La lettre juridique n°503 du 25 octobre 2012

La lettre juridique - Édition n°503

Éditorial

Les billets de la discorde

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N4175BTS

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Doux
: le billet mêle le mystère et la banalité, l'intime et le public. Comme dans un tableau de Fragonard, il est galant, libertin, pompeusement rose et cotonneux, et si dentellier qu'on se perd en y faisant un crochet.

De mariage : en papier vélin d'Arches ou vergé de France, le billet est l'apanage des grands-parents et des parents qui annoncent le mariage de leurs enfants. La typographie est anglaise, dans une couleur sombre, le noir, le bleu marine ou le vert foncé, sans doute pour contraster avec le blanc de la mariée.

De faire-part : tantôt joyeux, tantôt triste, pour une naissance ou pour un décès. Gallimard a affublé ce billet d'un carré noir, et Carter Brown d'un linceul rouge. Mathilde de La Mole enceinte, pour Julien Sorel, il est le passeport pour ses nouveaux quartiers de noblesse, mais un passeport pour la prison tout de même.

De banque : papier-monnaie, le billet fiduciaire est le signe de la confiance dans le système bancaire. Sur papier couché fin, porteur d'un filigrane, de pâte de chiffon, de coton raffiné, désormais en polymères, on craint pourtant que le billet ne soit monnaie de singe. Il est heureux que, depuis Law, la loi marque le pas et le billet honore sa promesse de paiement.

A ordre : à la lisière de la lettre de change et du chèque, le billet oblige à payer son bénéficiaire, sur simple présentation à l'échéance. La promesse est pure et simple et s'exécute à vue. L'ordre de tirer, tel est l'objet de ce billet souffreteux.

Au porteur : constatant l'engagement d'un souscripteur à régler, à tout porteur, une somme déterminée à une échéance déterminée, le billet produit ses effets, en suscitant toutefois l'émoi quand le fisc regarde par là.

De parterre : quand on se le prend, la chute est assurément rude.

De faveur : gratuit et pour une seule représentation, il peut pourtant avoir la plus singulière des valeurs et laisser la trace d'une révélation culturelle sans précédent.

D'auteur : souvent court, parfois drôle, toujours satirique, le billet se veut d'esprit ou d'humeur. Caustique, il marque son style. Enoncer, dénoncer et surprendre, selon Le Tellier, au Monde ; oripeaux du Cavalier seul pour Frossart, dans le Figaro ; le billet fait grincer...

Simple : symbole de liberté pour les uns, d'inconscience pour les autres, le billet sans retour est un leurre. A l'ombre devant eux, les bateaux font le tour du monde et comme la Terre est ronde, ils reviennent chez eux... nous dit la chanson.

D'aller et retour : pour celui qui, bien moins qu'enchaîné, revient se libérer pour s'accomplir.

D'avion : on ne comprend toujours pas pourquoi celui qui occupe le siège d'à côté a payé son billet deux fois moins cher...

Nul : le billet compte pour du beurre...

Blanc : aussi... Car, depuis la Révolution, les couleurs s'imposent en politique.

De loterie : sacrilège pour les uns, salutaire pour les autres, le billet, s'il ne répare plus les "gueules cassées", sert le lien social en partageant le bien le plus rare, l'espoir.

D'appel : celui-là, il ne vaut mieux pas le manquer. Le billet établi scrupuleusement par l'adjudant offre soit la mi-temps, soit le mitard.

De logement : longtemps vécu comme un impôt, il est pourtant à l'origine de nombreux faire-part de naissance.

De confession : le billet certifie que vous avez été entendu par un prêtre. Est -ce pour autant un quitus de votre assemblée avec Dieu ?

D'avocat : circulant à découvert, les billets remis aux clients, dans la salle d'accueil du tribunal, ne répondent pas à la notion de correspondance protégée. Tel est l'apport substantiel d'un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 26 octobre 2012. On pensait naïvement que le secret professionnel couvre, en toute matière, les correspondances échangées entre le client et son avocat.

Le billet d'avocat est aussi contradictoire que les autres, finalement. Ni tout à fait ci, ni tout à fait cela : il reste au juge d'apprécier les circonstances et la nature des écrits. Le billet est en tout judiciaire. Mais au tribunal de la subjectivité, le billet est-il toujours gagnant ?

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Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Octobre 2012

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N4122BTT

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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)

Le 25 Octobre 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur agrégé, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'Institut de recherche en droit privé (IRDP), en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan. Ont retenu l'attention des auteurs deux arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 octobre 2012 : le premier donne l'occasion de revenir sur l'interruption de la prescription biennale prévue par l'article L. 114-2 du Code des assurances (Cass. civ. 2, 4 octobre 2012, n° 11-19.631, FS-D) ; le second rappelle les règles applicables en cas de résiliation d'un contrat d'assurance vie assorti de garanties de prévoyance (Cass. civ. 2, 4 octobre 2012, n° 11-19.431, FS-P+B).
  • Diligences interruptives de la prescription biennale par l'expert d'assuré, mandataire de l'assuré : tout est dans la précision de la lettre ! (Cass. civ. 2, 4 octobre 2012, n° 11-19.631, FS-D N° Lexbase : A9765ITT)

L'interruption de la prescription est une inépuisable source de contentieux. Rappelons qu'aux termes de l'article L. 114-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L0076AA3) :

"La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d'interruption de la prescription et par la désignation d'experts à la suite d'un sinistre.

L'interruption de la prescription de l'action peut, en outre, résulter de l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l'assureur à l'assuré en ce qui concerne l'action en paiement de la prime et par l'assuré à l'assureur en ce qui concerne le règlement de l'indemnité".

Malgré les nombreux appels à la réforme législative auxquels s'est livrée la Cour de cassation au fil de nombreux rapports annuels, le texte n'a pas évolué. La lettre simple ou tout substitut, tel un fax ou un courriel, sont impuissants à interrompre les délais.

Dans un tel contexte, les interprétations jurisprudentielles n'en sont que plus importantes.

C'est le cas, par exemple, de la jurisprudence relative à l'article R. 112-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0052AA8). Selon cet article, les polices d'assurance doivent "rappeler [...] la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance". Le texte implique que la rédaction du contrat d'assurance soit claire et complète afin d'informer l'assuré sur l'étendue de ses droits, spécialement sur les modes interruptifs de la prescription prévus par l'article L. 114-2 du Code des assurances.

Dans un premier temps, la jurisprudence considérait, avec la première chambre civile de la Cour de cassation, qu'une rédaction défectueuse d'une police d'assurance ne pouvait donner lieu à une inopposabilité de la prescription à l'assuré, mais seulement à une responsabilité de l'assureur (cf. en ce sens, Cass. civ. 1, 22 mai 2002, n° 01-86.156 N° Lexbase : A6555CYG) RGDA, 2002, p. 694, note J. Kullmann).

Par suite, la deuxième chambre civile s'est nettement écartée de cette solution. A partir de 2005, elle a consacré la solution de l'inopposabilité à l'assuré de la prescription biennale (cf. Cass. civ. 2, 2 juin 2005, n° 03-11.871, FS-P+B N° Lexbase : A5094DII, RGDA, 2005, p. 619, note J. Kullmann). En outre, si elle a pu d'abord considérer qu'une simple référence, dans la police, aux articles L. 114-1 (N° Lexbase : L2640HWP) et L. 114-2 suffisait à satisfaire aux exigences d'information, la Cour a modifié sa position et s'est faite plus exigeante.

Désormais, la police d'assurance doit reproduire les dispositions des articles précités. Les différentes causes d'interruption de la prescription doivent être mentionnées expressis verbis. Il n'est pas question pour l'assuré de se reporter lui-même au Code des assurances pour comprendre ce qu'il en est.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation partage pleinement cette ligne. Il suffit, pour le constater, de rapprocher deux arrêts récents.

- Dans un arrêt du 28 avril 2011 (Cass. civ. 3, 28 avril 2011, n° 10-16.269, FS-P+B N° Lexbase : A5356HP3), la troisième chambre civile énonce : "Mais attendu [...] que l'article 20 des conditions générales B 970, auxquelles renvoyait le contrat d'assurance dommages-ouvrage, se bornait à rappeler que toutes actions dérivant du présent contrat sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y a donné naissance dans les termes des articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances', sans autre précision, la cour d'appel a, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, pu en déduire que la société G. n'était pas fondée à opposer la prescription biennale au syndicat des copropriétaires" ; la solution est claire : se borner à mentionner l'article L. 114-2 n'est pas suffisant et est sanctionné par l'inopposabilité de la prescription à l'assuré.

- Dans un arrêt du 16 novembre 2011 (Cass. civ. 3, 16 novembre 2011, n° 10-25.246, FS-P+B N° Lexbase : A9401HZ9), la troisième chambre civile censure des juges du fond qui avaient tenu pour efficace une police rédigée comme suit : "toutes actions dérivant de ce contrat sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance (articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances)". Le juge d'appel avait considéré que cette rédaction "donne une information suffisante à l'assuré puisque le délai de deux ans y figure et que les textes essentiels y sont expressément visés, l'article R. 112-1 du même code n'exigeant pas de l'assureur la reproduction in extenso de ces articles et que par conséquent la fin de non-recevoir tirée de la prescription est bien opposable à" l'assuré. Les Hauts magistrats censurent pour violation de l'article R. 112-1.

Cette rigueur, pour s'assurer de la complète information de l'assuré, ne surprendra pas. On trouvera la même dans un arrêt d'Assemblée plénière du 29 mai 2009 (Ass. plén., 29 mai 2009, n° 08-11.422, P+B+R+I N° Lexbase : A3449EH9) à l'encontre du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages qui avait adressé par lettre une proposition d'indemnisation à une victime, en se référant aux articles L. 421-3 (N° Lexbase : L2507DK3) et R. 421-16 (N° Lexbase : L5936DYI) du Code des assurances, mais sans en expliciter le contenu.

Alors que les juges du fond avaient tenu cette référence aux articles pour une "information suffisante pour connaître l'existence d'une transaction et exercer son droit de contestation", la formation solennelle de la Cour de cassation considère qu'il y a atteinte au "droit fondamental, en vue d'un procès équitable, [...] d'être pleinement informé de la faculté de contester devant un juge une transaction opposée à celui qui n'y était pas partie" et que se borner à reproduire les articles L. 421-3 et R. 421-16 du Code des assurances sans se référer "expressément à l'existence d'une transaction, n'informaient nullement leur destinataire du droit dont il disposait de contester devant le juge le montant des sommes qui lui étaient réclamées, du délai pendant lequel ce droit à contestation était ouvert et de son point de départ".

Cette sévérité à l'endroit de l'assureur, qui nous semble justifiée, se retrouve-t-elle dans la jurisprudence relative à l'application de l'article L. 114-2 du Code des assurances ?

C'est ici que l'arrêt rapporté, du 4 octobre 2012, est utile.

L'article L. 114-2 prévoit deux causes d'interruption des délais spécifiques au droit des assurances :

- la désignation d'un expert d'assurance, amiable ou judiciaire ;
- l'envoi d'une LRAR par l'assureur à l'assuré portant sur l'action en paiement de la prime ou par l'assuré à l'assureur en ce qui concerne le règlement de l'indemnité.

En toute hypothèse, dès lors qu'il s'agit d'interruption et non de suspension, un nouveau délai de deux ans court à compter de l'interruption.

Rappelons ici l'utilité de la réforme de la prescription civile par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I), car l'article 2239 du Code civil (N° Lexbase : L7224IAS) issu de cette loi dispose : "La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée".

Voilà qui devrait inciter au recours aux mesures d'instruction in futurum en assurances.

Dans l'arrêt rapporté, ce n'était pas la voie suivie par l'assuré qui, s'il a saisi le juge des référés, n'a pas dû se fonder sur l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49), mais plutôt sur l'article 808 (N° Lexbase : L0695H4I).

En l'espèce, le juge des référés désigne un expert par ordonnance du 12 avril 2005. Cet expert rend son rapport le 15 mai 2006. L'assureur dénie sa garantie. L'assuré l'assigne au fond par acte du 5 juillet 2007 en exécution du contrat. La prescription était-elle acquise depuis le 12 avril 2007 ou un acte interruptif avait-il pu se glisser avant cette date ?

L'assuré avait pris soin de se faire assister d'un expert d'assuré. Celui-ci, chargé de le conseiller, intervient en qualité de mandataire. Tout l'enjeu était ici de savoir si cet expert avait pu, par ses démarches, interrompre la prescription avant le 12 avril 2007, pour éviter à l'assuré de se voir opposer la prescription. En l'espèce, l'expert d'assuré a été diligent et précautionneux puisque :

- le 14 septembre 2006, il adressait un fax à l'expert de l'assureur pour arrêter contradictoirement une indemnité, sur les bases du rapport de l'expert-judiciaire ;
- le 13 novembre 2006, il adressait une LRAR à l'assureur dans laquelle il l'informait de sa qualité de mandataire de l'assuré. Détail important : l'expert d'assuré joignait à sa lettre le fax du 14 septembre 2006.

Les juges du fond avaient, curieusement, considéré que le fax et la lettre recommandée qui s'y référait, n'étaient que de "simples pourparlers entre experts, dénués d'effet interruptif de prescription".

La Cour de cassation redresse l'analyse : "en statuant ainsi alors que ces deux écrits émanant du mandataire de l'assuré concernaient le règlement de l'indemnité, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

La solution est heureuse. Celui qui demande au mandataire de l'assureur de fixer l'indemnité contradictoirement réclame nécessairement paiement de cette indemnité, puisqu'il en envisage les modalités !

Reste à envisager le cas de l'assuré assisté d'un expert d'assuré moins précautionneux qui, à force de discussions avec l'expert de l'assureur, laisserait "filer" le délai biennal sans en avertir son client.

Eu égard à la qualité de professionnel de l'assurance de l'expert d'assuré, sa faute de "non-mise en garde" ou, plus prosaïquement, de non-envoi d'une LRAR pour empêcher la prescription, serait évidente. L'assuré privé d'assurance pourrait alors tenter d'obtenir sous forme de dommages-intérêts l'équivalent de l'indemnité d'assurance dont il aurait été privé...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de Droit de Nantes, IRDP, Avocat à la Cour de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan

  • Résiliation d'un contrat d'assurance vie assorti de garanties de prévoyance ou lorsque la Cour de cassation donne un cours de droit (Cass. civ. 2, 4 octobre 2012, n° 11-19.431, FS-P+B N° Lexbase : A9638IT7)

Tous les mois, la Cour de cassation n'a pas l'occasion, dans chaque matière, de rendre des décisions riches d'enseignements en raison de la résolution d'un obstacle de technique juridique majeur. L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 octobre 2012 s'inscrit dans ce cadre. Pour autant, notre Haute juridiction estime nécessaire de procéder à la publication de son arrêt, quand bien même la réponse juridique fut déjà fournie dans le passé. Il est permis de penser que son choix résulte du constat que le contentieux, auprès des juridictions de degré inférieur, ne se tarit pas. Le message adressé n'a pas été entendu ou compris ; il convient donc de saisir une nouvelle affaire pour confirmer la solution antérieure en attirant l'attention des avocats et autres professionnels du droit, à commencer peut-être par les assureurs eux-mêmes lorsqu'ils procèdent à la rédaction, puis à la formation de leurs personnels, et, enfin, à la vente de leurs contrats.

En l'espèce, il semble bien que l'assureur ou son avocat n'ait pas été dans leur plus grande forme. Car la solution était acquise et, à défaut de la connaître, pouvait se déduire aisément de l'ensemble de la jurisprudence, pour peu qu'elle ait été vaguement connue. En effet, c'est à une sorte de contrat depuis longtemps connue dont il s'agissait. Si le socle s'entendait d'une assurance vie, une garantie invalidité ainsi qu'incapacité y était associée, formule banale s'il en est depuis plusieurs dizaines d'années. Par conséquent, au-delà des circonstances de faits masquant l'essentiel, la véritable interrogation portait sur la nature juridique d'un tel contrat et ses conséquences sur le régime juridique applicable, notamment les dispositions relatives à sa résiliation. Plus encore, il s'agissait de mettre en oeuvre les règles idoines, c'est-à-dire soit celles relevant des assurances de dommages, soit celles prévues pour les assurances de personnes. Néanmoins, la difficulté n'apparaissait pas si grande ; par conséquent, en commettant ce type d'erreur, l'assureur ou son avocat nous laisse perplexes. Que l'on en juge.

Une femme avait été victime d'un accident au cours duquel elle avait subi une fracture du poignet. Sur le seul plan juridique, peu importaient ces détails. L'important résidait dans la date de survenance du risque garanti : deux mois après que le contrat ait été résilié, du moins selon les prétentions de l'assureur. Or, ce dernier se fondait sur l'article L. 132-20 du Code des assurances (N° Lexbase : L0149AAR) selon lequel l'assureur n'a pas d'action pour exiger le paiement des primes, dont le corollaire consiste dans la mise à l'écart des règles applicables à la résiliation des contrats d'assurance de dommages. Par conséquent, l'assureur affirmait ne pas être tenu de respecter la procédure stricte de résiliation de ces contrats, avec les délais et le formalisme imposés par l'article L. 113-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L0062AAK). Si ces assertions sont exactes, il demeure que l'interrogation déterminante portait sur l'applicabilité ou non de ces dispositions au contrat considéré.

Les juges du fond n'avaient pas admis le raisonnement de l'assureur, parce que celui-ci, en substance, s'était contenté de constater l'absence de règlement de toutes les primes, sans respect de toute autre formalité. Au-delà d'un argument quasi surabondant selon lequel l'assureur avait commis une erreur dans l'énoncé des mois non réglés, les magistrats avaient considéré la résiliation nulle. La Cour de cassation confirme cette analyse, ce dont on ne pouvait guère douter. Elle rappelle que l'adjonction d'une garantie de prévoyance à un contrat sur la vie entraîne le changement de nature juridique de celui-ci qui, cessant de relever des dispositions relatives aux seuls contrats d'assurance vie stricto sensu, sont régies par les règles propres aux assurances de dommages, notamment pour ce qui est de leur résiliation.

L'un des intérêts de cet arrêt s'entend des termes, précis, détaillés, insistants que la Cour de cassation prend le soin d'adopter. La longueur même de son attendu retient l'attention tant il n'est guère dans ses habitudes de procéder ainsi. Notre Haute juridiction fait oeuvre pédagogique : "[...] seul l'article L. 113-3 du Code des assurances est applicable aux contrats d'assurance qui ne sont pas uniquement des assurances sur la vie et ont, de ce fait, un caractère mixte [...]". Hélas, l'expression d'assurance mixte, quelque peu fourre-tout prête à confusions. On se souvient ainsi qu'en doctrine comme en jurisprudence, pendant longtemps, les véritables assurances mixtes s'entendaient d'une assurance en cas de décès à laquelle avait été ajoutée une assurance en cas de vie. Progressivement, ce qui devait se produire eut lieu : tout mélange ou presque de garanties a reçu la dénomination de contrat d'assurance mixte, ce qui brouille souvent le message véhiculé.

Car l'ajout d'une assurance vie à une autre assurance vie -même si l'hypothèse se conçoit mal-, n'aurait pas pour effet de modifier la nature juridique du contrat. L'expression ne saurait être approuvée, ou, tout au moins, l'ancienne utilisation effectuée devrait disparaître au profit de celle d'assurances alternatives, selon la proposition ancienne de Madame Lambert-Faivre, jamais exaucée. Quoiqu'il en soit, le propos de la Cour de cassation, au fond, n'appelle pas de véritable critique. Et celle-ci de poursuivre : "que cet article, dont les dispositions sont d'ordre public comme celles de l'article L. 132-20 du Code des assurances, n'est pas spécifique aux assurances de groupe et concerne les contrats d'assurances en général". Le rappel de l'impossibilité de s'émanciper de ce texte, ou d'en adopter d'autres est instructif, encore que connu. Une fois encore, nos hauts magistrats veulent lever toute hésitation.

Et, pour qui n'aurait décidément pas compris, la Cour de cassation martèle la leçon : "les formalités de résiliation du contrat édictées par l'article L. 113-3 du Code des assurances, seul applicable en l'espèce (bis repetita ; le lecteur pourrait presque croire lire un arrêt d'appel) sont impératives et différentes de celles de l'article L. 132-20 du Code des assurances". Là, en revanche, le propos s'avère légitime et nécessaire. Car, trop souvent, n'apparaissent connues, -notamment de certains professionnels du droit autres que les assureurs eux-mêmes, peu pardonnables de les ignorer-, que les dispositions spécifiques à la résiliation des contrats d'assurance de dommages et non celle des contrats d'assurances vie. C'est que dans un passé encore roche, cette dernière circonstance n'avait pas cours. Les assurances vie disparaissant par le décès de l'assuré ou le rachat total des fonds versés, la notion même de résiliation surprenait. La naissance -pourtant désormais non récente- des assurances de groupe a modifié le paysage juridique et les habitudes antérieures.

Enfin, la deuxième chambre civile de notre Cour suprême effectue un véritable résumé de cours sur l'application de l'article L. 113-3 du Code des assurances : "l'article L. 113-3 prévoit, en effet, qu'à défaut de paiement d'une prime ou fraction de prime, dans les dix jours de son échéance, la garantie ne peut-être suspendue que trente jours après la mise en demeure de l'assuré et l'assureur a le droit de résilier le contrat dix jours après l'expiration du délai de trente jours susmentionné ; qu'il n'est pas prévu par cet article que la mise en demeure doive être adressée en recommandé avec avis de réception, de sorte que seul un courrier recommandé envoyé au dernier domicile connu de l'assuré comme en l'espèce est suffisant, la preuve de l'envoi étant apportée par la production du récépissé de la poste ; qu'en conséquence, à défaut de respect des formalités impératives de l'article L. 113-3 du Code des assurances, la résiliation invoquée est nulle et l'assureur est tenu de garantir le sinistre".

Voilà qui est dit. N'y revenez plus, auraient bien ajouté nos magistrats à l'évidence, mais ils n'ont pas osé.

En d'autres termes, en dehors des contrats ne comprenant qu'une assurance vie, tous les autres obéissent au formalisme de l'article L. 113-3 du Code des assurances, y compris les assurances de groupe, y compris les contrats comportant une garantie autre. Toutefois, il convient de ne pas s'en étonner : ces garanties, gérées par répartition, supposent un paiement obligatoire de primes, lequel justifie les précautions comprises dans l'article L. 113-3 du Code des assurances. La logique et la cohérence s'y retrouvent. Que l'assureur l'ait ignoré ou ait fait semblant de pouvoir se passer des exigences de ce texte, rend compréhensible la sanction de prise en charge incontournable du sinistre.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé des facultés de droit, Doyen de la faculté de droit de Nantes

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Avocats/Champ de compétence

[Le point sur...] L'avocat salarié en entreprise, la somme de toutes les faiblesses

Lecture: 25 min

N4134BTB

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par Didier Lecomte, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau du Val d'Oise, MCF associé à l'Université de Cergy (HDR)

Le 27 Mars 2014

"Si nous ne pouvons afficher aucune valeur, tout est possible et rien n'a d'importance".
Albert Camus, L'homme révolté, 1951

Le sujet que l'on pensait définitivement réglé après le vote au sein du Conseil national des barreaux (1) et la déclaration, dans ce sens, du Président Wickers, rebondit. En fait, le vote ayant eu lieu serait une "non décision (2)". En effet, la Chancellerie a émis un document de travail sur ce sujet. En outre, il apparaît que certains membres de la nouvelle législature du CNB soient favorables à la création de cet avocat, nouvelle "sorte". Le barreau de Paris semble afficher une position ouvertement favorable à la création de ce statut de l'avocat en entreprise. Le rapport "Prada" (3) va dans le même sens. Enfin, le CNB a mis en ligne, sur son site, un rapport établi par M. Bruno Deffains (4), Professeur d'économie. Ces quatre éléments ne manquent pas de questionner. En effet, les précédents débats au sein de la profession, mais aussi du CNB, ont paru pauvres tant en ce qui concerne le positionnement de la problématique par la profession que par les arguments qui pourraient justifier l'adoption d'une telle position en faveur de l'avocat salarié en entreprise. Le rapport "Prada" n'échappe d'ailleurs pas à cette critique et n'apporte rien de nouveau au débat, bien au contraire. Le document de travail émis par la Chancellerie inquiète par son inconséquence car il tend à imposer la solution sans argument et surtout sans réalisme juridique, sociologique ou économique.

Quant à la position future des membres de la commission chargée de cette question, espérons qu'elle donnera lieu à un débat réel (qui doit avoir lieu en janvier 2013) assorti de réels arguments de fond.

Le document de travail élaboré par la Chancellerie n'appelle pas de développement particulier dans la mesure où il ne démontre rien. En revanche, l'examen du rapport de Bruno Deffains est plus important car il reprend à lui seul l'ensemble des arguments avancés par les promoteurs de cette réforme (Commission droit et entreprise du CNB et rapport "Prada" (5) etc.). Ainsi, nous pourrons examiner l'ensemble de ces arguments et démontrer qu'aucun n'est recevable. C'est pourquoi, le rapport "Deffains" restera le fil conducteur de notre démonstration et nous permettra d'évoquer les autres rapports ou positionnements.

La position adoptée par M. Deffains, dans son rapport, inquiète aussi par sa construction et son analyse purement téléologique.

Ce rapport, finalement, démontre à l'envie à quel point la création d'un statut d'avocat salarié en entreprise est la dernière chose à faire.

En fait, si nous pouvons écarter d'emblée le document de travail de la Chancellerie c'est parce qu'il ne tente pas de justifier la création d'un tel statut de l'avocat en entreprise. Il s'agit en fait d'une proposition de ce que pourrait être ce statut de l'avocat salarié, statut qui ressemble à s'y méprendre à ce que l'association des juristes d'entreprises rêve de voir adopter. Malheureusement, les règles proposées sont incompatibles avec le statut actuel de l'avocat, statut qui n'a de raison d'être que parce qu'il existe dans l'intérêt général. Ce "projet" pèche quant à ces deux principales propositions, à savoir, la création de règles déontologiques dérogatoires et surtout le privilège de confidentialité. Ces points seront évidemment étudiés à l'occasion de l'examen du rapport de M. Deffains.

En outre, s'agissant du rapport de M. Deffains, nous verrons que les arguments avancés sont tellement indéfendables que, finalement, ce rapport qui avait pour objet de justifier la création de ce statut de l'avocat salarié en entreprise, devient un outil sérieux qui démontre non seulement l'inutilité d'un tel statut mais surtout que l'adoption d'un tel statut génèrerait des conséquences gravissimes pour la profession dans son ensemble ainsi que pour l'intérêt général.

Ce rapport établi à la demande du CNB sous la présidence de M. Wickers a été mis en ligne sur le site du Conseil et c'est une satisfaction que de pouvoir en débattre au moment où le projet de création d'un statut de l'avocat en entreprise revient en force avec visiblement, en ligne de mire, une volonté forte de le voir aboutir, comme si l'avenir de la profession en dépendait.

Le rapport de M. Deffains conclut dans ce sens au terme d'un raisonnement totalement téléologique qui laisse malheureusement à penser que celui-ci n'a été saisi par le CNB que pour valider le projet en question. Mais comme souvent, le raisonnement téléologique contraint à opérer quelques manipulations des faits ou de la réalité.

De fait, M. Bruno Deffains opère quelques arrangements (ou peut-être quelques confusions malicieusement opérées) notamment quant aux fondements mêmes de la profession d'avocat. Arrangements qui démontrent une incompréhension presque totale de la profession d'avocat (II).

Par ailleurs, le rapport de M. Deffains repose sur une analyse économique discutable (I).

I - Une analyse économique discutable

Ce rapport tente de démontrer l'intérêt qu'il y aurait à instaurer ce statut de l'avocat salarié en entreprise et ce par une double argumentation. Argumentation économique (A) d'abord, qui tendrait à faire croire que cette réforme génèrerait une augmentation du chiffre d'affaires de la profession d'avocat. Argumentation juridico-économique (B) ensuite, qui voudrait démontrer que cette réforme est conforme à la position de nos institutions européennes avec, en tête, la Commission européenne. Pourtant nous verrons qu'aucun de ces arguments ne fonctionne.

A - L'argument économique

M. Deffains affirme que l'adoption du statut de l'avocat en entreprise aurait des effets économiques bénéfiques pour la profession d'avocat en ce qu'il accroîtrait le chiffre d'affaires de celle-ci. Mais le raisonnement ne tient pas. S'il fonctionne, c'est au prix d'une présentation habile qui entretient la confusion entre chiffre d'affaires et salaires, d'une part, et marché du droit, marché du travail et expansion du droit dans l'entreprise, d'autre part.

- L'expansion du droit dans l'entreprise n'entraîne pas nécessairement un accroissement du marché de l'avocat

L'auteur du rapport expose que le droit de l'entreprise est en pleine expansion et qu'en outre il se complexifierait. Selon l'auteur, "il est avéré que les besoins dans ce domaine [le droit des affaires] sont sinon illimités, au moins insatisfaits". On peut être d'accord avec cette affirmation au moins pour ce qui concerne les PME/PMI.

Partant, la question se poserait de la nécessité, pour les entreprises, d'internaliser le service juridique. Pour l'auteur, cet "insourcing" serait justifié et même commandé par les travaux économiques. Mais, subitement, dans la démonstration, l'on ne parle plus que de l'internalisation de la fonction d'avocat. Ainsi, s'opère subrepticement un glissement terminologique. En effet, si l'expansion et la complexification du droit des affaires ou du droit de l'entreprise supposent qu'il y ait des juristes pour répondre à la demande, cela ne concerne pas spécifiquement l'avocat. Par conséquent, lorsque l'on envisage la question de l'internalisation de la fonction juridique, plus précisément sur le service juridique, cela n'a a priori rien à voir avec l'internalisation de la fonction d'avocat. N'oublions pas qu'aujourd'hui de nombreuses entreprises ont internalisé leur service juridique, un service composé de juristes qui ont parfois recours aux services d'un avocat y compris pour des tâches qui ne relèvent pas de son monopole. Dès lors, on voit mal de quoi il pourrait s'agir lorsqu'il est question d'internaliser la fonction. La seule justification serait outre l'activité de conseil, d'internaliser la fonction de représentation, c'est-à-dire la possibilité pour les salariés de l'entreprise (quel que soit le titre qu'on leur donne) de plaider.

L'auteur poursuit et indique que l'internalisation de la fonction d'avocat serait commandée par les travaux économiques qui voudraient que plus la spécificité et la fréquence des tâches sont importantes et plus on tendrait vers une intégration verticale des activités et donc vers un mode de coordination "hors marché (6)".

Et de conclure qu'"il semble préférable de laisser la possibilité pour les entreprises d'internaliser la fonction d'avocat [conseil et défense] dès lors qu'elles se trouvent confrontées à un risque de conflit répété, de façon à bénéficier des rendements d'échelles, des effets d'apprentissage et des compétences juridiques spécifiques".

Les travaux économiques évoqués ne sont pas précisés mais une approche pragmatique, voire empirique, permet d'avancer une autre théorie.

Premièrement, il est permis de relever, aujourd'hui, une tendance des entreprises à externaliser (7) le maximum de services et de se concentrer sur leur coeur de métier. Par ailleurs, s'agissant plus spécifiquement du droit, la situation mérite d'être analysée plus finement.

Deuxièmement, il n'est pas contestable que les grandes entreprises ont un service juridique intégré et souvent très développé. Pourtant, on constate que cette intégration n'est jamais complète. Ainsi, par exemple, s'agissant de recouvrement de créances (fonction éminemment importante sinon stratégique pour une entreprise et sa trésorerie) cette tâche est régulièrement externalisée dans un premier temps vers les officines de recouvrement de créances et dans un deuxième temps vers le cabinet d'avocat, ce dernier étant le plus souvent saisi dans le cadre du contentieux du recouvrement.

Poussons le raisonnement jusqu'à son terme et prenons l'exemple des banques (mais le raisonnement vaut aussi pour toutes les entreprises de taille importantes face au recouvrement de leurs créances) qui toutes, ont déjà un service juridique intégré. Peut-on imaginer qu'elles intègrent en outre le service contentieux ? Cela est impossible et ce, pour des raisons économiques. Premièrement, cela augmenterait significativement les coûts, notamment en termes de masse salariale. En effet, le contentieux de masse des banques est principalement du ressort des tribunaux d'instance (il en existe encore 295 depuis la réforme de la carte judiciaire). Or, il est impossible pour les banques d'assurer une couverture aussi étendue du territoire national. Mais surtout, rappelons que la représentation par un avocat n'est pas obligatoire devant les tribunaux d'instance (qui concentrent la quasi-totalité du contentieux des banques) et que le salarié d'une entreprise peut parfaitement représenter son employeur devant ces juridictions. Dans ces conditions, si l'internalisation était rentable, il y a longtemps que les banques y auraient procédé.

Un salaire n'est pas un chiffre d'affaires

L'auteur du rapport indique encore que l'accroissement du nombre d'avocats aurait ainsi un effet d'entraînement de la demande de services juridiques susceptibles d'engendrer, non une diminution du chiffre d'affaires de la profession dans son ensemble, mais une augmentation à travers l'émergence de nouveaux marchés et de nouveaux débouchés. Et de poursuivre que cette logique d'interdépendance entre offre et demande est particulièrement vraie dans le domaine du droit des affaires (8). Mais c'est ici qu'intervient la seconde confusion.

M. Deffains nous indique que l'augmentation du nombre d'avocats génèrerait une augmentation du chiffre d'affaires des avocats libéraux.

Arrêtons-nous sur la notion d'augmentation du nombre d'avocats. Il ne faut pas se tromper et se souvenir que l'objet du présent rapport est de justifier la création du statut d'avocat en entreprise, ce qui revient dans un premier temps, à donner à des juristes d'entreprises déjà en fonction, le titre d'avocat. Dans ces conditions, l'augmentation du nombre d'avocats doit être relativisée. Par ailleurs, comme l'indique l'auteur, si l'expansion du droit de l'entreprise justifie une augmentation de la demande de professionnel en la matière, ce n'est pas nécessairement une augmentation de la demande d'avocats. Surtout, si l'on accepte de conférer le titre d'avocat au nombre de juristes supplémentaires générés par l'augmentation de la demande de conseil, cette demande n'aura aucun effet sur le chiffre d'affaires des avocats, plus précisément des cabinets d'avocats libéraux qui ne sont rien d'autres que des entreprises.

Un service juridique internalisé n'est pas une entreprise et dans ces conditions, comment parler d'expansion du marché du droit pour les entreprises (les cabinets libéraux) d'avocats ? La notion de marché (entendu dans le sens du mécanisme de la concurrence) n'intéresse que les entreprises et non les salariés qui eux sont confrontés au marché du travail (ce qui est autre chose).

Un salaire n'est pas un chiffre d'affaires. En effet, n'oublions pas que l'intégration de l'avocat en entreprise suppose, comme l'indique d'ailleurs M. Deffains, que les entreprises internalisent la fonction juridique. Or M. Deffains nous le dit lui-même, l'internalisation est "un mode de coordination hors marché (9)". Il n'y a donc là aucune augmentation du marché du droit pour les avocats et ce, même s'il peut par ailleurs exister une croissance de la demande de conseil en matière de droit de l'entreprise.

La contradiction devient ici évidente et il est permis dans ces conditions et contrairement à ce que prétend M. Deffains, d'affirmer que la création d'un statut de l'avocat salarié en entreprise ne génèrera aucune augmentation du chiffre d'affaires de la profession d'avocat, autrement dit de la profession des avocats indépendants ou encore des entreprises qui exercent la profession d'avocat.

Dit autrement, si le titre d'avocat est donné aux juristes salariés d'entreprises, il n'y aura aucune extension du marché du travail des juristes en entreprise puisque ceux-là sont déjà en poste. De la même façon, il n'y aura aucune expansion du marché des avocats libéraux. En revanche, si le nombre de juristes affublés du titre d'avocat augmente du fait d'une augmentation des cas d'internalisation du service juridique, alors le marché du travail des juristes/avocats salariés croît et le marché des avocats libéraux diminue d'autant. C'est donc à des conclusions inverses à celles de M. Deffains que l'on aboutit en appliquant son propre raisonnement. Ce qui est réellement inquiétant pour la profession.

B - L'argument juridico-économique

Il est aujourd'hui de bon ton de dénoncer la philosophie économique de la Commission européenne en la qualifiant de néolibérale dogmatique. Il est vrai aussi que certains penseurs français, auteurs de différents rapports, ont fait leur cette philosophie de la dérèglementation systématique. Tel a été le cas notamment de M. Jacques Attali dans ces deux rapports sur l'économie française et de notre confrère Jean-Michel Darois dans son rapport sur la grande profession du droit. Pourtant, s'agissant de la profession d'avocat, il a été démontré que la dérèglementation poussée à son extrême ne pouvait avoir que des effets dévastateurs quant à la garantie de la qualité pour les consommateurs de droit. Par ailleurs, un constat s'impose, le corpus normatif européen valide la réglementation ou la régulation forte de la profession d'avocat.

- La dérégulation ne peut pas concerner la profession d'avocat

La Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, dans deux rapports (10), a pu inquiéter par ses propos ouvertement ultralibéraux. Toute règle y est considérée comme une entrave au libre marché et au modèle de concurrence pure et parfaite que prône la Commission, cette concurrence pure et parfaite que la Commission porte au rang de dogme. Partant, une dérégulation s'impose (11). Ainsi, et schématiquement, il y aurait pour la Commission une défaillance de marché dans le périmètre d'activité de l'avocat (12). Par ailleurs, la Commission considère les Ordres et le CNB comme des cartels et les règles générées par ces organismes comme des accords collusifs. Afin de remédier à cette défaillance du marché, la Commission préconise une libéralisation et une déréglementation de la profession d'avocat.

C'est à cette position que M. Deffains, dans son rapport, fait allusion pour justifier ses conclusions et, à tout le moins, leur donner un caractère d'extranéité qui viendrait les justifier. Or, une telle argumentation ne saurait servir de socle à la création de ce statut de l'avocat salarié en entreprise pour la bonne et simple raison que la position de la Commission européenne est critiquable et finalement indéfendable. En effet, M. Deffains passe sous silence les excellents travaux d'un groupe de travail présidé par M. Olivier Favereau (14).

Aux termes de ces travaux, il apparaît que la position de la Commission est erronée et disons-le, fausse. Ceci parce qu'elle repose sur des modèles économiques éculés et inadaptés. Comme le font remarquer les auteurs de ce rapport "Favereau", le raisonnement de la Commission procède d'une analyse caricaturale des apports de l'économie publique en faisant l'impasse sur les évolutions récentes de celle-ci. De même, la Commission fait une fausse analyse de la théorie des contrats (théorie entendue dans le sens de l'économie de l'information et non dans un sens juridique (15)). En substance, ces auteurs démontrent que le raisonnement sur la profession d'avocat ne peut être réduit au coût minimum et qu'il est préférable de raisonner à partir d'une économie de la qualité. Plus généralement, les auteurs concluent au maintien de la réglementation professionnelle, voire à une "re-régulation" de celle-ci.

Par conséquent, tirer de la position de la Commission un fondement de dérégulation nécessaire et valider la création du statut de l'avocat salarié en entreprise est inopérant et surtout dangereux.

- Le corpus normatif européen valide la régulation forte de la profession d'avocat

Déjà, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne valide les entorses au jeu de la libre concurrence (qu'il s'agisse de la liberté d'établissement ou de circulation).

Rappelons que le droit européen admet les entraves à la libre concurrence dès lors qu'elles sont justifiées par "des raisons impérieuses d'intérêt général". Ces raisons doivent, pour justifier une entrave, remplir trois conditions. Elles ne doivent pas être discriminatoires, elles doivent être nécessaires et proportionnelles, ces conditions étant cumulatives.

Or la Cour de justice de l'Union européenne a eu régulièrement à connaître de cette question de la compatibilité de certaines législations nationales réglementant des professions (notamment juridiques) et les a validées (16).

Bien mieux, la Directive "services" de 2006 (17) qui a fait si peur à la profession d'avocat s'agissant des consultations juridiques et de la rédaction des actes sous seing privé (18), est pleine d'enseignements. En effet, l'article 25.1.a de la Directive dispose que "les professions réglementées, dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession, et nécessaire pour garantir l'indépendance et l'impartialité (19) de ces professions". Ainsi, contrairement à ce qu'indique M. Deffains, la dérégulation de la profession n'est pas à l'ordre du jour. Au contraire, l'intérêt général, admis par la Directive, commande une régulation forte de la profession. Mais ce qui est surtout intéressant c'est que la Directive indique que la réglementation est justifiée pour garantir l'indépendance et l'impartialité de ces professions. Or cette seule caractéristique suffit à démonter le raisonnement qui nous est proposé (voir infra).

II - Une incompréhension de la profession d'avocat

Louis Assier-Andrieu, dans son avant-propos, nous explique que son ouvrage (20) "interroge la profession d'avocat sous l'angle de son rôle dans la société. Soumise à l'idéologie de la globalisation et de la marchandisation, la fonction d'avocat est à la croisée des chemins, tiraillée entre un passé glorieux de défense des libertés publiques et l'adhésion d'une partie croissante de ses membres à la logique du profit".

Il paraît évident que tout projet de réforme des règles régissant la profession devrait être préalablement évalué à la lumière de ce qu'elle est et représente au sein de notre société afin d'en évaluer les conséquences prévisibles.

S'agissant de l'avocat en entreprise, le raisonnement doit être identique et, pourtant, non seulement il n'apparaît pas dans le rapport de M. Deffains, mais surtout, c'est un autre raisonnement qui est appliqué niant, celui-là, les vraies caractéristiques de la profession.

Pourtant, cette question des fondements de la profession d'avocat ne peut pas être passée sous silence car à l'examen de ceux-ci, il paraît évident que l'adoption du statut de l'avocat salarié en entreprise ne peut avoir comme conséquence que de les saper à terme (et même à court terme). Ceci tout simplement parce que le statut de l'avocat et l'image qu'il renvoie dans notre société (autrement dit la fonction sociale de l'avocat) se sont construits principalement autour de la notion d'indépendance (21) (A).

De cette notion d'indépendance découlent d'autres incompatibilités irréductibles avec le statut de l'avocat salarié en entreprise, tel que le secret professionnel (même appelé legal privilege) (B). De même, l'absence d'indépendance de l'avocat salarié rend inopérant l'avantage invoqué par M. Deffains quant à la responsabilité de l'avocat envers son client, ici, l'employeur (C).

A - L'indépendance de l'avocat

Nous l'avons déjà regretté, la profession d'avocat en France fait peu l'objet de recherche de la part de nos scientifiques (22). Mais néanmoins, il existe quelques travaux d'une extrême qualité (23). Ces chercheurs s'accordent aujourd'hui à dire que la construction de notre groupe professionnel s'est effectuée lentement puisqu'elle est le fruit de six siècles d'histoire. Au terme de cette très longue maturation, il apparaît que la profession a contracté un pacte de confiance, une alliance avec le public (24). Cette confiance globale accordée à la profession relève de nombreuses règles qui sont imposées par l'Etat ou par les Ordres (25). Principalement, ces règles sont relatives à un niveau de formation élevé, des règles de comportements strictes, à l'indépendance et au secret professionnel.

S'agissant de l'indépendance et quel que soit l'angle sous lequel on l'envisage, collective ou individuelle, il serait erroné de penser qu'il est possible d'en limiter la portée en en réduisant le sens. L'indépendance est la qualité d'un groupe, d'un pouvoir, etc., qui n'est pas soumis à un autre, qui est libre de toute sujétion (Larousse). Par conséquent, la question se pose de cette indépendance lorsque l'avocat sera salarié de l'entreprise qui, au demeurant, ne sera plus le client de l'avocat mais son employeur.

Par ailleurs, réduire (jusqu'à la confusion ou la contradiction) la notion d'indépendance à une certaine autonomie intellectuelle ne saurait suffire à justifier la création de ce statut de l'avocat en entreprise. C'est pourtant à cette confusion que procède M. Deffains dans son rapport (26). En effet, dans son introduction, l'auteur explique que le contrat de travail de l'avocat serait "obligatoirement soumis au contrôle de l'autorité ordinale et [que seraient] prohibées les clauses susceptibles de porter atteinte à l'indépendance que comporte le serment de l'avocat (27)" ou encore que "la qualité d'avocat du juriste interne de l'entreprise renforcerait, par le prestige et l'exigence du titre et par la reconnaissance de son indépendance, la place du droit dans l'entreprise (28)". Pourtant cette référence à l'indépendance n'apparaîtra plus dans le rapport, ce terme étant curieusement remplacé par celui d'"autonomie" (29). Or l'autonomie n'a rien à voir avec l'indépendance. Evoquer l'autonomie du prestataire (en réalité du salarié), à propos du contrôle de la qualité et des comportements revient à réduire la notion d'indépendance à une quantité négligeable. De fait, l'autonomie de l'avocat salarié en entreprise, fut-elle intellectuelle, n'apporte rien de nouveau par rapport au juriste d'entreprise. Comme tout salarié effectuant des tâches de haute technicité, celles-ci induisent nécessairement une dose d'asymétrie d'information qui, par nature, installe l'autonomie du subordonné. Il suffit pour s'en convaincre de consulter les conventions collectives qui, dans leur quasi-totalité, consacrent l'autonomie des cadres lorsqu'il s'agit de décrire les postes pour leur attacher un coefficient, une qualification, un statut ou un grade.

L'indépendance, c'est autre chose : "l'avocat est le maître de la direction de la défense.../... En toutes causes, son devoir est de prévenir le client avant de proposer la marche ou la défense ; qu'il répudie ensuite la cause, si celui-ci n'approuve pas (30)".

De façon plus actuelle, il convient de citer Louis Assier-Andrieu qui indique à propos de l'avocat en entreprise que "comme la déontologie accompagne l'avocat, y compris dans l'entreprise, où son indépendance devrait le protéger d'une stricte obéissance à la logique managériale et pourvu que soient recherchés et exposés les moyens d'afficher sa solidarité avec la société globale, on peut estimer en bonne voie d'être rempli le pacte implicite qui lie l'avocat aux autres citoyens (31)". Comment soutenir, sans afficher une certaine mauvaise foi sinon une crédulité certaine, que l'avocat salarié et par conséquent subordonné de son employeur, puisse afficher une quelconque indépendance vis-à-vis de ce dernier. Peut-on raisonnablement croire que l'avocat salarié pourra faire valoir la cause de conscience comme le fait M. Deffains ? Peut-on encore admettre que face à une divergence d'opinion sur la stratégie à mettre en place dans le cadre d'une affaire, l'avocat démissionnera ? A l'évidence non. L'indépendance est définitivement incompatible avec un lien de subordination. Ne serait-ce que parce que l'avocat est dans un rapport d'emploi et n'est pas économiquement indépendant. La situation est la même pour un cabinet d'avocat libéral mono-client dont on sait les problèmes que cela pose quant au respect des règles déontologiques. A titre d'exemple, rappelons que l'avocat, dans le cadre de la rédaction d'acte et en présence d'une partie non assistée d'un conseil, a l'obligation d'assurer la sécurité juridique de ce dernier. Imagine-t-on un avocat salarié chargé de rédiger un contrat de cession de parts sociales, imposer à son employeur une garantie d'actif et de passif au bénéfice de l'autre contractant ? Là encore, il ne pourrait s'agir que d'une vue de l'esprit qui ne pourrait être soutenue qu'au prix d'une naïveté coupable. Ce simple exemple démontre que l'on ne peut procéder à quelque arrangement que ce soit avec la notion ou le principe d'indépendance.

Enfin, on objectera que l'avocat salarié et par conséquent subordonné existe déjà dans notre droit interne puisque l'avocat collaborateur peut être salarié du cabinet. Certes, mais ces deux situations sont incomparables. De fait, l'avocat salarié dans un cabinet libéral n'est pas en lien avec le client consommateur. Il y a entre eux le "patron" qui, seul, a contracté avec le client. Dans ces conditions, il n'y a aucun lien de subordination entre le client et l'avocat, et le principe d'indépendance n'est pas remis en cause. Par ailleurs, dans ce schéma, le "patron" est avocat et en tant que tel il est soumis totalement aux règles déontologiques qui régissent la profession (32). La situation est radicalement différente dans le cas de l'avocat salarié qui est soumis à un lien de subordination direct (et donc à un lien de dépendance) avec le consommateur de droit (qui ne peut plus être qualifié de client) et c'est justement ce lien qui porte atteinte à l'indépendance de l'avocat.

Cette nécessité d'un maintien strict de ce principe d'indépendance est encore confortée lorsque l'on examine la problématique inhérente au secret professionnel (voir infra).

A titre digressif, qu'il nous soit permis de relever que M. Deffains reconnaît néanmoins que la notion d'indépendance est un fondement de notre profession, la clef de voûte de l'édifice (33). On sourit moins lorsque l'on entend les propos tenus par de M. William Feugère, président de la Commission Droit et entreprise du CNB (34). Celui-ci nous explique qu'effectivement, l'avocat salarié en entreprise perdrait son indépendance mais que cela n'est pas important puisque nombreux sont les avocats libéraux qui ne sont pas indépendants (35). Une telle méconnaissance de la profession est consternante et surtout inquiétante. Ainsi, l'un de nos représentants, qui ne sait pas ce que recouvre la notion d'indépendance, bref qui ne connaît pas la profession, est prêt à abandonner cette dernière après avoir, au cours de la même interview, indiqué qu'il n'y aurait pas de réforme si c'était aux dépens de la profession.

Mais cela n'est pas tout, M. Feugère poursuit et indique que si le projet a fait l'objet d'une non décision au CNB (41 voix pour, 41 contre) c'est qu'il a été envisagé sous l'angle de la profession d'avocat. Or aujourd'hui, cette question serait envisagée sous l'angle du seul intérêt de l'entreprise. CQFD, le CNB représente l'entreprise et non la profession d'avocat. Peut-on rappeler ici que le CNB (c'est son objet) représente la profession d'avocat et que la représentation des entreprises est assurée par le MEDEF et la CGPME qui ne réclament d'ailleurs pas la création de ce statut de l'avocat salarié en entreprise (voir infra sur le secret professionnel) ? Enfin, dire que la création du statut de l'avocat salarié en entreprise présente un réel intérêt pour les entreprises, c'est bien, expliquer pourquoi, ce serait mieux, mais là c'est beaucoup plus compliqué.

B - Le secret professionnel

Il apparaît ici nécessaire de rappeler quelques principes à propos du secret professionnel. L'aspect certainement le plus important du secret professionnel tient au fait qu'il n'existe pas dans l'intérêt de l'avocat (36) ou du client. Le secret professionnel n'existe que dans l'intérêt général (37).

Comme l'indique Mireille Delmas-Marty, le secret professionnel ne doit cependant pas être élevé au rang de dogme car il est d'autres impératifs, notamment la paix publique, qui méritent d'être protégés. C'est pour ces raisons que le cabinet de l'avocat ne saurait être érigé en sanctuaire.

Or ce que réclament les juristes d'entreprises c'est un secret professionnel du juriste salarié de l'entreprise dans le seul but de protéger cette dernière. Dès lors, le secret professionnel quel que soit le champ d'application couvert n'existerait plus dans l'intérêt général mais dans un intérêt particulier, celui de l'entreprise employeur de l'avocat. Et de se demander si finalement, l'avocat ne serait pas qu'un alibi afin d'installer dans l'entreprise le secret professionnel ce qui met un peu plus à mal le principe d'indépendance de l'avocat évoqué plus haut.

Premièrement, il convient d'évacuer l'argument de droit comparé qui consiste à dire que dès lors que cela existe dans d'autres pays (surtout s'ils sont anglo-saxons) c'est forcément bon pour nous (38). Il faut rappeler que le droit comparé est une science nouvelle qui ne consiste pas seulement à juxtaposer les règles de chaque pays. Cette science consiste plutôt à comparer des règles après les avoir replacées dans le contexte économique ou social d'un territoire donné. Ce n'est que lorsque ce travail a été effectué que la comparaison devient possible et que la transposition dans un autre territoire peut-être envisagée.

Deuxièmement, il existe un obstacle supplémentaire à l'adoption de ce statut de l'avocat salarié en entreprise, la jurisprudence européenne. Les juges de Luxembourg ne s'y sont pas trompés et ont très justement fait le lien entre secret professionnel et indépendance.

M. Deffains expose que le secret professionnel est une condition sine qua non du statut de l'avocat et il a évidemment raison. Mais comme il le relève, la jurisprudence européenne adopte une position très stricte s'agissant du secret professionnel. Et de citer la décision du TPIUE en date du 17 septembre 2007 (39), qui refuse de reconnaître un quelconque secret professionnel lorsque l'avocat est un salarié d'une entreprise.

De fait, les juges européens ont lié le secret de l'avocat au principe de l'indépendance. Pour ces derniers, il ne peut y avoir de secret attaché aux courriers adressés à son employeur par un avocat subordonné. Fin du débat !

Du bon sens et du pragmatisme. Imagine-t-on un avocat salarié refuser de donner copie d'un courrier entre avocats à son employeur (40)? Il y a réellement de quoi se gausser. Ici encore, on perçoit bien la différence entre un avocat salarié en entreprise ou en cabinet d'avocat. Le second peut parfaitement partager le secret avec son employeur puisque les deux y sont soumis. Au contraire, l'employeur non avocat n'est pas soumis au secret professionnel !

Certes, il est possible de soutenir que cette jurisprudence de la CJUE est isolée (41) et limitée au droit européen de la concurrence (42). Mais si l'on admet que cette jurisprudence ne concerne que le droit de la concurrence et que dans cette hypothèse, elle ne remet pas en cause la possibilité d'adopter un statut de l'avocat salarié en entreprise qui serait soumis au secret professionnel, cela voudrait dire que l'avocat français, selon son statut ou la nature de l'affaire, serait soumis à un secret professionnel qui comprendrait trois champs d'application différents.

De fait, la CJUE pour établir sa jurisprudence s'est fondée sur une recherche des principes communs aux différents Etats membres en matière de secret professionnel (43). C'est ainsi que la Cour a admis le secret professionnel de l'avocat mais à une double condition : outre l'obligation pour l'avocat de ne pas être lié par rapport d'emploi, le secret ne couvre que les documents échangés dans le cadre "des droits de la défense (44)". Par conséquent, le secret professionnel tel qu'il est entendu au sens de la législation française est plus large que celui reconnu par la CJUE puisqu'il couvre totalité des services rendus par l'avocat à son client (45).

Ainsi, nous aurions en droit interne un avocat indépendant ou salarié en entreprise qui serait soumis à un secret professionnel couvrant un même champ d'application. Au contraire, en droit européen de la concurrence (46), il y aurait l'avocat indépendant qui bénéficierait du secret mais seulement en ce qui concerne des écrits relatifs au droit de la défense et l'avocat salarié d'une entreprise qui ne pourrait invoquer aucun secret professionnel même pour des actes inhérents aux droits de la défense (47).

Cette situation est évidemment contraire à l'intérêt général puisqu'elle induit une certaine insécurité juridique pour le client qui ne saurait pas nécessairement distinguer entre les deux champs d'application du secret professionnel. De la même façon, cette circonstance supprime tout intérêt pour une entreprise de salarier un avocat qui n'aurait pas les mêmes attributs ou les mêmes gages de sécurité que l'avocat indépendant.

Enfin, revenons aux propos tenus par M. Feugère qui ne comprend pas que le MEDEF refuse que le secret professionnel de l'avocat soit opposable au patron. L'explication est pourtant on ne peut plus simple. Le patronat français n'a jamais sérieusement réclamé ce statut. Tout au plus est-il prêt à l'accepter avec la règle du secret professionnel. Cependant, cette règle du secret n'est perçue par le patronat que comme un outil de protection de l'entreprise et rien d'autre. Malheureusement, cette perception du secret est incompatible avec celle généralement admise dans le seul intérêt général.

C - La responsabilité professionnelle de l'avocat

Parmi les garanties professionnelles attachées à la profession d'avocat, M. Deffains évoque la responsabilité professionnelle et disciplinaire de l'avocat, responsabilité qui serait, elle aussi, une garantie de la compétence et de la probité du juriste d'entreprise devenu avocat. M. Deffains met aussi l'accent et à juste titre sur le risque de grave préjudice que pourrait subir l'entreprise (l'employeur) du fait d'un manque de compétence ou d'intégrité de celui qui fournit le service juridique.

L'affirmation est vraie pour ce qui concerne la responsabilité disciplinaire mais elle est fausse s'agissant de la responsabilité contractuelle. De fait, en matière de contrat de travail, c'est l'employeur qui est civilement responsable des fautes de son salarié. Le fait de conférer à ce salarié le titre d'avocat n'y changera rien sauf à modifier le régime ancestral de la responsabilité du commettant en créant une exception uniquement destinée à satisfaire certains égos.

Finalement, de cette confrontation aux principes, il ressort à l'évidence que l'adoption d'un statut de l'avocat salarié en entreprise constituerait, au-delà de son caractère incongru, un danger pour la profession et surtout, in fine, pour l'intérêt général.

La solution réside ailleurs et consiste à organiser le statut de l'avocat libéral en entreprise. A ce propos il serait bénéfique pour la profession et surtout pour l'intérêt général que nos représentants et la Chancellerie s'inspirent des excellents travaux du barreau de Lyon ou encore, ceux de la FNUJA sur cette question.

On cherche en vain des arguments sérieux qui tout en permettant la création de ce statut de l'avocat salarié en entreprise seraient bénéfiques pour la profession mais surtout l'intérêt général.

Pour en terminer, qu'il nous soit permis d'affirmer que ce projet d'un statut de l'avocat salarié en entreprise ne correspond qu'à une demande de certains juristes d'entreprises (49) qui rêvent de revêtir le titre d'avocat qui comme l'écrit M. Deffains pour le prestige qu'il confère (50). Mais ce n'est pas le titre qui confère le prestige à son titulaire, c'est la confiance que lui accorde le public. Plus de confiance : plus de prestige. Plus d'indépendance : plus de confiance. Plus de confiance... la boucle est bouclée.

Ces individualités sont soutenues par certains membres du CNB. A ceux-là rappelons que les représentants des entreprises ne veulent pas entendre parler de la clause de conscience. Ils refusent absolument que le secret, quel qu'il soit, soit opposé par l'avocat salarié à son employeur. Enfin, ces mêmes représentants n'imaginent pas une seconde qu'un directeur juridique avocat salarié soit tenu de dénoncer leurs employeurs à TRACFIN (51) (même par l'intermédiaire d'un Bâtonnier).

Ainsi, pour imposer ce statut de l'avocat salarié en entreprise, il en faudra des approximations, des travestissements de la réalité, des faux-semblants, des exceptions et des non-sens. En outre les membres du CNB devront préalablement réfléchir sur le sens de leur engagement au sein de cet organisme qui, rappelons-le une dernière fois, représente la profession d'avocat.


(1) La proposition de créer un statut de l'avocat salarié en entreprise a été rejetée par l'assemblée générale du Conseil national des barreaux (CNB) qui s'est réunie le 20 novembre 2010.
(2) William Feugère, Gaz. Pal., 8-10 juillet 2012, p. 10.
(3) Rapport dirigé par M. Prada du 31 mars 2011, sur certains facteurs de compétitivité de la place de Paris.
(4) Rapport de M. Bruno Deffains, 16 mai 2008, L'exercice de la profession d'avocat en entreprise est-il opportun sur le plan économique ?
(5) Le rapport "Prada" fait d'ailleurs référence à l'étude de Bruno Deffains.
(6) Rapport, p. 11.
(7) Voir quand même sur cette question de l'externalisation le rapport sur L'industrie : enjeux du développement des groupes multiservices, pour le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, sous la direction de Christian Hoarau, professeur du Conservatoire National des Arts et Métiers, mars 2007. Selon ce rapport, l'externalisation serait le plus souvent rentable. Par ailleurs, l'externalisation génère mécaniquement une baisse de la valeur ajoutée de l'entreprise, valeur ajoutée qui constitue d'ailleurs la base de certains impôts ou taxes.
(8) Rapport, p. 8.
(9) Rapport, p. 11.
(10) Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social européen et au Comité des régions - Services professionnels - Poursuivre la réforme - Suivi du rapport sur la concurrence dans le secteur des professions libérales, COM(2004) 83, du 9 février 2004 (SEC(2005) 1064).
(11) Pour une définition du modèle économique de concurrence pure et parfaite, voir Camille Chaserant et Sophie Harnay, in Les avocats, entre Ordre professionnel et Ordre marchand, sous la direction de Olivier Favereau, Gaz. Pal., Lextenso éditions, p. 34.
(12) Cette défaillance du marché est principalement due à l'asymétrie d'information entre l'avocat et son client et qu'au surplus, les services juridico-judiciaires induiraient des effets externes. La théorie économique enseigne en effet qu'il y a effet externe lorsque l'agent économique ne supporte pas tous les coûts générés par le service (effet externe négatif) ou qu'il ne profite pas de tous les gains générés (effet externe positif).
(13) Ainsi, page 5 de son rapport, après avoir rappelé que l'avocat en entreprise existait dans d'autres pays, Bruno Deffains écrit que : "nous sommes à une époque où la Commission européenne plaide pour une dérégulation des professions juridiques".
(14) Les avocats, entre Ordre professionnel et Ordre marchand, sous la direction d'Olivier Favereau, op. cit.. Ce groupe de travail réunissait des économistes et un sociologue de l'économie (en qualité de conseiller scientifique).
(15) Sur ces points, voir les développements de Camille Chaserant et Sophie Harnay, L'économie sans qualité : critique du diagnostic de la Commission Européenne, in Les avocats, entre Ordre professionnel et Ordre marchand, op. cit., p. 31 à 64. Et la synthèse, p. 5 à 7, voir l'assertion de l'un des auteurs sur les préconisations de la Commission quant à une nécessaire régulation : "appeler à la dérégulation, en l'espèce, est à peu près aussi intelligent que de conseiller une formation pour devenir oenologue à un alcoolique en fin de cure". Une position confortée par les travaux de Lucien Karpik, L'économie des singularités, Editions Gallimard, 2007, 378 pages et du même auteur, in Traité de sociologie économique, sous la direction de Philippe Steiner et François Vatin, PUF, 2009, p. 165 à 208.
(16) On peut ainsi citer : CJUE, 3 décembre 1974, aff. C-33/74 (N° Lexbase : A6956AU8) ; CJUE, 12 décembre 1996, aff. C-3/95 (N° Lexbase : A9992AUM) et CJUE, 19 février 2002, aff. C-309/99 (N° Lexbase : A0074AYE), ces deux arrêts retiennent que les règles professionnelles "procurent la nécessaire garantie d'intégrité et d'expérience aux consommateurs finaux des services juridiques et à la bonne administration de la justice". Voir encore, CJUE ord., 17 février 2005, Mauri.
(17) Directive 2006/123/CE (N° Lexbase : L8989HT4).
(18) D'ailleurs, le CNB ne s'y est pas trompé en sollicitant une consultation à des universitaires, juristes et économistes, Jean-Sylvestre Bergé, Olivier Favereau et Sophie Harnay. La question qui leur était posée était relative à "l'incidence éventuelle de la transposition de la Directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur sur la réglementation française des activités de consultation juridique et de rédaction d'actes sous seing privé, exercées en lien direct et accessoirement à une activité réglementée ou non réglementée", rapport non publié. Il est regrettable que ce rapport excellentissime n'ait pas été mis à la disposition des confrères.
(19) Souligné par nous.
(20) Louis Assier-Andrieu, Les avocats, identité, culture et devenir, gaz. pal., Lextenso éditions, 2011, p. 7.
(21) Il faudrait aussi évoquer la philosophie du désintéressement qui anime la profession. Une philosophie qui doit bien évidemment être entretenue même si elle mériterait d'être redéfinie ou tout simplement définie. Mais c'est un autre débat.
(22) Contrairement à l'avocat dans les pays anglo-saxons à propos desquels les travaux de recherches sont pléthoriques.
(23) Pour ne citer que les principaux : Lucien Karpik, Les avocats entre l'Etat, le public et le marché, XIIIème-XXème siècle, 1995, Editions Gallimard, 478 pages ; du même auteur, L'économie des singularités, 2007, Editions Gallimard, 373 pages ; Hervé Leuwers, L'invention du Barreau français, 1660-1830, La construction nationale d'un groupe professionnel, Louis Assier-Andrieu, Les avocats, identité, culture et devenir, préc. ; Les avocats, entre Ordre professionnel et Ordre marchand, préc. ; F. Champy, Sociologie des professions, Paris PUF, 2009.
(24) Louis Assier-Andrieu, op. cit., p. 56.
(25) Dans ce sens, L. Karpik, Les avocats entre l'Etat, le public et le marché, op. cit., p. 255 et s. ; sans oublier le serment de l'avocat qui fait référence à l'indépendance.
(26) Mais peut-on lui adresser un tel reproche lorsque l'on peut lire sur le site du CNB à propos de ce statut de l'avocat salarié en entreprise : "la possibilité pour les avocats d'exercer en entreprise sous leur titre professionnel permettra aux entreprises de recruter des professionnels soumis à une déontologie forte et bénéficiant de la protection de l'indépendance intellectuelle [?! Ndlr], du secret professionnel et de la confidentialité des correspondances" ?
(27) Rapport, p. 4.
(28) Rapport, p. 10.
(29) Rapport, pp. 26, 27 et 38.
(30) Citation du début du 19ème siècle, reprise par L. Karpik, L'avocat entre l'Etat, le public et le marché, op. cit., p. 250. Une affirmation toujours d'actualité ! Voir aussi, Louis Assier-Andrieu, citant L. Karpik ; "c'est parce que la profession s'est construite sur l'indépendance et sur le culte de sa propre liberté à l'égard de tous les pouvoirs imaginables qu'elle fut particulièrement bien placée pour embrasser les idéaux démocratiques depuis trois siècles", Les avocats, identité, culture et devenir, op. cit., p. 32 et 97.
(31) Louis Assier-Andrieu, op. cit., p. 53.
(32) D'ailleurs, sur le plan économique, l'admission de l'avocat salarié en cabinet n'implique pas l'internalisation nécessaire en entreprise et permet un développement du chiffre d'affaires du cabinet d'avocat libéral.
(33) On observera que le rapport "Novelli" (33 propositions pour une nouvelle dynamique de l'activité libérale (janvier 2010)) n'imagine pas l'ouverture du capital des entreprises libérales sans créer des règles propres à garantir l'indépendance juridique et économique de l'entreprise ceci, afin de préserver l'indépendance intellectuelle de l'entrepreneur qui ne peut exister à l'état isolé (p. 72).
(34) William Feugère, Gaz. Pal., 8/10 juillet 2012, p. 10.
(35) M. Feugère met là le doigt sur un problème qui ronge la profession et les fondements de celle-ci, la perte d'indépendance mais sans en comprendre le sens. La réponse consiste justement à renforcer cette indépendance de l'avocat si l'on veut que la profession d'avocat continue d'exister et si l'on refuse de voir l'avocat devenir un simple fournisseur d'un service quelconque d'une entreprise quelconque.
(36) Le rapport "Prada" commet une erreur d'appréciation lorsqu'il affirme que le secret de l'avocat est attaché à l'avocat (p. 24) et de citer l'arrêt de la Cour de cassation en date du 6 avril 2004 (Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 00-19.245 N° Lexbase : A8219DBZ). Pourtant, cet arrêt dit bien autre chose puisqu'il précise que le secret s'impose à l'avocat.
(37) Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Gérard Cornu, PUF 1996 ; Mireille Delmas-Marty, D., 1982, Chronique 39 p. 272 ; nos obs., Le secret professionnel de l'avocat face aux enquêtes administratives et judiciaires, in La facturation de complaisance dans les entreprises, sous la direction de Christian Lopez et Nicole Stolowy, L'Harmattan, 2001, pages 167 à 184 ; Emile Garçon, Code pénal annoté, article 378.
(38) Et bien évidemment, on omet de citer les innombrables pays qui procèdent de façon comparable à celle de la France. Et de déduire que ces derniers doivent aussi être dans l'erreur.
(39) TPIUE, 17 septembre 2007, aff. T-125/03 (N° Lexbase : A2206DYD). Décision confirmée par la Cour, le 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P (N° Lexbase : A1978E97). Une jurisprudence ancienne de la Cour puisque fixée dans un arrêt du 18 mai 1982 (CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79 N° Lexbase : A5944AUP).
(40) Déjà, s'agissant du secret professionnel des avocats, deux auteurs, eux-mêmes avocats expliquent qu'"il est d'ailleurs assez difficile d'expliquer à des clients étrangers, habitués à des pratiques moins opaques, qu'ils ne peuvent être destinataires d'une copie de la majeure partie des courriers échangés entre avocats", Thomas Baudesson et Peter Rosher, Le secret professionnel face au legal privilege, RDAI/ IBLJ, n° 1, 2006, p. 44. Ajoutons que cela est parfois aussi difficile pour un avocat indépendant de le faire admettre à un client français. Surtout, il convient de relever que le MEDEF refuse absolument que le secret professionnel soit opposé à l'employeur par le salarié.
(41) C'est ce que tente de soutenir le rapport "Prada" (p. 9). Mais bien vite (p. 36 de ce même rapport), il est rappelé que cette jurisprudence "Akzo" n'est que la confirmation de la position déjà ancienne de la CJUE (CJUE, 18 mai 1982, aff. C-155/79, préc.).
(42) Malheureusement, les termes de deux arrêts de la CJCE en date du 6 septembre 2012 (CJUE, 6 septembre 2012, aff. C-422/11 P et et C-423/11 P N° Lexbase : A3089IS9) semblent bien élargir le champ d'application de ce raisonnement à la sphère du droit commun européen.
(43) Et ceci est très clair dans les deux dernières décisions de la Cour : CJUE, 6 septembre 2012, aff. C- 422/11 P et C-423/11 P, préc..
(44) On retrouve là un vieux débat qui a animé les chroniques de France. Sur cette question, voir nos obs., Le secret professionnel de l'avocat face aux enquêtes administratives et judiciaires, op. cit., pages 167 à 184.
(45) Cela dit, la situation devrait très prochainement évoluer. En effet, l'Union européenne va adhérer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et elle sera, par conséquent, soumise à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Or pour la Cour, le champ d'application du secret professionnel de l'avocat est conforme à celui qui s'applique en France (CEDH, 24 juillet 2008, requête n° 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L). Cependant, la Cour européenne des droits de l'Homme n'a, semble-t-il, jamais été saisie de la question du secret invoqué par un avocat salarié ou un juriste d'entreprise. Cependant, la doctrine semble, sur ce point, conforme à la position de la CJUE. Voir, Thomas Baudesson et Peter Rosher, Le secret professionnel face au legal privilege, RDAI/ IBLJ, n°1, 2006, p 59.
(46) Et bientôt en droit européen général (voir supra).
(47) En fait, le legal privilege n'a de sens que sur le territoire donné et il n'offre pas de garantie dans une relation affectée par l'extranéité. Sur ce point : Thomas Baudesson et Peter Rosher, Le secret professionnel face au legal privilege, préc., p. 63 : "Un document couvert par le legal privilege dans un pays peut ne pas l'être dans un autre".
(48) Et encore il est permis de se demander si l'argument disciplinaire ne pourrait pas être un moyen de pression supplémentaire sur le salarié et au profit de l'employeur.
(49) Il n'est même pas certain que cette demande soit relayée sérieusement par les organisations patronales, si ce n'est pour le côté attractif mais artificiel, du legal privilege.
(50) Rapport, p. 10.
(51) Voici un argument concurrentiel de poids qui poussera les grosses entreprises, pour les opérations ou les montages risqués (restructuration, prix de transfert...) à ne plus recourir à l'avocat libéral qui, lui, reste tenu de dénoncer.

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Bancaire

[Le point sur...] La faillite des banques : les paradoxes font-ils de bons objectifs ?

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N4179BTX

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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 25 Octobre 2012

On prête à Eisenhower la réflexion, dont l'exactitude reste discutée, suivante : "Ce qui est bon pour General Motors est bon pour les Etats-Unis". Sur un registre similaire, s'agissant de la France, la crise financière régnant depuis maintenant près de cinq ans, on ne serait pas étonné d'entendre un de nos responsables politiques plagier Ike en affirmant, dans un grand élan d'atlantisme : "Ce qui est bon pour BNP Paribas est bon pour la France". Et un britannique dirait sans doute : "Ce qui est bon pour HSBC est bon pour le Royaume-Uni", un espagnol "ce qui est bon pour Santander est bon pour l'Espagne" et ainsi de suite.
Chacun de ces aphorismes d'inspiration bancaire prend sa source dans une réalité économique : celle de l'extrême concentration du secteur bancaire européen, dont on prend très aisément conscience en mettant côte à côte la taille du bilan de ces banques et celle du produit intérieur brut de leur pays d'origine. En s'en tenant uniquement à la France, on constate ainsi qu'avec un bilan consolidé totalisant, à fin 2011, 1965 milliards d'euros (1), BNP Paribas pèse ainsi presque autant que la France, dont le PIB en 2011 s'élevait à 1996 milliards d'euros (2). Dans l'Hexagone, le cas de BNP Paribas n'est pas isolé : en termes consolidés, Crédit Agricole SA accumule à son bilan 1879 milliards d'euros au 31 décembre 2011 (3) (soit environ 94 % du PIB français la même année) et Société Générale 1181 milliards d'euros (4) (soit environ 60 % du PIB français).
De biens beaux champions nationaux donc, mais qui posent problème lorsque le monde de la finance entre en crise : de par leur poids en termes d'emplois ou de ressources en financement, ainsi que leur tentaculaire imbrication dans tous les rouages de l'économie, les laisser faire faillite serait pure folie. Certains y voient donc la porte ouverte à un aléa de moralité (5) : convaincus que les Etats leur accordent une garantie implicite, les plus grandes banques, tout particulièrement celles faisant partie des institutions financières d'importance systémique (IFIS) identifiées par le G20 (6), prennent des risques plus importants, ceux que la collectivité a récemment dû assumer (7).
D'où, une idée assez simple : pour assurer que le coût social d'une faillite bancaire redevienne inférieur à son coût privé, ce qui aboutirait à ce que la puissance publique ne se sente plus tenue par une obligation de sauvetage des banques, il faut diminuer la taille de celles-ci. Une fois cela fait, les faillites bancaires (isolées) redeviendraient une possibilité concrète, ce qui diminuerait l'aléa de moralité dont nous avons parlé, et imposerait donc un système plus efficace de gestion de ces faillites d'un genre particulier. Au final, on se retrouverait paradoxalement dans un système bancaire plus enclin à la faillite, mais plus sain (donc, solide) et moins coûteux pour les contribuables. C'est l'objet de réflexions récentes de l'Union européenne, qui se concrétiseront peut-être dans des instruments juridiques que nous nous proposons d'étudier à titre prospectif, avec un souci plus technique que polémique (car le sujet peut l'être !). Au-delà de toute dispute, il apparaît aujourd'hui bien indispensable de revisiter tant la structure organisationnelle des banques (I) que les outils permettant la résolution de leur éventuelle défaillance (II).

I - La banque universelle : un ennemi à abattre ?

La banque universelle, que l'on peut définir comme une banque regroupant les différents métiers de la banque de détail, de la banque de financement et d'investissement et de la banque de gestion d'actifs, est la réalité avec laquelle bon nombre d'européens vivent aujourd'hui : elle résulte de l'idéalisation de la banque comme fournisseur de services bancaires, (A), de plus en plus remise en cause (B).

A - L'idéalisation de la banque

Le monopole bancaire français, construction dans la droite ligne des textes bruxellois (8), repose sur une notion-clé : celle d'établissement de crédit, définie à l'article L. 511-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9477DYN). En effet, conformément à l'article L. 511-5 de ce même code (N° Lexbase : L9481DYS), seuls les établissements de crédit peuvent exercer à titre habituel une activité bancaire au sens large (9).

Le droit français n'a pas une approche monolithique des établissements de crédit. C'est vrai à plusieurs égards :

- en termes institutionnels, l'article L. 511-9 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9485DYX) distingue, au sein de cette catégorie générique, (i) les banques, (ii) les banques mutualistes ou coopératives, (iii) les caisses de crédit municipal, (iii) les sociétés financières et (iv) les caisses de crédit municipal ;

- en termes d'activités, au titre de l'article L. 311-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4711IE9), l'objet du monopole bancaire, à savoir les opérations de banques, est également divisé en diverses catégories, que sont (i) la réception de fonds du public, (ii) les opérations de crédits et (iii) les services bancaires de paiement (10).

Du croisement de ces diverses sous-catégories, émerge une certitude : si l'hypothèque est la reine des sûretés, force est de constater que son homologue au sein des établissements de crédit est la banque, à propos de laquelle l'article L. 511-9, alinéa 3, du Code monétaire et financier dispose qu'elle peut "effectuer toutes les opérations de banque". Ce texte est le fondement juridique des banques universelles françaises, celui qui nous fait penser, que au-delà de certaines divisions ayant pour principal objet d'imposer des contraintes moindres à certains acteurs contre un champ d'intervention réduit, l'idéal législatif est positivement celui de la banque universelle, modèle moniste capable d'absorber l'alpha et l'oméga de l'activité bancaire. En ce sens, le législateur n'a fait que prendre acte du mouvement trentenaire de décloisonnement et la déspécialisation des activités bancaires, lequel, associé à une recherche de taille critique afin de pouvoir réaliser tant des économies d'échelle que d'envergure (11), a abouti à conglomérer les banques universelles aux proportions "léviathanesques" que nous décrivions en introduction.

B - La remise en cause de l'idéal de banque universelle

Le coûteux renflouement des plus grandes banques européennes imposé par l'actuelle crise financière, rendu encore plus nécessaire du fait du poids financier de ces entités, a fait resurgir une discussion quant à la pertinence du modèle de la banque universelle. Ce débat est peu ou prou celui qui avait auparavant agité les Etats-Unis d'Amérique lors de la grande crise des années 1930. Faut-il le rappeler : de 1933 à 1999, cette controverse était tranchée grâce au fameux Banking Act de 1933, plus connu sous le nom de Glass-Steagall Act (12), dont les sections 16, 20, 21 et 32 imposaient une stricte séparation des banques commerciales et des banques de marché, contraintes d'être des entités juridiquement distinctes sans liens de capitaux.

Aujourd'hui, les termes de ce débat réactualisé mettent en confrontation quatre modèles de structures bancaires par une législation européenne à venir (13) :

- le modèle de stricte séparation du Glass Steagall Act ;

- le cloisonnement (ring fencing) des activités de banque de détail au sein des groupes bancaires, à savoir donc via la filialisation des activités de prêts et de dépôts, modèle prôné au Royaume-Uni dans le rapport Vickers publié en septembre 2011 par l'Independent Commission on Banking (14). Le but affiché est des plus clairs : "isoler les activités bancaires dont le maintien est vital à l'économie et aux clients de la banque de sorte à assurer, tout d'abord, que ce maintien ne puisse être menacé du fait d'activités incidentes et, ensuite, que ce maintien puisse se poursuivre en cas de faillite de la banque sans soutien du gouvernement" (15). Pour ce faire, à titre d'exemple, la garantie des dépôts à laquelle nous avions consacré de longs développements il y a quelques années de cela (16) ne bénéficierait, dans un système à la Vickers, qu'aux clients des banques de détail cloisonnées ;

- le cloisonnement des activités pour compte propre sur titres et dérivés, voie que propose de suivre le rapport Liikanen, commande du Commissaire européen Michel Barnier (17). Néanmoins, cette sanctuarisation ne serait imposée qu'au-delà de certains seuils : un seuil relatif, fonction de la part représentée par ces activités réputées risquées au sein du bilan de la banque, doublé d'un seuil absolu dès lors que ces activités représentent plus qu'un montant donné nonobstant leur part relative (18) ;

- la prohibition de certaines activités risquées, méthode retenue par la section 619 du Dodd Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (19) ayant ajouté une section 13 au Bank Holding Company Act de 1956. Ce dispositif juridique fédéral américain, plus connu de ce côté de l'Atlantique sous le nom de "Règle Volcker" (20), a pour objectif directeur d'interdire, par principe, aux banques ayant accès à la Federal Deposit Insurance Corporation (21) et à la liquidité de la Federal Reserve d'effectuer des opérations sur marché pour compte propre.

Chacune de ces écoles a ses farouches défenseurs. Si l'Europe se pare en la matière de la cohérence lui faisant parfois défaut, il serait assez logique que, à terme, les recommandations structurelles du rapport "Liikanen" débouchent sur une directive imposant l'isolement au sein des groupes bancaires des activités risquées (pour les décrire en des termes extrêmement larges). Cela requerra, bien évidemment, la mise en oeuvre d'un grand nombre de règles. A titre d'exemple, il serait ainsi assez logique de faire figurer dans cet instrument futur un article disposant que la faillite de l'entité dédiée à ces activités de marché pour compte propre ne peut être étendue à celle des autres entités du groupe, en charge des activités de banque commerciale (22). A n'en pas douter, la réflexion sera longue et la négociation ardue : entre Londres et son discordant rapport "Vickers", dont l'application pointe à l'horizon à un rythme pachydermique, et la conviction des banques françaises que leur relative bonne résistance pendant la crise et l'impératif de synergies commerciales doivent imposer une séparation d'activités aussi limitée que possible (23), il est à peu près clair que mettre l'Europe à l'unisson ne sera pas une mince affaire.

Ces règles de restructuration des banques, si elles étaient adoptées, devraient, vraisemblablement, conduire à une réduction sensible de l'aléa moral évoqué précédemment : le poids systémique d'une entité donnée devant diminuer du fait de ces contraintes, les Etats devraient moins se sentir tenus de sauver les banques en cas de crise. Les défaillances bancaires pourraient donc, à terme, redevenir en Europe une possibilité. Il est donc de la plus haute importance de pouvoir les prévenir et les traiter.

II - De la supervision bancaire à la résolution des crises

Puissant terreau législatif, la crise financière pousse les instances européennes à ré-explorer deux domaines dans lesquels elles s'étaient déjà aventurées : la supervision des établissements de crédit (A) et la résolution des défaillances bancaires (B).

A - La supervision supra-nationale des banques européennes

Le droit positif en matière de supervision des établissements de crédit au sein de l'Union européenne découle des dispositions de la Directive 2006/48/CE du 14 juin 2006, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (N° Lexbase : L1385HKI), dont l'article 25 met en place une surveillance au niveau national, mais sur une base consolidée dans l'Etat membre où se situe la société mère du groupe bancaire supervisé. A ce canevas, il convient d'ajouter le rôle de l'Autorité bancaire européenne et du Système européen de supervision financière, créations du Règlement (UE) n° 1095/2010 du 24 novembre 2010, contribuant à améliorer la coopération entre les superviseurs nationaux (N° Lexbase : L4218IQB).

Considérant ce corpus normatif institutionnel inapte à répondre efficacement à un besoin dont elle considère qu'il est essentiellement international, la Commission européenne, sur le fondement de l'article 127.6 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2426IPK), a formulé, le 12 septembre 2012, une proposition de Règlement (24) (ci-après la proposition de Règlement) ayant pour objet d'aboutir, après une période transitoire, à la création d'un mécanisme de surveillance unique (single supervisory mechanism, MSU), composé de la Banque centrale européenne et des autorités nationales compétentes (proposition de Règlement, art. 5) (25), suivant donc un modèle proche de celui du Système européen des banques centrales qui rassemble la BCE et les banques centrales nationales (26).

Au sein du MSU, il reviendrait tout particulièrement à la BCE, conformément à l'article 4 de la proposition de Règlement, d'attribuer les agréments bancaires, de contrôler l'application par les établissements de crédit des dispositions des Directives bancaires ou relatives à l'adéquation des fonds propres, ou encore de prendre en charge la supervision sur une base consolidée, le tout avec de forts pouvoirs d'investigation (proposition de Règlement, art. 9 et s.). Aurait donc lieu un transfert supplémentaire de souveraineté au profit de la BCE, institution dont l'opacité n'est justifiée que par les théories néo-classiques relatives à l'indépendance des banques centrales (27), ce qui ne fait pas l'unanimité même chez ses plus fervents partisans. Aussi, le Conseil européen, lors de sa réunion du 18 octobre 2012, n'a pu mieux dire qu'il gardait pour objectif de trouver un compromis avant le 1er janvier 2013, afin d'assurer la mise en oeuvre d'un nouveau dispositif de supervision dans le courant de l'année prochaine (28).

B - La résolution des crises bancaires

Eloigner la systématicité du renflouement public accroît indéniablement la probabilité de voir certaines banques faire défaut. Pour que le scénario soit encore plus crédible, contribuant ainsi à diminuer l'aléa moral bancaire, et pour pallier les dommages collatéraux liés à de telles situations de crise, il est inimaginable de ne pas associer à une réforme structurelle, telle que celle envisagée par le rapport "Liikanen", une réforme du traitement des crises pouvant affecter une banque. Le rapport "Liikanen" n'ignore pas cette question (29), mais la traite bien moins en détail que ne le fait la proposition de Directive de juin 2012 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d'établissements de crédit et d'entreprises d'investissement (ci-après, la proposition de Directive) (30).

La proposition de Directive développe un raisonnement préventif, dont la Commission estime, avec à propos, qu'il est trop absent des quelques dispositions de la Directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001, concernant l'assainissement et la liquidation des établissements de crédit (31). A l'appui de cette logique, serait imposée aux établissements de crédit l'élaboration a priori de solutions en cas de défaillance d'un établissement de crédit. Cette élaboration serait, en principe, mise à la charge des établissements eux-mêmes (32) (proposition de Directive, art. 5 et 9), qui doivent donc rédiger leurs propres testaments (living wills) sous le regard attentif des Etats membres et des autorités compétentes (33). Ces solutions devraient être de deux ordres : des plans de redressement (proposition de Directive, art. 5 et s.), consistant en des mesures de rétablissement par la banque elle-même, et des plans de résolution à mettre en oeuvre par les autorités compétentes. Les plans de résolution peuvent prévoir des cessions d'activité, le recours à un établissement-relais (bridge bank), la séparation des actifs ou le renflouement interne (bail in) (proposition de Directive, art. 31.2).

Dans chaque cas, l'objectif demeure le même : agir de manière précoce en matière de redressement dès lors que les exigences de la Directive 2006/48 CE en matière de capitaux propres ne sont pas respectées (proposition de Directive, art. 23), puis en matière de résolution dès lors que la défaillance est probable (proposition de Directive, art. 27), afin de notamment, si un plan de résolution est activé, "éviter les effets négatifs sérieux sur la stabilité financière", "protéger les ressources de l'Etat", "éviter la destruction inutile de valeur" et "protéger les fonds et les actifs des clients" (proposition de Directive, art. 26). On l'aura compris : jamais il ne doit être tablé sur une possibilité de soutien exceptionnel des pouvoirs publics (34), ce qui justifie la récurrence des références au redressement au niveau des groupes (proposition de Directive, art. 8), la faveur donnée aux accords de soutien financier de groupe (proposition de Directive, art. 16), la sollicitation forte des actionnaires (proposition de Directive, art. 40 et s.) et de certains créanciers "financiers" (proposition de Directive, art. 38, 43 ou encore 44) en matière de renflouement interne, et l'élaboration d'un système européen de financement alimenté par les établissement visés par la proposition de Directive (proposition de Directive, art. 91 et s.). Le tout, si le MSU décrit ci-plus haut était instauré, serait très largement contrôlé et animé par la Banque centrale européenne, donnant donc une logique à l'ensemble.

A l'issue de cet aperçu modeste, car nécessairement rapide compte tenu de la complexité du sujet, deux conclusions se présentent naturellement à nous. La première tient à l'évidence du paradoxe tenant à ne plus sauver systématiquement les banques, de sorte à grandir tant ces dernières que le système financier dans son ensemble : nourrir ce paradoxe justifie amplement les discussions dont nous avons fait état dans cette chronique, même si des solutions simples et respectueuses des intérêts des forces en présentes sont difficiles à dégager. La seconde tient au sentiment prégnant d'éternel retour : car ce que l'Europe s'apprête à faire, en des termes plus modernes liés à l'économie modèle, rassemble farouchement à une excavation du Glass Steagall Act, finalement assez moderne. C'est dans les vieux pots...


(1) Source : BNP Paribas, document de référence et rapport financier 2011, p. 104.
(2) Source : Banque de France, UE - principaux indicateurs économiques et financiers.
(3) Source : Crédit Agricole S.A., Actualisation du document de référence 2011-A01 Eléments financiers 2011 du groupe Crédit Agricole, p. 128.
(4) Source : Société Générale, Deuxième actualisation du document de référence 2012, p. 32.
(5) L'expression "aléa moral" (moral hazard) est un néologisme d'origine économique décrivant un effet pervers susceptible d'apparaître dans la relation entre deux agents et que l'on peut synthétiser grossièrement comme suit : un assuré prend plus risque qu'un non-assuré parce qu'il sait qu'il est assuré.
(6) Le conseil de stabilité financière du G20 identifie, à l'heure actuelle, 29 IFIS, dont 5 françaises.
(7) Voir R. Breton, C. Pinto et P.-F. Weber, Les banques, l'aléa moral et la dette publique, Revue de stabilité financière, n° 16, avril 2012, p. 63.
(8) Au premier chef, la Directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (N° Lexbase : L1385HKI).
(9) Sauf exception, cela va sans dire et elles sont fréquentes. En ce sens, on lira utilement (en particulier) les articles L. 511-6 (N° Lexbase : L6577IMK) et L. 511-7 (N° Lexbase : L4905IGR) du Code monétaire et financier.
(10) Sans compter les opérations connexes qu'énumère l'article L. 311-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4823IED).
(11) Au plan économique, il y a économie d'échelle dès lors que le coût moyen décroît quand la quantité produite augmente, et économie d'envergure s'il est moins onéreux de produire plusieurs biens dans une même firme plutôt que dans plusieurs.
(12) Des noms de ses géniteurs : le Sénateur Carter Glass et le Représentant Henry Steagall.
(13) Il faut mettre de côté l'idée saugrenue, car inapplicable et vide de sens, consistant à imposer une taille maximale de bilan pour toute banque.
(14) Rapport "Vicker". Sir John Vicker, président de l'Independent Commission on Banking, est un économiste anglais qui fut, entre autres, chef économiste de la Bank of England.
(15) "Rapport Vickers", point 3.3, p. 35 (traduction libre).
(16) Cf., La garantie des dépôts en France et dans l'Union européenne : retour sur un mécanisme mal connu, Lexbase Hebdo n° 301 du 17 avril 2008 - édition privée (N° Lexbase : N7571BE7).
(17) Rapport "Liikanen". Voir notamment p. 6 et s.. Errki Liikanen, ancien ministère des finances finlandais, est aujourd'hui gouverneur de la Banque de Finlande (Suomen Pankki).
(18) On parle actuellement d'un seuil relatif entre 15 % et 25 %, et d'un seuil absolu à 100 milliards d'euros.
(19) Dodd Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act.
(20) Du nom d'un ancien directeur de la Federal Reserve, ayant inspiré les règles en question.
(21) Equivalent aux Etats-Unis d'Amérique de notre Fonds de garantie des dépôts, la Federal Deposit Insurance Corporation est une création du Glass-Steagall Act.
(22) Pour des raisons différentes, le droit français est déjà familier de telles règles, par exemple en matière de sociétés de crédit foncier (C. mon. fin., art. L. 515-27 N° Lexbase : L2461IBR).
(23) Voir, en ce sens, H. de Vauplane, Quel modèle de banque choisir pour l'Europe ?, Alternative économique, article posté le 30 août 2012.
(24) Proposition de Règlement du 12 sepetmbre 2012 (document en anglais).
(25) En France, il s'agirait ainsi de l'Autorité de contrôle prudentiel.
(26) TFUE, art. 127 (N° Lexbase : L2426IPK) et s..
(27) F. Kydland & E. Prescott, Rules rather than discretion : the inconsistency of optimal plans, The Journal of Political Economy, vol. 85, n° 3, 1977.
(28) Communiqué du Conseil européen (document en anglais)
(29) Rapport "Liikanen", point 4.2.7, p. 81.
(30) Proposition de Directive du 6 juin 2012.
(31) Directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001, concernant l'assainissement et la liquidation des établissements de crédit (N° Lexbase : L8085AUY), dont la transposition fait l'objet des articles L. 613-25 (N° Lexbase : L4632IGN) et suivants du Code monétaire et financier.
(32) Mais aussi aux entreprises d'investissement.
(33) Voir notamment l'article 8 de la proposition de Directive, ou encore son article 13 qui prévoient le principe d'une évaluation de ces living wills.
(34) Cf. proposition de Directive, art. 5.3 ou 9.2.

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Octobre 2012

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N4178BTW

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public

Le 25 Octobre 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). Par deux arrêts du 26 septembre et du 3 octobre 2012, le Conseil d'Etat apporte d'utiles précisions relatives aux conditions d'exercice du référé précontractuel. Dans la première décision (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 360952, mentionné aux tables du recueil Lebon), il indique que le manquement tiré de la prise en compte par le pouvoir adjudicateur de renseignements erronés relatifs aux capacités professionnelles, techniques et financières d'un candidat ne lèse pas toujours le candidat évincé. Un tel moyen n'est donc pas systématiquement opérant et il appartient au juge, pour le déterminer, de vérifier que le candidat qui l'invoque n'avait pas vu sa candidature écartée ou son offre rejetée comme étant inappropriée, irrégulière ou inacceptable. Par la deuxième décision (CE 2° et 7° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 359389, mentionné aux tables du recueil Lebon), la Haute juridiction administrative élargit le champ d'application du référé précontractuel en y intégrant les contrats dans lesquels le pouvoir adjudicateur ne verse aucun prix à son cocontractant, mais permet à ce dernier de percevoir une somme d'argent auprès d'un tiers. Le même arrêt admet qu'une société, membre d'une société civile de moyens qui s'était portée candidate à l'attribution d'un contrat public, dispose d'un intérêt à conclure le contrat au sens de l'article L. 551-10 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1610IED) et est donc recevable à agir au titre du référé précontractuel.
  • Une nouvelle application de la jurisprudence "Smirgeomes" : le manquement tiré de la prise en compte par le pouvoir adjudicateur de renseignements erronés relatifs aux capacités professionnelles, techniques et financières d'un candidat ne lèse pas toujours le candidat évincé (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 360952, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8176ITY)

Trois ans jour pour jour après l'arrêt "Smirgeomes" du 3 octobre 2008 (1), qui a profondément modifié le référé précontractuel, le Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles le manquement tiré de la prise en compte par le pouvoir adjudicateur de renseignements erronés relatifs aux capacités professionnelles, techniques et financières d'un candidat est susceptible de léser un concurrent évincé. L'arrêt n° 360952 du 3 octobre 2012 indique, plus précisément, qu'un tel moyen est en principe opérant, sauf s'il s'avère que la candidature du concurrent évincé, ou l'offre qu'il a présentée ne pouvait qu'être éliminée comme inappropriée, irrégulière ou inacceptable.

En l'espèce, le département du Val-de-Marne avait lancé un avis d'appel public à la concurrence à la fin de l'année 2011, en vue de l'attribution d'un marché à bons de commande ayant pour objet les transferts et déménagements de mobiliers et matériels sur les sites et établissements du département. A l'issue de la procédure, le pouvoir adjudicateur a retenu l'offre de la société X. Saisi par la société Y, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Melun a annulé la procédure de passation par une ordonnance du 5 juin 2012, au motif que le choix de l'offre de la société X était fondé sur de fausses déclarations et portait atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Le juge de première instance a relevé que les informations figurant dans le dossier de candidature de la société X étaient fausses. Son chiffre d'affaires avait été artificiellement augmenté pour l'année 2010 et les informations relatives au montant des salaires et à la valeur des véhicules de cette société étaient incompatibles avec les déclarations relatives à l'effectif salarié et au nombre de véhicules figurant dans le dossier de candidature.

Sauf erreur, la question posée au Conseil d'Etat était inédite et se résumait au point de savoir si la jurisprudence "Smirgeomes" imposait d'admettre le caractère systématiquement opérant du moyen tiré de la prise en compte par le pouvoir adjudicateur d'informations erronées, ou si elle impliquait d'apprécier le caractère opérant de ce moyen à la lumière de la situation de celui qui l'invoque. En d'autres termes, fallait-il, comme l'avait fait le juge des référés du tribunal administratif de Melun, s'en tenir à une conception objective et admettre l'opérance d'un tel moyen indépendamment de l'influence du manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence sur la situation du requérant, ou, au contraire, fallait-il retenir une lecture plus subjective, et n'admettre l'opérance de ce moyen qu'en cas d'atteinte ou de risque d'atteinte aux droits du concurrent évincé ?

Sans surprise, le Conseil d'Etat retient la seconde interprétation, qui nous semble plus en phase avec la jurisprudence "Smirgeomes" et avec la lettre et l'esprit des dispositions de l'article L. 551-10 du Code de justice administrative, selon lesquelles "les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 (N° Lexbase : L1591IEN) et L. 551-5 (N° Lexbase : L1572IEX) [du même code] sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué". De cette disposition, il ressort deux conditions distinctes.

La première est relative à l'intérêt à agir. Ne sont recevables à exercer un référé précontractuel que les personnes qui ont un intérêt à conclure le contrat. Cette condition est largement entendue et n'a pas été affectée par la subjectivisation du référé précontractuel opérée par l'arrêt "Smirgeomes". Les personnes ayant un intérêt à conclure le contrat sont évidemment celles qui ont présenté leur candidature et qui ont été évincés de la procédure (au stade de la sélection des candidatures ou de la sélection des offres). Ce sont aussi les personnes ou opérateurs économiques qui, eu égard à leur spécialité, auraient eu vocation à exécuter les prestations objet de la commande (2).

La seconde condition, qu'il ne faut surtout pas confondre avec la première, se rapporte à la détermination du caractère opérant du (ou des) manquement(s) invoqué(s) par le requérant. A ce stade, il appartient au juge des référés précontractuels de vérifier que le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence lèse ou est susceptible de léser le requérant. Pour ce faire, le juge doit prendre en compte la portée du manquement, ainsi que le stade de la procédure auquel il se rapporte. En pratique, la plupart des décisions se fondent sur le stade de la procédure auquel le manquement se rattache. S'opère, ainsi, une sorte d'"effet cliquet" qui conduit, par exemple, à ce qu'un candidat ayant été admis à déposer une offre ne puisse pas utilement invoquer un moyen se rapportant à la phase de sélection des candidatures. Inversement, le candidat n'ayant pas franchi l'étape de la phase de sélection des candidatures ne peut pas invoquer un moyen se rapportant à la phase de sélection des offres. Le moyen est alors inopérant, même si le requérant est recevable à agir.

Pour le Conseil d'Etat, le juge des référés a commis une erreur de droit en considérant que le choix de l'offre d'un candidat sur la base d'informations erronées lésait nécessairement le requérant (ou était susceptible de le léser). La Haute juridiction administrative se refuse à admettre par principe, et de façon systématique, le caractère opérant d'un tel moyen. Il revient, en effet, au juge du fond de s'assurer que la candidature du requérant devait être écartée, ou que son offre devait être rejetée comme étant inappropriée, irrégulière ou inacceptable. Le moyen n'est donc pas opérant en lui-même, il ne l'est qu'à la lumière de la situation de celui qui l'invoque. Un tel raisonnement, qui renforce le caractère subjectif du référé précontractuel, oblige le juge des référés à mener une analyse très précise des manquements invoqués. Ainsi, si la société Y avait été admise à présenter une offre, il appartenait au juge des référés d'examiner le caractère opérant du moyen au regard de son rang de classement à l'issue du jugement des offres. Il ne suffisait donc pas de franchir l'étape de la sélection des candidatures. Encore fallait-il avoir déposé une offre classée en rang utile pour pouvoir invoquer un manquement relatif à la prise en compte de renseignements erronés.

Si elle ne surprend pas, au regard de la jurisprudence restrictive qui s'est développée depuis 2008, cette solution pose, cependant, question. En subjectivisant le référé précontractuel, le Conseil d'Etat prend le risque de ne pas sanctionner des manquements grossiers aux obligations de publicité et de mise en concurrence, pour la simple raison qu'ils n'ont pas été invoqués par le bon requérant. C'est dire qu'une importance trop grande risque d'être accordée au principe de sécurité juridique, et cela au mépris des exigences du principe de légalité.

  • Référé précontractuel : champ d'application et détermination de l'intérêt à agir (CE 2° et 7° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 359389, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6404ITD)

L'arrêt n° 359389 du 26 septembre 2012 apporte d'intéressantes précisions relatives au champ d'application du référé précontractuel et à la détermination de l'intérêt à agir. L'article 128 de la loi de finances rectificatives pour 2004 du 31 décembre 2004 (loi n° 2004-1485 N° Lexbase : L5204GUB), a institué une procédure de recouvrement amiable des créances et condamnations pécuniaires recouvrées par le Trésor public, à l'initiative du comptable chargé de procéder à leur recouvrement forcé. Avant la mise en oeuvre de toute procédure coercitive, ce dernier peut demander à un huissier de justice d'obtenir du débiteur ou du condamné qu'il s'acquitte entre ses mains du montant de sa dette ou de sa condamnation pécuniaire. L'huissier de justice est alors rémunéré par la perception de frais de recouvrement directement auprès du débiteur. Pour préciser ce cadre législatif, une convention nationale a été conclue le 15 décembre 2010 entre la Direction générale des finances publiques et la Chambre nationale des huissiers de justice. Son article 1er prévoyait la conclusion, dans chaque département, après mise en concurrence, de contrats avec les huissiers de justice auxquels les comptables pourront faire appel en vue du recouvrement amiable des créances. C'est précisément l'un de ces contrats qui était au coeur de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat.

En l'espèce, la Direction générale des finances publiques des Hauts-de-Seine avait lancé, le 1er février 2012, un avis d'appel public à la concurrence pour la passation d'un marché selon la procédure adaptée en vue de la désignation des huissiers chargés du recouvrement de créances. Un GIE a été déclaré attributaire, devant trois autres candidats dont faisaient partie la SCM X, société civile de moyens regroupant huit sociétés civiles professionnelles d'huissiers. L'un des associés de cette société civile de moyens, a alors saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a annulé la procédure au motif que le pouvoir adjudicateur avait manqué à ses obligations de mise en concurrence en n'indiquant pas avec suffisamment de précisions les conditions de mise en oeuvre des critères d'attribution du marché.

Dans cette affaire, plusieurs questions se posaient au Conseil d'Etat.

Une question de compétence, tout d'abord, car l'on pouvait avoir quelques interrogations quant à la nature juridique d'un tel contrat. S'agissait-il d'un véritable marché public, entrant alors dans le champ d'application du référé précontractuel, ou s'agissait-il au contraire d'un contrat innommé, non susceptible de faire l'objet d'un tel référé ? Depuis l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), les contrats de la commande publique entrant dans le champ d'application du référé précontractuel font l'objet d'une définition (partiellement) conceptuelle. Ils ne sont plus limitativement énumérés comme cela était le cas auparavant (3). Sont donc concernés "les contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation de service public". Le contrat répondait évidemment au critère matériel du marché public puisqu'il avait pour objet de fournir une prestation de service à l'administration. En revanche, le doute était permis en ce qui concerne son aspect financier. On sait que l'article 1er-I, alinéa 2, du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2661HPA) définit le marché public comme le contrat conclu "à titre onéreux". Cependant, l'article L. 551-10 du Code de justice administrative ne retient pas cette notion, mais fait appel à l'existence d'une contrepartie économique constituée par un prix ou d'un droit d'exploitation.

Dans le contrat litigieux, la rémunération de l'huissier était assurée, non par un prix versé par le pouvoir adjudicateur, mais par la perception des frais de recouvrement mis à la charge du débiteur ou du condamné. Assurément, un tel mode de rémunération ne faisait nullement appel à l'existence d'un quelconque droit d'exploitation. Pouvait-on pour autant l'assimiler à un prix au sens de l'article L. 551-10 du Code de justice administrative ? Le Conseil d'Etat l'admet au terme d'un raisonnement (4) qui révèle finalement que la notion de prix devrait sans doute être abandonnée au profit de celle, plus compréhensive, de contrat à caractère onéreux. Pour la Haute juridiction administrative, même si le contrat ne se traduit par aucune dépense directe de l'Etat et que le cocontractant de l'administration est rémunéré par le versement de frais de recouvrement mis à la charge du débiteur ou du condamné, ce contrat a "pour objet l'exécution d'une prestation de service pour le compte de l'Etat avec une contrepartie économique constituée par un prix". Il ne fait effectivement aucun doute que le contrat a une contrepartie économique puisque la prestation fournie est finalement payée. En revanche, il nous semble plus difficile d'établir un rapport de créancier à débiteur entre le pouvoir adjudicateur et l'huissier de justice. Le premier obtient une prestation de service que lui fournit le second, mais le pouvoir adjudicateur ne lui paye jamais le prix de cette prestation. Le pouvoir adjudicateur n'opère même pas un abandon de recettes, comme ce peut être le cas dans certains marchés publics qui possèdent un caractère onéreux, même s'ils ne donnent pas lieu au paiement d'un prix (marché public de mobilier urbain, marché public d'édition de bulletins municipaux, lorsqu'ils sont financés par des recettes publicitaires). Malgré ce point de discussion, l'on ne peut qu'adhérer à la solution finalement retenue qui confère le champ d'application le plus large possible au référé précontractuel et qui permet d'éviter toute tentative d'esquive de ce recours de la part des pouvoirs adjudicateurs et des opérateurs économiques.

L'affaire soumise à l'examen du Conseil d'Etat posait, également, une question intéressante relative à la définition de l'intérêt à agir dans le cadre du référé précontractuel. Se posait, en effet, la question de savoir si la SCP Y, membre de la SCM X, pouvait intenter seule un référé précontractuel, alors qu'elle n'avait même pas été candidate à titre personnel. Reprenant la solution dégagée à propos des groupements d'entreprises (5), le Conseil d'Etat considère que le statut de la société civile de moyens, tel que défini par l'article 36 de la loi du 29 novembre 1966, relative aux sociétés civiles professionnelles (N° Lexbase : L3146AID), implique qu'une telle société peut se porter candidate à l'obtention d'une commande publique pour le compte de ses associés, mais que seuls ceux-ci pourront exécuter les prestations objet du contrat. Comme son nom l'indique, la SCM n'est qu'un moyen permettant de faciliter l'exercice de son activité par chacun de ses membres, grâce à la mise en commun de moyens utiles à l'exercice de leurs professions (mise en commun de locaux, de matériels, etc.). Dans ces conditions, il semble tout à fait normal de considérer qu'une société membre d'une société civile de moyens puisse disposer d'un intérêt à conclure le contrat au sens de l'article L. 551-10 du Code de justice administrative, et donc d'un intérêt à agir.


(1) CE Sect., 3 octobre 2008, n° 305420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5971EAE), Rec. CE, p. 324, concl. B. Dacosta, AJDA, 2008, p. 2161, chron. E. Geffray et S.-J. Liéber, BJCP, 2008, n° 61, p. 451, concl. B. Dacosta, RFDA, 2008, p. 1128, concl. B. Dacosta, note P. Delvolvé.
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 8 août 2008, n° 307143, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0741EAP), CE 2° et 7° s-s-r.., 30 septembre 2011, n° 350431, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1558HYD).
(3) Sauf en ce qui concerne la délégation de service public, ce que l'on peut regretter.
(4) Voir, déjà, CE 2° et 7° s-s-r., 29 juin 2012, n° 357976, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0651IQ8).
(5) CE 7° et 10° s-s-r., 30 juin 1999, n° 198147, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3236AX7), AJDA, 1999, p. 715, concl. C. Bergeal.

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Impôts locaux

[Chronique] Chronique de fiscalité locale - Octobre 2012

Lecture: 18 min

N4084BTG

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 25 Octobre 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière d'impôts locaux. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur des arrêts rendus par le Conseil d'Etat le 26 septembre 2012. Dans les trois premiers arrêts, en date du 26 septembre 2012, la Haute juridiction administrative traite de deux questions, d'une part, une première relative à la comparaison de locaux commerciaux par application du 2° de l'article 1498 du CGI, difficulté toujours d'actualité et sans cesse renouvelée, et, d'autre part, une seconde concernant une commission dont le rôle est parfois ignoré, ce qui peut être cause de contentieux, la commission communale des impôts directs (CCID) (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 340432, publié au recueil Lebon, n° 340489 et n° 340490, inédits au recueil Lebon). Dans une décision rendue le 26 septembre 2012, le Conseil d'Etat rappelle les conditions que doit remplir une propriété publique, en l'occurrence un port de plaisance, pour être exonérée de la TFPB (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 346145, inédit au recueil Lebon). Enfin, le juge suprême administratif se prononce sur la validité de l'abattement de 20 % applicable dans le cadre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB), au regard tant du droit interne que de la CESDH (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 346145, inédit au recueil Lebon).
  • TFPB : l'évaluation par comparaison de la valeur locative peut se faire avec un immeuble situé dans une autre commune ; l'omission de la saisine de la commission communale des impôts directs entraîne l'application de la valeur locative de l'année précédente (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 340432, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4347IT8 et n° 340489 N° Lexbase : A4348IT9 et n° 340490 N° Lexbase : A4349ITA, inédits au recueil Lebon)

Les trois affaires, objets du présent commentaire, présentent des faits analogues qui imposent une identité des questions de droit mises en jeu. La première de ces interrogations est relative à une difficulté toujours d'actualité : celle des modalités d'évaluation, plus particulièrement la difficulté de trouver un local-type pertinent. La seconde concerne un problème plus rarement abordé, l'omission de la saisine de commission communale des impôts directs (CCID).

A - Une difficulté récurrente : les critères de détermination d'un local-type pertinent

Les difficultés d'application de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT) ont été bien souvent abordées dans le cadre de cette chronique. En principe, la valeur locative des locaux commerciaux doit être évaluée par référence au loyer, c'est-à-dire qu'elle doit représenter théoriquement le loyer annuel que pourrait produire l'immeuble. A défaut de pouvoir appliquer cette méthode, la valeur locative est déterminée par comparaison avec un local-type. Enfin, si aucune de ces méthodes ne peut être mise en oeuvre, la valeur sera fixée par voie d'appréciation directe (1). La première méthode est devenue l'exception, de par l'absence de révision des valeurs locatives depuis 1970, alors qu'elle était comprise comme la méthode de référence. La seconde méthode, considérée comme subsidiaire, est devenue principale, générant un contentieux qui ne semble pas se tarir (2).

Dans ces trois décisions, il s'agissait de déterminer la valeur locative d'hôtels sis à Courbevoie, la Défense, sur le territoire de la commune de Puteaux, et à Montrouge. La méthode de comparaison avec un local-type pertinent était retenue dans les trois affaires. Les dispositions de l'article 1498 donnent la possibilité à l'administration de rechercher de tels immeubles en dehors de la commune où est situé le local devant être évalué ; "la régularité de ce procédé est conditionnée par l'existence d'une analogie de situation économique entre les communes" (3).

Dans ces différentes affaires, le juge de l'impôt a écarté le local-type retenu par l'administration, car il n'avait pas été régulièrement évalué (4) et a recherché un autre terme de comparaison. Eu égard à la consistance des deux immeubles -à évaluer et celui utilisé comme terme de comparaison- ils sont considérés comme étant dans une situation économique analogue. Le Conseil d'Etat retient que les deux immeubles relevaient de la même catégorie quant au secteur d'activité et se trouvaient dans des communes limitrophes. Enfin, il rappelle que l'appréciation de la "situation économique analogue" relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Plus généralement, il faut noter la fin du considérant 3, aux termes duquel le Conseil d'Etat admet que, dans l'hypothèse où il n'existe pas de local-type pertinent au sein de la commune, il peut être choisi un local-type hors de la commune. Et ce, même si ce local-type a été "l'objet d'une évaluation par voie de comparaison avec des immeubles similaires, loués à des conditions de prix normales à la date de révision, quelle que soit sa commune d'implantation, pourvu que, du point de vue économique, cette dernière commune présente une analogie suffisante avec la commune de l'immeuble à évaluer".

Certain n'hésite pas à considérer que le système d'évaluation des valeurs locatives est un "casse-tête chinois" (5) et qu'il ne peut fonctionner que grâce à une perspective relativement élargie du juge de l'impôt quant aux termes de la comparaison utiles à la détermination de la valeur locative. Dans ces trois affaires, la Haute juridiction admet une interprétation large du local-type pertinent. Ainsi, il est possible que la valeur qui serve de terme de comparaison soit elle-même issue d'une évaluation par comparaison. Cette solution accroît d'autant le champ des termes de comparaison utiles en permettant un meilleur fonctionnement du 2° de l'article 1498 du CGI. Néanmoins, certains auteurs commencent à déceler dans la jurisprudence les limites d'un tel mode de fonctionnement à travers un recours accru à la méthode d'appréciation directe (6). Cette plus grande possibilité de recherche de locaux-types pertinents est aussi un facteur qui augmente le pouvoir d'appréciation souverain des juges du fond en matière d'évaluation, au regard des dispositions de l'article 1498 du CGI.

Toujours dans le cadre du pouvoir souverain des juges de première instance, le Conseil d'Etat a estimé que relevait de ce pouvoir le fait d'apprécier si un immeuble qui avait fait l'objet de modifications entre les déclarations de 2003 et 2004 avait pour effet qu'à compter de 2004, il ne pouvait plus être considéré comme un local-type pertinent. Dans les trois espèces, sauf à ce que les juges du fond commettent une dénaturation des pièces, cette appréciation ne pouvait être soumise au juge de cassation. Très clairement, le Conseil d'Etat indique les limites de sa compétence en la matière et par contrepoint, l'étendue de celle des juges du fond.

B - L'omission de saisine de la CCID

En matière de CCID, la jurisprudence est très peu fournie, les trois décisions commentées permettent donc de rappeler le rôle de cette commission. Elle doit permettre à la commune de suivre et participer au travail de mise à jour des bases d'imposition des taxes locales effectué par les services de l'administration fiscale. Notamment, en matière de TFPB et selon les dispositions des articles 1503 (N° Lexbase : L0280HMC) et 1504 (N° Lexbase : L5330H9B) du CGI, elle dresse, avec le représentant de l'administration, la liste des locaux de référence (pour les locaux d'habitation et à usage professionnel) et des locaux types (locaux commerciaux et divers) retenus pour déterminer la valeur locative des biens et établit les tarifs d'évaluation correspondants. L'article 1505 du CGI (N° Lexbase : L5329H9A) dispose qu'elle formule un avis sur l'évaluation et la mise à jour annuelle des propriétés bâties et non bâties nouvelles ou modifiées par un changement d'affectation ou de consistance.

Dans les différentes décisions commentées, la question relative à la CCID est identique. Selon l'article 1505 du CGI, la commission doit être saisie lors de chaque modification de l'évaluation des propriétés bâties comprises dans le champ d'application de l'article 1498 du CGI. Selon le moyen développé par l'administration fiscale, cette saisine ne doit avoir lieu que dans les hypothèses visées au I de l'article 1517 du CGI (N° Lexbase : L4214IC3), concernant les constructions nouvelles et différents cas de changements qui entraînent une modification de plus d'un dixième de la valeur locative. Ainsi, l'omission de la saisine de la CCID n'aurait aucune incidence sur la validité de la procédure. La question qui se pose est celle du champ de compétence de la CCID et, en conséquence, des cas dans lesquels sa saisine est ou non obligatoire. Pour le Conseil d'Etat, et par application de l'article 1505 du CGI, la CCID doit être saisie lors de chaque modification par l'administration de l'évaluation des propriétés bâties relevant de l'article 1498 du CGI et n'est pas seulement réservé aux cas prévus au I de l'article 1517 du CGI.

L'absence de saisine préalable obligatoire de la CCID prive le contribuable d'une garantie. En conséquence de cette irrégularité, le juge de l'impôt doit écarter la valeur locative retenue par l'administration. Cependant, le fait de ne pas retenir la valeur locative déterminée par l'administration n'a pas pour effet d'exonérer complètement le contribuable d'imposition à la TFPB, car il s'agit d'un impôt réel.

C'est au juge de l'impôt qu'il appartient de déterminer la valeur locative du fait de l'irrégularité qui entache celle retenue par l'administration. On peut noter ici la perspective didactique développée par le Conseil d'Etat, qui explique les modalités de la méthode à utiliser afin de déterminer la valeur locative. Il distingue deux hypothèses selon que la valeur locative qui a servi au calcul de l'imposition de l'année précédente est non valide. Dans le premier cas, si cette valeur locative n'est pas contestée ou résulte d'une décision juridictionnelle, elle doit être retenue comme base d'imposition. Si l'imposition mise à la charge du contribuable à la suite d'une procédure irrégulière est supérieure à la valeur locative de l'année précédente, le juge prononcera la réduction résultant de la prise en compte de cette valeur locative déterminée après application à l'année d'imposition en litige du coefficient annuel de majoration prévu à l'article 1518 bis du CGI (N° Lexbase : L5297IRM).

Dans le second cas de figure, si la valeur locative de l'année précédente est contestée, le juge doit se prononcer sur cette contestation et s'il y fait droit, déterminer la valeur locative de l'année d'imposition en litige. En fonction du résultat de l'évaluation par le juge, il existe deux possibilités. Si la valeur déterminée par le juge est inférieure à celle fixée pour établir l'imposition de l'année précédente, il la prend en compte et prononce la réduction de l'imposition dans les limites de la requête. En revanche, si cette valeur est supérieure, le juge applique la même méthode que celle exposée dans le cas où la valeur locative de l'année précédente n'est pas contestée.

A notre connaissance, cette solution est inédite. On peut éventuellement rappeler un jugement en date du 30 juin 1997 rendu par le tribunal administratif de Lyon (7), dont les faits sont analogues et aux termes duquel la solution avait été sensiblement différente, car les juges du fond avaient déchargé le requérant de l'imposition du fait que la procédure d'imposition était irrégulière. Plus récemment, en 2007, le tribunal administratif de Versailles (8) avait retenu une solution similaire. Bien que la jurisprudence en la matière soit très peu abondante, on peut se demander si le Conseil d'Etat n'a pas cherché, par ces trois décisions similaires, à prendre en considération le possible développement d'un contentieux qui aurait pour effet de remettre en cause les opérations d'évaluation ne respectant pas l'obligation de la saisine de la CCDI.

Comme en matière de recherche de local-type dans le cadre de l'application du 2° de l'article 1498 du CGI, en vue d'un fonctionnement le moins difficile possible, l'office du juge du fond est conçu par la Haute juridiction administrative de manière particulièrement large. Pour autant, cette conception a ses limites, et à terme le juge ne peut se substituer au législateur défaillant qui, depuis 1970, s'est abstenu de toute révision générale des valeurs locatives cadastrales. Actuellement, il apparaît que le Conseil d'Etat tend à pallier les déficiences des textes relatifs à l'évaluation par des solutions de plus en plus "inventives" qui laisse aux juges du fond des marges de manoeuvres très -trop ?- larges (9).

  • TFPB : Lorsque l'Etat propriétaire met à disposition, gratuitement, un port de plaisance au profit d'une commune, cette dernière est exonérée de TFPB (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 346145, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6391ITU)

Le demandeur dans ce litige est la commune du Grau-du-Roi qui a demandé à être déchargée des cotisations de la TFPB pour les années 2005, 2006, 2007 et 2008. Dans une décision rendue en premier ressort le 19 novembre 2011, le tribunal administratif de Nîmes a ordonné, avant de statuer, un supplément d'instruction, afin que l'administration soit en mesure de présenter une méthode qui permette de prendre en compte les spécificités du port de plaisance de Port-Camargue. Il résulte donc de ce jugement que le tribunal administratif admet, de manière implicite, que le port de plaisance est bien imposable au titre de la TFPB ; alors que la commune du Grau-du-Roi ne demande pas à être imposée différemment, mais à ne pas être imposée.

Il faut noter que le pourvoi qui donne lieu à cette affaire a été introduit antérieurement à une décision de l'administration qui a prononcé le dégrèvement pour les années 2005, 2006, 2007 et 2008. Pour autant, cette décision de l'administration fiscale ne vide pas de toute substance ce litige et il reste à répondre à la question de savoir si ce bien immobilier est ou non imposable au titre de la TFPB.

Plus particulièrement, il s'agit de déterminer le statut juridique qui gouverne le port de plaisance en fonction duquel il sera possible de savoir si ce bien est ou non imposable, notamment s'il s'agit d'une propriété publique qui répond aux conditions du 1° de l'article 1382 du CGI (N° Lexbase : L5733IRR), en vue de son exonération de TFPB. Or, les faits de l'espèce qui peuvent permettre de répondre à cette interrogation sont relativement complexes. Le port de plaisance de Port-Camargue se compose de deux parties : l'une ouverte au public et l'autre comportant des postes d'amarrage attenant à des propriétés privées, les "marinas". Ce port a été concédé pour une durée de 50 ans par l'Etat à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) locale (10) par acte du 4 juin 1969. En 1984, le port a été mis à la disposition de la commune du Grau-du-Roi. Cependant, les droits de la CCI, concessionnaire, ont été maintenus jusqu'à expiration du contrat. Par une délibération du conseil municipal de novembre 2001, la commune a retiré l'exploitation du port à la CCI en vue de l'exploiter sous le mode de la régie directe.

Afin de savoir si le port peut être considéré comme une propriété publique, le Conseil d'Etat rappelle les termes de l'article 1321-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT ; N° Lexbase : L0406DPQ). Cette disposition est relative aux règles particulières en cas de transfert de compétence. Le transfert de compétence entraîne, au bénéfice de la collectivité territoriale qui en est nouvellement titulaire, la mise à disposition des moyens juridiques, financiers, humains et matériels utilisés par la collectivité délégataire pour l'exercice de cette compétence (11). L'article 1321-2 du CGCT énonce, d'une part, que la remise des biens en vue du transfert de compétence est faite à titre gratuit et, d'autre part, que l'ensemble des droits et obligations est transmis à la nouvelle collectivité.

Au regard de cette disposition, la Haute juridiction administrative juge que l'Etat est propriétaire des biens qui ont été mis à la disposition de la collectivité territoriale en vue d'exercer la compétence qui a été transférée. Si les biens dont il est question pouvaient donc être considérés comme propriété publique et entrer dans le champ d'application de l'exonération de TFPB énoncé à l'article 1382 du CGI, cette exonération n'est possible qu'à une double condition, d'une part, ils doivent être affectés à un service public ou d'utilité générale et, d'autre part, ils ne doivent pas être productifs de revenus (12). En l'espèce, se posait la question de savoir si la condition de l'absence de production de revenus était remplie. En effet, il existait un paiement de redevance en exécution de la convention de concession, cependant au 1er janvier des années d'imposition (2005, 2006, 2007 et 2008), cette convention n'était plus applicable car elle avait pris fin au 31 décembre 2001. Ainsi cette propriété était bien improductive de revenus et remplissait la condition nécessaire pour bénéficier de l'exonération mise en oeuvre par l'article 1382 du CGI.

Le Conseil d'Etat a censuré la décision des juges du fond au motif qu'ils avaient commis une erreur de droit de par la dénaturation des pièces du dossier. Si quelques fois ce motif est interprété de manière relativement large, notamment parce le Conseil d'Etat a tendance à privilégier une analyse économique des conventions (13), en l'espèce le Conseil d'Etat a censuré une erreur claire et précise au sens où la convention donnant lieu à une rémunération productive de revenus n'était plus applicable. Pour autant, le moyen de dénaturation est le seul contrôle que peut exercer le Conseil d'Etat sur l'interprétation par les juges du fond, qui relève de leur pouvoir souverain (14).

  • TFPNB : Validité de la base de l'abattement de 20 % au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 346145, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6391ITU)

L'affaire présentement commentée nous permet d'envisager une question, à notre connaissance inédite. Les faits sont simples. Un groupement foncier agricole (GFA) est propriétaire de terrains situés dans les périmètres de deux associations syndicales autorisées. L'association syndicale est un groupement de propriétaires qui effectue des travaux en vue de la mise en valeur de biens ou de leur gestion. L'association syndicale autorisée (ASA) est une forme particulière de ce genre d'association, assimilée à un établissement public à caractère administratif et disposant de prérogatives de puissance publique pour exécuter des travaux qui intéressent l'ensemble des propriétaires, tout en répondant à un objectif d'utilité publique. C'est une forme ancienne d'organisation collective de la propriété individuelle (15). Les ressources de l'ASA proviennent d'une taxe syndicale votée par le syndicat qui n'a pas le caractère d'impôt mais d'une redevance pour service rendu (16).

Dans ce litige, le requérant remettait en cause les modalités de liquidation de TFPNB. Le calcul de l'imposition est opéré à partir de la valeur locative à laquelle est appliqué un abattement de 20 %. Selon le demandeur, cet abattement doit prendre en compte le paiement des taxes syndicales. Ainsi, au terme de son argumentation, l'imposition doit être calculée à partir de la valeur locative "nette", or celle-ci impliquerait de retrancher le montant des taxes syndicales payées. La position de l'administration est différente, car elle considère que l'abattement de 20 % est forfaitaire et donc comprend nécessairement le montant de ces taxes.

Il faut noter que le contribuable n'a pas contesté l'imposition mais a demandé, par une lettre en date du 20 septembre 2011 au ministre chargé du Budget, l'abrogation de l'instruction fiscale publiée au bulletin officiel des contributions directes 2ème partie, 1954, n° 10, p. 522, qui mentionne que "les dépenses correspondant au paiement des taxes syndicales sont considérées comme couvertes, en principe, par l'abattement de 20 %". Pour demander cette abrogation, le contribuable se fondait sur l'article 16-1 de la loi du 12 avril 2000 (loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations N° Lexbase : L0420AIE) (17). L'administration n'a pas répondu expressément à cette demande, face à cette décision implicite de rejet, le GFA a demandé l'annulation de ladite instruction par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le GFA avait aussi demandé à l'appui de sa requête le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Dans une décision en date du 30 mai 2012 (18), la Haute juridiction a considéré que la QPC posée par le contribuable ne pouvait être renvoyée devant le juge constitutionnel.

Afin de faire prospérer sa demande, le requérant a présenté différents moyens dont le sort du premier engage celui du second. En effet, le GFA a déjà fondé sa demande sur un argument reposant sur le droit interne. Cependant, dans l'hypothèse où cet argument serait rejeté, il considère que le litige pourrait être aussi examiné à la lumière de la CESDH.

A - Une argumentation remontant aux origines révolutionnaires de la TFPNB

Le demandeur considère que l'instruction de 1954 est en contradiction avec les dispositions des articles 1396 (N° Lexbase : L4655IS9) et 1509 (N° Lexbase : L5246IMA) du CGI, ainsi que de l'instruction ministérielle du 31 décembre 1908, ayant valeur législative (19). Selon son interprétation de ces textes, il ressort que l'abattement de 20 % est applicable à la "valeur locative nette". Nous pouvons cependant remarquer que dans les deux articles s'il est fait référence à la valeur locative, en revanche n'apparaît pas l'épithète "nette".

Les modalités de détermination de cette valeur locative, selon le demandeur, sont inscrites dès la création de la contribution foncière aux termes de la loi du 1er décembre 1790 et de la loi du 3 frimaire an VII. A l'origine, cette imposition était perçue "sans distinction sur le revenu net des immeubles bâtis ou non bâtis" (20). Mais le Conseil d'Etat rappelle que ces modalités ne sont plus régies par ces textes originaux mais par les lois des 31 décembre 1907 et 29 mars 1914 (21). La loi de 1907 a ordonné la révision des évaluations des propriétés non bâties (22) sans pour autant que le cadastre soit rénové. La loi de 1914 prévoyait la mise à jour des plans cadastraux. Or dès la loi de 1907, la révision devait donner lieu à une évaluation "pure et simple" (23). Ainsi la qualité du cadastre devait permettre une évaluation la plus exacte possible qui se suffisait à elle-même en déterminant le revenu exact des propriétés non bâties.

La loi du 29 mars 1914, dans son article 2, prévoyait l'abattement de 20 %, disposition qui a été reprise successivement par les différents textes en vigueur et actuellement inscrite à l'article 1396 du CGI. Ainsi, il ressort que l'abattement de 20 % doit être compris comme un montant forfaitaire qui doit permettre de couvrir l'ensemble des charges et dépenses relatives à la propriété d'un bien immobilier non bâti.

S'agissant de l'article 1509 du CGI, la Haute juridiction administrative s'inscrit dans la même perspective historique. Cette disposition a donné valeur législative à l'instruction du 31 décembre 1908 prise en application de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1907. Pour le Conseil d'Etat, le revenu net des propriétés non bâties doit s'entendre "du prix du loyer que le propriétaire tire de ses immeubles, lorsqu'il les donne en location, ou s'il les exploite lui-même, celui qu'il pourrait en tirer en cas de location ; que, par suite, ce revenu net correspond à la valeur locative réelle des propriétés non bâties ; qu'aucune disposition de cette instruction ministérielle ne prévoit que cette valeur locative doit être déterminée en prenant en compte les charges liées à la propriété ; qu'il n'est prévu par aucune disposition législative la déduction des charges couvertes par les taxes syndicales". Le Conseil d'Etat en conclut que la demande du requérant ne peut être accueillie, l'instruction de 1954 n'étant pas contraire à la loi.

Toujours au plan interne, le demandeur considère que cette instruction est contraire au principe d'égalité en instituant une discrimination entre les propriétaires fonciers selon que leurs biens sont ou non inclus dans le périmètre d'une ASA. Cependant, le Conseil d'Etat ne peut se prononcer sur ce moyen car il n'a pas compétence pour apprécier si une loi -et par conséquent l'instruction qui ne lui est pas contraire- est conforme ou non à la Constitution. Les fondements et origines de la TFPNB ne permettant pas au requérant d'obtenir du Conseil d'Etat une décision donnant droit à sa demande ; dans un second temps, il invoque les principes de la CESDH.

B - Le caractère forfaitaire de l'abattement de 20 % contrevient-il aux principes de la CESDH ?

Depuis un avis d'Assemblée du 12 avril 2002 (24), le Conseil d'Etat a admis que les dispositions combinées de l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU) et l'article 1er du Premier protocole additionnel de cette convention (N° Lexbase : L1625AZ9) pouvaient être invoquées afin de soutenir que la loi fiscale était à l'origine de discriminations injustifiées entre les contribuables. Ainsi, dans deux décisions (25), elle avait accueilli des moyens reposant sur cette combinaison. Ces arrêts lui permettant de poser le principe selon lequel "une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 [...], que si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec le but de la loi" (26).

Pour rappel, la combinaison de deux dispositions de la CESDH est nécessaire pour pouvoir invoquer une possible discrimination. En effet, l'article 14 de la CESDH, qui prohibe toute discrimination, ne peut être invoqué en tant que tel, il faut que cette discrimination porte sur un droit ou une liberté dont la garantie est mentionnée dans la CESDH.

Le GFA considère que l'instruction de 1954 qui reprend la loi instaure une discrimination en imposant le même régime fiscal à tous les propriétaires fonciers sans distinguer entre les charges différentes qui pèsent sur eux. Le fait que les charges liées aux ASA ne soient pas prises en compte a pour effet de ne pas distinguer des contribuables qui sont dans des situations différentes. Or, cette absence de différence de traitement ne trouve pas de justification et est donc constitutive d'une discrimination au sens des dispositions de la CESDH.

L'argument du demandeur n'est pas accueilli par la Haute juridiction administrative qui se fonde sur la qualité de l'assiette de la TFPNB. En effet, cette imposition ne porte pas sur les revenus nets fonciers que le contribuable tire de la propriété de biens non bâtis mais elle résulte de la détention de ces biens. On peut se souvenir qu'à partir de l'instauration de l'impôt sur le revenu par la loi du 31 juillet 1917, les contributions foncières ont fait partie deux systèmes différents "le système d'Etat d'impôts sur le revenu, d'une part, et, le mécanisme des anciennes contributions locales, d'autre part" (27). Cependant, à partir de 1949, les contributions foncières ne subsistèrent que comme impôts locaux (28). Ainsi, il apparaît que les contributions foncières dont sont issues les taxes foncières actuelles sont détachées de toute relation à la notion de revenu. L'absence de distinction entre les propriétaires, qu'ils soient ou non membres d'une ASA, est fondée au regard de l'assiette de cette imposition qui ne fait référence qu'à la détention de la propriété. La différence induite par l'appartenance ou non à ce type d'entité et les charges qui en découlent n'est donc pas pertinente au regard de l'assiette de la TFPNB qui ne porte pas sur les revenus tirés de la propriété mais sur la propriété elle-même.


(1) Cette méthode d'appréciation directe est établie à partir de la valeur vénale de l'immeuble.
(2) Vincent Daumas, Valeurs locatives foncières : le mécano jurisprudentiel, RJF, 8-9/09, pp. 634-640, p. 637.
(3) Vincent Daumas, Valeurs locatives foncières : le mécano jurisprudentiel, op. cit., p. 637.
(4) Cf. B
(5) Olivier Fouquet, Taxes foncières : terra incognita ?, Revue administrative, 2007, n° 355, p. 42.
(6) Vincent Daumas, Valeurs locatives foncières : le mécano jurisprudentiel, op. cit., p. 639.
(7) TA Lyon, 30 juin 1997, 92-3941, DF, 1998, n° 13, comm. 244.
(8) TA Versailles, 3 juillet 2007, n° 05-43621, RJF, 3/08, n° 321.
(9) Pour une critique de cette politique jurisprudentielle : Yohann Bénard, Valeur locative des locaux commerciaux : les limites du système, RJF, 2/07, pp. 95-104.
(10) CCI de Nîmes, Bagnols, Uzès, Le Vigan.
(11) CGCT, art. L. 1321-1.
(12) Par exemple : CE 9° et 10° s-s-r., 12 janvier 2005, n° 250135, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0956D3S), concl. Laurent Olléon, DF, 2005, n° 22, comm. 445
(13) Par exemple : CE 9° et 10° s-s-r., 20 juin 2006, n° 266796, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9768DPH), concl. Stéphane Verclytte, DF, 2007, n° 4, comm. 75.
(14) Jean Massot, Olivier Fouquet, Jacques-Henri Stahl et Martin Guyomar, Le Conseil d'Etat, juge de cassation, 5ème édition, 2001, Berger-Levrault, col. L'administration nouvelle, 335 pages, p. 235-236.
(15) Les associations syndicales de propriétaires ont été créées par la loi du 21 juin 1865, elles sont soumises actuellement à l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004, relative aux associations syndicales de propriétaires (N° Lexbase : L7393D7X) et du décret n° 2006-504 du 3 mai 2006 portant application de l'ordonnance précitée (N° Lexbase : L5191HI4).
(16) CE Sect., 28 juillet 1993, n° 46886, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0474ANU), DF, 1993, n° 52, comm. 519
(17) Loi n° 2000-321, article modifié par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, art. 16-1 : "l'autorité compétente est tenue, d'office ou à la demande d'une personne intéressée, d'abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date".
(18) CE 8° et 3° s-s-r., 30 mai 2012, n° 355287, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5449IMR).
(19) Cette valeur législative ressort du I de l'article 1509, selon lequel "la valeur locative des propriétés non bâties en raison du revenu de ces propriétés résulte des tarifs fixés [...] conformément aux règles tracées par l'instruction ministérielle du 31 décembre 1908".
(20) Thierry Lambert, Chapitre 2 - La taxe foncière sur les propriétés non bâties, Encyclopédie des collectivités locales, Dalloz, mise à jour 2011, 34 pages, p. 3, § 1.
(21) Cette loi a transformé la contribution foncière d'impôt de répartition en impôt de quotité. Jacques Neurisse, Histoire de l'impôt, PUF, Que sais-je ?, n° 651, 1978, 127 pages, p. 116.
(22) Ces opérations ont été réalisées entre 1908 et 1912 et leurs résultats intégrés dans les rôles de 1915.
(23) Pour un intérêt historique, on peut consulter le Bulletin de la société d'économie politique compte-rendu de la réunion du 5 janvier 1911, p. 1 à 15.
(24) CE Ass., 12 avril 2002, n° 239693, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6303AY4), DF, 2002, n° 25, comm. 555, Concl. François Seners, note Bernard Boutemy et Eric Meier.
(25) CE 9° et 10° s-s-r., 10 août 2005, n° 259741, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3775DKZ), RJF, 2005, n° 1305 ; Concl. Laurent Vallée, BDCF, 11/2005, n° 141 ; CE 8° et 3° s-s-r., 10 février 2006, n° 270255, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8318DMZ), RJF, 2006, n° 601, DF, 2007, n° 11, comm. 289, concl. Pierre Collin.
(26) Jean Lamarque, Olivier Négrin et Ludovic Ayrault, Droit fiscal général, Litec, 2ème édition, 2011, p. 196.
(27) Thierry Lambert, Chapitre 2 - La taxe foncière sur les propriétés non bâties, op. cit., p. 3, § 3.
(28) Thierry Lambert, Chapitre 2 - La taxe foncière sur les propriétés non bâties, op. cit., p. 4, § 4.

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Rémunération

[Jurisprudence] Suppression des astreintes ou des heures supplémentaires : le principe d'égalité de rémunération s'efface...

Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2012, n° 11-10.454, FS-P+B (N° Lexbase : A3468IUY) et n° 11-10.455, FS-P+B (N° Lexbase : A3504IUC)

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N4102BT4

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 25 Octobre 2012

Depuis quelques années déjà, la Chambre sociale de la Cour de cassation tâtonnait sur le terrain de la suppression de certaines sujétions qui, tout en étant imposées au salarié, pouvaient lui procurer des avantages par le biais de rémunérations ou de contreparties financières supplémentaires. Le phénomène était particulièrement marqué en matière d'astreintes, la Chambre sociale oscillant entre une qualification de modification du contrat de travail, protectrice du salarié, et une qualification de sujétion liée aux fonctions et au pouvoir de direction lui permettant de supprimer unilatéralement des astreintes. Par deux arrêts rendus le 10 octobre 2012, la Chambre sociale adopte une position nouvelle, jugeant que, sauf engagement de l'employeur, les salariés ne disposent ni d'un droit acquis à la réalisation d'astreintes, ni d'un droit acquis à effectuer des heures supplémentaires (I). Si ces solutions peuvent, d'un premier abord, paraître raisonnables tant il semble logique que l'employeur soit seul décisionnaire des besoins en heures supplémentaires ou en astreintes de l'entreprise, elles prennent un tour beaucoup plus contestable lorsque l'on constate qu'elles ont pour effet -sinon pour objet- de contourner le principe d'égalité de rémunération entre les salariés et de rétablir une forme de pouvoir patronal discrétionnaire, une théorie de "l'employeur seul juge" que l'on croyait pourtant sur la voie de l'oubli (II).
Résumés

- Cass. soc., 10 octobre 2012, n° 11-10.454, FS-P+B

Il n'existe pas de droit acquis à l'exécution d'astreintes, sauf engagement de l'employeur vis à vis du salarié à en assurer l'exécution d'un certain nombre. A défaut d'un tel engagement, seul un abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction peut ouvrir droit à indemnisation.

- Cass. soc., 10 octobre 2012, n° 11-10.455, FS-P+B

Il n'existe pas de droit acquis à l'exécution d'heures supplémentaires sauf engagement de l'employeur vis-à-vis du salarié à lui en assurer l'exécution d'un certain nombre. A défaut d'un tel engagement, seul un abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction peut ouvrir droit à indemnisation.

Commentaire

I - La liberté de suppression des astreintes et des heures supplémentaires des salariés

  • Réalisation et paiement des heures supplémentaires

Contrairement à une croyance populaire, renforcée par certains slogans politiques, la réalisation d'heures supplémentaires est une décision qui n'appartient qu'au seul employeur.

En effet, malgré la formulation relativement neutre de l'article L. 3121-11 du Code du travail (N° Lexbase : L3752IBL) (1), la Chambre sociale de la Cour de cassation juge depuis fort longtemps que la réalisation d'heures supplémentaires par le salarié ne peut intervenir qu'avec l'accord de l'employeur (2), quoique cet accord puisse être tacite (3) voire implicite (4). Le juge judiciaire fait tout de même preuve de souplesse en la matière en jugeant que l'accord tacite de l'employeur pouvait être identifié lorsque celui-ci ne contestait pas avoir donné son assentiment à la réalisation d'heures supplémentaires (5).

Le pouvoir de direction de l'employeur étend ses effets au-delà du simple principe de la réalisation des heures supplémentaires. En effet, sauf à ce que le salarié ait exceptionnellement refusé d'effectuer les heures supplémentaires parce qu'il n'avait pas été prévenu suffisamment tôt (6), il ne peut en principe pas refuser d'effectuer des heures supplémentaires commandées par l'employeur, un tel refus permettant de justifier un licenciement (7).

Cette mainmise fort compréhensible de l'employeur sur les heures supplémentaires n'est cependant pas sans conséquence sur le salarié. En effet, comme cela a été fort médiatisé ces dernières années, la réalisation d'heures supplémentaires peut permettre au salarié d'obtenir une amélioration substantielle de son pouvoir d'achat. Au-delà des mesures d'exonération sociales et fiscales aujourd'hui abrogées (8), l'article L. 3121-22 du Code du travail (N° Lexbase : L0314H9I) dispose que "les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire [...] donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %".

L'employeur qui déciderait inopinément de mettre fin aux heures supplémentaires d'un salarié habitué à en réaliser pourrait donc peser indirectement sur la rémunération de celui-ci. Malgré ce lien avec la rémunération, la Chambre sociale juge que la suppression des heures supplémentaires par l'employeur ne constitue pas une modification du contrat de travail, ce qui, à la réflexion, peut sembler logique puisque la réalisation d'heures supplémentaires relève de la sphère du pouvoir de direction de l'employeur et non de la sphère contractuelle (9).

Les raisonnements qui précèdent sont relativement proches de ceux adoptés en matière d'astreintes.

  • Réalisation et indemnisation des astreintes

La réalisation d'astreintes dans l'entreprise dépend elle aussi en grande partie de la volonté de l'employeur. L'article L. 3121-7 du Code du travail (N° Lexbase : L0297H9U) prévoit certes que les astreintes sont mises en place par convention collective de branche étendue ou par accord d'entreprise, mais il permet également, faute qu'un tel accord soit conclu, que les modalités des astreintes soient unilatéralement déterminées par l'employeur après avis des institutions représentatives du personnel de l'entreprise.

Quand bien même un système d'astreintes serait autorisé par un texte conventionnel applicable à l'entreprise, la décision de faire ou non réaliser des astreintes à ses salariés appartient en définitive à l'employeur, seul juge de l'utilité de conserver des salariés "en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise" en dehors des horaires de travail (10). Les astreintes sont d'ailleurs parfois qualifiées par le juge judiciaire de "sujétions" imposées au salarié (11), terminologie qui matérialise le pouvoir dont dispose l'employeur en la matière.

Comme en matière d'heures supplémentaires, les astreintes sont loin d'être anodines pour le salarié et cela pour au moins deux raisons. D'abord parce que l'article L. 3121-5 du Code du travail prévoit que la durée des interventions du salarié appelé au cours d'une astreinte est "considérée comme un temps de travail effectif" et qu'elle sera, par conséquent, rémunérée comme tel, le cas échéant avec majoration pour heures supplémentaires. Ensuite parce que les simples temps d'attente pendant lesquels le salarié demeure susceptible d'intervenir et doit donc "demeurer à son domicile ou à proximité " font l'objet d'une " contrepartie financière" comme l'énonce l'article L. 3121-7 du Code du travail (N° Lexbase : L0297H9U) (12).

Là encore donc, la suppression des astreintes peut être vécue par le salarié comme une atteinte indirectement portée à sa rémunération. La Chambre sociale avait, jusqu'ici, adopté une position moins tranchée que celle réservée à la suppression d'heures supplémentaires.

En effet, dans une première affaire jugée le 19 juin 2009 (13), la Cour de cassation décidait que la suppression des astreintes et des primes y afférentes dont le salarié avait bénéficié régulièrement depuis neuf ans constituait une modification de son contrat de travail qui, par conséquent, ne pouvait lui être imposée sans son accord. Un an plus tard, cependant, la Chambre sociale jugeait que "lorsqu'une astreinte est une sujétion liée à une fonction et que le titulaire de cette fonction n'y est pas systématiquement soumis, sa suppression par l'employeur ne constitue pas une modification du contrat de travail". L'articulation de ces deux décisions était complexe mais permettait de penser que la suppression unilatérale de l'astreinte par l'employeur n'était légitime que lorsque les astreintes constituaient des "sujétions", qu'elles étaient inhérentes aux fonctions du salarié et, surtout, que le salarié n'y était pas systématiquement soumis. Dans les autres cas de figure, la suppression des astreintes demeurait une modification du contrat de travail.

C'est sur la suppression unilatérale par l'employeur d'heures supplémentaires et d'astreintes que la Chambre sociale était appelée à se prononcer dans deux affaires jugées le 10 octobre 2012.

  • Première affaire

Dans la première espèce (n° 11-10.454), un salarié réclamait des dommages et intérêts pour violation du principe "à travail égal, salaire égal" en raison de son exclusion du système d'astreintes hivernales entre 2005 et 2010. La cour d'appel de Grenoble fit droit à la demande du salarié en constatant que d'autres salariés relevant de la même catégorie professionnelle que le demandeur avaient participé au système d'astreintes durant cette période et que l'employeur ne présentait aucune justification objective de son évincement.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et L. 3121-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0295H9S). Par un chapeau de tête, elle énonce solennellement qu'"il n'existe pas de droit acquis à l'exécution d'astreintes, sauf engagement de l'employeur vis à vis du salarié à en assurer l'exécution d'un certain nombre" et qu'"à défaut d'un tel engagement, seul un abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction peut ouvrir droit à indemnisation". Faute qu'un engagement de l'employeur ou qu'un abus dans l'exercice de son droit ait été identifié, la décision d'appel est cassée pour violation des textes visés.

  • Seconde affaire

Dans la seconde espèce (n° 11-10.455), il était cette fois question d'un salarié qui réclamait lui aussi une indemnisation pour violation du principe " à travail égal, salaire égal " en raison des conditions d'attribution d'heures supplémentaires aux salariés. La cour d'appel fit droit à cette demande en jugeant que le salarié avait été victime de cette répartition puisqu'ayant réalisé un nombre d'heures supplémentaires très inférieur à la moyenne de celui réalisé par les autres salariés relevant de la même catégorie professionnelle, diminution des heures supplémentaires non justifiée par l'employeur par des critères objectifs.

La Chambre sociale casse également cette décision au visa des articles 1134 du Code civil et L. 3121-22 du Code du travail (N° Lexbase : L0314H9I). Sa motivation est quasi identique à celle adoptée s'agissant des astreintes : "il n'existe pas de droit acquis à l'exécution d'heures supplémentaires sauf engagement de l'employeur vis à vis du salarié à lui en assurer l'exécution d'un certain nombre", sauf là encore abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction.

II - La rhétorique des droits acquis et le pouvoir discrétionnaire de l'employeur

  • Réalisation d'astreintes et d'heures supplémentaires : la curieuse référence aux "droits acquis"

La terminologie adoptée par la Chambre sociale est relativement peu commune (14). Les droits acquis ne constituent pas en effet une catégorie juridique bien assise, particulièrement en droit du travail où l'on est plus accoutumé à distinguer entre pouvoir de direction de l'employeur et contenu du contrat de travail qui ne peut être modifié unilatéralement.

Ces termes sont d'ailleurs d'autant moins adaptés que la Chambre sociale semble juger qu'un tel "droit acquis" existerait dans certaines situations caractérisées par un "engagement" de l'employeur vis-à-vis du salarié. De prime abord, on pourrait ainsi penser que l'employeur ait pris un engagement unilatéral ou qu'il soit lié par l'instauration progressive d'un usage d'entreprise. Cependant, ces sources d'engagement ne sont pas irréversibles si bien qu'elles ne confèrent pas un droit " acquis " au salarié, l'engagement pouvant être remis en cause par dénonciation (15). A cela s'ajoute que, compte tenu des caractères de généralité dont l'usage d'entreprise et, dans une moindre mesure, l'engagement unilatéral, doivent revêtir, ces sources ne devraient pouvoir valoir engagement "vis-à-vis" d'un seul salarié (16). Un raisonnement analogue pourrait être adopté si un accord collectif d'entreprise prenait l'engagement d'assurer aux salariés un certain nombre d'heures supplémentaires ou de périodes d'astreintes.

En réalité, la seule voie permettant à l'employeur de prendre un engagement vis-à-vis du seul salarié est celle du contrat de travail. La contractualisation d'un nombre d'heures supplémentaires ou d'un certain nombre de périodes d'astreintes est en effet un engagement individuel et non collectif, qui ne concerne qu'un salarié et non la communauté de l'entreprise. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas conserver la distinction antérieure consistant à rechercher si la réalisation d'heures supplémentaires ou d'astreintes n'a pas été "contractualisée" et, par conséquent, si sa suppression ne constitue pas une modification du contrat de travail ?

  • Suppression des heures supplémentaires et des astreintes : entre pouvoir et contrat de travail

La réponse à cette question pourrait se trouver dans la théorie de la modification du contrat de travail élaborée à petits pas par la Chambre sociale depuis l'arrêt "Raquin" fondateur en la matière (17). Certains éléments de relation de travail tels que le volume horaire de travail, les qualifications professionnelles du salarié, la zone géographique dans laquelle celui-ci doit travailler et, surtout, sa rémunération ont été classés comme relevant du contrat de travail.

Pour rester sur le dernier de ces éléments, la première conséquence de cette classification est d'exclure toute modification unilatérale par l'employeur de la rémunération du salarié, y compris d'ailleurs lorsque la modification proposée est prétendument plus favorable au salarié (18). La seconde conséquence tient à ce que certaines modifications unilatérales des conditions de travail du salarié ont pu être, selon les cas, soit proscrites, soit sérieusement encadrées lorsqu'elles avaient pour conséquence indirecte de modifier un élément relevant du contrat de travail. Deux exemples peuvent illustrer cette question.

Le premier, relativement général, concerne l'articulation entre pouvoir disciplinaire et modification du contrat de travail. On sait, en effet, que, depuis l'arrêt "Hôtel Le Berry", la Chambre sociale accepte que le pouvoir disciplinaire cède (provisoirement) face à la théorie de la modification du contrat de travail (19). Si une sanction disciplinaire prononcée contre le salarié implique une modification de son contrat de travail (une rétrogradation, une mutation géographique ou professionnelle, etc.), le salarié peut refuser cette sanction, l'employeur retrouvant cependant la liberté de prononcer une autre sanction pouvant aller jusqu'au licenciement (20).

Le second, plus spécifique à la rémunération, concerne les clauses de mobilité. On se souviendra ainsi que la Chambre sociale limite la mise en oeuvre des clauses de mobilité, mise en oeuvre qui relève du pouvoir de direction de l'employeur, lorsque cette mise en oeuvre a des effets sur la rémunération du salarié (21). Une modification unilatérale et légitime du lieu de travail ne peut avoir pour "effet secondaire" une modification unilatérale de la rémunération qui, elle, est proscrite.

On ne peut donc s'empêcher de penser que la terminologie nouvelle adoptée par la Chambre sociale est destinée à éviter l'application des règles relatives à la modification du contrat de travail, contrat de travail qui n'est que vaguement évoqué par le truchement du visa de l'article 1134 du Code civil. En effet, en raisonnant à partir de la théorie de la modification du contrat de travail, la suppression d'heures supplémentaires voire parfois d'astreintes relèverait du pouvoir de direction de l'employeur et pourrait en principe être imposée au salarié... sauf si elle emporte accessoirement modification de la rémunération de celui-ci. Raisonner en termes de droit acquis, malgré l'artifice que cela constitue, permet d'éviter ce débat...

  • Égalité de rémunération ? Égalité de traitement ?

On peut encore relever que la Chambre sociale évince soigneusement la question traitée de manière centrale par les juridictions du fond, celle de l'application du principe "à travail égal, salaire égal". Indirectement, il est aujourd'hui possible de considérer que la rémunération des heures supplémentaires, le paiement et l'indemnisation des heures d'astreintes n'entrent plus dans le champ de comparaison de la rémunération de deux salariés assumant les mêmes fonctions, quand bien même des écarts notables de rémunération pourraient en résulter (22).

Il n'est bien entendu pas question ici de défendre un égalitarisme béat qui mènerait à observer une stricte égalité de rémunération ou d'avantages entre salariés quelles que soient leurs compétences, leurs habiletés, leur assiduité, leur opiniâtreté au travail ou leur implication dans l'entreprise. Il est en revanche tout à fait regrettable que les éventuelles différences qui doivent subsister entre les salariés les plus performants et les autres n'exigent plus aujourd'hui de justification objective de l'employeur lorsque la différence est indirectement faite par le jeu du bénéfice d'astreintes ou d'heures supplémentaires.

Il s'agit en réalité d'un détournement caractérisé de la règle puisque, certes, l'inégalité observée ne concerne pas directement le salaire mais des éléments périphériques de la rémunération mais que, pour autant, ces éléments de rémunération sont bien versés par le même employeur et peuvent, rappelons-le encore une fois, consister en des sommes non négligeables pour les salariés.

  • L'abus de droit, une protection d'un autre temps

A la justification objective exigée en matière d'égalité de rémunération est ici substitué un autre critère permettant de limiter le droit de l'employeur de supprimer les heures supplémentaires ou les astreintes, celui de l'abus de droit. Faute d'engagement contractuel- de sa part, l'employeur peut donc supprimer les heures supplémentaires ou les astreintes sauf lorsque cette suppression procède d'un abus de droit, c'est-à-dire, dans son acception la plus classique, d'une intention de nuire au salarié ou d'une légèreté blâmable. Sauf volonté malveillante particulièrement difficile à démontrer ou erreur grossière relativement rare, le salarié ne pourra donc en aucun cas contester cette décision de l'employeur malgré les conséquences financières qu'elles pourront entraîner. Pire, des critères subjectifs, certes dépourvus de toute malveillance, permettront à l'employeur de supprimer les astreintes de tel salarié, les heures supplémentaires de tel autre.

Prise de manière générale et abstraite, cette dernière affirmation n'a rien de choquant : l'employeur est seul à savoir s'il a besoin d'heures supplémentaires, seul à juger si des astreintes sont nécessaires. Prise de manière particulière et appliquée à une entreprise où certains salariés continuent de bénéficier de "l'avantage" constitué par la contrepartie de l'astreinte ou des heures supplémentaires alors que d'autres en sont privés sans justification, la règle nouvelle est autrement plus choquante.

  • La différence de traitement sans justification ou le retour de la théorie de l'employeur seul juge

En définitive, on peut avoir le sentiment que la Chambre sociale est en train de prendre un autre chemin que celui sur lequel elle s'était engagée depuis quelques années. Les différentes "sujétions" que peut subir le salarié, astreintes, heures supplémentaires, utilisation du domicile à titre professionnel (23), etc., donnaient de plus en plus systématiquement lieu à indemnisation. Ce versement d'une contrepartie financière, imposé par la loi, par les conventions collectives de travail ou par le juge conférait une sorte de caractère réciproque, voire de synallagmatisme, aux sujétions en question. Certes, le salarié subissait une contrainte mais, en contrepartie, obtenait une majoration de son salaire.

Cette idée de contrepartie semble s'effacer au travers des deux décisions commentées. Les sujétions, pour la Chambre sociale, demeurent des sujétions quand bien même elles sont indemnisées. En tant que tel, il s'agirait implicitement d'une faveur faite au salarié que de les supprimer. Ce raisonnement est renforcé par l'idée selon laquelle personne mieux que l'employeur ne peut savoir si l'entreprise a des besoins d'heures supplémentaires ou d'astreintes. Cette position redonnant au pouvoir de direction de l'employeur un poids important pourrait être acceptée si elle n'avait pas pour effet de maltraiter le principe d'égalité de rémunération entre les salariés que la Chambre sociale avait pourtant elle-même façonné.


(1) "Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite du contingent annuel[...]".
(2) Cass. soc., 12 juillet 2000, n° 98-42.698, inédit (N° Lexbase : A8936AYM) ; Cass. soc., 6 juin 2002, n° 00-41.852, inédit (N° Lexbase : A6729A3M), lire les obs. de Ch. Radé, La preuve des heures supplémentaires, Lexbase Hebdo n° 48 du 21 novembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4850AAU).
(3) Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-40.628, FP-P+B+R, sur le dernier moyen (N° Lexbase : A2118EY4) Cet arrêt est essentiellement connu pour un autre de ses apports relatifs au rôle de feu la Halde, v. RDT, 2010, p. 457, obs. E. Serverin et T. Grumbach ; Dr. soc., 2010, p. 993, obs. J. Mouly ; JCP éd. S, 2010, 1241, obs. G. Loiseau.
(4) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-21.750, F-D (N° Lexbase : A8722IBN).
(5) Cass. soc., 20 octobre 2010, n° 08-70.433, F-P+B (N° Lexbase : A4163GC8), JCP éd. S, 2011, 1026, obs. F. Dumont.
(6) Cass. soc., 20 mai 1997, n° 94-43.653, inédit (N° Lexbase : A5737CXR). Le refus est également légitime si les précédentes heures supplémentaires effectuées n'ont pas été rémunérées, v. Cass. soc., 7 décembre 1999, n° 96-43.987, publié (N° Lexbase : A4621AGA).
(7) Cass. soc., 14 janvier 1998, n° 96-43.427, inédit (N° Lexbase : A8862AGC).
(8) Loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L9357ITQ) et les obs. de Ch. Willmann, Régime d'exonération sociale et fiscale des heures supplémentaires : abrogation pour les aides salariales mais maintien pour les aides patronales, Lexbase Hebdo n° 496 du 6 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3362BTP).
(9) Cass. soc., 10 mars 1998, n° 95-44.842, publié (N° Lexbase : A2568AC4) ; Cass. soc., 2 novembre 2005, n° 03-47.679, F-D (N° Lexbase : A3388DL3).
(10) C. trav., art. L. 3121-5 (N° Lexbase : L0295H9S).
(11) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 08-44.092, FS-P+B (N° Lexbase : A6733E47) et nos obs., Les conditions de la suppression des astreintes, Lexbase Hebdo n° 406 du 2 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0344BQS).
(12) Le texte prévoit cependant que la contrepartie financière puisse être remplacée par un repos compensateur. Sur la contrepartie, v. déjà Cass. soc., 4 mai 1999, n° 96-45.453, publié (N° Lexbase : A0309CGK) ; Dr. soc., 1999, p. 732, obs. Ch. Radé.
(13) Cass. soc., 19 juin 2009, n° 07-41.282, F-P (N° Lexbase : A2305D9A) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Modification du contrat de travail et changement de lieu de travail : du nouveau ?, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4943BG8) ; JCP éd. S, 2009, 1067, obs. B. Bossu.
(14) On la retrouve cependant lorsque la Chambre sociale évoque l'absence de droit acquis à une jurisprudence immuable justifiant ainsi la faculté d'opérer des revirements de jurisprudence dont les effets sont par principe rétroactifs, v. Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-40.968, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2304GAL) et les obs. de Ch. Radé, Sécurité juridique et revirement de jurisprudence : la Chambre sociale de la Cour de cassation fait de la résistance, Lexbase Hebdo n° 411 du 7 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1111BQ9).
(15) Pour une illustration récente de la dénonciation des usages et des engagements unilatéraux de l'entreprise, v. Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 09-13.110, FS-P+B (N° Lexbase : A8619GBT) et nos obs., Dénonciation des usages : une procédure à géométrie variable, Lexbase Hebdo n° 414 du 28 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4381BQC).
(16) V. les obs. de S. Martin-Cuenot, Les sources atypiques en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 84 du 4 septembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8571AAP).
(17) Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, publié (N° Lexbase : A1981ABY).
(18) Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.910, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2113D97) et nos obs., La rémunération, toujours et encore plus contractuelle !, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4903BGP).
(19) Cass. soc., 16 juin 1998, n° 95-45.033, publié (N° Lexbase : A5390ACM), Dr. soc., 1999, p. 3, note Ch. Radé.
(20) Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-44.476, F-P+B (N° Lexbase : A0428DD9) et les obs. de Ch. Radé., Le prix du refus (à propos du droit de s'opposer à la modification du contrat de travail consécutive à une sanction disciplinaire), Lexbase Hebdo n° 130 du 22 juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2390AB7) ; Cass. soc., 27 mars 2007, n° 05-41.921, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7974DUU) et les obs. de Ch. Radé, Précisions sur la procédure applicable au salarié qui refuse une modification disciplinaire du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6276BAP).
(21) Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-46.141, F-P+B (N° Lexbase : A2537DPN) et nos obs., Le rôle des clauses du contrat de travail relatives au lieu de travail, Lexbase Hebdo n° 215 du 18 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N8429AKE).
(22) Quand bien même les sommes perçues par le salarié ne seraient pas qualifiées de "salaire" ou de "rémunération", le principe d'égalité de traitement aurait pu être invoqué tant les situations sur lesquelles ce principe peut porter sont variées, v. Ch. Radé, Discriminations et inégalités de traitement dans l'entreprise, éditions Liaisons, 2011, pp. 121-122. Par analogie avec les décisions sous examen, on peut imaginer que cela ne sera plus le cas.
(23) Cass. soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865, FS-P+B (N° Lexbase : A5814EUU) et nos obs., L'utilisation de son domicile à des fins professionnelles par le salarié : une sujétion qui doit faire l'objet d'une indemnisation, Lexbase Hebdo n° 392 du 22 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9429BNK).

Décisions

Cass. soc., 10 octobre 2012, n° 11-10.454, FS-P+B (N° Lexbase : A3468IUY)

Cassation partielle, CA Grenoble, ch. soc., 15 novembre 2010, n° 09/05271 (N° Lexbase : A5483GKB)

Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et C. trav., art. L. 3121-5 (N° Lexbase : L0295H9S)

Mots-clés : astreintes, suppression, droit acquis, pouvoir de direction de l'employeur, abus de droit

Liens base :

Cass. soc., 10 octobre 2012, n° 11-10.455, FS-P+B (N° Lexbase : A3504IUC)

Cassation partielle, CA Grenoble, ch. soc., 15 novembre 2010, n° 10/04494 (N° Lexbase : A5517GKK)

Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et C. trav., art. L. 3121-22 (N° Lexbase : L0314H9I)

Mots-clés : heures supplémentaires, suppression, droit acquis, pouvoir de direction de l'employeur, abus de droit

Liens base : (N° Lexbase : E0339ETQ)

newsid:434102

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