendue à propos des modifications statutaires, loin de répondre cette question, la laisse entière. Plus précisément, la solution retenue dans l’arrêt « Godefroy » découle entièrement de la circonstance que la créance de dividende n’existe qu’à compter de « la constatation des sommes distribuables et [de] la détermination de la part attribuée à chaque associé ». Dans l’hypothèse d’une renonciation à un associé de ses droits à dividende à l’occasion d’une assemblée générale, il semble qu’une lecture a contrario « Godefroy » conduise à caractériser une donation. En effet, il est évident que l’associé ne peut exprimer sa renonciation qu’après constatation du bénéfice distribuable et de la quote-part lui revenant.

Ainsi, et faute de jurisprudence fiscale à ce jour, cette technique semble ne pas devoir être empruntée.

III. Solution n° 2 : Distribuer les bénéfices préalablement affectés en réserves aux nus-propriétaires

Dans une optique de transmission à moindre coût, les donations des titres d’une société sont généralement effectuées en nue-propriété uniquement. Au-delà de ses intérêts juridiques, le démembrement est prisé pour l’absence d’imposition de l’usufruit lors de la succession [17].

Cette seconde stratégie peut être résumée comme suit : lorsque la société réalise un bénéfice annuel – ordinaire ou exceptionnel – il s’agit de l’affecter en réserves et de procéder à sa distribution ultérieurement, afin que le dividende puisse être perçu par les descendants nus-propriétaires.

De prime abord, attribuer des dividendes aux nus-propriétaires peut interpeller et laisser présager un contentieux à l’issue défavorable. En effet, par principe, c’est l’usufruitier, et lui seul, qui perçoit les fruits [18]. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une doctrine admise estime que l’ensemble des bénéfices de l’exercice, en ce qu’ils revêtent la qualité de fruits civils, appartiennent au seul usufruitier ; quand bien même ce bénéfice serait composé en partie d’un revenu exceptionnel comme la vente d’une partie de l’actif social [19]. Ainsi, le dividende est prélevé à partir du résultat annuel ou du report à nouveau.

À l’inverse, lorsque le bénéfice a préalablement été placé en réserves, le dividende distribué à partir desdites réserves appartient au nu-propriétaire ; soit immédiatement selon une partie de la jurisprudence [20], soit à terme selon la chambre commerciale [21]. Plus précisément, la première chambre civile estime que l’usufruitier n’a aucun droit sur le dividende prélevé sur les réserves, tandis que la chambre commerciale estime que le dividende prélevé sur les réserves appartient à l’usufruit mais uniquement sous la forme d’un quasi-usufruit, ce qui signifie que les nus-propriétaires disposeront d’une créance de restitution d’égale valeur à faire valoir contre la succession de l’usufruitier à son décès.  

Ainsi, l’affectation du bénéfice en réserves permet de piloter les bénéfices que les ascendants-usufruitiers souhaitent, ou non, transmettre à leurs descendants ; étant précisé que la mise en réserve n’est pas assimilée à une donation indirecte [22], procurant à cette stratégie tout son intérêt et sa sécurité.

Conseils pratiques. – Afin de permettre à cette technique de déployer tous ses effets, il est conseillé de :

  • Favoriser le sur-mesure en prévoyant statutairement quelles sommes reviendront respectivement à l’usufruitier et au nu-propriétaire

Concernant le résultat de l’exercice : le résultat courant doit nécessairement revenir à l’usufruitier, sauf à être placé en réserves. Pour le résultat exceptionnel non placé en réserves, il est parfaitement possible de prévoir (i) qu’il reviendra intégralement à l’usufruitier en pleine propriété (ii) intégralement au nu-propriétaire en pleine propriété ou encore (iii) sera attribué à l’usufruitier sous la forme d’un quasi-usufruit.

Concernant le résultat placé en réserves : comme précédemment, il est possible de prévoir statutairement que ces sommes (i) reviendront intégralement à l’usufruitier en pleine propriété (ii) au seul nu-propriétaire en pleine propriétaire ou encore (iii) à l’usufruitier sous la forme d’un quasi-usufruit.

  • Tenir compte de la nature de l’actif détenu par la société dans le cadre de l’aménagement des statuts. Par exemple, si la société détient la résidence principale des usufruitiers, il sera pertinent de prévoir que le résultat exceptionnel de l’exercice reviendra exclusivement à l’usufruitier afin de lui permettre de bénéficier de l’exonération de plus-value de la résidence principale.
  • Sécuriser les choix retenus en les rendant opposables à l’administration fiscale par l’enregistrement des statuts avant la clôture de l’exercice [23].

En outre, en cas d’option pour le quasi-usufruit, la stipulation d’une convention constatant ledit quasi-usufruit sera vivement recommandée afin de matérialiser la créance de restitution, assurer sa déduction fiscale et sa prise en compte lors de la liquidation de la succession. À ces fins, la convention sera utilement (i) enregistrée fiscalement et (ii) mentionnée au fichier central des dernières volontés.

  • Ne pas utiliser le compte de report à nouveau comme un compte de réserves lorsque des sommes n’auraient pas été distribuées au terme d’un exercice. En effet, en cas de distribution ultérieure, le dividende sera prélevé prioritairement sur le report à nouveau (résultat de l’exercice revenant donc en principe à l’usufruitier) puisque les réserves ne peuvent être distribuées qu’après épuisement du report à nouveau [24].

Ainsi, il est nécessaire que les affectations comptables en fin d’exercice – report à nouveau ou réserves – soient mûrement réfléchies en vue des distributions ultérieures.

En pratique – Checklist

  • Revue des statuts, et notamment des clauses relatives aux droits aux bénéfices
  • S’assurer de la présence de bénéfices distribuables suffisants (afin d’éviter la qualification de dividendes fictifs) et de la trésorerie nécessaire,
  • Pour la stratégie n° 2 spécifiquement : s’assurer que les affectations comptables (report à nouveau / réserves) correspondent aux objectifs poursuivis par les distributions envisagées. À défaut, les modifier en conséquence (ex : affecter le report à nouveau en réserves).
  • S’assurer qu’aucune exonération de droits de donations n’aurait pu s’appliquer, afin d’éviter le paiement inutile de la flat tax à 30% si la transmission avait pu s’effectuer en franchise de droits.
 

[1] Cet avantage est généralement « neutralisé » à l’occasion de la cession puisque les amortissements pratiqués sont repris et imposés en tant que plus-value à court terme en ce qu’ils ont contribué à minorer la valeur nette comptable des actifs cédés servant au calcul de la plus-value imposable.

[2] Ce régime ne s’applique pas aux cessions de filiales à prépondérance immobilière, ce qui est généralement le cas lors d’une cession de parts d’une SCI.

[3] Si le taux d’imposition des opérations de réduction de capital et distributions de dividendes est identique, l’assiette taxable ne l’est pas. En effet, pour les réductions de capital, l’assiette est constituée par la plus-value réalisée sur les titres annulés. En matière de dividendes, l’impôt est calculé sur la base des sommes distribuées. Cette différence conduit souvent les contribuables à arbitrer entre ces deux opérations.

[4] Cass. civ. 1, 24 janvier 2018, n° 17-13.017, FS-P+B N° Lexbase : A8561XBP ; Cass. civ. 1, 18 mars 2020, n° 18-25.309., F-D N° Lexbase : A48683KI.

[5] Cass. com., 10 avril 2019, n° 17-19.734, F-D N° Lexbase : A1805Y9Q ; Cass, com, 7 mai 2019, n° 17-15.261, F-D N° Lexbase : A7272XQE.

[6] C. civ., art. 1844-1 N° Lexbase : L2021ABH : « la part de chaque associé dans les bénéfices […] se détermine à proportion de sa part dans le capital social […] sauf clause contraire ».

[7] Sont léonines, et par suite réputées non écrites, les clauses « excluant un associé totalement du profit [de la société] » (C. civ., art. 1844-1, al. 2).

[8] CA Orléans, 20 juin 2011, n° 10/01222 N° Lexbase : A1008HWA.

[9] F. Xavier-Lucas, Théorie des bénéfices et des pertes – Clauses léonines, JCL Sociétés, Fasc. 15-30.

[10] Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-27.745, F-P+B N° Lexbase : A1657IZE.

[11] C. civ., art. 894 N° Lexbase : L0035HPY : « la donation entre vifs est l’acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte ».

[12] C. com., art. L. 232-15 N° Lexbase : L6295AIY : « il est interdit de stipuler un intérêt fixe ou intercalaire au profit des associés ».

[13] Cass. com., 13 septembre 2017, n° 16-13.674, FS-P+B+I N° Lexbase : A4163WRM.

[14] Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-27.745, F-P+B N° Lexbase : A1657IZE.

[15] Ibid.

[16] Cass. com., 13 févr. 1996, n° 93-21.140, publié N° Lexbase : A9491AB7 ; solution confirmée ultérieurement par Cass. com., 26 mai 2004, n° 03-11.471, inédit N° Lexbase : A2877DCK.

[17] CGI, art. 1133 N° Lexbase : L9702HLW : « la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu […] par le décès de l’usufruitier ».

[18] C. civil, art. 582 N° Lexbase : L3163ABR : « l’usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l’objet dont il a l’usufruit ».

[19] Mémento Sociétés civiles, Ed. 2020, § 62124.

[20] Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-19.471, F-P+B N° Lexbase : A2344RUD.

[21] Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16.246, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6622NI4 ; Cass. com., 24 mai 2016, n° 15-17.788, FS-P+B N° Lexbase : A0249RRN.

[22] Cass. com., 10 février. 2009, n° 07-21.806, FS-P+B N° Lexbase : A1249EDM.

[23] BOI-RFPI-CHAMP-30-20, n° 160 N° Lexbase : X8300ALY et BOI-BIC-CHAMP-70-20-10-20, n° 100 N° Lexbase : X8162ALU.

[24] C. com., art. L. 232-11.

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Licenciement

[Jurisprudence] La réorganisation peut être mise en œuvre avant l’homologation du PSE par l’administration

Réf. : Cass. soc., 23 mars 2022, n° 20-15.370, FS-B N° Lexbase : A12777RQ

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N1214BZY

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par Lucie Jubert-Tomasso, Maîtresse de conférences en droit privé, Université Sorbonne Paris Nord

Le 20 Avril 2022

Mots-clés : licenciement pour motif économique • mise en œuvre de la réorganisation • restructuration • information-consultation du CSE • homologation du PSE • dispense d’activité • obligation de fournir un travail • refus de modification du contrat de travail • compétence du juge judiciaire • compétence du juge administratif • mesures de prévention

Dans son arrêt du 23 mars 2022, publié au bulletin, la Cour de cassation affirme que la réorganisation de l’entreprise ayant pour conséquence des licenciements économiques peut être mise en œuvre avant l’homologation du PSE par l’autorité administrative, et livre ainsi sa nouvelle conception de la chronologie d’un projet de compression d’effectifs.


Qu’un processus de réorganisation assorti de compression d’effectifs se compose de deux faces distinctes - l’une liée à la décision économique et ses modalités d’application et l’autre liée à ses conséquences sur l’emploi particulièrement en la forme de licenciements - personne n’en doutait plus. Dans l’arrêt rendu le 23 mars 2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’appuie sur cette distinction pour en tirer des effets sur la chronologie et la temporalité de la mise en œuvre d’un même projet.

En l’espèce, l’employeur avait pour projet de déplacer l’activité de deux de ses agences au sein d’une troisième, située dans une autre ville. Il avait adressé en août 2015 des propositions de modification du contrat de travail aux salariés dont les agences allaient déménager. Devant leur refus, l’employeur engage une procédure de grand licenciement pour motif économique. Sans attendre, il procède à la réorganisation envisagée et place en dispense d’activité rémunérée les salariés ayant refusé la modification de leur contrat dès le 30 septembre 2015. Ils seront finalement licenciés en juin 2016, un mois après l’homologation du PSE par l’administration. Dans le laps de temps qui s’est écoulé entre le placement en dispense d’activité et l’homologation du PSE, l’un des salariés a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation de son contrat de travail. Le CPH, approuvé par la cour d’appel, lui donne raison au motif que la réorganisation ne pouvait être mise en œuvre avant l’homologation du PSE et que dès lors, la dispense d’activité caractérisait un manquement de l’employeur à son obligation de fournir du travail d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire.

Sur le pourvoi formé par l’employeur, la Cour de cassation avait à trancher cette question de la temporalité de la mise en œuvre de la réorganisation : peut-elle être mise en œuvre avant toute homologation du PSE ?

La Chambre sociale répond par l’affirmative. Au visa des articles L. 1233-25 N° Lexbase : L1152H9K, L. 1233-30 N° Lexbase : L8096LGX et l’ancien article L. 2323-31 du Code du travail, aujourd’hui abrogé et remplacé par l’article L. 2312-39 du Code du travail N° Lexbase : L8272LGH [1], elle censure la cour d’appel pour violation de la loi en jugeant que « si le comité d’entreprise doit être saisi en temps utile des projets de restructuration et de compression des effectifs, la réorganisation peut être mise en œuvre avant la date d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi par l’autorité administrative ».

Elle fonde son raisonnement sur la distinction entre réorganisation et projet de licenciement qui découle des procédures d’information-consultation des représentants élus du personnel et du rôle de l’administration dans le contrôle du PSE (I.). Si la distinction sur laquelle s’appuie la Chambre sociale peut difficilement faire l’objet de critiques, la solution à laquelle l’arrêt aboutit sur la temporalité de la mise en œuvre de la réorganisation lorsqu’elle implique l’élaboration d’un PSE laisse plusieurs zones d’ombre liées tant aux objets de contrôle de l’administration du travail qu’à ses conséquences de la réorganisation sur les rapports individuels de travail (II.).

I. Les fondements de la distinction entre la phase de mise en œuvre du projet de réorganisation et la phase de mise en œuvre du projet de licenciement

D’évidence, lorsqu’un projet de réorganisation implique des licenciements économiques, et plus encore lorsque ceux-ci sont soumis à la procédure de grand licenciement pour motif économique et à l’obligation d’élaborer un PSE, l’articulation des procédures d’information-consultation du CSE et le rôle de l’administration permettent de distinguer deux faces : le projet de réorganisation proprement dit et ses conséquences sur l’emploi en la forme d’un projet de licenciement.

C’est à la distinction matérielle de ces procédures encadrant l’adoption par l’employeur d’un projet de réorganisation affectant l’emploi (A.) et à leur articulation temporelle (B.) que s’attache ici la Chambre sociale pour en déduire la possibilité pour l’employeur de mettre en œuvre le projet de réorganisation avant l’homologation du PSE par l’autorité administrative qui concerne, elle, le projet de licenciement.

A. La distinction matérielle entre le contrôle du projet de réorganisation et le contrôle du projet de licenciement

Depuis les arrêts « Sietam Industries » du 16 avril 1996 [2] et « Grands magasins de l’Ouest » du 17 juin 1997 [3], il est acquis que les procédures d’information-consultation sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs et sur le projet de licenciement collectif pour motif économique constituent deux procédures distinctes devant être menées l’une et l’autre, quoiqu’elles puissent désormais être menées concomitamment [4].

L’arrêt commenté est rendu au visa de l’ancien article L. 2323-31 du Code du travail, devenu L. 2312-39, qui dispose que le CSE est saisi en « temps utile des projets de restructuration et de compression des effectifs » lui permettant d’émettre un avis sur « l’opération projetée et ses modalités d’application ». Est visée ici la « décision économique projetée [5] », c’est-à-dire le choix de gestion et les modifications qu’il implique en matière d’organisation du travail [6] (déplacement d’une usine, suppression d’une ligne de production, fermeture d’un site, fabrication d’un nouveau produit …), qui doit être distinguée des conséquences sur l’emploi de la décision économique, objet de la procédure d’information-consultation sur le projet de licenciement économique. C’est d’abord à cette distinction des objets de l’information-consultation que s’attache la Chambre sociale dans l’arrêt commenté.

Ainsi que le rappelle la Chambre sociale, l’avis du CSE sur l’opération économique doit être transmis à l’autorité administrative chargée de contrôler le PSE lorsque l’entreprise est tenue d’en élaborer un. De ce lien entre l’information-consultation du CSE et le contrôle du PSE par l’administration, fallait-il déduire que la réorganisation, objet de l’avis transmis, ne pouvait être mise en œuvre avant la décision d’homologation du PSE par l’autorité administrative ? La Cour de cassation répond par la négative et son raisonnement trouve ici racine dans l’objet du contrôle de l’autorité administrative du PSE.

Au terme de l’article L. 1233-57-3 du Code du travail N° Lexbase : L9460LHT, en cas de PSE unilatéral, l’autorité administrative est chargée de contrôler le contenu du PSE, le respect de la procédure d’information-consultation du CSE tant sur le projet de licenciement que sur l’opération économique projetée [7], ainsi que les différents éléments se rapportant au projet de licenciement. Une lecture littérale de l’article L. 1233-57-3 suggère ainsi que le contrôle de l’autorité administrative, à une nuance d’importance près [8], ne porte pas substantiellement sur l’opération économique ou la réorganisation stricto sensu. L’autorité administrative n’opère d’ailleurs aucun contrôle sur la rationalité économique de l’opération projetée [9]. Suivre cette logique accrédite la distinction entre, d’une part, le projet de licenciement dont la mise en œuvre est subordonnée à la décision d’homologation du PSE rendue par l’autorité administrative, et, d’autre part, le projet de réorganisation dont la mise en œuvre est ici jugée indépendante de la décision administrative.

La distinction matérielle entre le projet de réorganisation et le projet de licenciement nourrie le raisonnement de la Chambre sociale, mais elle ne pourrait suffire expliquer la solution retenue. Le raisonnement des juges est également irrigué d’une distinction temporelle dans le contrôle des deux faces du projet patronal.

B. La distinction temporelle entre le contrôle de la réorganisation et le contrôle du projet de licenciement

Dans l’arrêt rapporté, la référence à l’ancien article L. 2323-31 du Code du travail, devenu L. 2312-39, permet d’articuler une distinction temporelle entre les différentes phases du projet de compression d’effectif mené par l’employeur.

La saisine « en temps utile » du CSE implique que celui-ci soit consulté dès lors que la décision économique projetée est arrêtée en son principe quoique ses modalités d’application ne soient pas encore déterminées [10]. Le cas échéant, elles devront faire l’objet d’une nouvelle consultation [11]. L’avis du CSE devant être transmis à l’autorité administrative, on ne peut qu’en conclure logiquement qu’il doit être rendu avant la décision d’homologation ou de la validation du PSE [12]. Durant ce laps de temps, qui courre du début de la première réunion du CSE à la dernière où il rend son avis sur l’opération économique, il va sans dire qu’il est interdit à l’employeur de mettre en œuvre son projet de réorganisation - objet de la consultation - sous peine de commettre un délit d’entrave [13]. L’utilité de la consultation, ici rappelée par la Chambre sociale, en dépend.

Assurément, c’est à cette interdiction que se réfère ici la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que « si, le [CSE] doit être saisi en temps utile », rien n’interdit la mise en œuvre de la réorganisation antérieurement à la décision d’homologation du PSE par l’autorité administrative. Elle découpe une première phase temporelle dans la procédure de grand licenciement pour motif économique durant laquelle l’employeur ne peut mettre en œuvre son projet de réorganisation ; première phase qui se distingue de la deuxième durant laquelle la réorganisation peut être mise en œuvre.

Niché dans une simple conjonction de subordination, le rappel implicite de cette première phase d’interdiction est heureux. En effet, que la mise en œuvre de la réorganisation puisse débuter avant que l’ensemble de la procédure du grand licenciement économique ne soit menée à son terme ne l’abstrait pas pour autant de tout encadrement procédural, même minimal : demeure la procédure d’information-consultation du CSE sur la décision économique projetée au titre de l’article L. 2312-39 du Code du travail. Dit autrement, la mise en œuvre de la réorganisation est subordonnée à la conduite de cette procédure à son terme, mais à elle seule.

Des articles L. 2312-39 et L. 1233-57-3 du Code du travail, il ressort que la procédure de consultation du CSE au titre de ses attributions générales précède nécessairement le contrôle administratif du PSE. De cette chronologie, appuyée sur une compréhension stricte des objets de contrôle de l’administration, découle la solution retenue par l’arrêt du 23 mars 2022.

Pour autant, on ne peut saisir les enjeux pratiques d’une telle solution si l’on envisage uniquement le délai légal de 21 jours de l’administration pour rendre sa décision d’homologation à compter de la réception complète du dossier. La pratique des DREETS d’user de leur pouvoir d’observation à partir du moment où elles sont informées d’un projet de licenciement peut avoir pour effet de créer un décalage de quelques mois entre l’avis du CSE sur l’opération économique et la décision d’homologation du PSE. La solution ici rendue coupe court à cet effet induit et implique une accélération du processus, du moins en ce qui concerne la réorganisation.

Que la mise en œuvre d’une réorganisation assortie de licenciements, qui plus est dans un contexte économique dégradé, ne puisse être repoussée éternellement peut s’entendre. Telle est d’ailleurs la finalité des délais préfixes de consultation du CSE, la limitation du délai de l’administration pour rendre son avis et la décision implicite d’homologation si silence est gardé. Mais précisément : pareil encadrement temporel ne suffisait pas à garantir à l’employeur la possibilité de mener à bien son projet de compression d’effectifs dans des délais raisonnables sans avoir à autoriser la mise en œuvre de la réorganisation avant la décision d’homologation du PSE ?

Plus fondamentalement, malgré la rigueur de l’analyse, presque littérale, du Code du travail suivi ici par la Chambre sociale, demeure le sentiment tenace qu’entre le projet de licenciement proprement dit et la réorganisation, il existe une nécessaire porosité. L’importance du projet de licenciement au regard de laquelle l’administration apprécie la pertinence du PSE, les catégories professionnelles visées ou même le calendrier des licenciements ne sont-ils pas intimement liés à l’ampleur, la nature ou la chronologie de la réorganisation [14] ? Autoriser sa mise en œuvre avant la décision d’homologation de l’autorité administrative, l’obligeant à tenir pour acquise la réorganisation, n’a-t-il pas pour effet indirect d’empiéter sur son contrôle ?

II. Les zones d’ombre nées de la distinction entre la mise en œuvre de la phase de réorganisation et la phase de mise en œuvre du projet de licenciement

Quoique l’arrêt commenté puisse alimenter quelques remarques sur l’émergence d’un « droit des réorganisations » distinct du droit du licenciement pour motif économique, nous nous contenterons ici d’évoquer quelques zones d’ombre tenant à la portée de la solution quant aux causes matérielles du licenciement (A.), à ses conséquences sur le contrôle des effets d’une réorganisation sur la santé des salariés (B.) et à ses interférences avec la jurisprudence relative à l’obligation de fournir un travail (C.).

A. Une solution limitée aux licenciements procédant du refus de la modification du contrat ?

Dans les faits ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, la réorganisation envisagée par l’employeur - le déplacement d’une agence - lui avait d’abord fait proposé des modifications des contrats de travail dont certaines ont été refusées par les salariés. Dans son arrêt, la Cour de cassation vise l’article L. 1233-25 du Code du travail N° Lexbase : L1152H9K, qui précise que ce sont les refus de modification du contrat qui déterminent le déclenchement de la procédure de grand licenciement pour motif économique et non le nombre de propositions. Faut-il y voir le signe d’une solution dont la portée serait limitée aux seuls projets de licenciement faisant suite à des refus de modifications du contrat ? Tel était d’ailleurs le sens du pourvoi soumis à l’examen de la Cour de cassation. À l’analyse, on trouve quelques arguments en ce sens.

Tout d’abord, on peut rappeler la tendance déjà ancienne à aménager le droit du licenciement pour motif économique lorsque le projet procède d’une modification du contrat, et même à considérer que la proposition de modification du contrat constitue déjà une forme de mise en œuvre de la réorganisation envisagée [15].

Ensuite, et plus fondamentalement, limiter la possibilité de mettre en œuvre une réorganisation avant la décision d’homologation du PSE par l’administration pour les seuls licenciements faisant suite au refus de modification du contrat pourrait trouver une justification liée aux objets du contrôle de l’administration. Lorsque l’employeur envisage le licenciement de l’ensemble des salariés ayant refusé la modification de leur contrat de travail, il n’est pas tenu d’établir un ordre des licenciements [16]. De ce point de vue, il y a une correspondance stricte entre les salariés affectés par la réorganisation mise en œuvre avant l’homologation du PSE et les salariés dont le licenciement est envisagé.

Il en va autrement lorsque l’employeur envisage de sélectionner parmi les salariés ayant manifesté leur refus ou lorsque le projet de licenciement fait suite autant à des refus de modification du contrat qu’à des suppressions d’emplois. Il est alors tenu d’établir un ordre des licenciements. Dès lors, les salariés susceptibles d’être affectés par la réorganisation (par exemple, placés en dispense d’activité) ne seraient pas nécessairement les salariés dont le licenciement est envisagé, par le jeu de l’ordre des licenciements. Il y aurait là une certaine incohérence. À cela, s’ajoute une articulation délicate avec l’objet du contrôle administratif du PSE en vue de son homologation. Lorsqu’un PSE unilatéral lui est soumis, l’administration est notamment chargée de contrôler la conformité de la pondération et le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements ainsi que le découpage des catégories professionnelles opéré par l’employeur [17]. S’il concerne des salariés d’ores et déjà affectés par la réorganisation, le contrôle administratif perd quelque peu de son intérêt.

Plus encore, l’extension de la solution de l’arrêt commenté aux cas où l’employeur est tenu d’établir un ordre des licenciements reviendrait à lui laisser le libre choix des salariés affectés par la réorganisation, sans obligation de justification. Le risque d’arbitraire est alors grand dans le choix des salariés affectés par la réorganisation [18].

B. Incertitudes sur le contrôle des effets de la réorganisation en matière de santé

La mise en œuvre de la réorganisation antérieurement à la décision d’homologation du PSE trouble la procédure de grand licenciement pour motif économique en matière de santé et de sécurité au travail, tant sur la compétence propre de l’autorité administrative, et la répartition matérielle de compétence du juge judiciaire et du juge administratif, que sur l’articulation temporelle des procédures.

En effet, de prime abord, il semble que dans le cadre de son contrôle, l’autorité administrative n’a pas à connaître de l’opération économique. Toutefois, le Tribunal des conflits, dans sa décision du 8 juin 2020, a précisé que l’autorité administrative doit contrôler « tant la régularité de l’information et de la consultation des institutions représentatives du personnel (IRP) que les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail au titre des modalités d’application de l’opération projetée, ce contrôle n’étant pas séparable de ceux qui lui incombent en vertu des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du Code du travail » [19]. A minima, il revient à la DREETS de vérifier l’existence de ces mesures de prévention, et peut-être lui revient-il également d’apprécier leur teneur et leur capacité à éviter ou réduire les risques, notamment psychosociaux, induits par la réorganisation projetée [20].

Au regard de cet objet de contrôle de l’administration, la solution rendue dans l’arrêt du 23 mars 2022 interroge : que peut-il rester d’un contrôle ex ante de l’existence des mesures de prévention, condition d’homologation du PSE, prises au titre d’une réorganisation d’ores et déjà mise en œuvre ? C’est peu de dire que la solution ici commentée prive de sa substance le contrôle de l’administration en la matière.

Le trouble est plus grand encore si l’on se rappelle, qu’en principe, le contrôle ex post du respect par l’employeur de son obligation de sécurité liée à la mise en œuvre de l’opération de réorganisation relève de la compétence du juge judiciaire et non de celle de l’administration ou du juge administratif [21]. La réorganisation pouvant être mise en œuvre antérieurement à l’homologation du PSE, rien de devrait empêcher l’intervention du juge judiciaire, y compris en référé, avant la fin de la procédure de licenciement [22]. Dès lors, qu’adviendrait-il si le juge judiciaire suspendait la mise en œuvre d’une pareille réorganisation au regard des risques qu’elle fait peser sur la santé des salariés ? L’autorité administrative serait-elle tenue par cette décision et devrait-elle refuser d’homologuer le PSE ne comprenant manifestement pas les mesures de prévention nécessaires ?

On le voit, la solution dégagée par l’arrêt du 23 mars 2022 souligne une délicate question sur la répartition de compétence entre les ordres juridictionnels en matière de santé, que la stricte distinction entre la mise en œuvre de la phase de réorganisation et celle de licenciement proprement dite ne suffit à résorber, bien au contraire.

C. Interférences entre dispense d’activité procédant d’une réorganisation et obligation de fournir un travail

Apercevoir les zones d’ombre laissées par l’arrêt rapporté quant aux conséquences de la mise en œuvre des réorganisations sur les rapports individuels de travail, suppose de rappeler brièvement les faits de l’espèce.

La réorganisation en cause consistait dans le regroupement des activités de différentes agences au sein d’une nouvelle. Certains des salariés s’étant vu proposer une modification du lieu géographique d’exercice de leur travail l’ont refusée et l’employeur a engagé une procédure de licenciement pour motif économique. Entre le refus de la modification du contrat de travail en novembre 2015 et l’homologation du PSE en juin 2016, ces salariés ont été placés unilatéralement par l’employeur en dispense d’activité avec maintien de la rémunération.

La dispense d’activité décidée unilatéralement, même rémunérée, constitue un manquement à l’obligation de l’employeur de fournir un travail [23]. Le manquement à cette obligation constitue une cause de résiliation judiciaire [24] ou justifie la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat [25], sauf à démontrer qu’il ne lui est pas imputable [26].

Certes, sur cette pratique ancienne de placer en dispense d’activité les salariés menacés de licenciement, un tempérament avait été apporté par la Cour de cassation.  Elle avait pu considérer la dispense d’activité comme une mesure participant au reclassement [27], dont l’irrégularité ne privait pas en tant que tel le licenciement de cause réelle et sérieuse du moins sur le terrain de l’article L. 1233-4 du Code du travail [28].

En l’espèce, il est difficile de soutenir que la dispense d’activité participait de la mise en œuvre du reclassement, alors même qu’elle est prononcée bien antérieurement à l’élaboration et à l’homologation du PSE contenant un plan de reclassement. La cour d’appel ne s’y était pas trompée et avait jugé que cette dispense d’activité caractérisait un manquement de l’employeur à son obligation de fournir un travail justifiant la résiliation du contrat à ses torts exclusifs [29]. La Haute juridiction casse ce chef de dispositif. En validant ainsi qu’une réorganisation puisse en passer par le placement en dispense d’activité, sans lien avec l’obligation de reclassement et décidée unilatéralement, la Chambre sociale ne touche pas ici qu’à la chronologie du processus de compression d’effectifs, mais interfère plus largement avec l’obligation de fournir un travail et aux conséquences de son manquement. Sauf à revenir sur sa jurisprudence constante en la matière, la solution de l’arrêt du 23 mars 2022 ne devrait pas permettre le développement de la pratique de dispenses d’activité décidées unilatéralement, même lorsqu’elles constituent une voie de mise en œuvre d’une réorganisation. On ne peut que souhaiter que la Chambre sociale clarifie sa position sur ce point.

En définitive, admettant que la réorganisation puisse être mise en œuvre avant la décision d’homologation du PSE, l’arrêt commenté se nourrit du divorce entre l’encadrement juridique des réorganisations et le droit du licenciement pour motif économique depuis longtemps entamé [30]. Il alimente également le débat en soulignant quelques-uns des enjeux de la différenciation entre « droit des réorganisations » et droit du licenciement économique.


[1] L’arrêt est rendu sous l’empire des dispositions antérieures à la création du CSE. Néanmoins, la solution est transposable.

[2] Cass. soc., 16 avril 1996, n° 93-15.417, « Sietam Industries » N° Lexbase : A3972AAD.

[3] Cass. soc., 17 juin 1997, n° 95-18.904, « Grands magasins de l’Ouest » N° Lexbase : A1982ACE.

[4] C. trav., art. L. 1233-30 N° Lexbase : L8096LGX.

[5] G. Auzero, D. Baugard, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, Précis, 2021, n° 524.

[6] Sur la distinction entre réorganisation et restructuration : H. Cavat, Le droit des réorganisations. Etude de droit du travail, thèse Paris Nanterre, 2020, p. 3, n° 9 et s..

[7] CE, 22 juillet 2015, n° 385816, « Heinz », publié au recueil Lebon [A9295NM9].

[8] Cf. infra sur la question de la santé sécurité.

[9] Le contrôle de la cause réelle et sérieuse, et donc les justifications économiques du licenciement, pouvant trouver leur source dans la réorganisation menée relève de la compétence du juge judiciaire.

[10] Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 96-12314, publié au bulletin N° Lexbase : A2211ACU ; Cass. soc., 26 mai 2004, n° 02-17.642, F-D N° Lexbase : A2726DCX.

[11] Cass. soc., 7 février 1996, n° 93-18.756 N° Lexbase : A2346ABI.

[12] C. trav., art. L. 2312-39 N° Lexbase : L8272LGH.

[13] Cass. crim., 27 novembre 1990, n° 89-81.454, inédit N° Lexbase : A3346C4P ; Cass. crim., 21 septembre 1999, n° 98-84.783, inédit N° Lexbase : A2530CYD ; Cass. crim., 3 octobre 1990, n° 89-83.161, inédit N° Lexbase : A5791C7M.

[14] Sur cette question : A. Lyon-Caen, « La procédure au cœur du droit du licenciement pour motif économique », Droit ouvrier, 2002, p. 161.

[15] Cass. soc., 22 mars 1995, n° 93-44.329 N° Lexbase : A9586AAB : « le licenciement de plusieurs salariés ayant refusé une modification substantielle de leur contrat de travail consécutive à la réorganisation de l'entreprise constitue un licenciement collectif pour motif économique ».

[16] Cass. soc., 27 mars 2012, n° 11-14.223, FS-P+B N° Lexbase : A0019IH8 ; CE, 10 octobre 2018, n° 395280, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7732YE4.

[17] C. trav., art. L. 1233-57-3 N° Lexbase : L9460LHT ; CE, 30 mai 2016, n° 387798, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2621RRI.

[18] Il ne resterait sans doute, comme contrôle possible, que celui lié à l’interdiction des discriminations. Déjà sur la question du rôle de l’ordre des licenciements dans la sélection des salariés affectés par une réorganisation ou en vue de leur reclassement : H.-J. Legrand, L'ordre des licenciements ou l'identification du salarié atteint par une suppression d'emploi, Droit social, 1995, p. 243.

[19] T. confl., 8 juin 2020, n° 4189 N° Lexbase : A55163NM.

[20] TA Montreuil, 23 juillet 2020, n° 2001959 N° Lexbase : A05953ST, SSL, 2020, n° 1921, comm. S. Brotons.

[21] Cass. soc., 14 novembre 2019, n° 18-13.887, FS-P+B N° Lexbase : A6642ZYN ; T. confl., 8 juin 2020, n° 4189, préc.. Le rapporteur public, dans la question soumise au Tribunal des conflits, plaidait pour un contrôle de l’administration sur les mesures de prévention, sous l’angle du contrôle de la procédure d’information-consultation du CSE, précisément pour éviter l’intervention du juge judiciaire en cours de procédure : N. Polge, Le contrôle par l'administration des mesures de prévention dans le cadre du PSE, SSL, 2020, n° 1925.

[22] Déjà : CA Versailles, 1er décembre 2015, n° 15/01203 N° Lexbase : A4812NYU ; CA Versailles, 18 janvier 2018, n° 17/06280 N° Lexbase : A7331XAR.

[23] S. Brissy, L’obligation pour l'employeur de donner du travail au salarié, Droit social, 2008, p. 434.

[24] Cass. soc., 11 octobre 2005, n° 03-42.104, F-D N° Lexbase : A8319DKC.

[25] Cass. soc., 3 novembre 2010, n° 09-65.254, F-P+B N° Lexbase : A5560GDB.

[26] Cass. soc., 14 novembre 2018, n° 17-11.448, FS-D N° Lexbase : A7947YLW.

[27] Cass. soc., 14 février 2007, n° 05-45.887, FS-P+B N° Lexbase : A2203DU7, JCP S, 2007, 1539, note P. Morvan. L’arrêt fait de la dispense d’activité une mesure de reclassement mais la formule est malheureuse et il faut plutôt y voir « plutôt un contexte particulier dans lequel est exécutée l'obligation de reclassement de l'employeur ». A. Fabre, Regards croisés sur la dispense d'activité, RDT, 2011, p. 179.

[28] Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-71.060, F-D N° Lexbase : A2645GNB.

[29] CA Aix-en-Provence, 27 février 2020, n° 17/23121 N° Lexbase : A60563GE.

[30] H. Cavat, Le droit des réorganisations. Etude de droit du travail, thèse Paris Nanterre, 2020.

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Marchés publics

[Questions à...] La commande publique comme outil de réindustrialisation de la France ? – Questions à Étienne Muller, Professeur de droit public à l'Université de Strasbourg

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Le 05 Août 2022

Mots clés : commande publique • réindustrialisation • achat local • clauses sociales • « préférence nationale »

L’épidémie de covid-19 a agi comme révélateur de l’ampleur de la désindustrialisation du pays qui, confronté du jour au lendemain à une situation inédite, s’est retrouvé incapable de fournir à la population et au personnel médical masques, blouses, tests et a même découvert qu’il dépendait de l’étranger pour le paracétamol comme pour 80 % des médicaments consommés sur le territoire. À l’heure où de nombreuses usines automobiles sont à l’arrêt en raison de la pénurie de semi-conducteurs indispensables à la fabrication des véhicules causée par la résurgence de l’épidémie en Asie, où la quasi-totalité de ces composants est produite, Lexbase Public a interrogé Étienne Muller, Professeur de droit public à l'Université de Strasbourg, pour savoir dans quelle mesure la commande publique peut être un levier d’action pour relocaliser les productions aujourd’hui lointaines et donc participer à la réindustrialisation du pays*.


 

Lexbase : Dans une optique de réindustrialisation de la France, quel pourrait être le rôle joué par la commande publique ?

Étienne Muller : En réalité, il y a au moins trois manières très différentes de concevoir ce rôle.

L’idée la plus souvent mise en avant serait d’instaurer une sorte de préférence nationale. Si l’on schématise un peu ce discours protectionniste, « acheter français » serait le principal levier d’une politique de relocalisation des productions, et les personnes publiques devraient se montrer exemplaires en la matière. Le Buy American Act, récemment remis au goût du jour par l’administration Biden mais qui date en réalité de 1933, est souvent érigé à ce titre en exemple à suivre.

Toutefois, au-delà d’un affichage parfois assez démagogique en ce contexte de campagne présidentielle, il n’y a que peu de résultats à espérer d’une telle politique. En effet, toutes les études montrent que l’écrasante majorité (plus de 80 %) des contrats de la commande publique sont d’ores et déjà attribués à des entreprises françaises. La marge de manœuvre est donc excessivement réduite. D’ailleurs, il faut souligner que ce n’est pas tant la nationalité de l’entreprise qui compte que l’origine des produits et services qu’elle utilise ; or ce paramètre est très difficile à appréhender empiriquement et plus encore à contrôler. Du reste, malgré les difficultés méthodologiques, différentes études économiques montrent que la part des importations dans la commande publique française est de l’ordre de 8 % et tombe à environ 4 % si l’on ne prend en compte que les importations extra-européennes, soit peu ou prou le taux que l’on retrouve pour la Chine ou les États-Unis [1].

Une autre façon de concevoir le rôle de la commande publique dans la réindustrialisation serait d’aider nos entreprises à gagner des parts de marchés à l’étranger. Dans la mesure où la commande publique reste un domaine encore très protégé, son ouverture constitue un levier potentiel. Le maître mot d’une telle politique est : réciprocité. Dans une logique de « donnant-donnant », il s’agit de conditionner l’ouverture de la commande publique française à des entreprises étrangères par une ouverture réciproque de la part des pays dont ces entreprises sont originaires. Sont ici visés les pays, comme la Chine ou l’Inde, qui ne sont pas parties à des accords internationaux d’ouverture réciproque de la commande publique auquel l’Union européenne est partie, comme l’accord multilatéral sur les marchés publics (AMP) conclus au sein de l’OMC ou certains accords bilatéraux de libre-échange, mais aussi certains pays parties à l’AMP dans la mesure où, dans le cadre de cet accord, les engagements varient selon les États parties [2].

Dans cette perspective, certaines collectivités publiques et organisations professionnelles commencent à s’intéresser de près à la possibilité que leur donne le Code de la commande publique d’introduire dans la passation de leurs contrats des restrictions fondées sur la nationalité des opérateurs ou l’origine des produits et services lorsqu’aucun accord international n’est applicable (CCP, art. L. 2153-1 N° Lexbase : L8333LQP).

Mais il ne faut pas se bercer d’illusions : ce n’est pas l’action dispersée de quelques pouvoirs adjudicateurs qui va peser dans les négociations internationales. C’est pourquoi la Commission européenne promeut depuis 2012 une proposition de Règlement qui vise à la doter des pouvoirs nécessaires pour agir de façon centralisée à l’échelle de l’Union. Si ce projet n’a pu aboutir à ce jour, le processus s’est récemment débloqué à la faveur, semble-t-il, du Brexit [3]. Mais à supposer que ce Règlement soit prochainement adopté, l’efficacité des exigences de réciprocité de l’ouverture des marchés demeure très débattue. Une autre question est de savoir si les entreprises françaises qui obtiennent des contrats à l’étranger vont produire en France ou délocaliser ! Certains pays, comme la Chine, conditionnent souvent l’obtention de contrats à une implantation locale, des transferts de technologies, des cessions de droits de propriété intellectuelle voire la création de filiales communes.

Enfin, il existe un troisième rôle possible de la commande publique, certes plus discret et plus pragmatique, mais plus efficace à mon sens : il s’agit de la concevoir comme un outil de stimulation et d’accompagnement de l’innovation par des entreprises implantées localement. Au-delà des marchés de recherche-développement, des partenariats d’innovation ou de la procédure de dialogue compétitif, qui concernent des projets relativement importants, la dispense de publicité et de mise en concurrence préalable pour les achats innovants de moins de 100 000 euros, d’abord introduite à titre expérimental puis récemment pérennisée [4], est un outil souple tant dans son utilisation que dans son champ d’application. Les acheteurs publics peuvent ainsi expérimenter des prestations innovantes que les entreprises vont ensuite pouvoir produire en séries. C’est ce type de politiques que développe par exemple la région Grand Est avec son programme « Grand Testeur ». Cela requiert cependant un bon accompagnement juridique pour garantir le respect du droit non seulement de la commande publique mais aussi des aides publiques.

Lexbase : Quels seraient les obstacles opposés par les textes nationaux et européens actuellement en vigueur ?

Étienne Muller : Il est à peine nécessaire de rappeler que la « préférence nationale » brandie par certains candidats à l’élection présidentielle est en soi incompatible avec le droit de l’Union européenne.

L’essentiel des règles nationales qui régissent la passation des contrats procède de la transposition des Directives du 26 février 2014 "marchés publics" (Directives UE 2014/25 N° Lexbase : L8593IZB et 2014/24 N° Lexbase : L8592IZA) et "concessions" (Directive UE 2014/23 N° Lexbase : L8591IZ9). Même à imaginer leur abrogation, la préférence donnée aux entreprises françaises violerait le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne considère les restrictions à l’accès des entreprises issus d’États membres de l’Union à la commande publique comme des entraves aux libertés de circulation ; en outre, l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité (art. 18) suffit à fonder l’exigence d’une publicité adéquate et d’une procédure impartiale pour l’attribution des contrats revêtant un intérêt transfrontalier certain [5].

Au-delà du cadre européen, les règles issues de la transposition des Directives européennes garantissent aux opérateurs ressortissants d’États parties à l’AMP ou à un autre accord international d’ouverture de la commande publique un traitement équivalent à celui garanti aux opérateurs issus de l’Union européenne [6].

Lexbase : Y aurait-il cependant des leviers permettant de favoriser des candidats locaux ?

Étienne Muller : Il faut d’abord souligner que, contrairement à une idée reçue, il n’est pas vraiment nécessaire de mobiliser des leviers pour favoriser les candidats locaux. La prédominance de l’achat local est déjà une réalité qui se vérifie empiriquement, ce qui permet à certaines collectivités de s’en féliciter à peu de frais !

À supposer qu’une action soit nécessaire en vue d’obtenir ou de renforcer ces résultats, plusieurs leviers pourraient être mobilisés. Les clauses sociales ou les critères réputés liés à l’objet du marché mais concernant des considérations extrinsèques par rapport à la prestation comme la réduction des émissions polluantes, la promotion des circuits courts dans l’agriculture etc., tous ces éléments sont de nature à favoriser les candidats locaux. Il ne faut pas oublier que même des clauses d’implantation locale peuvent être dans certains cas justifiées au regard de l’objet du marché, par exemple dans le domaine des soins médicaux. Surtout, au-delà de l’aspect strictement juridique, la professionnalisation croissante des acheteurs, leur expérience et leur connaissance du tissu économique local leur permettent de savoir quels sont, notamment dans la description de leurs besoins, les aspects qui sont susceptibles de favoriser l’accès des entreprises locales.

Néanmoins, le juge veille à ce que les exigences soient liées à l’objet du marché, strictement proportionnées, et ne confèrent pas un pouvoir arbitraire au pouvoir adjudicateur. Il n’hésite pas, par exemple, à censurer pour détournement de pouvoir l’utilisation d’une clause relative à l’utilisation de la langue française dans l’exécution du marché pour décourager le recours au travail détaché [7].

Sur un plan plus général, les exigences liées au développement durable, de même que les dispositions qui visent à encourager l’achat public innovant, ont un intérêt indéniable dans la mesure où ce sont là des aspects sur lesquels les entreprises européennes peuvent objectivement se démarquer par rapport à leurs concurrentes de certaines économies émergentes. Bien sûr, cela suppose un arbitrage politique de la part des acheteurs publics qui se préoccupent aussi de la dépense publique et attachent donc de l’importance au critère du prix.

Lexbase : Des pays européens arrivent-ils à contourner l'interdiction de « préférence nationale » ?

Étienne Muller : Je n’ai pas connaissance de véritables contournements à proprement parler qui aient été couronnés de succès.

En revanche, il y a des cas assez nombreux dans lesquels des États ont pu, parfois avec succès, invoquer des exigences d’intérêt général pour adopter ou maintenir des législations qui ont objectivement pour effet d’empêcher ou de rendre plus difficile l’obtention de certains contrats par des entreprises étrangères. Par exemple, la Cour a pu admettre que les choix d’un État membre en matière d’organisation de son système de santé et de protection sociale puissent justifier de réserver l’attribution de services de transport sanitaire à des associations bénévoles, alors même que cela a en pratique pour effet d’entraver l’accès à la commande publique d’entreprises issues d’autres États membres [8]. Cependant, là encore, le juge veille et n’hésite pas à déclarer incompatibles les restrictions injustifiées ou disproportionnées, comme nous le rappelle une affaire concernant une législation slovène relative à la fourniture de médicaments issus de plasma humain [9].

Au-delà, on peut s’interroger sur l’utilité qu’il y aurait à s’évertuer à contourner l’interdiction de la préférence nationale alors que, dans les faits, en France comme dans les autres pays européens, la grande majorité des contrats sont d’ores et déjà attribués aux entreprises nationales. La préférence nationale s’inscrit donc plus dans le registre d’une certaine propagande électorale que dans la réalité des politiques publiques.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] C. Desireux, K. Parra Ramirez, La commande publique peut-elle constituer un levier de relocalisation de l’activité ?, Conseil d’analyse économique, Focus n° 058-2021, avril 2021.

[2] J. Heilman Grier, GPA Reciprocal Conditions: Leverage for Bilateral Agreements, 29 P.P.L.R. 278-88 (2020).

[3] Parlement européen, commission du commerce international (INTA), Second Report on the Proposal 2012/0060 (COD), A9-0337/2021, 6 déc. 2021, p. 59.

[4] CCP, art. R. 2122-9-1 N° Lexbase : L9886L9Z.

[5] CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria et Telefonadress N° Lexbase : A1916AWU.

[6] CCP, art. L. 2153-2 N° Lexbase : L7087LQK.

[7] CAA Lyon, 24 septembre 2020, n° 18LY00510 N° Lexbase : A03253XC, Contrats-Marchés publ., 2020, comm. 324, obs. É. Muller.

[8] CJCE, 11 décembre 2014, aff. C-113/13, Azienda sanitario locale N° Lexbase : A2149M7Q.

[9] CJUE, 8 juin 2017, aff. C-296/15, Medisanus d.o.o. c/ Splošna Bolnišnica Murska Sobota N° Lexbase : A6142WGL.

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Procédure civile

[Brèves] Quid de l’exclusion en matière de référé de la tentative de résolution amiable du litige ?

Réf. : Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.886, F-B N° Lexbase : A44707TQ

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 22 Avril 2022

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 14 avril 2022, vient préciser que la tentative de résolution amiable du litige n'étant pas, par principe, exclue en matière de référé ; néanmoins, l'absence de recours à un mode de résolution amiable peut être le cas échéant justifiée par un motif légitime au sens de l'article 750-1, alinéa 2, 3° du Code de procédure civile N° Lexbase : L5912MBL ; en conséquence, le demandeur dispose d’un intérêt à solliciter la cassation d’une ordonnance ayant dit nul son acte introductif d’instance faute de mention portant sur les diligences entreprises en application de l'article 54 du Code de procédure civile.

La Haute juridiction énonce qu’excède ses pouvoirs le juge qui constate la nullité de l'assignation en statuant sur le bien-fondé de la demande formée par cet acte.

Faits et procédure. Dans cette affaire, la société d'exploitation de l'institut européen des langues se prévalant de l’inscription de Mme X., à l’une de ses formations, réglée par un chèque établi par sa mère, a assigné ces dernières devant le juge des référés d’un tribunal judiciaire à fin de voir ordonner la mainlevée de l’opposition pratiquée sur le chèque et les voir solidairement condamnées au paiement d’une provision d’un montant de 4 590 euros, correspondant aux frais d’inscription.

Les défenderesses ont sollicité au juge des référés de constater « l’irrecevabilité de la société pour défaut de médiation préalable ».

Le pourvoi. Dans son premier moyen, la société fait grief à l’ordonnance de référé rendue le 18 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Paris :

  • de dire que l’assignation délivrée aux défenderesses est entachée de nullité en l’absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige ;
  • d’avoir constaté l’absence de contrat, en relevant que l’engagement signé par les défenderesses n’était pas conforme aux dispositions de l'article L. 221-9 du Code de la consommation N° Lexbase : L1576K7I ;
  • de l’avoir déboutée de sa demande de mainlevée de l'opposition pratiquée sur le chèque ;
  • et enfin, de l’avoir déboutée de sa demande de condamnation au paiement d'une provision d’un montant de 4 590 euros.

L’intéressée fait valoir que les défenderesses ont demandé de constater l’irrecevabilité de la société et que le président du tribunal judiciaire alors même qu’elle n’était pas demandée par les parties a prononcé la nullité de l’assignation.

Dans un second temps, elle énonce que le tribunal n’a pas invité les parties à présenter leurs observations en relevant d’office la nullité de l’acte introductif d’instance.

Enfin en troisième temps, l’intéressée relève que la décision s’est contredite en déclarant l’assignation irrecevable dans ses motifs et nulle dans son dispositif.

Les défenderesses contestent la recevabilité des griefs, énonçant qu’ils sont dépourvus d’intérêts dès lors qu’il est constant qu’aucun préalable de résolution du litige n’a été entrepris.

En l’espèce, alors qu’il était statué sur la demande soulevée par les défenderesses portant sur l'irrecevabilité de la demande de la demanderesse pour défaut de mise en œuvre d'une médiation préalable, pour dire que l’assignation est entachée de nullité l’ordonnance a retenu que l'assignation est irrecevable en l’absence de mention sur les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Dans son second moyen, la société fait grief à la décision d’avoir constaté l’absence de contrat, retenant que l’engagement signé n’étant pas conforme aux dispositions de l’article L. 221-9 du Code de la consommation et en la déboutant de sa demande de mainlevée de l’opposition pratiquée sur le chèque, ainsi que sa demande de condamnation au paiement d’une provision.

Les défenderesses contestent la recevabilité du grief, en soutenant qu’il est dépourvu d’intérêt compte tenu du fait où le président du tribunal judiciaire a statué sur une décision dépourvue d’autorité de la chose jugée, par une disposition surabondante.

En l’espèce, le président du tribunal judiciaire pour constater l'absence de contrat et débouter la demanderesse de ses demandes a retenu qu'à défaut de contrat, le document signé unilatéralement par la partie défenderesse n'était générateur pour cette dernière d'aucune obligation à paiement.

Solution. Énonçant les solutions précitées, la première au visa des articles 5, 16 et 455 du Code de procédure civile et la seconde au visa de l’article 484 du Code précité, la Haute juridiction casse et annule en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire statuant en référé.

Elle relève pour la première solution que le président du tribunal judiciaire en se déterminant, par des motifs en contradiction avec le dispositif, sans inviter les parties à présenter leurs observations, alors qu’il n’avait été saisi du vice de forme né de l’absence de mention, de la demande initiale, des diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige, susceptible d’affecter la validité, et non la recevabilité, de l’assignation, a violé les textes susvisés.

Enfin pour la seconde solution, la Cour de cassation énonce qu’il ne résulte pas de l'ordonnance que le président du tribunal judiciaire a statué par une disposition surabondante. En conséquence, en statuant, après avoir constaté la nullité de l’assignation, le président du tribunal judiciaire a méconnu ses pouvoirs.

 

 

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Procédure pénale

[Jurisprudence] La cassation de l’arrêt d’appel n’empêche pas d’aggraver le sort de l’auteur du pourvoi

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-985 QPC, du 1er avril 2022, Société Concept immo et a. N° Lexbase : A77847RQ

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par Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne - Université Paris I

Le 21 Avril 2022

Mots-clés : reformatio in pejus • renvoi après cassation • recours juridictionnel effectif • dissuasion • aggravation de la peine

La Cour de cassation avait jugé sérieuse l’objection selon laquelle, en permettant à une cour de renvoi d’aggraver le sort du prévenu alors qu’il a seul formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel le condamnant, on risquerait de dissuader ce prévenu de former un tel recours. Pour garantir l’effectivité du recours « pourvoi en cassation », il faudrait éviter qu’il ne se retourne contre la personne poursuivie. Mais le Conseil constitutionnel auquel une question prioritaire a donc été renvoyée sur ce point n’est pas du même avis. Il refuse d’analyser l’effectivité du pourvoi au regard de ses suites et d’admettre, en application du principe de faveur, que le pouvoir d’appréciation de la cour de renvoi puisse être réduit dans une telle hypothèse. Il donne une leçon de procédure pénale – bien discutable – à l’attention de la chambre criminelle de la Cour de cassation !


Quelle portée reconnaître à la prohibition de la reformatio in pejus ? La question vient d’être posée au Conseil constitutionnel dans l’hypothèse particulière d’un renvoi après cassation alors que l’appel du jugement de première instance avait été formé tant par le prévenu que par le ministère public mais que l’arrêt n’avait été frappé de pourvoi que par le prévenu.

Dans une telle hypothèse, l’article 609 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4438AZE se contente de disposer que : « Lorsque la Cour de cassation annule un arrêt ou un jugement rendu en matière correctionnelle ou de police, elle renvoie le procès et les parties devant une juridiction de même ordre et degré que celle qui a rendu la décision annulée ». Ce texte ne précise pas les pouvoirs de la juridiction de renvoi.

La société Immo Concept lui a reproché son laconisme puisqu’il n’empêche pas la nouvelle cour d’appel d'aggraver la peine antérieurement prononcée dans le cas où la cassation est intervenue sur le seul pourvoi d’un prévenu. Il a été soutenu que, dans ce cas, le prévenu serait dissuadé de former un pourvoi contre l’arrêt qui le condamne. Il s’ensuivrait une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.

La Cour de cassation ne l’a pas exclu ; elle a accepté de renvoyer au Conseil une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point. Pour notre Haute juridiction, la question présentait un caractère sérieux car, « en ne prévoyant pas que la cour d'appel saisie sur renvoi après cassation, intervenue sur le seul pourvoi du prévenu, ne peut aggraver la peine antérieurement prononcée, les dispositions critiquées sont susceptibles de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif en dissuadant le prévenu de se pourvoir contre un arrêt irrégulièrement rendu » [1].

Une telle justification pourrait appeler bien des réserves. En effet, le pourvoi en cassation n’est pas l’équivalent de l’appel : il ne s’agit pas d’amener une autre juridiction à rejuger l’affaire en fait et en droit mais d’amener une juridiction de nature différente (la Cour de cassation n’étant pas un troisième degré de juridiction) à examiner la régularité de la décision rendue : son contrôle en droit est l’équivalent d’un contrôle de légalité ; elle ne réforme pas la décision attaquée mais l’annule si nécessaire. Partant de là, on ne saurait dire que l’action publique est encore exercée à ce stade et attacher de quelconques conséquences à la qualité de l’auteur du pourvoi sur l’étendue du pouvoir d’appréciation de la Cour. Il lui appartient de corriger toute application erronée de la règle de droit indépendamment du point de savoir s’il en résulte une aggravation de la situation de la personne poursuivie lorsque celle-ci a seule agi devant elle [2]. En réalité, l’action publique est suspendue durant l’examen du pourvoi [3]. On ne saurait donc déduire de l’absence de pourvoi du ministère public que celui-ci renonce à voir les faits entièrement rejugés par la cour de renvoi dans l’éventualité d’une cassation sur le seul pourvoi d’un prévenu. L’objet du pourvoi en cassation est trop spécifique pour que l’on puisse tirer une telle conclusion. Il s’ensuit qu’en cas de censure les parties se trouvent devant la cour de renvoi dans la même situation que devant la cour d’appel : si le ministère public a fait appel incident du jugement, la cour de renvoi peut aggraver le sort du prévenu auteur de l’appel principal et du pourvoi suivi de la cassation entraînant sa saisine [4].

Mais ce n’est pas sur ce terrain que le Conseil constitutionnel s’est placé, le 1er avril 2022, lorsqu’il a écarté le grief tiré d’une méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1363A9D et jugé l’article 609 du Code de procédure pénale conforme à la Constitution.

Certes, il a rappelé qu’il découle de cet article 16 « qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction » (§ 3), ce qui est une interprétation particulièrement audacieuse de ce texte mais qui n’apparaît pas nouvelle et n’appelle pas d’observations particulières ici [5].

À la suite, le Conseil a estimé que « en application des dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cour d'appel de renvoi, statuant sur les appels qui avaient été formés par le prévenu et le ministère public, peut aggraver la peine antérieurement prononcée, y compris lorsque la cassation est intervenue sur le seul pourvoi du prévenu » (§ 4). La jurisprudence constante à laquelle il fait allusion correspond à ces quelques arrêts ayant jugé que « la cour de renvoi doit statuer non seulement sur l'appel du prévenu mais également sur celui du ministère public et peut aggraver la peine antérieurement prononcée, même si la cassation est intervenue sur le seul pourvoi du prévenu » [6].

Ensuite, le Conseil a raisonné en deux temps. Il a d’abord observé que « ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter la possibilité pour la personne condamnée de former un pourvoi en cassation et d'obtenir l'annulation de la décision attaquée » (§ 5). Puis, le Conseil relève que, en cas d’annulation, l’affaire « sera à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi », ce qui n’est pas toujours le cas mais il est vrai que l’hypothèse d’une cassation sans renvoi (COJ, art. L. 411-3 N° Lexbase : L2546LBW) ne présentait guère d’intérêt ici. Le Conseil conclut : la circonstance que la cour de renvoi « puisse aggraver la peine antérieurement prononcée dans le cas où le ministère public avait fait appel de la décision de première instance est ainsi sans incidence sur l'effectivité du pourvoi en cassation » (§ 6). Partant de là, il écarte tout grief sans convaincre véritablement. En effet, ces rappels des règles applicables ne répondent pas à la question posée qui commandait de prendre un peu de hauteur et de s’intéresser moins aux dispositions du Code de procédure pénale qu’au droit d’exercer un recours effectif tel qu’il est déduit de la Constitution. Car, si la réponse ainsi apportée semble formellement irréprochable, elle ne résout pas la difficulté : elle se désintéresse de l’effectivité du recours en question (I) et refuse toute valeur constitutionnelle au principe de faveur qui fonde pourtant la prohibition de la reformatio in pejus (§ II).

I. Quid de l’effectivité du recours ?

Le Conseil constitutionnel a entendu faire ici de la technique. Il se montre ainsi capable de maîtriser la procédure pénale et d’en comprendre la logique. Cependant, le raisonnement développé prouve trop car, à l’instar d’une interprétation littérale, il passe à côté de la difficulté résultant de l’application du texte querellé. À la lettre, en effet, il est bien clair que l’article 609 du Code de procédure pénale n’a pas pour objet de restreindre les conditions dans lesquelles un pourvoi en cassation peut être exercé. Le Conseil le rappelle avec un surprenant manque d’esprit critique. Il ne voit pas où un problème peut exister alors même que la Cour de cassation a qualifié de sérieuse la question qu’elle lui a renvoyée. Quand on songe à la sévérité du filtre qu’opère sa Chambre criminelle, on peut s’inquiéter de la désinvolture avec laquelle répond l’organe de la rue de Montpensier. Il y a quelque chose de tout à fait sidérant à le voir faire la leçon à notre Haute juridiction sur les effets du pourvoi en cassation et ses conséquences sur la procédure pénale ! N’étant pas saisi directement par un plaideur, qu’il pourrait suspecter d’être exagérément imaginatif ou animé d’un esprit dilatoire, mais par la gardienne de la légalité en matière pénale, le Conseil aurait dû s’interroger davantage sur le sens de la question posée.

Il aurait pu le faire d’autant plus aisément qu’était en cause ici une voie de recours extraordinaire à l’égard de laquelle il n’est pas certain que s’applique l’exigence d’un droit de recours effectif. Son office de cour constitutionnelle aurait dû l’inciter à réfléchir davantage au droit au recours ici invoqué qu’à la norme censée porter atteinte à ce droit. Il aurait ainsi été intéressant de savoir si les conséquences que le Conseil tire de l’article 16 de la Déclaration de 1789 valent devant toutes les juridictions répressives ou seulement devant celles qui statuent en fait et en droit. Le Conseil se serait grandi en approfondissant ce point et en précisant, au besoin, ce que l’on doit entendre par pourvoi effectif au sens de la Constitution. Or, il s’en est abstenu, comme il s’abstient le plus souvent, de préciser le périmètre du droit fondamental en cause : dans sa jurisprudence, le grief tiré d’une violation du droit à un recours effectif se trouve le plus souvent écarté et, lorsqu’une disposition est déclarée non conforme à la Constitution sur ce fondement, c’est essentiellement parce qu’aucun recours n’est ouvert à une personne à laquelle préjudicie pourtant une décision [7]. Dès lors qu’un recours existe, peu importe le délai très bref dans lequel il est enfermé [8] ou les formalités au respect desquelles il est subordonné [9]. Le Conseil ne vérifie pas son effectivité [10]. Il se contente de possibilités indirectes de contestation de la décision pour écarter tout grief sans s’interroger sur la pertinence de celles-ci [11]. Partant de là, sa jurisprudence s’avère plutôt décevante sur un tel fondement [12]. Au cas particulier, il perd une occasion de la préciser. Car, en effet, il existait bien ici un recours et la difficulté était uniquement de savoir si ce recours était effectif. Cela commandait de sa part une analyse beaucoup plus fine des termes du problème.

Si le Conseil avait rempli pleinement son office, il aurait sans doute réalisé que la question posée concernait en réalité moins les conditions de recevabilité du recours en cassation que l’effet dissuasif s’attachant à l’absence de précisions quant à ses effets. Le Conseil aurait alors pu redonner tout son sens à la question posée, qui concernait moins les conditions d’exercice du pourvoi que le fait de savoir si l’exposition du prévenu à un risque de voir sa condamnation aggravée par la cour de renvoi n’était pas de nature à le dissuader d’exercer une telle voie de recours. Peu importe que, en l’espèce, il n’ait pas été expressément saisi de la non-conformité à la Constitution de l’article 515, alinéa 2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3906AZP, texte qui n’était pas directement applicable et qui, de ce fait, aurait pu entraîner l’irrecevabilité de la QPC. La règle énoncée par ce texte était implicitement mais nécessairement invoquée : c’est sa combinaison avec l’article 609 du même code qui posait problème ici. La prohibition de la reformatio in pejus a valeur de principe dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui l’applique au-delà même des hypothèses dans lesquelles la loi la prévoit [13]. Au cas particulier, c’est cette règle qui a justifié le renvoi au Conseil de la QPC. On pouvait donc attendre de celui-ci qu’il se demande s’il est possible de déduire du droit à un recours effectif l’interdiction pour une cour de renvoi d’aggraver le sort du prévenu seul auteur du pourvoi formé contre l’arrêt d’appel.

La réponse à une telle question n’a rien d’évident mais elle aurait mérité d’être posée afin que l’on puisse délimiter clairement le périmètre du droit en cause. Notons que la Cour de cassation a, elle, admis au visa de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR, de l’article 2 du Protocole n° 7 à ladite Convention, ainsi que de l’article préliminaire du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1305MAL et de l’article 132-19 du Code pénal N° Lexbase : L7614LPP, que l’exercice du droit d’appel « ne saurait constituer un motif d'aggravation de la peine prononcée par les premiers juges » [14]. En statuant de la sorte, notre Haute juridiction a voulu éviter qu’un prévenu ne renonce à contester une décision de première instance par crainte d’une aggravation de sa peine en appel. L’hypothèse n’est pas exactement la même que celle posée au Conseil constitutionnel en l’espèce et elle n’appelle pas nécessairement la même réponse. Mais elle montre à tout le moins qu’une juridiction soucieuse de défendre le droit à un recours effectif peut tout à fait se demander si les conséquences d’un recours ne sont pas de nature à en limiter la portée dès lors qu’elles dissuadent un condamné de l’exercer. En effet, l’effectivité du recours est un élément à part entière du droit en question qu’il convient de faire respecter.

II. Quid de la reformatio in pejus ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas souhaité ériger l’interdiction d’aggraver le sort de l’auteur d’un recours en droit fondamental. Il ignore cette règle au motif qu’elle n’est pas directement exprimée par le texte attaqué (C. proc. pén., art. 609) et décrit les conséquences immédiates de l’application de ce texte en se gardant bien d’examiner celle qui était invoquée par l’auteur de la QPC. Partant de là, aucune réflexion n’est menée sur les raisons qui ont poussé le législateur à prévoir l’interdiction de la reformatio in pejus à plusieurs endroits du Code de procédure pénale [15] et qui auraient pu justifier, selon l’auteur de la question, une approche plus générale dégagée soit dans le cadre d’une réserve d’interprétation, soit dans le cadre d’une déclaration de non-conformité avec invitation lancée au législateur d’introduire une telle garantie [16]. Or, parmi les justifications de cette règle, il y a la volonté de ne pas dissuader la personne poursuivie d’exercer le recours, comme l’a reconnu la Cour de cassation en transmettant la question litigieuse. En l’ignorant, le Conseil constitutionnel témoigne d’une maîtrise de la procédure pénale tout à fait sélective. Il n’admet que ce qu’il lit en se gardant bien d’examiner le procès pénal dans son ensemble. Ici, il s’abstient de voir dans la prohibition de la reformatio in pejus une conséquence nécessaire du droit à un recours effectif.

Mais, à cette première observation, on peut en ajouter une seconde. Le Conseil constitutionnel ne semble a fortiori pas prêt à consacrer un principe de faveur en matière pénale qui aiderait à l’interprétation des dispositions répressives dans une logique résolument libérale [17]. Pourtant, ce principe inspire différentes dispositions constitutionnelles. En droit pénal de fond, la principale d’entre elles est sans nul doute l’article 8 de la Déclaration de 1789 (DDHC) N° Lexbase : L1372A9P dont le Conseil déduit la valeur constitutionnelle de la rétroactivité in mitius. En droit pénal de forme, la principale d’entre elles est sans nul doute l’article 9 du même texte N° Lexbase : L1373A9Q consacrant la présomption d’innocence, d’où l’on conclut que le doute doit nécessairement profiter à l’accusé. En réalité, d’une manière plus générale, ce principe innerve toute la matière pénale car il fonde également l’exigence de légalité : dans la conception libérale d’origine, ce principe s’est imposé afin de limiter le pouvoir de répression de l’État. L’idée, encore affirmée à l’article 5 de la DDHC N° Lexbase : L1369A9L, reste que tout ce qui n’est pas interdit par la loi ne peut être empêché. La liberté étant le principe, l’incrimination ne constitue qu’une exception devant être interprétée restrictivement. Les magistrats doivent veiller à ne pas sanctionner plus que le trouble à l’ordre public identifié par le législateur. Peu importe ce que dicte la morale ou l’opinion publique. Les magistrats doivent résister au besoin de répression qui monte du corps social [18]. Le prononcé d’une peine n’étant pas une fin en soi, l’interprétation de la loi pénale doit être faite dans l’intérêt de la personne poursuivie et non dans le souci de défendre l’ordre public [19]. Une peine ne doit pas être prononcée dans un seul souci d’efficacité répressive. Certes, nous sommes loin aujourd’hui de cette approche qui fait nécessairement de la loi pénale une loi odieuse (parce que limitant, sous la menace des pires sanctions, la liberté de chacun). Elle est pourtant à l’origine de la Déclaration de 1789. Le Conseil ne saurait l’ignorer. Mais il se montre lui-aussi sensible aux discours sécuritaires et refuse d’accorder à ce texte la portée générale qu’il mérite [20]. Les limites imparties à la rétroactivité in mitius suffisent à le montrer [21].

En l’état, il convient donc d’observer que cette décision témoigne d’une occasion manquée. Mais était-ce vraiment la bonne occasion ? Car, nous avons tenté de le montrer en introduction, la solution contestée en l’espèce se défend. Pourquoi faudrait-il déduire une interdiction d’aggraver le sort de la personne poursuivie sous prétexte que cette personne a seule formé un pourvoi contre l’arrêt qui la condamne ?

D’abord, il convient de souligner que la justification même de cette règle n’est pas unanime. Ainsi, de Hauts magistrats l’expliquent autrement : « L’interdiction de la reformation in pejus se fonde sur l’idée qu’en aggravant le sort d’une partie appelante, alors que les autres parties qui ont comparu en première instance n’ont pas fait appel, les juges d’appel leur donneraient une satisfaction qui ne leur a pas été demandée et statueraient ainsi ultra petita. Ce principe peut être critiqué. En effet, il pourrait être admis au contraire qu’une personne qui fait appel le fasse à ses risques et périls » [22]. Cette seule explication ne manque pas de surprendre mais elle n’a rien d’illogique. Elle témoigne seulement d’un désintérêt total pour le principe de faveur qu’elle n’incite pas à consacrer [23].

Ensuite, il convient de rappeler que ladite règle ne joue en réalité que de manière tout à fait exceptionnelle. Si elle est présentée comme un principe de justice élémentaire qui pourrait même jouer en cas de renvoi, dans le cadre d’un recours en révision [24], elle ne s’applique que rarement. En effet, le ministère public fait systématiquement appel incident en cas d’appel principal d’un prévenu ou d’un accusé. Le plus souvent, cet appel incident a pour seul objectif de neutraliser la règle en question afin de permettre à la juridiction statuant en second d’aggraver éventuellement le sort du prévenu ou de l’accusé si elle estime son recours abusif. Le surcroît de sévérité en appel n'a fréquemment pas d’autre explication. Or, le législateur en est parfaitement conscient et il ne s’y oppose pas. Il n’a jamais imaginé de supprimer ou de soumettre cette possibilité d’appel « a minima » du ministère public [25] à des conditions particulières qui empêcheraient un tel raisonnement. Il s’ensuit, à notre sens, que la prohibition de la reformatio in pejus n’a pas la portée que l’auteur de la question lui prêtait ici [26]. À cet égard, la prudence dont fait preuve le Conseil constitutionnel est peut-être justifiée. Le pourvoi rompt la logique d’affrontement procédural qui prévaut devant les juridictions de fond, ce qui interdit de lui attacher les mêmes conséquences qu’un appel. Il ne faudrait pas, dès lors, qu’au seul motif de se pourvoir en cassation un plaideur puisse contester la décision qui le condamne sans prendre d’autre risque que de la voir confirmée.

 

[1] Cass. crim., 26 janvier 2022, n° 21-84.632, F-D N° Lexbase : A03527LM.

[2] V., S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, LexisNexis, 12e éd., 2019, p. 1402, n° 2579, soulignant que « l’interdiction de la reformatio in pejus, celle qui aggraverait le sort du demandeur, n’interdit pas à la chambre criminelle de dire le droit en reconnaissant, sur le pourvoi du prévenu, que le tribunal correctionnel était incompétent parce que l’infraction était un crime (Cass. crim., 24 juillet 1956, B n° 574) ».

[3] V., admettant la suspension de la prescription : Cass. crim., 1er juin 1995, n° 94-82.590, 94-82.610, 94-82.614 N° Lexbase : A6413C8Z ; Cass. crim., 19 avril 1983 : Bull. crim., n° 111.

[4] Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-84.084, F-D N° Lexbase : A7660NMN : A. Maron et M. Haas, obs., Dr. pén., 2015, comm. 48, jugeant fort pédagogiquement que : « sur renvoi après cassation, même intervenue sur le seul pourvoi du prévenu, la cour d'appel est saisie, sauf en ce qui concerne les dispositions non annulées, de la cause telle qu'elle s'était présentée devant la juridiction précédente, de sorte qu'appelée à statuer, non seulement sur l'appel de ce prévenu, mais encore sur celui du ministère public, elle peut aggraver la peine antérieurement prononcée par le tribunal ».

[5] V., tenant semble-t-il pour la première fois ce raisonnement : Cons. const., décision n° 96-373 DC, 9 avril 1996, § 83 N° Lexbase : A8338ACS.

[6] Cass. crim., 13 oct. 2015, n° 14-87.111, F-P+B N° Lexbase : A5897NTL : A. Maron et M. Haas, obs., Dr. pén., 2015, comm. 168 ; V. aussi, Cass. crim., 21 juin 1966, n° 65-91.304 N° Lexbase : A4185CIT et Cass. crim., 31 janvier 1857 : Bull. crim., n° 40.

[7] V., s’agissant de la purge des nullités opposée à un accusé qui n’a pas été informé de la procédure ouverte contre lui : Cons. const., décision n° 2021-900 QPC, 23 avril 2021, § 13 N° Lexbase : A10544Q4 – V., aussi, Cons. const., décision n° 2021-899 QPC, 23 avril 2021, § 13 N° Lexbase : A10534Q3 ; Cons. const., décision n° 2019-791 QPC, 21 juin 2019, § 9 N° Lexbase : A9477ZEQ ; Cons. const., décision n° 2018-712 QPC, 8 juin 2018, § 13 N° Lexbase : A4534XQY. Lorsque la décision ne préjudicie pas à la personne mais est prise dans son intérêt, le Conseil refuse de s’inquiéter de l’absence de recours : Cons. const., décision n° 2004-492 DC, 2 mars 2004, § 125 N° Lexbase : A3770DBA.

[8] Cons. const., décision n° 2016-561/562 QPC, 9 septembre 2016, § 18 N° Lexbase : A4005RZD ; Cons. const., décision n° 2016-602 QPC, 9 décembre 2016, § 27 N° Lexbase : A1550SP4.

[9] Cons. const., décision n° 2013-311 QPC, 17 mai 2013, § 5 N° Lexbase : A5437KDQ.

[10] Il est allé jusqu’à juger que « le caractère non suspensif d'une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 » (Cons. const., décision n° 2019-787 QPC, 7 juin 2019, § 9 N° Lexbase : A4269ZDH).

[11] Cons. const., décision n° 2018-704 QPC, 4 mai 2018, § 9 N° Lexbase : A1936XMN. V., aussi, Cons. const., décision n° 2020-863 QPC, 13 novembre 2020, § 12 N° Lexbase : A340434T ; Cons. const., décision n° 2018-758 QPC, 31 janvier 2019, § 13 N° Lexbase : A6434YUT ; Cons. const., décision n° 2018-705 QPC, 18 mai 2018, § 11 N° Lexbase : A9686XMP.

[12] V., ttfois, s’agissant d’une décision à venir qui n’était enfermée dans aucun délai : Cons. const., décision n° 2016-543 QPC, 24 mai 2016, § 16. - Mais le Conseil a aussitôt limité cette prise de position en estimant qu’un délai raisonnable s’impose en toute hypothèse : Cons. const., décision n° 2016-596 QPC, 18 novembre 2016, § 9 N° Lexbase : A3268SHI.

[13] V., jugeant en dehors de tout texte que, « en cas d'appel d'une ordonnance de réduction supplémentaire de peine, le président de la chambre de l'application des peines ne peut, sur le seul appel du condamné, aggraver le sort de l'appelant » : Cass. crim., 12 février 2014, n° 13-81.683, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1256MEA : F. Fourment, obs., Gaz. Pal., 13 mai 2014, n° 178 ; Cass. crim., 15 octobre 2014, n° 13-85.365, F-D N° Lexbase : A6535MYP ; Cass. crim., 18 mars 2015, n° 13-86.724, F-D N° Lexbase : A1813NEU et n° 14-84.434, F-D N° Lexbase : A1747NEG.

[14] Cass. crim., 24 janvier 2007, n° 03-85.061, F-P+F N° Lexbase : A9622DTK.

[15] V., non seulement à l’article 515, alinéa 2, du Code de procédure pénale en matière correctionnelle, mais aussi, aux articles 380-3 et 380-6, du même code, en matière criminelle.

[16] Ce grief d’incompétence négative semble systématiquement écarté par le Conseil : Cons. const., décision n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, § 380 N° Lexbase : A5079Y4U ; Cons. const., décision n° 2017-664 QPC, 20 octobre 2017, § 18 N° Lexbase : A1282WWE.

[17] V., sur ce principe, E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 6e éd., 2021, pp. 94-109.

[18] Evidemment, les positivistes italiens qui dénonçaient la logique formelle induite par le principe de légalité contestèrent de la même façon la prohibition de la reformatio in pejus (E. Ferri, La sociologie criminelle, traduit de l'italien par L. Terrier, F. Alcan, 2e éd., 1914, p. 496).

[19] Ici, un auteur l’a bien noté : « L'intérêt de la société semble donc l'emporter dans ce cas sur celui du prévenu » (P.D. de Boivilliers, La règle de l’interdiction d’aggraver le sort du prévenu, RSC, 1993, p. 694, n°26).

[20] V. E. Dreyer, Droit pénal général, préc., p. 328 et s.

[21] Cons. const., décision n° 2010-74 QPC, 3 décembre 2010, § 3 N° Lexbase : A4388GMH.

[22] F. Desportes et L. et Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, coll. Corpus Droit privé, 4e éd., 2015, p. 2225, n° 3405.

[23] Un autre auteur souligne avec plus de nuances que cette règle tend non seulement à ménager les droits de la défense mais aussi le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement : « En rendant une sentence plus sévère sans que le Ministère public l'ait requis, le magistrat de la cour d'appel statuerait ultra petita » (J. Leblois-Happe, Le libre choix de la peine par le juge, Dr. pén., 2003, étude, n° 11). On ajoutera que l’explication précédente repose essentiellement sur un avis du Conseil d’État du 12 nov. 1806 auquel une valeur législative était reconnue sans aucune discussion.

[24] S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, op. cit., p. 1388, n° 2555. V., aussi, admettant dans le même esprit que cette règle appartient aux principes généraux du droit disciplinaire : CE, 1er février 2017, n° 384483 N° Lexbase : A4620TBQ : B. Seiller, obs., Gaz.Pal., 13 juin 2017, n°22, p. 34

[25] Formule de J. Leroy, Procédure pénale, Lgdj, 7e éd., 2021, n°1016. V., aussi, E. Dreyer et O. Mouysset, Procédure pénale, Lgdj, 2e éd., 2019, n° 756.

[26] D’autant qu’elle n’a jamais été étendue en cas d’opposition à jugement rendu par défaut : Cass. crim., 7 novembre 1941 : DC 1942.9, rap. Nast. ; Cass. crim., 2 mars 1882 : DP 1882.1.240.

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Responsabilité

[Jurisprudence] L’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente et du préjudice d’attente et d’inquiétude : jusqu’où aller dans la déclinaison des préjudices ?

Réf. : Cass. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15.624 N° Lexbase : A30367RU ; Cass. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072 N° Lexbase : A30357RT

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N1203BZL

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par Vincent Rivollier, Maître de conférences à l’université Savoie Mont Blanc, Centre de recherche en droit Antoine Favre

Le 21 Avril 2022

Mots-clés : angoisse de mort imminente • attente et inquiétude des proches • atteintes psychologiques • nomenclature des préjudices • fonds de garantie des victimes de terrorismes et d’autres infractions (FGTI)

Par deux arrêts du 25 mars 2022, la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, met fin à la divergence entre la deuxième chambre civile et la Chambre criminelle quant à l’autonomie de deux postes de préjudices. La création de deux postes spécifiques et autonomes est confirmée : le préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime directe et le préjudice d’attente et d’inquiétude des proches.


 

  1. 1. Deux nouveaux postes de préjudices.– Par deux arrêts du 25 mars 2022 [1], la Chambre mixte de la Cour de cassation vient confirmer les décisions de deux cours d’appel ayant accepté d’indemniser de manière autonome deux postes de préjudices a priori absents de la nomenclature « Dintilhac » : le « préjudice d’angoisse de mort imminente » de la victime directe et le « préjudice d’attente et d’inquiétude » des victimes indirectes. Ces arrêts étaient attendus et permettent de poser un point final dans la lutte pour la reconnaissance autonome de ces deux postes de préjudices portée par les avocats de victimes et certains universitaires. Ils permettent également de mettre fin à ce qui semblait être une divergence entre la deuxième chambre civile et la Chambre criminelle, et essaient de clarifier les définitions de ces préjudices.

Si les deux arrêts constituent, sur les points qui nous intéressent, des arrêts de rejet [2], leur rédaction est très différente : dans l’arrêt relatif au préjudice d’angoisse de mort imminente la Cour de cassation adopte essentiellement les motifs de la cour d’appel pour rejeter le moyen, de sorte qu’il est difficile de percevoir les critères exacts de ce préjudice et de déterminer son application dans des hypothèses voisines ; en revanche, l’arrêt relatif au préjudice d’attente et d’inquiétude des proches énonce véritablement les critères de la reconnaissance d’un tel poste de préjudice, sa transposition est donc plus aisée.

  1. 2. Préjudice d’angoisse de mort imminente.– Le « préjudice d’angoisse de mort imminente » de la victime directe est reconnu dans le cadre d’une affaire opposant les ayants droit d’une victime décédée dans les heures qui ont suivi son agression à l’arme blanche au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Le tribunal de première instance de Papeete comme la cour d’appel de la même ville avaient reconnu et indemnisé ce poste de préjudice de manière autonome par rapport aux souffrances endurées. Le FGTI a formé un pourvoi en cassation en considérant que la victime avait été indemnisée deux fois pour un même préjudice, refusant l’autonomie avancée par les juridictions tahitiennes. La Cour de cassation rejette le pourvoi et précise la définition du préjudice d’angoisse de mort imminente. L’indemnisation de ce poste de préjudice nécessite « de démontrer l’état de conscience de la victime en se fondant sur les circonstances de son décès ». Dans l’espèce considérée, la Cour rapporte que la victime a souffert d’un tel préjudice « du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales causée par une hémorragie interne et externe massive ». La Cour rejette l’argument du pourvoi – soutenant que le même poste de préjudice avait été indemnisé deux fois, en considérant que la cour d’appel « a réparé, d’une part, mes souffrances endurées du fait des blessures [et] d’autre part, de façon autonome, l’angoisse de mort imminente ». Elle ne précise pas les critères permettant l’évaluation monétaire d’un tel préjudice, la cour d’appel ayant, elle, relevé le temps écoulé entre les blessures et le décès (environ 2 h 20) pour fixer l’indemnisation à 1 500 000 francs pacifiques (environ 12 500 euros) [3].
  2. 3. Le préjudice d’attente et d’inquiétude.– La reconnaissance du « préjudice d’attente et d’inquiétude » des proches intervient à propos d’une victime indirecte dont la mère est décédée dans l’attentat terroriste perpétré sur la promenade des Anglais la nuit du 14 au 15 juillet 2016 à Nice. La demandeuse était restée sans nouvelles de sa mère entre le 15 juillet au matin, moment où elle avait compris que sa mère se trouvait sur le lieu de l’attentat la veille au soir, et le 18 juillet au soir où le décès lui avait été annoncé ; durant cette période, il était rapporté qu’elle avait effectué de nombreuses démarches pour retrouver sa mère. Le TGI de Créteil comme la cour d’appel de Paris reconnaissent et indemnisent à hauteur de 20 000 euros ce préjudice d’attente et d’inquiétude de la victime indirecte. Le pourvoi faisait valoir que ce préjudice était inclus dans le préjudice d’affection – défini comme l’ensemble des souffrances morales éprouvées par les proches en raison du fait dommageable subi par la victime directe – et qu’en l’indemnisant de manière autonome, la cour d’appel avait indemnisé deux fois le même préjudice. La Cour de cassation rejette le pourvoi en « autonomisant » ce poste de préjudice qui est défini comme « la souffrance qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l’attente et de l’incertitude ». Elle précise qu’il se réalise « entre la découverte de l’événement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril » et qu’il ouvre droit à réparation uniquement « lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement ». La Cour reprend les motifs de la cour d’appel de Paris pour conclure que ce poste de préjudice ne se confond pas avec le préjudice d’affection et ne peut pas être rattaché à un autre poste de préjudice ; ainsi, il « constitue un préjudice spécifique qui est réparé de façon autonome ».
  3. 4. Reconnaissance et interrogations.– La reconnaissance de postes de préjudices hors nomenclature n’est pas une nouveauté et était prévue par le rapport « Dintilhac » lui-même : la nomenclature proposée en 2005 était non limitative, c’est-à-dire que l’identification de nouveaux postes de préjudices est possible dès lors qu’elle ne conduit pas à indemniser deux fois le même préjudice [4]. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la Cour de cassation admet des postes de préjudices nouveaux.

La reconnaissance de ces deux postes de préjudices intervient pour mettre fin aux incertitudes tenant aux divergences entre les juridictions du fond et les différentes chambres de la Cour de cassation. Elle constitue l’aboutissement d’un processus dans lequel les avocats de victimes et certains membres de la doctrine s’étaient engagés (I). Elle interroge toutefois sur la notion même de préjudice et sur la cohérence de la nomenclature (II) : en l’absence de réflexion globale sur celle-ci, les ajouts ponctuels et successifs de préjudices autonomes, spécifiques, voire « situationnels » interrogent.

  1. I. L’aboutissement du processus de reconnaissance
  1. 5. Genèse.– Depuis plusieurs années, les juridictions du fond [5] comme les différentes chambres de la Cour de cassation ont été confrontées à des demandes de préjudices tenant aux circonstances de l’accident ou de l’événement. S’agissant du préjudice d’angoisse de la victime directe, la deuxième chambre civile n’admettait pas son indemnisation « autonome » et considérait qu’il était inclus dans le poste « souffrances endurées » de la nomenclature Dintilhac[6] alors que la Chambre criminelle admettait son indemnisation autonome [7] ; notons que toutes les affaires portées devant la Cour de cassation concernaient des événements individuels. S’agissant du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches, la Cour de cassation ne s’était jamais prononcée ; plusieurs juridictions du fond – tout comme certaines transactions – l’avaient admis en cas d’accident ou d’événement collectif [8].

Le contexte des attentats terroristes de grande ampleur connu par la France à partir de 2015 a conduit les avocats de victimes à soutenir une meilleure reconnaissance des deux postes de préjudice [9]. À la suite de ce livre blanc, une commission présidée par S. Porchy-Simon avait été mandatée pour analyser ces propositions. Reprenant les propositions des avocats de victimes, elle avait appuyé leur reconnaissance [10]. Les arrêts de la Cour de cassation permettent de lever partiellement les incertitudes concernant ces postes de préjudices.

  1. 6. Critères potentiellement communs.– Un critère dont la présence peut être discutée à propos des deux postes de préjudices réside dans l’issue malheureuse de l’événement. Le Livre blanc comme le Rapport dirigé par S. Porchy-Simon ne faisaient pas de l’issue de l’événement une condition de la reconnaissance du préjudice, même si elle pouvait influer sur son évaluation [11]. La Cour de cassation se réfère explicitement à ce critère, dans une forme d’obiter dictum, à propos du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches : la Cour de cassation précise que l’indemnisation de ce préjudice n’est possible que « lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement ». La Cour ne limite certes pas l’indemnisation à l’hypothèse du décès de la victime directe, mais la référence à l’ « atteinte grave » soulève plus d’interrogations qu’elle n’en résout. Qu’est-ce qu’une atteinte grave ? Un taux de DFP minimal est-il exigé ? L’atteinte purement psychique, sans atteinte physique, peut-elle constituer une telle atteinte ? Les juges du fond risquent de faire face à des difficultés au moment de mettre en œuvre cette règle à propos des victimes seulement blessées ou atteintes dans leur psychisme. Le principe même d’une indemnisation conditionnée à l’existence d’atteintes effectivement subies par la victime est en lui-même discutable : dès lors qu’il s’agit d’indemniser l’angoisse et l’attente de proches en raison de l’incertitude du sort pesant sur la victime directe, pourquoi conditionner l’indemnisation de ce poste à une issue malheureuse ? Le soulagement de retrouver un proche sain et sauf effacera-t-il l’angoisse de l’attente ? La rédaction même de l’arrêt de la Cour de cassation indique qu’il s’agit d’une restriction quelque peu artificielle, qui intervient comme une restriction à la réparation. Le poste de préjudice est expliqué et défini, puis à la fin du troisième paragraphe consacré à celui-ci, il est indiqué que « ce préjudice […] ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de l’événement ». Une lecture a contrario laisse penser qu’en l’absence de décès ou d’atteinte grave, le préjudice n’ouvre pas droit à indemnisation, ce qui ne signifie pas que le préjudice ne peut pas être présent.

L’arrêt relatif au préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime directe demeure cependant silencieux sur la question du sort effectif de celle-ci. L’angoisse de mort imminente peut exister pour une victime impliquée dans un accident ou un drame alors même qu’elle en a réchappé, voire qu’elle n’a subi aucune atteinte physique (prise d’otage par exemple). L’arrêt de la Cour de cassation, reprenant les motifs de la cour d’appel, ne permet pas réellement de trancher la question du critère de l’issue fatale : « [l’arrêt de la cour d’appel] précise que […] il est nécessaire de démontrer l’état de conscience de la victime en se fondant sur les circonstances de son décès ». Mais est-il possible de démontrer cet état de conscience en référant seulement aux circonstances de l’événement, et non aux circonstances du décès ? Par sa motivation très factuelle, l’arrêt de la Chambre mixte ne permet pas de répondre. Au regard de la jurisprudence antérieure, notamment des juges du fond, il semble déraisonnable de penser que le décès est un critère de l’indemnisation : c’est seulement l’angoisse d’une mort imminente (qui fort heureusement ne survient pas nécessairement) qui est le critère de l’indemnisation. En revanche, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait considéré que « le préjudice d’angoisse de mort imminente ne peut exister, d’une part, qu’entre la survenance de l’accident et le décès et, d’autre part, que si la victime est consciente de son état ». [12]

Une condition, qui était fréquemment présente dans la jurisprudence antérieure et dans les travaux doctrinaux, résidait dans le caractère collectif de l’événement. Elle n’est pas reprise dans ces arrêts de la Cour de cassation : elle précise expressément, à propos du préjudice d’attente et d’inquiétude que l’événement peut être collectif et individuel ; et les faits constituent un l’événement individuel dans l’arrêt relatif au préjudice d’angoisse de mort imminente [13].

  1. 7. Critères propres à chaque poste.– Quant aux critères propres à chacun des postes, le préjudice d’angoisse de mort imminente implique seulement la conscience de l’imminence de la mort. En seront donc exclues les personnes décédées immédiatement en raison du fait dommageable (coup de feu mortel par exemple) [14] ou n’ayant pas conscience de l’imminence de leur décès en raison d’une perte de connaissance, d’un coma ou d’une éventuelle ignorance de la gravité de leurs atteintes. Les circonstances du décès, si elles permettent de démontrer l’état de conscience de la victime, ne sont en elles-mêmes pas déterminantes pour son admission. Toutes les hypothèses de morts violentes, dès lors que le décès n’a pas été immédiat, pourraient être prises en charge. Mais aucune définition du caractère imminent n’est posée : certaines hypothèses, dans lesquelles un délai plus long que dans le cas d’espèce s’écoule entre la survenance du dommage et son issue, soulèveront bien des questions. Dans le cas de très graves brûlures ou de dommage constitué par des pathologies sévères, l’issue nécessairement fatale des atteintes ou de la pathologie peut être connue de la victime directe sans que celle-ci soit imminente. Qu’en sera-t-il de l’indemnisation de ce poste de préjudice ? En fonction des cas, la frontière ne sera pas nécessairement évidente avec les souffrances endurées, les préjudices spécifiques liés à une contamination ou le pretium mortis (qui n’est pas pris en compte) [15].

Le préjudice d’attente et d’inquiétude est plus précisément défini par la Cour de cassation : il implique que des proches aient eu connaissance du fait que la victime se trouve ou se soit trouvée exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle ; il est constitué par la souffrance « qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l’attente et de l’incertitude ». Si le préjudice « se réalise […] entre la découverte de l’événement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril », il ne pourra être indemnisé que lorsque l’issue de l’attente sera malheureuse (atteinte grave ou décès de la victime directe). Ces critères excluent clairement l’hypothèse dans laquelle les proches apprennent la nature des atteintes ou le décès en même temps qu’ils ont connaissance de l’événement. En revanche, l’événement peut être individuel. Mais le degré de connaissance du péril encouru n’est pas déterminé : il ne fait pas de doute en l’espèce (attentat terroriste), mais ce préjudice pourrait être refusé dans d’autres hypothèses, notamment en cas de disparition inquiétante de la victime, sans élément particulier laissant craindre un péril particulier. Finalement, l’indemnisation des proches pourrait dépendre de leur niveau de connaissance du péril. Ainsi, en cas d’enlèvement et de séquestration, les proches ne seraient indemnisés de ce poste de préjudice que si des éléments permettaient de raisonnablement envisager cette hypothèse (traces de lutte lors de la disparition, voire revendication ou demande de rançon), en revanche, en cas de disparition inexpliquée il ne saurait s’en prévaloir…

  1. II. À la recherche d’une cohérence notionnelle
  1. 8. Dommage ou préjudice ?– La reconnaissance de ces deux postes de préjudice nous semble résulter d’une confusion entre l’événement traumatique lui-même (le dommage) et ses conséquences (les préjudices, notamment extrapatrimoniaux) [16]. Le dommage corporel est constitué par une atteinte à l’intégrité physique ou psychique : l’angoisse de la victime faisant face à sa propre mort ou l’inquiétude extrême en raison d’une incertitude faisant craindre pour la santé d’un proche peuvent certainement constituer des atteintes psychiques et donc un dommage corporel, indépendamment des éventuelles atteintes physiques concomitantes. Or, deux victimes placées dans une même « situation » lors de l’événement traumatique peuvent, en fonction de leur propre psychisme, ressentir les choses très différemment à la fois pendant et après l’événement traumatique. Ainsi, deux victimes directes retenues en otage exactement dans les mêmes conditions pendant un attentat n’auront pas entendu, ou retenu avoir entendu, les mêmes bruits, perçu les mêmes dangers, vu les mêmes expressions sur les visages des terroristes ; elles n’en retiendront pas les mêmes choses, et les manifestations post-traumatiques seront radicalement différentes. L’indemnisation doit être adaptée aux préjudices effectivement ressentis par la victime et non dépendre du dommage en lui-même. L’indemnisation n’est pas calculée en fonction de la gravité de la faute ou des circonstances du fait générateur, mais de ses conséquences. Et c’est pour cela que la réparation intégrale nécessite une individualisation.

Or la méthode d’évaluation de ces nouveaux postes de préjudices reflète leur caractère éminemment forfaitaire, et déconnecté du préjudice effectivement subi. Ainsi, à propos du « préjudice situationnel d’angoisse des victimes directes », le rapport dirigé par S. Porchy-Simon indiquait que :

« Le premier [point essentiel] tient à la nécessité de maintenir une évaluation in concreto de ce préjudice, qui ne saurait faire l’objet d’une évaluation forfaitaire, dans le souci de demeurer dans le respect des principes généraux de la réparation du droit français. Cette approche doit toutefois être combinée avec la conception du préjudice situationnel d’angoisse prônée par le groupe de travail, liée à la situation génératrice d’angoisse dans laquelle a été impliquée la victime. Dans cette optique, la personnalisation de l’indemnisation doit donc être faite en fonction d’éléments objectifs, liés à la situation de chaque demandeur, et consécutifs à la manière dont chacun d’entre eux a été confronté au danger, qu’il lui appartiendra de prouver. » [17]

Ne faire dépendre l’indemnisation que d’éléments objectifs, de la manière dont les victimes ont été confrontées au danger conduit nécessairement à une évaluation forfaitaire. Les critères (inputs de l’algorithme) de l’appréciation forfaitaire peuvent être raffinés autant que possible, toute appréciation fondée uniquement sur des éléments objectifs, c’est-à-dire non sur l’angoisse effectivement ressentie par la victime, mais sur la situation abstraitement envisagée, l’exposition de la victime au danger, rend impossible l’individualisation. La proposition de créer des classes ou des « groupes affinés » [18] de victimes en fonction de la durée ou de la proximité du danger conduit à une essentialisation des victimes et met à mal l’individualisation de la réparation.

Les critères proposés à propos des victimes directes – durée de l’exposition, proximité du danger, circonstances particulières entourant l’acte [19] – comme à propos des victimes indirectes – proximité du lien affectif et durée et conditions de l’attente [20] – trahissent une appréciation déconnectée des réalités individuelles de chaque victime.

  1. 9. Difficulté de la mesure des atteintes psychiques.– Les atteintes psychiques et les préjudices en découlant sont mal appréhendés par le droit, et le droit du dommage corporel en particulier. Les barèmes médico-légaux, plus ou moins directement issus des outils de la mesure de l’incapacité en matière d’accidents du travail et dont la mise à jour n’est pas régulière [21], ne prennent que très mal en compte les aspects psychiques des atteintes. Il est également probable que la nomenclature « Dintilhac » nécessite des adaptations. Mais ce changement de paradigme, pour ne pas réduire le dommage corporel aux atteintes physiques, nous semble nécessiter une réflexion et des solutions bien plus larges que les deux nouveaux postes de préjudices autonomes reconnus par la Cour de cassation. Et le respect de principes juridiques rigoureux, tels que la distinction entre le dommage et le préjudice, ne peut être mis de côté.

En attendant cet aggiornamento de plus en plus nécessaire des outils de la réparation du dommage corporel, l’ajout de nouveaux postes de préjudice risque de diluer plus encore la cohérence de la nomenclature. En effet, cela revient à scinder encore la temporalité de l’appréciation des souffrances : au-delà de la charnière que constitue la consolidation, est créée une nouvelle articulation qui tient à la fin de l’événement dommageable. Pour la période correspondant à l’accident, la victime devra mobiliser le préjudice d’angoisse de mort imminente ; après l’accident mais avant la consolidation : les souffrances endurées ; après la consolidation : le déficit fonctionnel permanent. Pour les victimes indirectes, alors que la consolidation de la victime directe ne constitue pas un élément pris en compte en droit commun [22], on introduit une division nouvelle temporelle. Surtout, il nous semble que la fin de l’événement dommageable n’est pas un critère approprié du point de vue des conséquences de l’atteinte psychique, spécialement lorsque la victime survit à l’événement : il nous semble artificiel de distinguer l’événement lui-même, la prise en charge dans les instants et la période qui suivent la fin de l’événement traumatique, puis la période de soins jusqu’à la consolidation.

Tout compte fait, il aurait probablement été plus sage d’avancer à petits pas en précisant que les souffrances endurées peuvent être à la fois physiques et psychiques, et que l’indemnisation des deux pans peut être effectuée de manière indépendante, comme le fait le FIVA par exemple. Comme Yohann Quistrebert l’a énoncé : « il nous apparaît inutile de chercher à individualiser [l’angoisse de mort imminente] subie entre l’accident et le décès au sein de la nomenclature des préjudices. Il s’agit ni plus ni moins d’une souffrance endurée parmi tant d’autres. Cette souffrance est strictement identique à celle subie par la victime qui survit à l’accident. » [23]

  1. 10. FGTI.– La lecture des comptes rendus des auditions effectuées par le groupe de travail présidé par S. Porchy-Simon est révélatrice de l’insatisfaction des victimes dans leurs relations avec le FGTI [24] ; le fonds est perçu comme un organe administratif assez froid et peu enclin à l’écoute des victimes. La manière dont le « préjudice exceptionnel spécial des victimes de terrorisme » (PESVT) est attribué ne comble pas le besoin de reconnaissance des victimes d’attentat : les éléments précisément indemnisés à travers cette somme sont particulièrement flous, et son attribution entièrement forfaitaire sans individualisation aucune ne permet pas aux victimes de ressentir une écoute véritable et une prise en compte de la situation et du vécu propres à chacune d’entre elles. Il faut espérer que la reconnaissance du préjudice d’angoisse de mort imminente et du préjudice d’attente et d’inquiétude sera l’occasion pour le fonds de faire évoluer ses pratiques et la prise en compte individuelle des victimes et de leurs préjudices.

[1] Cass. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15.624 N° Lexbase : A30367RU, à paraître au Bull. (préjudice d’angoisse de mort imminente) ; Cass. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072 N° Lexbase : A30357RT, à paraître au Bull. (préjudice d’attente et d’inquiétude). Alors que ces arrêts ont donné lieu à un communiqué de presse de la Cour de cassation, et à de longs rapports préparatoires, ils ne font étonnamment pas l’objet d’une motivation enrichie.

[2] L’un des arrêts (Cass. mixte, 25 mars 2022,  n° 20-15.624 N° Lexbase : A30367RU) est un arrêt de cassation partielle et sans renvoi sur une question que nous ne développerons pas (la charge des dépens lorsque le FGTI est la partie perdante).

[3] CA Papeete, 29 août 2019, n° 18/00213 N° Lexbase : A2741ZMH.

[4] Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, groupe de travail dirigé par J.-P. Dintilhac, 2005.

[5] Par ex. le préjudice d’attente et d’inquiétude

[6] Par ex. à propos du préjudice d’angoisse de mort imminente Cass. civ. 2, 16 septembre 2010, n° 09-69.433, F-P+B N° Lexbase : A5933E9M Bull. civ. II, n° 155 ; Cass. civ. 2, 11 septembre 2014, n° 13-21.506, F-D N° Lexbase : A4250MWC inédit ; Cass. civ. 2, 5 février 2015, n° 14-10.097, F-P+B N° Lexbase : A2429NBL Bull. civ. II, n° 22 ; Cass. civ. 2, 2 février 2017, n° 16-11.411, F-P+B N° Lexbase : A4160TBP Publié au Bull civ.

[7] Par ex. à propos du préjudice d’angoisse de mort imminente, Cass. crim., 23 octobre 2012, n° 11-83.770, FS-P+B N° Lexbase : A0580IWE, Bull. crim n° 225 ; Cass. crim., 27 septembre 2016, n° 15-84.238, FS-D N° Lexbase : A7274R48 inédit.

[8] Affaire de la passerelle du Queen Mary II : TGI Saint-Nazaire, 11 février 2008 et CA Rennes, 2 juillet 2009 ; catastrophe d’Allinges (collision entre un train et un bus scolaire) : T. corr. Thonon-Les-Bains, 26 juin 2013 ; explosion et incendie à la suite d’une fuite de gaz : CA Lyon, 14 janvier 2016. Sur ces décisions, cf. L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, Groupe de travail dirigé par Stéphanie Porchy-Simon, 2017, p. 17-19.

[9] Livre blanc sur les préjudices subis lors des attentats, Barreau de Paris, Groupe de contact des avocats de victimes de terrorisme, 2016.

[10] L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, Groupe de travail dirigé par Stéphanie Porchy-Simon, 2017

[11] L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, préc., p. 54, note 63.

[12] Cass. crim., 25 juin 2019, n° 18-82.655, F-D N° Lexbase : A3089ZHU inédit ; Cass. crim., 25 juin 2019, n° 18-82.655 inédit. Sur ces deux arrêts, cf. Y. Quistrebert, L’indemnisation conditionnée du préjudice d’angoisse de mort imminente, RCA sept. 2019, étude 8.

[13] Le rapport dirigé par S. Porchy-Simon ne tranchait pas véritablement la question ; il considérait que devait être en cause un « acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste » (L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, préc., p. 49).

[14] Dans l’affaire ayant donné lieu à la reconnaissance du préjudice d’attente et d’inquiétude pour les proches (Cass. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072 N° Lexbase : A30367RU,), la cour d’appel de Paris avait d’ailleurs rejeté l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime directe car « la preuve de l’existence de la conscience de sa mort imminente par [la victime directe] n’était pas rapportée », infirmant sur ce point le jugement du TGI de Créteil (CA Paris, 30 janvier 2020, n° 19/02479 N° Lexbase : A22443DH).

[15] Sur la question du pretium mortis, de l’abrégement de la vie et de l’angoisse devant la mort, cf. C. Quézel-Ambrunaz, L’espérance de vie de la victime, in C. Quézel-Ambrunaz, Ph. Brun, L. Clerc-Renaud (coord.), Des spécificités de l’indemnisation du dommage corporel, Bruylant, coll. du GRERCA, 2017, p. 299-323.

[16] Sur la nécessité de distinguer dommage et préjudice, cf. Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, Dalloz, coll. Précis, 8e éd. 2016, n° 29, p. 21-22 ; n° 114, p. 107-108 ; Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 5e éd. 2018, n° 176, p. 121 et s. Sur cette nécessité à l’égard des victimes psychologiques, cf. Y. Quistrebert, Pour un statut fondateur de la victime psychologique en droit de la responsabilité civile, thèse Rennes 1, 2018.

[17] L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, préc., p. 50, nous soulignons.

[18] L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, préc. p. 50.

[19] L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, préc., p. 52.

[20] L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, préc., p. 55.

[21] Cf. E. Tordjman, Questionner l’évaluation médico-légale : Quels outils ?, Cycle Réparation du dommage corporel : défis et perspectives, Cour de cassation, 2021.

[22] Comp. le barème applicable aux enfants en matière de pesticides, indemnisant de manière différenciée certaines victimes indirectes durant la période ante et post consolidation de la victime directe (Arrêté du 7 janvier 2022 fixant les règles de réparation forfaitaire des enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de l’un de leurs parents, JORF 16 janvier 2022, texte 9). Sur l’indemnisation devant le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, cf. V. Rivollier, Le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, ou l’émergence d’un nouveau régime de maladies professionnelles : des évolutions pour les travailleurs, une révolution pour les enfants, victimes secondaires de l’exposition professionnelle de leurs parents, Droit social, à paraître 2022.

[23] Y. Quistrebert, L’indemnisation conditionnée du préjudice d’angoisse de mort imminente, préc.

[24] L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, préc., p. 22 et s.

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Responsabilité administrative

[Brèves] Dommages de travaux publics : pas d’injonction à la fin du comportement fautif en l’absence de demande indemnitaire

Réf. : CE 2°-7° ch. réunies, 12 avril 2022, n° 458176, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A41537TY

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N1170BZD

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par Yann Le Foll

Le 21 Avril 2022

Est irrecevable la demande tendant à ce qu'il soit enjoint à une personne publique de mettre fin à son comportement fautif dommageable ou à un dommage de travaux publics, en l'absence de conclusions indemnitaires.

Principe. La personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de ce comportement.

Injonction. Elle peut également, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets (sur l’étendue du pouvoir d'injonction du juge de plein contentieux dans ce cas de figure, voir CE 4° et 5° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 367484, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0742NNS).

Demande indemnitaire. De telles conclusions à fin d'injonction ne peuvent être présentées qu'en complément de conclusions indemnitaires. De la même façon, le juge administratif ne peut être saisi, dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics, de conclusions tendant à ce qu'il enjoigne à la personne publique de prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage ou à en pallier les effets, qu'en complément de conclusions indemnitaires.

Précision. Ce point revient sur une jurisprudence de 2020 selon laquelle « en l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution » (CE 2°-7° ch. réunies, 27 janvier 2020, n° 427079 N° Lexbase : A65073CY).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La responsabilité administrative sans faute, Les victimes bénéficiant du régime de la responsabilité administrative sans faute, in Responsabilité administrative (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E3766EUZ.

newsid:481170

Responsabilité médicale

[Brèves] Titre exécutoire émis par l’ONIAM : nature délictuelle de la contestation de l’assureur et compétence de la juridiction du lieu du fait dommageable

Réf. : Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 21-16.435, FS-B N° Lexbase : A44677TM

Lecture: 4 min

N1186BZX

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par Laïla Bedja

Le 20 Avril 2022

► Lorsque le professionnel de santé, considéré comme responsable du dommage, ou l’assureur garantissant sa responsabilité civile, fait opposition au titre exécutoire émis par l'ONIAM, subrogé dans les droits de la victime sur le fondement de l'article L. 1142-15 du Code de la santé publique pour recouvrer les sommes versées, ce recours tend à contester devant le juge le principe de sa responsabilité ou le montant de la réparation ; par suite, ce recours relève, dans tous les cas, de la matière délictuelle au sens de l’article 46, alinéa 3, du Code de procédure civile et peut être porté devant la juridiction du lieu du fait dommageable.

Les faits et procédure. M. A est décédé le 10 décembre 2014 d’un cancer du foie après avoir contracté une hépatite C. La CCI du Rhône-Alpes a émis, le 12 mai 2015, un avis en faveur d’une responsabilité conjointe de plusieurs médecins, dont celle de M. Z, estimée à 20 %. Son assureur ayant refusé de faire une offre aux ayants droit du patient, l’ONIAM s’est substitué à l’assureur en versant aux ayants droit du défunt plusieurs sommes.

Sur le fondement de l’article L. 1142-15 du Code de la santé publique N° Lexbase : L5390IR3, l’Office a ensuite exercé le recours subrogatoire et émis à cette fin deux titres exécutoires à l’encontre de l’assureur. Ce dernier a assigné l’ONIAM devant le tribunal de grande instance de Lyon aux fins d’annuler les titres exécutoires et d’être déchargé du paiement de la somme.

Saisi d'une exception d'incompétence territoriale formée par l'ONIAM, le juge de la mise en état, par ordonnance du 6 octobre 2020, a déclaré le tribunal judiciaire de Lyon incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny (lieu du siège de l’ONIAM). L’assureur a relevé appel de cette décision.

Le pourvoi. L’ordonnance fut infirmée, l’exception d’incompétence de l’ONIAM rejetée et les parties renvoyées à poursuivre la procédure devant le tribunal judiciaire de Lyon. Un pourvoi en cassation a alors été formé par l’ONIAM. Selon l’Office, l’article 42 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1198H47 doit s’appliquer et la juridiction compétente est donc celle du lieu où demeure le défendeur. Aussi, il ajoute que l’article 46 du même Code N° Lexbase : L1210H4L, applicable en matière délictuelle, n’est pas applicable à une action exercée par un assureur prenant la forme et produisant les effets d’une opposition à titre exécutoire lorsque l’opposition est dirigée contre un titre émis par l’ONIAM.

La décision. Rappelant les dispositions de l’article 46 du Code de procédure civile sur la compétence territoriale en matière délictuelle et de l’article L. 1142-15 du Code de la santé publique, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Pour la Cour, il découle de l'article R. 1142-53 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4341IUC, tel qu'interprété par le Conseil d'État (CE, Avis, 5e et 6e ch.-réunies, 9 mai 2019, n° 426321 N° Lexbase : A0383ZBS et 426365 N° Lexbase : A8112ZB3, publiés au recueil Lebon), que l'ONIAM peut émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de toute créance dont le fondement se trouve dans les dispositions d'une loi, d'un règlement ou d'une décision de justice, ou dans les obligations contractuelles ou quasi délictuelles du débiteur. Les débiteurs peuvent introduire un recours contre un titre exécutoire devant la juridiction compétente. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction a ainsi déduit que le recours de l’assureur contre le titre exécutoire émis par l’ONIAM relève de la matière délictuelle et qu’il peut être porté devant la juridiction du lieu du fait dommageable (en l’espèce, Lyon).

Pour aller plus loin : v. C. Lantero, ÉTUDE : La procédure amiable : les commissions de conciliation et d’indemnisation et l’ONIAM, L’émission d’un titre exécutoire, in Droit médical, Lexbase N° Lexbase : E94503RG.

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Transport

[Jurisprudence] Des précisions sur l’indemnisation des passagers victimes de vols avec correspondance(s) au départ du territoire de l’UE

Réf. : CJUE, 7 avril 2022, aff. C-561/20 N° Lexbase : A10977TS

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N1209BZS

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par Pascal Dupont, Docteur en droit et Ghislain Poissonnier, Magistrat

Le 21 Avril 2022

Mots-clés : transport aérien • vol retardé • vol avec correspondant • indemnisation des passagers • compagnie aérienne non européenne • transporteur communautaire • transporteur effectif • segment de vol hors-UE • principe souveraineté d’un État sur son espace aérien

Le juge européen vient de dire que lorsque le vol retardé est au départ d’un aéroport du territoire de l’Union européenne et que les passagers ont conclu un contrat de transport aérien avec une compagnie européenne, il est indifférent que le vol ait été mis en œuvre par un transport aérien non communautaire et que le second segment de vol ait eu lieu en dehors du territoire de l’UE. Il vient également, à cette occasion, de déclarer le Règlement « passagers » compatible avec le principe de souveraineté d’un État sur son espace aérien.


 

L’application du Règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 sur la protection des passagers aériens victimes de retard ou d’annulation de vol N° Lexbase : L0330DYU continue de susciter des questions préjudicielles des juges nationaux au juge européen. Il est vrai que la pratique de plus en plus courante des vols par correspondance(s) génère un nombre presque inépuisable de cas particuliers nécessitant des clarifications. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient à nouveau de le confirmer, en apportant dans un arrêt « United Airlines » du 7 avril 2022, des éléments de réponse relatifs à l’indemnisation des passagers victimes d’un retard d’un vol par correspondance(s).

Des passagers avaient effectué, par l’intermédiaire d’une agence de voyages, une réservation unique auprès de la compagnie aérienne allemande Lufthansa, pour un vol avec correspondance au départ de Bruxelles (Belgique) et à destination de San José (États-Unis), avec une escale à Newark (États-Unis). L’intégralité de ce vol avec correspondance était effectuée par la compagnie aérienne américaine United Airlines. Les passagers parvenaient à leur destination finale (San José) avec un retard de 3 heures et 43 minutes. En dépit de plusieurs courriers et d’une mise en demeure, United Airlines refusait d’indemniser les passagers, au motif que le Règlement n° 261/2004 ne s’appliquait pas au litige, dès lors que le retard était intervenu sur le second segment du vol concerné. Le 22 juillet 2019, trois de ces passagers assignaient United Airlines devant le tribunal de Bruxelles afin d’obtenir, sur le fondement du Règlement n° 261/2004 [1], sa condamnation à leur verser l’indemnité forfaitaire d’un montant de 600 euros par personne pour ce retard. Force est de reconnaître que la compagnie aérienne ne manquait pas d’arguments : d’une part, le second segment reliait une ville américaine (Newark) à une autre (San José) et, d’autre part, United Airlines n’est pas un transporteur aérien communautaire. Éprouvant quelques doutes quant à l’applicabilité du Règlement n° 261/2004 au litige, le tribunal bruxellois interrogeait à titre préjudiciel la CJUE.

La situation était, il est vrai, quelque peu complexe : premièrement, si le vol avait été réservé auprès d’un transporteur aérien communautaire (Lufthansa), il avait opéré par un transporteur aérien non communautaire (United Airlines). Deuxièmement, si le premier segment de vol reliant Bruxelles (au départ d’un aéroport situé sur le territoire de l’UE) à Newark (aux États-Unis) n’avait pas connu de retard, le second segment de vol retardé (entre Newark et San José) concernait ainsi un transporteur américain sur un vol depuis et vers un aéroport situé hors du territoire de l’UE. Troisièmement, en appliquant le Règlement n° 261/2004 à ce litige, n’y avait-il pas un risque d’application extraterritoriale du droit européen ?

Dans l’arrêt du 7 avril 2022, la CJUE juge que lorsque le vol retardé est au départ d’un aéroport du territoire de l’UE et que les passagers ont conclu un contrat de transport aérien avec une compagnie européenne, il est indifférent que le vol ait été mis en œuvre par un transport aérien non communautaire et que le second segment de vol ait eu lieu en dehors du territoire de l’UE.

I. Le retard subi par un vol avec correspondance(s) au départ du territoire de l’UE entre dans le champ d’application du Règlement n° 261/2004

Pour la CJUE, un vol avec correspondance en provenance de l’UE, même si son second segment a eu lieu hors du territoire de l’UE, relève du champ d’application du Règlement n° 261/2004. En effet, ce Règlement s’applique à tous les passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre de l’UE [2]. Il en va ainsi pour les passagers d’un vol avec correspondance(s) qui sont partis d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre de l’UE et il est, dès lors,  indifférent que ce vol ait fait une escale sur le territoire d’un pays tiers ou que le transporteur aérien qui a effectué ledit vol ne soit pas un transporteur communautaire [3].

En effet, la CJUE a déjà jugé qu’un vol avec correspondance(s) ayant fait l’objet d’une réservation unique constitue un ensemble aux fins du droit à indemnisation des passagers prévu par le Règlement n° 261/2004, impliquant que l’applicabilité de ce Règlement soit appréciée au regard du lieu de départ initial et de la destination finale de ce vol [4]. Il s’ensuit que le lieu où un retard survient n’a aucune incidence sur cette applicabilité [5], ce qui paraît logique au regard tant de la lettre, que de l’esprit du Règlement « passagers » précité.

Par ailleurs, la réalisation d’un vol par un transporteur communautaire ne constitue une condition aux fins de l’application de ce Règlement n° 261/2004 qu’en ce qui concerne des passagers empruntant des vols au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un pays tiers à l’UE et à destination d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre [6]. À l’inverse, cette condition n’est pas requise en ce qui concerne les passagers empruntant des vols au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre [7].

Enfin, considérer que la situation des passagers d’un vol avec correspondance(s) opéré depuis l’aéroport situé sur le territoire d’un État membre relève du Règlement n° 261/2004 est en tous points conforme à l’objectif de protection des passagers poursuivi par ce Règlement. Établir une distinction selon qu’un retard trouve son origine dans le premier ou le second segment d’un vol avec correspondance qui a fait l’objet d’une réservation unique reviendrait à opérer une distinction injustifiée. En d’autres termes, United Airlines serait tenue de verser une indemnisation en cas de retard survenu lors du premier segment de ce vol, mais n’y serait pas tenue en cas de retard survenu lors du second segment dudit vol, alors qu’un tel vol forme un tout aux fins du droit à indemnisation et que les passagers subissent, dans les deux cas, le même retard à la destination finale et donc les mêmes désagréments [8]. La CJUE ne le dit pas ici, mais il est clair que la solution serait la même pour un vol en provenance d’un aéroport du territoire de l’UE avec plusieurs correspondances hors du territoire de l’UE dès lors que le vol concerné, ayant fait l’objet d’une réservation unique, forme un tout.

II. Le retard subi par un vol avec correspondance(s) réservé auprès d’un transporteur communautaire entre dans le champ d’application du Règlement n° 261/2004

Se posait ensuite la question de savoir si un transporteur aérien d’un État tiers à l’UE (United Airlines) qui n’a pas conclu un contrat de transport avec les passagers d’un vol avec correspondance(s), mais qui a effectué ce vol et dont le second segment de vol est affecté d’un retard, peut être redevable de l’indemnisation des passagers prévue par le Règlement n° 261/2004 [9]. La CJUE y a répondu par l’affirmative, dès lors que ce transporteur aérien non communautaire qui a effectué l’ensemble de ce vol a agi au nom d’un transporteur communautaire.

Dans la logique du Règlement n° 261/2004, le professionnel redevable des obligations vis-à-vis des passagers, et donc le débiteur des indemnités à leur verser en cas de retard ou d’annulation de vol, ne peut être que le « transporteur aérien effectif » [10]. Rappelons qu’un « transporteur aérien effectif » est celui « qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager » [11]. La CJUE a déjà précisé que cette définition repose sur deux conditions cumulatives  : d’une part, la réalisation du vol en cause et, d’autre part, l’existence d’un contrat conclu avec le passager concerné [12].

En effet, le Règlement n° 261/2004 opte pour une responsabilité exclusive du transporteur aérien effectif afin de garantir la protection des droits des passagers aériens et la sécurité juridique quant à la désignation de la personne à laquelle incombent les obligations imposées par ce Règlement [13].

La première condition repose sur la notion de « vol ». Or, la CJUE a déjà jugé que cette notion doit être comprise comme « une opération de transport aérien, étant ainsi, d’une certaine manière, une "unité" de ce transport, réalisée par un transporteur aérien qui fixe son itinéraire » [14]. Dès lors, doit être considéré comme étant le transporteur aérien effectif le transporteur qui, dans le cadre de son activité de transport de passagers, prend la décision de réaliser un vol précis, y compris d’en fixer l’itinéraire et, ce faisant, de créer, à l’intention des intéressés, une offre de transport aérien. L’adoption d’une telle décision implique en effet que ce transporteur assume la responsabilité de la réalisation de ce vol, y compris, notamment, de ses éventuels annulation ou retard important à son arrivée [15].

Lorsqu’un transporteur aérien effectif qui n’a pas conclu de contrat avec le passager remplit des obligations découlant de ce Règlement, il est réputé agir au nom de la personne qui a conclu le contrat avec le passager concerné [16]. Il s’ensuit que l’absence d’un lien contractuel entre les passagers concernés et le transporteur aérien effectif est dénuée de pertinence, pour autant que ce dernier ait établi sa propre relation contractuelle avec le transporteur aérien ayant conclu un contrat avec ces passagers [17].

Dans la présente affaire, le vol avec correspondance effectué l’avait été par United Airlines, dans le cadre d’un accord de partage de code avec la Lufthansa. Dans ces conditions, la compagnie américaine doit logiquement être considérée comme étant le transporteur aérien effectif, dès lors que celle-ci a réalisé le vol concerné en agissant, dans le cadre d’un accord de partage de code, au nom de Lufthansa, le transporteur contractuel aux yeux des passagers [18].

La compagnie américaine n’en restait pas pour autant démunie de moyens d’action, puisqu’en vertu du Règlement européen, un transporteur aérien effectif qui verse une indemnité ou s’acquitte d’autres obligations, conserve le droit de demander réparation à toute personne, y compris des tiers, conformément au droit national applicable [19]. Elle peut donc valablement se retourner contre Lufthansa.

III. La souveraineté de l’État sur son espace aérien en question

Le tribunal bruxellois s’interrogeait enfin sur le point de savoir si le Règlement n° 261/2004 est bien valide au regard de la règle de souveraineté étatique sur l’espace aérien national. Cette règle, qui renvoie à des considérations relatives au droit des espaces internationaux, qui est une branche du droit public aérien et non du droit privé aérien comme le droit des transports, est rarement invoquée dans ce type de contentieux, plus proche du droit de la consommation.

La question méritait néanmoins d’être posée, dans la mesure où chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien conformément à un principe de droit international coutumier [20], principe mis en évidence par la Convention de Chicago du 7 décembre 1944 [21]. Or, l’UE se doit de contribuer au strict respect et au développement du droit international sous tous ses aspects [22]. Par conséquent, lorsqu’elle adopte un acte, elle est tenue de respecter le droit international dans son ensemble, y compris le droit international coutumier qui lie les institutions de l’Union [23]. En outre, les principes du droit international coutumier peuvent être invoqués par un justiciable aux fins de l’examen par la CJUE de la validité d’un acte de l’UE, dans la mesure où, d’une part, ces principes sont susceptibles de mettre en cause la compétence de l’UE pour adopter cet acte et, d’autre part, l’acte en cause est susceptible d’affecter des droits que le justiciable tire du droit européen ou de créer dans son chef des obligations [24]. Si, de toute évidence, le principe selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien apparaît n’avoir pour portée que de créer des obligations entre États, il peut toutefois être valablement invoqué, car le Règlement n° 261/2004 est susceptible de créer des obligations [25].

La CJUE a cependant jugé ici que le Règlement européen n’était pas contraire aux règles de droit international. Dès lors qu’un principe du droit international coutumier ne revêt pas le même degré de précision qu’une disposition d’un accord international, le contrôle juridictionnel doit nécessairement se limiter au point de savoir si les institutions de l’UE, en adoptant l’acte en cause, ont commis des erreurs manifestes d’appréciation quant aux conditions d’application dudit principe [26].

Selon la Cour, un vol avec correspondance(s) entre dans le champ d’application de ce Règlement, au motif que les passagers ont commencé leur voyage au départ d’un aéroport situé dans un État membre [27]. Ce faisant, le Règlement établit un lien étroit de rattachement avec le territoire de l’Union. Ce critère d’applicabilité du Règlement n° 261/2004 ne saurait porter atteinte aux conditions d’application du principe de souveraineté d’un État sur son propre espace aérien, dès lors qu’il vise les passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre qui peuvent donc être soumis, eu égard à un tel lien de rattachement, à la compétence de l’UE [28].

En outre, ce Règlement ne s’applique à un retard important trouvant son origine dans un segment de vol effectué dans un pays tiers que dans des circonstances limitées et clairement définies dans lesquelles le vol concerné, considéré dans son ensemble, est effectué au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre. Un tel vol et les passagers de celui-ci conservent ainsi un lien étroit avec le territoire de l’UE, y compris pour le segment du vol effectué en dehors de l’UE [29].

Le Règlement n° 261/2004 n’a donc pas vocation à s’appliquer, à des vols qui sont intégralement opérés dans un pays tiers ou entre deux pays tiers, sans aucun lien de rattachement avec le territoire de l’UE [30]. Ainsi, en adoptant le Règlement « passagers », les institutions de l’UE n’ont pas commis une erreur manifeste d’appréciation quant aux conditions d’application du principe du droit international coutumier selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien [31].

De toute évidence, les institutions européennes ont souhaité adopter un texte commun dont l’objectif consiste [32] à garantir un niveau élevé de protection des passagers [33]. Or, afin d’assurer un tel objectif, le législateur européen peut faire le choix de n’autoriser l’exercice sur son territoire d’une activité commerciale, en l’occurrence le transport aérien, qu’à la condition que les opérateurs respectent les critères définis tendant à remplir les objectifs qu’elle s’est assignés en matière de protection des consommateurs et, plus particulièrement, des passagers aériens [34].

Enfin, il ne saurait donc y avoir aucune méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre passagers, dans la mesure où, dans cette affaire, deux catégories de passagers ne se trouvent pas dans une situation comparable : les passagers du vol avec correspondance en cause, qui, doit être considéré comme constituant un ensemble aux fins de l’applicabilité du Règlement n° 261/2004, ont emprunté un vol au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre, alors que tel n’est pas le cas s’agissant des passagers qui ont uniquement emprunté le second segment de ce vol, effectué au départ et à destination d’aéroports situés sur le territoire d’un pays tiers [35]. En somme, la protection des passagers des vols au départ du territoire de l’UE ne crée aucune situation d’inégalité injustifiée par rapport à des passagers des vols au départ d’États tiers à l’UE. Une solution parfaitement justifiée.

 

[1] Article 7, § 1, c) du Règlement n° 261/2004, s’agissant d’un vol extra-communautaire portant sur une distance de plus de 3 500 kilomètres : l’indemnité prévue est dans ce cas de 600 euros par passager.

[2] Article 3, § 1, a) du Règlement n° 261/2004.

[3] Article 2, c), du Règlement n° 261/2004 : un « transporteur communautaire » est un transporteur aérien possédant une licence d’exploitation en cours de validité, délivrée par un État membre conformément aux dispositions du Règlement (CEE) n° 2407/92 du Conseil du 23 juillet 1992 concernant les licences des transporteurs N° Lexbase : L6123AUC .

[4] CJUE, 24 février 2022, aff. C‑451/20, point 26 N° Lexbase : A03717PG (retard de vol de réacheminement), Dalloz Actualité, 17 mars 2022, obs. P. Dupont et G. Poissonnier.

[5] Voir point 30 de l’arrêt du 7 mai 2022 et point 40 des conclusions de l’Avocat général du 9 décembre 2021 [en ligne]

[6] Article 3, § 1, b), du Règlement n° 261/2004 et point 31 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[7] Article 3, § 1, a), du Règlement n° 261/2004 et point 31 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[8] Point 32 de l’arrêt du 7 avril 2022 et point 41 des conclusions de l’Avocat général du 9 décembre 2021.

[9] Comment l’article 3, § 1, sous a), devait-il s’articuler avec les articles 6 et 7 du Règlement n° 261/2004 ?

[10] Article 5, § 1, c), et § 3, du Règlement n° 261/2004.

[11] Article 2, b), du Règlement n° 261/2004.

[12] CJUE, 11 juillet 2019, aff. C‑502/18, point 23 N° Lexbase : A5435ZI7, D., 2019, p. 1922, note P. Dupont et G. Poissonnier.

[13] Point 36 de l’arrêt du 7 avril 2022 et point 47 des conclusions de l’Avocat général du 9 décembre 2021.

[14] CJUE, 4 juillet 2018, aff. C‑532/17, point 19 N° Lexbase : A6010XU7, Gaz. Pal., 2 octobre 2018, p. 14, note P. Dupont et G. Poissonnier.

[15] CJUE, 4 juillet 2018, aff. C‑532/17, point 20.

[16] Article 3, § 5, seconde phrase, du Règlement n° 261/2004.

[17] Point 40 de l’arrêt du 7 avril 2022 ainsi que point 49 des conclusions de l’Avocat général du 9 décembre 2021.

[18] Article 2, b), du Règlement n° 261/2004 et point 42 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[19] Article 13 du Règlement n° 261/2004 et point 43 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[20] Point 47 de l’arrêt du 7 avril 2022 ; CJUE, 21 décembre 2011, aff. C‑366/10, points 103 et 104 N° Lexbase : A6905H8A, AJDA, 2012, 119 ; RTD eur., 2012, 464, obs. C. Bosse-Platière et I. Flaesch-Mougin. On retiendra de cet arrêt l’extrait suivant « parmi les principes et les dispositions du droit international mentionnés par la juridiction de renvoi, seuls peuvent être invoqués, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal et aux fins de l’appréciation de la validité de la Directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, modifiant la Directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre :
- d’une part, dans les limites d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation imputable à l’Union quant à sa compétence, au regard de ces principes, pour adopter cette Directive ;
- le principe selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien […] ».

[21] Publiée par décret n° 47-094 du 31 mai 1947 (JORF du 3 juin). Entrée en vigueur en France le 15 mars 1947.

[22] Article 3, § 5, TUE.

[23] Point 46 de l’arrêt du 7 avril 2022 ; et voir CJUE, 21 décembre 2011, aff. C‑366/10, préc. point 101.

[24] Point 48 de l’arrêt du 7 avril 2022 ; CJUE, 21 décembre 2011, aff. C‑366/10, préc., point 107.

[25] Point 50 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[26] Point 51 de l’arrêt du 7 avril 2022 ; CJUE, 21 décembre 2011, aff. C‑366/10, préc., point 110.

[27] Article 3, § 1, a), du Règlement n° 261/2004, et points 26, 27 et 52 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[28] Point 53 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[29] Point 54 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[30] Article 3, § 1, a), du Règlement n° 261/2004, point 55 de l’arrêt du 7 avril 2022 et point 64 des conclusions de l’Avocat général du 9 décembre 2021.

[31] Point 56 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[32] Voir les considérants 1 et 4 du Règlement n° 261/2004.

[33] Point 57 de l’arrêt du 7 avril 2022.

[34] Point 58 de l’arrêt du 7 avril 2022 et voir, par analogie, CJUE, 21 décembre 2011, aff. C‑366/10, préc., point 128.

[35] Point 60 de l’arrêt du 7 avril 2022.

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