La lettre juridique n°504 du 8 novembre 2012

La lettre juridique - Édition n°504

Éditorial

Du piratage indemnitaire des acquittés du Ponant

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N4358BTL

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Le "prix des larmes" est toujours ce qu'il est de plus difficile à évaluer lorsqu'il est affaire d'indemnisation en matière de responsabilité. Les deux somaliens acquittés en juin dernier pour la prise d'otages du Ponant ont pu ainsi "goûter" à l'appréciation souveraine des juges du fond ; le premier président accordant à chacun d'eux, le 6 novembre 2012, la somme de 90 000 euros au titre du préjudice moral ainsi subi. Le dommage causé ? Rien de moins qu'une arrestation sur les plages somaliennes, manifestement arbitraire, suivie de quatre années de détention provisoire pour finir, depuis leur acquittement, dans un foyer pour demandeurs d'asile en Seine-Saint-Denis. Il est des manières d'entrer et de séjourner en France plus agréables, du moins plus conventionnelles, même si, en revanche et malheureusement, le sort des clandestins n'est pas des plus à envier -mais là, l'Etat Français n'y est pour rien-.

L'article 149 du Code de procédure pénale dispose, certes, que le droit à réparation du préjudice causé par une détention provisoire est reconnu aux personnes ayant bénéficié d'une décision de non-lieu ou d'acquittement. Mais, cette affaire pose, une nouvelle fois, plusieurs questions quant à la réparation du dommage ainsi causé du fait de la privation de la liberté. C'est tout à la fois la nature du dommage, son quantum, voire sa signification aux yeux de l'opinion publique, qui sont ici en question.

Quant à la nature du préjudice ainsi subi par les deux acquittés "épinglés" par les forces spéciales françaises avec les pirates somaliens, le juge n'a pas de doute : il est pour partie matériel et pour partie moral. Les conditions de leur arrestation et leur détention ainsi injustifiée, en attendant le verdict du procès, ont nécessairement causé une perte de revenu, de nature patrimoniale donc, et un préjudice d'affection (privation de liberté, atteinte à un sentiment d'honneur...), de nature extra patrimoniale. A cela tout le monde se rallie volontiers. Là où le bât blesse, c'est bien entendu quant à l'évaluation de ces préjudices distincts.

D'abord, au lieu des 450 000 euros réclamés par chacun des avocats des victimes, le juge accorde la somme de 90 000 euros ; là encore, on sait qu'il est de jurisprudence constante que l'appréciation des juges en la matière est souveraine pour peu que la réparation soit intégrale. Ce même juge accorde également 3 000 et 5 000 euros aux deux acquittés au regard de ce qu'ils auraient perçu s'ils avaient pu paisiblement continuer leur activité de pêcheur durant les quatre années d'emprisonnement. Là aussi, on sait que l'évaluation du dommage doit être faite exclusivement en fonction du préjudice subi et que la victime doit seulement obtenir réparation du dommage qu'elle a subi, mais de tout le dommage. Ainsi, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

On conviendra, d'abord, qu'il est heureux que le juge français accorde une indemnité au titre du préjudice moral ainsi subi, lorsque l'on constate la modicité de l'indemnisation du préjudice matériel. Le grand principe de la réparation intégrale du préjudice oblige, en effet, à faire application d'un artifice juridique au terme duquel la réparation du préjudice moral compense, de facto, celle du préjudice matériel nécessairement calculée selon le niveau de vie et les salaires perçus dans le pays d'origine des victimes ainsi "extradées". Dans le cas contraire, il serait heureux, pour l'Etat responsable, que les pêcheurs en cause ne fussent pas norvégiens !

Mais, est-il juridiquement sain que la réparation du préjudice moral vienne au secours de celle du préjudice matériel en pareil cas ? Même si la réparation d'un dommage, qui doit être intégrale, ne peut excéder le montant du préjudice, cette réparation doit-elle se faire selon les canons sociaux de pays étrangers, étant entendu que la victime doit apporter la preuve qu'elle occupait auparavant un emploi stable et rémunéré (cf. CA Nîmes, 21 avril 2009, n° 08/04101) -allez donc produire des bulletins de salaires somaliens !- ? Alors, quid de l'universalité de nos principes et valeurs ?

Ensuite, il est fort à parier que le premier président n'ait pas donné de motifs à sa décision ou ait adopté des motifs elliptiques, écartant ainsi la cassation d'un tel jugement. En effet, la Cour de cassation ne sanctionne que les motifs contenant des vices apparents de raisonnement et des contradictions. Or, en matière d'évaluation du préjudice moral, et bien que la systématisation d'un modèle de calcul indemnitaire, à l'image des nomenclatures "Lambert-Faivre" et "Dintilhac" ne soit pas inutile, il y a nécessairement une part de subjectivité dans l'appréciation du préjudice moral subi. Dans le cadre du préjudice causé par une détention provisoire de personnes ayant bénéficié d'une décision de non-lieu ou d'acquittement, on pourrait imaginer que le quantum de l'indemnisation dépende, tout simplement, du nombre de mois passés abusivement derrière les barreaux : rien de tel. Ici, comme pour l'affaire nîmoise, pour quatre ans de détention, le juge a accordé 85 000 à 90 000 euros. A Bordeaux (CA Bordeaux, 4 janvier 2011, n° 10/01367 et 9 février 2010, n° 09/02770), l'indemnisation est, proportionnellement, plus généreuse : 25 000 à 30 000 euros pour une année de détention, et les conditions d'arrestation n'étaient pas les mêmes que celles subies par les deux acquittés du Ponant. Mais, bien moins qu'à Pau (CA Pau, 14 mars 2012, n° 11/02066), où le préjudice résultant du choc carcéral ressenti par un portugais brutalement et injustement privé de liberté a été évalué à la somme de 16 500 euros, à la suite de 5 mois de détention... Et, dire qu'on pensait l'incarcération "moins pénible" au soleil ! On sait que l'égale gravité des fautes n'implique pas l'équivalence des préjudices ; mais l'égalité des préjudices emporte-t-elle celle des indemnisations ?

Enfin, il reste la question du préjudice matériel postérieur à la détention. En effet, les deux acquittés sont-ils priés de regagner la Somalie par leurs propres moyens ou sont-ils admis à séjourner sur le territoire français ? S'ils retournent dans leur pays d'origine, ils ne trouveront certainement plus leurs outils de travail ; pire la situation sur les côtes somaliennes reste une poudrière, après l'opération Linda Nchi. S'ils restent en France, quid de leur insertion ? Autant de questions qu'une simple indemnisation, sans réel contrôle de la Cour de cassation, laisse en suspens.

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Avocats/Déontologie

[Questions à...] Le respect de "l'immunité du prétoire" - Questions à Véronique Dagonet, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Créteil

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N4302BTI

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 10 Novembre 2012

Faut-il, à nouveau, le rappeler : toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Certes, l'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire (CESDH, art. 10 N° Lexbase : L4743AQQ). Mais, si eu égard au rôle clé des avocats, on peut attendre d'eux qu'ils contribuent au bon fonctionnement de la justice et, ainsi, à la confiance du public en celle-ci (CEDH, 20 mai 1998, Req. 56/1997/840/1046 N° Lexbase : A7417AWM), il va sans dire également que la liberté d'expression vaut aussi pour les avocats qui ont le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice, même si la critique ne saurait franchir certaines limites (CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96 N° Lexbase : A1016GNX). A cet égard, il convient de tenir compte de l'équilibre à ménager entre les divers intérêts en jeu, parmi lesquels figurent le droit du public d'être informé sur les questions qui touchent au bon fonctionnement du pouvoir judiciaire, les impératifs d'une bonne administration de la justice et la dignité de la fonction d'avocat. Dans l'enceinte des tribunaux, la France prévoit même une disposition spécifique à cette attention : l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW), "l'immunité du prétoire". Aussi, ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte-rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. La liberté d'expression au service de la défense des intérêts des clients est d'une telle importance que le Conseil constitutionnel a érigé la liberté de parole et d'argumentation des avocats au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const., décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 N° Lexbase : A8028ACC). Mais, il semblerait que certains magistrats ne l'entendent pas de cette oreille. Deux avocats ont, en effet, été cités devant le tribunal de grande instance de Bobigny pour outrages, par des magistrats de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Il est heureux que la 16ème chambre correctionnelle ait jugé, le 5 octobre 2012, les citations irrecevables, mais les plaignants entendent bien faire appel. Sur la liberté de parole des avocats au sein des tribunaux, Véronique Dagonet, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Créteil, a bien voulu répondre à nos questions, en qualité de "sentinelle" des droits de la défense, elle qui suit cette affaire depuis sa prise de fonction avec attention, tant les enjeux sont d'importance pour la profession. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler le contexte de l'affaire dite "des outrages" ayant ému l'ensemble de la communauté des avocats et nombre de justiciables ?

Véronique Dagonet : Il y a, en fait, trois affaires, dont la question portait sur l'étendue de "l'immunité du prétoire", et particulièrement devant la CNDA, juridiction dont la singularité n'est plus à démontrer. Dans la première affaire, un avocat s'était vu refuser le renvoi d'une affaire par un magistrat, qui estimait que le certificat médical produit à l'appui de la demande n'était pas assez précis. Selon la transcription d'audience, l'avocat aurait dit au magistrat qu'il se "prenait pour Marine Le Pen". Le magistrat se sentant outragé a fait citer l'avocat en cause devant le tribunal pour outrage, considérant comme tel, aux termes de la citation, la comparaison avec cette "personnalité politique très controversée, qui revendique une ligne politique qualifiée par l'immense majorité des observateurs de xénophobe". Dans la deuxième affaire, un autre avocat avait soutenu, pour la défense de son client, que ce dernier avait été victime de pogroms anti-arméniens en Azerbaïdjan durant la période 1988-1991. Mais, la demande d'asile rejetée, l'avocat a estimé que le magistrat faisait ainsi preuve de négationnisme. Le troisième contentieux avait trait, lui, à un avocat ayant dit, à un magistrat de la chambre correctionnelle, qu'il était la honte de la profession.

Lexbase : En quoi cette affaire est-elle symptomatique du climat entretenu entre avocats et magistrats, aujourd'hui, et notamment devant la Cour nationale du droit d'asile ?

Véronique Dagonet : Il faut reconnaître que si le climat actuel entre avocats et magistrats n'est pas toujours des plus sereins, celui entourant les audiences devant la CNDA est particulièrement tendu. On ne compte plus les incidents d'audiences et le nombre de fois où les magistrats de la Cour parlent, dirons-nous pudiquement, "sans ambages" aux avocats. La situation est telle qu'un médiateur a été nommé, en la personne de Monsieur jean Marie Delarue, haut fonctionnaire et actuellement Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui en raison de son autonomie intellectuelle devrait pouvoir arriver à instaurer un climat apaisé. Par ailleurs, l'action ici intentée pour outrages, action que l'on croyait tombée aux oubliettes depuis l'affaire "Choucq", en 1980, doit être rapprochée des multiples atteintes aux droits de la défense orchestrées par les pouvoirs publics et le pouvoir judiciaire (limitation du secret professionnel, extension du droit de perquisition et de visite aux cabinets d'avocats, renforcement de l'obligation de déclaration de soupçon et dénonciation des clients, etc.). Le contexte global oblige donc à rester vigilant quant aux droits mis à la disposition des avocats pour assurer entièrement et convenablement la défense de leurs clients.

Lexbase : Quels sont les moyens développés par les parties en présence et pourquoi les juges ont-ils clairement conclu à l'irrecevabilité des citations ?

Véronique Dagonet : D'emblée, les dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 étant d'ordre public (Cass. crim., 14 octobre 1998, n° 97-84.730 N° Lexbase : A5236ACW), les magistrats du tribunal de grande instance de Bobigny ont fait part de leur interrogation sur l'irrecevabilité des citations, les propos ainsi tenus pouvant entrer dans le cadre de "l'immunité du prétoire". Toutefois, l'avocat des magistrats prétendus "outragés" leur a demandé de juger l'exception d'irrecevabilité avec le fond et le ministère public a demandé, quant à lui, le rejet des conclusions d'irrecevabilité. L'avocat des plaignants invoquait les termes de la loi de 1881 selon lesquels les faits diffamatoires étrangers à la cause pourront donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers. Il est, en effet, entendu, que l'immunité accordée aux discours prononcés et aux écrits produits devant les tribunaux, destinée à garantir aussi bien la liberté de la défense que la sincérité des auditions, est applicable, sauf le cas où ils sont étrangers à la cause (Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 02-13.293, FS-P+B N° Lexbase : A0247DEU ; Cass. crim., 28 mai 1991, n° 90-83.984 N° Lexbase : A3452ACT). Et, pour l'avocat des magistrats, il convenait de déterminer si les propos ainsi tenus participaient véritablement ou non à la défense de leurs clients.

Le 5 octobre 2012, le TGI n'a heureusement pas suivi cette voie et a conclu rapidement à l'irrecevabilité, sans qu'il soit besoin d'examiner l'affaire au fond. Clairement, pour les juges de Bobigny, les propos relatés sont protégés par la liberté d'expression au service de la défense des intérêts des clients et l'immunité de l'article 41 de la loi de 1881.

Cette décision est l'affaire de tous les avocats, quelle que soit la juridiction devant laquelle ils sont appelés à plaider. Elle témoigne de leur capacité de parole pour la défense de leurs clients, dans leurs rapports avec les magistrats, mais si appel a été interjeté demandant que l'affaire soit examinée au fond, la question de l'irrecevabilité ne manquera pas, à nouveau, d'être posée. Cette capacité de parole est bien entendu contenue ; elle est contrainte par les règles déontologiques de la profession. Doit-on rappeler que la délicatesse est l'un des principes essentiels de la profession d'avocat (décret n° 2005-790, art. 3 N° Lexbase : L6025IGA ; RIN, art. 1.3 N° Lexbase : L4063IP8) ? Et que, justement, l'obligation impartie à l'avocat de respecter les principes de délicatesse et de modération ne saurait être regardée comme incompatible avec le droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la CESDH (CE 1° et 6° s-s-r., 15 novembre 2006, n° 283475 N° Lexbase : A3585DSL).

Je suppose que ces magistrats prétendument outragés n'ont pas averti Madame Denis Linton, la présidente de cette juridiction, de leur initiative car, si soucieuse du respect des droits de la défense et du dialogue qu'elle nous a maintes fois prouvée être, elle n'aurait pas manqué de les dissuader !

Cet épisode m'incite à réactiver la permanence des membres du conseil de l'Ordre qui avait été installée au sein de cette juridiction isolée : elle avait le mérite de permettre la résolution des incidents d'audience entre magistrats et avocats, dans la dignité.

Non décidément, l'apaisement du climat judiciaire n'a pas besoin de s'embarrasser d'une nouvelle salve contre "l'immunité du prétoire", principe fondamental des droits de la défense.

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Marchés publics

[Jurisprudence] Procédures de passation des marchés publics : des précisions sur la dématérialisation et l'infructuosité

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 359921, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8174ITW)

Lecture: 12 min

N4238BT7

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

Le 08 Novembre 2012

Par sa décision n° 359921 du 3 octobre 2012, le Conseil d'Etat est venu apporter des précisions sur les modalités de mise en oeuvre des procédures de publicité et de mise en concurrence dématérialisées et sur les conditions dans lesquelles une procédure d'appel d'offres peut être déclarée infructueuse et être suivie d'une procédure négociée donnant au pouvoir adjudicateur une marge de manoeuvre plus importante en ce qui concerne le choix de l'attributaire du marché. Sur ces deux points, la solution retenue par le Conseil est, contrairement à celle retenue par le juge des référés, favorable au pouvoir adjudicateur, ce qui devrait, notamment, conduire à encourager le recours à des procédures entièrement dématérialisées. I - Les faits de l'espèce et la jurisprudence contrastée du Conseil d'Etat

A - Les faits de l'espèce

Un département avait lancé, à la fin de l'année 2011, une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un marché de prestations d'assistance à maîtrise d'oeuvre. Le règlement de la consultation prévoyait que les candidats devraient obligatoirement transmettre leurs documents par la voie électronique, ce que peut désormais, depuis le décret du 25 août 2011 (décret n° 2011-1000, modifiant certaines dispositions applicables aux marchés et contrats relevant de la commande publique N° Lexbase : L0015IRY) ayant modifié cet article, imposer le pouvoir adjudicateur en application du II de l'article 56 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L0184IRA). Trois candidats avaient adressé au département un dossier sous cette forme.

La collectivité, s'étant avisée que les dossiers étaient incomplets, avait adressé à chaque candidat une demande de complément, par voie électronique. Rappelons qu'aux termes de l'article 52 du même code (N° Lexbase : L7064IED), "avant de procéder à l'examen des candidatures, le pouvoir adjudicateur qui constate que des pièces dont la production était réclamée sont absentes ou incomplètes peut demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai identique pour tous et qui ne saurait être supérieur à dix jours". La demande adressée aux candidats de compléter leur dossier de candidature est donc toujours une faculté et jamais une obligation mais, en l'espèce, le département avait fait usage de cette faculté.

Le groupement constitué par les sociétés X, mandataire, Y et Z n'a, cependant, pas réagi. La commission d'appel d'offres a alors décidé de rejeter sa candidature. Puis, la procédure s'étant révélée infructueuse, le département a engagé une procédure négociée, sans inviter le groupement à y participer. Les trois sociétés ont alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, lequel, par l'ordonnance attaquée, a annulé l'intégralité de la procédure. Il a, en effet, estimé que rien ne permettait d'établir que la société X avait bien reçu le courriel l'invitant à compléter son dossier et qu'il appartenait au département de s'en assurer ou, au moins, de lui réexpédier le message.

La question qui se posait au Conseil d'Etat saisi d'un pourvoi du département était donc de savoir s'il pouvait, ainsi, être imposé au pouvoir adjudicateur de vérifier que le candidat avait bien pris connaissance du message électronique qu'il lui avait envoyé via la plateforme de dématérialisation des marchés publics du département. Afin de mieux comprendre le litige et la solution retenue, il est donc nécessaire de s'arrêter sur le fonctionnement de cette plate-forme, d'autant que le recours à un tel procédé devrait prochainement être adopté par d'autres collectivités.

B - Le fonctionnement de la plate-forme dématérialisée

Relevons, au préalable, que l'arrêté du 14 décembre 2009, relatif à la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics (N° Lexbase : L0775IGS), s'il prévoit que le dépôt des candidatures transmises par voie électronique donne lieu à un accusé de réception indiquant la date et l'heure de réception, n'impose pas, en revanche, aux candidats d'accuser réception des pièces qui leur sont adressées par le pouvoir adjudicateur. En ce qui concerne les modalités d'échanges d'information entre le département et les candidats, le règlement de la consultation mentionnait l'adresse électronique de la plate-forme de dématérialisation des marchés publics du pouvoir adjudicateur et indiquait aux candidats qu'il leur appartenait de télécharger le guide d'utilisation.

L'article 3.9 de ce guide explique que la plate-forme intègre une fonction de messagerie sécurisée avec accusé de réception opposable, qui permet au pouvoir adjudicateur "d'échanger des courriers électroniques sécurisés avec les soumissionnaires, selon le même principe que les lettres recommandées avec accusé de réception [...] de façon analogue à une lettre recommandée avec accusé de réception, le courrier électronique fait l'objet d'un accusé de réception horodaté par le destinataire. Pour accéder au contenu, il faut cliquer sur le lien et accéder ainsi directement au contenu du message sur la plateforme".

Concrètement, le destinataire reçoit donc un courriel lui indiquant qu'un message est disponible sur la plate-forme. S'il clique sur le lien, il accède au contenu du message et envoie automatiquement un accusé de réception au département. Celui-ci est donc à même de savoir si le candidat a pris connaissance du message. Tant que le destinataire n'a pas cliqué, le courriel est indiqué comme non retiré. Le département ne sait pas, en revanche, si le destinataire s'est abstenu volontairement de prendre connaissance du message ou bien si, pour une raison quelconque, le courrier ne lui est pas parvenu, le laissant, ainsi, dans l'ignorance de l'existence même du message qui lui était adressé. Ceci peut être le cas si le message a été classé automatiquement parmi le "courrier indésirable", voire si, pour une raison mystérieuse, il s'est purement et simplement volatilisé.

Dans son ordonnance, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir relevé que le département avait bien adressé un courrier à l'un des candidats, la société X, tout en précisant qu'il n'était pas établi que ce message s'était bien affiché sur la messagerie de cette dernière, avait affirmé que, dans l'hypothèse où le pouvoir adjudicateur disposait de l'information selon laquelle un candidat n'avait pas pris connaissance du message qu'il lui avait adressé pour lui demander de compléter son dossier de candidature, il lui appartenait d'accomplir un certain nombre de diligences auprès de l'entreprise, soit en prenant son attache, soit en réexpédiant le message.

L'ordonnance attaquée rattachait, d'ailleurs, cette exigence non pas à l'une des dispositions du règlement de la consultation, mais au principe de l'égalité de traitement des candidats. La règle dégagée par cette ordonnance pouvait, en conséquence, revêtir une portée assez générale dans le cadre des procédures dématérialisées, bien au-delà du seul cas du département en cause, et même dans le cadre des procédures classiques faisant l'objet de courriers papier.

II - La possibilité reconnue au candidat de modifier son offre pour rectifier certaines erreurs matérielles

A - Le pouvoir adjudicateur n'a pas à s'assurer que les candidats ont bien pris connaissance des demandes qu'il leur a régulièrement adressées

Tel est, en effet, le motif de la censure de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et il s'agit d'une censure pour erreur de droit, c'est-à-dire d'une censure qui vient démentir le bien-fondé du raisonnement tenu par ce juge. Celui-ci avait en effet estimé, pour l'essentiel, que le pouvoir adjudicateur qui demandait aux candidats de compléter leur dossier de candidature, devait non seulement veiller à adresser sa demande à l'adresse indiquée par les candidats mais, en outre, s'assurer que ces derniers avaient bien pris connaissance du courrier de demande.

Le Conseil d'Etat a censuré ce raisonnement au motif "qu'en jugeant, ainsi, que le département devait s'assurer que les candidats avaient effectivement pris connaissance de ce message, sans avoir relevé de dispositions du règlement de la consultation lui en faisant obligation, et alors qu'en vertu du guide d'utilisation de la plate-forme dématérialisée imposé aux candidats par le règlement de la consultation, tel que le juge des référés l'a souverainement interprété, le département devait seulement, pour inviter les candidats à compléter leur candidature, leur adresser, à l'adresse électronique indiquée par eux, un message d'alerte les invitant à se rendre sur cette plate-forme pour prendre connaissance des compléments d'information demandés et y répondre, le juge des référés a commis une erreur de droit".

Cette solution, qui vaut pour la procédure dématérialisée menée en l'espèce, nous semble, également, valoir pour les procédures classiques faisant l'objet d'un envoi de courriers papier et non de courriers électroniques. Dans les deux cas, en effet, le pouvoir adjudicateur a seulement l'obligation de s'assurer que ses courriers sont envoyés à la "bonne" adresse, c'est-à-dire à l'adresse qui leur a été communiqué par chaque candidat. En revanche, on ne saurait lui imposer de vérifier que les candidats ainsi régulièrement joints (car l'adresse, postale ou électronique, est celle qu'ils ont indiquée dans leur dossier de candidature) ont effectivement pris connaissance de ce courrier, c'est-à-dire qu'ils l'ont ouvert (directement s'agissant d'un courrier papier et indirectement, via l'activation du lien électronique contenu dans le message d'alerte, s'agissant d'un courrier électronique). Non seulement il serait matériellement difficile pour les pouvoirs adjudicateurs de procéder à cette vérification mais il serait, en outre, illogique de la leur imposer, dès lors que cela reviendrait à faire peser sur eux l'absence de diligence ou l'inertie des candidats qui n'ont pas pris la peine d'ouvrir le courrier qui leur a été régulièrement adressé.

En l'espèce, ainsi que cela résulte des motifs de la décision dans sa partie suivant la cassation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le département avait envoyé à l'adresse électronique de la société X, mandataire du groupement, le 2 mars 2012 à 11 h 01, un courrier électronique ayant pour objet une demande tendant à compléter son dossier de candidature.

Or, ainsi que nous l'avons vu plus haut, la société ne pouvait prendre connaissance du contenu de cette demande et en accuser réception qu'en activant le lien électronique inclus dans ce courriel. Il lui appartenait donc d'activer ce lien, sans que le département soit dans l'obligation de s'assurer qu'elle l'avait bien reçu et qu'elle avait, ainsi, pu prendre connaissance du contenu de sa demande de complément.

Toujours dans sa partie après cassation, la décision du 3 octobre 2012 relève que, selon un "courriel adressé le 13 avril 2012 par la société [Z], gestionnaire de la plate-forme de dématérialisation [et également membre du groupement évincé !], au département [...]", le message d'alerte adressé par ce dernier à la société X était bien parvenu sur le serveur de messagerie de cette société. Cependant, la société n'avait pas activé le lien électronique permettant d'accéder au contenu de ce message et donc de compléter le dossier de candidature du groupement dont elle était le mandataire. Dans ces conditions, le département avait pu estimer que le dossier de candidature des sociétés membres du groupement demeurait incomplet et rejeter, en conséquence, leur candidature.

B - L'affirmation d'un nouveau cas de contrôle restreint en matière de procédures de passation des contrats publics

La procédure de passation qui était en cause dans l'affaire n° 359921 présentait, par ailleurs, la particularité d'avoir été menée en deux temps : dans un premier temps, la procédure d'appel d'offres ouvert avait été déclarée infructueuse en raison du caractère inacceptable des offres dont le montant dépassait celui des crédits budgétaires que la collectivité prévoyait d'allouer au marché ; dans un second temps, et donc en raison de cette infructuosité, le département avait mené une procédure négociée avec les deux groupements candidats ayant présenté une offre.

Sur ce point, la décision commentée rappelle qu'en vertu du I de l'article 35 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L0147IRU), la procédure négociée qui fait suite à une procédure d'appel d'offres déclarée infructueuse ne peut être menée qu'avec des entreprises qui ont déposé une offre, que cette offre ait été irrégulière (car incomplète ou non conforme aux documents de la consultation) ou inacceptable (car non conforme à la législation ou d'un montant supérieur aux crédits alloués au marché). La procédure négociée ne peut, en revanche, être menée avec une entreprise dont la candidature a été régulièrement rejetée (ce que le juge doit bien sûr vérifier) et qui n'a donc pas présenté d'offre : c'était le cas en l'espèce du groupement X, qui n'avait donc pas à être admis à la négociation menée par le département.

Il n'en demeurait pas moins que ce dernier, même régulièrement non admis à cette procédure négociée, pouvait contester le recours à cette procédure en tant qu'il était fondé sur le caractère inacceptable des offres de ses concurrents. Autrement dit, l'entreprise qui n'a pas été admise à la procédure négociée faisant suite à une procédure infructueuse peut contester la réalité et le bien-fondé du motif d'infructuosité, c'est-à-dire du motif sur lequel la collectivité s'est fondée pour justifier le recours à une procédure négociée. En l'espèce, nous l'avons vu, ce motif était tiré du montant trop élevé des offres par rapport aux crédits budgétaires alloués au marché par le département.

Le groupement soutenait, à cet égard, que la déclaration d'infructuosité était illégale, dès lors que l'appel d'offres avait été organisé de telle façon qu'il ne pouvait qu'être infructueux. De fait, la procédure est illégale si le coût a été estimé de façon totalement irréaliste par le pouvoir adjudicateur et "si l'appel d'offres a été déclaré infructueux dans des conditions qui ne permettaient pas sa réussite". En ce cas, le pouvoir adjudicateur ne peut se fonder sur le caractère infructueux de la procédure pour engager une procédure négociée : il doit lancer un nouvel appel d'offres (1). La société dont la candidature a été rejetée peut, malgré tout, invoquer ce manquement à l'appui de conclusions dirigées contre la procédure négociée, manquement qui est susceptible de la léser, puisqu'il l'empêche de présenter sa candidature à un nouvel appel d'offres.

Comme le relevait C. Bergeal dans ses conclusions sous cette décision, "le caractère irréaliste d'un prix ne saurait évidemment résulter du seul fait que toutes les offres sont supérieures aux estimations faites : il y faut un écart conséquent, de nature à conduire tout gestionnaire responsable à une remise en cause radicale des estimations initiales". En l'espèce, la décision n° 359921 ne précise pas l'ampleur de l'écart entre le coût résultant des crédits affectés au marché par la collectivité et le montant des offres présentées par les candidats. Cette absence de précision a deux explications.

La première est que le Conseil d'Etat a probablement estimé qu'appliquer le seul critère de l'écart de prix pour juger illégale une déclaration d'infructuosité était un peu réducteur : en effet, cet écart peut provenir tant d'une sous-estimation volontaire de la part du pouvoir adjudicateur (afin de n'être confronté qu'à des offres inacceptables et de pouvoir ensuite mener une procédure négociée dans laquelle il aura une marge de manoeuvre beaucoup plus importante pour choisir l'attributaire du marché) que d'une surestimation de leur offre par les candidats. Autrement dit, en présence d'un écart important entre le montant des crédits budgétaires alloués au marché et le montant des offres présentées, il est bien difficile de savoir qui, du pouvoir adjudicateur ou des candidats, est le plus "irréaliste" et le plus loin du véritable prix des prestations en cause.

La seconde explication est que le Conseil d'Etat a choisi de n'exercer qu'un contrôle restreint, limité à l'erreur manifeste d'appréciation du pouvoir adjudicateur, sur la décision de ce dernier de déclarer infructueux l'appel d'offres et de passer un marché négocié en raison du caractère inacceptable des offres tenant au dépassement des crédits budgétaires alloués au marché. En l'espèce, le Conseil d'Etat a estimé que cette décision n'était pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation et il a donc jugé légal le recours à la procédure négociée.

En retenant un tel contrôle restreint, la présente décision ajoute un nouveau cas aux quelques hypothèses, récemment dégagées, dans lesquelles le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence par les procédures de passation des contrats publics font l'objet d'un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation de la collectivité.

Le Conseil d'Etat a, ainsi, récemment jugé que si est utilement invocable, dans le cadre du référé précontractuel, le moyen tiré de ce que le pouvoir adjudicateur aurait dû, en application de l'article 55 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1297IND), rejeter une offre anormalement basse, le juge du référé précontractuel exerce cependant sur un tel refus un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation (2). De même, il a jugé que le choix du nombre de lots d'un marché par le pouvoir adjudicateur, compte tenu de la nature des prestations et de l'objet du marché, ne pouvait être sanctionné que s'il était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation (3).

Par ailleurs, en matière de recours pour excès de pouvoir, le juge exerce un contrôle restreint en ce qui concerne le choix du délégataire de service public par le pouvoir adjudicateur (4) et il ne peut censurer l'appréciation portée par l'autorité administrative sur les garanties et capacités techniques et financières que présentent les candidats à un marché public, ainsi que sur leurs références professionnelles, que dans le cas où cette appréciation est entachée d'une erreur manifeste (5).


(1) CE 7° et 10° s-s-r., 29 décembre 1997, n° 160686, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5590AST), Recueil p. 510.
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 1er mars 2012, n° 354159, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8956ID3).
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 21 mai 2010, n° 333737, mentionné aux tables du recueil Lebon ([LXB=A4097EXZ)]).
(4) CE 2° et 7° s-s-r., 7 novembre 2008, n° 291794, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1733EBS).
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 23 janvier 2012, n° 346970, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6876IBB).

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Novembre 2012

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N4218BTE

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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université

Le 08 Novembre 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures fiscales. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Cour de cassation concernant les visites et saisies et sur une décision du Conseil d'Etat relative à la prorogation d'un examen de situation fiscale personnelle (ESFP). Dans le premier arrêt, en date du 25 septembre 2012, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette les recours contre, d'une part, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui bénéficie d'une présomption selon laquelle elle a été rédigée par le juge et, d'autre part, la procédure de visite, qui prévoit bien une voie de recours, dont les sociétés n'ont d'ailleurs pas fait usage (Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-24.526, F-P+B). Dans la deuxième décision, rendue à la même date, la Haute juridiction retient que, lorsque le juge des référés est saisi d'une demande de scellé sur des documents saisis, il ne peut prononcer le scellé que s'il lui est démontré que ces documents sont frappés par le secret professionnel (Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-21.981, FS-P+B). Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, en date du 11 octobre 2012, le Conseil d'Etat juge que le délai de trente jours laissé aux contribuables pour répondre à une mise en demeure et le délai d'obtention des renseignements demandés aux autorités britanniques se recouvrent et ne se cumulent pas (CE 8° et 3° s-s-r., 11 octobre 2012, n° 346691, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Visites et saisies : l'ordonnance du juge des libertés et de la détention est présumée avoir été rédigée par lui ; la procédure prévoit une voie d'appel sous un délai de quinze jours (Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-24.526, F-P+B N° Lexbase : A6133ITC)

Dans le cadre des dispositions de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2813IPU), plusieurs sociétés ont fait l'objet de visites et de saisies autorisées par le juge des libertés et de la détention, qui a délivré deux ordonnances diligentées le même jour.

Les griefs formulés par les sociétés ne manquent pas. D'une part, les sociétés reprochent au juge d'avoir signé une ordonnance pré-remplie par l'administration ; d'autre part, l'une des sociétés invoque un défaut de réponse à ses conclusions. Enfin, les sociétés considèrent qu'il est contraire à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) qu'aucun recours ne soit permis pendant le déroulé de la visite.

Concernant le premier moyen, rappelons que les motifs et le dispositif des ordonnances rendues en application de l'article L. 16 B précité sont réputés établis par le juge qui les a signées et rendues. Il a été jugé que le fait qu'elles soient rédigées dans les mêmes termes que d'autres décisions visant les mêmes personnes et rendues par d'autres magistrats dans les limites de leur compétence est sans incidence sur leur régularité (Cass. com., 15 décembre 2009, n° 09-12.734, F-P+B N° Lexbase : A0942EQX, RJF, 2010, 4, comm. 374). En l'espèce, le premier président de la cour d'appel a constaté qu'aucune allégation énoncée par le contribuable n'était vérifiable et que rien ne justifiait que l'on puisse suspecter d'impartialité le juge des libertés et de la détention. La signature d'une ordonnance pré-rédigée par l'administration, pratique moralement condamnable, ne pouvait pas être retenue pour invoquer la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Il semble difficile d'accepter l'idée que la pré-rédaction de l'ordonnance soumise à la signature du juge soit compatible avec le principe énoncé par la jurisprudence selon lequel le juge qui autorise, à la requête de l'administration, des visites et des saisies doit vérifier de manière concrète, par l'appréciation des éléments d'information que l'administration est tenue de lui fournir, sans qu'il lui soit nécessaire de pré-rédiger l'ordonnance, que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée (Cass. mixte, 15 décembre 1988, n° 87-19.759 N° Lexbase : A9938AAC, Droit fiscal, 1989, 9, note Dugrip, p. 9 ; Cass. com., 21 mars 1989, n° 87-18.918 N° Lexbase : A3162AHL, Droit fiscal, 1989, comm. 971).

Concernant le deuxième moyen, il est affirmé que la société ne fait pas l'objet d'une présomption de fraude, observation qui, à elle seule, aurait dû interdire au juge des libertés et de la détention de signer l'ordonnance autorisant la visite domiciliaire, dès lors la société n'est pas fondée à se prévaloir d'une insuffisance de telles présomptions à l'encontre de la société avec laquelle elle traite. Toutefois, lorsque le premier président de la cour d'appel retient que les éléments apportés par l'administration ne démontraient pas d'indices précis, graves et suffisamment concordants pour faire présumer l'existence d'une fraude, alors que l'article L. 16 B exige de simples présomptions, celui-ci a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-13.829, F-D N° Lexbase : A1853ETS, RJF, 2010, 6, comm. 604). En effet, le juge des libertés et de la détention n'est pas le juge de l'impôt, il n'a pas à rechercher si les infractions sont caractérisées, mais s'il existe des présomptions de fraude justifiant la délivrance de l'ordonnance (Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-16.464, F-D N° Lexbase : A2223EYY, RJF, 2010, 12, comm. 1190). Enfin, le juge des libertés et de la détention n'est pas tenu de mentionner dans sa décision que tout intéressé a le droit de solliciter auprès de lui la suspension, ou l'arrêt, des opérations autorisées en cas de contestation de leur régularité et à la possibilité de faire appel à un conseil (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-13.215, F-D N° Lexbase : A1835ET7, RJF, 2010, 6, comm. 602).

Concernant le troisième moyen, l'article L. 16 B prévoit la possibilité d'un recours devant le premier président de la cour d'appel contre le déroulement des opérations de visites et de saisies. Il est un fait que celui-ci ne peut être saisi de la contestation des conditions dans lesquelles ces opérations ont été effectuées que dans le cadre du recours spécifiquement visé par ce texte.

Dans l'affaire qui nous occupe, les sociétés n'ont pas saisi le juge dans le délai de quinze jours qui leur était ouvert par la loi. Par conséquent, elles n'ont pas exercé un tel recours. Précisons qu'il a été jugé que des requérants qui ont déclaré relever appel d'une ordonnance de visite et de saisie mais qui n'ont pas formé un recours contre le déroulement des opérations ne sont pas recevables à la critiquer (Cass. com., 15 décembre 2009, n° 09-12.734, F-P+B N° Lexbase : A0942EQX, RJF, 2010, 4, comm. 374).

Pour toutes ces raisons, la Chambre commerciale de la Cour de cassation n'avait, dès lors, pas d'autre solution que de rejeter les pourvois.

  • Visite et saisies : la saisine du juge des référés concernant la mise sous scellé de documents dont il n'est pas prouvé qu'ils sont couverts par le secret professionnel, et alors qu'un appel est formé contre l'ordonnance de visite, est sans objet (Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-21.981, FS-P+B N° Lexbase : A6209IT7)

Sur le fondement de l'article L. 16 B du LPF, le juge des libertés et de la détention a délivré, le 8 avril 2011, deux ordonnances autorisant l'administration à procéder à une visite avec saisies dans des locaux "susceptibles d'être occupés" par un cabinet d'avocats et son associé, ainsi que par plusieurs sociétés. L'objectif de l'administration était de rechercher la preuve de fraudes fiscales de deux sociétés de droit luxembourgeois, au titre de l'impôt sur les sociétés et de la TVA. Le juge qui autorise les visites et les saisies doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation que lui transmet l'administration est bien fondée. Celui-ci ne satisfait pas à cette exigence quand il ne se réfère pas aux éléments d'information sur lesquels il fonde son appréciation (Cass. com., 18 juillet 1989, n° 89-10.895 N° Lexbase : A4309AH3, Droit fiscal, 1990, comm. 4).

Les sociétés ont formé appel contre les autorisations de visite et leur déroulement. Au titre du principe de précaution, elles ont saisi le juge des référés afin qu'il ordonne que l'intégralité des documents saisis soit placée sous scellés et que l'ouverture de ceux-ci soit réalisée en présence du juge des libertés et de la détention, au motif que certains documents saisis seraient couverts par le secret professionnel. A noter que le juge qui a autorisé par ordonnance la visite et la saisie peut, s'il l'estime utile, se rendre personnellement dans les locaux pendant l'intervention et décider, à tout moment, d'office ou à la requête des parties, la suspension ou l'arrêt de la visite (Cass. com., 30 novembre 1999, n° 98-30.005 N° Lexbase : A5559AWS, RJF, 2000, 3, comm. 373).

Le juge administratif ne peut être saisi d'une requête tendant à la mise en oeuvre d'une procédure de référé que pour autant que le litige principal auquel se rattache, ou est susceptible de rattacher, la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prescrire, n'échappe pas à la compétence de la juridiction administrative (CE 8° et 3° s-s-r., 3 juin 2009, n° 318548, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7241EHN, RJF, 2009, 10, comm. 882).

Le principe du secret professionnel des avocats ne fait pas obstacle à ce que soient autorisées les visites de leurs locaux et la saisie de documents qu'ils détiennent, dès lors que le juge a trouvé dans les informations fournies par l'administration des présomptions de fraude suffisantes et qu'il en est fait mention dans l'ordonnance (Cass. crim., 24 octobre 2001, n° 99-30.412, inédit N° Lexbase : A7814CZG, RJF, 2002, 3, comm. 298). Les atteintes éventuelles au secret professionnel de l'avocat relèvent du contrôle de la régularité des opérations et non de celui de la légalité de l'autorisation.

Retenons, pour mémoire, que sont couvertes par le secret professionnel les consultations juridiques établies par un avocat et adressées par lui ou destinées à son client (Cass. com., 5 mai 1998, n° 96-30.116 N° Lexbase : A2855ACQ, RJF, 1998, 7, comm. 822), sachant qu'il appartient au juge d'apprécier souverainement si un document établi par un avocat s'analyse comme une consultation juridique.

Toutefois, la saisie de pièces en principe couvertes par le secret professionnel peut être autorisée ou maintenue, à l'occasion de la visite d'un cabinet d'avocats, à condition qu'elles soient de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à la fraude présumée. Dans l'hypothèse où cette participation ne serait pas alléguée par l'administration, c'est à bon droit que le juge ordonnerait la main-levée des saisies de correspondances échangés entre l'avocat et ses clients (Cass. com., 5 mai 1998, précité, RJF, 1998, 7, comm. 822).

La Cour européenne des droits de l'Homme a jugé que l'intrusion dans un cabinet d'avocats était disproportionnée par rapport au but visé et portait atteinte au secret professionnel, au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR) (CEDH, 24 juillet 2008, req. 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L, Droit fiscal, 2008, 43, comm. 552, note Louit).

Dans cette affaire, il est paradoxal de se prévaloir du secret professionnel alors que les demandeurs n'apportent aucune précision sur les documents qui ont été placés sous scellés au cours de la procédure de visite et de saisie. La Cour de cassation relève que le scellé a déjà été ouvert à la date du référé.

En l'espèce, la Cour de cassation retient que, lorsque le juge des référés est saisi d'une demande de scellés sur des documents saisis, il ne peut prononcer le scellé que s'il est démontré que les documents en cause sont frappés par le secret professionnel. De plus, la procédure étant frappée d'appel, le premier président de la cour d'appel est saisi à la fois de l'appel et du référé. La demande de référé est sans objet.

  • Prorogation d'un ESFP : le délai de trente jours laissé au contribuable pour répondre à une mise en demeure et le délai d'obtention des renseignements demandés aux autorités britanniques ne se cumulent pas (CE 8° et 3° s-s-r., 11 octobre 2012, n° 346691, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2694IUC)

Le 19 juillet 2001, un contribuable et son conjoint ont reçu un avis d'examen contradictoire de situation fiscale personnelle (ESFP) au titre des années 1998 à 2000. Pour les années 1999 et 2000, les contribuables ont reçu, le 26 mai 2003, une notification de redressements (aujourd'hui dénommée proposition de rectification).

Les contribuables avaient contesté vainement devant le tribunal administratif, au motif que l'administration aurait dépassé le délai fixé par l'article L. 12 du LPF (N° Lexbase : L6793HWI) pour réaliser cet examen. Par un arrêt du 20 décembre 2010, la cour administrative d'appel (CAA Marseille, 3ème ch., 20 décembre 2010, n° 08MA05163, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7249GNS) a fait droit à l'argumentation du contribuable et a prononcé la décharge des impositions. Le ministre du Budget a décidé de se pourvoir en cassation.

L'article L. 12 du LPF dispose : "sous peine de nullité de l'imposition, un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle ne peut s'étendre sur une période supérieure à un an à compter de la réception de l'avis de vérification". Ce délai peut être prorogé des délais nécessaires pour que l'administration puisse obtenir les relevés de comptes du contribuable dans l'hypothèse où celui-ci n'a pas usé de la faculté de les produire dans un délai de soixante jours à compter de la date de la demande, délai prorogé aussi pour recevoir les renseignements demandés aux autorités fiscales étrangères lorsque le contribuable a pu disposer de revenus à l'étranger ou en provenance directe de l'étranger.

Il a été jugé que la prorogation du délai d'un an n'est pas subordonnée à la condition que l'administration soumette au débat contradictoire les renseignements demandés aux autorités étrangères, mais seulement à la condition qu'elle justifie qu'à la date de sa demande elle a réuni les éléments permettant de présumer l'existence de revenus à l'étranger, ou en provenance directe de l'étranger (CAA Bordeaux, 2 février 1999, n° 96BX00945, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8992BDE, Droit fiscal, 1999, comm. 790).

En outre, l'article L. 16 A du livre précité (N° Lexbase : L8513AEZ) énonce que le contribuable dispose d'un délai qui ne peut être inférieur à deux mois pour faire suite à des demandes d'éclaircissements et de justifications. Quand le contribuable doit compléter sa réponse, il bénéficie d'un délai de trente jours. Le délai d'un an (LPF, art. L. 12) englobe le temps nécessaire à l'échange de demandes de justifications et des réponses qui y sont faites. Le délai peut aussi être prorogé quand le contribuable demande un délai supplémentaire pour répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications. La prolongation est de trente jours lorsque c'est l'administration qui demande au contribuable de compléter ou de préciser une réponse insuffisante (LPF, art. L. 16 A).

Il appartient à l'administration, afin de déterminer si un délai supplémentaire est ou non nécessaire, de prendre en compte le nombre et la difficulté des questions posées dans le cadre d'une appréciation globale si la demande porte sur plusieurs années (CE 8° et 3° s-s-r., 12 mars 2010, n° 313142, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1614ETX, Droit fiscal, 2010, 21, comm. 335, concl. Olléon).

Toutefois, l'administration n'est pas tenue de mettre le contribuable en demeure de devoir compléter la réponse qu'il a faite dans le cadre d'une demande de justifications, lorsqu'il s'est abstenu de répondre à cette demande dans le délai imparti (CE, 2 mai 2001, n° 219819, RJF, 2001, 11, comm. 1483). En outre, le vérificateur doit indiquer au contribuable les compléments de réponse souhaités et ne peut se limiter à lui demander de faire parvenir toutes précisions après avoir relevé que sa réponse est insuffisante (CAA Lyon, 2ème ch., 22 septembre 1999, n° 96LY00167, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2565BG4, RJF, 2000, 1, comm. 14).

La difficulté de l'espèce tient au fait que l'administration a demandé des informations, concernant ces contribuables, aux autorités britanniques et que le délai nécessaire pour les obtenir devait se combiner avec le délai de trente jours visé à l'article L. 16 B du LPF. L'administration est tenue d'attendre l'expiration du délai de trente jours pour notifier au contribuable les rectifications relatives aux sommes non justifiées, en conséquence de quoi la proposition de rectification intervenue avant l'expiration de ce délai est irrégulière, ce qui entraîne la décharge des sommes indûment taxées d'office (CAA Nantes, 1 décembre 2008, n° 07NT03785, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9155EC3, RJF, 2009, 5, comm. 428).

Dans l'affaire qui nous occupe, le délai d'un an (LPF, art. L. 12) a été prorogé une première fois par la délai de quarante-huit jours séparant la date à laquelle expirait le délai de soixante jours imparti aux contribuables pour communiquer leurs relevés de compte et l'obtention de ces documents par l'administration, puis il fut prorogé une seconde fois par le délai de deux cent quarante cinq jours nécessaire à l'obtention des renseignements demandés par l'administration aux autorités britanniques.

Le Conseil d'Etat a jugé que c'est à bon droit que cette période n'a pas pu être prorogée par le délai de trente jours laissé aux contribuables pour répondre à la mise en demeure qui leur avait été adressée, au motif que le délai de trente jours et le délai d'obtention des renseignements demandés à l'étranger se recouvrent et ne s'ajoutent pas.

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Propriété

[Jurisprudence] L'accession immobilière différée à la fin de l'usufruit

Réf. : Cass. civ. 3, 19 septembre 2012, n° 11-15.460, FS-P+B (N° Lexbase : A2420ITS)

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N4322BTA

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par Séverin Jean Docteur en droit privé, Université Toulouse I Capitole (IEJUC)

Le 08 Novembre 2012

Superficies solo cedit (1) ! Oui, mais quand ? Cette question est souvent fondamentale lorsqu'on est confronté au régime de l'accession immobilière. Si, par principe, l'accession est de plein droit, en ce sens qu'elle opère au fur et à mesure de l'édification de la construction (2), il arrive, par l'effet d'une convention d'accession ou de la loi, que le moment de l'accession soit différé. La troisième chambre civile de la Cour de cassation, à l'occasion d'une construction édifiée par un usufruitier sur le terrain d'un nu-propriétaire, tranche très clairement en faveur de l'accession différée. En l'espèce, un père, qui avait donné à sa fille mineure la nue-propriété de terrains tout en s'en réservant l'usufruit, y construisit des immeubles de rapport (3) sans demander à la nue-propriétaire une quelconque contrepartie. L'administration fiscale, considérant qu'il s'agissait d'une donation indirecte, réclama à la nue-propriétaire les droits d'enregistrements afférents. La représentante légale de la nue-propriétaire intenta alors une action en dégrèvement total. La cour d'appel de Lyon, par un arrêt du 25 janvier 2011, fit droit à sa demande au motif que lorsqu'un usufruitier édifie des constructions sur le terrain d'un nu-propriétaire, ce dernier ne bénéficie d'aucun enrichissement dans la mesure où il n'entre en possession qu'à l'extinction de l'usufruit. L'administration fiscale décida alors de se pourvoir en cassation en arguant du fait qu'il résultait des dispositions combinées des articles 551 (N° Lexbase : L1057ABR), 552 (N° Lexbase : L3131ABL) et 555 (N° Lexbase : L3134ABP) du Code civil une accession immédiate et de plein droit au profit du propriétaire du sol. La Cour de cassation devait alors se demandait à quel moment s'opère l'accession lorsqu'un usufruitier construit sur le terrain du nu-propriétaire ? Les magistrats du quai de l'Horloge rejetèrent le pourvoi en estimant que le nu-propriétaire ne s'était nullement enrichi puisque l'accession n'a pas lieu immédiatement à son profit mais simplement à l'extinction de l'usufruit.

La Cour de cassation, par cet arrêt, apporte un éclairage intéressant et important. Intéressant, parce que l'articulation du régime de l'accession immobilière avec celui de l'usufruit est délicate. Important, parce qu'il résulte inévitablement de ce positionnement des répercussions comme, par exemple dans notre affaire, l'absence d'incidence fiscale d'une telle opération. Cet arrêt révèle, de façon évidente, la délicate rencontre entre deux régimes qu'il convient de concilier : l'usufruit et l'accession. Si l'usufruit s'accommode mal en apparence de l'accession, le principe dégagé par la Cour de cassation semble parfaitement justifié, l'usufruit ne malmenant pas, en définitive, le régime de l'accession (I). Aussi, c'est davantage le moment de l'accession qui demeure le point sensible de la rencontre entre ces deux régimes. Sans aucun doute, la jurisprudence opte par pure opportunité pour l'accession différée en matière d'usufruit (II).

I - L'épineuse conciliation entre l'usufruit et l'accession

D'un côté, l'article 578 du Code civil (N° Lexbase : L3159ABM) dispose que "l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété comme le propriétaire lui-même, mais a la charge d'en conserver la substance". De l'autre, les articles 551 et 552, alinéa 1er, du Code civil disposent respectivement que "tout ce qui s'unit et s'incorpore à la chose appartient au propriétaire [...] " et ainsi, "la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous". La confrontation de ces deux régimes met doublement en exergue l'impossibilité apparente pour l'usufruitier, du fait sa nature même -usus et fructus- et du fait du régime de l'accession -la propriété de la construction édifiée par l'usufruitier revenant au nu-propriétaire-, de devenir propriétaire de la construction qu'il a édifiée sur le terrain du nu-propriétaire (A). Pourtant, la Cour de cassation approuve la cour d'appel en estimant que si la construction revient à la fin de l'usufruit au nu-propriétaire, celle-ci appartient, pendant l'usufruit, à l'usufruitier. Il est donc possible de concilier les deux régimes malgré les obstacles apparents (B).

A - L'impossible propriété à l'égard de l'usufruitier

Sauf à prévoir, par convention (4), le sort des constructions à la fin de l'usufruit, l'usufruitier ne devient jamais propriétaire des constructions qu'il a édifiées sur le terrain du nu-propriétaire. Mais dans le litige soumis à la Cour de cassation, le problème ne portait pas en réalité sur ce point, mais sur le fait de savoir si l'usufruitier était propriétaire pendant l'usufruit de la construction qu'il a édifiée sur le terrain du nu-propriétaire. La cour d'appel se prononce clairement en faveur d'une accession différée au profit du nu-propriétaire. Pourtant, le demandeur au pourvoi, en application des articles combinés 551, 552 et 555 du Code civil, estime que la propriété de la construction édifiée par l'usufruit revient ipso facto au nu-propriétaire. Il ajoute enfin que l'accession doit s'appréhender eu égard à la qualité du constructeur et du propriétaire du sol. En d'autres termes, l'usufruitier aurait un droit d'usage et de jouissance tandis que le nu-propriétaire aurait le droit de disposition sur la construction litigieuse. La référence faite aux droits différents de l'usufruitier et du nu-propriétaire n'est pas une nouveauté et apparaît, a priori, logique.

En effet, la jurisprudence affirme de manière constante qu'"il n'y a pas d'indivision quant à la propriété entre l'usufruitier et le nu-propriétaire qui sont titulaires de droits différents et indépendants l'un de l'autre" (5). Cette jurisprudence est le résultat de l'analyse littérale de la nature même de l'usufruit -usus et fructus-, l'usufruitier peut jouir du bien -objet de propriété du nu-propriétaire- et peut en retirer les fruits, mais il ne dispose pas de l'abusus (6), lequel est conservé par le nu-propriétaire (7). Ainsi, puisque le nu-propriétaire est privé des utilités du bien à l'exception de l'exclusivité et de la disposition, on comprend que "l'accession, qui est une extension de l'objet de propriété, ne peut pour cette raison, que profiter au propriétaire [...]" (8). D'ailleurs, l'usufruitier a l'obligation de conserver la substance dont il jouit (9), le nu-propriétaire ayant vocation à retrouver la pleine propriété. Il résulte de cette charge pour l'usufruitier, l'obligation de restituer le bien en l'état (10), et avant, de ne pas en changer sa destination (11). Ces obligations sont intimement liées dans la mesure où la conservation de la substance suppose le maintien du bien qui fait l'objet de l'usufruit. En d'autres termes, et dans notre espèce, l'objet du démembrement est un terrain vierge de constructions qu'il convient de restituer, en définitive, au nu-propriétaire. Dès lors, cette obligation est bafouée -même si le nu-propriétaire ne s'en plaindra pas- puisque l'usufruitier, en construisant, ne sera pas en mesure de restituer le bien tel qu'il l'a reçu parce qu'il a modifié matériellement sa destination. Par conséquent, l'argumentation du demandeur au pourvoi est en apparence logique. Et si cela ne suffisait pas pour s'en convaincre, rappelons que l'article 605, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L3192ABT) met à la charge du nu-propriétaire les grosses réparations, parce que ce dernier n'est autre que le propriétaire tandis que l'usufruitier n'est tenu -conformément à sa nature- qu'aux seules réparations d'entretien. Comment dès lors justifier que la Cour de cassation retienne une position contraire, reconnaissant l'usufruitier propriétaire des constructions édifiées sur le terrain du nu-propriétaire tout au long de l'usufruit ?

B - La possible propriété temporaire de l'usufruitier

En décidant, comme la cour d'appel, que le nu-propriétaire ne bénéficie d'aucun enrichissement puisque ce dernier n'entrera en possession des constructions qu'à l'extinction de l'usufruit, la Cour de cassation considère que l'accession est différée et partant, que l'usufruitier demeure le propriétaire des constructions édifiées tout au long de l'usufruit. Pour retenir que l'usufruitier dispose d'un véritable droit de superficie le temps de l'usufruit, encore faut-il expliquer en quoi l'usufruitier ne manque pas aux différentes obligations qui constituent, du moins en apparence, un obstacle à cette qualification. D'abord, l'obligation de conserver la substance ne se heurte pas inévitablement à la possibilité, pour l'usufruitier, de construire sur le terrain du nu-propriétaire. En effet, on pourrait très bien considérer que la substance, au-delà d'être conservée, a été améliorée du fait de la plus-value apportée au fonds par la construction. Le nu-propriétaire pourrait même s'en réjouir. Ensuite, l'obligation de restituer le bien en l'état est en effet un obstacle plus difficile à surmonter, car de toute évidence, le bien remis sera constitué d'un terrain et d'une construction. Pourtant, là encore, on ne voit pas le nu-propriétaire s'en plaindre d'autant qu'en vertu de l'article 599, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L3180ABE) "l'usufruitier ne peut, à la cessation de l'usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu'il prétendait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée". Enfin, quant à l'obligation de ne pas modifier la destination du bien, elle apparaît comme le corollaire de la charge précédente, en ce sens que l'absence de contrepartie financière pour la construction édifiée n'est autre que l'agrément que l'usufruitier en retire durant sa jouissance. Mais au-delà d'un simple droit de jouissance, il s'agit d'un véritable droit de propriété temporaire conféré à l'usufruitier. Cela est tellement vrai que la jurisprudence a toujours considéré que le nu-propriétaire ne pouvait demander à l'usufruitier une quelconque indemnité lorsque ce dernier détruit les constructions qu'il a édifiées pendant l'usufruit. Il faut voir dans cette jurisprudence la confirmation du droit de propriété temporaire dont jouit l'usufruitier durant l'usufruit.

Si la confrontation des deux régimes tendait, a priori, à retenir l'accession immédiate des constructions édifiées par l'usufruitier sur le fonds du nu-propriétaire, on se rend compte, eu égard à l'essence même de l'accession et de l'usufruit, qu'il est possible de conclure à l'accession différée. Par conséquent, l'accession différée résulte de la nature des droits propres aux protagonistes de notre affaire -usufruitier-constructeur- et -nu-propriétaire-propriétaire du fonds-. Pourtant, une partie de la doctrine critique ce positionnement jurisprudentiel car selon elle, cette solution favoriserait l'enrichissement du nu-propriétaire et conduirait à l'inaction de l'usufruitier. Si nous souscrivons à cette analyse, il faut bien dire que cela n'est vrai que lorsque l'on ne se préoccupe pas du but poursuivi par l'usufruitier et le nu-propriétaire. Or, dans certains cas, comme dans notre espèce, "l'appauvrissement constitue [...] le but poursuivi, la construction par l'usufruitier étant le moyen d'enrichir le nu-propriétaire" (13). En effet, en cédant la nue-propriété à sa fille, tout en se réservant l'usufruit, l'usufruitier s'assure en construisant que la pleine propriété reviendra à la nue-propriétaire, sans que celle-ci ait eu besoin de financer l'édification, et sans que l'opération soit taxée fiscalement. Assurément, "la construction par l'usufruitier est aujourd'hui [...] une technique d'optimisation juridique et fiscale de gestion du patrimoine" (14). En définitive, si la nature des droits de l'usufruitier n'est pas un obstacle à reconnaître ce dernier propriétaire temporaire des constructions qu'il a édifiées sur le terrain du nu-propriétaire, l'intérêt d'une telle opération justifie aussi que l'on retienne une accession différée.

II - L'opportunité de l'accession différée en matière d'usufruit

L'accession pose deux problèmes fondamentaux : d'une part, il convient de savoir à quel moment s'opère l'accession et, d'autre part, il est nécessaire de se demander si le constructeur a le droit à une indemnité pour la construction qu'il a réalisée sur le fonds du propriétaire. Lorsque le régime de l'accession est envisagé eu égard à l'usufruit, la jurisprudence retient, par exception, l'accession différée tant pour des raisons qui tiennent à la nature de l'usufruit qu'au but poursuivi par ce démembrement (A). En revanche, lorsque l'accession se produit, la jurisprudence est beaucoup moins généreuse avec l'usufruitier, ce dernier n'ayant droit à aucune indemnité (B).

A - Causes de l'accession différée : l'usufruit

Sans qu'il soit utile de revenir sur ce qui pousse la jurisprudence à retenir l'accession différée en matière d'usufruit -nature de l'usufruit et objectif poursuivi par le démembrement-, il appert intéressant de montrer, que c'est bien parce que le constructeur entretient une relation particulière avec le propriétaire du terrain que l'accession est différée. Par principe, l'accession est immédiate en ce sens qu'elle s'opère au profit du propriétaire du fonds au fur et à mesure de l'édification de la construction. Ce principe résulte de la lettre de l'article 552, alinéa 1, du Code civil lequel dispose que "la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous". C'est d'ailleurs le moyen principal invoqué par les demandeurs au pourvoi. La jurisprudence semble aussi aller dans ce sens puisqu'elle énonce que "sauf convention contraire, l'accession s'opère de plein droit" (15). Ainsi, à se conformer à cette jurisprudence, il n'y aurait pas lieu de retenir une accession différée dans notre cas d'espèce. Pourtant, à bien y regarder, ce principe souffre de nombreuses exceptions qui sont liées à la qualité du constructeur et du propriétaire du fonds.

En effet, le législateur et la jurisprudence ont prévu, dans certaines hypothèses, que l'accession ne serait pas immédiate mais différée. Ainsi, par exemple, en matière de bail agricole, "les domaniers peuvent aliéner les édifices et les superficies de leurs tenures pendant la durée du bail" (16). De la même manière, en matière de bail emphytéotique, "l'emphytéote profite du droit d'accession pendant la durée de l'emphytéose" (17). En outre, en matière de bail à construction, "les parties conviennent de leurs droits respectifs de propriété sur les constructions existantes et sur les constructions édifiées. A défaut d'une telle convention, le bailleur en devient propriétaire en fin de bail et profite des améliorations" (18). Ces nombreuses illustrations témoignent de la volonté du législateur de soumettre les constructions édifiées par le preneur à l'accession différée. Cette préoccupation se justifie par la nature particulière des liens qui unissent le constructeur et le propriétaire du fonds. Assurément, on comprendrait mal, par exemple, qu'en matière de bail à construction, dont l'existence s'explique essentiellement par le fait que le preneur s'engage à édifier des constructions sur le terrain du bailleur (19), l'accession ne soit pas différée. Au-delà de ces situations spéciales, la jurisprudence écarte l'accession immédiate lorsqu'elle est en présence d'un bail. En effet, elle considère que "le preneur [...] [reste] propriétaire, pendant la durée de la location, des constructions qu'il [...] [a] régulièrement édifiées sur le terrain loué et que la clause d'accession insérée au bail prévoyant que le bailleur deviendrait propriétaire desdites constructions ne [...] [peut] jouer qu'à la fin du bail [...]" (20). A regarder ces nombreuses exceptions, l'on se dit qu'il n'y a pas de raison qu'il n'en soit pas de même lorsque le constructeur a l'usufruit du fonds sur lequel il construit. En effet, sa situation est précaire, temporaire tout comme le preneur mais ne dispose-t-il pas davantage de droits que ce dernier ? Sans aucun doute, puisqu'il peut non seulement user du bien mais aussi en percevoir les fruits. Par conséquent, la solution de la Cour de cassation doit être saluée en ce qu'elle retient l'accession différée en tenant compte de la relation spécifique, particulière, privilégiée qu'entretiennent l'usufruitier et le nu-propriétaire. En revanche, lorsque l'accession a lieu, il n'y a aucune raison que l'usufruitier puisse obtenir une indemnité pour les constructions qu'il a édifiées, puisqu'il en a profitées, comme un propriétaire, pendant toute la durée de l'usufruit.

B - L'absence d'indemnité au profit de l'usufruitier lors de l'accession

En principe, lorsqu'une personne édifie des constructions sur le terrain d'autrui, ce dernier a droit à une indemnité (21) lorsqu'il est de bonne foi (22). Cette disposition n'est cependant pas applicable lorsque le constructeur est un usufruitier en raison de l'article 599, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L3180ABE) qui interdit à l'usufruitier de réclamer, à la fin de l'usufruit, une indemnité pour les améliorations opérées sur le terrain du nu-propriétaire. Bien sûr, nous remarquerons que le texte évoque seulement les améliorations alors que l'article 555 du même code (N° Lexbase : L3134ABP) vise les constructions nouvelles, les améliorations dépendant du régime des impenses. Pourtant, la jurisprudence considère que l'article 599, alinéa 2, du Code civil s'applique aussi aux constructions nouvelles, les améliorations y devant être assimilées (23). Si cette jurisprudence est naturellement critiquable dans la mesure où il est une chose d'améliorer une construction existante alors qu'il en est une autre d'édifier une construction nouvelle, il n'est pas certain que le sort de l'usufruitier, même en rétablissant chaque notion dans son empire, soit plus favorable. En effet, encore faudrait-il que l'usufruitier-constructeur soit de bonne foi (24) pour obtenir l'indemnité prévue à l'article 555 du Code civil. Or, celle-ci ne s'entendant que comme celui qui "possède comme un propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices" (25), il est évident que l'usufruitier serait qualifié systématiquement de mauvaise foi puisqu'il sait précisément qu'il n'est plus propriétaire en procédant volontairement au démembrement de sa propriété. Aussi, quel que soit le voie empruntée, la solution est identique : l'absence d'indemnité au profit de l'usufruitier. Cette solution satisfait pleinement sans qu'il soit besoin d'en changer dans la mesure où elle répond à l'économie générale de la confrontation de l'usufruit et de l'accession : l'usufruitier disposant d'un droit de superficie tout au long de l'usufruit et lui permettant ainsi de recueillir les fruits de sa construction, le nu-propriétaire ayant vocation à retrouver la pleine propriété de son bien augmentée d'une construction qu'il n'aura pas eu besoin de financer. En définitive, cette solution fait le bonheur tant de l'usufruitier que du nu-propriétaire au détriment, toutefois, de l'administration fiscale...


(1) Adage signifiant que le sol l'emporte sur ce qui est à sa surface.
(2) Cass. civ. 3, 27 mars 2002, n° 00-18.201, FS-P+B (N° Lexbase : A3912AYK), Bull. civ. III, n° 78.
(3) Il s'agit d'un immeuble composé de plusieurs logements loués par le propriétaire à des fins de placement.
(4) En effet, les articles du Code civil relatifs à l'accession ne sont pas d'ordre public de sorte que l'on peut très bien y renoncer ou y déroger par convention à la condition de prévoir le sort des constructions (Cass. civ. 3, 6 novembre 1970, n° 69-11.900 N° Lexbase : A3714CGN, Bull. civ. III, n° 592 ; Cass. civ. 3, 15 janvier 1971, n° 69-12.996 N° Lexbase : A5044CHB, Bull. civ. III, n° 40 ; Cass. civ. 3, 24 juin 1975, n° 74-10.520 N° Lexbase : A8424CIT, Bull. civ. III, n° 215).
(5) Cass. civ. 2, 18 octobre 1989, n° 88-13.878 (N° Lexbase : A3603AHW), Bull. civ. II, n° 192.
(6) Cass. civ. 3, 23 mai 2002, n° 00-17.604, FS-P+B (N° Lexbase : A7173AYC), Bull. civ. III, n° 106.
(7) Exception faite en matière de portefeuille de valeurs mobilières où la nature de ces biens impose à l'usufruitier de faire des actes de disposition à des fins de gestion (Cass. civ. 1, 12 novembre 1988, Bull. civ. I, n° 315, GAJC, 12ème éd., n° 77).
(8) F. Zénati-Castaing et Th. Revet, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 340.
(9) C. civ., art. 578 in fine (N° Lexbase : L3159ABM).
(10) Cass. civ. 3, 11 octobre 1968, n° 66-14.324, Bull. civ. III, n° 377.
(11) Cass. civ. 3, 5 décembre 1968, n° 66-11.052 (N° Lexbase : A2929AUZ), Bull. civ. III, n° 532.
(12) Cass. civ. 3, 11 octobre 1968, préc..
(13) F. Deboissy, Le sort des constructions nouvelles édifiées par l'usufruitier : retour sur une controverse ancienne, in Mél. Ph. Simler, éd. Dalloz, 2006, p. 746.
(14) F. Deboissy, ibid., p. 745.
(15) Cass. civ. 3, 27 mars 2002, préc..
(16) C. rur., art. L. 431-2, alinéa 1er (N° Lexbase : L4106AES).
(17) C. rur., art. L. 451-10 (N° Lexbase : L4150AEG).
(18) CCH, art. L. 251-2 (N° Lexbase : L1056HPS).
(19) CCH, art. L. 251-1, alinéa 1er (N° Lexbase : L1055HPR).
(20) Cass. civ. 3, 4 avril 2002, n° 01-70.061, FS-P+B (N° Lexbase : A4417AYA), Bull. civ. III, n° 82. Toutefois, il convient de préciser que la question se posait de savoir si l'accession avait lieu à la fin du bail originaire ou à la fin des relations contractuelles. La jurisprudence semble avoir opté pour la fin du bail originaire même si cela est défavorable au preneur puisque le bailleur, par le jeu de l'accession, pourra demander l'augmentation du loyer du fait de la plus-value apportée au terrain loué par la construction édifiée (Cass. civ. 3, 27 septembre 2006, n° 05-13.981, FS-P+B+I N° Lexbase : A3478DRA, Bull. civ. III, n° 183).
(21) L'indemnité correspond soit à la plus-value apportée au fonds, soit au coût des matériaux et de la main d'oeuvre (C. civ., art. 555, alinéa 3).
(22) C. civ., art. 555, alinéa 4.
(23) Cass. req., 4 nov. 1885, DP 1886, I, 361.
(24) La bonne foi de l'article 555 du Code civil s'entend par référence à l'article 550 du même code (Cass. civ. 3, 17 novembre 1971, n° 70-13.346 N° Lexbase : A9115CH3, Bull. civ. III, n° 565).
(25) C. civ., art. 550, alinéa 1er (N° Lexbase : L3124ABC). Il convient aussi d'y ajouter le titre putatif (Cass. civ. 1, 5 décembre 1960, Bull. civ. I, n° 527).

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Propriété intellectuelle

[Chronique] Chronique de droit de la propriété intellectuelle - Novembre 2012

Lecture: 17 min

N4277BTL

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par Nathalie Martial-Braz, Professeur de droit privé, Université de Franche-Comté

Le 08 Novembre 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Professeur de droit privé, Université de Franche-Comté. Au sommaire de cette chronique, on retrouvera, tout d'abord, un décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2012, qui met un terme au contentieux relatif au champ d'application du droit de suite, composante du droit d'exploitation propre aux auteurs d'arts graphiques et plastiques. Nathalie Martial-Braz a choisi, ensuite, de commenter un arrêt de la Cour de cassation en date du 17 octobre 2012, par lequel cette dernière renvoi au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions transitoires de la loi du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée en question. Enfin, l'auteur de cette chronique nous livre ses observations à la suite d'un arrêt rendu le 17 octobre 2012 par la première chambre civile de la Cour de cassation sur la délicate question des droits moraux de l'architecte sur son oeuvre.
  • Suite et fin pour la détermination du champ d'application du droit de suite ! (Cass. QPC, 11 juillet 2012, n° 12-40.039, FS-D N° Lexbase : A6686IQP et Cons. const., décision n° 2012-276 QPC du 28 septembre 2012 N° Lexbase : A5382ITI)

Après avoir fait passer, avec succès, n'en déplaise à ses détracteurs, les conditions d'attribution post mortem du droit de suite sous les fourches caudines de la Cour de justice de l'Union européenne (1), voici à présent que la constitutionnalité de la disposition l'encadrant est également interrogée en interne.

Le droit de suite est une composante du droit d'exploitation propre aux auteurs d'arts graphiques et plastiques. Prérogative indéniablement exorbitante, elle assure aux auteurs dont les oeuvres ne sont pas susceptibles de multiples exploitations en raison essentiellement de leur matérialité, une part de rémunération sur la cession du support de l'oeuvre. Le nombre restreint d'exemplaires empêche en pratique d'assurer à l'auteur une certaine rentabilité sur son oeuvre. Ainsi, afin de ne pas priver ce dernier d'une part de rémunération légitime lorsque l'oeuvre aura pris de la valeur au cours du temps, le législateur a prévu dès 1920 (2) la faculté pour l'auteur de percevoir un pourcentage sur les reventes intervenant après la première cession. A l'origine, les conditions de transmission du droit de suite avaient été très largement entendues puisque l'article 2 de la loi de 1920 prévoyait que le droit de suite devait bénéficier "aux héritiers, successeurs irréguliers, donataires ou légataires des auteurs". La loi du 11 mars 1957 modifia toutefois singulièrement la physionomie du droit de suite à travers un double mouvement contradictoire. D'une part, elle a étendu cette prérogative à toutes ventes à l'occasion de laquelle intervient à quelque titre que ce soit un "professionnel du marché de l'art" et non plus seulement faite par l'intermédiaire d'un commerçant. D'autre part, le législateur a restreint le champ d'application du droit de suite en réservant son attribution aux seuls héritiers, à l'exclusion des légataires. C'est ainsi entendu que le droit de suite a été codifié dans les articles L. 122-8 (N° Lexbase : L2843HPY) et L. 123-7 (N° Lexbase : L3378ADH) du Code de la propriété intellectuelle. Ce dernier texte dispose en effet que "après le décès de l'auteur, le droit de suite mentionné à l'article L. 122-8 subsiste au profit de ses héritiers et, pour l'usufruit prévu à l'article L. 123-6 (N° Lexbase : L0305HPY), de son conjoint, à l'exclusion de tous légataires et ayant-cause, pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années suivantes". Or c'est bien cette disposition qui est au coeur de la discorde. Nombre de légataires contestent cette vision restrictive du droit de suite leur faisant perdre une rémunération, qui peut être conséquente, au titre de la mise en oeuvre de ce droit de suite.

Lorsque le législateur européen a consacré un tel droit de suite dans sa Directive CE 2001/84 du 27 septembre 2001 (N° Lexbase : L4714GU7), il a entendu les bénéficiaires du droit de suite très largement puisque sont visés à ce titre à l'article 6 "les ayants droit de l'auteur". Or à l'occasion de la transposition de cette Directive par la loi du 1er août 2006 (loi n° 2006-961, relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L4403HKB), l'article L. 123-7 n'a pas été modifié relativement aux conditions d'attribution du droit de suite. Si bien qu'une première tentative de remise en cause avait été mise en oeuvre pour contester la conformité de l'article L. 123-7 du Code de la propriété intellectuelle à l'article 6 de la Directive 2001/84. La Cour de justice a toutefois jugé cette disposition conforme à la Directive en considérant qu'en vertu du principe de subsidiarité, il appartenait aux Etats de définir les conditions d'attribution d'un tel droit de suite dès lors que la Directive "ne s'oppose pas à une disposition de droit interne, [...], qui réserve le bénéfice du droit de suite aux seuls héritiers légaux de l'artiste, à l'exclusion des légataires testamentaires" (3).

Fort de ne pouvoir obtenir des instances de l'Union la remise en cause de cette disposition bien encombrante, la deuxième attaque des détracteurs du droit de suite, ainsi entendu, est venue en interne et a pris la forme d'une question prioritaire de constitutionnalité. A l'occasion d'un litige opposant la fondation Hans Hartung et Anna Eva Bergman, légataires de ces deux artistes, à la société des Auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), chargée de collecter les droits et de les répartir pour le compte des auteurs, cette dernière refusant de verser à la fondation le fruit du droit de suite au motif que le droit Français ne permet pas une telle attribution au profit des légataires, la constitutionnalité du droit de suite a été mise en doute. En conséquence, la Cour de cassation, saisie de la question de savoir si "les dispositions de l'article L. 123-7 du Code de la propriété intellectuelle en ce qu'elles excluent du bénéfice du droit de suite les légataires contreviennent [...] au principe d'égalité consacré par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen", a jugé cette question prioritaire de constitutionnalité sérieuse et l'a donc renvoyé par un arrêt du 11 juillet 2012 (4) au Conseil constitutionnel chargé de s'interroger sur la constitutionnalité du texte litigieux.

Cet arrêt pouvait laisser aux fondations d'auteurs en particulier, et à tout détracteur du droit de suite dans sa version issue de la loi de 1957 en général, un espoir de voir modifier cette interprétation des conditions d'attribution du droit de suite. Las, cet espoir vient d'être déçu par les Sages de la rue de Montpensier qui ont considéré que cette disposition "qui ne méconnaît pas le principe d'égalité, n'est contraire à aucun droit ou liberté que la constitution garantit".

La messe est dite ! Le droit de suite reste donc réservé aux seuls héritiers à l'exclusion des légataires, au grand dam des fondations fort intéressées dans ce conflit. Une telle conclusion résulte d'une analyse du droit de suite à travers le prisme de sa finalité. En effet, le Conseil constitutionnel considère que le droit de suite n'a d'autre finalité que de conforter la protection des auteurs d'oeuvres graphiques et plastiques et d'étendre cette protection à la famille de l'artiste après son décès. Il convient donc de déduire de cette décision, que la notion de famille ici retenue est des plus stricte et des plus classique. Si l'on peut comprendre cette volonté d'exclure les fondations qui ne sont bien évidemment pas susceptibles d'appartenir à la "famille de l'auteur", il convient toutefois de souligner qu'en choisissant de condamner l'interprétation extensive du droit de suite, le Conseil constitutionnel condamne également tous les légataires de l'auteur, au rang desquels peuvent évidemment figurer des membres de la famille, prise dans un sens plus moderne et plus large. Le droit de suite ne suit donc pas les évolutions contemporaines qui sont celles du droit de la famille et des successions. Au surplus, ne peut-on pas être surpris de cette lecture du droit de suite si l'on considère, ce que rappelle le Conseil constitutionnel, que cette prérogative n'a d'autre finalité que d'assurer la protection de l'auteur, qu'elle ne puisse profiter à ceux que l'auteur a entendu volontairement gratifier de ses droits ? N'y a-t-il pas en effet quelque contradiction à refuser d'étendre le droit de suite à ceux que l'auteur lui-même a entendu associer à ses oeuvres ? Le salut de ces légataires éconduits du bénéfice du droit de suite ne pourra donc plus être désormais obtenu que par une très hypothétique intervention du législateur...

  • La constitutionnalité des dispositions transitoires de la loi du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée en question (Cass. QPC, 17 octobre 2012, n° 12-40.067, FS-P+B+I N° Lexbase : A4235IUE)

Le système mis en place pour la rémunération pour copie privée se construit pas à pas au gré des évolutions jurisprudentielles, entendues au sens large, et législatives. C'est à nouveau ce système qui est au coeur de la tourmente et dont la constitutionnalité des dispositions transitoires est mise en cause dans l'arrêt du 17 octobre 2012 à l'occasion de la contestation par la Société française du radiotéléphone de la licéité des factures émises par la Société pour la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France). Afin de bien comprendre l'enjeu de la décision de la Cour de cassation, et de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a jugé suffisamment sérieuse pour être transmise au Conseil constitutionnel, il convient de revenir à l'origine du mal !

Il a été institué un système, régi par les articles L. 311-1 (N° Lexbase : L4189IRL) et suivants du Code de la propriété intellectuelle, afin de compenser le préjudice subi par les auteurs en raison de la mise en oeuvre de l'exception de copie privée. Cette compensation prend la forme d'une redevance pour copie privée qui doit être supportée en définitive par l'utilisateur à l'origine du préjudice. Cette redevance est collectée par une société de gestion collective, Copie France, qui est mise en cause dans le litige à l'occasion duquel la question prioritaire a été posée. La redevance est perçue auprès des fournisseurs de supports d'enregistrement utilisables pour réaliser de telles copies privées, qui ont toutefois la faculté de reporter le prix de cette redevance sur l'utilisateur final en l'intégrant dans le prix de vente desdits supports. Le montant de la redevance est déterminé par une commission ad hoc, la Commission dite de copie privée. Le système de rémunération (5) qui avait été fixé par la Commission (6) avait pour but de tenir compte du fait que certains supports soient susceptibles d'un usage mixte et puissent être utilisés par des professionnels. Dès lors, pour ces supports dits "hybrides", la commission avait rendu une décision (la décision n° 11 du 17 décembre 2008), par laquelle elle fixait le barème mutualisé de la redevance en tenant compte de la catégorie des supports en cause (CD, DVD, clef USB...).

C'est ce système, qui semblait relativement satisfaisant (7), qui est au coeur de la contestation. Ainsi, il a tout d'abord été remis en cause par le Conseil d'Etat (8) qui a subordonné la perception de la rémunération à la licéité de la source de la copie privée, excluant donc les copies illicites de l'assiette de la redevance. Précision qui a depuis été intégrée par la loi du 20 décembre 2011 (loi n° 2011-1898, relative à la rémunération pour copie privée N° Lexbase : L4174IRZ) dans le dispositif légal contenu à l'article L. 311-8 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L4194IRR).

C'est ensuite de la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt "Padawan" du 21 octobre 2010 (9), qu'est venue la condamnation du système de rémunération pour copie privée. En effet, la Cour de justice a jugé que ce système n'était pas compatible avec la Directive 2001/29 du 22 mai 2001 (N° Lexbase : L8089AU7), dès lors qu'il n'y a pas lieu, pour parvenir au "juste équilibre" requis, d'assujettir à la redevance, sans aucune distinction, tous types de supports de reproduction numérique, "y compris dans l'hypothèse [...] où ceux-ci sont acquis par des personnes autres que des personnes physiques, à des fins manifestement étrangères à celle de copie privée" (10).

C'est pour tenir compte de cette décision, et mettre ainsi en conformité le droit français avec le droit de l'Union européenne que le Conseil d'Etat, par un arrêt du 17 juin 2011 (11), a annulé la décision n° 11 de la Commission de copie privée. Toutefois, afin d'éviter les effets d'aubaine liés à la rétroactivité de la nullité de la décision n°11 qui aurait eu une incidence sur la perception réalisée depuis 2008, le Conseil d'Etat a préféré moduler les effets de son revirement pour l'avenir. Dès lors, il a été décidé, en raison d'une "nécessité impérieuse", que la nullité ne prendrait effet qu'à l'issue d'une période de six mois à compter de son arrêt afin de respecter "le principe de sécurité juridique".

Afin de procéder à la réforme du système et respecter ainsi les prescriptions du droit de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice, le législateur est intervenu par la loi du 20 décembre 2011. Le système de perception de la redevance pour copie privée a donc été modifié au fond en intégrant des distinctions selon le type de supports, leur durée et leur capacité, mais également en élargissant les personnes éligibles au remboursement lorsqu'elles acquièrent des supports "dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée" (12).

Il convenait, par ailleurs, de prévoir des dispositions transitoires afin d'éviter la remise en cause des perceptions réalisées à bon escient, mais en vertu d'une décision annulée, depuis 2008 et tenir compte des litiges en cours. Ces dispositions transitoires ont été posées à l'article 6 qui dans un premier temps (art. 6, I) valide, temporairement et rétroactivement, le système de perception de la décision n° 11 annulée. Validation qui est, toutefois, exclusivement circonscrite dans les termes de l'article L. 311-8 du Code de la propriété intellectuelle dans son ultime rédaction. Sont donc seuls concernés les supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copies privées.

Dans un second temps, l'article 6, II prévoit des dispositions transitoires afin de déterminer les règles applicables aux litiges en cours. Il est en effet prévu que "les rémunérations perçues ou réclamées en application de la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L4193IRQ) au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, qui ont fait l'objet d'une action contentieuse introduite avant le 18 juin 2011 et n'ont pas donné lieu, à la date de promulgation de la présente loi, à une décision de justice passée en force de chose jugée sont validées en tant qu'elles seraient contestées par les moyens par lesquels le Conseil d'Etat a, par sa décision du 17 juin 2011, annulé cette décision de la commission ou par des moyens tirés de ce que ces rémunérations seraient privées de base légale par suite de cette annulation".

Ce sont précisément ces dispositions transitoires qui ont fait l'objet des deux questions prioritaires de constitutionnalité soumise à la Cour de cassation dans son arrêt du 17 octobre 2012.

La première reprochait à l'article 6 de faire revivre des dispositions annulées et la seconde reprochait à cette disposition de remettre en cause les actions contentieuses exercées avant la décision d'annulation que celle-ci avait pris le soin de ménager, l'ensemble au mépris "du principe de la séparation des pouvoirs et au droit à un recours effectif, qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), ainsi qu'au droit de propriété et à la sécurité juridique des sociétés assujetties".

L'irrecevabilité de la première question n'est nullement surprenante, dès lors que le Conseil constitutionnel en avait déjà été saisi le 16 mai 2012 par le Conseil d'Etat (13). Les Sages avaient alors jugé que l'article 6, I était conforme à la constitution dès lors qu'il poursuivait un motif d'intérêt général suffisant, que la portée de la validation contenue dans cette disposition était strictement définie si bien qu'elle ne contredisait pas les décisions de justice ayant force de chose jugée.

En revanche la seconde question, inédite, a été jugée suffisamment sérieuse pour justifier un renvoi auprès du Conseil constitutionnel. Une telle question a-t-elle des chances de prospérer ?

Si la question avait pu se poser à l'égard du I de l'article 6, il ne fait aucun doute en revanche que le paragraphe II constitue bien une validation législative dès lors qu'elle précise l'effet dans le temps de la validation de la décision n° 11 de la Commission sur les décisions en cours. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel (14) prévoit que la constitutionnalité des lois de validation est soumise au respect de certaines conditions. La validation doit tout d'abord poursuivre un but d'intérêt général suffisant, elle doit ensuite respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée, elle doit encore respecter le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, il convient également que l'acte validé ne méconnaisse aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle, et il est enfin nécessaire que la validation soit strictement définie.

Il a été jugé que ces conditions étaient suffisamment remplies à l'égard de l'article 6, I ; en ira-t-il de même pour le second paragraphe de cette disposition ? A l'aune de ce qui a justifié la décision du Conseil constitutionnel, il y a fort à parier que la solution sera identique. La disposition en cause n'a d'autre but que de permettre l'adoption de nouvelles règles de perception conformément au but recherché par le Conseil d'Etat lorsqu'il a modulé dans le temps les effets de l'annulation prononcée le 17 juin 2011. Or c'est précisément par un tel fondement qu'a été justifié l'intérêt général jugé suffisant à l'égard de l'article 6, I. Par ailleurs, la disposition a vocation à régler le sort des instances en cours, elle ne porte donc nullement atteinte à l'autorité de chose jugée. Enfin, si la Cour européenne des droits de l'Homme, imitée en cela par la Cour de cassation (15), défend le droit au recours effectif en affirmant que "le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 [de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme N° Lexbase : L7558AIR), s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dénouement judiciaire du litige (16)", certains (17) jugent qu'un tel motif ne semblent toutefois pas douteux. L'intérêt général serait en effet indéniablement caractérisé dès lors, d'une part, que l'équilibre du système que cherche à préserver la loi du 20 décembre 2011 ne devrait pas être bouleversé au seul profit de quelques uns qui ne recherchent que l'effet d'aubaine provoqué par la décision du Conseil d'Etat. D'autre part, la Cour de justice ayant jugé que le paiement de la compensation équitable, contrepartie du préjudice des auteurs, constituait une obligation de résultat à la charge des Etats membres (18), il semble bien que le système prévu par la loi du 20 décembre 2011, qui permet de maintenir un système de perception en dépit de l'annulation de la décision n° 11 par le Conseil d'état, et ce en attendant une nouvelle décision, constitue le moyen pour l'Etat français de respecter cette obligation de résultat, et partant caractérise là encore cet impératif d'intérêt général nécessaire à l'interventionnisme législatif dans l'administration de la justice.

  • Aux frontières du droit d'auteur de l'architecte (Cass. civ. 1, 17 octobre 2012, n° 11-18-638, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4810IUP)

La question des droits, notamment moraux, de l'architecte sur son oeuvre est une question particulièrement délicate dès lors qu'il convient de tenir compte de la singularité de l'oeuvre créée. D'une part, il y a lieu de tenir compte de certains impératifs techniques qui peuvent amener à modifier l'oeuvre et ce au mépris des droits de l'architecte, son auteur. D'autre part, l'oeuvre créée vit et à ce titre, les droits des occupants, et notamment leur droit de propriété, peuvent venir en concurrence avec ceux de l'auteur de l'oeuvre architecturale. En l'espèce, la Cour de cassation a été exposée à une situation plus originale qui la mettait aux prises avec la question de l'existence même du droit de l'architecte lorsque l'oeuvre, inachevée, laisse la place à une autre création, mitoyenne de la première, sur les cendres du projet initial.

En effet, à la suite de difficultés financières, le projet initial d'immeuble à usage de bureaux conçu par l'architecte n'a pu être entièrement réalisé. Par la suite, les parcelles sur lesquelles devait être érigée la seconde partie de l'oeuvre initiale a été vendue, et un immeuble à usage de bureaux a été construit, mitoyen de celui réalisé par le premier architecte. Ce faisant, ce dernier estimant que cette seconde oeuvre portait atteinte au droit moral dont il est titulaire sur l'oeuvre première, il a demandé la démolition du second immeuble.

La cour d'appel, infirmant en cela la solution des premiers juges, a refusé de faire droit à sa demande, ce que contestait l'architecte dans son pourvoi. Au soutien de celui-ci, il avançait l'idée que n'ayant pas renoncé à son droit moral, bien établi en dépit du caractère inachevé de l'oeuvre, les nouveaux propriétaires ne pouvaient s'affranchir des plans initiaux par lui conçus.

Mais la Cour de cassation a rejeté très nettement ces arguments en se plaçant sur un terrain différent de celui vers lequel le pourvoi tentait de l'attraire. En effet, elle souligne que la question n'était pas celle de la renonciation au droit moral de l'auteur, ce qu'avaient souligné les juges du fond (19), qui n'avaient pas déduit de la situation une telle renonciation à son droit moral, mais qui ont jugé "à bon droit que celui-ci ne faisait pas obstacle à l'édification d'un bâtiment mitoyen dont l'architecture s'affranchissait du projet initial". En d'autres termes, il n'est pas question de renonciation au droit moral, mais bien d'inexistence d'un tel droit à l'endroit du vide laissé par l'inachèvement de l'oeuvre initiale. Que penser de cette solution ?

Elle est indéniablement opportune à l'heure de la crise où nombre de projets architecturaux sont susceptibles, faute de financement, d'être interrompus avant leur complet achèvement. En effet retenir une solution inverse reviendrait à "geler" le terrain sur lequel devait prendre place l'oeuvre initiale dans sa globalité sauf à imposer une contrainte au nouveau propriétaire en l'obligeant, s'il souhaite construire, à achever l'oeuvre initiale, contrainte qui risque fort de peser sur la cession du terrain et de décourager, peut-être, certaines transactions.

Juridiquement, on ne peut manquer de penser que l'oeuvre dessinée par l'architecte peut souffrir de cette construction mitoyenne, et partant porter une atteinte réelle au droit à l'intégrité de son oeuvre, prérogative du droit moral de l'architecte. Toutefois, la solution de la Cour de cassation semble s'inscrire dans la politique de compromis (20) entreprise par le juge dans son appréciation du droit moral de l'auteur. L'équilibre n'est pas chose évidente à trouver, mais c'est certainement celui-ci qui est recherché dans notre espèce, à l'instar de celui obtenu par les juges lorsqu'ils reconnaissent à l'architecte le droit de s'opposer à la destruction de son oeuvre, même inachevée (21), alors que dans le même temps, ils lui interdisent de prétendre à l'intangibilité de son oeuvre qui s'opposerait, par exemple, à des modifications liés au caractère utilitaire de l'oeuvre (22). Il en va ici de la même logique que là... point de droit à l'intangibilité sur une oeuvre inachevée qui s'opposerait à la construction d'une autre oeuvre mitoyenne, au lieu et place d'éléments de l'oeuvre initiale telle qu'imaginée mais nullement réalisée. Le droit de l'auteur ne saurait donc s'étendre au vide laissé par l'inachèvement de l'oeuvre initiale.


(1) CJUE 15 avril 2010, n° C-518/08 (N° Lexbase : A9184EUP), D., 2010, AJ. 1073, obs. J. Daleau ; CCE, 2010, n° 72, comm. Ch. Caron ; Légipresse, 2010, n° 278, p. 446, obs. C. Alleaume ; LEPI, juin 2010, p. 2, obs. C. Bernault ; Propr. Intell., 2010, n° 37, p. 865, obs. V.-L. Benabou ; nos obs in Chronique de droit de la propriété intellectuelle - Juin 2010 (2ème comm.), Lexbase Hebdo n° 400 du 24 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4276BP3).
(2) Depuis la loi du 20 mai 1920, le droit de suite a fait l'objet de nombreuses refontes et modifications notamment à l'occasion des lois n° 57-298 du 11 mars 1957 et n° 2006-961 du 1er aout 2006 (N° Lexbase : L4403HKB), transposant la Directive européenne 2001/84 du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre originale (N° Lexbase : L4714GU7).
(3) CJUE, 15 avril 2010, aff. C-518/08, précité.
(4) Cf. Ch. Caron,, CCE, oct. 2012, comm. 107.
(5) Le système de mutualisation distinguait à l'origine entre les supports "manifestement réservés à un usage professionnel (support entièrement exclus de l'assiette de la redevance) ou à l'inverse, à un usage privé (entièrement soumis alors à la redevance) ou encore qu'ils faisaient l'objet de deux sortes d'usages (support hybrides) : F. Pollaud-Dulian, RTDCom., 2012, p. 124.
(6) La Commission de copie privée rend des décisions afin de déterminer les barèmes de rémunération et afin de tenir compte des évolutions techniques.
(7) F. Pollaud-Dulian, RTDCom., 2012, p. 124, préc..
(8) CE 9° et 10° s-s-r., 11 juillet 2008, n° 298779 (N° Lexbase : A6464D9B).
(9) CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08 (N° Lexbase : A2205GCN), D., 2010. 2646, obs. J. Daleau
(10) CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08, préc., point. 52.
(11) CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2011, n° 324816, publié au Recueil Lebon (N° Lexbase : A7590HTB) ; RTD eur., 2012, 888, obs. D. Ritleng ; D., 2011, 1678.
(12) C. prop. intell., art. L. 311-8.
(13) Cons. const., décision n° 2012-263 QPC, du 20 juillet 2012 (N° Lexbase : A9425IQ7) sur renvoi de CE Contentieux, 16 mai 2012, n° 347934 (N° Lexbase : A5089IL3).
(14) Cons. const., décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 (N° Lexbase : A8015ACT).
(15) Ass. Plén. 23 janvier 2004, n° 03-13.617, publié (N° Lexbase : A8595DAL), D., 2004. 1108, note P.-Y. Gautier ; RTDCiv., 2004, 341, obs. Ph. Théry ; ibid., 371, obs. J. Raynard ; ibid., 598, obs. P. Deumier.
(16) CEDH, 28 octobre 1999, Req. n° 24846/94 (N° Lexbase : A7567AW8), AJDA, 2000, 526, chron. J.-F. Flauss, D., 2000, obs. N. Fricero ; RFDA, 2000, 289, note B. Mathieu ; RFDA, 2000, 1254, note S. Bolle ; RTDCiv., 2000, 436, obs. J.-P. Margénaud.
(17) F. Pollaud-Dulian, RTDCom., 2012. 124, préc..
(18) CJUE 16 juin 2011, aff. C-462/09 (N° Lexbase : A6408HTI), D., 2011, 1816 ; RTDCom., 2011, 551, obs. F. Pollaud-Dulian.
(19) CA Rennes, 8 mars 2011, n° 09/01222 (N° Lexbase : A7968HM3).
(20) M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur, Précis Dalloz, 2009, 1ère éd., n° 544.
(21) CA Versailles, 8 juillet, 1981, D., 1982, IR. 45, obs. Colombet, et sur pourvoi, Cass. civ. 1, 16 mars 1983, n° 81-14454, publié au bulletin (N° Lexbase : A6923CHU), Bull. civ. I, n° 101, RIDA, 1983, n° 117, 80.
(22) CA Paris, 11 juillet 1990, D., 1992, Somm. 17, obs. Colombet ; Cass. civ. 1, 7 janvier 1992, n° 90-17.534, publié (N° Lexbase : A5466AHW), Bull. civ. I, n° 7, D., 1993, 522, note B. Edelman, D., 1993, 88, obs. Colombet.

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Temps de travail

[Jurisprudence] Respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne : la preuve incombe à l'employeur

Réf. : Cass. soc., 17 octobre 2012, n° 10-17.370, F-P+B (N° Lexbase : A7125IUG)

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par Bernard Gauriau, Professeur à l'université d'Angers, Avocat au barreau de Paris (Cabinet Idavocats)

Le 08 Novembre 2012

Neuf personnes ont été engagées en qualité d'éducateurs spécialisés ou de moniteurs-éducateurs soit dans un service d'accueil d'urgence, soit dans les foyers d'une l'association assurant l'hébergement et la prise en charge d'enfants, d'adolescents et d'adultes présentant des difficultés. Ils ont saisi le conseil de prud'hommes car ils estimaient ne pas avoir été payés intégralement de leurs permanences de nuit depuis leur embauche : leurs demandes tendaient au paiement d'heures supplémentaires, de congés payés afférents, de repos compensateurs et de dommages-intérêts pour non-respect des pauses et des repos quotidiens. Faisant droit à leurs demandes, la cour d'appel de Versailles (1) a condamné l'employeur à payer une somme à titre de dommages-intérêts, notamment pour non-respect des dispositions légales relatives aux temps de pause. Sa motivation s'est principalement fondée sur les règles relatives à la charge de la preuve.
Résumé

Les dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0783H9U) relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, qui incombe à l'employeur.

Tout d'abord, selon la cour d'appel, l'employeur n'a pas établi par les pièces produites aux débats que les salariés ont bénéficié d'un temps de pause comme le prévoit l'article 4 de la Directive 93/104 (N° Lexbase : L7793AU8) durant les périodes où ils effectuaient des surveillances nocturnes dans des chambres de veille, entre janvier 2000 et novembre 2006. Le tableau fourni par l'employeur n'établissait aucunement le décompte des temps de pause, il s'avérait trop imprécis alors que la production des plannings hebdomadaires et/ou des fiches horaires en place dans certains établissements depuis novembre 2001, comme l'indiquaient certaines salariées, aurait permis d'opérer des vérifications et des calculs.

Ensuite, selon l'article L. 220-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7706IMD), qui est la transposition de l'article 3 de la Directive 93/104, applicable pour la période considérée entre janvier 2000 et novembre 2006, tout salarié bénéficie d'un repos quotidien minimal de 11 heures consécutives par période de 24 heures. Or, l'employeur n'a fait valoir aucune disposition dérogeant à cet article.

Par ailleurs, les heures de surveillance nocturne accomplies par certains salariés en chambre de veille ne sauraient de ce point de vue être considérées comme temps de repos au regard de la jurisprudence communautaire résultant de l'arrêt du 1er décembre 2005 de la CJCE (2) ainsi que de l'article 2 de la Directive 93/104 qui précise qu'une période de repos n'est pas du temps de travail, ce dernier s'analysant comme un temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l'employeur.

Du reste, tous les plannings hebdomadaires de travail du service d'accueil d'urgence des années 2001 à 2006 révèlent que certains salariés n'ont pas bénéficié d'un repos quotidien minimal de 11 heures consécutives par période de 24 heures lorsqu'ils travaillaient les samedis et/ou les dimanches. Il ressort en effet de ces plannings que leur amplitude horaire de travail pour ces jours là était entre 16 heures et 18 heures continues, les repos ou temps de pause n'étant nullement indiqués sur ces plannings.

La cour de Versailles poursuit en relevant que le seuil communautaire qui résulte de la Directive 93/104 modifiée par la Directive 2000/34/CE (N° Lexbase : L8021AUM) du Parlement et du Conseil du 22 juin 2000, fixant à 11 heures consécutives la période minimale du repos journalier (reprise à l'article L.220-1 du Code du travail applicable à l'espèce), se traduit en droit interne par l'interdiction de dépasser l'amplitude journalière de 13 heures, celle-ci étant définie comme le temps séparant la prise de poste de sa fin. De la même manière que pour le calcul du repos quotidien résultant de la Directive 93/104, celui de l'amplitude journalière doit s'effectuer sur une même journée de 0 heure à 24 heures.

En résumé, pour les magistrats versaillais, tous ces salariés étaient fondés à demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non respect des règles communautaires et nationales.

Dans son pourvoi, l'employeur fit valoir tout d'abord que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. En le condamnant, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG). Ensuite, la charge de la preuve des heures effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties. En jugeant que n'était pas établi le fait que les salariés aient bénéficié d'un temps de pause pendant les périodes où ils effectuaient les surveillances nocturnes, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-14 du Code du travail (N° Lexbase : L9122H9Q).

Selon ce texte en effet, "En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable".

La Cour de cassation va pourtant rejeter le pourvoi en ces termes : "Mais attendu que les dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, qui incombe à l'employeur...".

Cet arrêt est intéressant parce qu'il contribue à affiner sous un éclairage communautaire le champ d'application de l'article L. 3171-4 du Code du travail, lequel est l'objet d'une jurisprudence déjà nourrie.

I - Sur la substance de l'article L.3171-4 du Code du travail

Les litiges relatifs au nombre d'heures accomplies se focalisent assez souvent sur le nombre d'heures supplémentaires accomplies. Quoiqu'il en soit, ce texte introduit ce qu'il est convenu d'appeler un partage de la charge de la preuve à l'issu duquel le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par l'employeur et par le salarié. S'il s'avère que les éléments apportés par l'un et l'autre ne sont pas suffisants pour convaincre le juge de l'existence ou de l'absence d'heures supplémentaires, ce dernier peut ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

  • Sur la répartition de la charge de la preuve

La particularité de ce texte résulte dans le fait que, la preuve des heures litigieuses n'incombant spécialement à aucune des parties, le juge ne peut rejeter une demande d'heures complémentaires ou supplémentaires en se fondant sur la seule insuffisance des preuves apportées par une seule des parties (3).

Singulièrement, il lui appartient de rechercher, en fonction du salaire horaire du salarié, si la totalité des heures supplémentaires avait été payée (4). Pour ce faire, il doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectués par le salarié (5). Parallèlement, il n'appartient pas au juge de rechercher si les heures supplémentaires litigieuses ont été accomplies avec l'accord de l'employeur dès lors que l'employeur lui-même n'a pas soutenu que ces heures supplémentaires ont été accomplies contre sa volonté (6). Ainsi, la Cour de cassation a pu reprocher à une cour d'appel d'avoir fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, alors qu'elle n'avait pas recherché, si les heures supplémentaires du salarié correspondaient, à un surcroît de travail et si elles avaient été effectuées avec l'accord au moins tacite de l'employeur (7).

  • Sur les éléments de preuve

En pratique, les acteurs du contentieux savent que l'exercice probatoire bute souvent sur la matérialité des éléments de preuve.

La jurisprudence a pu considérer que la preuve de l'existence d'heures supplémentaires n'était pas forcément rapportée par des tableaux de service, des calendriers d'atelier, des fiches d'intervention et des attestations produites (8), ou qu'elle n'était pas établie lorsque les éléments produits par le salarié sont inexploitables et se trouvent contredits par les feuilles de routes, contresignées des parties, versées par l'employeur (9). En revanche, caractérise la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires réalisés, permettant à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments, la fourniture par un salarié de notes de service, d'un certificat du directeur et des décomptes (10). Si l'employeur ne prend pas les mesures pour s'assurer que les salariés remplissent les feuilles de route instituée par la convention collective, la preuve des horaires de travail peut être valablement rapportée par des feuilles de présence (11).

La jurisprudence a ainsi considéré que les tableaux établis par une salariée à une date indéterminée, sans documents réalisés au jour le jour et sans détails sur les tranches horaires, constituaient des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre par ses propres éléments (12), ce qui a pu susciter quelques critiques, puisqu'il peut suffire au salarié de présenter un brouillon pour que l'employeur ait ensuite à répondre pour en contester la substance. Ainsi la Cour de cassation a t-elle admis que constituait un élément de faits suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés, un décompte établi par le salarié au crayon, calculé mois par mois, sans autre explication ni indication complémentaire, auquel l'employeur pouvait répondre (13). Il en est de même pour les plannings mensuels produit par un salarié, correspondant à des documents prévisionnels, constituent des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments (14). Egalement, des fiches de temps établies par le salarié permettent valablement de rapporter la preuve des heures supplémentaires effectuées, lorsque le salarié était tenu, par l'employeur, d'établir de telles fiches (15), ou encore une attestation établie par le conseiller qui l'a assisté lors de l'entretien préalable au licenciement (16), voire des enregistrements chronotachygraphiques fournis par le salarié (17) ou des bordereaux de remises de marchandises à différents transporteurs (18).

Le salarié, qui produit un document manuscrit établi année par année sur les dimanches et jours fériés travaillés et les sommes qu'elle aurait ainsi reçues en espèce pour les années 2002, 2004, 2005, 2006 et 2007, étaye suffisamment sa demande (19), de même qu'un document intitulé récapitulatif des heures de route récapitulant, semaine après semaine, les heures permettant à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments (20).

Ajoutons que, par un arrêt du même jour que celui ici commenté, la Chambre sociale a jugé que l'utilisation du chèque emploi-service universel (CESU) ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail relatives à la preuve de l'existence ou du nombre d'heures de travail accomplies (21). Ce qui nous conduit à envisager le champ d'application de cet article.

II - Sur le champ d'application de l'article L. 3171-4 du Code du travail

La Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser les limites du champ d'application de cet article, soit pour inclure, soit pour exclure certaines situations.

  • Situations relevant du champ d'application du texte

A l'occasion de son licenciement, une assistante maternelle a contesté celui-ci et réclamé le paiement de diverses sommes. Pour la débouter de sa demande tendant au paiement de rappels de salaire, des congés payés afférents ainsi qu'à la remise des bulletins de paie et d'une attestation Assedic rectifiés, les juges du fond (en l'occurrence un conseil de prud'hommes statuant en dernier ressort) avaient considéré que les articles 6 (N° Lexbase : L1116H44) et 9 (N° Lexbase : L1123H4D) du Code de procédure civile rappellent respectivement qu'à l'appui de leurs prétentions les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et d'en rapporter la preuve conformément à la loi. Faute d'avoir satisfait à cette exigence, la salariée ne permettait pas de calculer le rappel de salaire auquel elle prétendait. La Cour de cassation a cassé le jugement en deux temps.

Tout d'abord, elle a rappelé qu'en principe les dispositions du Code du travail relatives à la durée du travail ne sont pas applicables aux assistants maternels employés par les particuliers qui sont soumis à la convention collective nationale du 1er juillet 2004. Ce rappel s'évince de la simple lecture du Code de l'action sociale et des familles qui a accueilli les dispositions anciennement nichées dans le Code du travail, à l'occasion de la recodification du Code du travail. L'article L. 432-2 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L6101ISR) nous fournit toutefois la liste des dispositions du Code du travail qui s'appliquent toujours aux assistants maternels. Les seuls éléments qui pourraient relever d'une sémantique associée à la durée du travail sont relevés aux points 10° à 12° : la journée du 1er mai, la durée des congés payés, le congé pour évènements familiaux. Par ailleurs, certaines dispositions du Code de l'action sociale et des familles reprennent expressément des dispositifs inclus par ailleurs dans le Code du travail. Ainsi l'article L. 423-21 (N° Lexbase : L4191H8Q) prévoit-il un repos quotidien d'une durée minimale de onze heures consécutives, l'article L. 423-22 (N° Lexbase : L4192H8R) précise-t-il que la salariée ne saurait être employée plus de 6 jours consécutifs ou encore que s'applique à elle un plafond des 48 heures hebdomadaires en moyenne sur 4 mois (sauf accord de l'intéressé pour y déroger).

Ensuite, dressant une limite au principe ainsi rappelé, la Cour de cassation d'ajouter que les dispositions issues de l'article L. 3171-4 du Code du travail relatives à la preuve de l'existence ou du nombre des heures effectuées demeurent applicables. En conséquence, le conseil de prud'hommes, qui avait fait peser la charge de la preuve de l'existence et du nombre d'heures de travail accomplies sur la seule salariée, avait violé le texte susvisé (22). C'est donc que la Cour de cassation opère un "distingo" entre temps de travail et preuve du temps de travail (23) préférant en quelque sorte appliquer une loi spéciale plutôt que la loi générale qui régit la charge de la preuve.

  • Situations ne relevant pas du champ d'application du texte, le respect des seuils et plafonds communautaires

Pourquoi donc exclure l'application du texte litigieux lorsqu'il n'est pas question de la charge de la preuve des heures de travail mais de la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'UE, qui incombe à l'employeur ?

On pouvait en effet considérer qu'une interrogation sur le respect du repos quotidien de 11 heures équivalait à une interrogation sur l'amplitude de la journée de travail (13 heures) et équivalait donc à une interrogation sur le nombre d'heures de travail accomplies. Il s'agissait au fond des deux faces d'une même médaille, la problématique attachée au temps effectué suscitant en creux une problématique sur le repos accompli.

Cette question imposait à un moment ou à un autre le calcul du temps accompli ou du temps de repos accompli, donc un calcul horaire et la preuve de ce temps.

On sait que la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que si la preuve est partagée en matière d'heures supplémentaires, il en est autrement pour prouver l'existence d'une convention de forfait. En effet, c'est celui qui l'invoque qui doit apporter la preuve de son existence (24).

On sait, par ailleurs, qu'en matière de litige relatif à l'existence d'un compte épargne temps, la Cour de cassation, sous le visa du texte qui nous retient ici, fait au contraire jouer la répartition de la charge de la preuve entre employeur et salarié (25) : "en cas de litige relatif à l'existence d'un compte épargne-temps et de son alimentation en jours de congés annuels et en jours de réduction du temps de travail pour les jours de travail effectués par le salarié au-delà d'une convention de forfait jours, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les jours effectivement travaillés par le salarié et pouvant donner lieu à affectation à un compte épargne-temps dans les conditions et limites définies par la convention ou l'accord collectif de travail ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'ainsi la preuve n'incombe spécialement à aucune des parties, et le juge ne peut, pour rejeter la demande d'affectation de ces jours sur un compte épargne-temps, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié mais doit examiner les éléments de nature à justifier l'existence et l'alimentation de ce compte que l'employeur est tenu de lui fournir".

Dans l'espèce qui nous retient ici, la Chambre sociale introduit un paramètre fort intéressant : "les dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, qui incombe à l'employeur".

La Cour de cassation distingue le temps accompli du temps non accompli, c'est-à-dire le repos. La Cour de cassation distingue surtout, en l'isolant, la question des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, pour soumettre ceux-ci à un régime probatoire qui pèse sur le seul employeur.

S'agissant du temps accompli, pour lequel le régime probatoire spécifique de l'article L. 3171-4 est applicable, la Cour de cassation ne fait pas autre chose que respecter la lettre même du texte qui vise les litiges relatifs "à l'existence ou au nombre d'heure de travail accomplies". Mais cette référence à un nombre d'heures accomplies ne saurait pour autant être pris au pied de la lettre. L'application du dispositif probatoire à la justification des jours effectivement travaillés par le salarié et pouvant donner lieu à affectation à un compte épargne-temps en est la preuve, si l'on peut dire. C'est bel et bien le temps accompli et non les heures accomplies qui importe ici.

C'est pourquoi l'arrêt du 21 novembre 2000 (précit.) pourrait surprendre, au premier abord. A la vérité, la preuve ne portait pas sur un temps accompli mais sur l'existence d'une convention de forfait-jour, ce qui est fort différent.

Dans ce contexte, le présent arrêt du 17 octobre 2012 ne saurait lui non plus totalement surprendre puisqu'il ne s'agit pas de prouver un temps accompli mais du respect d'un temps de repos. La Cour de cassation évite de peu le reproche d'un certain byzantinisme dans cette affaire, pour les raisons que nous évoquions plus haut, relatif à cette médaille à deux faces qu'est la durée du travail, faite de temps accompli et de repos.

Mais c'est surtout la référence au droit communautaire qui doit in fine retenir notre attention. Ce respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, dont la preuve incombe à l'employeur, focalise l'attention sur l'origine de la législation applicable, fruit d'une transposition en droit interne. En quoi la référence au droit communautaire joue-t-elle ?

La réponse se trouve dans l'arrêt rendu par la CJCE le 1er décembre 2005 (dans l'affaire C-14/04) relatif à la mise en cause du décret n° 2001-1384 (N° Lexbase : L0952AW8) (qui réglementait le régime d'équivalence applicable aux travailleurs au service de certains établissements sociaux et médico-sociaux) pour non-conformité envers la Directive 93/104/ CE du 23 novembre 1993 à laquelle a succédé la Directive n°2003/88/CE du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM).

Chacun sait que le décret du 31 décembre 2001 (N° Lexbase : L0952AW8) fut, à la suite de cet arrêt, annulé par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 28 avril 2006 (27) car "entaché d'illégalité en tant qu'il ne fix[ait] pas les limites dans lesquelles devait être mis en oeuvre le régime d'équivalence créé pour garantir le respect des seuils et plafonds communautaires". Le Conseil d'Etat a, notamment décidé que "si la Directive ne fait pas obstacle à l'application des rapports d'équivalence aux durées maximales de travail fixées par le droit national, il ne saurait en résulter une inobservation des seuils et plafonds communautaires".

Cette Directive a pour objet de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant notamment la durée du temps de travail (27).

Dans cet arrêt du 1er décembre 2005, la CJCE rappelle qu'elle a déjà jugé à plusieurs reprises que, au regard tant du libellé de la Directive 93/104 que de la finalité et de l'économie de celle-ci, les différentes prescriptions qu'elle énonce en matière de durée maximale de travail et de temps minimal de repos constituent des règles du droit social communautaire revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé. Cette solution fut d'ailleurs reprise par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 29 juin 2011 (28).

Ainsi la Cour a-t-elle relevé que le respect de tous les seuils ou plafonds prévus par la Directive 93/104 dans le but de protéger de manière efficace la sécurité et la santé des travailleurs doit être assuré par les États membres.

Par ailleurs, cet arrêt se situe dans le droit fil d'un certain nombre d'arrêts déjà rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui ont tous en commun de vérifier le respect des seuils et plafonds communautaires. Mais il en est la traduction au plan probatoire en quelque sorte.

Ainsi relève-t-on un arrêt du 26 mars 2008 (29) indiquant qu'il "ne peut être tenu compte d'un système d'équivalence, au sens de l'article L. 212-4 5e alinéa, du Code du travail, pour vérifier, en matière de temps de travail effectif, le respect des seuils et plafonds communautaires fixés par la Directive 93/104/CE du Conseil, telle qu'interprétée par la Cour de justice des Communautés européennes (30), dont celui de la durée hebdomadaire maximale de 48 heures" et un autre arrêt du 24 septembre 2008 reprenant mot pour mot le même attendu (31), de même que deux arrêts du 20 janvier 2010 (32) ou encore un arrêt en date du 30 juin 2010 (33).

Dans ce courant jurisprudentiel, un arrêt du 23 septembre 2009 (34), précise que le seuil communautaire, qui résulte de la Directive 93/104/CE du Conseil du 31 décembre 1993, modifiée par la Directive 2000/34 CE du Parlement et du Conseil du 22 juin 2000, fixant à 11 heures consécutives la période minimale du repos journalier, se traduit en droit interne par l'interdiction de dépasser l'amplitude journalière de 13 heures, celle-ci étant définie comme le temps séparant la prise de poste de sa fin.

La référence aux prescriptions minimales et au respect des seuils et plafonds explique pourquoi la Chambre sociale de la Cour de cassation procède en quelque sorte à l'extraction de ces dispositions du champ d'application de l'article L. 3171-4 du Code du travail.

Cet impératif catégorique qui s'impose aux Etats-membres, dont la France, explique très probablement pourquoi la Cour de cassation subordonne la démonstration de son respect à un régime probatoire simple. La charge de la preuve en incombe pour cette raison au seul employeur, tenu par une obligation générale de prévention en matière de santé (et de sécurité) dans l'entreprise. Les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du Code du travail en sont une illustration connue de tous.

Décision : Cass. soc., 17-10-2012, n° 10-17.370, F-P+B (N° Lexbase : A7125IUG)

Textes visés : Directive 93/104 (N° Lexbase : L7793AU8), art. L. 3171 -4 du Code du travail (N° Lexbase : L0783H9U).

Mots-clés : Temps de travail, seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, charge de la preuve des heures de travail

Liens base: (N° Lexbase : E0595ET9)


(1) CA Versailles, 17ème ch., 24 février 2010, n° 08/02869 (N° Lexbase : A2555EWK).
(2) CJUE, 1er décembre 2005, aff. C-14/04 (N° Lexbase : A7836DLS).
(3) Cass. soc., 6 février 2001, n° 98-45.850 (N° Lexbase : A3589ARD), Cass. soc., 5 juin 1996, n° 94-43.502 (N° Lexbase : A4101AA7), Cass. soc., 3 juillet 1996, n° 93-41.645 (N° Lexbase : A9574AAT), Cass. soc., 16 octobre 2002, n° 00-46.245, inédit (N° Lexbase : A2570A3L), Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-46.197, inédit (N° Lexbase : A1197A44), Cass. soc., 8 janvier 2003, n° 00-45.061, inédit (N° Lexbase : A5994A4R).
(4) Cass. soc., 20 janvier 1999, n° 97-40.286 (N° Lexbase : A3083AGB).
(5) Cass. soc., 16 juin1998, n° 95-42.263 (N° Lexbase : A4138AAI).
(6) Cass. soc., 20 octobre 2010, n° 08-70.433, F-P+B (N° Lexbase : A4163GC8).
(7) Cass. soc., 17 novembre 2010, n° 09-42.104, F-D (N° Lexbase : A5831GK8).
(8) Cass. soc., 5 octobre 2011, n° 10-23.990, F-D (N° Lexbase : A6076HYP).
(9) Cass. soc., 5 octobre 2011, n° 10-19.908, F-D (N° Lexbase : A6086HY3).
(10) Cass. soc., 23 novembre 2011, n° 10-24.279, F-D (N° Lexbase : A0177H3X).
(11) Cass. soc., 10 janvier 2012, n° 10-28.027, FS-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A5285IAY).
(12) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-26.298, F-D ([LXB =A8696IBP]).
(13) Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7544GLY).
(14) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-28.499, F-D (N° Lexbase : A8996IBS).
(15) Cass. soc., 19 janvier 1999, n° 96-45.628 (N° Lexbase : A9606AAZ).
(16) Cass. soc., 27 mars 2001, n° 98-44.666, F-D (N° Lexbase : A0975ATB).
(17) Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-45.543, inédit (N° Lexbase : A7351A4Z).
(18) Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06 -41.706, F-P+B (N° Lexbase : A3134DXD).
(19) Cass. soc., 21 juin 2011, n° 10-10.833, F -D (N° Lexbase : A5217HUR).
(20) Cass. soc., 5 juillet 2011, n° 10-11.279, F-D (N° Lexbase : A9523HUA).
(21) Cass. soc., 17 octobre 2012, n° 10-14.248, FS-P+B (N° Lexbase : A7065IU9).
(22) Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-19.684, FS-P+B (N° Lexbase : A4989HTX).
(23) V. T. Lahalle, note sous Cass. soc., 8 juin 2011, préc., JCP éd. S, 2011, 1375
(24) Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-44.026, publié (N° Lexbase : A7534AXC).
(25) Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-45.361, F-D (N° Lexbase : A0471ESA).
(26) CE 1° et 6° s-s-r., 28-04 -2006, n° 242727 (N° Lexbase : A3809DPR).
(27) CJUE, 26 juin 2001, aff. C-173/99 (N° Lexbase : A1717AWI) Rec. p. I-4881, point 37.
(28) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-14.743, FS-P+B (N° Lexbase : A6493HUZ).
(29) Cass. soc., 26 mars 2008, n° 06-45.469, FS-P+B (N° Lexbase : A6058D7I).
(30) CJUE, 1er décembre 2005, aff. C-14/04 (N° Lexbase : A7836DLS).
(31) Cass. soc., 24 septembre 2008 , n° 07-44.265, F-D (N° Lexbase : A5044EA3).
(32) Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 07-45.498 (N° Lexbase : A4590EQ3) ; Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 07-45.499, F-D (N° Lexbase : A4591EQ4).
(33) Cass. soc., 30 juin 2010, n° 08-70.416, F-D (N° Lexbase : A6696E3E).
(34) Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44.226, F-D (N° Lexbase : A5792EL4).

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