La lettre juridique n°754 du 20 septembre 2018

La lettre juridique - Édition n°754

Avocats

[Le point sur...] L’Acte sous signature privée contresigné par avocat ou la réception d’une pratique multiséculaire dans le droit codifié : il ne manque plus que la force exécutoire

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, Membre du Conseil national des barreaux, Expert auprès du Conseil des barreaux européens

Le 19 Septembre 2018

L’article 1er du «projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées» a introduit dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), les articles 66-3-1, 66-3-2 et 66-3-3. Ils consacrent l’acte d’avocat. Le texte a été adopté par le Sénat et l’Assemblée nationale respectivement le 30 juin et le 9 décembre 2010.

Son adoption définitive, après une seconde lecture du Sénat, date du 15 mars 2011.

Les polémiques sur ce texte furent vives, certains allant jusqu’à dénoncer un acte concurrent de l’acte authentique sans le bénéfice de la sécurité juridique que ce dernier confère.

Un examen historique révèle pourtant que ce texte ne fait que consacrer la réalité d’une pratique ancienne, laquelle résulte de fonctions et de devoirs de l'avocat multiséculaires.

Le principe de la codification des usages n’est pas une nouveauté dans le système français.

D’un droit essentiellement coutumier dont l’oralité s’est peu-à-peu orientée vers l’écrit à partir des 15ème et 16ème siècle, le droit privé français a connu à partir de la seconde moitié du 17ème siècle une mutation profonde par la multiplication des codifications.

Ces codifications anciennes ne prétendaient plus opérer de réforme générale mais se bornaient à un objet déterminé : la clarification d’une matière.

Il convient à cet égard de se remémorer les ordonnances de Louis XIV et de Louis XV dont l’initiative appartint à Colbert.

Le nouveau texte apporté à la loi du 31 décembre 1971 répond, sans aller au-delà, à cet objectif de clarification.

L'évolution du corps de notre droit impacta celle de notre profession lorsqu’elle fut, depuis l’ordonnance de 1539 de Villers-Cotterêts, confirmée postérieurement par celle criminelle d’août 1670, exclue du procès pénal.

Ecarté du prétoire pénal, l’avocat devenait le «jurisconsulte recherché, savant» [1].

Louis XIV fit appel aux plus éminents d’entre eux comme Auzanet, Fourcroix, aux fins d’unifier les coutumes et de participer ainsi à ce mouvement important de codification.

L’avocat ne répondait déjà plus à la seule image du grand orateur qu’il connut depuis sa création.

Son intervention dans les écrits, qu’ils soient législatifs ou juridiques, confirmait ainsi une fonction de rédacteur.

Cette fonction est le corollaire de celle de conseil que le moyen-âge a scellée depuis les fondements de la profession.

Si ce rôle de rédacteur peut se concevoir comme l’aboutissement d’une fonction de conseil, les devoirs que la jurisprudence a accrus dans l’intérêt du client justiciable, connaissent également une ancienneté assurée.

Bien avant l’adoption du texte définitif de l’acte d’avocat, la Cour de cassation érigeait ces obligations au rang que certains auteurs qualifient de quasi-légales à l'égard de toutes les parties [2].

Comme a pu l’écrire notre confrère Jacques Varoclier «si l’acte d’avocat, en tant que marque, est une création, l’acte établi par un avocat n’est pas une nouveauté puisque la rédaction de la majorité des actes sous-seings-privés émane de cette profession» [3].

Nous rappellerons ci-après qu’en dehors de ses fonctions oratoires, l’avocat a depuis plusieurs siècles assuré une fonction de rédacteur, que la loi nouvelle ne vient pas créer, mais tout simplement consacrer au travers d’un régime clarifié (I).

D’obligations «quasi-légales», la loi du 15 mars 2011 (loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées N° Lexbase : L8851IPI) ne crée pas un nouvel acte, mais confirme l’existence d’un acte qui s’est toujours placé historiquement entre l’acte authentique et l’acte sous seing privé simple. (II)

 

 

I - La rédaction : rappel d’une fonction multiséculaire

 

Si on s’en tient à la simple étymologie «de advocatus», on peut d’ores et déjà constater que le terme n’est nullement restrictif. "Ad", "à" et "vocatus", "appelé", signifie celui qui est appelé dans une acception large.

Entendre qu’il s’agirait d’un simple appel à plaider serait réducteur.

L’appel des avocats à l’écrit a émané non seulement des Monarques les plus illustres mais également de justiciables durant plusieurs siècles.

Le rôle de conseil a toujours précédé celui de rédacteur.

L’écrit sera la consécration de cette fonction.

Ce sera la fonction principale de l’avocat lorsque celui-ci sera exclu du prétoire des affaires pénales.

 

I.1 - La fonction historique de conseil 

 

Si l’ordonnance du 23 octobre 1274 de Philippe Le Hardi a fait naître la profession d’avocat en France, celle-ci a pris son essor depuis la création du Parlement de Paris, lorsqu’elle reçut son premier statut en vertu de l’arrêt du 13 mars 1344.

Le Parlement, composé de gens d’armes et de religieux, faisait en effet appel aux avocats pour leur savoir.

Le rôle de conseil de l’avocat, lié à la science juridique qu’on lui connaissait, cristallisait un partenariat entre les avocats et le Parlement qui révélait d’ores et déjà une fonction de conseil plus qu’importante. Le Parlement avait recours aux plus illustres pour rédiger ses arrêts.

Jusqu’à l’ordonnance de François 1er, dite de Villers-Cotterêts (1539), l'avocat a assuré le rôle de conseiller civiliste aux côtés de sa fonction de défenseur.

Exclu à partir de 1539 du procès pénal, le rôle de conseil a été d’autant plus accru pour l’avocat que les monarques, qui se sont succédés, l’ont appelé aux fins d’unifier le droit positif français, en participant de manière plus active à la codification des coutumes.

L’avocat du 17ème, puis du 18ème siècle, fut essentiellement un homme de cabinet.

Son rôle de conseil et de juriste se rapprochait sensiblement de celui d’aujourd’hui.

Le plus éminent était appelé «jurisconsulte» après 20 ans d’exercice.

Il ne plaidait pas et ses mémoires ainsi que ses écritures faisaient autorité.

Cette fonction de conseil répondait aux besoins de l’évolution de la société des 17ème et 18ème siècle, marqués notamment par le développement des échanges et du commerce maritime.

Il suffira notamment de se rappeler de l’importance du rôle qu’avaient joué :

- Monsieur Berryer, père en tant qu’arbitre, médiateur, conciliateur et conseil en droit des affaires ;

- Monsieur le Bâtonnier François-Denis Tronchet, dont les talents reconnus de juris-consulte nourrissaient une clientèle importante, notamment dans sa campagne de Palaiseau où il s’était retiré après avoir refusé de paraître au barreau, à la suite de l'exil du Parlement en 1774. Ses mémoires juridiques ont marqué l'histoire des rédacteurs.

 

Alors que Napoléon Bonaparte manifestait sans équivoque son hostilité et une méfiance accrue envers les avocats, il confirmait pourtant la prééminence du rôle de conseil-rédacteur lorsqu’il confiait la rédaction du Code civil à quatre avocats, dont Portalis et le Bâtonnier Tronchet.

Monsieur Charvray de Boissy, Avocat au Parlement de Paris, clamait dans son discours du 14 décembre 1776, prononcé à la rentrée de la conférence publique des Avocats au Parlement : «le conseil de la Loi sera toujours important. En un mot, dans la rédaction de tous ses actes susceptibles de divers intérêts, les parties ne se repentiront jamais de l’avoir suivi» [4].

Monsieur le Professeur Félix Liouville voyait dans la fonction de conseil remplie par l’avocat l'essence même de sa mission : «Consulter d’après l’exposé du client, positif ponendis, ce n’est pas remplir sa mission. Le conseil ne doit s’en tenir à cet exposé qu’autant qu’il lui a été possible de vérifier par lui-même les faits et les actes : au cas d’impossibilité, il le déclarera formellement, afin que sa consultation n’égare personne [...]. Dans les consultations pour lesquelles il a un ministère presque officiel à remplir, on conçoit qu’il est tenu d’y apporter d’autant plus de réflexion et d’études que la Loi elle-même l’appelle à éclairer la justice» [5].

Ernest Cresson ne voyait-il pas l’apogée de cette fonction lorsqu’il écrivait en 1888 que «rien dninterdit à un avocat par les conseils duquel une convention, même sous-seings-privés, est rédigée de lui imprimer l’autorité de sa signature comme conseil… L’acte doit être digne de lui et de sa profession» [6].

Le rôle de rédacteur a effectivement suivi cette fonction primordiale de conseil.  

 

 

I.2 - La traduction d’une fonction et d’un devoir de conseil accomplis 

 

Protagonistes de la construction d’un droit nouveau, les avocats ont œuvré pendant plusieurs siècles à la construction d’un droit français codifié.

Ecartés du prétoire par le pouvoir, ils sont du 17ème jusqu’à la fin du 18ème siècle, et encore plus à partir du 17ème, ceux dont les mémoires et les écritures font autorité.

On ne plaidait plus à cette époque, sauf rares exceptions dont Gerbier ou Berryer père, avocats d’affaires.

L’avocat des 17ème et 18ème siècle avait une activité comparable à celle des grands cabinets de droit des affaires d’aujourd’hui, répondant aux besoins de la société de ce temps à laquelle il apportait les solutions qu’elle attendait.

Plaidant peu, ces éminents juristes déposaient mémoires et conclusions qui exigeaient déjà leur signature, et non celles de ceux que l’on appelait des Procureurs.

Le 18ème siècle a fait l’avocat roi, en raison de la société de son temps, 1815 reconnaissant la liberté d’expression et celle de la presse.

Son rôle va être considérablement accru lors des révolutions de 1830 et 1848.

Cet avocat de la parole va laisser à ses côtés subsister une activité juridique cantonnée à la rédaction d’actes de sociétés, de ventes de fonds de commerce, avec après la loi de 1866 sur les sociétés anonymes, la naissance des conseils juridiques dont la première compagnie est née en 1876.

L’avocat n’en perdait pas pour autant son rôle de rédacteur car, il convient de le rappeler, depuis le 18ème siècle, seule sa signature au bas des écritures ou des mémoires ou des notes de plaidoiries prévalait.

L’arrêté du 20 décembre 1827 disposait : «rien n’interdit à un avocat par les conseils duquel une convention, même sous seing privé, est rédigée, de lui imprimer l’autorité de sa signature comme conseil» [7].

L’acte sous seing privé connaissait déjà une autre dimension lorsqu’il était rédigé par les avocats.

Ainsi que le reconnaissait dans sa thèse Eugène Baratin [8] «les actes sous signature privée peuvent être écrit par toutes autres personnes que les parties contractantes et même par des notaires ou autres officiers publics, ce que défendaient les anciens règlements».

L’auteur rappelle que lorsque les pouvoirs étaient réticents à l’intervention de l’avocat dans la rédaction des actes sous-seings-privés, la pratique révélait que les parties accordaient une confiance importante à leur conseil.

Touillier citait à cet égard un exemple assez fréquent dans les usages de la Bretagne : "En matière de transactions, chaque partie remet à son avocat où son représentant une feuille signée en blanc et qui n’est remplie qu’après coup ; toutes les conditions y contenues sont obligatoires pour les signataires qui ont donné leurs instructions préalables à leur mandataire».

L’acte d’avocat était bien né.

Ce rôle de conseil et de rédacteur que le nouvel article 66-3-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) pose n’est, à l'évidence, pas nouveau.

Il s'agit de la consécration de l’évolution d'une profession en phase avec celle de notre société.

La valeur qu’accordent les nouvelles dispositions des articles 66-3-2 et 66-3-3 à l’acte contresigné sont celles inhérentes aux devoirs que l’avocat, conseil et rédacteur, se doit de respecter, rappelés au nouvel article 66-3-1 : le devoir d’éclairer les parties, l’examen nécessaire des conséquences juridiques de l’acte, avec implicitement la notion d'efficacité juridique à laquelle cet examen renvoie nécessairement.

*

 

II - D’obligations «quasi-légales», la loi ne crée pas un nouvel Acte mais en confirme l’existence

 

Le prix à payer par l’avocat de la valeur attachée à sa signature, au bas de l’acte sous seing privé qu’il a rédigé, résulte des obligations dont il est débiteur et pour lesquelles il doit assumer une pleine et entière responsabilité.  

Celle-ci constitue une réelle garantie pour le justiciable.

 

II.1 - Des devoirs quasi-légaux 

 

La jurisprudence exige, depuis de nombreuses années, que l’avocat rédacteur d’actes ait satisfait à son obligation de conseil, d’efficacité de l’acte juridique qu’il a rédigé, et de loyauté en préservant notamment un équilibre à l’égard de toutes les parties.

Aux termes du nouvel article 66-3-1, en contresignant l’acte, «l’avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte».

La formulation retenue n’emporte pas création d’un nouveau régime de responsabilité, car l’avocat qui participe à la rédaction d’un acte sous seing privé est d’ores et déjà soumis à une obligation de conseil, d’informations, de compétences et de diligences.

La première chambre civile de la Cour de cassation a précisé très nettement le 11 octobre 1966 que le devoir de conseil de l’avocat implique celui d’éclairer les parties, de s’assurer de la validé des actes et de s’assurer de l’efficacité des actes rédigés [9].

En analysant cet arrêt, Monsieur le Conseiller Aubert, dans le rapport 1994 de la Cour de cassation, a rappelé les trois socles de la responsabilité d’un conseil rédacteur : «L’obligation d’informations qui constitue naturellement le noyau central du devoir de conseil se trouve complété en amont par l’obligation de vérifications et, en aval, par une obligation d’efficacité».

La loi nouvelle ne fait donc que rappeler et légaliser cette jurisprudence fondatrice.

Le 22 Juin 1999, la Cour de cassation précisait et ajoutait que "le rédacteur d’un acte juridique est tenu, à l’égard de toutes les parties, d’en assurer l’efficacité».

Cette décision était extrêmement importante car elle signifiait que les rédacteurs d’actes, y compris les avocats, n’avaient plus comme unique vocation la défense des intérêts de leurs clients, mais qu'ils pouvaient alors, à l’instar des notaires, revêtir la qualité de «tiers impartial» ou «d’arbitre»  [10], puisqu’ils étaient désormais tenus de conseiller les deux parties.

L’obligation de conseil va être encore plus profonde et va transcender en réalité la nature du rapport juridique, pour englober toutes les parties à l’opération dont le professionnel est le maître d’œuvre.

La jurisprudence rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 novembre 2008 permet de vérifier ce principe de façon extrêmement claire : «[...] en qualité d’unique rédacteur d’un acte sous seing privé, l’avocat était tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d’autre, peu important le fait que l’acte a été signé en son absence, après avoir été établi à la demande d’un seul des contractants» [11].

 

Un second arrêt du 25 février 2010 va dans le même sens en jugeant que "le rédacteur d’acte, tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des incidences, notamment fiscales, des engagements souscrits de part et d’autre, peu important que son concours ait été sollicité par l’une d’elle et qu’il doit apporter la preuve qu’il a rempli cette obligation à leur égard, quelque soient leurs compétences personnelles» [12].

Ainsi en matière de rédaction d’acte, les obligations de l’avocat sont très étendues et particulièrement rigoureuses, si bien d’ailleurs que certains auteurs les qualifient d’obligations de résultat, voire même d’obligations quasi-légales [13].

Il n’est donc pas surprenant que le nouveau texte donne une contrepartie à ces obligations en donnant à l'acte d'avocat une portée supérieure à celle d'un simple acte sous seing privé.

Cette consécration légale constitue la contrepartie naturelle que la profession était en droit d’attendre face à une évolution prétorienne de plus en plus drastique.

 

II.2 - La confirmation légale d’un acte juridique autonome

 

L’acte d’avocat ne constitue pas une nouvelle catégorie d’actes qui élargirait les branches de l’alternative acte authentique/acte sous seing privé, mais constitue «davantage une officialisation via un sceau original des actes émanant d’avocat» [14].

Cependant, son autonomie réside dans sa genèse qui est identifiable, puisqu’il est induit d’une rédaction professionnelle et qu'il implique une assistance des signataires. La signature de son ou ses auteurs présume alors que les parties ont été suffisamment éclairées.

Rien de nouveau ici : il s'agit tout simplement d'apporter une précision dont le mérite est de distinguer l'acte rédigé par l'avocat, l'acte authentique et le simple acte sous seing privé. 

Les actes authentiques ont pour fonction de consigner des moments juridiques importants dans la vie des citoyens de la citée, en les solennisant et en les rendant pratiquement incontestables.

Les spécialistes les définissent comme des actes qui sont dressés par des officiers publics compétents ayant reçu de la loi la mission d’instrumenter et qui, en raison de la qualité de leur rédacteur, méritent qu’on leur accorde une particulière autorité. [15]

Dumoulin écrivait au XVI siècle, dans son commentaire de la coutume de Paris, «scripta publica probant se ipsa» (les écritures publiques font foi par elles-mêmes) ». L'auteur précisait :"l’acte fait foi parce-que le Notaire a agi «propriis sensibus, visus auditus» («parce qu’il a vu et entendu personnellement tout ce qu’il a rapporté»).

Cela ne fait pas pour autant de l’acte sous seing privé un contrat de dernier rang.

Sans pour autant concurrencer l’acte authentique, l’acte sous seing privé peut être rédigé par un avocat.

Bien qu’il ne soit pas officier ministériel, les obligations inhérentes à l’exercice de la fonction d’avocat renforcent naturellement la valeur de l’acte qu’il rédige.

L’intervention de l’avocat se manifeste en effet par ses diligences de rédaction et les conseils qui la précèdent.

Cette démarcation était déjà notée au début du 19ème siècle : «Rien n’interdit à un avocat par les conseils duquel une convention, même sous seing privé, est rédigée, de lui imprimer l’autorité de sa signature comme conseil». [16]

Dans sa thèse de 1855, Monsieur Eugène Baratin remarquait que les actes sous signature privée peuvent être écrits par toute autre personne que les parties cocontractantes  [17].

Avant le nouveau texte du 15 mars 2011, les actes de cette troisième catégorie, réalisés «sous assistance juridique», étaient par défaut classés dans la catégorie des actes sous seing privé sans différenciation.

Pourtant les caractéristiques propres de l’acte rédigé par l’avocat, telles que la jurisprudence les a dégagées au fil du temps, ne pouvaient davantage être mises au ban.

La jurisprudence donne à l’avocat une mission qui confère à l’acte qu’il a rédigé des qualités d’efficacité supérieures à celles de l’acte sous seing privé usuel rédigé sans son intervention.

Cette règle figure au premier aliéna l’article 7.2 du règlement intérieur national de la profession d’Avocat (N° Lexbase : L4063IP8)  [18].

La loi du 15 mars 2011 a enfin introduit dans notre droit écrit ce qui a été érigé au cours de plusieurs siècles.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK) a introduit l’acte sous signature privée contresigné par avocat dans le Code civil à l’article 1374. 

Il sera donc vain pour les détracteurs de ce texte d’y voir la création d’un acte concurrent non sécurisé, voire inutile, sauf à mépriser l’histoire multiséculaire d’une profession aux actes de laquelle il manque encore la force exécutoire.

La garantie de l’acte d’avocat exhale naturellement une mission de service public d’efficacité, de force probante et d’équilibre que la force exécutoire doit confirmer clairement.

L’avocat n’est-il pas au-delà d’un auxiliaire, un vrai partenaire de justice ?

Assurément. C’est ce qu’édicte en toute clarté l’article 6.1 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat (N° Lexbase : L4063IP8) : « Partenaire de justice et acteur essentiel de la pratique universelle du droit, l’avocat a vocation à intervenir dans tous les domaines de la vie civile, économique et sociale…».

L’avancée des textes projetés le confirme : extension de la représentation obligatoire par avocat, son rôle dans les modes alternatifs de règlement amiable des litiges, son rôle de conseil pour éviter le conflit et le contentieux…

L’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 devrait consacrer cette fonction de partenaire plutôt que de maintenir l’auxiliaire suranné. 

L’efficacité que donne à l’acte contresigné par l’avocat l’article 1374 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L1026KZZ) confirme que depuis plusieurs siècles les garanties attachées à la mission rédactionnelle de l’avocat donnent aux actes qu’il contresigne une force autonome laquelle, sans concurrencer l’authenticité, doit en permettre une exécution sans que soit nécessaire pour ce faire d’avoir recours au juge ou à l’officier ministériel.

L’obligation de conseil transcende la nature du rapport juridique, pour englober toutes les parties à l’opération dont le professionnel est le maître d’œuvre. Le seul intérêt privé est dépassé pour servir un intérêt général d’équilibre, d’efficacité, donc de validité, ce qui suppose évidemment l’examen du respect de l’ordre public.

En matière de rédaction d’acte, les obligations de l’avocat sont très étendues et particulièrement rigoureuses, si bien d’ailleurs que certains auteurs les qualifient d’obligations de résultat, voire même d’obligations quasi-légales [19]. Il n’est donc pas surprenant que le nouveau texte donne une contrepartie à ces obligations en donnant à l'acte d'avocat une portée supérieure à celle d'un simple acte sous seing privé.

La garantie de l’acte d’avocat exhale naturellement une mission de service public d’efficacité, de force probante et d’équilibre que la force exécutoire doit confirmer clairement. La profession peut donc se voir reconnaître, par la loi, dans le cadre du régime de l’acte d’avocat, une délégation de mission de service public de la justice lorsque deux avocats contresignent un acte sous seing privé.

La force exécutoire pourra ainsi être reconnue à l’acte d’avocat dès lors qu’il sera garanti au débiteur et aux tiers concernés le droit à un recours effectif tant en ce qui concerne le bien fondé du titre et l’obligation de payer, que le déroulement de la procédure d’exécution forcée, conformément à ce qu’a rappelé le conseil Constitutionnel dans sa décision du 23 juillet 1999 n° 99-416 (C. const., 23 juillet 1999, n° 99-416 N° Lexbase : A8782ACA).

Il ne reste donc plus qu’un pas…

 

 

[1] «Sur la profession de demain, à la lumière des leçons de son histoire de Jean-Gaston Moore», Revue de jurisprudence commerciale, septembre/octobre 2008, n° 5, p. 340.

[2] P.-Y. Gautier, L’obligation de conseil du rédacteur d’acte : devoir quasi légal envers toutes les parties, RTDCiv. 2009, p. 134 ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B (N° Lexbase : A4608EBB ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4312E7T), Bull. civ. I – D. 2009, 706, note Ch. Jamin.

[3] J. Varoclier, L’acte d’avocat : much ado about nothing ?,  Gaz. Pal., 26-28 juin, 2011. 

[4] Charvray de Boissy, l'avocat, où réflexions sur l’exercice du Barreau, discours prononcé à la rentrée de la conférence publique de Messieurs les avocats au Parlement de Paris, le 14 décembre 1776.

[5] F. Louville, Abrégé des règles de la profession d’avocats, 1883.

[6] Ernest Cresson, Usages et règles de la profession d’Avocats - jurisprudence, ordonnances, décrets et lois, 1888.

[7] Ernest Cresson, Usages et règles de la profession, jurisprudence, ordonnances, décrets et lois", 1888.

[8] Eugène Baratin, De la preuve littérale privée et plus spécialement des actes sous seing privé en droit français, Thèse pour le Doctorat présentée en 1855.

[9] Cass. civ. 1, 11 octobre 1966 (N° Lexbase : A5094KLA).

[10] Patrick Michaud, L’acte d’avocat : l’acte de la liberté contractuelle sera-t-il une révolution ?!».

[11] Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B (N° Lexbase : A4608EBB ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4312E7T), D., 2009, p. 706, commentaire Christian Jamin.

[12] Cass. civ. 1, 25 février 2010, n° 09-11.591, F-D (N° Lexbase : A4489ES3 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4312E7T).

[13] P-Y. Gautier, L’obligation de conseil du rédacteur d’acte : un devoir quasi légal envers toutes les parties, RTDCiv., 2009, p. 134.

[14] J. Varoclier, L’acte d’avocat : much ado about nothing ?, op. cit..

[15] Ch. Beudan, Cours de droit civil, 2ème édition n° 1181.

[16] E. Cresson, Usages et règles de la profession d’avocat, jurisprudences, ordonnances, décrets et lois, 1888

[17] E. Baratin, De la preuve littérale privée et plus spécialement des actes sous seing privé en droit français, Thèse, 1855.

[18] «L’avocat rédacteur d’un acte juridique assure la validité et la pleine efficacité de l’acte selon les prévisions des parties. Il refuse de participer à la rédaction d’un acte ou d’une convention manifestement illicite ou frauduleuse».

[19] P.-Y. Gautier, L’obligation de conseil du rédacteur d’acte : un devoir quasi légal envers toutes les parties, RTDCiv., 2009, page 134.

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Consommation

[Brèves] Droit de rétraction : la communication commerciale et la publicité via un site internet n'entrent pas dans le champ de l'activité principale d’un architecte

Réf. : Cass. civ. 1, 12 septembre 2018, n° 17-17.319, FS-P+B (N° Lexbase : A7795X4H)

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par Vincent Téchené

Le 19 Septembre 2018

► La communication commerciale et la publicité via un site internet n'entrant pas dans le champ de l'activité principale d’un architecte, ce dernier bénéficie du droit de rétractation prévu par l'article L. 121-21 (N° Lexbase : L2014KGP), devenu L. 221-18 (N° Lexbase : L1567K78) du Code de la consommation. Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 septembre 2018 (Cass. civ. 1, 12 septembre 2018, n° 17-17.319, FS-P+B N° Lexbase : A7795X4H).

 

En l’espèce, le 17 juillet 2014, hors établissement, un architecte, a souscrit un contrat, avec une société, de création et de licence d'exploitation d'un site internet dédié à son activité professionnelle, ainsi que d'autres prestations annexes. Le 2 septembre suivant, l’architecte a dénoncé le contrat. Lui déniant le droit de se rétracter, la société l'a assigné en paiement. La cour d’appel a confirmé l'anéantissement des effets du contrat et a condamné la société  à rembourser les sommes versées par l’architecte en exécution de celui-ci (CA Douai, 23 mars 2017, n° 16/00837 N° Lexbase : A0009UGG).

 

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation rappelle, en premier lieu, qu'il résulte de l'article L. 121-16-1, III (N° Lexbase : L2015KGQ), devenu L. 221-3 (N° Lexbase : L1582K7Q) du Code de la consommation, que le professionnel employant cinq salariés au plus, qui souscrit, hors établissement, un contrat dont l'objet n'entre pas dans le champ de son activité principale, bénéficie des dispositions protectrices du consommateur édictées par ce code.

 

Puis, énonçant, en second lieu, la solution précitée, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

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Contrat de travail

[Brèves] De l’applicabilité de la clause de non-concurrence à l’égard d’un salarié dont les deux employeurs successifs ne sont pas en situation réelle de concurrence

Réf. : Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 17-10.853, FS-P+B (N° Lexbase : A7900X4D)

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par Blanche Chaumet

Le 19 Septembre 2018

►Si la clause interdisant, avant l'expiration d'un certain délai, au salarié quittant une entreprise, d'entrer dans une autre entreprise exerçant une activité similaire, ne s'applique pas dès lors que les deux entreprises ne sont pas en situation réelle de concurrence mais appartiennent au même groupe économique, et que le passage du salarié de l'une à l'autre est le résultat d'une entente entre lui et ses deux employeurs successifs, elle reprend ses effets normaux à partir du jour où le contrat de travail avec le second employeur a été rompu, sans que ce délai puisse s’en trouver reporté ou allongé.

 

Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 septembre 2018 (Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 17-10.853, FS-P+B N° Lexbase : A7900X4D ; voir également Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-22.116, FS-P+B N° Lexbase : A4441MDT).

 

En l’espèce, un salarié a, le 1er septembre 2005, été engagé par une première société, en qualité de directeur commercial. Le contrat de travail comportait une clause de non-concurrence. Les relations contractuelles ont été rompues suivant protocole d'accord du 30 juin 2007 afin que le salarié soit engagé le 1er juillet 2007 par une seconde société appartenant au même groupe. Une rupture conventionnelle homologuée par l'autorité administrative est intervenue début 2010 entre le salarié et la seconde société.

 

La cour d’appel ayant, sur renvoi après cassation (Cass. soc., 31 mars 2016, n° 15-11.395, FS-D N° Lexbase : A1595RBP), débouté le salarié de sa demande d’indemnité de non-concurrence formulée à l’encontre de la première société, ce dernier s’est pourvu en cassation.

 

Cependant en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. La cour d’appel ayant constaté qu’à la date de la rupture du contrat de travail avec la seconde société plus de deux ans s’étaient écoulés depuis la rupture du contrat initial et que la clause de non-concurrence figurant dans ce contrat avait été contractuellement fixée à deux années, elle a exactement retenu que le salarié ne pouvait prétendre au paiement par la première société de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence (cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E8736ESD).

newsid:465540

Douanes

[Brèves] Conformité des dispositions prévoyant une peine minimale d’emprisonnement pour le délit de blanchiment douanier

Réf. : Cons. const., 14 septembre 2018, décision n° 2018-731 QPC (N° Lexbase : A3659X4B)

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N5491BXN

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par Marie-Claire Sgarra

Le 19 Septembre 2018

Les dispositions de l’article 415 du Code des douanes (N° Lexbase : A8572XTN) sont conformes à la Constitution.

 

Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 14 septembre 2018 (Cons. const., 14 septembre 2018, décision n° 2018-731 QPC N° Lexbase : A3659X4B).

 

Pour rappel, cet article prévoit que «seront punis d'un emprisonnement de deux à dix ans, de la confiscation des sommes en infraction ou d'une somme en tenant lieu lorsque la saisie n'a pas pu être prononcée, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction et d'une amende comprise entre une et cinq fois la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction ceux qui auront, par exportation, importation, transfert ou compensation, procédé ou tenté de procéder à une opération financière entre la France et l'étranger portant sur des fonds qu'ils savaient provenir, directement ou indirectement, d'un délit prévu au présent code ou d'une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants».

 

La requérante a été poursuivie, à l’issue d’un contrôle douanier, des chefs de complicités de transfert non déclaré de sommes d’argent, de blanchiment douanier, de blanchiment du produit d’un délit et de trafic de stupéfiants. Elle soutenait que l’article 415 du Code des douanes, en ce qu’il interdisait une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans pour réprimer le délit de blanchiment douanier était contraire aux principes de nécessité et d’individualisation des peines.

 

Compte tenu, d'une part, de l'écart entre la durée minimale et la durée maximale de la peine d'emprisonnement et, d'autre part, du niveau des quantums ainsi retenus, la juridiction n'est pas privée de la possibilité de fixer, dans ces limites, la peine d'emprisonnement en fonction des circonstances de l'espèce. Par ailleurs, l'instauration de cette peine d'emprisonnement minimale n'interdit pas à la juridiction de faire usage d'autres dispositions d'individualisation de la peine lui permettant de prononcer les peines et de fixer leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur.

 

Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines, le Conseil constitutionnel estime qu’en punissant d'une peine minimale d'emprisonnement de deux ans le délit de blanchiment de certains produits d'un délit douanier ou d'une infraction à la législation sur les stupéfiants, pour lequel la peine maximale d'emprisonnement encourue est de dix ans, le législateur n'a pas méconnu le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

 

newsid:465491

Droit des étrangers

[Jurisprudence] «Délit de solidarité» : le Conseil constitutionnel étend l’immunité de l’article L. 622-4 du CESEDA au nom du principe de fraternité

Réf. : Cons. const., décision n° 2018-717/718 QPC, du 6 juillet 2018 (N° Lexbase : A1710XWA)

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N5498BXW

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par Serge Slama, Professeur de droit public, Université Grenoble Alpes, CESICE

Le 19 Septembre 2018

Mots-clés : Droit des étrangers / Constitutionnalité / Délit de solidarité / Fraternité / Loi "Asile - Immigration"

La décision commentée [1] fera date en raison de la reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de fraternité et de l’un de ses corollaires, la liberté d’aider d’autrui à titre humanitaire. Cette nouvelle liberté fondamentale permet au Conseil constitutionnel d’étendre l’exemption pénale de l’article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8952IU4), qui était réservée à la seule aide au séjour irrégulier, à l’aide à la circulation dès lors que la seconde constitue l’accessoire de la première, ainsi que l’immunité humanitaire du 3° de ce même article. Toutefois, sur le fondement d’un raisonnement critiquable, le juge constitutionnel exclut expressément que l’exemption puisse bénéficier aux cas d’aide à l’entrée irrégulière. Il écarte aussi les griefs tirés de la méconnaissance des principes de légalité des délits et des peines et de nécessité et de proportionnalité des peines. En outre, dans la mesure où le Conseil constitutionnel n’a pas exercé de contrôle de constitutionnalité sur l’article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8951IU3) on ne peut valablement considérer que le «délit de solidarité», selon l’expression consacrée, a été «aboli». Alors qu’il avait jusqu’au 1er décembre 2018 pour modifier l’article L.622-4, le législateur a d’ores et déjà saisi l’occasion de l’examen du projet de loi «asile-immigration-intégration» (loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie N° Lexbase : L9696LLP), pour faire évoluer l’immunité tout en exigeant, de manière critiquable, que l’aide au séjour ou à la circulation apportée soit «exclusivement» dans un but humanitaire.

Si la décision «Cédric H.» du 6 juillet 2018 est assurément une «grande» décision du Conseil constitutionnel ce n’est pas parce qu’elle aurait permis l’abolition de ce qu’on appelle communément le «délit de solidarité» [2], c’est-à-dire la possibilité de poursuivre une personne qui, de manière désintéressé, aide un sans-papier, mais en raison de la reconnaissance, pour la première fois, de la valeur constitutionnelle du principe de fraternité ainsi que la consécration, comme corollaire, d’une nouvelle liberté garantie par la Constitution : la liberté d’aider autrui à titre humanitaire. C’est d’ailleurs le caractère «nouveau» de ce grief d’inconstitutionnalité qui avait formellement justifié la transmission par la Cour de cassation [3] des deux QPC déposées par Cédric Herrou et Pierre-Alain Mannoni à l’occasion des pourvois en cassation introduits contre les décisions de la cour d’appel d’Aix les condamnant sur le fondement de l’article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et écartant à leur bénéfice l’exemption pénale de l’article 622-4, 3° [4].

 

En se plaçant délibérément sur le caractère nouveau, et non sur le caractère sérieux, de la question de constitutionnalité, la Cour de cassation indiquait d’ores et déjà l’importance qu’elle accordait à ce grief et à ce que le Conseil constitutionnel se prononce expressément sur la reconnaissance de valeur et du caractère normatif du principe de fraternité.

 

Preuve de l’importance de la décision, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a de manière inhabituelle pris la parole publiquement pour la commenter en insistant sur le fait qu’ «à l’instar de la liberté et de l’égalité qui sont les deux autres termes de la devise de notre République, la fraternité devra être respectée comme principe constitutionnel par le législateur et elle pourra être invoquée devant les juridictions» [5]. Cela constitue la confirmation que les Sages de la rue Montpensier ont entendu faire de la décision n° 2018/717-718 QPC une «grande» décision marquant l’histoire constitutionnelle. Les occasions sont, en effet, peu fréquentes pour le juge constitutionnel de constater pour la première fois la valeur constitutionnelle d’un principe républicain et de consacrer une nouvelle liberté fondamentale invocable par les justiciables devant les juridictions.

 

Le Conseil constitutionnel ne se prononce, toutefois, pas expressément sur la constitutionnalité de l’article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - cette fameuse disposition du statut des étrangers qui depuis 1938 permet de réprimer toute personne, physique ou morale, qui «aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France». Certes, la Cour de cassation a bien transmis au juge constitutionnel deux QPC portant sur les dispositions des articles L. 622-1 et L. 622-4 (dans sa rédaction résultant de la loi «Valls» du 31 décembre 2012 N° Lexbase : L8109IUU). Toutefois, même si deux dispositions fondent les condamnations de l’agriculteur et du chercheur, et sont donc bien applicables au litige (cons. 2), le Conseil constitutionnel a, eu égard à l’argumentation des parties et des nombreuses associations tiers intervenantes [6], décidé de restreindre la QPC à l’examen des seuls mots «au séjour irrégulier» figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 (qu’il va censurer en reportant l’effet de sa décision au 1er décembre 2018) ainsi que du 3° de ce même article (à propos duquel il va formuler une réserve d’interprétation d’effet immédiat). La stratégie des requérants a, en effet, été de focaliser la discussion constitutionnelle sur l’étendue de l’immunité pénale, insuffisante à leurs yeux, et non sur l’incrimination en elle-même. Même si la seule solution pour réellement «abolir» le «délit de solidarité» serait de réécrire ou d’abroger l’article L. 622-1 afin d’exclure que toute aide désintéressée de cette incrimination, il était évident, en l’état de la jurisprudence, que le Conseil constitutionnel ne remettrait pas en cause la définition de ce délit aussi large soit-elle [7].

Formellement l’article L. 622-1 peut donc encore faire l’objet d’une QPC et le «délit d’hospitalité», selon l’expression de Jacques Derrida, existe toujours [8]. Dans l’absolu l’article L. 622-4, 3° pourrait d’ailleurs aussi faire l’objet d’une nouvelle question de constitutionnalité puisque pour tenter de se conformer à la décision n° 2018/717-718 le Gouvernement a saisi l’opportunité qui lui offrait, après l’échec de la commission mixte paritaire, l’examen en seconde lecture devant l’Assemblée nationale du projet de loi «asile-immigration-intégration» pour faire amender en séance le texte (amendement n°472 des députés "LREM" du 21 juillet 2018 et n°479 des députés "Modem"). Si celui-ci procède bien à une extension de l’exemption pénale à «toute autre aide» apportée, le but poursuivi doit être désormais «exclusivement» humanitaire. On peut penser que le Gouvernement a ainsi entendu exclure du bénéfice de l’immunité les personnes qui aident les migrants également par militantisme. On peut, néanmoins, se demander si l’ajout de cet adverbe ne restreint pas abusivement la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet.

Malgré ces tergiversations, il n’en reste pas moins que la reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de fraternité, défendue de longue date par le Professeur Michel Borgetto [9], et la consécration de la liberté d’aider autrui à titre humanitaire permet au Conseil constitutionnel d’étendre l’exemption pénale de l’article L. 622-4 mais aussi le champ des possibles du contrôle de constitutionnalité (I). Toutefois, la conciliation de ce principe avec l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public, dont fait partie la lutte contre l’immigration irrégulière, amène, de manière critiquable, le juge constitutionnel à faire une application à géométrie variable de ce principe en laissant la possibilité pour le législateur de maintenir certaines formes de pénalisation d’actes de solidarité dès lors qu’elle n’est pas guidée par un but humanitaire (II).

 

I - Au nom de la fraternité : une extension de l’immunité pénale de l’article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du champ des possibles du contrôle de constitutionnalité

 

La reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de fraternité, et de son invocabilité en QPC, constitue un progrès indéniable du contrôle de constitutionnalité (A.). Et ce d’autant plus que ce principe est immédiatement concrétisé par la consécration d’une nouvelle liberté fondamentale, invocable elle-aussi en QPC mais aussi, selon toute vraisemblance, en référé-liberté. Elle permet, en l’espèce, au Conseil de censurer l’article L. 622-4 en ce qu’il n’incluait pas l’aide à la circulation irrégulière qui constitue, aux yeux du juge constitutionnel, un accessoire de l’aide au séjour, du champ de cette immunité familiale ou humanitaire (B.).

 

A - Un progrès indéniable du contrôle de constitutionnalité : la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de la fraternité et de son invocabilité en QPC

 

La valeur constitutionnelle du principe de fraternité ne faisait aucun doute. Il s’agit même d’un des principes matriciels le plus fréquemment mentionné dans la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L7403HHN) et l’un des plus constants des constitutions et de la devise républicaines. C’est même un des principes distinctifs entre les constitutions républicaines et celles des autres régimes (monarchiques, impériaux ou autoritaires). On connaît aussi l’attachement des révolutionnaires et des quarante-huitards à ce principe, notamment sous l’influence de la franc-maçonnerie [10].

Dès la Révolution les trois termes «Liberté, Egalité, Fraternité» s’imposent comme éléments constitutifs de la devise républicaine [11]. Eclipsés sous le Directoire, le Consulat, la Restauration et la Monarchie de Juillet, ils redeviennent la devise officielle de la République en 1848 aussi bien sous la IIème que la IIIème Républiques. Remplacée par le triptyque «Travail, Famille, Patrie» sous le régime de Vichy, la devise est naturellement rétablie par la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L1356A94) (article 2) et reprise, sans discussion, par la Constitution de 1958 (article 2, alinéa 4) [12].

La fraternité est mentionnée et concrétisée à deux reprises dans le Préambule de la Constitution de 1848 puis dans celle de 1946. Il est aussi fait mention de ce principe, en sus de son article 2 mentionnant la devise, à deux autres reprises dans la Constitution de 1958 : d’une part, le Préambule de la Constitution qualifie la fraternité, au même titre que la liberté et l’égalité, d’«idéal commun» sur lequel sont fondées les institutions nouvelles offertes aux territoires d’outre-mer manifestant leur volonté d’y adhérer (soit la «Communauté» alors instituée aux articles 77 à 87, abrogés en 1995) ; le premier alinéa de l’article 72-3 dispose enfin que «la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité».

Au regard de ces solides bases constitutionnelles il y avait donc tout lieu de penser que le Conseil constitutionnel ne pouvait valablement déclarer sans fondement la QPC transmise visant à la reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de fraternité.

Et de manière limpide, le Conseil constate dans son considérant 7 qu’«il ressort» de ces dispositions, et du Préambule de 1946, que «la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle». La formulation utilisée est exactement la même que celle de la décision de 1994 par laquelle il avait consacré la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine qui «ressortait» de la première phrase du Préambule de 1946 [13].

Mais si cette valeur constitutionnelle ne faisait aucun doute on pouvait davantage s’interroger sur juridicité et son contenu précis, notamment lorsque ce principe est invoqué en QPC. Ainsi, le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de donner un contenu concret en QPC au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine [14]. Mais depuis 2008, il a été clairement affirmé, à propos de la Charte de l’environnement, aussi bien par le juge constitutionnel [15] que le juge administratif [16] que toutes les dispositions de celles-ci, quel que soit leur degré de normativité, sont invocables devant un juge.

 

Certains universitaires, en particulier le Professeur Michel Borgetto, à qui il faut rendre hommage tant il a été le promoteur infatigable de la fraternité depuis sa thèse de référence [17], défendaient la valeur constitutionnelle de ce principe mais aussi sa juridicité. Dans un point de vue publié par la Revue (grenobloise) des droits et libertés fondamentaux (RDLF) le directeur du CERSA soutenait en ce sens la possibilité d’«identifier un certain nombre de conséquences ou de traductions juridiques générales […] au-delà, d’en déduire l’application particulière qui devrait en être faite s’agissant des dispositions litigieuses» [18]. Ont sûrement, également, pesé dans la consécration de la juridicité du principe de fraternité les prises de position d’anciens membres du Conseil. En effet, Guy Canivet avait soutenu, dans une conférence mise en ligne sur le site de la juridiction constitutionnelle, que «l’idée selon laquelle la fraternité se révèlerait incapable de légitimer et de fonder des droits et obligations juridiquement contraignants est démentie aussi bien par l’analyse historique que par la théorie juridique» [19]. Dans le même sens Jean-Claude Colliard annonçait que «viendrait maintenant le temps de la fraternité» [20].

La prédiction du regretté doyen s’est avéré juste. Mais quel contenu fallait-il donner à ce principe ?  Sans s’engager plus en avant, le Conseil consacre uniquement dans sa décision du 6 juillet une nouvelle liberté fondamentale, de circonstance, en consacrant la liberté d’aider à titre humanitaire son prochain, y compris s’il est en situation irrégulière.

 

B - La consécration de la liberté fondamentale d’aider autrui à titre humanitaire, invocable en QPC et en référé-liberté

 

Dans ses écrits, Michel Borgetto défend l’idée que le principe de fraternité à deux dimensions, l'une collective, fondée sur l’exigence de solidarité et l’autre, individuelle (ou plus précisément interindividuelle), fondée sur l’exigence de tolérance à l’égard, par exemple, des formes d’entraide apportées à des personnes en détresse en dépit de leur caractère délictueux [21]. Prudemment, le Conseil constitutionnel ne précise pas davantage les composantes du principe constitutionnel de fraternité, laissant ouvert le champ des possibles. Il se contente uniquement -et c’est déjà beaucoup- de lui reconnaître un contenu «cousu main» visant à juger de la constitutionnalité de l’immunité de l’article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en faisant découler, dans son considérant 8, de ce principe une nouvelle liberté constitutionnelle, à savoir «la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national».

 

Il est probable que le juge constitutionnel n’a pas voulu aller plus en avant dans la détermination du contenu matériel du principe de fraternité, afin de ne pas s’interdire par la suite de possibles futurs développements de ce principe mais aussi, d’un point de vue stratégique, pour ne pas provoquer la crainte du Gouvernement ou l’ire du Législateur ou des accusations du «Gouvernement des juges» [22]. Il se réserve donc la possibilité, à d’autres occasions, de donner, ou pas, un contenu plus précis et de déduire d’autres corollaires de ce principe matriciel. Le commentaire des services du Conseil (p. 19) ne fait d’ailleurs pas mystère que ce principe «pourra éventuellement trouver d’autres applications à l’avenir»…

 

Le progrès pour la défense des droits de l’Homme est donc indéniable dans la mesure où le principe de fraternité et la liberté nouvelle dégagée dans l’affaire «Cédric H.» pourront non seulement être invoqués en QPC par des justiciables à l’encontre d’autres dispositions législatives anti-solidaires qui y contreviendraient mais aussi devant le juge judiciaire et le juge administratif. Le champ des possibles est donc largement ouvert.

 

Le principe et la nouvelle liberté fondamentale ont d’ailleurs d’ores et déjà été invoqués en référé-liberté dans une requête à l’encontre d’un arrêté anti-mendicité du maire de Besançon. Et, sans faire droit à la requête, le juge des référés du TA de Besançon a déduit, dans une ordonnance du 28 août -qui a donné lieu à un appel devant le Conseil d’Etat-, du principe de fraternité «la liberté fondamentale d’aider autrui dans un but humanitaire» [23].

 

Mais comme le relève ce juge des référés bisontin le Conseil constitutionnel a aussi considéré que ce principe «ne revêt […] pas un caractère général et absolu et doit être conciliée, notamment avec l’objectif de préservation de l’ordre public», Dans sa décision n° 2018/717-718 QPC, le Conseil a, en effet, fait une application à géométrie variable du principe de fraternité par sa conciliation avec l’exigence de lutte contre l’immigration irrégulière, composante de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

 

II - Au nom de la lutte contre l’immigration irrégulière : une application à géométrie variable de la solidarité

 

A la lecture de la décision du 6 juillet 2018, l’enthousiasme suscité par la consécration de la valeur constitutionnelle de la fraternité est rapidement refroidi lorsqu’on découvre que le juge constitutionnel tempère la portée de ce principe au nom de l’exigence de lutte contre l’immigration irrégulière. Par ce truchement, le juge constitutionnel module sa portée selon que l’aide humanitaire apportée concerne la circulation, qui doit bénéficier de la même immunité que le séjour, ou l’entrée qui en est exclue (A). Il écarte aussi les griefs portant sur la méconnaissance des principes de légalité des délits et des peines et de nécessité et de proportionnalité des peines en considérant que le législateur avait pu valablement ne pas prévoir «d'exemption pénale, hors du cercle familial, en cas d'aide au séjour irrégulier dans un but autre qu'humanitaire», interrogeant par suite la portée de la décision s’agissant des actes de solidarité qui ne poursuivent pas un but exclusivement humanitaire mais s’inscrivent aussi dans une démarche militante (B).

 

A - Une extension de l’exemption pénale de l’article L. 622-4 à l’aide à la circulation irrégulière

 

Pour tempérer la portée du principe de fraternité à l’égard des étrangers, le Conseil constitutionnel rappelle d’abord, d’une part et de manière classique depuis 1993, qu’ «aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national» [24] et d’autre part, comme il le fait depuis 2011, que ce principe doit se concilier avec «l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière» qui participe à l’objectif de valeur constitutionnelle de la sauvegarde de l'ordre public [25].

En premier lieu, le résultat de cette conciliation permet au Conseil constitutionnel d’invalider L. 622-4, 3° car ces dispositions ne permettaient le bénéfice de l’exemption pénale qu’au bénéfice de la personne mise en cause pour aide au séjour irrégulier et non pour aide à la circulation «lorsqu’elle constitue l'accessoire de l'aide au séjour de l'étranger et si elle est motivée par un but humanitaire» (cons. 13).

Le même raisonnement aurait dû conduire le juge constitutionnel à invalider aussi le fait que cette exemption ne concerne pas non plus l’aide à l’entrée irrégulière.

Pourtant, faisant une application à géométrie variable du principe de fraternité, le Conseil estime que dans ce cas l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière l’emporte de manière absolue sur le principe de fraternité, car l’aide à l’entrée, juge-t-il, «a nécessairement pour conséquence (…) de faire naître une situation illicite» (cons. 12).

En consultant le commentaire officiel de la décision (pp. 21-22) on comprend qu’aux yeux du juge constitutionnel il y avait lieu de distinguer ces deux formes d’aide car la première consistant «à contribuer à l’entrée d’un étranger ne disposant pas du droit à séjourner sur le territoire national», elle «crée par principe une situation irrégulière» alors que la seconde n’a pas la même conséquence s’agissant d’un étranger «déjà présent sur le territoire». Elle peut tout au plus contribuer «à maintenir une situation irrégulière». Un tel raisonnement ne peut que surprendre.

En effet, d’une part, sur le plan des principes, on aurait pourtant pu penser que comme le principe de dignité, le principe de fraternité a nécessairement un caractère absolu et indifférencié à l’égard du bénéficiaire de la fraternité. Le juge constitutionnel le reconnaît d’ailleurs puisque la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire concerne toute personne «sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national». De la même façon qu’ils sont indifférents à la situation administrative de la personne aidée, des gestes de fraternité apportée à autrui sont totalement indifférents à la question de savoir s’il est nécessaire, ou non, de franchir une frontière….

 

D’autre part, et d’un point de vue plus juridique, il est tout aussi illicite pour un étranger d’entrer irrégulièrement sur le territoire que de s’y maintenir. En outre, il est inexact de considérer que l’aide apportée à une entrée irrégulière contribue nécessairement à la création d’une situation irrégulière car, dans la pratique, particulièrement dans les cols alpins, on s’aperçoit que les migrants qui traversent les frontières sont souvent des demandeurs d’asile, des mineurs isolés ou d’autres catégories d’étrangers particulièrement vulnérables (étrangers gravement malades, personnes victime de la traite de l’être humain, etc.) qui bénéficient d’un droit au séjour. En outre, s’agissant des demandeurs d’asile la traversée irrégulière d’une frontière n’est pas répréhensible en vertu de l’article 33 de la Convention de Genève de 1951 (N° Lexbase : L6810BHP).  Du reste, même si le délit d’entrée irrégulière figure toujours à l’article L.621-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1717I3Y) alors que le délit de séjour irrégulier a été abrogé par la loi «Valls» en 2012 à la suite de décisions de la Cour de justice de l’Union européenne [26] et de la Cour de cassation [27], le délit d’entrée irrégulière aurait aussi dû évoluer à la suite de l’arrêt «Affum» [28]. C’est d’ailleurs chose faite puisque se conformer au droit de l’Union européenne, le texte de la loi «Collomb» adopté par le Parlement prévoit d’abroger cette disposition [29].

Certes on peut comprendre la différence de régime juridique entre l’aide à l’entrée et l’aide au séjour irréguliers au regard de la Directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (N° Lexbase : L7681A8Y), qui elle-même vient appliquer le Protocole de Palerme de 2002 des Nations Unies visant à lutter contre la traite de l’être humain. Pour l’aide à l’entrée ou au transit, l’article 1-1, a. de cette Directive prescrit aux Etats d’adopter des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque «aide sciemment» un ressortissant d’un Etat tiers de l’Union européenne «à pénétrer» ou à «transiter» illégalement sur le territoire d'un Etat membre. Dans ce cas, l’article 1-2 autorise expressément les Etats, sans l’imposer, de décider de ne pas prévoir de sanctions dans les cas où le comportement en cause «a pour but d'apporter une aide humanitaire à la personne concernée». En revanche, s’agissant de l’aide au séjour irrégulier, les sanctions ne sont possibles, selon l’article 1-1, b. qu’à l’égard de quiconque aide «sciemment, dans un but lucratif» [30] un ressortissant de pays tiers à séjourner illégalement [31]. Mais dans ce cas-là la Directive couvre implicitement l’aide au séjour à titre humanitaire puisqu’elle est nécessairement non lucrative. Ainsi, le droit de l’Union européenne, sans l’imposer, n’interdit pas aux Etats d’exclure l’aide humanitaire aussi bien du champ de l’aide au séjour que l’aide à l’entrée et au transit irréguliers.

En second lieu, on conçoit mal pourquoi le Conseil constitutionnel précise que l’aide à la circulation serait nécessairement «l’accessoire de l’aide au séjour» alors que ces infractions sont distinctes dans l’article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et en droit de l’Union européenne.

Le commentaire autorisé justifie la solution adoptée par le Conseil par le fait que l’aide à la circulation «est susceptible de se confondre avec l’aide au séjour dans la mesure où elle suppose nécessairement que la personne étrangère en situation irrégulière se trouve déjà sur le territoire national». Curieusement pour fonder cette décision, le commentaire se réfère au commentaire par Jacques-Henri Robert d’une décision de la Cour de cassation de 2004. Dans cette affaire [32] un chauffeur de taxi avait été mis en cause car il avait transporté des migrants jusqu’à la Manche. Et dans son commentaire le professeur Robert avait noté que «ni les juges du fond ni la Cour de cassation n'allèguent de telles circonstances qui rendraient plus délictueuse l'activité litigieuse. Ils ne cherchent pas non plus à dissocier la 'circulation', évidemment établie et le 'séjour', plus discutable, mais il est vrai que si les étrangers 'circulent' sur le territoire ils y 'séjournent' nécessairement» [33]. C’est donc une opinion doctrinale qui fonde un raisonnement pour le moins critiquable du juge constitutionnel. Même le commentaire des services du Conseil concède in fine qu’en réalité «l’aide à la circulation irrégulière recouvre une disparité de situations, dans lesquelles cette circulation est plus ou moins rattachable au séjour irrégulier» (p. 22).

Par suite, le Conseil constitutionnel censure l’article L. 622-4 seulement en tant qu’il n’inclut pas l’aide à la circulation dans le périmètre de l’exemption pénale au même titre que l’aide au séjour irrégulier.  Il écarte en revanche que l’aide à l’entrée puisse bénéficier de la moindre immunité. Heureusement, le commentaire officiel rappelle utilement, que «l’aide à l’entrée irrégulière n’est pas pénalement réprimée lorsque l’acte constitutif de l’aide est, compte tenu d’un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la personne dès lors que cela constitue alors, en application de l’article 122-7 du Code pénal (N° Lexbase : L2248AM9relatif à l’état de nécessité [34], une cause d’irresponsabilité pénale» (p. 21).

 

On sait, en effet, que dans les cols alpins les sauveteurs en montagne étaient inquiets du risque de poursuites lorsqu’ils portent assistance aux migrants en détresse et parfois, à la suite d’un sauvetage, les véhiculent.

Dans sa décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 portant sur la loi «Collomb» (N° Lexbase : A4476X38), il mentionne utilement et expressément à propos de la pénalisation de l’aide à l’entrée irrégulière qu’il est loisible au législateur «de réprimer ce délit, dès lors que, en application de l'article 122-7 du Code pénal, n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace autrui, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne, à moins d'une disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace» (cons. 107). Par suite, il confirme dans cette décision qu’en n'instituant pas d'exemption pénale en cas d'aide à l'entrée irrégulière même si celle-ci est apportée dans un but humanitaire, «le législateur n'a pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public» (cons. 108).

 

Pour des raisons de sécurité juridique, le Conseil constitutionnel donne, dans sa décision du 6 juillet, au législateur jusqu’au 1er décembre 2018 pour revoir sa copie avant que l’article L. 622-4 ne soit abrogé. Une telle modulation des effets dans le temps tombe à point nommé puisqu’en première lecture du projet de loi «Collomb», l’Assemblée avait d’ores et déjà adopté l’amendement gouvernemental n° 1172  visant à étendre l’immunité pénale applicable au séjour irrégulier à la circulation.

Mais, une fois n’est pas coutume, le Conseil constitutionnel a été plus loin qu’une censure platonique, comme il l’a fréquemment fait durant l’état d’urgence, en ajoutant à sa censure des mots «séjour irrégulier» de l’article L. 622-4 une réserve d’interprétation portant sur l’immunité humanitaire du 3° de cette disposition.

 

B - Les ambiguïtés sur l’extension de l’immunité de l’article L. 622-4, 3° aux (seules ?) fins humanitaires

 

L’habileté des conseils de Cédric Herrou et Pierre-Alain Mannoni a permis de porter le débat sur la limitation de l’immunité humanitaire de l’article L. 622-4, 3°. Cette immunité qui était au cœur de deux arrêts de cours d’appel ayant condamné l’agriculteur et le chercheur résultait d’une vision étriquée de cette immunité par la loi «Valls» de 2012.

Rappelons que l’immunité humanitaire résulte initialement d’une transposition a minima par la loi du 26 novembre 2003 [35] de la «clause humanitaire» de la Directive du 28 novembre 2002 [36]. La formulation retenue par cette loi «Sarkozy», inspirée de la définition de l’état de nécessité, enserrait l’immunité pour motif humanitaire dans d’étroites limites [37]. Par la suite, à l’occasion de la polémique déclenchée par Eric Besson à propos du manifeste des délinquants de la solidarité [38], le ministre de l’Immigration et de l’identité nationale avait publié, avec la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, deux circulaires censées clarifier les conditions d’application de l’immunité aux personnes œuvrant dans un contexte humanitaire. Les associations d’aide aux plus démunis, en particulier Emmaüs, les Restos du Cœur ou le Secours catholique, étaient en effet inquiètes du risque de poursuites de leurs salariés ou bénévoles qui assistent, à titre humanitaire, de manière inconditionnelle, toute personne, y compris des sans-papiers. Si le Conseil d’Etat avait alors validé, moyennant certaines réserves, ces circulaires [39], ce contentieux avait servi de levier aux associations pour obtenir, après l’élection de François Hollande à la présidence de la République, que l’article L. 622-4, 3° soit réécrit.

Mais le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, avait alors volontairement limité cette immunité au seul fait pour toute personne physique ou morale de fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux afin d’assurer à l’étranger «des conditions de vie dignes et décentes» ou «toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci» et à la condition que l’acte reproché n’ait donné lieu «à aucune contrepartie directe ou indirecte» [40].

Pourtant dès l’adoption de la loi de 2012 [41], des parlementaires de la majorité socialiste avaient souligné que la rédaction de cette disposition était «trop restrictive pour protéger du risque de poursuites pénales les personnes manifestant de façon désintéressée, de quelque façon que ce soit, leur solidarité à l’égard d’un étranger en situation irrégulière» [42].

En tout état de cause, c’est cette rédaction alambiquée qui a permis, dans le contexte de rétablissement des contrôles frontaliers, aux autorités publiques de multiplier les poursuites et condamnations à l’encontre de bénévoles et militants de la Vallée de la Roya ou du Briançonnais afin de dissuader le soutien apporté aux migrants, comme l’illustrent les affaires Herrou et Mannoni.

Saisi du caractère limitatif de cette immunité de l’article L. 622-4, 3°, le Conseil constitutionnel formule une réserve d’interprétation constructive en estimant que ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le principe de fraternité, être interprétées «autrement que comme s'appliquant en outre à tout autre acte d'aide apportée dans un but humanitaire» (cons. 15). Cela revient donc à étendre substantiellement l’immunité humanitaire bien au-delà de la liste fastidieuse, et parcellaire, des cas énumérés par le législateur de 2012. En outre, le juge constitutionnel précise, à la fin de sa décision, la portée de cette réserve d’interprétation en estimant que cette immunité doit s'appliquer non seulement aux actes tendant à faciliter ou à tenter de faciliter, le séjour irrégulier mais aussi la circulation irrégulière «lorsque ces actes sont réalisés dans un but humanitaire» (cons. 24).

En outre, l’avantage d’une telle réserve d’interprétation est qu’elle ne s’applique pas de manière différée au 1er décembre 2018 mais immédiatement aux affaires en cours. Ainsi en raison du principe d’application de la loi pénale la plus douce (rétroactivité in mitius), les différentes personnes faisant l’objet actuellement de poursuites ou condamnations non définitives (notamment, après cassation, MM. Herrou et Mannoni), doivent pouvoir bénéficier de cette extension de l’immunité à tous les cas d’actes d’aide au séjour ou à la circulation réalisés dans un but humanitaire (celle-ci, on l’aura compris, ne s’applique néanmoins pas à l’aide à l’entrée qui concerne certains dossiers en cours).

 

Ainsi, par exemple, la militante d’Amnesty International Martine Landry a été relaxée le 13 juillet 2018 par le tribunal correctionnel de Nice dans un jugement qui a retenu qu’ «en poursuivant comme objectif premier la prise en charge de [deux jeunes] par l’Etat français, [elle] n’a à aucun moment cherché à se soustraire à la loi alors qu’elle a de sa propre initiative amené les deux mineurs auprès des autorités de police ; s’inscrivant ainsi dans le respect du droit et notamment de la CEDH [...] et de la Constitution française en son article 2, en poursuivant une action fraternelle dans un but humanitaire» [43].

 

La réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet n’est toutefois pas une surprise car il existait, dans sa jurisprudence, trois précédents dans lesquels, il avait, en vain, déjà pris en compte l’assistance humanitaire apportée par des associations aux sans-papiers [44].

En écartant les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines et de ceux de nécessité et de proportionnalité des peines résultant de l’article 8 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P), le Conseil constitutionnel confirme l’étendue de cette immunité en estimant que dès lors qu’avec sa réserve «l'immunité pénale prévue par le 3° de l'article L. 622-4 s'applique à tout acte d'aide au séjour apportée dans un but humanitaire», le législateur n’a pas méconnu ces principes «en ne prévoyant pas d'exemption pénale, hors du cercle familial, en cas d'aide au séjour irrégulier dans un but autre qu'humanitaire» (cons. 20.). Là aussi, il avait déjà eu maintes occasions de confronter les immunités, notamment familiales, de ce délit aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, sur lesquels il n’exerce qu’un contrôle restreint [45], mais aussi au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine [46].

Toutefois cette réserve d’interprétation n’est pas dénuée d’ambiguïté. Car si toutes les actions d’aide au séjour et à la circulation irréguliers à des fins humanitaires sont désormais immunisées [47], la difficulté est d’une part d’identifier ce qu’est un but humanitaire et d’autre part de déterminer si des actions guidées par d’autres motifs -principalement militants- peuvent aussi reposer sur une finalité humanitaire.

Malgré le cinglant désaveu infligé par le juge constitutionnel [48], dès que la décision a été rendue publique, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, s’en est satisfait. En effet, dans un communiqué, il a estimé qu’elle «conforte la position qu’a tenue le Gouvernement lors du débat sur le projet de loi asile, immigration et intégration» et a réaffirmé que l’exemption pénale pour l’aide apportée dans un but humanitaire «ne doit pas s’étendre à l’aide apportée dans un but militant».

Il est vrai que l’amendement n° 1172, adopté par l’Assemblée en première lecture, avait d’ores et déjà étendu l’immunité humanitaire au fait de fournir des conseils et de l’accompagnement, non seulement juridiques mais aussi «linguistiques ou sociaux». Alors que le Sénat était revenu sur cette avancée, certains députés de la majorité «LREM-Modem» ont tenté, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, d’obtenir une nouvelle extension de l’immunité (N°CL262, du 7 juillet, adoptée en commission et N°CL204 du 6 juillet). Toutefois, avec la volonté de ne pas faire bénéficier de cette immunité les personnes agissant aussi par militantisme [49], le Gouvernement a fait modifier, en séance, ces amendements (amendement n°472 des députés "LREM" du 21 juillet 2018 et n°479 des députés "Modem") en prévoyant expressément, comme cela a été mentionné en introduction, que l’immunité du L. 622-4, 3° n’est susceptible de bénéficier qu’aux personnes physiques ou morales dont l’acte reproché n’a «donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte» et «a consisté à fournir  des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire» (article 38 du texte adopté).

Dans cette nouvelle rédaction le législateur exclut donc que l’aide apportée puisse avoir un autre but qu’humanitaire. Pourtant cela ne résulte pas de manière évidente de la décision du 6 juillet qui n’a jamais indiqué que le but humanitaire devait être exclusif. En ce sens d’ailleurs le commentaire autorisé indique qu’«En émettant cette réserve, le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas épuisé la question des limites exactes de l’immunité en matière d’aide au séjour et à la circulation des étrangers. En effet, il appartiendra au législateur, s’il entend intervenir à nouveau sur cette question, et, en tout état de cause, aux juridictions compétentes, de déterminer comment doit exactement être apprécié le «but humanitaire» et dans quelle mesure celui-ci peut se combiner avec des actions à visées «militantes» (p. 24). Par suite, rendre la finalité humanitaire exclusive de tout autre but ne nous semble pas conforme à la décision du 8 juillet. La nouvelle rédaction de l’article L. 622-4, 3° s’expose donc à une nouvelle censure dans le cadre d’une nouvelle QPC. Quatre-vingts ans après son invention, le délit d’aide à l’irrégularité n’a pas fini de défrayer la chronique judiciaire et médiatique…

 

 


[1] Déclaration de conflit d’intérêt : sans être auteur de la QPC nous avons connaissance du dossier pour avoir été consulté, comme expert de la question et dans le cadre d’une défense pro bono, par les conseils du requérant.

[2] Cf., les critiques de Paul Cassia sur son blog, Ce qui reste(ra) du délit de solidarité, 9 juillet 2018 ; des «Unes» de journaux comme Le Figaro du 6 juillet ou Le Monde du 7 juillet 2018 qui annoncent, à tort et comme le plupart des médias, l’abolition du «délit de solidarité». V., contra, Kim Hullot-Guiot et Ulysse Bellier, «Délit de solidarité» : la fraternité érigée en principe constitutionnel, Libération, 6 juillet 2018. V., aussi notre analyse, préparatoire à ce commentaire, La fraternité est constitutionnelle mais la solidarité reste un délit, AOC, 13 juillet 2018.

[3] Cass. crim., 9 mai 2018, F-D, deux arrêts, n° 17-85.737 (N° Lexbase : A6218XMA) et n° 17-85.736 (N° Lexbase : A6181XMU).

[4] Cf., CA d’Aix-en-Provence, 13ème ch., 8 août 2017, n° 2017/568 (N° Lexbase : A6565WQ9) ; CA Aix-en-Provence, 13ème ch., 11 septembre 2017, n° 2017/628 (N° Lexbase : N7658BWK) ; V., aussi, nos obs., Délit de solidarité : actualité d’un délit d’une autre époque, Lexbase éd. pub., 2017, n° 456).

[5] Aide aux migrants : le Conseil constitutionnel entérine le «principe de fraternité», AFP, 6 juillet 2018.

[6] V., sur le site du Gisti, les mémoires, observations et tierces interventions de ce dossier QPC. A noter que la CNCDH a aussi, de manière inédite, produit des observations. Toutefois, sans que cela soit mentionné dans la décision, celles-ci ont été déclarées irrecevables car la CNCDH ne dispose pas de la personnalité morale. Elles ont pu, néanmoins, être prises en compte car l’une des associations admises comme tiers intervenantes, la LDH, qui est par ailleurs membre de la CNCDH, a également produit ces observations.

[7] Le commentaire officiel de la décision souligne le caractère très large de l’incrimination (en s’appuyant principalement sur l’étude de Marc Segonds, «Etrangers», J.-Cl. Lois pénales spéciales, Fasc. 20, 2016, § 2).

[8] Jacques Derrida, Quand j’ai entendu l’expression "délit d’hospitalité"…, Plein droit, 1997, n° 3, réédité dans Le Monde, 19 janvier 2018.

[9] Cf., son décryptage de la décision : M. Borgetto, Principe de fraternité» : comment traduire la décision du Conseil constitutionnel ?, Club des juristes, 10 juillet 2018.

[10] C’est toujours le cas aujourd’hui. Ainsi, après la décision du 6 juillet, le Grand Orient de France publiait un communiqué intitulé «La fraternité, du devoir moral au principe constitutionnel» dans lequel il notait : «Au moment même où le Grand Orient de France lance un appel à la Fraternité», il semble que les sages du Conseil constitutionnel lui aient répondu -volontairement ou non-  favorablement en rendant constitutionnellement effectif le principe de Fraternité».

[11] M. Borgetto, La devise «Liberté, Egalité, Fraternité», PUF, 1997, p. 5.

[12] J. Portermer, La souveraineté, in Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, Documents pour service à l’Histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, vol. 4, Commentaires sur la Constitution, La documentation française, 2001, p. 218 cité dans le commentaire officiel de la décision

[13] Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 (N° Lexbase : A8305ACL), cons. 2.

[14] En 1998, il a néanmoins déduit de ce principe et de principes particulièrement nécessaires à notre temps du Préambule de 1946 «la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent» sous forme d’un objectif de valeur constitutionnelle (Décision n° 98-403 DC, 29 juillet 1998 N° Lexbase : A8749ACZ). V., aussi pour deux autres invocations du principe de dignité en droit des étrangers, Cons. const., décision n° 2006-539 DC, du 20 juillet 2006, Loi relative à l'immigration et à l'intégration (N° Lexbase : A4953DQI) ; Cons. const., décision n° 2007-557 DC, du 15 novembre 2007, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (N° Lexbase : A5565DZ7). Pour sa part, Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion, en référé-liberté, de reconnaître la dignité de la personne humaine comme une liberté fondamentale invocable par des particuliers notamment sous le prisme de la prohibition des traitements inhumains et dégradants (cf., Véronique Champeil-Desplats et Serge Slama, Qu’elle protège ou qu’elle punisse, la dignité n’est pas la même pour tous, La Revue des droits de l’Homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 30 mai 2014 ; CE référé, 23 novembre 2015, n° 394540, N° Lexbase : A6882NX8).

[15]  Cons. const., décision n° 2008-564 DC, du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés (N° Lexbase : A2111D93).

[16] CE, Ass., 12 avril 2013, n° 342409, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0988KCL).

[17] M. Borgetto, La notion de fraternité en droit public français. Le passé, le présent et l’avenir de la solidarité, LGDJ, 1993 : «Compte tenu tout à la fois de sa présence au sein de la devise nationale, de l’insertion de celle-ci au sein de la Constitution et de la référence expresse qui y est faite dans certaines dispositions de celle-ci, la fraternité peut et doit donc se saisir, dans cette perspective, comme un principe à part entière du droit public français, ayant vocation à inspirer et à légitimer un certain nombre de solutions dans plusieurs domaines bien déterminés».

[18] Michel Borgetto, Sur le principe constitutionnel de fraternité, RDLF, 2018 chron. n° 14. Cette «porte large» a été produite, à notre demande et à celle de Thomas Perroud, par Michel Borgetto pour l’Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO). Ce point de vue a été relayé auprès du Conseil constitutionnel dans les secondes observations des avocats des requérants.

[19] G. Canivet, La fraternité dans le droit constitutionnel françaisConférence en l’honneur de Charles Doherty Gonthier, 20-21 mai 2011 publié in LexisNexis, 2012, p. 465-466.

[20] J-C Colliard, «Liberté, égalité, fraternité » in L’Etat de droit : mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Dalloz, 1996 cité dans le commentaire officiel, p. 18. On peut penser que parmi les membres actuels Nicole Maestracci a joué un rôle déterminant dans cette QPC.

[21] Cela est, également, mentionné dans le commentaire officiel.

[22] A la suite de la décision du 6 juillet 2018, les députés Guillaume Larrivé et Eric Ciotti ont, néanmoins, déposé un amendement surréaliste au projet de loi constitutionnelle visant à permettre au législateur de neutraliser une décision du Conseil constitutionnel (V., le communiqué sur le compte tweeter de G. Larrivée).

[23] TA Besançon, du 28 aout 2018, n° 1801454 (N° Lexbase : A0438X3M). Toutefois, le juge des référés estime que «le requérant ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement du principe de fraternité, d’une quelconque liberté fondamentale de mendier. Ainsi, qu’il a été dit, le principe de fraternité n’implique que la liberté fondamentale d’aider autrui dans un but humanitaire». Pire, il valide l’arrêté en estimant qu’«en édictant l’arrêté critiqué qui, exécuté, a pour effet d’éloigner des quartiers les plus passants du centre-ville de Besançon certaines catégories de personnes particulièrement vulnérables, le maire de la commune de Besançon a, indirectement mais nécessairement, porté atteinte à la liberté d’aider autrui, laquelle ne prend, parfois, spontanément corps qu’à la vue des personnes dans le besoin. Pour être effective, la liberté d’aider requiert en effet d’avoir conscience de l’opportunité d’en faire usage». Alors que l’avocat a annoncé avoir fait appel de cette ordonnance, la mairie a abrogé son arrêté. Le Conseil d’Etat a donc prononcé un non-lieu à statuer.

[24] Il s’agit de la reprise du considérant de principe dégagé dans une décision du 13 août 1993 portant «statut constitutionnel des étrangers», Cons. const., décision 2011-120 QPC du 8 avril 2011 (N° Lexbase : A5889HM3) à propos de la loi «Pasqua II», constamment confirmé depuis.

[25] Le Conseil constitutionnel avait déjà admis la restriction de la liberté individuelle des étrangers au nom de cet objectif qu’il a consacré en 2011 cf., Cons. const., décision n° 2011-631 DC, du 9 juin 2011 (N° Lexbase : A4307HTP), cons. 64.

[26] CJUE, 28 avril 2011, aff. C-61/11 PPU, (N° Lexbase : A2779HPM) ; CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11 (N° Lexbase : A4929H3X).

[27] Cass. civ. 1, 5 juillet 2012, FS-P+B+R+I, n° 11-19.250 (N° Lexbase : A4776IQX), Bull. 2012, I, n° 158.

[28] CJUE, 7 juin 2016, aff. C-47/15 (N° Lexbase : A9687RR9) ; V., aussi, Cass. civ. 1, 28 janvier 2015, n° 13-28.349, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4101NA7).

[29] Abrogation de l’article L. 621-2, 2° par l’article 35 du texte de loi adopté.

[30] Alors même que la France était à l’initiative de cette Directive, elle a été chichement transposée dans la mesure où la loi «Sarkozy» de novembre 2003 n’a pas redéfini l’incrimination d’aide au séjour irrégulier en la limitant à la seule aide dans un but lucratif, ce qui aurait eu pour effet de limiter les cas de «délit de solidarité».

[31] Saisi du grief de contrariété de l’article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la Directive de 2002, le Conseil d’Etat a considéré, sans poser de question préjudicielle, que cette directive «n'interdit […] pas aux Etats membres de sanctionner aussi l'aide au séjour irrégulier à des fins non lucratives ; que dès lors la circulaire, qui ne fait que réitérer les dispositions du 3° de l'article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en permettant de sanctionner l'aide au séjour irrégulier non seulement dans un but lucratif mais aussi dans un but non lucratif, est conforme aux objectifs de cette Directive » (CE référé, 15 janvier 2010, n° 334879 N° Lexbase : A7598EQH ; CE 2° et 7° s-s-r., 19 juillet 2010, n° 334878, Gisti et autres, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9998E43).

[32] Lors de la polémique de 2009 sur le délit de solidarité, cette affaire avait défrayé la chronique (et donné lieu à un célèbre dessin de Charlie Hebdo).

[33] Jacques-Henri Robert, Taxi pour Douvres, note sous Cass. crim., 21 janvier 2004, n° 03-80328, Droit pénal, 2004, comm. 87.

[34] Voir la décision du tribunal correctionnel de Foix de 2009 pour une illustration s’agissant d’un mineur isolé, TGI Foix, 28 septembre 2009.

[35] Paragraphe III de l’ancien article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, devenu 3° de l’article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avec l’ordonnance du 24 novembre 2004 : «De toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte».

[36] S. Slama, Délit de solidarité : les origines, Plein droit, 2009/3, n° 82, p. I.

[37] La Commission nationale consultative des droits de l’Homme a notamment estimé, dans un avis du 19 novembre 2009, que «l’immunité prévue au paragraphe 3 de l’article L. 622-4 est beaucoup trop étroite pour couvrir les actions qu’implique la défense des droits de l’Homme et devrait à tout le moins reprendre l’idée, incluse dans les textes européens, que sont exclues de l’incrimination les actions sans but lucratif» (Avis sur l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, p. 3).

[38] Voir, notamment, la lettre d’Eric Besson aux signataires du manifeste et le communiqué associatif  «Délit de solidarité : Besson ment !».

[39] CE référé, 15 janvier 2010, n° 334879 (N° Lexbase : A7598EQH) ; CE 2° et 7° s-s-r., 19 juillet 2010, n° 334878 (N° Lexbase : A9998E43).

[40] A la suite de la polémique déclenchée par Eric Besson, la loi du 16 juin 2011 a légèrement modifié le 3° de l’article L. 622-4 en remplaçant les mots : «sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger» par ceux de «sauvegarde de la personne de l’étranger».

[41] Pour une application cf., Jacques-Henri Robert, note sous Cass. crim., 4 mars 2015, n° 13-87.185, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8877NCR), Droit pénal, 2015, comm. 66.

[42] Rapport n° 85 (Sénat - 2012-2013) de M. Gaëtan Gorce, fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 octobre 2012, p. 45.

[43] TGI Nice, 13 juillet 2018, n° 17300000114 (N° Lexbase : A2998X3G). Le parquet a fait appel de ce jugement de relaxe.

[44] Décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 (N° Lexbase : A8343ACY), cons. 13 ; Décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998 (N° Lexbase : A8746ACW) ; cons. 7 ; Cons. const., décision n° 2004-492 DC, du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : A3770DBA), cons. 18.

[45] Cons. const., décision n° 2003-484 DC, du 20 novembre 2003 (N° Lexbase : A1952DAK), cons. 23 ; Décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, précitée, cons. 13 ; Cons. const., décision n° 2004-492 DC, du 2 mars 2004, préc. ; Cons. const., décisions n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, Loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, (N° Lexbase : A8343ACY) cons. 13.

[46] Cons. constit., déc., n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, préc., cons. 11.

[47] Le commentaire officiel de la décision est très clair sur cette portée : «Le principe de fraternité impose donc que bénéficient de l’exemption pénale tous les actes d’aide apportée à des fins humanitaires [souligné par le commentaire], qu’ils consistent à faciliter ou tenter de faciliter le séjour en France d’un étranger en situation irrégulière ou, comme il se déduit de la censure prononcée plus haut dans la décision, à faciliter ou tenter de faciliter sa circulation lorsque celle-ci constitue seulement ‘l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger’» (p. 23).

[48] Dans ses observations devant le Conseil constitutionnel, le Premier ministre défendait par la voix du secrétaire général du Gouvernement que «les dispositions du texte constitutionnel qui consacrent la fraternité n’ont pas, en elles-mêmes, une portée normative susceptible de leur conférer le caractère de droit ou liberté garanti par la Constitution».

[49] L’amendement n° 1172 précisait, dans le même sens, que «l’Etat a le droit et la responsabilité de contrôler ses frontières, et ne peut tolérer le contournement de ces contrôles, contournement bien souvent motivé par une volonté politique, celle de faire échec à l’action de l’Etat, plutôt que par le souhait de venir au secours de situations de détresse. Ainsi que l’a jugé récemment la cour d’appel d’Aix-en-Provence, n’entrent pas dans les exemptions prévues par la loi les actions militantes qui s’inscrivent moins dans la réponse à une situation de détresse que dans une contestation globale de la loi, contestation qui constitue en elle-même une contrepartie».

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Droit des étrangers

[Brèves] Exclusion du bénéfice de la protection subsidiaire pour «crime grave» : la juridiction nationale doit procéder à un examen complet des circonstances propres au cas individuel

Réf. : CJUE, 13 septembre 2018, aff. C-369/17 (N° Lexbase : A3604X4A)

Lecture: 2 min

N5482BXC

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par Marie Le Guerroué

Le 19 Septembre 2018

► Une personne ne peut pas être exclue du bénéfice de la protection subsidiaire si elle est considérée avoir «commis un crime grave» sur la seule base de la peine encourue selon le droit de l’Etat membre concerné ;

► L’autorité ou la juridiction nationale statuant sur la demande de protection subsidiaire doit apprécier la gravité de l’infraction en procédant à un examen complet des circonstances propres au cas individuel concerné. Ainsi statue la CJUE dans une décision du 13 septembre 2018 (CJUE, 13 septembre 2018, aff. C-369/17 N° Lexbase : A3604X4A).

 

Dans cette affaire, un ressortissant afghan, avait obtenu en Hongrie le statut de réfugié en raison du risque de persécution qu’il encourait dans son pays d’origine. Dans le cadre d’une procédure pénale ouverte ultérieurement, il avait demandé que le consulat d’Afghanistan soit pleinement informé de son sort. Considérant qu’il pouvait être déduit de cette demande de protection volontairement adressée au pays d’origine que le danger de persécution avait disparu, les autorités hongroises avaient retiré à ce dernier son statut de réfugié.

 

Plus tard, dans le cadre d’une nouvelle procédure administrative, les autorités hongroises avaient rejeté la demande du ressortissant afghan, tant au regard du statut de réfugié que du statut conféré par la protection subsidiaire, tout en constatant l’existence d’un obstacle au refoulement. En particulier, la protection subsidiaire ne pouvait pas être octroyée à M. Ahmed en raison de l’existence d’un motif d’exclusion au sens de la loi hongroise sur le droit d’asile transposant la Directive de l’Union sur les réfugiés (Directive (UE) 2011/95 du Parlement européen et du Conseil, 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale N° Lexbase : L8922IRU), à savoir la commission d’un «crime grave» pour lequel le droit hongrois prévoit une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus. L’intéressé a contesté la décision de rejet devant les juridictions hongroises en soutenant que la réglementation nationale privait de tout pouvoir d’appréciation les organes administratifs chargés de son application ainsi que les juridictions chargées de contrôler la légalité des décisions administratives, alors que l’expression «a commis un crime grave» utilisée dans la Directive impliquerait l’obligation d’apprécier l’ensemble des circonstances du cas individuel concerné. Saisi du litige le tribunal administratif et du travail de Budapest demandait à la Cour de justice d’interpréter cette expression en tant que motif d’exclusion du bénéfice de la protection subsidiaire. Cette juridiction se demande plus particulièrement si la gravité du crime peut être déterminée sur la seule base de la peine encourue pour un crime donné selon le droit de l’Etat membre concerné.

 

La CJUE répond donc par la négative en énonçant la solution susvisée (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E5530E7X).

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Justice

[Chronique] Carnet de lectures

Lecture: 19 min

N5486BXH

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par Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences à l'Université de Lorraine, Directeur de l'IEJ de Lorraine - André Vitu

Le 19 Septembre 2018

La rentrée littéraire bat son plein : pas moins de 567 nouveaux romans seraient dénombrés, dont 381 français. Au milieu de cette frénésie éditoriale, qu’il soit permis de profiter de cette période de rentrée judiciaire et universitaire, pour revenir sur quelques ouvrages en lien avec le droit en général, et le droit pénal en particulier [1].

 

H. Cayre, La Daronne, éd. Métailié, 2017

Hannelore Cayre, avocate pénaliste, a fait d’un avocat le héros de trois de ses romans (Commis d’office, 2004 ; Toiles de maître, 2005 ; Ground XO, 2007), et même d’un film [2]. Déplaçant la focale dans La Daronne, elle fait d’une interprète judiciaire une héroïne discrète mais ambitieuse. Le passé difficile de Patience Portefeux en fait une femme solitaire, qui s’est, par la force des choses, spécialisée sans passion dans la traduction des écoutes téléphoniques réalisées dans le cadre d’enquêtes sur les trafics de stupéfiants : «Je traduisais ça à l’infini… encore et encore… Tel un cafard bousier. Oui, ce petit insecte robuste de couleur noire qui se sert de ses pattes antérieures pour façonner des boules de merde qu’il déplace en les faisant rouler sur le sol… Eh bien son quotidien minuscule est à peu près aussi passionnant que ce qu’a été le mien pendant presque vingt-cinq ans […]. Voilà ce qu’a été ma vie professionnelle… et ma vie tout cours [3] d’ailleurs puisque j’ai passé mon temps à bosser» (p. 36). Le style de Hannelore Cayre est précis, enlevé et rythmé. Il ne faut pas réduire le livre à son intrigue : l’originalité de l’héroïne, son cynisme et sa ruse rendent l’ensemble jouissif. Il ne faut pas chercher de morale particulière dans ce livre, sinon la revanche que s’octroie Patience Portefeux sur la vie. On découvre au fil des pages une tristesse larvée sur la condition des proches, la solitude et une forme de déshérence. Le regard porté sur le fonctionnement de la justice est acéré : la lutte contre les trafics de stupéfiants y est vaine, par nature, réduite à un jeu perpétuel de chats et de souris. Au fil des pages, la nostalgie de l’héroïne pour son passé improbable et son égoïsme de façade apportent des touches d’émotion qui font de cet ouvrage quelque chose de plus qu’un roman noir.

 

O. Dufour, Justice, une faillite française ?, LGDJ, 2018

Récompensé par le prix Olivier Debuzy décerné par le Club des juristes, l’ouvrage d’Olivia Dufour est un très sérieux essai d’investigation sur le délabrement de l’institution judiciaire. Les causes sont analysées, comme les besoins de réforme. Olivia Dufour réussit à rendre accessibles des documents arides, comme les rapports de la CEPEJ, par exemple. Les entretiens réalisés, auprès d’avocats, de magistrats ou d’anciens ministres de la Justice, permettent de mettre en lumière les obstacles structurels à l’amélioration de la situation, qu’il s’agisse de la situation des prisons, de la culture des magistrats souvent éloignée des préoccupations de gestion, mais également de la logique de gestion de flux des déjudiciarisations effectuées, ou bien de l’obsession managériale transformant le justiciable en client, et le juge en administrateur. L'énumération des situations catastrophiques des tribunaux est glaçante, tout comme le chapitre consacré au problème méconnu du suicide des magistrats ou aux difficultés rencontrées par les greffiers (p. 200). Olivia Dufour ne néglige dans cet essai aucun personnel, aucune juridiction, démontrant, s’il en était besoin, que l’expression «justice à deux vitesses» a une réelle signification lorsqu’il s’agit de comparer la justice économique et la justice civile ou pénale du quotidien. Les conséquences de cette faillite française sont analysées : allongement des délais, décrépitude des locaux, délaissement des personnels. Les espoirs illusoires placés par le pouvoir exécutif dans la justice numérique et le manque d’ambition des réformes émanant du ministère où l’on préfère légiférer plutôt qu’administrer (p. 214), apparaissent bien insuffisants pour résoudre une situation qui paraît presque inexorable.

Au-delà de la démonstration implacable, l’intérêt de Justice, une faillite française ? est de dépasser le seul constat de l’insuffisance des moyens. L’auteur, tout en dénonçant la pénurie budgétaire et ses nombreuses conséquences, s’inquiète également que les différentes réformes multiplient le recours au juge sans réelle efficacité ou saupoudrent des aides pour les magistrats sans réflexion sur l’évolution de l’activité. «L’heure est à la déjudiciarisation. Ce qui n’empêche pas tel ou tel projet de loi de prévoir une nouvelle action en justice, ou bien d’instituer la garantie de l’intervention du juge judiciaire sur un sujet sensible de libertés publiques ou encore d’offrir aux citoyens de nouveaux droits qui conduisent nécessairement leurs titulaires à en demander un jour ou l’autre la reconnaissance… à un juge. Si ce n’est pas de la schizophrénie, on peut au minimum parler d’injonctions contradictoires» (p. 27). Le constat dressé est sombre, imparable. Il faut alors espérer qu’il participe à une prise de conscience des pouvoirs législatif et exécutif pour permettre un exercice serein de l’activité judiciaire.

 

S. Durand-Souffland, P. Robert-Diard, Jours de crimes, L’Iconoclaste, 2018

La chronique judiciaire est un exercice délicat qui, lorsqu’il est bien réalisé, permet de conjuguer le réel et la fiction, de s’approcher d’une forme de vérité par la compréhension du procès. Jours de crimes, est une suite de courts récits, où l’anecdote livre le regard avisé de deux grands chroniqueurs sur le crime, ses auteurs, ses victimes, et l’institution judiciaire. Aucune affaire à part, toutes sont abordées également sans classement. Condensé d’humanité dans ce qu’elle a de plus terrible et inquiétant, mais aussi de plus drôle et attachant, le livre fait se succéder des «brèves de palais», considérations éclairées de ces chroniqueurs avertis.

La théâtralisation inhérente au procès oblige à ces instants d’audience. Ses acteurs sont connus. Les avocats, qui ont leurs ficelles (p. 277) et surtout leur ego (p. 243), et dont les plaidoiries marquent l’auditoire, comme celle de Me Henri Leclerc, sans doute habité par son ange [4], expliquant que «le temps suffit à punir ceux qui portent le remords» ; les magistrats, à la tâche redoutable («être capable de se mettre à la place des autres» p. 77), dont la jeunesse et le sexe peuvent être portés «comme un reproche» (p. 151) ; le greffier, «rouage méconnu de la procédure judiciaire» (p. 377) l’accusé («il nous ressemble mais il est loin», p. 57),  les parents des accusés ou des victimes, «mêmes gestes, même détresse» (p. 271) ; les associations prédatrices, «victimes immatérielles ou, plutôt, les portes-drapeaux d’une cause qui détourne les assises pour en faire une tribune» (p. 309).

Le regard porté sur l’institution judiciaire est bienveillant mais ne se départit pas de la nécessaire critique du chroniqueur. La justice ne doit pas souiller ceux qu’elle entend. Elle ne doit pas davantage sombrer dans l’automatisation. La chose n’est pas facile car, comme le notent les auteurs, «la cour d’assises est faite pour condamner. Rapportés au volume d’affaires, les acquittements sont, en quelque sorte, des accidents de parcours» (p. 325). Pour autant, l’utilité du procès est démontrée : essayer de comprendre l’indicible, apaiser l’ordre public, rétablir la paix sociale. La mission est difficile, mais elle n’est pas impossible. La présence des jurés y est pour beaucoup, comme la publicité des débats. A l’heure d’une justice que l’on souhaite «dématérialisable» et plus rapide, en excluant bientôt les jurés de la composition de jugement, il est à craindre que la justice des assises, considérée comme luxueuse, ne soit plus vue comme un modèle à respecter, mais comme une exception à rejeter.

 

J. Grisham, The Rooster bar, Hodder & Stoughton, 2018

L’œuvre de John Grisham intéresse particulièrement le juriste [5]. Si dans le livre précédent [6] l’auteur avait délaissé le monde du droit pour embrasser, avec humour et un peu de simplicité, celui de l’édition et de l’écriture, il retourne, avec bonheur et originalité, dans le monde du droit dans The Rooster bar [7]. Le monde des avocats est raillé par ceux qui souhaitent embrasser maladroitement la profession : les étudiants d’une faculté de droit. Ces étudiants ne sont pas ceux de la Ivy League, mais membres d’une faculté qui a tout d’une escroquerie, fonctionne sans aucun souci de la qualité des enseignements, sait que ses diplômés ne trouveront jamais d’emploi intéressant, et profite du système, scandaleux, des prêts étudiants pour s’octroyer de confortables revenus. Le montage, légal mais immoral, et la connivence entre la faculté et les banques, est découvert par un étudiant qui, poussé à la ruine, se suicidera. Ses amis tenteront alors de dépasser cette épreuve d’une manière particulière : puisque leur diplôme ne leur servira à rien, ils décident de se lancer dans l’exercice illégal de la profession d’avocat. Leur «cabinet» est domicilié au Rooster bar, où ils sont occasionnellement serveurs. Ils deviennent des street lawyers, chasseurs d’ambulances amateurs qui parviennent, non sans mal, à faire illusion : «You ever been to city court ? I have, and it’s a zoo. […] And the judges and clerks and everybody else in the courtrooms just assume, as we did, that the guys in the cheap suits scrambling around are really lawyers. Hell, there are a hundred thousand lawyers in this city and no one ever stops and asks, "Hey, are you really a lawyer ? Show me your license"». S’ensuivent rebondissements et arnaques «à la Grisham». Le livre est savoureux, l’intrigue, bien ficelée et parsemée de considérations acerbes sur l’école et le palais, avec l’efficacité et la causticité qui caractérisent les romans de John Grisham. «Law school is the reason Gordy’s dead, Todd. If he’d never gone to law school he’d be fine right now» : l’argument en ferait fuir plus d’un ! La faculté -cette fabrique à diplômes- ne sert finalement à rien, «nothing except ruin your life», tant et si bien que l’un des personnages multiplie les regrets : «Nothing has gone as planned and the future looks awfully bleak. I curse the day I decided to go to law school». La détestation de l’école -que l’on retrouverait sans peine chez de nombreux étudiants en droit de nos facultés- ne vaut que parce que les héros sont les victimes d’un système inique, qui fait des études un marché juteux pour les banques.

Si ces pauvres étudiants, pleins de ressources, réussissent à se faire passer pour des avocats, c’est parce qu’ils ont les codes de la profession. Si l’arnaque fonctionne, semble dire Grisham, c’est parce que l’avocat n’a pas toujours une réelle compétence : tout passe dans l’apparence. Ainsi, les étudiants réussissent à se faire passer pour des avocats en se rasant : «As proper law students, they rarely shaved anyway. The scruffy look was expected. Now the whiskers might provide additional cover».

Au-delà de l’astuce des héros, le roman surprend les lecteurs habitués aux thrillers juridiques de Grisham, puisque l’un des personnages est une jeune femme d’origine sénégalaise, Zola, dont les parents font l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière. Le roman est alors l’occasion pour Grisham de dénoncer l’expulsion d’étrangers présents depuis longtemps sur le territoire états-uniens, sans lien avec leur pays d’origine. Difficile de ne pas y voir une critique de la politique migratoire des Etats-Unis.

La morale, s’il faut en chercher une, est assez simple : il faut suivre ses rêves, ne pas étudier pour le principe, mais chercher à être utile, s'entourer d'amis solides, dévoués et drôles. Ces étudiants ont cru que le droit les mènerait à tout. Il ne les mène en tout cas pas là où ils l’auraient cru, ce qui n’est pas si mal : «Life could be worse. They could be studying for the bar exam».

 

H. Leclerc, La Parole et l’action, Fayard, 2017

Me Henri Leclerc livre ses mémoires dans cet ouvrage volumineux, dont la lecture se révèle passionnante. De sa rencontre avec la justice, d’abord, et le droit, ensuite, Me Henri Leclerc livre un regard acéré sur l’institution judiciaire, le rôle de l’avocat, quelques grandes affaires judiciaires et son activité au sein de la Ligue des droits de l’homme. Avocat engagé, Me Henri Leclerc livre avec honnêteté quelques-uns de ses souvenirs, démontrant, s’il en était besoin qu’en plus d’être habile plaideur il est également fin technicien, comme en témoigne sa participation à plusieurs commissions de réforme du droit pénal. L’homme est modeste. Sa rencontre avec le droit fut tardive : «J’étais envieux de ceux qui, depuis toujours, savaient ce qu’ils voulaient faire de leur vie. Je pensais trop au présent» (p. 29). Le choix, peu enthousiaste du droit, se révéla gagnant, grâce à quelques enseignants d’exception (ils ne sont pas si nombreux ceux qui, à leur première heure de cours, ont écouté Georges Vedel) ou plus décevants (à propos d’un professeur : «il parlait comme un livre : c’est le cas de le dire puisqu’il lisait -ou savait par cœur depuis longtemps- son cours, réplique exacte du "polycopié" qu’éditait chaque année la maison Domat-Montchrestien […]. Ce fut la première et dernière fois que j’assistais à ce cours» (p. 31)). Les étudiants seraient bien inspirés de lire ces mémoires, où ils apprendraient utilement que si le droit est séduisant, c’est parce qu’il faut «le comprendre plutôt que l’apprendre» (p. 31). Ses études de droit ont surtout été l’occasion de faire des rencontres marquantes, dont celle de «cet ange que je connais bien aujourd’hui, qui m’a accompagné toute ma vie, qui parfois me délaisse, qui comme moi vieillit, puis surgit à nouveau sans crier gare, s’empare de moi, me souffle les mots et les phrases, et me quitte dès que je me tais, pantois» (p. 37). La réussite, qu’Henri Leclerc n’ose pas attribuer à son talent, suit naturellement.

Me Henri Leclerc évoque fréquemment ses maîtres, qu’il s’agisse de ses enseignants ou, surtout, de Me Albert Naud, auquel il consacre d’ailleurs un chapitre : «sa parole transmuait ce qui m’avait demandé tant de sueur ; les constructions que je trouvais branlantes devenaient du roc dans sa bouche. […] Je compris que j’avais encore tout à apprendre de l’art de la plaidoirie. Sur le chemin du retour, je ne lui avouais pas mon admiration : elle allait de soi» (p. 79).

Les combats de Me Henri Leclerc sont retracés : «Se colleter avec la peine de mort» (p. 137), son engagement politique («Les orages de mai», p. 181), son engagement au sein de la Ligue des droits de l’Homme, les grandes affaires judiciaires dont il a eu à connaître, sa clientèle de «pénal voyou», son intérêt pour le droit pénal de la presse... Le souci de la juste cause est toujours évoqué. Me Henri Leclerc aborde tous ces souvenirs avec une très grande honnêteté. Dans le chapitre intitulé «Les défendre tous», il explique n'être pas à l'aise avec les auteurs d'infractions sexuelles, évoquant le risque de céder «devant l’atmosphère d’indignation généralisée qui entoure ces affaires et ma propre répulsion à l’égard des actes incriminés, prenant ainsi le risque de laisser condamner un innocent» (p. 479). A la recherche de l’humanité chez tous, il montre que celui qui sort de la normalité peut difficilement trouver son défenseur. Pour autant, le credo de son maître reste inchangé : les défendre tous.

 

Ph. Lançon, Le Lambeau, Gallimard, 2018

Il est des livres dont il est difficile de parler. Le Lambeau de Philippe Lançon est de ceux-là, mais pas parce que le sujet ou l’auteur sont écrasants. La beauté de l’ouvrage réside dans la force de la souffrance et de la résilience -le mot est à la mode- de Philippe Lançon. L’histoire est malheureusement connue : Philippe Lançon est l’un des survivants de l’attaque contre Charlie Hebdo. Grièvement blessé, longuement hospitalisé, il livre sa reconstruction dans ce magnifique essai. Le livre n’est pas celui d’une victime : on n’y trouvera nulle revendication, nulle condamnation. Le livre est celui d’un retour à la vie, qui semble parfois éthéré. Indicible, la souffrance ressentie traverse le récit, même si elle n’en est pas le fonds de commerce. Elle fait partie de l’autobiographie d’un homme lettré, critique, qui évoluait jusqu’à présent dans un cadre intellectuel parisien, appelé à aller vivre aux Etats-Unis pour y enseigner, ce que l’attaque du 7 janvier 2015 empêchera. C’est le livre d’un écrivain, qui retourne à la vie grâce aux arts : la musique, le théâtre, la lecture permettent l’introspection de celui que l’on reconstruit. «J’ai écrit difficilement, en lettres capitales : "C’est foutu avec Gabriela." […] Cependant, je n’ai pas écrit cette phrase sur la tablette Velleda pour conjurer ce qu’elle annonçait. Je l’ai écrite pour me soulager du chagrin que je pressentais : écrire, c’était protester, mais c’est aussi, déjà, accepter. La première phrase a donc eu cette vertu immédiate : me faire comprendre à quel point ma vie allait changer, et qu’il fallait sans hésitation admettre tout ce que le changement imposerait» (p. 120-121).

Il est évidemment question de Charlie hebdo : «Ce petit journal avait une grande histoire et son humour avait, bienheureusement, fait du mal à un nombre incalculable d’imbéciles, de bigots, de bourgeois, de notables, de gens qui prenaient leurs ridicules au sérieux» (p. 122). C’est par la littérature que Philippe Lançon renoue avec lui-même, sort progressivement de sa place de victime exceptionnelle dont il craint de s’accommoder (p. 438). D’abord la lecture, en attendant ses innombrables opérations, puis l’écriture pour se raccommoder spirituellement quand les médecins le raccommodent physiquement. La puissance de la littérature dépasse alors le seul agencement stylistique des mots : «celui qui écrivait n’était plus, pour quelques minutes, pour une heure, le patient sur lequel il écrivait : il était reporteur et chroniqueur d’une reconstruction. J’étais, comme jamais, reconnaissant à mon métier, qui était aussi une manière d’être et finalement de vivre : l’avoir exercé si longtemps me permettait de mettre à distance mes propres peines au moment où j’en avais le plus besoin, et de les changer, comme un alchimiste, en motifs de curiosité» (p. 365). La force créatrice n’a peut-être jamais été aussi bien décrite que par la référence à la «sentence proustienne : l’écriture était bien le produit d’un autre moi, un produit précisément destiné à me faire sortir de l’état où je me trouvais, quand bien même il consistait à raconter cet état» (p. 444).

 

Brad Meltzer, Délit d’innocence (The Tenth Justice, 1997), Chantage (The First Counsel, 2000)

Plusieurs auteurs américains ont fait du thriller juridique un genre à part entière : John Grisham est sans doute la figure de proue de ce phénomène [8], mais il est loin d’être seul [9]. Deux raisons principales peuvent l’expliquer. D’abord, le procès états-uniens en général, et pénal, en particulier, se prête particulièrement à l’exercice : deux vérités s’y affrontent avec leur lot de de rebondissements, une seule peut triompher. Ensuite, la culture judiciaire est plus développée aux Etats-Unis qu’en France. Dans ce paysage littéraire, les ouvrages de Brad Meltzer -diplômé de la Columbia Law School- méritent assurément le détour, avec leur schéma propice à la paranoïa.

Le premier, Délit d’innocence (jeu de mots entre innocence et initié, qui n’a rien à voir avec le titre original : The Tenth Justice), s’intéresse à Ben Addison, jeune assistant d’un juge de la Cour suprême des Etats-Unis. Juriste brillant, ambitieux, Ben Addison devient l’un des «dixième juge» -nom donné aux assistants des neuf juges de la Cour suprême-. Chargé de filtrer les requêtes et de rédiger les décisions ou opinions du juge auquel il est assigné, Ben Addison est ainsi placé sur la voie royale pour la suite de sa carrière. Les assistants de la Cour suprême forment une communauté particulière, l’élite des juristes promis aux postes les plus prestigieux. Dès lors, c’est tout naturellement que Ben Addison discute de son travail avec un ancien assistant avec lequel il a sympathisé. Il est alors amené à «lâcher» une information privilégiée : le voici tombé dans la spirale du délit d’initié. Ben Addison essaiera de se sortir de ce mauvais pas en comptant sur l’aide de ses amis d’enfance et de sa collègue. Juriste averti, c’est pourtant hors du droit que Ben Addison tente de laver sa faute : manipulations, trahisons sont alors au programme. La vraie héroïne de Délit d’innocence est la Cour suprême des Etats-Unis. L’auteur le montre de différentes manières. Il s’intéresse au microcosme qu’elle constitue à Washington, autre microcosme où évoluent des jeunes gens brillants : l’entre soi est la règle, avec ses usages (la signature que chaque assistant laisse derrière une armoire, sur un mur du bureau), ses exigences (personne ne compte ses heures, même si pour les besoins du récit, il est assez facile de s’absenter du bureau) et ses personnalités (les juges ne sont quasiment pas des personnages du récit, mais sont malgré tout omniprésents). La portée des décisions de la Cour suprême est aussi remarquablement montrée : Brad Meltzer n’envisage pas le droit «hors-sol», mais bien dans ses applications concrètes, sociales et, surtout, économiques. Cette juridiction est donc un lieu de puissance, ce qui explique que ceux qui en connaissent le fonctionnement soient choyés par les grands cabinets d’affaires. Être assistant à la Cour suprême, c’est permettre de concilier une haute ambition professionnelle -i.e pécuniaire- et défense des droits et libertés (un employeur potentiel promet à Ben Addison une rémunération conséquente et une possibilité de faire du pro bono). Délit d’innocence vaut donc tout autant pour son intrigue -classique pour le lecteur familier des thrillers- que pour le milieu dans lequel elle évolue. Au-delà du droit, Délit d’innocence est également un tableau plus railleur qu’il n’y paraît de l’ambition de trentenaires pétris de second degré, au risque d’en devenir implacables d’indifférence.

Un conseiller du président en eaux troubles, une recherche de responsabilités, une chute dans les sondages, voici qui pourrait rappeler la saga médiatique et politique estivale. Il s’agit du thème de Chantage (qui, selon une logique toujours obscure, traduit The First Counsel). Toute ressemblance avec l’actualité française s’arrête là. Le schéma est à peu près identique à Délit d’innocence, seul le protagoniste change. Michael Garrick reste juriste, mais cette fois, membre de l’équipe des conseillers du président des Etats-Unis. Pour pimenter l’ensemble, il fréquente la fille du président, qui l’entraîne dès le début de l’ouvrage dans de graves ennuis. Après avoir semé, par jeu, les gardes du corps de la fille du président, ils se réfugient dans un bar pour homosexuels, où ils aperçoivent le patron de Michael, l’avocat du président : Edgar Simon. Ils le suivent et le voient déposer une forte somme d’argent au pied d’un arbre. A son retour au travail, Michael Garrick en parle avec des collègues et finit par rapporter les faits à la personne en charge des questions d’éthique, qui mourra dans des circonstances troubles. L’engrenage est lancé : l’imprudence initiale, vénielle, fait apparaître le complot, la lutte -pour la survie et le pouvoir-. Le roman n’est peut-être plus aussi original aujourd’hui que lors de sa parution en 1999. Les séries télévisées -West Wing et House of Cards [10] en tête, sans oublier la plus récente Designated Survivor  [11]- ont fait de la présidence des Etats-Unis un nouveau terrain de fictions, de sorte que l’on découvre moins le fonctionnement de la Maison blanche puisque l’on s’en sent plus familier. Le microcosme de la Maison blanche est presque le même que celui de Délit d’innocence, à cette différence près que le héros de Chantage est solitaire, l’image même du self-made man qui a su arriver au sommet malgré un lourd handicap social.

Ces ouvrages de Brad Meltzer confirment que le droit est un ressort dramatique important : il est vecteur d’action, de suspense, de tension. Ils confirment également que le juriste n’est pas vu de la même manière aux Etats-Unis qu’en France, sans doute parce qu’il n’y a pas d’école d’administration, les conseillers sont des avocats. Le lecteur voit alors, chose rare, la fabrication du droit par ces petites mains que sont les assistants des juges et les conseillers du président. Les enjeux juridiques sont importants et, pourtant, les prises de décisions ne sont guidées que par un intérêt politique, à la fois à la Cour suprême et, de manière plus évidente, à la Maison blanche. Le juriste est un serviteur qui, s’il peut défendre un point de vue (la discussion sur l’éventuelle erreur judiciaire contre un condamné à mort dans Délit d’innocence est à cet égard intéressante, comme la rédaction d’un mémo sur le danger de la généralisation des écoutes téléphoniques, dans Chantage), n’en demeure pas moins qu’un habile artisan qui peut présenter les choses dans un sens ou l’autre.

 

V. Ollivier, Toscane, Flammarion, 2018

Quand un avocat écrit un premier roman, il n’y met pas nécessairement du droit. L’auteur de Toscane [12] glisse tout de même quelques interrogatoires policiers, mais son propos concerne la nature humaine plus que la justice. Savamment construit, Toscane débute par le trouble apporté à la quiétude d’un agriturismo où de riches touristes viennent assouvir leur passion équestre : des coups de feu, des cadavres découverts. L’alternance du récit, qui passe de la première à la troisième personne au fil de la narration, permet d’aller au-delà de la résolution du mystère en offrant au lecteur une plongée dans la noirceur de l’appât du gain. A l’exception d’un naïf soldat, sorte de Rambo candide, le reste des personnages n’est motivé que par la cupidité. La Toscane n’est pas réellement le cadre du mystère, puisqu’il s’étend jusqu’en Afghanistan, où un soldat correspond, grâce à l’aide de son ami, avec l’une des victimes. Réellement amoureux, il ne devine jamais que son amante virtuelle n’est motivée que par l’argent. Aucun des personnages n’est heureux : tous recherchent le plaisir, sans vraiment y réfléchir. L’un, dans le désastre d’un mariage raté, prend ce qu’il veut, femme et enfant, pour satisfaire des envies immédiates. Un autre, qui attire la sympathie, est dévoré par son épouse qui rêve de richesses. Un autre encore, mercenaire, ne cherche qu’à s’approprier ce qu’il estime lui revenir.

La force de Toscane est de réussir à capturer son lecteur grâce à une construction habile, tout en lui faisant côtoyer des personnages déplaisants. La complexité de la structure du livre permet au récit de se dérouler sereinement, amenant pierre par pierre les éléments de l’histoire. La révélation s’effectue progressivement, sans que le lecteur parvienne à juger complètement les personnages : si l’on peut les comprendre, de sorte qu’on ne peut entièrement les condamner, il reste difficile de partager leurs ambitions respectives. Toscane est à cet égard un roman désabusé sur ces hommes et femmes qui ne recherchent que l’argent.

 

[1] La seule logique de l’ordre de présentation est alphabétique !

[2] Actrice et réalisatrice de Commis d’office, 2009.

[3] Sic.

[4] Infra.

[5] J.-B. Thierry, Justice en fiction : le droit dans l’œuvre de John Grisham, in Sine lege, 5 mars 2018.

[6] Le Cas Fitzgerald (J.-Cl. Lattès), 2018 (Camino Island, 2016).

[7] En attendant la parution en octobre de The Reckoning. Pour le moment, The Rooster bar n’est pas encore traduit.

[8] Supra.

[9] Par ex. : S. Carter, Echec et Mat (The Emperor of Ocean Park), 2002. M. Connelly : La Défense Lincoln (The Lincoln Lawyer, 2005) ; Le Verdict du plomb (The Brass Verdict, 2008) ; Volte-face (The Reversal, 2010) ; Le Cinquième témoin (The Fifth Witness, 2011) ; Les Dieux du verdict (The Gods of Guilt, 2013). A. Franze, 10 great novels about the Supreme Court, 13 avril 2016 (en ligne).

[10] La littérature française n’est pas en reste, comme le montre la remarquable trilogie de L’emprise de Marc Dugain (L’Emprise, Gallimard, 2014 ; Quinquennat, Gallimard, 2015 ; Ultime partie, Gallimard, 2016).

[11] Récemment, un roman a même été co-écrit par un romancier à succès et un ancien président des Etats-Unis : B. Clinton, J. Patteron, Le Président a disparu, J.-Cl. Lattès, 2018.

[12] Par ailleurs auteur de cette revue : V. Ollivier, Saisies pénales : axes de défense, in Lexbase Pén., 2018, no 4 (N° Lexbase : N3762BXM).

newsid:465486

Licenciement

[Brèves] Propos diffusés par un salarié sur son compte Facebook au sein d’un groupe fermé : absence de faute grave

Réf. : Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 16-11.690, FS-P+B, sur le premier moyen (N° Lexbase : A7858X4S)

Lecture: 1 min

N5517BXM

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par Blanche Chaumet

Le 19 Septembre 2018

Ne caractérisent pas une faute grave les propos diffusés par un salarié sur son compte Facebook qui n'avaient été accessibles qu'à des personnes agréées par cette dernière et peu nombreuses, à savoir un groupe fermé composé de quatorze personnes, de sorte qu'ils relevaient d'une conversation de nature privée. Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 septembre 2018 (Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 16-11.690, FS-P+B, sur le premier moyen N° Lexbase : A7858X4S).

 

En l’espèce, une salariée, gérée par Mme X, a été engagée le 6 janvier 2004 en qualité de négociatrice immobilier par la société Y. Le 3 mars 2009, elle a été licenciée pour faute grave par cette dernière et a saisi la juridiction prud'homale. Mme X a été désignée en qualité de liquidateur amiable de la société Y.

 

La cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, 8ème ch., 3 décembre 2015, n° 13/01716 N° Lexbase : A4554NYC) ayant dit le licenciement pour faute grave dépourvu de cause réelle et sérieuse et ayant condamné l’employeur à verser des sommes à la salariée, ce dernier s’est pourvu en cassation.

 

Cependant en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E9156ESW et N° Lexbase : E2632ETN).

 

newsid:465517

Majeurs protégés

[Brèves] Placement en garde à vue d’un majeur protégé : inconstitutionnalité de l’absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur

Réf. : Cons. const., 14 septembre 2018, décision n° 2018-730 QPC (N° Lexbase : A3658X4A)

Lecture: 3 min

N5492BXP

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 19 Septembre 2018

Le premier alinéa de l’article 706-113 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6284H9M), en ce qu’il n’impose pas aux autorités policières ou judiciaires d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé de son placement en garde à vue, doit être déclaré contraire à la Constitution ; la date de l’abrogation des dispositions concernées est fixée au 1er octobre 2019.

 

C’est ainsi que s’est prononcé le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue le 14 septembre 2018 (Cons. const., 14 septembre 2018, décision n° 2018-730 QPC N° Lexbase : A3658X4A).

 

Pour rappel, en application des dispositions concernées, lorsque des poursuites pénales sont engagées à l’encontre d’un majeur protégé, le procureur de la République ou le juge d’instruction doit en informer son curateur ou son tuteur, ainsi que le juge des tutelles. Il en va de même lorsque le majeur protégé fait l’objet d’une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation, d’une composition pénale ou d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou lorsqu’il est entendu comme témoin assisté. Le curateur ou le tuteur est alors autorisé à prendre connaissance des pièces de la procédure et bénéficie de plusieurs prérogatives visant à lui permettre d’assurer la préservation des droits du majeur protégé. Or, ces dispositions ne s’appliquent pas à la garde à vue.

 

Les Sages relèvent, alors, que ni les dispositions contestées (le premier alinéa de l’article 706-113 du Code de procédure pénale) ni aucune autre disposition législative n’imposent aux autorités policières ou judiciaires de rechercher, dès le début de la garde à vue, si la personne entendue est placée sous curatelle ou sous tutelle et d’informer alors son représentant de la mesure dont elle fait l’objet.

 

Ainsi, dans le cas où il n’a pas demandé à ce que son curateur ou son tuteur soit prévenu, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l’exercice de son droit de s’entretenir avec un avocat et d’être assisté par lui au cours de ses auditions et confrontations.

 

Dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense.

 

Par suite, le premier alinéa de l’article 706-113 du Code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution, étant précisé que la date de l’abrogation de ces dispositions est reportée au 1er octobre 2019. En effet, les Sages relèvent qu’ils ne disposent pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne leur appartient pas d’indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée. En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait notamment pour effet de supprimer l’obligation pour le procureur de la République et le juge d’instruction d’aviser le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, en cas de poursuites pénales à l’encontre d’un majeur protégé. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives (cf. les Ouvrages «La protection des mineurs et des majeurs vulnérables » N° Lexbase : E3463E4Z et «Procédure pénale» N° Lexbase : E2100EUC).

newsid:465492

Marchés publics

[Brèves] Absence de caractérisation de l’atteinte au principe d’impartialité dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 12 septembre 2018, n° 420454, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3595X4W)

Lecture: 1 min

N5507BXA

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par Yann Le Foll

Le 19 Septembre 2018

Le fait pour la société attributaire du marché d’avoir recruté un salarié de l’assistant à maître d’ouvrage juste avant la remise des offres n’est pas constitutif d’une violation du principe d’impartialité susceptible d’entraîner l’annulation de la procédure. Telle est la solution d’un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 12 septembre 2018 (CE 2° et 7° ch.-r., 12 septembre 2018, n° 420454, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3595X4W).

 

La Haute juridiction estime, d’une part, qu'en retenant l'existence d'un doute sur l'impartialité de l'acheteur public alors qu'il n'avait relevé aucun élément de nature à établir que son mandataire, la société Naldéo, avait manqué d'impartialité dans l'établissement des documents de la consultation pendant la période où M. X était son salarié, le juge des référés a inexactement qualifié les faits dont il était saisi.

 

D’autre part, si les informations confidentielles que M. X aurait éventuellement pu obtenir à l'occasion de sa mission d'assistant à maîtrise d'ouvrage pouvaient, le cas échéant, conférer à son nouvel employeur, la société Sepur, un avantage de nature à rompre l'égalité entre les concurrents et obliger l'acheteur public à prendre les mesures propres à la rétablir, cette circonstance était en elle-même insusceptible d'affecter l'impartialité de l'acheteur public (cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E7139XP4).

newsid:465507

Procédure civile

[Le point sur...] Appel du jugement sur la compétence : variations pratiques et jurisprudentielles

Lecture: 8 min

N5481BXB

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par Valentin Garcia, ATER à l'université Toulouse 1 Capitole

Le 19 Septembre 2018

Appel du jugement sur la compétence - Pratique - Tendance jurisprudentielle

 

Voilà un an que le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2696LEL) est entré en vigueur au 1er septembre 2017 [1]. L'anniversaire est l'occasion de réaliser un focus des premières décisions des cours d'appel qui appliquent les règles de la procédure d'appel du jugement qui statue sur la compétence. Le décret procède à la suppression du contredit souhaitée par la Cour de cassation et reconstruit un appel à double visage avec deux régimes distincts [2].

 

D'un côté, l'appel du jugement qui statue uniquement sur la compétence -ou sur la compétence et prononce une mesure d'instruction ou une mesure provisoire- (C. pr. civ., art. 83 N° Lexbase : L1426LGW à 89), de l'autre, l'appel du jugement qui statue sur la compétence et sur le fond (C. pr. civ., art. 90 N° Lexbase : L1419LGN et 91 N° Lexbase : L7165A47). La première procédure est technique et piégeuse. Elle impose des charges de procédure et des sanctions afférentes (C. pr. civ., art. 84 N° Lexbase : L1424LGT et 85 N° Lexbase : L1423LGS : saisine du premier président, motivation de l'appel ou des conclusions annexées, caducité et irrecevabilité de la déclaration d'appel). Le traitement juridictionnel y est accéléré. C'est une procédure comme en matière de jour fixe (appel avec représentation obligatoire) ou comme en matière de fixation prioritaire de l'audience (appel sans représentation obligatoire). La seconde procédure est plus traditionnelle. Il s'agit de la procédure d'appel de droit commun (C. pr. civ., art. 90 N° Lexbase : L1419LGN et 91 N° Lexbase : L1427LGX). La célébration de la première bougie soufflée est d'autant plus intense que ces mesures ont sans doute une espérance de vie limitée. Une phase de réorganisation du schéma contentieux est enclenchée et les litiges sur la compétence sont considérés comme de plus en plus mineurs. Ils risquent de progressivement disparaître pour devenir des mesures d'administration judiciaire [3]. Célébration agitée donc... Et dans une atmosphère de peur d'un avenir processuel et justiciel incertain. L'application du décret s'est avérée plusieurs fois pénible dans l'esprit des plaideurs et des magistrats. Les doutes ont été parfois rapidement dissipés : la procédure à suivre pour contester un jugement qui a statué sur une question de fond dont dépend la compétence est celle des jugements qui statuent exclusivement sur la compétence à des fins "d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel» [4] (C. pr. civ., art. 79 N° Lexbase : L1416LGK). L'appel des décisions sur la compétence du juge de la mise en état relève du circuit court imposé par l'article 905, alinéa 2 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7288LEN) et il n'y a pas lieu d'y appliquer les dispositions de la procédure d'appel des jugements statuant exclusivement sur la compétence [5]. Dans d'autres décisions, l'interprétation du texte interroge plus sérieusement sur les quatre points qui suivent.

 

La première incertitude concerne les ordonnances de référé qui se prononcent sur la compétence et les mesures provisoires sollicitées [6]. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse s'est déclaré compétent puis a prononcé l'expulsion d'un métayer et l'a condamné à payer une provision. Dans une première décision [7], la formation de jugement a constaté que l'appelant n'avait pas saisi le premier président pour demander l'autorisation d'assigner à jour fixe. Envisageant l'application de la procédure d'appel des jugements qui statuent exclusivement sur la compétence, elle a relevé d'office le moyen tiré de la caducité de l'appel et a rouvert les débats. Cependant, après discussions, la cour s'est ravisée et n'a pas prononcé la caducité. Elle considère finalement que la procédure applicable est celle des jugements statuant sur la compétence et le fond puisque "la décision qui constate la résiliation du bail, ordonne l'expulsion des occupants sans droit ni titre, et condamne au paiement de sommes à titre provisionnel, tranche le fond du litige et dessaisit le juge» [8]. A en croire la circulaire qui ne le précise pas expressément, il faudrait procéder comme l'a fait la cour de Toulouse [9]. En fait, les deux procédures d'appel sur la compétence ne conviennent pas vraiment à l'ordonnance de référé qui statue sur la compétence puis sur les mesures sollicitées. L’ordonnance devrait être rattachée à l'une des deux par défaut. D'une part, l'ordonnance de référé n'est pas un jugement sur le fond [10]. La procédure d'appel du jugement sur la compétence et sur le fond ne peut donc pas en principe lui être appliquée. D'autre part, la procédure d'appel du jugement qui statue exclusivement sur la compétence ne convient aussi que très moyennement à ce type d'ordonnance de référé. Pour les caractères qui lui conviennent, il faut préciser que cette procédure d'appel a pour objet de purger très promptement le litige sur la compétence en rythmant l'affaire par des charges procédurales assorties de sanctions (C. pr. civ., art. 84 et 85) (pour éviter si possible tout réexamen de la compétence par la cour d'appel et participer au vidage des rôles). Ce besoin de célérité se combine parfaitement avec le référé qui est aussi plus expéditif qu'une procédure sur le fond. Les problèmes de compétence y sont aussi mineurs en ce que le juge des référés est le juge de l’évidence et du nécessaire, un juge du fond pouvant passer outre la décision provisoire de ce premier. Pour les caractères qui lui conviennent moins, notons d'abord que cette procédure ne prévoit rien sur la possibilité de faire appel des mesures provisoires de référé. En effet, et là on s'accorde avec la cour d'appel toulousaine, les mesures provisoires évoquées dans cette procédure ne sont pas des mesures provisoires qui mettent fin à l'instance et qui sont susceptibles d'appel, mais celles que le juge du fond prend en attendant de rendre sa décision sur le principal. Lorsque le juge des référés s'est justement déclaré compétent et a prononcé ou non des mesures provisoires, la cour d'appel devrait pouvoir réexaminer le tout. Ensuite, dès lors que la cour d'appel confirme le chef de l'ordonnance du juge des référés sur la compétence, elle serait en principe automatiquement tenue de renvoyer l'affaire devant ce premier juge pour que l'instance se poursuive (C. pr. civ., art. 86, al. 1). Malheureusement, il n'y a plus rien à dire, car le juge des référés a épuisé sa saisine. Une application dévoyée de l'article 86, alinéa 2, du Code de procédure permettrait de passer outre. La souplesse de sa rédaction offrirait à la cour d'appel la faculté de ne pas renvoyer l'affaire en première instance au-delà de la simple hypothèse de l'évocation de l'affaire au fond (C. pr. civ., art 88 et 89). A notre sens, cette procédure doit invariablement s'appliquer avec pragmatisme à toute ordonnance de référé (au moins les charges + sanctions de procédure et la cour doit pouvoir trancher à nouveau les mesures provisoires si la juridiction de premier degré est bien compétente). Si au contraire la procédure des articles 89 et 90 du Code de procédure civile est celle qui doit s'appliquer, l'affaire devrait être obligatoirement orientée vers la procédure à bref délai de l'article 905 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7288LEN) (circuit court) [11] ou donner lieu à un calendrier resserré en matière orale.

 

Une deuxième incertitude moins extrême s'est révélée à la juridiction d'Aix-en-Provence. L'affaire concerne l'appel d'une décision statuant exclusivement sur la compétence. L'appelant a saisi le premier président dans le délai d'appel de 15 jours pour demander l'autorisation de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire comme l'exige l'article 84 du Code de procédure civile à peine de caducité de la déclaration d'appel. Cependant, l'appelant s'est trompé et aurait dû demander l'autorisation d'assigner à jour fixe puisqu'il s'agissait d'une procédure avec représentation obligatoire. L'autorisation d'assigner a pourtant été accordée par le délégué du premier président. La cour d'appel a refusé de prononcer la caducité encourue et demandée par l'intimé. Elle considère que l'exigence de célérité qui s'attache à la procédure d'appel des jugements qui statuent exclusivement sur la compétence a été respectée, peu importe le moyen pris pour la satisfaire [12]. L'esprit de la réforme est respecté et une telle sollicitation erronée devrait toujours être rectifiée puis accordée.

 

La troisième incertitude porte sur l'application du jour fixe spécial de plein droit (C. pr. civ., art. 84) à une décision qui statue sur la compétence et qui doit normalement suivre une procédure à bref délai ou une procédure à jour fixe de droit commun parce qu'un texte l'impose. Le même texte peut parfois laisser le choix à l'appelant qui peut opter pour le bref délai ou la procédure à jour fixe de droit commun [13]. Entre le bref délai, le jour fixe facultatif et le jour fixe spécial, quelle procédure faut-il alors suivre ? La cour d'appel de Paris expose que l'article R. 121-20 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L7259LEL) dispose que l'appel des décisions du juge de l'exécution est de 15 jours et qu'il relève de la procédure de l'article 905 du Code de procédure civile ou de la procédure à jour fixe et que l'article 84 du Code de procédure civile dispose qu'une demande d'autorisation d'assigner à jour fixe doit être faite lorsque la décision porte uniquement sur la compétence. La cour d'appel fait une application combinée des articles 84 du Code de procédure civile et R. 121-20 du Code des procédures civiles d’exécution pour préférer le jour fixe spécial [14]. Le raisonnement n'est pas orthodoxe en ce qu'elle aurait peut-être dû se fonder exclusivement sur l'article 84 du Code de procédure civile (jour fixe spécial de plein droit) qui prime sur le jour fixe facultatif de droit commun et sur l'article 905 du Code de procédure civile prévus à l'article R. 121-20 du Code des procédures civiles. La cour d'appel aurait été plus embarrassée si ce texte n'avait pas laissé l'option entre le jour fixe et le circuit court de l'article 905 du Code des procédures civiles. A notre sens, le jour fixe prévu à l'article 84 de Code de procédure civile devrait toujours l'emporter sur les autres procédures rapides imposées par un texte lorsque le juge ne statue que sur la compétence.

 

Une quatrième et dernière incertitude concerne le relevé d'office de la caducité et de l'irrecevabilité prévues dans la procédure d'appel des jugements statuant uniquement sur la compétence. Les textes ne disent rien. Pour la cour d'appel de Toulouse, le relevé d'office de la caducité semble possible pour la formation de jugement [15]. Ce serait une compétence qu'elle partagerait avec le conseiller de la mise en état (C. pr. civ., art. 914 N° Lexbase : L7247LE7). La cour d'appel de Nîmes [16] est plus sévère et considère que dans la procédure à bref délai (C. pr. civ., art. 905 N° Lexbase : L7288LEN et s.), le magistrat instructeur (président de chambre ou magistrat désigné par le premier président) n'a pas la compétence pour le faire, car il ne peut se prononcer sur les cas de caducité ou d'irrecevabilité autres que ceux limitativement prévus aux articles 905-2 (N° Lexbase : L7036LEC) et 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7249LE9). Ce raisonnement disjoint à tort le circuit court des dispositions générales du code qui permettent à tout juge de pouvoir relever d'office et prononcer la caducité de l'appel ou son irrecevabilité en vertu des articles 84 ou 85 et 12, alinéa 3, du Code de procédure de civile. L'appel qui serait caduc ou irrecevable pour les causes prévues aux deux premiers articles précédents ne devrait jamais parvenir à la formation de jugement. Tout juge instructeur devrait s'attacher à le relever d'office, que la procédure soit avec ou sans représentation obligatoire.

 

Plusieurs doutes rendent compliquée l'application des dispositions sur l'appel de la compétence. Méfiance donc jusqu'à ce que la Cour de cassation éclaircisse certaines zones d'ombre comme elle l'a déjà fait par avis pour la procédure d'appel en général [17].

 

[1] Décret n° 2017-1227 du 2 août 2017 (N° Lexbase : L3858LGY) ; circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mi 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, modifié par le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017 (N° Lexbase : L6244LGD ; sur le décret, lire le commentaire du Professeur Etienne Vergès intitulé Réforme de la procédure civile de mai 2017 - Deuxième partie - la réforme de l'appel : technique, toujours plus technique, Lexbase, éd. priv., n° 704, 2017 N° Lexbase : N9031BWE).

[2] L. Mayer, Le nouvel appel du jugement sur la compétence, Gaz. Pal., 25 juillet 2017, n° 28, p. 71.

[3] Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, spec. p. 39, art. 55 et p. 156, n° 1.2.6 ; livret n° 4 des chantiers de la justice, Adaptation du réseau des juridictions, D. Raimbourg et P. Houillon (dir.), 2018, p. 19 ; livret n° 3 des chantiers de la justice, "Amélioration et simplification de la procédure civile", F. Agostini et N. Molfessis (dir.), 2018, p. 21, proposition n° 18 ; Une administration pour la justice, J-P. Jean, D. Salas (dir.), RFAP 2008/1, n° 125, la compétence entretient de fortes liaisons avec l'organisation et le fonctionnement de la justice.

[4] CA Aix-en-Provence, 29 juin 2018, n° 17/17973 (N° Lexbase : A4084XUS) : "Or, il résulte, ensemble, des dispositions des articles 78, 79 et 83 alinéa 1 du Code de procédure civile, que si la procédure spécifique prévue aux articles 83 et suivants du même code n'est pas applicable lorsque le juge se prononce sur la compétence et tranche le fond, cette procédure doit être obligatoirement observée par l'appelant lorsque, comme en l'espèce, le juge a seulement statué sur la question de fond pour déterminer la compétence. Ainsi, en application de l'article 85 alinéa 1 du Code de procédure civile, la déclaration d'appel doit notamment, à peine d'irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration". Le contredit était auparavant prévu (C. pr. civ., art. 80 anc. N° Lexbase : L1305H44).

[5] CA Rennes, 29 mai 2018, n° 17/07133 (N° Lexbase : A6058XP3) : "Il en résulte que l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état statuant sur une exception de procédure comme l'exception d'incompétence, relève du régime spécial prévu par l'article 776, alinéa 4, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7010H7R) et échappe aux prescriptions de l'article 85 s'appliquant aux jugements. Mais l'appel de l'ordonnance du juge de la mise en état, qui relève du 2° du quatrième alinéa de l'article 776 du Code de procédure civile ainsi qu'il a été dit, obéit au régime procédural déterminé aux articles 905 et suivants, en l'espèce mis en oeuvre, et non aux dispositions des articles 83 et suivants du Code de procédure civile tels qu'issus du décret du 6 mai 2017" ; avant, l'appel était préféré au contredit, Cass. civ. 2, 31 janvier 2013, n° 11-25.242, F-P+B (N° Lexbase : A6270I4Y ; cf. l’Ouvrage «Procédure civile» N° Lexbase : E3960EU9).

[6] Avant, les ordonnances de référé faisaient l'objet d'un appel (C. pr. civ., art. 98 anc..) et pas d'un contredit de compétence.

[7] CA Toulouse, 21 juin 2018, n° 17/05335 (N° Lexbase : A7582XTY), zoom sous V.  Garcia, Réorganisation de l'appel et désorganisation de l'appelant, JCP éd. G., n° 14, 2 avril 2018, 402.

[8] CA Toulouse, 21 juin 2018, n° 17/05335 précité : "En vertu de l'article 488 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6602H7N) une ordonnance de référé constatant la résiliation d'un bail ou ordonnant l'expulsion d'occupants sans droit ni titre est une mesure provisoire qui n'a pas autorité de chose jugée au principal. Toutefois, les mesures provisoires visées par l'article 83 du code de procédure civile sont celles qui ne dessaisissent pas le juge. Or, la décision qui constate la résiliation du bail, ordonne l'expulsion des occupants sans droit ni titre, et condamne au paiement de sommes à titre provisionnel, tranche le fond du litige et dessaisit le juge. En sorte que l'ordonnance de référé qui tranche la compétence et statue sur le fond du droit ne relève pas des dispositions des articles 83 et 84 du code de procédure civile" ; les cours d'appel de Nîmes et Paris semblent avoir une autre interprétation : CA Nîmes, 4ème ch. com., 5 février 2018, n° 17/04433 (N° Lexbase : A5735XCE) ; CA Paris, 26 janvier 2018, n° 17/20963 (N° Lexbase : A8372XBP).

[9] Elle évoque l'appel des jugements sur la compétence et les "mesures ou incidents ne mettant pas fin à l'instance”.

[10] Le code fait une distinction entre les jugements sur le fond et les autres jugements dont l'ordonnance de référé fait partie. Pour la doctrine les "vrais" jugements sur le fond sont ceux qui relèvent du principal (C. pr. civ., art. 4 N° Lexbase : L1113H4Y). Par extension, elle convient que le code peut inclure parmi les jugements sur le fond, ceux qui se prononcent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident qui mettrait fin à l'instance. Dans tous les cas, ce caractère du fond s'apprécie au regard des pouvoirs juridictionnels de la juridiction saisie. L'ordonnance de référé n'a pas autorité de la chose jugée et elle peut être modifiée ou rapportée en cas de circonstances nouvelles puisque le juge n'est hypothétiquement pas dessaisi ; L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 10ème éd., LexisNexis, 2017, p. 94, n° 89.

[11] Un nouveau doute s'agrège en ce qu'il n'est pas certain que l'affaire en référé puisse être automatiquement orientée vers ce circuit à bref délai si le président de la chambre ne le décide pas au final (C. pr. civ., art. 904-1, 905), C. Lhermitte, Circuit court de droit : les obligations procédurales des parties en l'absence d'un avis de fixation, Gaz. Pal, 15 mai 2018, n° 17, p. 56.

[12] CA Aix-en-Provence, 17ème ch., 17 mai 2018, n° 17/22275 (N° Lexbase : A0272XNE) : "Mme O. a respecté ces obligations. Si elle a demandé la fixation prioritaire au lieu d'une autorisation d'assignation à jour fixe, cette erreur de pure forme qui ne porte que sur les modalités de mise en oeuvre de la procédure d'appel, est sans incidence sur la régularité de la saisine de la cour et ne peut donner lieu à caducité de l'appel." ; ces décisions étaient avant soumises à l'appel et non au contredit, Cass. civ. 2, 31 janvier 2013, n° 11-25.242, F-P+B (N° Lexbase : A6270I4Y ; cf. l’Ouvrage «Procédure civile» N° Lexbase : E3960EU9).

[13] C. com., art. R. 661-6 (N° Lexbase : L7798LLE) et R. 823-5 (N° Lexbase : L5821K9H) ; C. Conso., art. 623-4 (N° Lexbase : L0809K74) ; C. proc. civ. d’exécution, art. R. 121-20 (N° Lexbase : L7259LEL) et R. 311-7 (N° Lexbase : L7260LEM) ; d'autres textes prévoient encore que l'appel suit exclusivement la procédure à jour fixe de droit commun.

[14] CA Paris, Pôle 4, 8ème ch., 5 juillet 2018, n° 18/01825 (N° Lexbase : A2217XWZ) : "Il résulte de la combinaison de ces deux textes que l'appel d'un jugement du juge de l'exécution statuant exclusivement sur la compétence doit se faire par la procédure à jour fixe".

[15] CA Toulouse, 3ème ch., 8 mars 2018, n° 17/05335 (N° Lexbase : A7582XTY), v. Annexe 6 de la Circulaire du 4 août 2017 ; Cass. civ. 2, 11 mai 2017, n° 16-14.868, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4629WCG ; cf. l’Ouvrage «Procédure civile» N° Lexbase : A4629WCG).

[16] CA Nîmes, 1ère ch., 28 juin 2018, n° 18/00264 (N° Lexbase : A2861XUI) : "Si le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président a bien compétence pour prononcer avec autorité de chose jugée au principal les sanctions de caducité ou d'irrecevabilité de l'appel ou d'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure, sa compétence se limite aux causes de caducité ou d'irrecevabilité visées par les articles 905-2 et l'article 930-1 du Code de procédure civile".

[17] Cass. avis, 20 décembre 2017, n° 17019 (N° Lexbase : A7024W9Z), n° 17020 (N° Lexbase : A7025W93) et 17021 (N° Lexbase : A7027W97 ; cf. l’Ouvrage «Procédure civile» N° Lexbase : E0887GA4) et Cass. avis, 12 juillet 2018, trois avis, n° 15010 (N° Lexbase : A9885XXE), n° 15011 (N° Lexbase : A9193XXR), n° 15012 (N° Lexbase : A9194XXS ; cf. l’Ouvrage «Procédure civile» N° Lexbase : E0899GAK).

newsid:465481

Procédure pénale

[Brèves] Droits de la défense des mineurs privés de liberté : la Chambre criminelle renvoie une QPC

Réf. : Cass. crim., 11 septembre 2018, n° 18-83.360, F-D (N° Lexbase : A8876X37)

Lecture: 2 min

N5479BX9

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par June Perot

Le 19 Septembre 2018

► La question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 1er, 5, 7, 8, 9 et 10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante (N° Lexbase : L4662AGR), en ce qu’ils s’abstiennent de prévoir le droit à l’information, le droit de se taire, le droit à l’assistance d’un avocat, le droit à un examen médical et le droit à la présence d’un représentant légal, doit être renvoyée au Conseil constitutionnel, en raison de l’éventuelle atteinte portée aux droits de la défense. Ainsi a statué la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 11 septembre 2018 (Cass. crim., 11 septembre 2018, n° 18-83.360, F-D N° Lexbase : A8876X37).

 

La QPC était formulée comme suit : «Les dispositions des articles 61 (N° Lexbase : L4985K87), 62 (N° Lexbase : L3155I3A), 63 (N° Lexbase : L3154I39) et 64 (N° Lexbase : L9748IPQ) du Code de procédure pénale, en leur rédaction applicable aux faits, celles des articles 1er, 5, 7, 8, 9 et 10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, en leur rédaction applicable aux faits, en ce qu’elles s’abstiennent de prévoir le droit à l’information, le droit de se taire, le droit à l’assistance d’un avocat, le droit à un examen médical et le droit à la présence d’un représentant légal, méconnaissent-elles les droits de la défense tels que garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), le droit à la présomption d’innocence consacré par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1373A9Q) et le principe fondamental reconnu par les lois de la République du droit pénal spécial et protecteur des mineurs ?».

 

La Chambre criminelle a estimé que la question présentait un caractère sérieux, dès lors que le législateur n’ayant pas, à l’occasion des modifications qu’il a apportées, postérieurement à la Constitution du 4 octobre 1958 et antérieurement à 1984, à l’ordonnance du 2 février 1945, prévu les garanties spécifiques devant être apportées à un mineur privé de liberté par une mesure de garde à vue, ce qu’il n’a fait que par la loi n° 93-1013 du 24 août 1993 (N° Lexbase : L0140IUQ), en choisissant de les fixer dans ce texte et non dans le Code de procédure pénale. Il y a donc lieu, pour le Conseil constitutionnel, de vérifier s’il a été porté atteinte, par cette abstention, au principe fondamental reconnu par les lois de la République du droit pénal spécial et protecteur des mineurs.

newsid:465479

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Droit à déduction de TVA : quid des acquisitions effectuées par un contribuable déclaré inactif par l’administration fiscale ?

Réf. : CJUE, 12 septembre 2018, aff. C-69/17 (N° Lexbase : A7628X3W)

Lecture: 2 min

N5495BXS

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par Marie-Claire Sgarra

Le 19 Septembre 2018

La Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (N° Lexbase : L7664HTZ), doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, qui permet à l’administration fiscale de refuser à un assujetti ayant effectué des acquisitions pendant la période au cours de laquelle son numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée a été annulé en raison d’une omission de présenter des déclarations fiscales le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée relative à ces acquisitions au moyen de déclarations de taxe sur la valeur ajoutée effectuées -ou de factures émises- après la réactivation de son numéro d’identification au seul motif que ces acquisitions ont eu lieu pendant la période de désactivation, alors que les exigences de fond sont réunies et que le droit à déduction n’est pas invoqué frauduleusement ou abusivement.

 

Telle est la solution dégagée par la CJUE dans un arrêt du 12 septembre 2018 (CJUE, 12 septembre 2018, aff. C-69/17 N° Lexbase : A7628X3W).

 

En l’espèce, une société de droit roumain a pour objet le montage, l’installation et la maintenance de parcs éoliens. A ce titre, elle a acquis différents biens et services auprès de fournisseurs établis et identifiés à la TVA en Roumanie et dans d’autres pays de l’Union européenne. Elle a exercé son droit à déduction de la TVA sur les acquisitions effectuées en déposant une déclaration de TVA.

 

La société a été déclarée contribuable inactif pour une certaine période au motif qu’elle n’avait rempli, au cours d’un semestre civil, aucune des obligations déclaratives prévues par la loi. Sur la base du rapport établi à l’issue d’un contrôle fiscal, la société requérante a reçu un avis d’imposition rejetant le droit à déduction de la TVA à hauteur de 3 875 717 lei roumains et mettant à sa charge des pénalités, au motif, notamment, qu’elle ne bénéficiait pas d’un droit à déduction pour les acquisitions effectuées au cours de la période de son inactivité.

 

Dans sa requête, la société requérante reproche principalement à l’administration fiscale d’avoir méconnu le principe de proportionnalité et le principe de neutralité de la TVA, dans des circonstances où elle remplissait toutes les obligations nécessaires pour la réactivation de son numéro d’identification à la TVA. En défense, cette administration invoque la nécessité de collecter correctement la TVA et de prévenir l’évasion fiscale. Dans ces conditions, la cour d’appel de Bucarest avait décidé de surseoir à statuer.

newsid:465495

Transport

[Brèves] Responsabilité du transporteur aérien en cas d’annulation ou de retard important : l’avion foudroyé au départ, circonstances extraordinaires l’exonérant du paiement de l’indemnisation

Réf. : Cass. civ. 1, 12 septembre 2018, n° 17-11.361, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3610X4H)

Lecture: 2 min

N5487BXI

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par Vincent Téchené

Le 18 Septembre 2018

► Constitue des circonstances extraordinaires exonérant le transporteur aérien du paiement de l’indemnisation due aux passagers en cas d’annulation ou de retard de trois heures ou plus à l’arrivée à destination d’un vol, le fait que l’avion ait été foudroyé à l’aéroport de départ. Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 septembre 2018 (Cass. civ. 1, 12 septembre 2018, n° 17-11.361, FS-P+B+I [LXB=A3610X4H]).

 

Elle rappelle qu’il résulte de l’article 5 § 3 du Règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L0330DYU), tel qu’interprété par la CJUE, qu’un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation ou le retard de trois heures ou plus à l’arrivée à destination d’un vol sont dus à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises (cf. not. CJCE, 19 novembre 2009, aff. C-402/07 et C-432/07 N° Lexbase : A6589END). En outre, selon la jurisprudence de la Cour de justice, peuvent être qualifiés de circonstances extraordinaires, au sens de ce texte, les événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci (cf. not., CJCE, 22 décembre 2008, aff. C-549/07 N° Lexbase : A9984EBE). Et, le transporteur aérien qui entend s’en prévaloir doit établir que, même en mettant en œuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait, il n’aurait manifestement pas pu, sauf à consentir des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent, éviter que les circonstances extraordinaires auxquelles il était confronté ne conduisent à l’annulation du vol ou à un retard de ce vol égal ou supérieur à trois heures à l’arrivée (CJUE, 4 mai 2017, aff. C-315/15 N° Lexbase : A9956WBD).

 

En premier lieu, la Cour relève qu’en l’espèce, l’avion stationné à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, dans lequel les passagers devaient embarquer, avait été foudroyé, de sorte que la juridiction de proximité a pu retenir l’existence de circonstances extraordinaires de nature à exonérer le transporteur du paiement de l’indemnisation.

 

En second lieu, conformément aux règles de l’aviation civile, l’appareil, touché par la foudre à 8h39, avait été minutieusement examiné par des ingénieurs aéronautiques, lesquels avaient déclaré, à 9h32, que celui-ci, endommagé, ne remplissait plus les conditions de sécurité optimales et, en conséquence, le transporteur avait pris la décision, à 10h25, d’envoyer un avion de remplacement à Bordeaux-Mérignac (aéroport de départ), depuis sa base principale de Londres, ce qui avait nécessité de nombreuses formalités et autorisations préalables. Par ailleurs, le réacheminement des passagers vers le vol d’une autre compagnie n’aurait pu avoir lieu qu’à 18h20. Il résulte ainsi que le transporteur aérien avait établi, ainsi qu’il le lui incombait, que, même en prenant toutes les mesures raisonnables, au sens de l’article 5 § 3, tel qu’interprété par la CJUE, il n’aurait manifestement pas pu éviter que les circonstances extraordinaires auxquelles il était confronté ne conduisent à l’annulation du vol litigieux (cf. l’Ouvrage «Responsabilité civile» N° Lexbase : E6019XZX).

newsid:465487

Transport

[Brèves] Indemnisation des passagers en cas d’annulation d’un vol : remboursement des commissions perçues par les intermédiaires

Réf. : CJUE,12 septembre 2018, aff. C-601/17 (N° Lexbase : A7627X3U)

Lecture: 1 min

N5478BX8

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par Vincent Téchené

Le 19 Septembre 2018

► En cas d’annulation d’un vol, la compagnie aérienne doit aussi rembourser les commissions perçues par les intermédiaires lors de l’achat de billets, pour autant qu’elle en a eu connaissance. Tel est le sens d’un arrêt rendu par la CJUE le 12 septembre 2018 (CJUE,12 septembre 2018, aff. C-601/17 N° Lexbase : A7627X3U). 

 

En l’espèce un ressortissant allemand a acheté, pour lui-même et sa famille, sur un site internet (un comparateur de prix et intermédiaire), des billets pour un vol reliant Hambourg (Allemagne) à Faro (Portugal) avec une compagnie aérienne. Le vol ayant été annulé, les passagers ont demandé à la compagnie de lui rembourser le prix de 1108,88 euros qu’elle avait payé au site internet lors de l’achat de ces billets. La compagnie aérienne a accepté de rembourser le montant qu’elle a reçu de la part du site internet, à savoir 1031,88 euros. En revanche, elle a refusé de rembourser aussi les 77 euros restants, que l’intermédiaire a perçus comme commission. Le juge allemand, saisi de ce litige, a donc demandé à la Cour de justice d’interpréter, dans ce contexte, le Règlement sur les droits des passagers aériens (Règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 N° Lexbase : L0330DYU). Il souhaitait plus particulièrement savoir si le prix du billet à prendre en considération pour déterminer le montant du remboursement dû par le transporteur aérien à un passager en cas d’annulation d’un vol inclut la différence entre le montant payé par ce passager et celui reçu par ce transporteur aérien, laquelle correspond à une commission perçue par une personne qui est intervenue comme intermédiaire entre les deux.

 

Par son arrêt, la Cour répond à cette question par l’affirmative, sauf si cette commission a été fixée à l’insu du transporteur aérien, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

 

Cette interprétation du Règlement correspond aux objectifs de ce dernier, à savoir assurer un niveau élevé de protection des passagers tout en assurant un équilibre entre leurs intérêts et ceux des transporteurs aériens (cf. l’Ouvrage «Responsabilité civile» N° Lexbase : E6021XZZ).

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