La lettre juridique n°850 du 14 janvier 2021

La lettre juridique - Édition n°850

Baux commerciaux

[Jurisprudence] Bail commercial et QPC : l’absence de plafonnement de l’indemnité d’éviction est-elle susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur ?

Réf. : Cass. QPC, 10 décembre 2020, n° 20-40.059, FS-P+I (N° Lexbase : A581539A)

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N6045BYK

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par Sarah Andjechaïri-Tribillac, Maître de conférences en droit privé à l’Université Perpignan Via Domitia, Centre de droit économique et du développement (EA n° 4216)

Le 13 Janvier 2021


Mots-clés : bail commercial • QPC • refus de renouvellement • indemnité d’éviction • valeur vénale du fonds de commerce • absence de plafond • caractère sérieux • atteinte au droit de propriété du bailleur • renvoi au Conseil constitutionnel

En retenant que l’indemnité d’éviction doit notamment comprendre la valeur vénale du fonds de commerce défini selon les usages de la profession sans prévoir de plafond, de sorte que le montant de l’indemnité d’éviction pourrait dépasser la valeur vénale de l’immeuble, l’article L. 145-14 du Code de commerce est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.


Le statut des baux commerciaux, protecteur des locataires, est la cible des bailleurs. Face à la différence de traitement qu’engendre le statut des baux commerciaux, ces derniers n’hésitent plus à contester certaines dispositions par le biais de QPC portées devant la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

À ce jour, aucune des questions prioritaires de constitutionnalité posées n’a abouti à la conclusion selon laquelle les dispositions du statut des baux commerciaux méconnaîtraient un droit ou une liberté du bailleur que la Constitution garantit [1]. Du reste, jusqu’au 7 mai dernier, aucune question prioritaire de constitutionnalité n'avait été transmise au Conseil constitutionnel faute de présenter un caractère sérieux. La troisième chambre civile de la Cour de cassation avait souhaité paralyser toute contestation du statut des baux commerciaux [2]. Au demeurant, dans la décision du 7 mai 2020, les Sages du Conseil constitutionnel ont prononcé la conformité à la Constitution du dernier alinéa de l'article L. 145-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L5035I3U), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 (N° Lexbase : L4967I3D).

Dans la décision du 10 décembre 2020, c’est au tour de l’article L. 145-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5742AII), relatif au refus de renouvellement du bail commercial, d’être sous la loupe de la troisième chambre civile. La Cour de cassation a considéré que la question posée par la société bailleresse présente un caractère sérieux, en ce que, en retenant que l'indemnité d'éviction doit notamment comprendre la valeur vénale du fonds de commerce définie selon les usages de la profession sans prévoir de plafond, de sorte que le montant de l'indemnité d'éviction pourrait dépasser la valeur vénale de l'immeuble, la disposition contestée est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur. Il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC.

I. L’indemnité d’éviction : une protection des intérêts du locataire

Au terme du bail commercial, le locataire peut prétendre au renouvellement du contrat auprès du bailleur afin de profiter, pour une durée minimum de neuf ans, d’une stabilité matérielle nécessaire à la pérennité du fonds qu’il exploite et à la valorisation de celui-ci.

Ce droit au renouvellement du locataire, d’ordre public, n’est pourtant pas absolu. Selon les dispositions de l’article L. 145-14 « le bailleur peut refuser le renouvellement du bail », il sera alors tenu d’indemniser le locataire en lui versant une indemnité d’éviction [3], c’est ce qu’on appelle la « propriété commerciale » [4], qui se distingue du droit de propriété du bailleur, lequel est un droit réel.

L’indemnité d’éviction vient réparer le préjudice subi par le locataire en raison du défaut de renouvellement du bail. Cette indemnité peut être fixée à l’amiable entre les parties. En pratique, elle est fixée par un expert choisi par les parties. Mais en cas de désaccord des parties, l’indemnité d’éviction est fixée par le tribunal, qui, très souvent, se fondera sur l’évaluation d’un expert judiciaire, désigné dans le cadre de la procédure en fixation de l’indemnité d’éviction. Le juge du fond est tenu de préciser les éléments du préjudice qu’il entend réparer et chiffrer les préjudices sans les forfaitiser [5].

L’indemnité d’éviction s’apprécie, selon l’alinéa 2 de l’article L. 145-14 du Code de commerce, notamment en considération de « la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur ». Si le texte énonce de manière explicite que cette indemnité comprend, au titre de l’indemnité principale, la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, il n’exclut pas que l’indemnité principale pourra être appréciée différemment si « le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. »

En effet, l’indemnité d’éviction doit réparer le préjudice subi par le locataire [6] et rien que le préjudice causé par le refus de renouvellement du bail [7]. Il s’ensuit que le préjudice subi par le locataire sera différent selon que le locataire perd ou non sa clientèle du fait du non-renouvellement. L’éviction du locataire entraîne soit la perte du fonds de commerce, soit un simple déplacement du fonds de commerce sans perte significative de clientèle. Autrement dit, si le fonds peut être transféré, c’est-à-dire si le locataire peut se réinstaller et poursuivre son exploitation sans subir une perte significative de sa clientèle [8], notamment en raison du caractère très spécifique de l'activité du locataire [9], l’indemnité versée sera une indemnité dite de déplacement calculée en fonction de la valeur du droit au bail. A contrario, si le locataire subi une perte de son fonds, l’indemnité versée sera une indemnité de remplacement du fonds.

Cependant, si la valeur du droit au bail s’avère supérieure à la valeur du fonds [10], notamment en raison de la situation très attractive du local, la jurisprudence a posé le principe selon lequel l’indemnité d’éviction sera calculée en fonction de la valeur du droit au bail [11]. La valeur du droit au bail constitue donc une indemnisation minimale à laquelle peut prétendre le locataire évincé. Elle est une valeur plancher en deçà de laquelle l’indemnité d’éviction ne pourra pas être fixée [12].

En outre, et c’est sur ce point que la Cour de cassation porte son attention, l’alinéa 2 de l’article L. 145-14 ne fait état d’aucun plafond de l’indemnité d’éviction. Cette absence de plafonnement de l’indemnité d’éviction est protectrice des intérêts du locataire. En effet, il faut rappeler que l'indemnité versée au locataire est destinée à compenser l’intégralité du préjudice causé par l'éviction, lequel peut être soit une perte du fonds, soit une perte du bail. Le fonds comme le droit au bail sont tous deux des éléments patrimoniaux du locataire. En cas de non-renouvellement du bail, l’un ou l’autre de ces actifs sont voués à disparaître du patrimoine du locataire. Dès lors, il importe que le locataire bénéficie d’une véritable compensation financière, quel que soit le montant de l'indemnité et sans qu’il n’existe de limite liée à la valeur vénale de l’immeuble [13].

Dans l’arrêt commenté, il faut souligner le caractère monovalent de l’immeuble loué. La locataire exploite une activité d’hôtellerie. De la sorte, il est fort probable que, s’agissant de la nature du préjudice causé, l'éviction de l’hôtel ait entraîné la perte du fonds hôtelier.

Si à l’évidence l’absence de plafond protège les intérêts du locataire, qu’en est-il des intérêts du bailleur lorsque le montant de l’indemnité d’éviction dépasse la valeur vénale des murs ?

Il est de principe que la perte du fonds du locataire est le préjudice maximal qui peut résulter du non-renouvellement du bail, il en résulte donc que la valeur vénale du fonds de commerce constitue le plafond de l’indemnité principale à laquelle le locataire évincé peut prétendre [14]. Mais est-ce suffisamment protecteur pour le bailleur ? Une réponse négative s’impose. En effet, même si la valeur vénale du fonds constitue le plafond de l’indemnité principale, cela n’empêche aucunement le montant de l’indemnité d’éviction de dépasser la valeur vénale de l’immeuble. Ce « plafond » que constitue la valeur vénale du fonds n’est pas un plafond légal. Aucun seuil maximal ou indice maximal n’a été arrêté à l’instar du plafonnement du loyer renouvelé ou révisé. Or, dans l’arrêt commenté, cette absence de prévision d'un plafond du montant de l'indemnité d'éviction est, pour la Cour de cassation, susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur.

II. L’absence de plafonnement du montant de l’indemnité d’éviction : une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur ?

Le droit au renouvellement du bail dont bénéficie le locataire n’est pas absolu, le bailleur en tant que propriétaire foncier est en droit de refuser ledit renouvellement afin de récupérer la jouissance de son immeuble, mais il doit en principe payer une indemnité d'éviction. Cependant, si l’indemnité d’éviction s’avère supérieure à la valeur vénale de l’immeuble loué, le congé donné par le bailleur est illusoire. En effet, se trouvant dans l’incapacité de payer à son locataire une somme excessive, le bailleur est contraint d’accorder le renouvellement du bail commercial alors qu’il ne le souhaitait pas [15] ; de la sorte, par cette absence de plafonnement, le locataire peut continuer d’exploiter son activité dans les lieux loués. Il bénéficie d’un « droit au renouvellement presque illimité, et peut même tirer profit des murs s’il décide de céder son bail, à la différence du bailleur qui ne peut mettre fin au contrat de bail commercial » [16] et user librement de son immeuble.

Au demeurant, comment le bailleur peut-il financer l’indemnité d’éviction, lorsque la valeur vénale de l’immeuble est inférieure au montant de l’indemnité d’éviction, dans la mesure où la vente même de l’immeuble n’y suffirait pas ? Pour couvrir le montant de l’indemnité, le bailleur devra en sus s’endetter en ayant recours à un emprunt. Autrement dit, tandis que l’immeuble est censé constituer un actif dans le patrimoine du bailleur, en pareil cas, il est une dette : le prix de vente des murs étant insuffisant pour couvrir l’indemnité d’éviction. Le fait d’être propriétaire coûte plus d’argent que la valeur de l’immeuble.

L’absence de plafonnement de l’indemnité d’éviction du statut des baux commerciaux semble faire primer la propriété commerciale du locataire sur la propriété immobilière du bailleur [17] garantie par les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 [18]. Plus avant, c’est le locataire qui semble bénéficier à travers l’indemnité d’éviction de la valeur de l'immeuble du bailleur [19].

Il est vrai que, durant plusieurs années, au minimum neuf ans, le bailleur a perçu les fruits civils de son immeuble que lui confèrent les prérogatives du droit de propriété, mais il faut rappeler que le droit de propriété est intemporel et n’a pas vocation à disparaître dès que le bailleur est dans l’impossibilité de faire face au montant de l’indemnité d’éviction en raison d’une valeur vénale de l’immeuble inférieure.

Le renvoi de la QPC devant le Conseil constitutionnel pourrait aboutir au même constat, à savoir une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur, et conséquemment imposer au législateur de revoir le mécanisme de l’indemnité d’éviction, voire d’élaborer un plafonnement de l’indemnité d’éviction à l’instar de certains pays qui ont prévu une indemnité d'un montant limité. En effet, « des pays comme la Belgique, l'Espagne, la Grèce, l'Italie, le Portugal ont prévu une indemnité d’éviction établie à un chiffre forfaitaire égal à quelques années de loyer » [20]. Mais fixer un montant limité pour le statut des baux commerciaux français serait remettre en cause la propriété commerciale du locataire qui est l’essence même du statut des baux commerciaux ainsi que l’esprit dudit statut, lequel consiste à assurer aux locataires une grande protection de leurs intérêts économiques, a fortiori lorsqu’en l’absence de définition légale de modes d’évaluation de l’indemnité d’éviction, il existe plusieurs méthodes d’évaluation de la valeur d'un fonds de commerce susceptibles d’être appliquées conjointement [21]. La méthode utilisée [22] va différer d’un expert à un autre et d’une activité à une autre. Dès lors, quels éléments seraient à considérer pour fixer le plafonnement de l’indemnité d’éviction ? Cela paraît très hasardeux, au surplus lorsque l’évaluation de l’indemnité d’éviction est suffisamment délicate à déterminer. Il apparaît difficile de concevoir que le Conseil constitutionnel remette en cause ledit statut et, par voie de conséquence, la propriété commerciale du locataire, elle aussi protégée par le droit de propriété [23], en prononçant l’inconstitutionnalité de l’article L. 145-14 du Code de commerce.

Le Conseil constitutionnel ne devrait pas s’aventurer sur ce terrain et devrait apprécier l’atteinte au droit de propriété du bailleur causée par les dispositions de l’article L. 145-14 non pas au regard de l’existence de cas rarissimes pour lesquels le montant de l’indemnité d’éviction pourrait dépasser la valeur vénale de l’immeuble en l’absence de plafond, mais selon une appréciation in abstracto, c’est-à-dire au regard de l’application de l’article L. 145-14. De la sorte, il constatera que cette atteinte au droit de propriété du bailleur n’est en rien disproportionnée.

En effet, si en l’absence de plafonnement de l’indemnité d’éviction, le montant de cette indemnité est susceptible de dépasser la valeur vénale de l’immeuble, ce qui doit primer essentiellement au regard des dispositions contestées c’est l’existence d’un juste équilibre entre les intérêts économiques du locataire et le respect du droit de propriété du bailleur [24], et c’est ce que garantit la législation du statut des baux commerciaux [25]. Ce statut protège le locataire en lui allouant une indemnité d’éviction venant réparer l’intégralité du préjudice causé par le refus de renouvellement du bail, et ce, sans aucune limite liée à la valeur vénale de l’immeuble. Les dispositions contestées ont pour dessein de permettre au locataire de poursuivre son exploitation au sein de nouveaux murs. Elles assurent une certaine pérennité de l’activité commerciale du locataire [26]. Cette atteinte au droit de propriété du bailleur est justifiée par un impératif de protection de l’économie.

Quoi qu’il en soit, le bailleur qui, après avoir donné congé avec offre d'indemnité d'éviction, conteste le montant de l’indemnité d’éviction fixé par le juge, a la faculté de revenir sur ce congé pour offrir le renouvellement du bail. Ce droit de repentir est prévu par l'article L. 145-58 du Code de commerce (N° Lexbase : L5786AI7). De cette façon, le bailleur percevra un nouveau loyer qui, pour partie, compensera l’atteinte portée à la libre jouissance de son immeuble. Le bailleur n’est pas privé de tout bénéfice financier. Il est vrai que « l'objectif premier du bailleur donnant congé est de louer à un autre locataire les murs pour un loyer plus élevé » [27] mais finalement ce que recherche tout bailleur ce sont des murs occupés et la perception d’un loyer. C’est également en ce sens que l’atteinte au droit de propriété du bailleur n’est pas disproportionnée et qu’un juste équilibre entre les intérêts du propriétaire foncier et ceux du locataire est préservé par les dispositions contestées.

En outre, il ne faut surtout pas omettre qu’au moment de la conclusion du bail, le bailleur peut exiger, à titre d’indemnité, le versement par le locataire d’un pas-de-porte qui viendrait compenser l’indemnité d’éviction due par le bailleur. Ainsi, ce pas-de-porte, protecteur des intérêts du bailleur, écarte toute atteinte disproportionnée à son droit de propriété.

Espérons que le Conseil constitutionnel aura à l’esprit ces différents arguments afin de ne pas prononcer d’ici quelques semaines l’inconstitutionnalité de l’article L. 145-14, ce qui pourrait entraîner des conséquences tant juridiques qu’économiques bouleversantes [28].

 

[1] J. Monéger, Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle des juges du fond, Loyers et copr., 2011, repère 8 ; A. Jacquin, Question prioritaire de constitutionnalité et baux commerciaux : mythe ou réalité ?, Gaz. Pal., 11-12 mars 2011, p. 16 – Cass  civ. 3, 27 février 1991, n° 89-18.729 (N° Lexbase : A2779ABK), D., 1992, p. 364, obs. L. Rozès ; RTD civ., 1992, 88, obs. J. Mestre – Cons. const., 7 mai 2020, n° 2020-837 QPC (N° Lexbase : A27633LW), P. Lemay, Loyers commerciaux, renouvellement du bail et droit de propriété : le Conseil constitutionnel entre dans la danse, JCP E, 23 juillet 2020, n° 30, p. 1307 ; Dalloz actualité, 14 mai 2020, obs. Y. Rouquet ; AJ contrat, 2020, p. 294, note D. Houtcieff ; Loyers et copr., n° 3, mars 2020, repère 3, J. Monéger ; M.-P. Dumont, Baux commerciaux, mai 2019-mai 2020, D., 2020, p. 1541.

[2] G. Lardeux, Bail commercial - Bail commercial et droits fondamentaux, Loyers et copr., octobre 2018, n° 10, dossier 12.

[3] Sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 (N° Lexbase : L5745AIM) et s..

[4] Le renouvellement du bail ne confère pas au locataire un véritable droit de propriété sur l’immeuble loué. Cette propriété se distingue du droit réel de propriété.

[5] Cass. civ. 3, 7 décembre 2004, n° 03-16.963, F-D (N° Lexbase : A3659DEA).

[6] Cass. civ. 3, 13 juin 1969, n° 67-13.575 (N° Lexbase : A2691AU9).

[7] Cass. com., 30 novembre 1964, n° 61-12.755.

[8] TGI Paris, 8 septembre 1992, Gaz. Pal., 1993, 2, somm. p. 622.

[9] Cass. com., 13 février 2001, n° 97-19.869 (N° Lexbase : A3405ARK), RJDA, 2001, n° 567.

[10] A. Jacquin, Fonds de commerce déficitaire et indemnité d'éviction, Gaz. Pal., 8-9 février 2002, p. 16.

[11] Cass. civ. 3, 11 juin 1992, n° 90-17.109 (N° Lexbase : A3172ACH) – Cass. civ. 3, 13 octobre 1993, n° 91-16.942, inédit (N° Lexbase : A6875CSG), Gaz. Pal., 1994, 1, p. 202, note J.-D. Barbier ; Loyers et copr., 1994, comm. 74, obs. Ph.-H. Brault ; Cass. civ. 3, 16 décembre 1997, n° 96-16.779, inédit (N° Lexbase : A5126CUE), RD imm. 1998, p. 698, note J. Derruppé ; Administrer, avril 1998, p. 39, obs. B. Boccara – Cass. civ. 3, 26 septembre 2001, n° 00-12.620, inédit (N° Lexbase : A1939AX4), Rev. loyers, 2001, p. 506, note M.-D. Vaissié.

[12] J. Lafond, Bail commercial. – Indemnité d'éviction. – Aspects notariaux, Fasc. 510, JCl. Notarial Formulaire, n° 50.

[13] Indemnité d’éviction : l’article L. 145-14 du Code de commerce pourrait-il disparaître ? – Questions à Jean-Christophe Le Coustumer, Le Quotidien Lexbase du 23 décembre 2020 (N° Lexbase : N5840BYX).

[14] J. Lafond, op. cit., n°11 ; Baux commerciaux 19-20, Mémento expert, éd. Francis Lefebvre, 2019, n° 45430, p. 438. Il ne faut pas omettre que l’indemnité d’éviction ne peut être inférieure à la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire est évincé.

[15] G. Lardeux, Bail commercial – Bail commercial et droits fondamentaux, Loyers et copr., octobre 2018, n° 10, dossier 12.

[16] G. Lardeux, op. cit..

[17] G. Lardeux, op. cit..

[18] En outre, le droit de propriété est un droit fondamental de valeur constitutionnelle (Cons. const., décision n° 81-132 DC, du 16 janvier 1982 (N° Lexbase : A8037ACN)). Il est également protégé par des textes supranationaux, telle la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et le Premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

[19] J. Monéger, La mathématique des baux commerciaux, Mélanges en l’honneur de E. Alfandari, Dalloz, 2000, p. 133.

[20] L. Rozès, L'exception locative française, AJDI, 2000, p. 480.

[21] F. Robine, Les fonds de commerce d'hôtels, Gaz. Pal., 17 juillet 2010, n° 198, p. 21 ; C. Boismain, L'évaluation de l'indemnité d'éviction par les juges du fond, AJDI, 2012 p. 725 ; B. Robine, Calcul de l'indemnité d'éviction : faut-il raisonner en stock ou en flux ?, AJDI, 2011, p. 89 ; A. Boituzat et A. Vaz da Cruz, Éviction commerciale et expropriation d’un locataire commercial, AJDI, 2010, p. 287.

[22] Il existe notamment les méthodes du chiffre d’affaires moyen, du pourcentage du chiffre d’affaires, de l’excédent brut d’exploitation, ou du différentiel de loyer.

[23] G. Lardeux, op. cit..

[24] Ibid..

[25] À rapprocher de Cass. civ. 3, 27 février 1991, 89-18.729 (N° Lexbase : A2779ABK), RDI, 1991, p. 518, obs. G. Brière de l'Isle et J. Derruppé – Cass. civ. 3, 12 juin 1996, n° 94-14.862, inédit (N° Lexbase : A6883AHE), JCP N, 1997, p. 241, note M. Nanzir ; J.-P. Blatter, Immatriculation du RCS, droit au renouvellement et droits de l'homme, AJDI, 2005, p. 733.

[26] G. Lardeux, op. cit..

[27] Ibid..

[28] Indemnité d’éviction : l’article L. 145-14 du Code de commerce pourrait-il disparaître ? – Questions à Jean-Christophe Le Coustumer, Le Quotidien Lexbase préc..

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Contrats et obligations

[Brèves] Garantie des vices cachés : étendue de l’appel en garantie à l’encontre du fabricant

Réf. : Cass. civ. 1, 6 janvier 2021, n° 19-18.588, F-P (N° Lexbase : A90024BZ)

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N6079BYS

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 13 Janvier 2021

► Le fabricant appelé en garantie sur le fondement de l’article 1641 (N° Lexbase : L1743AB8) et suivants du Code civil doit garantie au vendeur intermédiaire à hauteur de la totalité des condamnations mises à la charge de ce dernier ; néanmoins, il peut invoquer des moyens de défense propres à limiter sa garantie.

Faits. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 6 janvier 2021 par la Cour de cassation ne sont pas d’une grande originalité et se résument à peu de choses : un entrepreneur est condamné, sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, à verser au maître de l’ouvrage une certaine somme correspondant à la réparation des désordres affectant les produits, en l’espèce du bardage en bois. L’entrepreneur n’entendant pas supporter le poids définitif de ces désordres exerce alors une action récursoire contre son vendeur, lequel appelle en garantie son propre vendeur, lequel appelle, à son tour, en garantie le fabricant. C’est ce dernier appel en garantie qui cristallise les difficultés : quelle est l’étendue de la garantie due par le fabricant ? Doit-il garantie de la totalité ou peut-il invoquer à son bénéfice des moyens de défense de nature à limiter son obligation ?

Procédure et moyen du pourvoi. La cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 2 mai 2019, n° 18/02540 N° Lexbase : A2786ZAG) refusa d’admettre la possibilité pour le fabricant de limiter sa garantie considérant, qu’en cas de ventes successives, il est tenu de garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité des condamnations prononcées à son encontre, lesquelles correspondaient, en l’espèce, au coût de remplacement du produit affecté du vice caché. Le fabricant ne l’entendait pas ainsi, considérant, quant à lui dans son pourvoi, que si le vendeur intermédiaire est en droit d’exercer un appel en garantie à hauteur de la totalité des condamnations mises à sa charge, il est recevable à lui opposer des moyens de défense de nature à limiter sa garantie, en l’espèce le fait que la condamnation incluait le coût de dépose et de repose du bardage défectueux.

Solution. La cassation de l’arrêt d’appel intervient au visa des articles 1641 (N° Lexbase : L1743AB8) et 1645 (N° Lexbase : L1748ABD) du Code civil, ainsi que des articles 334 (N° Lexbase : L2019H4K) et 335 (N° Lexbase : L2022H4N) du Code de procédure civile. La première chambre civile de la Cour de cassation considère qu’ « il résulte de ces textes que, si le vendeur intermédiaire condamné à garantir les conséquences du produit affecté d’un vice caché, peut exercer un appel en garantie à l’encontre du fabricant à hauteur de la totalité des condamnations mises à sa charge, ce dernier peut invoquer des moyens propres à limiter sa garantie dont il incombe aux juges du fond d’examiner le bien fondé ». Précision est ainsi apportée quant à l’étendue de la garantie due par le fabricant dans le cadre de la garantie des vices cachés. Au titre de son appel, en garantie, celui-ci est tenu à hauteur de la condamnation supportée par le vendeur intermédiaire, mais le principe est néanmoins susceptible d’être tempéré par les moyens de défense propres au fabricant (rappr. J. Huet, J.-Cl. C. civ., art. 1641 à 1649, fasc. 50, « Vente.-Garantie légale contre les vices cachés.-Moyens de défenses du vendeur », n° 98 et s., évoquant entre autres la faute du vendeur). Reste alors à savoir si les moyens de défenses invoqués par le fabricant seront de nature à limiter la garantie qui s’impose à lui, mais ce sera alors aux juges du fond d’en apprécier le bien-fondé.

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Droit pénal fiscal

[Brèves] Déclaration des trusts à l’étranger avant la loi du 29 juillet 2011 : obligation des héritiers de déclarer les biens dont le constituant du trust ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi

Réf. : Cass. crim., 6 janvier 2021, n° 18-84.570, FS-P+B+I (N° Lexbase : A56144BK)

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N5986BYD

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par Adélaïde Léon

Le 20 Janvier 2021

► Constitue l’élément matériel de la fraude fiscale l’omission déclarative contenue dans une déclaration de succession intervenue à la suite de l’annulation d’une première déclaration ;

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2011 (N° Lexbase : L0278IRQ), lorsque le constituant d’un trust de droit étranger, fût-il, aux termes de l’acte de trust, qualifié de discrétionnaire, irrévocable et ne prenant pas fin à son décès, ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi des biens placés, ses héritiers sont tenus de les déclarer lors de la succession ;

La méconnaissance de cette obligation déclarative est susceptible de caractériser le délit de fraude fiscale.

Rappel des faits. En 2001, à la suite de son décès, Daniel Wildenstein laisse pour lui succéder, sa veuve, laquelle renonce à sa succession, et ses fils issus d’une précédente union.

Une première déclaration de succession est déposée le 23 avril 2002.

La veuve de Daniel Wildenstein saisit la cour d’appel de Paris qui a annulé, pour erreur de droit sur le régime matrimonial, sa renonciation à la succession et la déclaration de succession (Cass. civ 1, 20 juin 2006, n° 05-14.281, FS-P+B N° Lexbase : A9979DPB).

En 2008, Alec, l’un des fils de Daniel Wildenstein, décède. Une déclaration de succession est déposée par ses héritiers.

Le 31 décembre 2008, après mise en demeure de l’administration fiscale, une nouvelle déclaration concernant la succession de Daniel Wildenstein est déposée.

Le 6 novembre 2014, l’administration fiscale notifie aux héritiers de Daniel Wildenstein un redressement retenant une base taxable comportant en particulier les actifs de plusieurs trusts.

Le 8 décembre 2014, l’administration fiscale adresse une proposition de rectification réintégrant à la succession des biens détenus par les trusts constitués par Daniel et Alec Wildenstein en 2008.

Le redressement fiscal a également fait l’objet d’une contestation devant le juge de l’impôt.

À la suite d’une plainte déposée par la veuve de Daniel Wildenstein, une première information judiciaire est ouverte le 5 juillet 2010 pour abus de confiance, blanchiment, recel, faux et usage. La veuve d’Alex Jr. Wildenstein se constitue également partie civile pour des faits d’abus de confiance, détournements et obstructions commis par les gestionnaires de trust. Les deux veuves reprochent aux gestionnaires de leur avoir caché leur qualité de bénéficiaire, de ne pas avoir déclaré ces biens lors de la succession et de ne pas avoir respecté les règles de distribution fixées par les contrats de trust, ce qui les aurait lésées.

Parallèlement, en juillet 2011 et décembre 2012, l’administration fiscale dépose deux plaintes visant des minorations dans les déclarations des deux successions par dissimulation de nombreux actifs détenus au sein de trusts étrangers. Cette nouvelle information judiciaire, ouverte le 20 août 2011, portant sur ces faits de fraude fiscale, a été jointe à la précédente.

À l’issue de l’instruction, sont renvoyés devant le tribunal correctionnel Guy Wildenstein, second fils de Daniel Wildenstein, pour fraude fiscale par dissimulation et blanchiment aggravé, la veuve et l’un des enfants d’Alec Wildenstein, respectivement pour complicité de blanchiment aggravé de fraude fiscale et fraude fiscale commise lors des déclarations de succession. Deux notaires, un avocat et deux gestionnaires de trust sont quant à eux renvoyés en qualité de complices.

Le tribunal correctionnel relaxe les prévenus faute d’élément légal de la fraude fiscale à la date des faits, s’agissant de l’imposition au titre des droits de mutation par décès de biens logés dans des trusts ayant perduré au-delà du décès de leur constituant. Il déboute l’administration fiscale et l’État français, parties civiles, de leurs demandes.

Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel du jugement.

En cause d’appel.

Sur la prescription de la fraude fiscale. Les juges déclarent prescrite la fraude fiscale commise à l’occasion de la déclaration de succession de Daniel Wildenstein et relaxent les prévenus de ce délit ainsi que les prévenus de complicité. Pour se prononcer ainsi la cour d’appel affirme plusieurs éléments. Tout d’abord, il s’agit d’un délit instantané qui se réalise à la date d’expiration du délai légal fixé pour le dépôt de la déclaration. Celle-ci a été déposée le 23 avril 2002, dans les six mois suivant le décès de Daniel Wildenstein. En l’espèce, le délai de prescription commence à courir à compter du 31 décembre de l’année suivant celle de la consommation de l’infraction (v. L. 230 du livre des procédures fiscales). En conséquence, le délai de prescription de trois ans, applicable en la matière, expirait le 31 décembre 2005. Or, la plainte de l’administration fiscale, déposée le 22 juillet 2011, a été suivie d’un réquisitoire introductif en date du 29 août 2011.

La cour d’appel précise deux choses : d’une part, l’annulation de déclaration de succession du 23 avril 2002, par la cour d’appel le 13 avril 2005, n’a pas fait disparaître l’infraction de fraude fiscale, dont la prescription n’est pas contestée, d’autre part, la seconde déclaration du 31 décembre 2008, qualifiée de conservatoire, portant sur la même succession, les mêmes impositions et comportant les mêmes omissions, ne peut constituer un nouveau délai de fraude fiscale. Pour les juges d’appel, celui-ci avait été consommé lors de la déclaration du 23 avril 2002.

Sur la relaxe des chefs de fraude fiscale, blanchiment aggravé et complicité. La cour d’appel confirme le jugement de première instance ayant renvoyé les prévenus des fins de la poursuite. Il s’agissait selon elle de se prononcer sur le point de savoir si existait, à la date du décès de Daniel Wildenstein, une obligation de déclarer à sa succession les biens placés dans des trusts. Selon les juges d’appel, les textes en vigueur ne comportaient aucune disposition spécifique sur l’imposition de la propriété des biens trustés. En l’absence d’une telle obligation, dont l’omission constitue l’élément matériel du délit de fraude fiscale, la cour d’appel a considéré que le délit de fraude fiscale ne pouvait être constitué.

La cour d’appel a également relaxé les prévenus du chef de blanchiment.

Le Ministère public et les parties civiles ont formé un pourvoi à l'encontre de l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Les demandeurs reprochent à la cour d’appel d’avoir déclaré le délit de fraude fiscale prescrit. Ils considèrent que l’action publique n’était pas prescrite dès lors que l’acte déclaratif de la succession était la déclaration de 2008 – et non celle de 2002 laquelle avait été annulée faisant disparaître l’élément matériel de l’infraction – et que la plainte de l’administration du 29 août 2011 avait donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire avant l’expiration du délai spécial de prescription résultant de l’article L. 230 du Livre des procédures fiscales.

Les demandeurs reprochent également aux juges d’appel de ne pas avoir dit si l’état du droit commandait que les éléments omis dans la déclaration devaient être portés à la connaissance de l’administration. Ils dénoncent le fait qu’en l’espèce, la cour d’appel s’était contentée d’énoncer qu’il n’y avait pas d’éléments suffisamment clairs et certains portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust.

Les demandeurs affirment enfin que la cassation sur les moyens relatifs à la fraude fiscale devaient conduire à la cassation de l’arrêt sur les dispositions relatives au blanchiment aggravé et à la complicité.

Décision de la Cour.

Sur la prescription de la fraude fiscale. La Chambre criminelle censure l’arrêt d’appel au visa des articles 1741 du Code général des impôts (délit de fraude fiscale) (N° Lexbase : L6015LMQ) et L. 230 du Livre des procédures fiscales dans sa version applicable à la cause. La Haute juridiction rappelle que le second texte, lequel prévoit que la plainte de l’administration fiscale peut être déposée jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l’infraction a été commise, dispose également que l’action publique est suspendue pendant une durée maximum de six mois entre la date de la saisine de la commission des infractions fiscales et la date à laquelle cette dernière émet son avis. S’agissant du point de départ de la prescription, la Chambre criminelle ajoute qu’il débute le jour où l’infraction a été commise soit, « en cas d’omission de déclaration, le jour où celle-ci aurait dû être faite, en cas de dissimulation de sommes sujettes à l’impôt, le jour où une déclaration inexacte est produite auprès des services fiscaux » (Cass. crim., 13 décembre 1982, pourvoi n° 80-95.151 N° Lexbase : A9457ATG).

En l’espèce, la Cour souligne que la déclaration de succession, visant à l’établissement et au paiement des droits de mutation à la suite du décès de Daniel Wildenstein, a été déposée par ses héritiers le 31 décembre 2008. Contrairement à la cour d’appel, elle ne prend donc pas en compte la déclaration de 2002 (annulée par la suite) mais celle de 2008. Elle rappelle que, le 29 août 2011, la prescription a été régulièrement interrompue pas le réquisitoire introductif du procureur de la République.

La Chambre criminelle affirme que le fait que la déclaration ait été déposée après l’expiration du délai prévu par l’article 641 du Code général des impôts (N° Lexbase : L7673HLR) (six mois à compter du jour du décès) est sans conséquence dès lors qu’elle tendait à remplir l’objectif d’établissement et de paiement des droits de mutation.

La Haute juridiction précise enfin qu’il est également indifférent qu’une précédente déclaration portant sur la même succession, comportant des omissions déclaratives, et pour laquelle la prescription de l’action publique est considérée comme acquise, ait été déposée dans ce délai de six mois.

Sur la relaxe des chefs de fraude fiscale et complicité. La Chambre criminelle censure l’arrêt d’appel au visa des articles 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC) et 750 ter (N° Lexbase : L9528IQX), 784 (N° Lexbase : L2944LCZ), 800 (N° Lexbase : L6246LUU) et 1741 (N° Lexbase : L6015LMQ) du Code général des impôts. S'appuyant sur ces textes ainsi que sur sa jurisprudence civile, commerciale et fiscale, la Cour de cassation affirme que, sans méconnaissance de l’exigence de prévisibilité juridique, avant l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2011, lorsque le constituant d’un trust de droit étranger, fût-il, aux termes de l’acte de trust, qualifié de discrétionnaire, irrévocable et ne prenant pas fin à son décès, ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi des biens placés, ses héritiers sont tenus de les déclarer lors de la succession. La Haute juridiction en déduit que la méconnaissance de cette obligation déclarative est susceptible de caractériser le délit de fraude fiscale.

Pour la Haute juridiction, il appartient donc au juge d’analyser le fonctionnement concret du trust concerné afin de déterminer si le constituant a, dans les faits, continué à exercer à l’égard des biens logés dans le trust des prérogatives qui sont révélatrices de l’exercice du droit de propriété, de telle sorte qu’il ne peut être considéré comme s’en étant véritablement dessaisi.

La Chambre criminelle affirme donc que c’est à tort que la cour d’appel a retenu l’absence, avant la loi du 29 juillet 2011, de toute obligation de déclarer, lors d’une succession, des biens placés dans un trust.

S’agissant de l’effectivité du dessaisissement du constituant à l’égard des biens placés dans les trusts, la Cour estime que les énonciations de l’arrêt d’appel sont « équivoques, voir contradictoires » et ne permettent donc pas à la Chambre criminelle de contrôler la motivation retenue par les juges à l’appui de la relaxe.

Sur la relaxe des chefs de blanchiment aggravé et complicité. Dans la mesure où la relaxe des chefs de blanchiment aggravé de fraude fiscale et de complicité commis dans le cadre de la succession de Daniel Wildenstein est fondée sur l’absence d’obligation légale déclarative de biens placés en trust ne se dénouant pas au décès du constituant et, eu égard à la réponse apportée aux moyens concernant la relaxe du chef de fraude fiscale, la Cour censure l’arrêt d’appel sur ce point.

La Chambre criminelle renvoie finalement la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris.

newsid:475986

Durée du travail

[Brèves] Convention de forfait en jours privée d’effet : l’employeur peut solliciter le remboursement des jours de RTT

Réf. : Cass. soc., 6 janvier 2021, n° 17-28.234, F-P+B (N° Lexbase : A89384BN)

Lecture: 2 min

N6032BY3

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par Charlotte Moronval

Le 13 Janvier 2021

► Une convention de forfait en jours privée d’effet autorise l’employeur à réclamer le remboursement des jours de réduction du temps de travail accordés au salarié en exécution de cette convention.

Faits et procédure. Un employeur, dont la convention de forfait en jours qu’il appliquait à son salarié a été déclarée inopposable (en raison du non-respect des modalités de contrôle du temps de travail de suivi de la charge de travail fixées par l’accord collectif), demande le remboursement des jours de réduction du temps de travail accordés.

Pour débouter l'employeur de sa demande, la cour d’appel retient que la privation d'effet de la convention de forfait en jours, qui n'est pas annulée, ne saurait avoir pour conséquence de priver le salarié de l'octroi des jours de réduction de temps de travail.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel et donne raison à l’employeur.

En statuant comme elle l’a fait, alors qu'elle avait retenu que la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis était privée d'effet, en sorte que, pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait en jours, le paiement des jours de RTT accordés en exécution de la convention était devenu indu, la cour d'appel a violé l’article 1376 du Code civil (N° Lexbase : L1024KZX), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK), qui prévoit que « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ».

newsid:476032

Fiscalité internationale

[Brèves] Régime fiscal de faveur des impatriés : exclusion des personnes en mobilité intra-groupe

Réf. : CE 10° et 9° ch.-r., 22 décembre 2020, n° 427536, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A07454B9)

Lecture: 5 min

N5853BYG

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par Marie-Claire Sgarra

Le 14 Janvier 2021

Seules les personnes recrutées directement à l'étranger par une entreprise installée en France et non les personnes effectuant une mobilité entre entités d'un même groupe peuvent bénéficier, sur option, de l'exonération d'imposition forfaitaire de 30 % de leur rémunération.

Les faits. Le requérant, qui était salarié de la société HSBC au Royaume-Uni, a rompu son contrat de travail avec cette dernière pour rejoindre la société HSBC France dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. À la suite d'un contrôle sur pièces des déclarations de revenus du requérant et sa femme, l'administration fiscale a, par une proposition de rectification remis en cause le bénéfice du régime forfaitaire des impatriés prévu à l'article 155 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L8959LN7) dont s'était prévalu le requérant au titre des années 2011 et 2012, au motif qu'il n'avait pas bénéficié d'un recrutement direct de l'étranger par une entreprise établie en France mais d'une mobilité entre sociétés appartenant au même groupe.

Procédure. La cour administrative d'appel de Paris a prononcé la décharge des impositions supplémentaires auxquelles les époux ont été assujettis au titre des années 2011 et 2012 à raison de ce redressement (CAA Marseille, 5 décembre 2018, n° 17PA03909 N° Lexbase : A7375YPT).

Principe. Aux termes de l’article 155 B du Code général des impôts, les impatriés appelés de l'étranger à occuper un emploi dans une entreprise établie en France pendant une période limitée ne sont pas soumis à l'impôt à raison des éléments de leur rémunération directement liés à cette situation ou, sur option, et pour les salariés et personnes autres que ceux appelés par une entreprise établie dans un autre État, à hauteur de 30 % de leur rémunération.

La loi de finances pour 2019, a renforcé le régime fiscal en faveur des impatriés afin d'accroître l'attractivité de la place financière de Paris dans le contexte du Brexit (loi n° 2018-1317, du 28 décembre 2018, de finances pour 2019 N° Lexbase : L6297LNK). Le dispositif étend l'exonération forfaitaire de 30 % de la rémunération nette imposable, jusqu'alors applicable aux seuls salariés recrutés directement à l'étranger, à tous les modes de recrutement, y compris dans le cadre d'une mobilité intra-groupe.

Solution de la cour administrative d’appel. Dans son analyse, la Cour souligne :

  • que le requérant a été recruté par HSBC France dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, impliquant une installation en France pour une telle durée et qu'un éventuel retour auprès de son employeur précédent n'était pas envisagé ;
  • qu'en raison de l'interruption totale des liens avec son ancien employeur, le requérant doit être regardé comme ayant été appelé en France par une entreprise établie dans cet État.

Par suite, elle a jugé :

  • qu’est sans incidence, au vu de ces éléments, la circonstance qu’il aurait indiqué dans un courrier du 26 mai 2014, adressé à l’administration fiscale en réponse à sa demande de renseignements du 10 avril 2014, qu’ «  en 2010, HSBC a souhaité, dans le cadre d’une mobilité intragroupe, et pour faire face à un besoin non rempli sur le marché français, m’envoyer dans la direction  Global Banking et Markets  de la filiale française du groupe  »   ;
  • qu’est également sans incidence la circonstance que son contrat de travail avec la société HSBC France prévoyait la reprise de l’ancienneté dont il bénéficiait dans le cadre de son activité précédente.

Solution du Conseil d’État. Si le requérant a rompu tout lien juridique avec la société HSBC UK avant de conclure un contrat à durée indéterminée avec la société HSBC France, il a néanmoins continué à travailler au sein du même groupe, a bénéficié, lors de son embauche en France, d'une dispense de période d'essai ainsi que de la reprise intégrale de son ancienneté dans le groupe et s'est d'ailleurs lui-même prévalu, dans un courrier adressé à l'administration fiscale, d'avoir fait l'objet d'une mobilité intra-groupe.

⇒ En jugeant que le requérant avait fait l'objet d'un recrutement direct à l'étranger par une entreprise établie en France et pouvait, en conséquence, bénéficier de l'option en faveur de l'exonération forfaitaire d'imposition de sa rémunération prévue par l'article 155 B du Code général des impôts, alors que son embauche en France résultait d'une mobilité au sein du groupe HSBC, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

En ces temps de Brexit, la solution du Conseil d’État peut surprendre puisqu’il adopte une interprétation restrictive de l'article 155 B du Code général des impôts.

Cf. le BOFiP annoté (N° Lexbase : X6406ALT).

newsid:475853

Habitat-Logement

[Brèves] Logement « énergétiquement » décent : intégration d’un seuil maximal de consommation d'énergie finale en France métropolitaine

Réf. : Décret n° 2021-19 du 11 janvier 2021 relatif au critère de performance énergétique dans la définition du logement décent en France métropolitaine (N° Lexbase : L6858LZZ)

Lecture: 1 min

N6072BYK

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 13 Janvier 2021

► Le décret n° 2021-19 du 11 janvier 2021, publié au Journal officiel du 13 janvier 2021, modifie le critère de performance énergétique dans le décret relatif aux caractéristiques du logement décent en intégrant un seuil maximal de consommation d'énergie finale en France métropolitaine, fixé à 450 kWh/m2 par an en France métropolitaine.

Le texte vient en effet insérer un article 3 bis, dans le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent (N° Lexbase : L4298A3L) qui prévoit que :

« En France métropolitaine, le logement a une consommation d'énergie, estimée par le diagnostic de performance énergétique défini à l'article L. 134-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L5471LTS), inférieure à 450 kilowattheures d'énergie finale par mètre carré de surface habitable et par an.

La surface habitable mentionnée à l'alinéa précédent est celle définie à l'article R. 111-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8631IAW) ».

Entrée en vigueur : ces nouvelles dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2023. Elles ne s'appliquent qu'aux nouveaux contrats de location conclus à compter de cette date.

newsid:476072

Procédure civile

[Brèves] La mise en ligne du « Portail du justiciable »

Réf. : « Portail du justiciable »

Lecture: 2 min

N6050BYQ

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Janvier 2021

► Le « Portail du justiciable » était annoncé et le ministère de la Justice a activé sa mise en ligne le 4 janvier 2021, franchissant ainsi une nouvelle étape dans la modernisation de la justice.

Rappelons-nous, deux arrêtés du 18 février 2020 avaient été publiés le 22 février 2020 au Journal officiel, relatifs au « Portail du justiciable », le premier venant modifier l'arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable »  (N° Lexbase : L1833LWS) et le second venant modifier l'arrêté du 28 mai 2019 autorisant la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » correspondant au suivi en ligne par le justiciable de l'état d'avancement de son affaire judiciaire (N° Lexbase : L1858LWQ).

Ledit service, a été mis en ligne le 4 janvier 2021 sur le site « justice.fr ». Le justiciable peut dès cette date, saisir la justice par le biais d’un formulaire dématérialisé et également transmettre les pièces à l’appui de ses demandes.

Pour qui ? Le service en ligne s’adresse uniquement aux personnes physiques :

  • particuliers ;
  • représentants légaux des mineurs et des majeurs protégés.

En conséquence, sont exclus les personnes morales et les avocats.

Quel type de procédure ? Le service en ligne est ouvert pour le moment pour deux types de procédures :

  • les requêtes en cours de mesure de protection d’un majeur ;
  • les constitutions de partie civile par voie d’intervention (après réception d’un avis à victime).

Il sera progressivement étendu à d’autres types de procédures. Il est annoncé l’ouverture du service pour le premier semestre 2021, pour les requêtes au juge aux affaires familiales (hors et post divorce), puis à l’ensemble des procédures sans représentation obligatoire par un avocat.

Pour aller plus loin : v. A. Martinez-Ohayon, Réforme procédure civile 2020 : publication au Journal officiel de deux arrêtés relatifs au « Portail du justiciable », Lexbase Droit privé, février 2020, n° 814 (N° Lexbase : N2333BY3).

 

newsid:476050

Procédure prud'homale

[Jurisprudence] Droit de la preuve et possibilité pour l’employeur de produire devant le juge prud’homal des moyens de preuve illicites

Réf. : Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5510379)

Lecture: 17 min

N6014BYE

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par Souade Bouchene, Avocat associée, et Florian Clouzeau, Avocat, Fromont Briens

Le 14 Janvier 2021

 


Mots clés : moyens de preuve • droit à la preuve • vie privée • traitement de données à caractère personnel • droits fondamentaux • loi informatique et libertés • RGPD

Jusqu’à présent, le moyen de preuve issu d’un traitement de données à caractère personnel ne respectant pas les formalités préalables imposées par la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 (N° Lexbase : L8794AGS), ne pouvait être mobilisé par l’employeur dans le cadre d’une procédure prud’homale. Dans cet arrêt, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en considérant que cette illicéité n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats. En pareille hypothèse, le juge doit apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.


Le cadre juridique. Alors que les adresses IP, logs et fichiers de journalisation, données à caractère personnel, étaient soumis à une déclaration à la CNIL, l’employeur qui n’aurait pas procédé à cette déclaration peut être autorisé à produire cette preuve portant atteinte à la vie privée du salarié, dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.

L’affaire. Le 23 mars 2015, un salarié de l’Agence France Presse (AFP), responsable de la valorisation et des usages numériques mais également correspondant informatique et libertés (cela a son importance), a été licencié pour avoir usurpé l’identité de sociétés clientes afin d’obtenir des informations auprès d’une autre entreprise à la fois cliente et concurrente.

Alerté par l’une des entreprises, l’employeur a eu recours à un expert informatique, en présence d’un huissier de justice, qui a identifié le salarié concerné grâce à l’exploitation des fichiers de journalisation et à son adresse IP. En synthèse, les fichiers de journalisation retracent les différentes activités d’un périphérique informatique et l’adresse IP est le numéro d’identification de ce périphérique sur un réseau.

Rappelons que les faits de l’espèce se sont donc déroulés antérieurement à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données dit « RGPD » (N° Lexbase : L0189K8I). Aussi, en application de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, dans ses dispositions alors applicables, une déclaration devait être réalisée auprès de la CNIL avant l’utilisation de tout traitement de données à caractère personnel, sauf dispense.

C’est dans ces conditions que le salarié a décidé de contester le bienfondé de son licenciement en invoquant notamment l’impossibilité pour son employeur de mobiliser les fichiers de journalisation et l’adresse IP faute d’avoir déclaré leur traitement préalablement à la CNIL.

Saisie du litige, la cour d’appel de Paris a coupé court au débat en considérant d’emblée que l’exploitation des fichiers de journalisation et de l’adresse IP n’était pas soumise à une déclaration ou à une information du salarié « dès lors qu’il n’avait pas vocation première le contrôle des utilisateurs ». Par son arrêt du 16 mars 2017, la cour d’appel considérait alors que la faute du salarié était établie et justifiait le licenciement pour faute grave prononcé. Le salarié était débouté de ses demandes à ce titre.

Le pourvoi. Ce dernier décidait de former un pourvoi en cassation.

Outre des moyens relatifs à l’échelle des sanctions et à la procédure disciplinaire applicable au sein de l’AFP, qui ne seront pas commentés ici, le requérant soutenait que l’appréciation de la cour d’appel était entachée d’une erreur de droit dans la mesure où « seule la condition de la possibilité identification d’une personne physique était déterminante » pour l’application des obligations issues de la loi informatique et libertés.

L’objectif poursuivi par le requérant était in fine de se prévaloir des arrêts de la Cour de cassation rendus par le passé, selon lesquels le moyen de preuve illicite, en raison du non-respect des formalités imposées par les dispositions de la loi informatique et libertés, devait être écarté des débats.

Si la Cour de cassation donne raison au requérant pour la première partie de son raisonnement, elle modifie sa jurisprudence antérieure quant aux conséquences du non-respect des prescriptions de la loi informatique et libertés en mettant en balance le droit à la preuve de l’employeur et le droit au respect de la vie personnelle du salarié.

Ainsi, en premier lieu, s’appuyant sur l’analyse de la CNIL dont elle a sollicité l’avis, la Cour de cassation considère que les adresses IP sont des données à caractère personnel. Leur exploitation dans le cadre du fichier de journalisation constitue, par conséquent, un traitement de données à caractère personnel qui doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL en application de l’article 23 de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 (paragraphe 11). En l’espèce, le moyen de preuve mobilisé par l’employeur était donc illicite.

C’est à ce stade du raisonnement que la Cour de cassation opère une évolution par rapport à sa jurisprudence antérieure. En effet, la Haute Cour considère « désormais que l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 […], dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (paragraphe 16).

Cassation partielle. La Cour de cassation décide, par conséquent, de casser l’arrêt de la cour d’appel de Paris et de renvoyer l’affaire à cette même cour pour qu’elle procède au contrôle du caractère indispensable et proportionné de la production du moyen de preuve en cause par l’employeur.

Par cet arrêt, la Cour de cassation réalise une analyse classique de la notion de traitement de données à caractère personnel qu’elle rattache au droit au respect de la vie personnelle du salarié (I.). Elle opère, en revanche, un revirement de jurisprudence en considérant, sur le fondement du droit à la preuve, que la violation des règles de protection des données à caractère personnel ne doit pas entraîner nécessairement le rejet des moyens de preuve qui en sont issus (II.).

I. Du droit à la protection des données à caractère personnel au droit au respect de la vie personnelle du salarié

La question portée par le pourvoi concernait, en premier lieu, une question d’application et de respect de la loi informatique et libertés dans le cadre de l’exploitation d’un fichier de journalisation et d’une adresse IP. Sur ce point, la Cour de cassation réalise une analyse tout à fait classique (A.). En concluant au non-respect des disposition de cette loi, la Cour de cassation en tire une atteinte au droit au respect de la vie personnelle du salarié qu’elle mettra en balance avec le droit à la preuve de l’employeur (B.).

A. Le non-respect des prescriptions de la loi informatique et libertés…

Dans le cadre de la présente affaire, la cour d’appel de Paris avait considéré, à tort, que l’exploitation de l’adresse IP du salarié et du fichier de journalisation ne devaient pas faire l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL ou une information du correspondant informatique et libertés dans la mesure où ces traitements « n’ont pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs ». Pour la cour d’appel, c’est donc la finalité du traitement qui conditionne l’application des formalités prescrites par la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978.

Cette analyse est censurée par la Cour de cassation qui rappelle que, sauf dispense, tout traitement de données à caractère personnel est soumis aux formalités prévues par la loi précitée, quel que soit sa finalité.

Or, en l’occurrence, elle considère que l’adresse IP est une donnée à caractère personnel et que sa collecte par l’exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel (paragraphe 11).

Cette solution est en pleine conformité avec sa jurisprudence antérieure. En effet, la Haute Cour a pu considérer, par le passé, que l’adresse IP est une donnée à caractère personnel dont le traitement doit faire l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL [1].

Cette position ne surprend pas à la lecture des définitions des notions de données à caractère personnel et de traitement de données à caractère personnel inscrites à l’article 2 de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, dans sa rédaction applicable à l’espèce :

  • « constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres. » ;
  • « constitue un traitement de données à caractère personnel toute opération ou tout ensemble d'opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, ainsi que le verrouillage, l'effacement ou la destruction ».

L’adresse IP est un numéro permettant d’identifier un périphérique informatique et donc, indirectement, l’utilisateur de ce périphérique. Il s’agit, par conséquent, d’une donnée à caractère personnel dont la collecte dans le fichier de journalisation constitue un traitement.

Or, en application de l’article 22 de la loi précitée, dans sa rédaction applicable à l’espèce, tout traitement de données à caractère personnel doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL, sauf dispense. C’est donc par un raisonnement tout à fait logique et classique que la Cour de cassation considère que la collecte de l’adresse IP du salarié licencié en l’absence de respect des formalités préalables rend la preuve qui en résulte illicite.

Cette position de la Cour de cassation ne sera pas modifiée par l’entrée vigueur du RGPD, lequel définit toujours les données à caractère personnel par rapport à leur faculté d’identifier directement ou indirectement une personne physique. Leur collecte demeure également un traitement de données à caractère personnel (article 4 du Règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L0189K8I).

Le questionnement, opéré par la cour d’appel, relatif à la vocation du traitement visant ou non le contrôle des salariés n’a donc pas d’objet s’agissant de la soumission de ce traitement à la loi informatique et libertés. En revanche, cette question peut se poser notamment pour déterminer si un traitement de données à caractère personnel doit, outre respecter les prescriptions de la loi informatique et libertés, être soumis à l’avis du comité social et économique, en application de l’article L. 2312-38 (N° Lexbase : L8271LGG) imposant sa consultation avant de toute décision de l’employeur de mettre en œuvre des moyens ou techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés.

Au demeurant, on peut relever que le raisonnement de la cour d’appel de Paris se référant à la « vocation première » du traitement de données n’a pas lieu d’être, même en ce qui concerne l’avis préalable des représentants du personnel. En effet, selon la Cour de cassation, la finalité première du traitement de données n’a pas d’importance : il doit faire l’objet d’une consultation du CSE dès lors qu’une de ses finalités, serait-elle secondaire, consiste en la surveillance des salariés [2].

B. …constitutif de l’atteinte au droit au respect de la vie personnelle du salarié

Après avoir constaté le non-respect des prescriptions de la loi informatique et libertés, applicables à l’espèce, la Cour de cassation fait implicitement un lien direct entre ce non-respect et l’atteinte à la vie personnelle du salarié.

Ce lien n’est pourtant pas si évident. Il est indéniable que le non-respect des règles de protection des données à caractère personnel du salarié peut constituer une atteinte à la vie privée. En revanche, on pourrait légitimement s’interroger sur l’inclusion dans le périmètre de la vie privée du salarié, des différentes données issues de démarches d’ordre professionnel réalisées par un salarié sur un ordinateur lui-même professionnel, comme c’était cas le cas en l’espèce.

Or, dans le cadre du présent, la Cour de cassation semble considérer que le non-respect des règles de protection des données à caractère personnel entraîne nécessairement une atteinte à la vie personnelle du salarié qui devra donc être conciliée avec le droit à la preuve de l’employeur (paragraphe 12).

Dès lors que le moyen de preuve est illicite pour cette raison, la Haute Cour impose aux juges du fond d’« apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve » (paragraphe 16). Et ce, sans avoir à se positionner sur l’existence ou non, au cas d’espèce, d’une atteinte effective au droit au respect de la vie privée du salarié.

Faut-il en conclure, a contrario, que lorsque l’employeur récolte des preuves en mobilisant un traitement de données à caractère personnel respectant toutes les prescriptions de la loi informatique et libertés (aujourd’hui du RGPD), il ne s’expose pas un tel contrôle ?

Une telle interprétation de la portée du présent arrêt est à notre sens trop extensive. D’autant que la Cour de cassation a pu juger récemment, sans référence à une violation des règles de protection des données à caractère personnel, que la production d’un élément de preuve pouvait porter atteinte à la vie privée du salarié imposant :

  • de vérifier si cette atteinte était indispensable à l’exercice du droit à la preuve [3] ;
  • de réparer le préjudice causé au salarié lorsque cette production n’était pas indispensable au droit à la preuve [4].

En d’autres termes, l’absence de respect des obligations issues de la loi informatique et libertés, et aujourd’hui du RGPD, impose de soumettre la preuve obtenue à une conciliation avec le droit à la vie personnelle du salarié. En revanche, le respect de ces prescriptions ne garantit pas l’absence de nécessité de concilier le droit à la preuve et le droit au respect de la vie personnelle du salarié.

Reste que, comme le relève l’avocate générale dans son avis relatif à l’arrêt commenté (page 7), l’existence de garanties, telles que le respect des règles de protection des données à caractère personnel, est un critère à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée par le droit à la preuve.

Or, l’application de ce contrôle de proportionnalité est l’apport majeur du présent arrêt.

II. Du droit au respect de la vie personnelle du salarié au droit à la preuve de l’employeur

L’arrêt commenté marque une évolution en matière de droit de la preuve : les éléments recueillis au moyen d’un traitement de données à caractère personnel illicite au regard de la loi informatique et libertés ne doivent pas nécessairement être écartés des débats (A.). Néanmoins, cette illicéité oblige le juge à mettre en balance le droit à la preuve de l’employeur d’un côté et le droit au respect de la vie personnelle du salarié d’un autre (B.).

A.  La recevabilité du moyen de preuve illicite par la mise en œuvre du droit à la preuve

Dans le cadre de l’arrêt commenté, la Cour de cassation considère que, « désormais », « l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 16 janvier 1978 […], dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats » (paragraphe 16).

Comme le souligne, la Cour elle-même, il s’agit d’un revirement par rapport à sa jurisprudence antérieure. En effet, la Haute Cour, après avoir considéré qu’un salarié ne pouvait être sanctionné pour avoir refusé de se soumettre à un traitement de données non déclaré [5], a constamment jugé que l’illicéité du moyen de preuve, résultant du non-respect des prescriptions de la loi informatiques et libertés, imposait nécessairement son rejet des débats [6]. Cette jurisprudence a été rappelée récemment dans une affaire relative à la production de tickets de cantine ne respectant pas les règles de protection des données à caractère personnel [7].

Cette nouvelle position ne peut qu’être saluée, dans la mesure où le rejet automatique des pièces, qui ne reposait sur aucun texte précis, s’avérait souvent une solution bien trop sévère qui permettait à certains justiciables d’échapper trop aisément à leurs responsabilités. Cela peut d’ailleurs expliquer la position retenue par la cour d’appel de Paris dans la présente affaire, restreignant audacieusement la notion de traitement de données à caractère personnel afin d’échapper à cette jurisprudence trop rigoureuse et désormais révolue.

De surcroit, cette décision prend la mesure du caractère fondamental du droit à la preuve. En effet, ce dernier a d’abord été reconnu par la Cour européenne des droits de l’Homme, dont la Cour de cassation s’inspire grandement dans le présent arrêt, sur le fondement du droit au procès équitable consacré par l’article 6, §1 de la Conv. EDH. Ainsi, la Cour européenne juge, de longue date, que le droit à la preuve peut justifier une atteinte à la vie privée [8].

Cette solution s’inscrit également dans le courant jurisprudentiel de la Chambre social visant à reconnaître ce droit à la preuve. Ainsi, dès 2016, cette dernière a pu considérer que ce droit pouvait justifier une atteinte à la vie privée, à condition d’être nécessaire et proportionnée au but poursuivi [9]. Cette solution a été confirmée, dans son principe, plus récemment dans l’arrêt « Petit Bateau » [10].

En présence de deux droits de nature fondamentale, le droit à la protection de la vie privée et le droit à la preuve, il n’était donc plus envisageable de maintenir une position aussi sévère revenant à nier l’existence du second au bénéfice du premier. En pareille hypothèse, un travail plus fin d’articulation et de mise en balance s’impose.

Reste à savoir si cet abandon de la solution rigoureuse et sévère de rejet automatique des moyens de preuves illicites concerne seulement l’illicéité des moyens de preuve résultant du non-respect des règles de protection des données à caractère personnel. Cet abandon aura-t-il vocation à viser également d’autres causes d’illicéité ? A titre d’exemple, la Cour de cassation a pu récemment considérer que l’absence de consultation préalable des représentants du personnel concernant un système de surveillance rendait les pièces issues de ce dernier irrecevable [11]. En pareille hypothèse, une mise en balance du droit à la preuve et du droit des salariés à une représentation collective paraîtrait tout aussi justifiée.

B. Les précisions sur l’articulation entre le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée

Si la Cour de cassation considère que l’illicéité du moyen de preuve causé par l’absence de respect des règles issues de la loi informatique et libertés, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, elle n’affirme pas, pour autant, que ce moyen de preuve est nécessairement recevable.

En effet, dans le cadre du présent arrêt, la Haute Cour impose au juge du fond de procéder à une mise en balance du droit à la preuve et du droit au respect de la vie privée. Ainsi, il appartient au juge d’ « apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit nécessairement proportionnée au but poursuivi » (paragraphe 16).

Ces règles d’articulation entre le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée sont directement d’inspiration européenne. On peut, à cet égard, souligner la référence à la garantie du caractère équitable de la procédure « dans son ensemble » (paragraphe 16). La Cour européenne des droits de l’Homme considère, en effet, que l’exigence d’un procès équitable s’apprécie dans son ensemble. Par conséquent, si cette exigence induit un droit à la preuve, elle impose également d’apprécier si la manière dont les preuves ont été recueillies répond aux conditions du procès équitable [12].

Pour ce faire, la Cour de cassation impose au juge du fond de mettre en balance le droit à la preuve et le droit au respect de la vie personnelle du salarié en utilisant la méthode suivante : la production de l’élément de preuve portant atteinte à la vie privée droit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve et l’atteinte doit être proportionnée au but poursuivi. En cela, la Chambre sociale reprend la méthode qu’elle a récemment développé pour concilier vie privée et droit à la preuve en dehors de toute question relative à la protection des données à caractère personnel [13].

La notion de caractère « indispensable » est un glissement par rapport à la jurisprudence plus ancienne de la Cour de cassation qui préférait le terme « nécessaire » à l’exercice du droit à la preuve [14]. La Cour prend le soin d’évoquer expressément cette évolution dans la note explicative de l’arrêt, ce qui induit que ce changement n’est pas seulement sémantique.

Selon le rapport du conseiller rapporteur dans le cadre du présent arrêt (page 12), il y a en effet, une différence entre :

  • le caractère « indispensable » de l’utilisation du moyen de preuve consistant en « l’impossibilité de recourir à un autre mode de preuve » ;
  • et son caractère « nécessaire » lié au « rapport direct entre le mode de preuve litigieux et la recherche de la preuve de la faute du salarié par l’employeur ».

S’agissant du caractère proportionné, il impose au justiciable souhaitant se prévaloir d’un moyen de preuve attentatoire à la vie privée de se limiter à l’atteinte la plus faible possible.

Cette appréciation n’est, en pratique, pas aisée. Néanmoins, dans le cadre de son avis relatif au présent arrêt (page 7), l’avocate générale a donné quelques clés d’appréciation de cette proportionnalité susceptible d’éclairer les praticiens : l’existence de raisons légitimes motivant la recherche de preuves, l’ampleur de la mesure et le degré d’intrusion dans la vie privée, l’ampleur de la mesure dans le temps, les conséquences du traitement de données litigieux, l’existence de garanties appropriées, le caractère nécessaire et approprié de la mesure pour atteindre le but légitime poursuivi.

En revanche, la Cour de cassation, dans son arrêt, n’a pas souhaité apporter plus de précisions sur ce caractère proportionné et a renvoyé cette appréciation aux juges du fond. A cet égard, il faut noter que la Cour de cassation a décidé de confier cette appréciation à la cour d’appel, alors même que, selon l’avocate générale (dans son avis, page 7), elle aurait pu procéder elle-même à ce contrôle de proportionnalité. Cela témoigne de la volonté de la Cour de cassation de laisser cette appréciation au juge du fond en fonction des circonstances concrètes de chaque dossier.

Reste que les notions de caractère indispensable et de proportionnalité demeurent floues, ce qui entraîne un risque fort de disparité dans les solutions retenues par les différentes juridictions. Par cet arrêt, la Cour de cassation ouvre donc un nouveau sujet de débats qui s’annonce âpre.

👉 Quel impact dans ma pratique ?

Par cet arrêt, la Cour de cassation permet de « sauver » des procédures qui étaient, par le passé, vouées à l’échec à raison du non-respect des règles inhérentes à la protection des données à caractère personnel. Néanmoins, les employeurs vigilants ne se méprendront pas. La Cour de cassation ne confère pas une licence permettant de ne pas respecter ces obligations. La mise à conformité avec le RGPD reste le meilleur moyen d’éviter un débat, houleux, devant les juridictions mais également les pénalités de la CNIL qui peuvent être colossales.


[1] Cass. civ. 1, 3 novembre 2016, n° 15-22.595, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9192SE8).

[2] Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-11.792, FS-P+B (N° Lexbase : A1613Z8A).

[3] Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A41383W8).

[4] Cass. soc., 12 novembre 2020, n° 19-20.583, F-D (N° Lexbase : A526934W).

[5] Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-45.227, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8004DB3).

[6] Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-14.991, FS-P+B (N° Lexbase : A2154MYG).

[7] Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-31.715, F-P+B (N° Lexbase : A7219Y7I).

[8] CEDH, 10 octobre 2006, Req. 7508/02, L.L. c/ France (N° Lexbase : A6919DRP) ; CEDH, 7 septembre 2017, Req. 61496/08, Barbulescu c/ Roumanie (N° Lexbase : A6623WQD).

[9] Cass. soc., 9 novembre 2016, n° 15-10.203, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2511SG4).

[10] Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A41383W8).

[11] Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-11.792, FS-P+B (N° Lexbase : A1613Z8A).

[12] CEDH, 13 juillet 2000, Req. 25735/94, Elsholz c/ Allemagne (N° Lexbase : A6952AWE) ; CEDH, 22 mai 2018, Req. 28621/15, Devinar c/ Slovénie, § 45.

[13] Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-16.516, F-D (N° Lexbase : A1578Z8X) ; Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A41383W8).

[14] Cass. soc., 9 novembre 2016, n° 15-10.203, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2511SG4).

newsid:476014

Propriété

[Brèves] Trouble anormal de voisinage : seule la reconnaissance de l’obligation d’indemniser le trouble (et non simplement la reconnaissance de l’existence d’un trouble) est susceptible d’interrompre le délai de prescription

Réf. : Cass. civ. 3, 7 janvier 2021, n° 19-23.262, F-P (N° Lexbase : A89974BT)

Lecture: 1 min

N6073BYL

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 13 Janvier 2021

► La reconnaissance, par un voisin, de l'existence d'un empiétement de ses arbres sur le toit de sa voisine, n’emporte pas reconnaissance non équivoque de son obligation d’indemniser le trouble anormal de voisinage en cause, et n’est donc pas susceptible d’interrompre le délai de prescription quinquennale.

En l’espèce, une propriétaire avait assigné son voisin en indemnisation du trouble anormal de voisinage que lui causait la chute des aiguilles et pommes de pin de ses sapins sur son fonds.

Pour dire qu’une lettre recommandée reçue par le fauteur de troubles avait interrompu la prescription quinquennale et déclarer en conséquence l’action de la victime recevable, la cour d’appel avait retenu que le fauteur n’avait pas contesté la teneur de cette lettre qui lui rappelait son engagement de consulter un spécialiste de l'élagage et que, par cette volonté ainsi manifestée après les plaintes de la victime, il avait reconnu l'existence d'un empiétement de ses arbres sur le toit de sa voisine, ce qui emportait obligation d’en assumer les conséquences en cas de troubles de voisinage.

A tort, selon la Haute juridiction, qui vient rappeler les termes de l’article 2240 du Code civil (N° Lexbase : L7225IAT), selon lequel : « la  reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ». Elle censure alors la décision, reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir relevé une reconnaissance non équivoque, par le fauteur de troubles, de son obligation d’indemniser le trouble anormal de voisinage invoqué.

newsid:476073

Sociétés

[Jurisprudence] Convocation de l’AG par les commanditaires : l’exigence de l’intérêt social

Réf. : CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 17 décembre 2020, n° 20/14832 et 20/14821 (N° Lexbase : A81844AD)

Lecture: 12 min

N6046BYL

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux

Le 13 Janvier 2021


Mots-clés : société en commandite par actions (SCA) • commanditaires • convocation d'une AG • preuve de la conformité à l'intérêt social

La cour d'appel de Paris reprend une ancienne jurisprudence des juges du fond, établie à propos des SA et l'étend à une société en commandite par actions, exigeant que la demande de convocation d'une AG formulée par des commanditaires, sur le fondement de l'article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce, soit conforme à l'intérêt social. Une telle exigence ne manque pas de susciter des interrogations quant à sa pertinence, voire à ses conséquences quant à l'opportunité pour des investisseurs de s'engager en cette qualité pour le financement d'une entreprise sociétaire relevant du droit français.


Le contentieux suscité par le fonctionnement des sociétés en commandite, et singulièrement des commandites par actions, est assez rare pour que l’attention soit opportunément attirée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui s’est prononcée dans le cadre d’un litige concernant une société de premier plan. Au-delà de la spécificité de l’affaire et de l’appréciation portée, en la circonstance, par les conseillers parisiens sur la pertinence de la demande de convocation d’une assemblée générale formulée par des actionnaires commanditaires, la décision témoigne d’une certaine conception du rôle que peuvent jouer ces actionnaires dans le contrôle de la société. Pour le dire clairement, la position de principe adoptée peut être de nature à faire fuir les investisseurs de cette catégorie de sociétés.

Rapportée à la question juridique en cause, la situation qui est à l’origine de l’affaire porte sur la demande exprimée par des actionnaires commanditaires d’une réunion d’une assemblée générale de la société en commandite par actions concernée, ayant pour ordre du jour la recomposition partielle du conseil de surveillance. Cette demande, adressée dans un premier temps auprès du gérant de la société ayant fait l’objet d’un refus, les commanditaires ont saisi, sur le fondement de l’article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce (N° Lexbase : L6007ISB), le président du tribunal de commerce de Paris pour voir désigner un mandataire ad hoc chargé de procéder à cette convocation sur l’ordre du jour déterminé. Par ordonnance du 14 octobre 2020, le tribunal les a déboutés de leur demande et, par l’arrêt sous examen, la cour d’appel de Paris a confirmé ladite ordonnance.

Le motif invoqué pour débouter les commanditaires tient à ce qu’il n’a pas été démontré que les demandes « tendent à des fins conformes à l’intérêt social ». Sous l’apparence de l’évidence, la formulation suscite tout de même quelques remarques puisqu’il ressort de cet arrêt que la mise en œuvre de la prérogative reconnue par le texte du Code de commerce susvisé serait donc sous la condition d’une conformité à l’intérêt social, ce que son libellé ne mentionne pas.

La cour d’appel de Paris conduit, sans doute opportunément, à devoir revenir sur l’existence du droit de convocation de l’AG par des commanditaires (I), avant de s’interroger sur la consistance de ce droit (II).

I. L’existence du droit de convocation d’une AG par les associés commanditaires

Dans la mesure où le régime juridique des sociétés en commandite par actions est, pour l’essentiel, constitué par les règles applicables à la société anonyme, compte tenu du renvoi de principe exprimé à l’article L. 226-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7230LQT), il y a lieu de se reporter vers les règles édictées pour cette dernière lorsqu’il n’y a pas de règle spéciale à la SCA sur le point de droit en cause. En ce qui concerne la convocation des assemblées générales à l’initiative des actionnaires commanditaires, c’est bien le droit des SA qui doit être invoqué, mais l’importation de la règle n’aboutit pas nécessairement à sa parfaite assimilation dans le cadre de la SCA.

L’importation formelle de la règle relative aux SA. L’article L. 225-103 du Code de commerce, qui établit les règles relatives à la convocation de l’assemblée générale de la société anonyme, a vocation à fournir le cadre normatif de référence lorsque l’on se trouve en présence d’une société en commandite par actions. Certes, le mode normal de convocation résulte de l’initiative prise en ce sens par le gérant de la SCA, mais, par l’effet du renvoi au 2° du paragraphe 2 du texte susvisé, à défaut, l’AG peut être également convoquée « par un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins 5 % du capital social ». Le renvoi vers la règle prévue pour les sociétés anonymes ne comporte aucune adaptation ; les commanditaires sont donc considérés, mécaniquement, comme les actionnaires de SA lorsqu’ils entendent, sur ce fondement, solliciter la réunion d’une assemblée générale.

L’assimilation difficile de la règle au sein des SCA. Retenir, sur le point de droit en cause, que les commanditaires doivent être traités à l’identique des actionnaires de SA peut susciter de légitimes interrogations, comme l’arrêt rapporté en porte témoignage. Le rôle des commanditaires au sein de la SCA n’est pas véritablement le même que celui que jouent les actionnaires d’une SA. Pour ne retenir que le point sensible en jeu dans l’affaire, les commanditaires, à la différence des actionnaires, sont rigoureusement tenus à l’écart de la direction de la société. Non seulement, ils ne jouent qu’un rôle subalterne dans le choix des dirigeants puisque les gérants sont désignés avec l’accord de tous les associés commandités (C. com., art. L. 226-2, al. 2 N° Lexbase : L6143AID), mais en outre, il leur est strictement interdit de s’immiscer dans la gestion de la société, étant privés du droit d’exercer la fonction de gérant (C. com., art. L. 222-6 N° Lexbase : L5819AID, sur renvoi de C. com., art. L. 226-1, al. 2). La différence entre les deux collectivités est donc sensible : les actionnaires de SA désignent les membres du conseil d’administration et ont vocation à être administrateurs, alors que les commanditaires sont privés de ces deux droits. Le renvoi indifférencié vers les dispositions relatives à la société anonyme ne saurait cacher la singularité de la situation des commanditaires et, pourtant, l’assimilation supposée s’aggrave lorsque l’on envisage, en suivant la solution retenue par l’arrêt commenté, la consistance réelle du droit de convocation d’une assemblée générale.

II. La consistance du droit de convocation d’une AG par les commanditaires

Le raisonnement suivi par les juges parisiens repose sur deux étapes : la demande de convocation de l’AG suppose, bien sûr, l’existence d’un intérêt propre aux commanditaires mais, impose, surtout, qu’elle soit conforme à l’intérêt de la société.

Un intérêt propre incontesté. Bien évidemment, il ne saurait être discuté que les commanditaires, remplissant la condition de détention minimale de fraction du capital social visée par l’article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce, répondent à l’exigence de l’intérêt à agir, au sens de l’article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43). L’« intérêt légitime » à l’action en désignation d’un mandataire ad hoc en vue de réunir l’assemblée générale, n’apparaît pas en cause, dès lors qu’il n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action [1]. Malgré l’usage peut être inadapté du terme, la cour d’appel reconnaît que les commanditaires, demandeurs à l’action, disposaient, de manière « incontestable » (page 12) d’un « intérêt propre » (ibidem) à participer au conseil de surveillance, dont la composition résulte de la décision prise au cours de l’AG dont ils demandaient la réunion. Ce point relevé comme ne posant pas de problème aurait pu paraître suffisant pour faire droit à leur demande. Pourtant, la juridiction parisienne enclenche une seconde étape du raisonnement, conduisant à faire place à la prise en compte de l’intérêt social, en relevant « qu’il n’est pour autant pas établi que cet intérêt propre converge en l’espèce avec celui de la société » (ibidem).

Un intérêt social exigé. Mine de rien, serait-on tenté de dire, la cour d’appel de Paris vient confirmer qu’elle maintient son adhésion à une position jurisprudentielle initiée il y a bien longtemps [2], et à laquelle cette même juridiction avait déjà contribué [3], mais qui n’avait pas été réaffirmée au cours de ces dernières années. On notera que, dans l’arrêt analysé, il est bien indiqué que l’exigence d’une conformité à l’intérêt social ne résulte nullement du texte du Code de commerce mais a été ajoutée par la jurisprudence, illustrant ainsi qu’il s’agit bien d’une source du droit puisqu’à défaut de remplir une condition ajoutée au cadre normatif par les juges, le justiciable se trouve, comme en l’espèce, privé de l’exercice d’un droit. Plusieurs remarques paraissent devoir être formulées pour tenter d’apprécier la portée de cette décision. En premier lieu, on ne peut manquer de souligner que, sauf erreur de notre part, la « jurisprudence » à laquelle la cour d’appel de Paris se réfère ne résulte que de décisions de juges du fond et que la Cour de cassation, au titre de sa fonction de juge du droit, n’a pas été conduite à se prononcer clairement sur le point en discussion. Un bien ancien arrêt de 1966 [4] peut être exhumé, mais il ne fournit pas nécessairement un point de repère crédible dans la mesure où, dans cet arrêt, il était surtout question de discuter du péril social et de l’urgence, aspect qui n’est pas ici en cause et d’ailleurs la cour d’appel de Paris a pu juger, ultérieurement [5], que les actionnaires demandeurs à l’action fondée sur l’article L. 225-103 II, 2° du Code de commerce n’ont pas à faire la preuve que l’urgence justifie leur demande. À ce premier élément, qui pourrait être de nature à relativiser l’impact de l’arrêt commenté, il faut ajouter que la position jurisprudentielle ancienne à laquelle la cour de Paris entend se rattacher n’a été prise qu’à propos de sociétés anonymes et non point de commandites par actions. Au regard de ce qui a été relevé ci-dessus, s’agissant de la différence de régime juridique entre la collectivité des actionnaires de SA et celle qui regroupe les commanditaires d’une SCA, il aurait peut-être été opportun d’indiquer quels sont les arguments qui militent pour appliquer aux commanditaires une position adoptée par des juges du fond à propos d’actionnaires de société anonyme. Enfin, la formulation du motif de rejet de la demande de convocation d’une assemblée générale, s’appuyant sur l’exigence de preuve de ce que la demande soit « conforme à l’intérêt social » (page 13), mérite aussi de retenir l’attention.

Puisque la juridiction parisienne invite elle-même à se placer sur le terrain de l’abus de droit (page 11), pour examiner la suite qu’il convient de donner à la demande formulée par les commanditaires, on ne peut manquer de faire référence à la jurisprudence bâtie par la Cour de cassation à propos de l’abus de minorité. On sait que, sur ce terrain, la Haute juridiction impose de s’assurer que l’attitude du minoritaire, dans l’exercice de son droit, a été « contraire » à l’intérêt social, en ce qu’il aurait interdit la réalisation d’une opération essentielle pour la société, dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés [6]. La question nous paraît légitimement devoir être posée : est-ce que, lorsqu’il s’agit pour des commanditaires de demander la réunion d’un AG, le refus du juge, sur le terrain de l’abus de droit, doit répondre aux mêmes exigences qu’en matière d’abus de minorité ? Il ne semble pas, dans l’affaire examinée, que la réunion sollicitée soit déclarée « contraire » aux intérêts de la société, il est juste indiqué que la preuve n’est pas apportée qu’elle était « conforme » à ses intérêts. La question sera alors de savoir s’il y a place à des nuances. La demande de convocation de l’AG par les commanditaires est-elle, forcément, contraire aux intérêts de la société, alors même qu’elle ne serait pas conforme audits intérêts ? Dans le contexte particulier de la société en commandite par actions, ne serait-il pas plus légitime de vérifier si cette demande n’est pas compatible avec les intérêts de la société ? Une telle approche, plus souple, serait peut-être de nature à tenir compte de la spécificité du régime juridique des sociétés en commandite par actions, conduisant à n’écarter la demande de réunion de l’AG, formulée par les commanditaires, que lorsqu’elle apparaît réellement contraire aux intérêts de la société. Si, sans être rigoureusement conforme à ses intérêts, la demande apparaissait comme étant compatible, elle pourrait alors être jugée bien fondée.  En l’espèce, peut-être en était-il ainsi ? Toutefois, une application mécanique aux commanditaires de la position jurisprudentielle adoptée à propos des actionnaires de SA mérite d’être discutée.

 

[1] Jurisprudence classique sur ce point : v. not. Cass. civ. 1, 17 mai 1993, n° 91-15.761 (N° Lexbase : A3671ACX).

[2] V. not. CA Colmar 24 septembre 1975, D., 1976, p. 348, note Y. Guyon.

[3] V. not. CA Paris, 15 mars 1990, D., 1992, somm., p. 179, note J.-Cl. Bousquet – CA Paris, 1ère ch., sect. A, 15 septembre 1992, n° 92/8479 (N° Lexbase : A9599A7N), Dr. sociétés, 1993, n° 98, note H. Le Nabasque.

[4] Cass. com. 22 avril 1966, n° 64-14.088, publié (N° Lexbase : A6861AYR), Gaz. Pal., 1966, 2, p. 269.

[5] CA Paris, 10 avril 1989, n° 89/ 5398 (N° Lexbase : A9492A7P), Rev. Sociétés, 1989, p. 485, note Th. Forschbach.

[6]  Cf. M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 2020, 33ème éd., n° 654.

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Transport

[Brèves] Indemnisation forfaitaire en cas de retard important ou d’annulation d’un vol : exclusion des enfants en bas âge sans billet d’avion

Réf. : Cass. civ. 1, 6 janvier 2021, n° 19-19.940, F-P (N° Lexbase : A89774B4)

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N6034BY7

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par Vincent Téchené

Le 13 Janvier 2021

► L'article 3 § 3 du Règlement n° 261/2004 (N° Lexbase : L0330DYU) exclut du champ d'application les passagers qui voyagent gratuitement, de sorte que l’enfant âgé de moins de deux ans, qui a voyagé sans billet d'avion sur les genoux de ses parents, ne peut pas bénéficier de l'indemnisation forfaitaire réclamée au transporteur aérien.

Faits et procédure. Un couple qui disposait d’une réservation délivrée par un transporteur aérien pour eux-mêmes et leurs trois enfants mineurs, sur le vol, sont parvenus à destination avec un retard de 22 heures 28 à la suite de l'annulation de ce vol. Sur le fondement du Règlement n° 261/2004 du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers, ils ont obtenu du transporteur aérien le versement d'une indemnité de 400 euros pour chacun d'eux et deux des enfants. Le transporteur aérien ayant refusé le versement de cette indemnité pour leur autre enfant en raison de son jeune âge et de ses conditions de voyage, ils l'ont assigné en paiement de cette indemnité et de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Le tribunal d’instance d'Ivry-sur-Seine ayant rejeté leur demande, ils ont formé un pourvoi en cassation.

Décision. Pour approuver la solution retenue par le tribunal, la Cour de cassation nous livre un arrêt tout particulièrement argumenté, dans lequel elle s’appuie sur le texte, son économie et son objectif, mais dans lequel elle convoque également un avis du CSE et la jurisprudence d’un autre État membre.

Elle rappelle, d’abord, que l’article 3 § 3 du Règlement n° 261/2004 dispose : « Le présent Règlement ne s'applique pas aux passagers qui voyagent gratuitement ou à un tarif réduit non directement ou indirectement accessible au public. Toutefois, il s'applique aux passagers en possession d'un billet émis par un transporteur aérien ou un organisateur de voyages dans le cadre d'un programme de fidélisation ou d'autres programmes commerciaux. » Ainsi, pour la Haute juridiction, il ressort du libellé de la première phrase de ce paragraphe que le membre de phrase « non directement ou indirectement accessible au public » se rapporte exclusivement aux termes « tarif réduit ». Elle relève par ailleurs que cette analyse se vérifie dans d'autres versions linguistiques de ce règlement, telles que les versions en langues allemande, anglaise, italienne et espagnole. Ainsi, il s'ensuit que l'article 3 § 3 du Règlement exclut du champ d'application de celui-ci les passagers qui voyagent à titre gratuit, même si cette gratuité est prévue dans une offre accessible au public.

La Cour ajoute que cette interprétation est corroborée par l'économie et l'objectif de ce Règlement, visant à renforcer les droits des passagers conférés par le Règlement n° 295/91 du 4 février 1991l, établissant des règles communes relatives à un système de compensation pour refus d'embarquement dans les transports aériens réguliers (N° Lexbase : L6431AUQ). Ainsi, alors que le Règlement n° 295/91 ne couvrait que les hypothèses de refus d'embarquement, le Règlement n° 261/2004 prévoit des droits particuliers en faveur des personnes à mobilité réduite (article 11), la reconnaissance d'un droit des passagers à l'information (article 14), le droit au remboursement en cas de déclassement (article 10, paragraphe 2), ainsi qu'un éventail de mesures différenciées en cas de refus d'embarquement de passagers contre leur volonté, d'annulation de leur vol et de vol retardé.

Cependant, il reprend à l'article 3 § 3 la restriction énoncée à l'article 7 du Règlement n° 295/91, aux termes duquel : « Le transporteur aérien n'est pas tenu au paiement d'une compensation de refus d'embarquement lorsque le passager voyage gratuitement ou à des tarifs non disponibles directement ou indirectement au public ».

La Cour ajoute que le maintien de cette exclusion du champ d'application du Règlement n° 261/2004 a également été relevé dans l'avis du Comité économique et social sur la « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière d'indemnisation des passagers aériens et d'assistance en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol ».

Enfin, cette interprétation de l'article 3 § 3 du Règlement n° 261/2004 a été retenue par une cour suprême d'un autre État membre (Cour fédérale d'Allemagne – Bundesgerichtshof – dans l'arrêt du 17 mars 2015 X ZR 35/14).

En outre, si cet article énonce à la deuxième phrase du paragraphe 3 que l'exclusion ne s'applique pas aux passagers en possession d'un billet émis dans le cadre d'un programme commercial, cette disposition ne concerne pas un très jeune enfant qui voyage sans billet sur les genoux de ses parents.

Elle en conclut que, en retenant que l'article 3 § 3 du Règlement n° 261/2004 exclut du champ d'application les passagers qui voyagent o gratuitement et que l'enfant en cause, âgée de moins de deux ans, qui a voyagé sans billet d'avion sur les genoux de ses parents, ne pouvait bénéficier de l'indemnisation forfaitaire réclamée au transporteur aérien, le tribunal a fait une application exacte de cette disposition.

Par ailleurs, elle énonce qu’en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de ladite disposition du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la CJUE d'une question préjudicielle.

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Voies d'exécution

[Jurisprudence] La saisie-attribution dans tous ses « É »tats

Réf. : Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, deux arrêts, n° 18-17.937 (N° Lexbase : A586039W) et n° 19-10.801 (N° Lexbase : A582139H)

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N6024BYR

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par Aude Alexandre-Le Roux, Avocat au barreau de Versailles, Avocat associé AARPI Trianon Avocats

Le 15 Janvier 2021

 


Mots-clés : saisie-attribution • établissement • succursale • territorialité des procédures civiles d’exécution • territorialité de la contrainte • immunité d’exécution •juge de l’exécution

Si le principe de territorialité des procédures civiles d’exécution interdit l’exercice d’une mesure d’exécution sur le sol d’un État étranger, il ne fait pas obstacle à l’exercice d’une saisie-attribution entre les mains d’une personne morale étrangère à la double condition qu’elle dispose d’un établissement en France qui détienne entre ses mains la créance du débiteur.


 

 

Avec l’essor des relations internationales, la territorialité des mesures d’exécution ne cesse de nourrir la jurisprudence.

Ainsi par deux arrêts en date du 10 décembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation statuait sur des difficultés d’exécution liées à l’accomplissement de saisie-attribution diligentées entre les mains de personnes morales étrangères.

Le pourvoi n° 18-17.937 (Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 18-17.937, FS-P+B+I N° Lexbase : A586039W) clôt une véritable saga judicaire qui aura duré plus d’une décennie afin d’obtenir l’exécution de deux jugements d’un conseil de prud’hommes.

Le premier jugement rendu en date du 5 octobre 2009 et notifié en date du 16 février 2010 a condamné solidairement l’ambassadeur des États-Unis et les Etats-Unis d’Amérique à payer la somme de 136 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse au bénéfice d’ayants-droits d’un ancien salarié de l’ambassade des États-Unis en France.
A défaut d’exécution spontanée, un second jugement du 22 mai 2012 liquide l’astreinte à la somme de 734 000 euros.

Lesdits jugements sont déférés à la cour d’appel par les États-Unis d’Amérique en date du 8 juillet 2014, l’ambassadeur des États-Unis régularise une intervention volontaire.

La cour d’appel déclare les appels et déclaration d’intervention volontaire irrecevables par arrêt rendu en date du 20 septembre 2016. Sur pourvoi des États-Unis, la deuxième chambre civile casse partiellement l’arrêt du 20 septembre 2016 seulement en ce qu’il avait déclaré irrecevable l’appel des États-Unis formé à l’encontre du jugement rendu le 22 mai 2012 ayant liquidé l’astreinte.

Sur arrêt de renvoi après cassation ledit jugement est finalement annulé en date du 8 octobre 2020.

Dans l’intervalle en exécution des deux jugements du conseil de prud’hommes, les ayants-droits de l’ancien salarié de l’ambassade des États-Unis font pratiquer une saisie-attribution sur les loyers payés par une société de droit américaine, la société Jones Day, pour son établissement situé à Paris au bénéfice des États-Unis.

La saisie-attribution pratiquée à l’encontre des États-Unis fait l’objet d’une contestation du débiteur devant le juge de l’exécution, contestation qui sera rejetée par jugement rendu en date du 9 mai 2017. La cour d’appel infirme le jugement du JEX et ordonne la mainlevée de la saisie attribution.

Les faits du second arrêt du même jour (Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-10.801, FS-P+B+I N° Lexbase : A582139H), concernent l’exécution d’une sentence arbitrale rendue exécutoire en France ayant condamné la République du Panama et de l’Autorité du canal de Panama en vertu de laquelle il a été fait pratiquer une saisie-attribution le 15 mai 2016, entre les mains de la succursale parisienne d’une banque étrangère la Standard Chartered Bank, ayant son siège social à Londres.

Le jour où la saisie est pratiquée, le tiers saisi informe dans un premier temps l’huissier de justice qu’il ne détient aucun compte ouvert au nom du débiteur avant de compléter sa réponse en indiquant que la succursale new-yorkaise de la Standard Chatered Bank détenait des fonds pour le compte de l’Autorité du Canal de Panama.

Le juge de l’exécution, saisi d’une contestation élevée conjointement par le débiteur et par le tiers saisi, ordonne mainlevée de la saisie-attribution.

La cour d’appel confirme le jugement déféré et rejette la demande de dommages et intérêts.

Dans l’affaire des États-Unis, les demandeurs au pourvoi font grief à l’arrêt attaqué d’avoir ordonné mainlevée de la saisie-attribution alors que, si le principe de territorialité des mesures d’exécution interdit aux agents de l’exécution d’intervenir sur le sol d’un État étranger, ce principe ne saurait faire obstacle à la réalisation d’une saisie-attribution d’une créance entre les mains de l’établissement en France d’une personne morale étrangère.

Le demandeur au pourvoi dans l’affaire du Panama oppose quant à lui que c’est à tort que la cour d’appel a cru juger que le principe de territorialité des procédures civiles d’exécution ferait obstacle à la réalisation d’une saisie-attribution de créances entre les mains d’une personne morale étrangère, même localisée à l’étranger, dès lors qu’aucune intervention matérielle n’est intervenue sur le territoire d’un autre État.

Deux questions de principe étaient ainsi soumises à la Cour de cassation. La première était de savoir si une mesure d’exécution peut être valablement diligentée à l’égard de l’établissement situé en France d’une personne morale étrangère (n° 18-17.937) mais également définir si l’effet attributif immédiat de la saisie-attribution peut s’appliquer sur une créance détenue à l’étranger entre les mains de l’établissement français d’une personne morale étrangère (n° 19-10.801).

Au visa de l’article L. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L5837IRM), la deuxième chambre civile casse, en toutes ses dispositions, l’arrêt qui avait cru considérer que la créance de loyers résultant d’un contrat de bail conclu entre les États-Unis d’Amérique et une société de droit américaine se trouvait nécessairement localisée sur le territoire des États-Unis (n° 18-17.937) et rejette le pourvoi après avoir constaté que la créance saisie résultait d’une ouverture de comptes dans la succursale newyorkaise de la banque (n° 19-10.801).

I. La localisation du tiers-saisi élément déterminant de la validité de la saisie-attribution

A. La réaffirmation du principe

L’application du principe de territorialité des mesures d’exécution nourrit un contentieux déjà ancien.

La localisation du tiers saisi génère de multiples interrogations quant à la possibilité de procéder, ou non, à une saisie-attribution.

Lorsque ce dernier est situé à l’étranger, a priori aucun doute ne subsiste, le principe de territorialité des procédures d’exécution fait échec à la poursuite d’une saisie-attribution.

En vertu de celui-ci les huissiers de justice ne peuvent intenter une action sur le sol d’un État étranger sans heurter son indépendance ni violer sa souveraineté.

De la même façon, les juridictions françaises ne sauraient connaître de mesures d’exécution diligentées à l’étranger en vertu d’une décision étrangère. Pour illustration, l’arrêt rendu en date du 4 mai 1976 dans lequel la première chambre civile connaît d’une mesure d’exécution diligentée pour exécution d’une décision rendue par une juridiction algérienne entre les mains d’une succursale d’une banque française située en Algérie (Cass. civ. 1, 4 mai 1976, n° 75-11.644, publié au bulletin N° Lexbase : A0225CGG) et énonce « qu’un tribunal français ne pouvait paralyser des actes d’exécution exercés sur le territoire d’un État étranger avec l’autorisation des juridictions compétentes de cet État ».

Dans un arrêt remarqué du 14 février 2008, la deuxième chambre civile, après avis de la Chambre commerciale, jugeait que « la banque qui a seule personnalité morale, est dépositaire des fonds détenus dans une succursale située à l’étranger et que la circonstance que les fonds sont déposés dans une telle succursale est…  sans incidence sur l’effet d’attribution au profit du créancier saisissant de la créance de somme d’argent à la restitution de laquelle est tenue la banque tiers-saisi en sa qualité de dépositaire », au visa de l’ancien article 43 de la loi du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : C14207B9) (désormais codifié à l’article L. 211-2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5838IRN).

L’idée directrice gouvernant cette solution, qui renforce l’efficacité de la saisie-attribution, réside dans le fait que la créance est réputée localisée à l’adresse du siège social et non à celle de la succursale dépourvue de personnalité morale.

Cette solution confirmait la position de principe de la chambre commerciale rendue concernant une procédure de saisie-arrêt, sous l’empire du droit antérieur, qui, à la différence de l’actuelle saisie-attribution n’entraînait pas attribution immédiate des fonds au profit du saisissant (Cass. com.,30 mai 1985).

B. L’évolution du principe

L’arrêt du 10 décembre 2020 (n° 18-17.937) apporte des précisions d’importance.

Dans cette affaire, en vertu de deux jugements rendus par un conseil de prud’hommes, un créancier procède à la saisie-attribution des créances de loyers de son débiteur entre les mains de l’établissement parisien d’une société de droit américain.

Les États-Unis, débiteur forme une contestation devant le juge de l’exécution qui les déboute de leur contestation.

Rappelons que la saisie-attribution est dénoncée au débiteur par acte d’huissier de justice dans un délai de huit jours et ce à peine de caducité de la mesure (CPCEx, art. R. 211-3 N° Lexbase : L2667ITX). Cette dénonciation fait courir le délai d’un mois ouvert au débiteur pour former une contestation à peine d’irrecevabilité (CPCEx, art. R. 211-1 alinéa 1er N° Lexbase : L2207ITW). Sous la même sanction, la contestation est dénoncée au plus tard le premier jour ouvrable suivant à l’huissier qui a procédé à la saisie, par lettre recommandée avec accusé de réception (CPCEx, art. R. 211-1 alinéa 2)

Les contestations sont portées devant le juge de l’exécution du domicile du débiteur (CPCEx, art. R. 211-10 N° Lexbase : L2216ITA). Au cas d’espèce le débiteur étant incarné par un État étranger, il est nécessaire de se tourner vers les règles de compétence générale édictées par le Code des procédures civiles d’exécution ; la compétence territoriale du juge de l’exécution est celle du lieu d’exécution de la mesure (CPCEx, art. R. 121-2 N° Lexbase : L2146ITN).

 

Il importe de souligner que les modalités de représentation devant le juge de l’exécution ont subi une transformation d’importance. Le domaine de la représentation obligatoire est étendu devant le juge de l’exécution pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020 (loi n° 2019-202 du 23 mars 2019, art. 109 N° Lexbase : L6740LPC et l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, art. 36 N° Lexbase : L4046LSN).
En raison de la territorialité de la postulation, l’avocat doit nécessairement exercer dans le ressort de la cour d’appel dans lequel il a établi sa résidence (loi du 31 décembre 1971, art.5 al.2 N° Lexbase : L6343AGZ).

Les exceptions à cette représentation obligatoire devant le juge de l’exécution sont limitativement édictées à l’article L. 121-4 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L4328LS4). Il s’agit tout d’abord des demandes relatives à la procédure d’expulsion.  Lorsque la demande a pour une origine ou tend au paiement d’une créance d’un montant n’excédant pas 10 000 euros, la représentation obligatoire est exclue (décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, art. 10 N° Lexbase : L8421LT3), sans préjudice des dispositions particulières gouvernant la représentation en matière de saisie des immeubles, navires, aéronefs et bateaux de navigation intérieure d’un tonnage égal ou supérieur à vingt tonnes. Ainsi en matière de saisie immobilière les parties sont tenues de constituer avocat (CPCEx, art. R. 311-4 N° Lexbase : L2390ITP) la demande de vente amiable est toutefois dispensée de constitution d’avocat. (CPCEx, art. R. 322-17 N° Lexbase : L2420ITS).

Il est à noter que la représentation obligatoire n’équivaut pas, ou plus, à la procédure écrite ; l’oralité de la procédure demeure ainsi devant le juge de l’exécution (CPCEx, art. R. 121-9 N° Lexbase : L2153ITW et R. 121-10 N° Lexbase : L2154ITX), à l’exception de la saisie immobilière.

L’arrêt d’appel infirme le jugement déféré en retenant que le principe de territorialité des voies d’exécution fait échec à l’appréhension par voie de saisie-attribution d’une créance de loyers versés pour la location d’un immeuble situé en France au profit d’une personne morale étrangère , localisant ainsi fictivement la créance aux États-Unis ;

La deuxième chambre civile censure la cour d’appel qui, pour ordonner mainlevée de la saisie avait cru devoir retenir que la créance saisie résultait d’un contrat de bail signé entre les États-Unis d’Amérique et une personne morale étrangère, dont le siège est dans l’Ohio et qu’elle se trouve nécessairement localisée sur le territoire des États-Unis.

En cassant et annulant en toutes ses dispositions l’arrêt rendu en date du 5 avril 2018, par la cour d’appel de Paris, la deuxième chambre civile rappelle, au visa de l’article L. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution que l’exercice d’une contrainte sur le tiers saisi ne peut produire effet que si le tiers saisi est établi en France.

La Cour de cassation considère qu’une mesure d’exécution par voie de saisie-attribution est valablement accomplie entre les mains de l’établissement d’une personne morale étrangère, qui « dispose d’une entité ayant le pouvoir de s’acquitter du paiement d’une créance du débiteur saisi à son encontre ».

 La Haute juridiction estime donc que la créance de loyers est localisée à l’adresse du paiement par l’entité établie en France et non au lieu du siège social de la personne morale étrangère.

II. La localisation de la créance condition préalable de la validité de la mesure

A. L’immutabilité du principe de localisation de la créance

L’application des procédures civiles d’exécution pose comme indispensable préalable que les biens sur lesquels elles portent soient localisés en France. La spécificité de la procédure de saisie-attribution réside incontestablement dans l’effet attributif immédiat qu’elle génère à l’égard des sommes dont est tenu le tiers saisi envers le débiteur (CPCEx, art. L. 211-2 N° Lexbase : L5838IRN). Toutefois pour que l’attribution immédiate puisse produire effet, il est indispensable de préalablement identifier l’endroit où se trouve la créance saisie.

La jurisprudence considère que la créance est localisée en France lorsque le tiers saisi y est domicilié. Comme évoqué supra dans l’hypothèse d’une saisie-attribution pratiquée à l’égard d’une personne morale française, la jurisprudence constante considère que la créance détenue au sein d’un établissement situé à l’étranger, est localisée au siège social en France dès lors que ledit établissement ne détient pas de personnalité morale.

En l’espèce du pourvoi n° 19-10.801, le créancier diligente une saisie-attribution auprès de l’établissement français d’une banque anglaise à l’encontre de l’Autorité du canal de Panama et de l’État du Panama.

Après avoir répondu dans un premier temps qu’il ne détenait aucun compte, le tiers saisi complète sa réponse et indique qu’il détient des fonds pour le compte du débiteur au sein de sa succursale newyorkaise.

Les déclarations du tiers saisi ne sont pas dénuées d’importance et engagent sa responsabilité. Dans l’hypothèse où celui-ci ne fournirait pas les renseignements prévus à l’huissier de justice, le créancier pourra faire émettre à son encontre un titre exécutoire pour les sommes dues par le débiteur. En cas de négligence ou de déclaration inexacte ou mensongère, il pourra en outre se voir condamné à payer des dommages et intérêts. (CPCEx, art. R. 211-5 N° Lexbase : L2211IT3).

Concernant la question de savoir si le tiers saisi devait procéder à la déclaration des comptes du  débiteur détenus dans des succursales à l’étranger,  la deuxième chambre civile avait déjà précisé que c’est « sans violer le principe de la territorialité des procédures d’exécution que la cour d’appel, a retenu que la banque, tiers saisi devait déclarer l’ensemble des sommes dues au débiteur, dès lors que celles-ci sont dues par la personne elle-même , peu important la localisation en France ; ou à l’étranger des succursales , elles-mêmes non constituées en sociétés distinctes, dans lesquelles les comptes sont tenus. » (Cass. civ. 2, 30 janvier 2002, n° 99-21.278 (N° Lexbase : A8621AXL).

Notons que, depuis le 1er janvier 2021, les procès-verbaux de saisie-attribution signifiés entre les mains d’établissements habilités par la loi à détenir des comptes de dépôt sont remis par voie électronique (CPCEx, art. L. 211-1-1 N° Lexbase : L7199LPC). Le législateur poursuit ainsi son objectif de dématérialisation des procédures d’exécution. En pratique l’huissier de justice qui procède à la saisie-attribution adresse désormais via la plateforme de l’ADEC (Association Des Échanges Électroniques) son procès-verbal de saisie-attribution. L’ADEC dirige l’acte vers le tiers saisi qui adresse désormais immédiatement sa réponse, ou à défaut au plus tard le premier jour ouvrable suivant (CPCEx, art. R. 211-4 N° Lexbase : L6670LT9).

Cette dématérialisation poursuit l’objectif de célérité de l’information et devrait vraisemblablement mettre un terme à la pratique de nombre d’établissements ayant pour habitude d’indiquer « une réponse vous sera fournie » sous tel ou tel délai, laissé arbitrairement à leur seule appréciation.

Cette dématérialisation transforme la compétence territoriale des huissiers de justice dont la compétence résultait auparavant de l’adresse du tiers saisi. Celle-ci est désormais rattachée au domicile du débiteur. Ainsi l’huissier de justice compétent pour signification à un tiers, quelle que soit l’adresse dudit tiers, sera l’huissier de justice compétent pour effectuer une signification au débiteur. Cette transformation accélère nécessairement le temps de de mise en œuvre de la mesure par l’huissier qui à la réception de l’état FICOBA, n’aura plus à saisir un confrère territorialement compétent en fonction de l’adresse du tiers saisi.

Il est naturellement à craindre que cette mise aux normes dure. Le créancier ne saurait toutefois se voir infliger aucune sanction du fait de la défaillance technique du tiers saisi, de sorte que l’absence de sanction à l’article L. 211-1-1 du Code des procédures civiles d’exécution apparait parfaitement justifiée.

Au cas d’espèce, le juge de l’exécution saisi d’une contestation conjointe du débiteur et du tiers saisi ordonne la mainlevée de la mesure. Ce jugement sera confirmé par la cour d’appel.

Il est à noter que la contestation du tiers saisi ne sera recevable que si ce dernier justifie d’un intérêt à agir.

Au visa de l’article L. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution, la Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que c’est par une exacte application de la règle de la territorialité des procédures d’exécution que la cour d’appel a constaté que la créance résultait de l’ouverture de comptes ouverts pour le compte du débiteur dans la succursale newyorkaise de la banque ayant son siège social à Londres.

Ainsi, la créance se trouvant détenue par une succursale étrangère alors que le siège social de la banque se trouve également à l’étranger, la saisie-attribution ne peut produire effet.

La créance ne pouvait en aucun cas se trouver fictivement localisée au sein de la succursale parisienne qui ne dispose pas de la personnalité morale et ne détient aucun compte ouvert au nom du débiteur. Il était donc impossible de régulariser une saisie-attribution en France auprès de cet établissement.

B. L’atteinte incontestable de la souveraineté des États

La territorialité de la contrainte a été définie comme un principe en vertu duquel la situation des biens sur le territoire d’un État est une condition nécessaire préalable à l’exercice de la contrainte par les autorités de cet État (R. Perrot et Ph. Théry, Procédures civiles d’exécution, Dalloz, 2e édition 2005 n° 29 et s., spéc. n° 33 p.33)

Une mesure d’exécution diligentée sur une créance détenue à l’étranger par une personne morale étrangère porte atteinte à la souveraineté de l’État concerné et se trouve de facto privée d’effet. Cette mesure porte atteinte à la souveraineté de l’État concerné.

L’immunité d’exécution dont jouissent les États a été consacrée à l’article 1er de la loi du 9 juillet 1991 (désormais codifié à l’article L. 111-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5789IRT).

Celle-ci a en outre fait l’objet d’une révision par la loi du 9 septembre 2016, n° 2016-1691, dite « Sapin 2 » (N° Lexbase : L6482LBP) démontrant ainsi la volonté de la France de strictement encadrer l’exécution sur la scène internationale.

Il a ainsi été entériné la possibilité pour un État de renoncer de façon non équivoque à une mesure d’exécution. Cette exécution demeure toutefois strictement encadrée puisqu’il sera nécessaire d’obtenir a priori l’autorisation du juge de l’exécution (CPCEx, art. L. 111-1-1).

Le juge de l’exécution jouera ici le rôle de gardien de la souveraineté des États tiers. Il appartient aux huissiers de justice en charge de ce délicat type d’exécution de s’enquérir de l’autorisation du JEX avant d’instrumenter.

A défaut de détenir ce précieux sésame, l’immunité d’exécution dont bénéficiera l’État anéantira purement et simplement la mesure d’exécution poursuivie en fraude de ses droits, sans qu’aucune nullité de forme ne puisse être objectée.

Ainsi, sur le pourvoi qui nous occupe (n° 19-10.801), après s’être prévalu de l’effet attributif immédiat, qui selon lui aurait permis d’appréhender une créance détenue dans une succursale à l’étranger d’une banque dont le siège social est à l’étranger ; le demandeur soutient que le procès-verbal de saisie-attribution a valablement été signifiée au lieu de l’établissement de la banque en France, au visa de l’article 690 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6891H7D).

Au surplus, le demandeur au pourvoi objecte que si le procès-verbal de saisie-attribution signifié au tiers saisi s’avérait irrégulier, cette irrégularité ne pouvait qu’être sanctionnée par la nullité, à charge pour la banque de prouver le grief qu’elle lui causait.

Comme le juge de l’exécution avant elle, la cour d’appel aurait donc dû écarter le moyen aucun grief n’ayant été démontré.

Les jugements du juge de l’exécution bénéficient de l’exécution provisoire de plein droit (CPCEx. art. R. 121-21 N° Lexbase : L2165ITD). Ce principe ancien n’a pas fait l’objet de modifications à l’occasion de la réforme de la procédure civile de décembre 2019 laquelle a opéré un changement majeur du régime d’exécution provisoire puisque celle-ci est devenue le principe pour les jugements prononcés à l’issue d’une instance introduite à compter du 1er janvier 2020 (CPC. art. 514 N° Lexbase : L9080LTH).

Comme au cas d’espèce, lorsque le jugement du juge de l’exécution ordonne mainlevée de la mesure, afin de ne pas priver l’appel de toute portée pratique, il est vivement conseillé de diligenter en parallèle une demande de sursis à exécution auprès du premier président de la cour d’appel (CPCEx. art. R. 121-20 N° Lexbase : L7259LEL). Ce sursis, sui generis, des décisions rendues par le juge de l’exécution n’est accordé que dans l’hypothèse où il est justifié de sérieux moyens d’infirmation du jugement entrepris (CPCEx. art. R. 121-22 N° Lexbase : L6806LES).

L’intérêt de cette demande de sursis n’est pas négligeable, puisque dès la signification de l’assignation en référé devant le premier président de la cour d’appel et jusqu’à ce que ce dernier statue, la validité de la saisie, ou de la mesure conservatoire, est prorogée lorsque mainlevée a été ordonnée. A contrario, si les poursuites n’ont pas été remises en cause, la demande suspend les poursuites.

Attention toutefois, cette assignation devra impérativement être dénoncée au tiers entre les mains duquel la saisie est pratiquée. A défaut de ce faire, le tiers pourrait être amené à se libérer des fonds.

Le recours au référé premier président est donc particulièrement recommandé lorsque le juge de l’exécution statue sur la validité d’un procès-verbal de saisie-attribution permettant ainsi au créancier de préserver l’effet attributif immédiat, qui ne vaut toutefois pas paiement et n’en produit pas les effets.

Tel n’est pas de l’avis de la deuxième chambre civile qui retient que les deuxième et troisième branches du moyen sont inopérantes. La saisie auprès d’un établissement bancaire ne détenant aucun compte ouvert au nom du débiteur est impossible sans qu’il ne soit nécessaire d’évaluer la validité de la signification de l’acte contesté.

En marge des difficultés liées à l’exécution à l’échelle internationale, la signification des actes destinés à des personnes établies à l’étranger nourrit un contentieux important.  A l’échelle européenne, afin d’harmoniser les pratiques et ainsi rendre plus efficaces les significations d’actes entre pays membres, un nouveau Règlement n° 2020/1784 a été adopté en date du 25 novembre 2020 (N° Lexbase : L8247LY4) et entrera en vigueur le 1er juillet 2022. Ce dernier abrogera ainsi le Règlement du 13 novembre 2007 n° 1393/2007 (N° Lexbase : L4841H3P). La possibilité de procéder à la signification par lettre recommandée est maintenue. Il sera désormais possible de l’effectuer par voie électronique sous la condition, expresse cependant, que le destinataire ait au préalable expressément consenti à cette signification.

Si l’objectif poursuivi est naturellement de sécuriser et d’accélérer les notifications entre pays membres, gageons que ces nouvelles modalités de signification ne seront pas opérationnelles avant de nombreux mois et qu’elles engendreront un contentieux fourni quant aux aléas des services postaux et autres entités en charge de sécuriser les notifications par voie électronique.

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