La lettre juridique n°445 du 23 juin 2011

La lettre juridique - Édition n°445

Éditorial

Non assistance à hamster en danger : "l'écosystème France" fragilisé

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


On sait bien ce qu'est la verve populaire : tout est de la faute de l'Europe et de ses technocrates emmurés dans une tour d'ivoire bruxelloise... Pourtant, l'Europe, ce n'est pas seulement la condamnation, par la Cour de justice, le 9 juin 2011, du régime des exemptions fiscales basques accordées aux entreprises nouvellement créées et implantées dans les territoires d'Álava, de Vizcaya et de Guipúzcoas, aides d'Etat jugées incompatibles avec le Marché commun ; ce n'est pas non plus ce grand Argentier, bourreau des grecs confrontés à une cure d'austérité sans précédent pour asseoir un avenir économique plus qu'incertain, capable de renverser un Gouvernement au garde-à-vous et le petit doigt sur la couture du pantalon...

L'Europe, c'est aussi... le cricetus cricetus qui peuple non seulement l'Alsace, le Hesbaye et le Pays de Herve occidental, mais aussi nos contes d'enfants, notre imagerie populaire, nos foyers avides de domesticité animalière et même nos jeux vidéos.

Sans défaillir et avec courage, la Cour de justice de l'Union européenne condamne la France, ce 9 juin 2011, pour ne pas avoir pris, en 2008, les mesures suffisantes pour protéger le grand hamster en Alsace. C'est que l'article 12, paragraphe 1, sous d), de la Directive "habitats" du 21 mai 1992, impose aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte d'espèces animales, dont le grand hamster, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. Or, entre 2001 et 2007, le nombre de terriers de grand hamster dans les "zones noyaux", qui ont servi de référence pour l'observation de la population de cette espèce, est passé de plus de 1 160 à moins de 180 alors que le seuil minimal de viabilité de cette espèce est de 1 500.

L'Avocat général soulignait, ainsi, la dégradation importante de l'état de conservation des habitats du grand hamster dans la région de Strasbourg et rappelait que la Directive exigeait des mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif, de nature à empêcher efficacement des comportements humains susceptibles de détériorer ou d'éliminer complètement la fonctionnalité écologique des terriers des grands hamsters ainsi que leur environnement en tant que sites de reproduction ou d'aires de repos.

La Cour de justice estime que, si les mesures agro-environnementales prises par la France sont de nature à orienter les pratiques agricoles dans un sens favorable à cette espèce, en 2008, les objectifs n'étaient pas atteints. Et, le développement de l'urbanisation, l'interdiction de toute nouvelle urbanisation dans les ZAP ne concernait, en 2008, que 2 % des terres favorables au grand hamster.

Ils étaient quelques dizaines de millions dans les années cinquante et se retrouvent, désormais, un peu plus d'une centaine de représentants de leur espèce, malgré une inscription sur la liste rouge de la faune, protégée au titre des articles L. 411-1 et L. 411-2 du Code de l'environnement. Quoiqu'il en coûte (quelques millions d'euros d'indemnisation et/ou de sanction tout de même), la France devra se plier à la culture de la luzerne, légumineuse fourragère riche en vitamines et en sels minéraux, quand elle préfère la culture du maïs intensive.

Personne ne veut que le grand hamster d'Alsace ne soit l'équivalent français du dronte de Maurice, le dodo dont l'espèce a disparu, au XVIIIème siècle, pour cause de prédation humaine. Certes, l'extinction du grand hamster lui rendra une gloire posthume, comme Lewis Carroll fit connaître, à chacun, l'existence passée du dodo, en 1865, dans Alice aux pays des merveilles. Mais, il est à craindre qu'au mieux, la France du XXIème siècle, coeur de l'animation numérique, ne rende hommage au cricetus cricetus, qu'en éditant une nouvelle génération de tamagotchi pour nos têtes blondes écervelées !

Haro sur nos députés qui ont oublié combien, enfants, ils regardaient avec une contemplation naïve et quelque peu sadique leur hamster doré caracoler sans fin dans la roue de leur cage, sorte d'allégorie du temps qui passe. Ils préféraient jouer les Pénélope et détricoter, en cette nuit de juin 2011, leurs travaux d'aiguilles des jours florissants d'août 2007. Faire et défaire, c'est toujours travailler, dit-on ! Quel message environnemental est ainsi envoyé, avec la suppression du bouclier, nouveau-né fiscal, la restriction du champ d'application de l'ISF, mistigri des ministres du Budget, et la réintroduction du droit de timbre en matière contentieuse, pour une justice désormais payante -alors que le droit de timbre applicable en matière de contentieux administratif était récemment abandonné pour la symbolique d'une justice accessible pour tous- ? C'est que les parlementaires avaient décidément bien d'autres chats à fouetter que le grand hamster d'Alsace ! Il s'agissait, plus volontiers, de protéger une autre espèce en voie de disparition : le fortuné ; cet hominidé qui tente d'investir en France, milieu traditionnellement hostile à l'élévation de l'Autre, et dont le savant écosystème est sans arrêt perturbé par de nouvelles dispositions législatives et réglementaires, confinant à l'insécurité juridique et fiscale, et à terme à sa disparition des côtes méditerranéennes, elles-mêmes. Pourtant, pour que la roue de l'économie tourne, l'on sait bien qu'il faut une espérance : celle de dépasser, un jour, les grilles de la cage sociale...

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Sur l'immatriculation des époux divorcés en période d'indivision post-communautaire

Réf. : Cass. civ. 3, 1er juin 2011, n° 10-18.855, FS-P+B (N° Lexbase : A3136HTC)

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N5882BSN

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 24 Juin 2011


En présence de deux copreneurs, anciennement mariés sous le régime de la communauté, le défaut d'immatriculation de l'un d'eux ne permet pas au bailleur de refuser le paiement d'une indemnité d'éviction dès lors que les époux divorcés se trouvent en indivision post-communautaire et que celui qui exploite le fonds dans l'intérêt de l'indivision est immatriculé. Tel est l'enseignement inédit d'un arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2011.

1 - Faits

En l'espèce, des locaux commerciaux avaient été donnés à bail à des époux en 1992. Ces derniers avaient divorcé par jugement du 17 décembre 1997. Le bailleur leur avait ensuite délivré congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction par acte du 23 avril 2007, en invoquant le défaut d'immatriculation au registre du commerce de l'époux. L'épouse a alors assigné le bailleur, en présence de son ex-époux, en paiement d'une indemnité d'éviction. Les juges du fond ayant fait droit à cette demande, le bailleur s'est pourvu en cassation. Il soutenait que le défaut d'immatriculation de l'un des cotitulaires du bail devait priver l'ensemble des copreneurs du bénéfice du statut des baux commerciaux.

2 - L'immatriculation, condition du droit au renouvellement

Aux termes de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2327IBS), les dispositions du statut des baux commerciaux "s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce".

Si ce texte pourrait être interprété comme érigeant la condition de l'immatriculation en condition d'application du statut des baux commerciaux, la Cour de cassation a précisé que l'immatriculation du preneur n'était une condition du bénéfice du statut des baux commerciaux que pour le renouvellement du bail (Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842 N° Lexbase : A1903ACH ; Cass. civ. 3, 1er octobre 2003, n° 02-10.381, FS-P+B N° Lexbase : A6682C9D ; Cass. civ. 3, 11 décembre 2007, n° 06-21.926, F-D N° Lexbase : A0805D39).

A défaut de respecter cette condition, le locataire, qui n'est pas régulièrement immatriculé, ne peut se prévaloir d'un droit au renouvellement et au paiement d'une indemnité d'éviction.

3 - La date de l'immatriculation

Le preneur devra être immatriculé à la date de délivrance du congé (Cass. civ. 3, 18 octobre 2005, n° 04-15.348 [LXB= A0309DLZ] ; Cass. civ. 3, 1er avril 2008, n° 07-12.289, F-D N° Lexbase : A7711D7Q) ou de sa demande de renouvellement (Cass. civ. 3, 1er juin 2010, n° 08-21.795, F-D N° Lexbase : A2117EY3) et jusqu'à la date d'expiration du bail, mais non pendant le cours de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé (Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE et Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9 ; voir contra, avant ces arrêts, Cass. civ. 3, 27 mars 2002, n° 00-21.685, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3892AYS).

4 - L'immatriculation en présence de copreneurs

4.1 - Le principe : l'exigence de l'immatriculation de tous les copreneurs

Dans le silence, initial, des textes, la Cour de cassation avait été amenée à se prononcer sur la condition de l'immatriculation en présence de copreneurs.

Si aucun n'est immatriculé, les copreneurs ne pouvaient invoquer un droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 11 décembre 1991, n° 90-19.553 N° Lexbase : A3005ABW).

L'immatriculation d'un ou plusieurs cotitulaires du bail était en outre, en principe, insuffisante, s'ils n'étaient pas tous immatriculés (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-12.879 N° Lexbase : A8903AAY ; Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-12.472 N° Lexbase : A0026AUI ; Cass. civ. 3, 1er avril 2008, n° 07-12.289, F-D N° Lexbase : A7711D7Q), y compris ceux qui n'exploitaient pas le fonds de commerce (Cass. civ. 3, 9 novembre 1983, n° 81-16.747 N° Lexbase : A3716AGQ ; Cass. civ. 3, 15 mai 1991, n° 90-10.884 N° Lexbase : A4740ACK). Ces derniers doivent alors être inscrits en qualité de copropriétaires du fonds non exploitant (Cass. civ. 3, 14 novembre 2007, n° 06-19.062, FS-P+B N° Lexbase : A5935DZT), immatriculation qui a été jugée suffisante (Cass. civ. 3, 15 juin 2005, n° 04-11.322, FS-P+B N° Lexbase : A7578DII).

Les époux copreneurs mariés sous le régime de la séparation de biens étaient également soumis à cette exigence (Cass. civ. 3, 24 mai 2000, n° 98-22.732 N° Lexbase : A8752AHM ; cf., également, Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9 ; Cass. civ. 3, 31 octobre 2000, n° 97-20.732 N° Lexbase : A0294AUG).

Le défaut d'immatriculation d'un seul copreneur faisait perdre le droit au renouvellement et au règlement de l'indemnité d'éviction à tous les copreneurs, même à ceux qui étaient immatriculés (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-14.984 N° Lexbase : A8962AA8 ; Cass. civ. 3, 21 mars 2006, n° 05-12.919, F-D N° Lexbase : A8086DNS).

4.2 - Les tempéraments à l'exigence d'une immatriculation de tous les copreneurs

  • Les époux communs en bien et les membres d'une indivision successorale

La Cour de cassation avait, toutefois, introduit des tempéraments à cette exigence de l'immatriculation de tous les copreneurs. Elle avait ainsi précisé que "la qualité de commerçant immatriculé au registre du commerce, au sens de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953, n'est requise qu'en la personne de celui des époux communs en biens ou de celui des membres d'une indivision successorale qui exploite le fonds pour le compte et dans l'intérêt commun des époux ou des indivisaires" (Cass. civ. 3, 3 juillet 1979, n° 77-11.445 N° Lexbase : A3321AG4). Cette solution a été réaffirmée ensuite de manière plus lapidaire : "le défaut d'immatriculation de l'un des cotitulaires du bail prive l'ensemble des copreneurs du bénéfice du statut [...], sauf si les copreneurs sont des époux communs en biens ou des héritiers indivis" (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-14.984 N° Lexbase : A8962AA8 ; Cass. civ. 3, 15 mai 1991, n° 90-10.884 N° Lexbase : A4740ACK ; Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-12.472 N° Lexbase : A0026AUI).

Dans ce cas, l'immatriculation du seul époux exploitant était suffisante (Cass. civ. 3, 8 mai 1979, n° 77-15.885 N° Lexbase : A3327AGC).

  • Les copreneurs divorcés

Il avait également été jugé qu'en cas de divorce d'époux qui étaient mariés sous le régime de la séparation de biens, chacun des ex-époux coindivisaires devait être immatriculé dès lors que le fonds de commerce exploité dans les lieux loués était demeuré dans l'indivision après le divorce (Cass. civ. 3, 1er juin 1994, n° 92-11.232 N° Lexbase : A6778ABN).

S'agissant d'époux divorcés, précédemment mariés sous le régime de la communauté, la cour d'appel de Paris avait considéré que pendant la période d'indivision post-communautaire, ils se trouvaient dans la même situation que les époux séparés de biens ou de tout copreneur du fonds exploité dans les lieux loués et acquis en indivision entre eux : chacun des époux divorcés devait donc être immatriculé pour bénéficier d'un droit au renouvellement (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 27 juin 2007, n° 05/13713 N° Lexbase : A4452DYK). Cette approche pouvait être critiquée dans la mesure où l'indivision post-communautaire est, en principe, régie par les règles applicables à l'indivision successorale et que, dans ce type d'indivision, il avait été jugé qu'il suffisait que le membre de l'indivision successorale, qui exploite le fonds pour le compte et dans l'intérêt commun des indivisaires, soit immatriculé (Cass. civ. 3, 3 juillet 1979, n° 77-11.445, préc.).

L'arrêt rapporté consacre une solution différente. En effet, la Cour de cassation y affirme que pendant la période d'indivision post-communautaire, dès lors que les époux divorcés étaient mariés sous le régime de la communauté, il suffit que l'époux qui exploite le fonds de commerce dans l'intérêt de l'indivision soit immatriculé.

Cette solution est à rapprocher des nouvelles règles issues de l'article 42 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), dite "LME", entrée en vigueur le 6 août 2008, qui a modifié les solutions dégagées précédemment par la jurisprudence. Ces nouvelles règles n'étaient pas applicables à l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt du 1er juin 2011.

  • Les assouplissements introduits par la "LME" du 4 août 2008

L'article L. 145-1 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi LME, dispense en effet d'immatriculation, au regard du statut des baux commerciaux, les copreneurs ou coindivisaires non exploitants du fonds, sans distinction de la nature du lien juridique unissant les copreneurs ou coindivisaires. En revanche, et a contrario, le ou les copreneurs qui exploitent le fonds doivent être immatriculés.

L'article L. 145-1 du Code de commerce, modifié par la "LME", prévoit, par ailleurs, une dispense d'immatriculation des coindivisaires en cas de décès du titulaire du bail lorsque les héritiers ou ayants droit, bien que n'exploitant pas de fonds de commerce ou de fonds artisanal, demandent le maintien de l'immatriculation de leur ayant cause pour les besoins de sa succession.

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Concurrence

[Questions à...] Entente et abus de position dominante : comment l'Autorité de la concurrence détermine-t-elle les sanctions pécuniaires ? - Questions à Marta Giner Asins et Yann Anselin, avocats, Norton Rose LLP, bureau de Paris

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 24 Juin 2011

Très attendue, la méthode de détermination des sanctions imposées en cas d'entente ou d'abus de position dominante a été publiée par l'Autorité de la concurrence le 16 mai 2011 sous la forme d'un communiqué (communiqué du 16 mai 2011, relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires). Pour rappel, le 17 janvier 2011, l'Autorité de la concurrence avait publié un projet de communiqué décrivant la méthode qu'elle suivait pour fixer les sanctions. Elle avait lancé, jusqu'au 11 mars 2011, une vaste consultation publique à ce propos, à l'issue de laquelle vingt-deux contributions, d'origines très variées lui avaient été adressées. Enfin, elle avait organisé, le 30 mars dernier, une table ronde publique au cours de laquelle les intéressés avaient pu discuter des principales observations formulées dans le cadre de la consultation. Au vu des observations et des suggestions formulées, il apparaît que le communiqué final est enrichi sur certains points par rapport au projet soumis à consultation publique. S'il intègre nombre de solutions dégagées dans le cadre de la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence, le communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires n'en modifie pas moins également de façon substantielle la méthode de calcul des amendes encourues par les entreprises en cas d'infraction aux règles de concurrence. Aussi, pour nous éclairer sur les modifications apportées par ce communiqué et leurs conséquences pour les entreprises, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré Marta Giner Asins et Yann Anselin, avocats de l'équipe Droit de la concurrence et réglementaire du bureau de Norton Rose LLP à Paris, qui ont accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Pourquoi l'Autorité de la concurrence a-t-elle estimé nécessaire de publier ce communiqué sur les sanctions pécuniaires imposées en cas d'entente ou d'abus de position dominante ? Que contient-il ?

Marta Giner Asins et Yann Anselin : L'Autorité avait, depuis un certain temps, annoncé son intention de publier un communiqué, à l'instar de ceux publiés par la Commission, afin de clarifier les méthodes de calcul des sanctions qu'elle applique et augmenter la transparence à cet égard. Cependant, ce débat a pris une dimension inattendue fin 2009 et début 2010, lorsque la cour d'appel de Paris a réduit de manière très considérable les amendes imposées par l'Autorité dans certaines affaires (1), remettant ainsi en cause la méthode de calcul utilisée par cette dernière. Dans ce cadre, la ministre de l'Economie a créé une commission spécifique, dite" Mission Folz", avec pour mission d'établir un rapport sur les méthodes de calcul des sanctions en matière de concurrence et de formuler des propositions d'amélioration. C'est à la suite de ce rapport, rendu en septembre 2010, que l'Autorité a élaboré ses lignes directrices, qui prennent partiellement en compte les recommandations de la "Mission Folz", notamment en ce qui concerne l'amélioration de la transparence.

Pour rappel, les sanctions pécuniaires en cas d'entente ou d'abus de position dominante sont fixées par rapport aux critères légaux édictés à l'article L. 464-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L8294IBS) que sont la gravité des faits, l'importance du dommage à l'économie, la situation de l'entreprise sanctionnée et l'éventuelle réitération des pratiques.
Or, jusqu'à l'adoption du communiqué, aucun texte ne précisait l'application de ces notions. Il est donc pour l'essentiel revenu à la pratique décisionnelle de l'Autorité de préciser l'application de ces critères. Si celle-ci s'est étoffée au cours du temps sous le contrôle de la cour d'appel de Paris, la marge de manoeuvre ainsi laissée à l'Autorité était perçue comme excessive par les entreprises et régulièrement critiquée par la doctrine, dans la mesure, notamment, où elle empêchait l'instauration d'un véritable débat contradictoire sur la fixation des sanctions devant l'Autorité et rendait plus difficile l'exercice par les entreprises de leurs droits de la défense devant la cour d'appel de Paris.
Le communiqué vise à répondre à ces critiques en articulant une méthodologie de calcul des amendes opposable à l'Autorité. Cette méthodologie en plusieurs étapes repose, tout d'abord, sur la fixation d'un montant de base, qui est, par la suite, ajusté en fonction de différents facteurs.

Lexbase : Les objectifs d'accroissement de la transparence et d'enrichissement du contradictoire sont-ils, selon vous, atteints ?

Marta Giner Asins et Yann Anselin : Sur le fond, la transparence et le contradictoire sortent indéniablement renforcés par l'articulation des critères édictés à l'article L. 464-2 du Code de commerce autour d'une méthodologie explicite (voir questions 3 et 4). La portée de ces améliorations est en outre accrue par la valeur juridique contraignante du communiqué qui constitue une "directive administrative" en principe opposable à l'Autorité.
De façon plus générale, le fait que la nouvelle méthodologie adoptée par l'Autorité se rapproche considérablement de celle de la Commission européenne est également de nature à renforcer la transparence des sanctions, cette convergence permettant d'enrichir la pratique nationale de l'expérience et des enseignements acquis au niveau communautaire, même si ceux-ci ne s'imposent pas à l'Autorité.
Sur le plan procédural, la transparence et le contradictoire sortent également renforcés par la nouvelle obligation de l'Autorité de communiquer aux entreprises, lors de l'instruction, les principaux éléments de droit et de fait susceptibles d'influer sur le montant de la sanction. Ce nouveau dispositif, réclamé de longue date par les entreprises, devrait contribuer à instaurer enfin un débat contradictoire sur le calcul de l'amende. Un autre progrès notable est constitué par l'engagement pris par l'Autorité de prendre en compte, sous certaines conditions, les analyses économiques soumises par les parties et à faire état du résultat de celles-ci dans ses décisions.

Ces améliorations significatives ne doivent toutefois pas occulter certaines limites posées par le communiqué. Il convient, en effet, de garder à l'esprit que l'objectif de l'Autorité n'est pas de mettre en place un "barème mécanique" ; bien au contraire, elle entend conserver une marge de manoeuvre significative dans l'appréciation des sanctions, ce qui constitue une limite incontestable, bien qu'encadrée, à la transparence et au contradictoire.
Au reste, cette marge de manoeuvre est imposée tant par le Code de commerce lui-même (l'article L. 464-2 imposant que les sanctions reflètent la situation de l'entreprise sanctionnée), que par l'objectif de dissuasion recherché par l'Autorité, qui impose qu'une certaine imprévisibilité des sanctions soit maintenue.
En pratique, la marge de manoeuvre de l'Autorité se traduit notamment par la grande latitude dont elle dispose pour fixer le montant de base, celui-ci devant simplement se situer dans une fourchette comprise entre 0 et 30 % de la valeur des ventes (questions 3 et 4). En filigrane, elle s'exprime aussi par l'imprécision de certaines notions employées dans le communiqué, permettant à l'Autorité d'accroître sensiblement le montant des sanctions, en particulier à l'encontre des grands groupes (question 5).

Lexbase : Quels sont les "points clés" de ce document ?

Marta Giner Asins et Yann Anselin : Les points clés du nouveau système sont les suivants :
- La communication aux entreprises, au stade du rapport, des principaux éléments de droit et de fait susceptibles d'influer sur le montant de la sanction. Il s'agit là d'une innovation majeure de la nouvelle approche adoptée dans le communiqué, même si on peut regretter que l'Autorité n'ait pas choisi la possibilité d'un échange écrit sur ces éléments (voir question n° 2) ;
- la détermination d'un "montant de base" de l'amende dans une fourchette comprise entre 0 et 30 % de la valeur des ventes ;
- l'instauration d'un "seuil plancher" de 15 % pour les infractions les plus graves au droit de la concurrence ;
- la prise en compte de la durée de l'infraction avec augmentation annuelle de 50 % du montant de base dès la deuxième année d'infraction ;
- l'individualisation de l'amende en fonction de divers éléments dont les circonstances aggravantes et/ou atténuantes ;
- l'augmentation de 15 à 50 % d'augmentation de l'amende en cas d'atteinte répétée au droit de la concurrence.

Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer quelle est la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ? Quelles modifications induit-elle ?

Marta Giner Asins et Yann Anselin : Le communiqué ordonne, désormais, les critères de l'article L. 464-2 du Code de commerce de façon systématique.
En résumé :
- les critères de gravité et de dommage à l'économie servent à présent à calculer un "montant de base" de l'amende (1) ;
- ce montant de base est ensuite, le cas échéant, majoré pour tenir compte de la durée des pratiques excédant une année (2) ;
- puis individualisé à la hausse ou à la baisse au regard des circonstances propres à chaque entreprise (3) ;
- enfin, l'Autorité tient éventuellement compte de l'existence d'une réitération (4) ;
- et procède, le cas échéant, à des ajustements finaux tenant éventuellement compte d'une demande de clémence de l'entreprise (5).

Revenons sur chacun de ces éléments.

Détermination d'un montant de base de l'amende au regard de la gravité des pratiques et du dommage à l'économie. S'agissant du calcul de l'amende proprement dit, l'innovation majeure apportée par le communiqué réside dans l'introduction d'un mode de calcul de l'amende axé autour de la détermination préalable d'un "montant de base" compris entre 0 et 30 % de la valeur des ventes de catégories de produits ou de services en relation avec les pratiques. Le communiqué précise qu'il s'agit, en principe, des ventes réalisées en France au cours du dernier exercice comptable complet de participation de l'entreprise à l'infraction.
Par ailleurs, le montant de base ne peut être inférieur à 15 % de la valeur de ces ventes dans le cas des accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production. Au delà, l'Autorité se réserve le droit d'appliquer ce seuil plancher dans le cas d'autres pratiques anticoncurrentielles d'une "gravité particulière".

Majoration du montant de base pour les infractions d'une durée supérieure à un an. Le "montant de base" ainsi obtenu est ensuite modulé en fonction de la durée de l'infraction. A cet égard, le communiqué clarifie considérablement la pratique antérieure, qui ne permettait pas d'apprécier de façon précise la manière dont l'Autorité prenait en compte la durée des infractions aux règles de la concurrence dans le calcul des sanctions pécuniaires.
En pratique, il fait ainsi l'objet d'une majoration annuelle de 50 %, dès la deuxième année d'infraction. Par ailleurs, au-delà de la dernière année complète de participation à l'infraction, la période restante est prise en compte au mois près.

Individualisation du montant de base. D'abord, le montant obtenu après prise en compte de la durée peut ensuite être revu à la hausse ou à la baisse en fonction, notamment, de circonstances atténuantes ou aggravantes. Comme sous l'empire de l'ancien système, les circonstances atténuantes sont définies de façon restrictive et ne devraient conduire qu'exceptionnellement à une réduction du montant des sanctions infligées. S'agissant des circonstances aggravantes, outre les critères traditionnels que sont le rôle joué dans l'infraction ou la mise en oeuvre de contraintes, la "capacité d'influence" ou l'"autorité morale" particulières pourront également conduire à une majoration de la sanction, ce qui constitue assurément un critère plus flou.

Par ailleurs, d'autres "éléments d'individualisation", tels la taille ou la puissance économique de l'entreprise, son appartenance ou non à un groupe européen ou international, la diversité de ses activités, pourront encore être pris en compte par l'Autorité pour augmenter le montant de base de l'amende.
Le communiqué prévoit également une possibilité de révision à la baisse du montant de base lorsque l'entreprise concernée mène l'essentiel de son activité sur le marché en relation avec l'infraction (entreprise "mono-produit") ou lorsqu'elle rencontre des difficultés financières particulières.

Majoration de 15 à 50 % en cas d'infraction répétée aux règles de concurrence. Le communiqué précise encore que le constat d'une précédente infraction identique ou similaire au droit de la concurrence doit être pris en compte de manière autonome et conduit à majorer le montant de l'amende imposé à une entreprise, dans une fourchette comprise entre 15 et 50 %, à condition que ce constat soit devenu définitif à la date à laquelle l'Autorité statue sur la nouvelle pratique et que le délai séparant les deux pratiques soit inférieur à 15 ans. Ces éléments traduisent une approche particulièrement large vis-à-vis de la réitération.

Ajustements finaux et prise en compte d'une éventuelle demande de clémence. En dernier lieu, l'Autorité vérifie que la sanction issue des étapes précédentes ne dépasse pas le maximum légal (10 % du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise ou, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient).
Après cette vérification, elle peut également tenir compte de l'exonération ou de la réduction de sanction dont une entreprise ou un organisme bénéficie au titre du programme de clémence ou de la procédure de non-contestation des griefs.

Lexbase : La méthodologie proposée porte-t-elle en germe certains risques juridiques ?

Marta Giner Asins et Yann Anselin : Comme tout nouveau texte, la méthodologie de calcul adoptée par l'Autorité suscite de nombreuses interrogations, ce d'autant plus que le communiqué introduit des éléments de détermination des sanctions qui n'ont jusque là jamais été appliqués en France.
S'il est trop tôt pour évaluer de façon précise l'étendue des risques entraînés, plusieurs facteurs objectifs peuvent en tout état de cause laisser craindre une inflation considérable du montant des amendes. Ainsi en est-il :

- d'abord, de la marge d'appréciation importante dont dispose l'Autorité de la concurrence pour la détermination du montant de base de l'amende, compris entre 0 à 30 % de la valeur des ventes de produit en relation avec la ou les pratiques sanctionnées. Si l'Autorité se doit de justifier, au regard de la gravité des pratiques et du dommage à l'économie, dans quelle "tranche" de cette fourchette elle choisit de fixer le montant de base, sa latitude reste néanmoins significative à cet égard ;

- ensuite, de l'instauration d'un "seuil plancher" de 15 %, susceptible d'être appliqué par l'Autorité dès que les pratiques en cause revêtent une "gravité particulière". A titre d'exemple, dans l'affaire de la "téléphonie mobile", l'application du simple seuil de 15 % aurait eu pour conséquence, pour l'infraction d'entente horizontale de répartition du marché, de multiplier par plus de 800 % le montant de la sanction (2), soit 3.5 milliards d'euros au lieu de 442 millions d'euros. La fixation de ce plancher est particulièrement critiquable, dans la mesure où il fait prévaloir le critère de la gravité des pratiques sur d'autres critères, tels que le dommage à l'économie : en effet, il est possible de s'interroger sur l'approche qu'adoptera l'Autorité dans le cas d'une infraction grave mais qui aurait entraîné un dommage à l'économie limité. En théorie, l'Autorité serait en toute hypothèse contrainte d'appliquer le "droit d'entrée" de 15 %, en dépit d'un dommage à l'économie peu important, relativisant ainsi l'importance de ce critère.
Par ailleurs, dans le cas des entreprises "mono-produit" actives uniquement en France, l'application du seuil de 15 % entraînera automatiquement le dépassement du maximum légal de 10 % du chiffre d'affaires global. En pratique, cela implique que, pour ces entreprises, le seuil sera en réalité de 10 %, ce qui donne lieu à une situation inégalitaire par rapport aux autres entreprises ;

- enfin, de la majoration considérable du montant de base pour les infractions de longue durée. Ce critère pourrait avoir des effets particulièrement importants d'inflation des amendes, d'autant plus que parfois la durée des pratiques est difficile à apprécier (par exemple dans le cas des cartels mis en oeuvre de manière intermittente) et que l'Autorité a, dans certaines affaires, interprété de manière large la notion d'infraction unique et continue.

Ce risque semble particulièrement sensible pour les grands groupes pour au moins deux raisons.
Tout d'abord, la taille de l'entreprise paraît pouvoir être prise en compte à plusieurs titres afin d'augmenter le montant de l'amende. Ainsi, alors que le fait qu'une entreprise jouisse d'une "capacité d'influence" ou d'une "autorité morale particulières" constitue une circonstance aggravante, le Communiqué prévoit que l'Autorité peut également adapter le montant de base à la hausse, au titre des "autres facteurs d'individualisation" de l'amende, lorsque l'entreprise concernée dispose d'"une taille, d'une puissance économique ou de ressources globales importantes, notamment par rapport aux autres auteurs de l'infraction". En l'absence de définition précise de ces termes par l'Autorité, il semble donc bien exister un risque que les grands groupes soient pénalisés plusieurs fois à raison de leur seule importance économique et financière sur le marché.
Par ailleurs, la notion large de réitération retenue par le communiqué est susceptible d'impacter tout particulièrement les grands groupes multinationaux. Par exemple, dans le cas notamment des groupes de sociétés, une entreprise peut légitimement ignorer que l'une des autres sociétés de son groupe a été précédemment condamnée.

En conclusion, la mise en oeuvre du communiqué devrait ainsi aboutir à un risque concurrence plus important pour les entreprises, non seulement en raison de la probable inflation des sanctions, mais également du fait que les demandes de clémence pourraient devenir plus fréquentes. Les entreprises devraient ainsi être encore davantage encouragées à mettre en place des programmes de sensibilisation et de conformité en interne afin de réduire ce risque dans toute la mesure du possible.


(1) Particulièrement dans l'affaire du cartel du négoce de l'acier, CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 19 janvier 2010, 2009/00334 (N° Lexbase : A4542EQB).
(2) En comptant l'incidence de la durée, qui s'ajoute au seuil de 15 %.

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Consommation

[Jurisprudence] Le recours collectif toujours inconnu du droit français ?

Réf. : Cass. civ. 1, 26 mai 2011, n° 10-15.676, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4819HSB)

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N5833BST

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

Le 24 Juin 2011

Les demandeurs à une action contre Bouygues Télécom avaient déposé un pourvoi en cassation contre l'arrêt d'appel qui avait déclaré leur demande irrecevable (CA Paris, Pôle 5, 11ème ch., 22 janvier 2010, n° 08/09844 N° Lexbase : A2055ERK), confirmant le jugement de première instance (T. com. Paris, 6 décembre 2007, aff. n° 2006057440 N° Lexbase : A0700D3C). L'enjeu du procès était l'indemnisation des consommateurs de téléphonie mobile à la suite d'une pratique anticoncurrentielle constatée par le Conseil de la concurrence. Comme nous l'avions écrit dans notre précédente note commentant l'arrêt d'appel (lire N° Lexbase : N3035BS9), il s'agissait d'un contentieux de masse, qui repose indubitablement la question de l'efficacité des actions collectives en droit de la consommation. Les critiques seront d'autant plus vives qu'en l'espèce, pour cette action en indemnisation, le fait générateur était établi (en l'occurrence par une décision du Conseil de la concurrence, aujourd'hui Autorité de la concurrence depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) et que se posait uniquement la question de la possibilité d'une action collective pour des dommages relativement peu importants. Faut-il pour autant blâmer les juges, comme il est si souvent d'usage en bien des domaines ? Sans doute pas puisque, pour l'essentiel c'est le pouvoir législatif qui s'est jusqu'à présent refusé à introduire une véritable action collective en droit français. Il faudra alors s'interroger également sur les hypothèses d'évolution du droit positif.

Dans cette affaire, les demandeurs (des particuliers) demandaient l'indemnisation du préjudice qu'ils avaient subi par le fait de ce qui avait été appelé le "cartel de la téléphonie mobile". On se souvient que le Conseil de la concurrence avait sanctionné les trois opérateurs français de téléphonie mobile pour entente dans une décision du 30 novembre 2005 (décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005, relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile N° Lexbase : X4568ADK) sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN) et 81 du Traité UE (aujourd'hui article 101 du TFUE N° Lexbase : L2398IPI). Si le consommateur voulait être indemnisé, seul un recours collectif était à même de lui permettre d'obtenir satisfaction. Un tel recours a pourtant été refusé dans la présente affaire.

Les faits de l'espèce relevaient du cas d'école. L'enquête avait permis de révéler le cas le plus typique des pratiques anticoncurrentielles, celui d'un accord sur les prix. La décision du Conseil relevait que les trois opérateurs s'étaient accordés pour stabiliser leurs parts de marché respectives et pour pratiquer des prix identiques, révélant ainsi une entente anticoncurrentielle et prohibée. Sur le fondement de l'article L. 464-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5682G49), le Conseil prononçait en conséquence une amende d'un montant impressionnant, de 534 millions d'euros au total pour les trois opérateurs. Il relevait, également, que les pratiques en cause avaient facilité "la mise en place [...] de mesures défavorables aux consommateurs telles que la hausse du prix des communications et l'instauration de la facturation par paliers de 30 secondes après la première minute indivisible, enfin infligé pour ce seul grief une sanction de 442 millions d'euros en tenant compte de l'atteinte au surplus du consommateur". La condamnation est aujourd'hui définitive, la Cour de cassation l'ayant confirmée dans un arrêt du 29 juin 2007 (Cass. com., 29 juin 2007, n° 07-10.303, FS-P+B+I N° Lexbase : A9648DWA).

Cette décision apparaissait alors comme un appel aux consommateurs : reconnus expressément comme victimes de pratiques anticoncurrentielles, certains voulaient au-delà de cette victoire de principe, obtenir la réparation concrète de leur préjudice (tout comme les associations de consommateurs qui considéraient que si l'amende était d'un peu plus de 500 millions d'euros, le préjudice subi avoisinait le mémoire ce qui ne pouvait qu'inciter les plus cyniques à poursuivre leurs pratiques illicites). Il faut bien comprendre, en revanche, que, si le montant du préjudice porté à l'ensemble des consommateurs était énorme (les associations parlaient au total d'un milliard d'euros), le préjudice individuel de chaque consommateur était bien modeste (de l'ordre d'une centaine d'euros tout au plus, la plupart du temps quelques dizaines d'euros). Or, l'on n'agit pas en justice pour 20 euros, les frais et le temps perdu à préparer sa demande sont bien entendu sans commune mesure avec le gain escompté. Pour agir à titre individuel, il faut donc accepter de perdre de l'argent pour une "question de principe", diront certains. Dans cette perspective d'une multitude de petits dommages subis par de très nombreuses personnes, la seule action pertinente semblait être le recours collectif. Devant l'impossibilité de mettre en oeuvre des recours individuels bien trop coûteux, il est en effet nécessaire d'abaisser le coût de la procédure et donc de faire, comme nous l'avions écrit, des "économies d'échelle".

Le droit processuel français prévoit bel et bien un mécanisme de recours collectifs, mais dans des conditions particulièrement contraignantes. Le Code de la consommation donne ainsi qualité à agir aux associations de protection des consommateurs pour obtenir cessation d'agissements illicites (C. consom., art. L. 421-6 N° Lexbase : L6513ABT), pour recevoir indemnisation du fait de l'atteinte portée à l'intérêt collectif des consommateurs (C. consom., art. L. 421-1 N° Lexbase : L6814ABY), ou enfin pour représenter des consommateurs dans le cadre de leurs actions en justice (C. consom., art. L. 422-1 N° Lexbase : L6821ABA). C'est cette dernière action qu'avait mise en oeuvre l'association de consommateurs dans cette affaire mais avec une ambiguïté que chacun avait relevée et qui a justifié le rejet de l'action engagée, sans examen au fond.

L'article L. 422-1 du Code de la consommation dispose que "lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national en application des dispositions du titre Ier peut, si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs. - Le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée. Il doit être donné par écrit par chaque consommateur".

L'action en représentation conjointe n'est cependant possible que si, c'est en tout cas l'interprétation de la jurisprudence, l'action est engagée à l'initiative de consommateurs qui mandatent une association pour les représenter dans l'instance en cours. Pour permettre une action sur ce fondement dans cette affaire, l'association a par conséquent fait en sorte qu'un premier consommateur assigne l'opérateur pour qu'elle puisse ensuite se joindre à la procédure sur le fondement de l'article L. 421-7 (N° Lexbase : L6514ABU cf. supra) et que d'autres encore la rejoignent. Elle présentait, ensuite, un mandat donné par chaque consommateur pour qu'elle puisse les représenter. L'arrêt de la Cour de cassation est rendu au visa de l'article L. 422-1, mais l'association UFC-Que Choisir était intervenue à l'instance introduite par un premier consommateur, conformément aux dispositions des articles L. 421-1 (dans l'intérêt collectif des consommateurs) et L. 421-7 (intervention à l'instance) du Code de la consommation pour obtenir paiement de dommages et intérêts à hauteur de l'atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs estimé ici à 55 559,22 euros (et 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6906H7W) et l'indemnisation des préjudices particuliers de chaque consommateur partie à l'instance. Toutes ces personnes avaient le même avocat et l'association était seule maître de la procédure en demande.

Sur bien des plans, l'affaire dont il est question ici relevait des mécanismes de la "Class action" : l'association avait présenté sur son site internet un calculateur permettant à chacun d'évaluer son préjudice personnel ce qui l'incitait à se rapprocher de l'association pour engager une action en justice. La manoeuvre était en quelque sorte une mesure de publicité pour inciter les consommateurs qui s'estimaient lésés à rejoindre l'action.

Cette action avait été déclarée irrecevable par le tribunal de commerce de Paris, solution confirmée en appel. Le pourvoi contre cette seconde décision est rejeté par la Cour de cassation et l'action était donc bien semble-t-il irrecevable :

"mais attendu que la cour d'appel, après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que l'UFC Que choisir était, en réalité, l'initiatrice de la procédure, celle-ci qui savait ne pouvoir agir en introduisant l'instance et qui très rapidement avait pris conscience du caractère très limité du préjudice individuel de chaque abonné s'étant efforcée d'organiser et d'orchestrer l'assignation et les interventions volontaires des abonnés au mépris des interdictions de démarchage et d'appel au public qui y faisaient obstacle, ayant fait préalablement réaliser à cet effet un calculateur de préjudice et prévu sur son site internet la possibilité pour les internautes de souscrire un contrat d'engagement la mandatant pour agir en justice, mandat qui n'avait aucune réalité puisque l'association indiquait supporter toute la procédure et la conduire, a exactement retenu qu'elle n'avait pas respecté les dispositions de l'article L. 422-1 du Code de la consommation lequel, étranger à la préservation de l'image et de la présomption d'innocence, prohibe notamment tout appel public par moyen de communication de masse ou par lettre personnalisée".

La solution est exprimée en des termes clairs et complets qui permettent à la fois de bien comprendre la raison technique du rejet tout en rappelant les obstacles face auxquels le droit français place aujourd'hui le consommateur victime d'un "petit litige". L'arrêt d'appel est confirmé au motif que l'association aurait procédé à un appel à demandeurs illicite et n'aurait pas obtenu mandat pour agir en justice. L'arrêt n'est cependant pas confirmé sur l'ensemble de ses fondements : la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) dispose que "Sera puni des peines prévues à l'article 72 [sanctions pénales] quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique. Toute publicité aux mêmes fins est subordonnée au respect de conditions fixées par le décret visé à l'article 66-6". On s'était interrogé sur la position de la cour d'appel. Selon elle, il était possible de prononcer l'irrecevabilité d'une assignation sur le fondement de ce texte qui ne prévoit qu'une peine d'amende ou d'emprisonnement pour le contrevenant et aucunement l'irrecevabilité d'actes pourtant présentés par le ministère d'un avocat, cet argument logiquement n'a pas été repris par l'arrêt de la Cour de cassation.

Pour ce qui est du démarchage public, les faits sont incontestables. C'est bien l'association qui est allée quérir les demandeurs dans cette action, construisant sur son site Internet un outil qui aidait les consommateurs à évaluer leur préjudice. L'outil était surtout un formidable mécanisme d'attraction des victimes pour une action civile. Une telle démarche est-elle souhaitable ? La question sera l'objet d'autres débats on l'espère, mais cette démarche peut en toute hypothèse être considérée comme actuellement illicite. L'article L. 422-1 du Code de la consommation dispose en effet que "le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée". Bien évidemment, la page internet n'est pas expressément visée (il faut rappeler que la rédaction de cet article du Code de la consommation date de 1973, modifié en 1993), mais l'on peut, comme l'ont fait les juges, retenir une conception plus extensive, plus proche sans doute de l'esprit du législateur de 1973, qui refusait de voir des sollicitations engagées avant par hypothèse qu'une décision de justice eut été rendue. Les arguments du pourvoi selon lequel "seule la préservation de l'image et de la présomption d'innocence de l'entreprise défenderesse justifie la prohibition de l'appel public" n'ont pas emporté la conviction de la Cour. Il n'y pas lieu, selon elle, de conditionner l'irrecevabilité de l'action à la preuve d'une atteinte à la présomption d'innocence ou à l'image de marque de l'entreprise. Là où la loi ne distingue pas, le juge n'est pas plus zélé.

Mais, plus important, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait surtout estimé que l'association était la véritable instigatrice de l'action en représentation conjointe. C'est incontestable mais ce faisant on pourrait être tenté de considérer qu'il y avait sans doute une manipulation processuelle qu'il fallait bien tenter. En premier lieu, pour s'assurer que le recours collectif en France, qu'il soit ou non masqué, est bien inexistant, et en second, lieu pour voire constater l'impasse législative dans laquelle le Code de la consommation place aujourd'hui les consommateurs victimes de préjudice minimes.

Nous avions écrit que cette action avait "indiscutablement permis de révéler les insuffisances du système français : triste constat alors, il est en France des préjudices colossaux qui ne peuvent être réparés". Les victimes d'un "préjudice de masse" n'ont qu'une option : laisser chacun engager seul une action pour récupérer une somme modeste au prix d'efforts processuels sans commune mesure ou que chaque victime mandate l'association mais sans que cette dernière puisse librement diriger la procédure dans l'intérêt de ses mandants. Sans doute faudra-t-il pour ce faire attendre alors l'intervention du Saint Esprit.

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Domaine public

[Doctrine] Chronique de droit du domaine public - Juin 2011

Lecture: 19 min

N5839BS3

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

Le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique d'actualités de droit du domaine public rédigée par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. Dans la première décision étudiée, la Haute juridiction administrative rappelle, notamment, le principe d'impossibilité de transférer à une personne privée, fût-ce temporairement, la propriété d'une dépendance du domaine public et que les stipulations qui portent atteinte au principe d'inaliénabilité du domaine public peuvent être divisibles des autres clauses du contrat et voir leur nullité soulevée d'office par le juge de cassation (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mai 2011, n° 340089, publié au recueil Lebon). Ensuite, dans un arrêt rendu le 4 mai 2011, la Cour de cassation rappelle que seul l'Etat peut procéder à la cession d'un terrain faisant originairement partie du domaine public (Cass. civ. 3, 4 mai 2011, n° 09-70.161, FS-P+B). Enfin, dans la troisième décision commentée, le Conseil d'Etat pose les conditions de fixation de l'indemnité due en contrepartie de l'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public communal (CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2011, n° 317675, publié au recueil Lebon).
  • Illégalité du transfert inconditionnel à une personne privée d'une dépendance du domaine public (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mai 2011, n° 340089, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0970HQY)

1) Impossibilité de transférer à une personne privée, fût-ce temporairement, la propriété d'une dépendance du domaine public

La décision rendue par le Conseil d'Etat le 4 mai 2011 porte sur un curieux montage juridique. En l'espèce, un district avait conclu le 15 mars 1991 et pour une durée de dix-huit ans, avec la société d'économie mixte locale, une convention de construction et d'exploitation des aménagements destinés à la pratique du ski alpin sur le massif du Queyras. Si cette convention se présentait comme une concession, elle était, en réalité, "l'inverse d'une concession" selon les termes de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte-d'Azur (1), puisque le contrat de location-vente, portant sur des biens appartenant au domaine public, était en contradiction avec la logique concessive sur laquelle il était censé reposer. La chambre avait invité le district soit à faire disparaître des relations contractuelles toute référence à un mécanisme de location-vente, soit à lancer une nouvelle procédure de délégation de service public. C'est la seconde option qui fut initialement retenue, mais, la procédure n'ayant pas abouti, la communauté de communes venant aux droits du district, décida finalement de reprendre le service en régie et de résilier la convention.

Cette convention comportait donc, en annexe, un contrat de location-vente (également dénommé crédit-bail) par lequel le district, propriétaire des remontées mécaniques après les avoir acquises auprès des communes membres, louait à la SEM les équipements en cause pendant une durée de quinze ans, au terme de laquelle cette dernière pouvait exercer la promesse de vente qui lui était consentie et devenir propriétaire des équipements en cause. A l'inverse du contrat de concession, les investissements ont donc été réalisés par la collectivité publique qui a perdu cette propriété au terme du contrat de location-vente (1er octobre 2005) pour la récupérer au terme normal de la délégation de service public (15 mars 2009).

Selon la décision commentée, les stipulations du contrat, en tant qu'elles prévoient "le transfert à une personne privée, sans désaffectation ni déclassement préalables, de la propriété de dépendances du domaine public", ont un "caractère illicite", et ce eu égard au "principe d'inaliénabilité" du domaine public. En effet, comme l'avait relevé la chambre régionale des comptes, la convention de location-vente porte sur "des installations (télésièges et téléskis), qui [...] sont des biens immobiliers appartenant incontestablement au domaine public : ils ne peuvent donc être vendus" (2). Ces équipements appartiennent à une personne publique et sont affectés à un service public ; non seulement ils font l'objet d'un aménagement spécial, condition à laquelle était, alors, subordonnée la domanialité publique, mais ils constituent, eux-mêmes, l'aménagement sans lequel le service public industriel et commercial ne pourrait être assuré.

Ce cas de figure se distinguait de celui ayant donné lieu à un avis de la section des travaux publics du 19 avril 2005 (3), selon lequel, dans une délégation du service public des remontées mécaniques, les installations nécessaires au fonctionnement du service ont la qualité de bien de retour : elles sont supposées appartenir dès le départ à la collectivité et doivent donc revenir gratuitement au délégant à la fin du contrat. L'avis relève que la convention ne pourrait, d'ailleurs, prévoir une propriété privée de ces installations pendant la durée de l'exploitation, sous réserve de la constitution de droits réels, lorsqu'une disposition législative le permet. Cet avis a été critiqué par une partie de la doctrine, au motif, notamment, qu'il excluait toute possibilité, par la voie contractuelle, pour les biens nécessaires au fonctionnement du service, de déplacer la ligne de partage entre biens de reprise et biens de retour.

La question ne se posait pas en l'espèce, puisque les installations de remontées mécaniques étaient propriété du district avant même qu'il ne délègue le service. La décision du 4 mai 2011 présente donc d'abord l'intérêt d'affirmer en principe, et au regard de la jurisprudence "Commune de Béziers 'I'" (4), que la stipulation contractuelle portant sur la vente à une personne privée (même s'il s'agit d'une société d'économie mixte locale) d'une dépendance du domaine public, hors déclassement préalable, est affectée d'une illicéité qui fait obstacle à ce que le juge du contrat règle un litige sur son fondement : en particulier, l'exigence de loyauté des relations contractuelles ne peut s'opposer à ce que le juge écarte le contrat. En l'espèce, cependant, alors que l'option d'achat ouverte à la SEM au terme de la période de quinze ans était illicite, ni le tribunal administratif ni la cour administrative d'appel (5) n'avaient soulevé d'office la nullité de la stipulation prévoyant cette option, et ils en avaient, au contraire, fait application.

2) Obligation pour le juge de soulever d'office la nullité du contrat et divisibilité des clauses du contrat au regard de la jurisprudence "Commune de Béziers 'I'"

Le deuxième apport de la décision est donc d'indiquer que les stipulations qui portent atteinte au principe d'inaliénabilité du domaine public peuvent être divisibles des autres clauses du contrat et voir leur nullité soulevée d'office par le juge de cassation. Il en est jugé, ainsi, en l'espèce, au motif que les stipulations en cause n'avaient pas pour conséquence de transférer définitivement la propriété des biens du domaine public à la SEM. La collectivité publique était en droit de récupérer la propriété de ces biens au terme du contrat de délégation de service public, et cela sans avoir à verser d'indemnité. Dès lors, la divisibilité des stipulations entachées de nullité conduit le Conseil d'Etat à admettre que le litige puisse être réglé dans le cadre contractuel.

Les stipulations en cause relatives à la vente de dépendances du domaine public ont, ainsi, été regardées comme divisibles du reste du montage contractuel, et, en particulier, des stipulations relatives à la gestion du service public délégué. Certes, l'on pourrait soutenir qu'elles mettaient en cause l'équilibre financier du contrat, puisque la perspective de devenir propriétaire des installations aurait pu conduire le délégataire à verser des loyers d'un montant supérieur à celui qui aurait été fixé en cas de simple mise à disposition. Mais, en réalité, il ressort de la décision du Conseil d'Etat que les "loyers" en question ont été calculés sur la base du coût des équipements, c'est-à-dire en prenant en compte l'amortissement des installations et les intérêts des emprunts non encore remboursés, comme ils auraient dû l'être dans le cadre d'une mise à disposition de droit commun, puisqu'un service public industriel et commercial doit être à l'équilibre. L'illicéité de l'option d'achat n'a donc pas rejailli sur l'ensemble des obligations à la charge des deux parties.

Cette solution illustre, néanmoins, la force et la prééminence de l'objectif de sécurité des relations contractuelles. En effet, il résulte de la décision du Conseil d'Etat commentée que la méconnaissance d'une règle aussi fondamentale que le principe d'inaliénabilité du domaine public ne conduit qu'au constat de la nullité partielle du contrat et ne fait pas obstacle à ce que le litige soit réglé dans un cadre contractuel, et non par application des principes de la responsabilité quasi-contractuelle et de la responsabilité délictuelle.

Il résulte de cette décision du Conseil d'Etat que l'état du droit issu de la décision "Commune de Béziers 'I'" ne repose plus sur la logique antérieure, selon laquelle le juge se bornait à constater la nullité du contrat qui lui était soumis. Lorsqu'il n'est pas saisi d'un recours de plein contentieux engagé par l'une des parties aux fins de contester la validité du contrat, mais d'un litige relatif à l'exécution de celui-ci, le juge ne se prononce plus sur la nullité du contrat ; simplement, il ne peut régler le litige sur le terrain contractuel lorsqu'il est confronté "au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement". Cependant, en ces hypothèses, il a l'obligation d'écarter le contrat.

L'erreur de droit commise par les juges du fond en n'écartant pas l'application d'un tel contrat doit donc être relevée par le juge de cassation, le cas échéant, d'office. De même, le juge de cassation doit, avant comme après la décision "Commune de Béziers 'I'", s'interroger, lorsque l'illicéité ne concerne qu'une partie des clauses d'un contrat, sur leur caractère divisible, afin de déterminer si l'illicéité rejaillit sur le tout.

3) Rappel de la possibilité de transférer des dépendances du domaine public à d'autres personnes publiques à un prix inférieur à leur valeur vénale : la jurisprudence constitutionnelle

Rappelons, cependant, que la décision n° 2009-594 DC du 3 décembre 2009 du Conseil constitutionnel (6) a jugé conforme à la Constitution la cession de biens du domaine public par une personne publique à une autre personne publique, pour un prix inférieur à la valeur des biens en cause. Les fondements sont, d'ailleurs, ceux qui avaient été utilisés dans deux décisions de 1986 et 2008 pour proscrire la vente à des personnes privées de tels biens pour un prix inférieur à leur valeur (7), à savoir "le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques, ainsi que la protection du droit de propriété, qui ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers, mais aussi la propriété de l'Etat et des autres personnes publiques".

Les mêmes principes permettent donc, à la fois, d'interdire les cessions de biens publics à vil prix au profit de personnes privées poursuivant des buts d'intérêt privé et d'autoriser de tels transferts entre personnes publiques : dans cette seconde hypothèse, il n'est pas porté atteinte à la propriété des personnes publiques, dès lors que l'avantage financier consenti est destiné à permettre la réalisation d'un objectif d'intérêt général, ce qui est le cas des cessions entre personnes publiques. Les sections administratives du Conseil d'Etat avaient, d'ailleurs, déjà consacré cette solution (8).

L'article 5 de la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009, relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports (N° Lexbase : L0264IGU), et la décision du Conseil constitutionnel confirment, également, que tous les biens publics peuvent faire l'objet de ces transferts de propriété gratuits entre personnes publiques, qu'il s'agisse de biens du domaine privé (les biens non affectés à l'exploitation, mais destinés à un usage administratif, social ou de formation et appartenant initialement à l'Etat, ainsi que les biens mobiliers de la RATP affectés et nécessaires à l'exploitation de l'activité), ou de dépendances du domaine public (les biens affectés et utiles à l'exploitation de l'activité transport de l'Etat et les infrastructures de transport). Ces transferts à titre gratuit peuvent indifféremment porter sur des immeubles ou des meubles publics.

  • Seul l'Etat peut procéder à la cession d'un terrain faisant originairement partie du domaine public (Cass. civ. 3, 4 mai 2011, n° 09-70.161, FS-P+B N° Lexbase : A2544HQB)

1) Les origines de la zone des cinquante pas géométriques et de l'article L. 5112-3 du Code général de la propriété des personnes publiques

Dès décembre 1674, l'édit portant révocation de la Compagnie des Indes occidentales donné à Saint Germain-en-Laye a transféré à l'Etat la pleine propriété des terres qui appartenaient à cette compagnie et qui se trouvaient dans les actuelles Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique). Cette zone, dite des "cinquante pas géométriques", correspondait à cinquante pas du roi, devenus les pas géométriques, chaque pas représentant une longueur de cinq pieds, soit environ 1,64 mètre, et elle était d'une largeur de 81,20 mètres. Ainsi donc, dès 1674, les cinquante pas relèvent du domaine de la Couronne et deviennent inaliénables et imprescriptibles.

La loi "littoral" du 3 janvier 1986 (loi n° 86-2, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9) a réincorporé dans le domaine public de l'Etat les parcelles de la zone des cinquante pas géométriques qui se trouvaient encore dans son domaine privé, supprimant la possibilité de cession, mais maintenant le droit de propriété des personnes qui peuvent en justifier. Aux termes de l'actuel article L. 5111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L5040IMM) : "La zone comprise entre la limite du rivage de la mer et la limite supérieure de la zone dite des cinquante pas géométriques définie à l'article L. 5111-2 [du même code (N° Lexbase : L2748IN4)] fait partie du domaine public maritime de l'Etat". Aux termes de l'article L. 5111-2 précité : "La réserve domaniale dite des cinquante pas géométriques est constituée par une bande de terrain délimitée dans les départements de La Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique. Elle présente dans le département de la Guyane une largeur de 81,20 mètres comptée à partir de la limite du rivage de la mer tel qu'il a été délimité en application de la législation et de la réglementation en vigueur à la date de cette délimitation".

La loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer (N° Lexbase : L0282HUY), dont est issu l'article L. 5112-3 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L3744IPD), a prévu des aménagements au principe d'inaliénabilité de la zone des cinquante pas géométriques afin de régler les problèmes posés par l'utilisation illégale de cette zone par des particuliers. Cette loi a prévu que le préfet de chaque département d'outre-mer délimiterait à l'intérieur de la zone les espaces urbains et les secteurs occupés par une urbanisation diffuse et les espaces naturels. Elle a aussi institué une commission départementale (en Martinique et en Guadeloupe) de vérification des titres de propriété, chargée d'apprécier la validité de tous les titres antérieurs à l'entrée en vigueur du décret n° 55-885 du 30 juin 1955, relatif à l'introduction dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique et de la Réunion, de la législation et de la réglementation, métropolitaines concernant le domaine public maritime (N° Lexbase : L3194HDN), qui n'ont pas été examinés par la commission créée par ce décret, et établissant les droits de propriété réels ou de jouissance sur des terrains compris dans cette zone.

Elle a organisé, ainsi, à nouveau une procédure de vérification des titres de propriété afin de permettre aux personnes disposant de titres sur des terrains situés dans cette zone, et n'ayant pu faire valoir leurs droits en 1955 de le faire devant une nouvelle commission de validation : "la commission départementale de vérification des titres [...] apprécie la validité de tous les titres antérieurs à l'entrée en vigueur de ce décret, établissant les droits de propriété, réels ou de jouissance sur les terrains précédemment situés sur le domaine de la zone des cinquante pas géométriques dont la détention par la personne privée requérante n'était contrariée par aucun fait de possession d'un tiers à la date du 1er janvier 1995 [...]".

2) Les difficultés posées par ces dispositions au regard du droit de propriété

De manière constante, la Cour de cassation a jugé que seuls les titres de propriété délivrés par l'Etat lui étaient opposables (9). Cette jurisprudence a été appliquée par la même formation de jugement à la commission départementale de vérification des titres de l'article L. 5112-3 du Code général de la propriété des personnes publiques (10). En conséquence, seul l'Etat a pu légalement aliéner une parcelle située sur la zone des cinquante pas : tous les autres actes, mêmes notariés, qui ne tirent pas leur origine d'une vente initiale de l'Etat sont inopérants et de nul effet au regard du droit de propriété.

3) Conformité à la CESDH de l'article L. 5112-3 du Code général de la propriété des personnes publiques

Dans son arrêt du 4 mai 2011, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que le refus de la validation, par la commission départementale de vérification des titres, d'un titre de propriété situé dans la zone des cinquante pas géométriques et émanant d'une personne privée et non de l'Etat, n'était pas une privation du bien au sens de l'article 1er du premier Protocole additionnel à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9). La Cour juge, plus précisément, que ce refus, qui peut être motivé par la circonstance que le titre de propriété émane d'une personne privée et que l'Etat n'a pas entendu soustraire le bien immobilier en cause de son domaine public, relève d'une réglementation, justifiée par l'intérêt général, de l'usage des biens du domaine public maritime de l'Etat, n'entraîne pas une discrimination illicite, et ne traduit pas une ingérence prohibée dans la vie privée et familiale (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L4798AQR).

Cette solution rejoint celle adoptée par le Conseil constitutionnel le 4 février 2011 (11), laquelle a affirmé la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 5112-3 du Code général de la propriété des personnes publiques. Le Conseil constitutionnel a, en particulier, jugé que cet article, et la nécessité d'établir un titre de propriété délivré par l'Etat, étaient conformes à l'article 17 de la DDHC (N° Lexbase : L1364A9E) aux termes duquel : "La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité".

Si le transfert de propriété doit obéir à la double exigence du caractère juste et du caractère préalable de l'indemnisation, il faut relever, d'une part que, depuis 1674, date à laquelle les cinquante pas qui appartenaient à la Compagnie des Indes occidentales sont tombés dans le domaine de la Couronne, seul l'Etat a été en mesure d'aliéner un bien faisant partie de cette réserve, et, d'autre part, que, par l'édit de Saint-Germain-en-Laye du mois de décembre 1674, Louis XIV a approuvé toutes les ventes particulières qui avaient été faites dans les îles concédées : cet édit peut donc être invoqué dans l'hypothèse exceptionnelle où une personne établirait que la propriété des biens immobiliers situés dans la zone des cinquante pas trouve son origine dans un titre de propriété antérieur à 1675.

En exigeant que les personnes s'estimant propriétaires de parcelles situées dans la zone des cinquante pas présentent à la commission départementale compétente les titres établissant leur droit de propriété, la loi n'a créé aucune discrimination au détriment des personnes ne pouvant pas en justifier, et n'a pas remis en cause des situations légalement acquises.

  • Conditions de fixation de l'indemnité due en contrepartie de l'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public communal (CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2011, n° 317675, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0301HSX)

1) Les règles applicables en matière de tarification des redevances domaniales

La jurisprudence du Conseil d'Etat a précisé les règles applicables en matière de tarification des redevances domaniales. Longtemps, deux critères pouvaient être pris en compte pour fixer leur montant : d'une part, la valeur locative d'une propriété privée comparable à la dépendance du domaine public pour laquelle l'autorisation avait été délivrée et, d'autre part, "l'avantage spécifique que constitue le fait d'être autorisé à jouir d'une façon privative d'une partie du domaine public" (12).

La décision du 11 octobre 2004, "Prouvoyeur" (13), a infléchi et clarifié la jurisprudence. Désormais, le seul critère impératif pour la fixation du tarif des redevances domaniales consiste à examiner si leur montant est excessif compte tenu de l'avantage que leur redevable est susceptible de tirer de l'occupation de la dépendance du domaine public. Ce n'est qu'à titre subsidiaire et indicatif que le juge peut rechercher si ce montant est, ou non, supérieur à la valeur locative d'une propriété privée comparable à cette dépendance -il est vrai que ce dernier critère est d'utilisation malaisée dans la mesure où il est difficile d'appréhender la valeur locative d'une parcelle du domaine public qui, par essence, est d'une nature très différente de celle des propriétés privées situées alentour-.

Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 16 mai 2011, une commune avait émis à l'encontre d'une société des titres exécutoires ayant pour objet de recouvrer des redevances ou indemnités correspondant à l'occupation irrégulière de son domaine public. Confirmant la solution du tribunal administratif, la cour administrative d'appel (14) a considéré que la commune était fondée à recouvrer une redevance au titre de l'occupation privative de son domaine public à laquelle s'était livrée la société mais qu'elle ne pouvait légalement appliquer le tarif, prévu par les délibérations successives de son conseil municipal, correspondant à l'hypothèse d'une "occupation du domaine public pour travaux", dès lors qu'il était constant que la portion de terrain n'avait pas été utilisée par la société pour réaliser des travaux, mais pour entreposer divers matériels. Le Conseil d'Etat a confirmé cette solution en explicitant les modalités de calcul de l'indemnité d'occupation irrégulière du domaine public.

2) Mode de recouvrement et de calcul des indemnités pour occupation irrégulière du domaine public

Selon le Conseil, "[...] une commune est fondée à réclamer à l'occupant sans titre de son domaine public, au titre de la période d'occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu'elle aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période [...] à cette fin, elle doit rechercher le montant des redevances qui auraient été appliquées si l'occupant avait été placé dans une situation régulière, soit par référence à un tarif existant, lequel doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l'occupation du domaine public, soit, à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu'aurait pu produire l'occupation régulière de la partie concernée du domaine public communal".

Le premier intérêt de la décision est d'indiquer qu'une commune peut émettre un titre exécutoire alors même que l'occupation litigieuse d'une portion de son domaine public se faisait sans titre. Ainsi que l'affirme une décision récente du 10 juin 2010 (15), il est de principe "que toute occupation privative du domaine public est subordonnée à la délivrance d'une autorisation et au paiement d'une redevance". De même, la décision "Commune de Barcarès" du 29 novembre 2002 (16) déduit de la simple appartenance d'installations portuaires au domaine public et de leur transfert à la commune l'existence d'une base légale pour que la commune réclame une redevance pour occupation du domaine public.

L'étude consacrée par le Conseil d'Etat en octobre 2002 aux redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public affirme, ainsi, que, "si l'occupation du domaine public est, en principe, assujettie à une redevance, c'est parce qu'elle procure à celui qui en bénéficie un avantage personnel dont sont privés les autres membres de la communauté et parce qu'elle soustrait en même temps à la jouissance de tous une partie du domaine public". Ce raisonnement conduit, logiquement, à considérer que l'autorité administrative doit pouvoir, dans tous les cas, réclamer une indemnité ou une redevance à l'occupant sans titre du domaine public, dans les hypothèses où celui-ci aurait dû, s'il ne s'était pas placé dans une situation illégale, en acquitter une.

Ce principe a été appliqué à plusieurs reprises à des occupations sans titre : une indemnité doit, ainsi, pouvoir être réclamée à l'occupant qui s'est maintenu sur le domaine après l'expiration de la convention d'occupation domaniale, sur un fondement qui n'est plus celui du contrat mais de la réparation du dommage causé par l'occupation sans titre du domaine public du fait des redevances ou du revenu dont la personne publique a été privée (17). La somme réclamée est alors une indemnité et non une redevance : une distinction doit être faite entre les redevances dues par les occupants sans titre du domaine public et les indemnités correspondant aux redevances dont la collectivité a été frustrée, conformément aux dispositions de l'ancien article L. 28 du Code du domaine de l'Etat (N° Lexbase : L2097AAW).

Le second intérêt de la décision ici étudiée est d'indiquer les critères devant être pris en compte pour calculer cette indemnité. La question était, en effet, la suivante : si une commune est fondée à réclamer à l'occupant sans titre de son domaine public une indemnité compensant les revenus dont elle a été privée pendant la durée de cette occupation irrégulière, doit-elle en calculer le montant par référence au tarif des droits de voirie applicable sur son territoire, ou peut-elle déterminer un montant ad hoc ?

La décision "Prouvoyeur" précitée a jugé qu'une redevance pour occupation du domaine public devait être fixée au regard des avantages de toute nature procurés à l'occupant, ce critère étant seul impératif et pouvant être complété, le cas échéant, par la prise en compte de la valeur locative de propriétés privées comparables à cette dépendance. Il faut donc que la fixation du montant d'une redevance tienne compte d'éléments concrets relatifs aux conditions d'exploitation et de rentabilité de la concession d'occupation, au chiffre d'affaires qu'elle produit pour l'occupant et à la possibilité, pour lui, de jouir de manière purement privative d'une partie du domaine public. En conséquence, si le conseil municipal peut, bien sûr, déterminer des catégories d'occupation afin de fixer une grille tarifaire pour les redevances de voirie, ces catégories doivent être suffisamment précises, faute de quoi les tarifs pourront être contestés comme ne correspondant pas aux avantages de toute nature procurés à la catégorie correspondante d'occupants du domaine public.

Lorsque, comme en l'espèce, se pose la question de la fixation du montant de l'indemnité qui peut être mise à la charge de l'occupant sans titre du domaine public, la collectivité doit évaluer les revenus dont elle a été privée. Pour cela, elle doit, selon le Conseil d'Etat, procéder en deux temps. Si l'occupation, par sa nature, correspond à l'une des rubriques de la liste des tarifs des droits de voirie, le tarif correspondant est naturellement celui qui aurait dû s'appliquer en cas d'occupation régulière du domaine public et il permet d'évaluer l'indemnité due. En revanche, si, comme dans l'espèce soumise au Conseil d'Etat, aucune des catégories de la grille tarifaire ne correspond à l'utilisation faite par l'occupant sans titre du domaine public, la jurisprudence "Prouvoyeur" interdit, par principe, que le montant de l'indemnité soit fixé sur sa base : ce montant doit alors être déterminé par référence au revenu que la commune aurait pu percevoir si elle avait valorisé la dépendance en cause dans le cadre d'une convention d'occupation et, soulignons-le, la détermination du montant de l'indemnité doit, en pareille hypothèse, être délibérée par le conseil municipal (18).

Dans l'espèce qui lui était soumise, le Conseil d'Etat a indiqué que le conseil municipal ne pouvait appliquer la grille tarifaire des droits de voirie en vigueur sur le territoire communal, dès lors qu'aucune rubrique ne correspondait à la nature de l'utilisation que la société avait faite de la bande de terrain litigieuse, celle-ci n'ayant effectué aucun travaux.

Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat


(1) Lettre d'observations définitives relative à la gestion du district du Queyras en date du 7 janvier 2000.
(2) Lettre d'observations précitée.
(3) Au rapport public 2006, p. 197.
(4) CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC).
(5) CAA Marseille, 6ème ch., 29 mars 2010, n° 07MA03229 (N° Lexbase : A8653EWE).
(6) Cons. const., décision n° 2009-594 DC du 3 décembre 2009 (N° Lexbase : A3192EPW).
(7) Cons. const., décision n° 86-207 DC des 25-26 juin 1986 (N° Lexbase : A8134ACA), cons. n° 58 ; Cons. const., décision n° 2008-567 DC, 24 juillet 2008 (N° Lexbase : A7893D99), cons. n° 25.
(8) CE, Avis, 28 janvier 1975, n° 314316, à propos du transfert gratuit de biens de l'Etat au profit d'établissements publics hospitaliers ; CE, Avis, 16 octobre 1979, n° 325202, sur le transfert gratuit de biens de l'Etat en faveur de l'Institution de gestion sociale des armées.
(9) Cass. civ. 3, 2 février 1965, n° 60-11.713 et n° 62-12.731, Bull. civil III, n° 70 et 71 : "Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aucun des titres allégués n'avait été délivré par l'Etat, lequel pouvait seul procéder, selon les formes légales, au déclassement d'un terrain faisant originairement partie du domaine public national et à sa cession à un particulier ou à une collectivité locale, le jugement attaque a violé le texte susvisé".
(10) Cass. civ. 3, 7 juillet 2004, n° 02-16.288 (N° Lexbase : A0254DDR), Bull. civil III, n° 131 ; Cass. civ. 3, 7 avril 2010, n° 09-14.563 (N° Lexbase : A5896EUW) : "Attendu que pour valider et déclarer opposable à l'Etat le titre produit en ce qu'il porte sur les parcelles cadastrées section W n° 79, 80, 92, 95, 360 dans les limites énoncées aux motifs du jugement et 424 dans la limite de la partie plantée en cannes, l'arrêt retient que le transfert de propriété est attesté par le procès-verbal dressé à l'audience des criées du tribunal de Fort-de-France, à savoir par un titre émanant de l'autorité judiciaire, de telle sorte que l'origine de propriété des biens litigieux ne peut être contestée [...] en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que le titre de propriété avait été délivré à l'origine par l'Etat, lequel pouvait seul procéder à la cession, à un particulier ou à une collectivité locale, d'un terrain faisant originairement partie du domaine public, a violé le texte susvisé".
(11) Cons. const., décision n° 2010-96 QPC du 4 février 2011 (N° Lexbase : A1689GRY).
(12) CE, 10 février 1978, n° 7652, Recueil, p. 66 ; CE, 21 mars 2003, n° 189191 (N° Lexbase : A7834C8N), Recueil, p. 144.
(13) CE 3° et 8° s-s-r., 11 octobre 2004, n° 254236, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5895DDP), p. 602.
(14) CAA Lyon, 1ère ch., 29 avril 2008, n° 06LY00934 (N° Lexbase : A8102D9X).
(15) CE 3° et 8° s-s-r., 10 juin 2010, n° 305136, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9192EY4).
(16) CE 3° et 8° s-s-r., 29 novembre 2002, n° 219244, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4733A43), p. 419.
(17) CE 1° et 4° s-s-r., 19 mars 1975, n° 91429, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2931B83), p. 1131-1137 ; CE 3° et 5° s-s-r., 13 février 1991, n° 78404, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9837AQE), p. 55.
(18) CE 3° et 5° s-s-r., 30 octobre 1996, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1056APS), p. 865 : le maire peut se voir déléguer cette compétence.

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Droit comptable

[Doctrine] La révision de la norme IAS 39 "Instruments financiers : comptabilisation et évaluation"

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N5771BSK

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par Robert Obert, Professeur agrégé honoraire, Diplômé d'expertise comptable, Docteur en sciences de gestion

Le 30 Juin 2011

A la suite de la crise financière, l'IASB (le normalisateur international), de concert avec le FASB (le normalisateur américain), a mis en chantier, en novembre 2008, la révision de la norme IAS 39, en proposant de simplifier les exigences en matière de comptabilisation et d'évaluation des instruments financiers. Une nouvelle norme IFRS 9 "Instruments financiers" est actuellement en préparation et devrait s'appliquer à compter du 1er janvier 2013. Les quatre méthodes utilisées actuellement pour comptabiliser les instruments financiers seraient réduites à deux, le coût amorti et la juste valeur. Cette réduction du nombre de méthodes de comptabilisation s'inscrit dans le projet, plus vaste, de simplification de la comptabilité, afin de permettre son extension. Les normes comptables internationales, applicables aux comptes consolidés des sociétés cotées, comprennent trois normes consacrées aux instruments financiers :

- IAS 32 "Instruments financiers : présentation" ;
- IAS 39 "Instruments financiers : comptabilisation et évaluation" ;
- IFRS 7 "Instruments financiers : informations à fournir".

IAS 32 a été publié en 1995, IAS 39 en 1998 et IFRS 7 en 2007 (IFRS 7 remplaçant une partie de la norme IASC 32, qui, à l'origine s'appelait "Instruments financiers : présentation et informations à fournir"). Ces trois normes, et notamment la norme IAS 39, la plus volumineuse et la plus complexe, ont été, maintes fois, révisées depuis leur première publication.

Définitions (selon IAS 32 § 11)

  • Un instrument financier est un contrat qui donne lieu à un actif financier d'une entité et à un passif financier ou à un instrument de capitaux propres d'une autre entité.
  • Un actif financier désigne l'un ou l'autre des actifs suivants : trésorerie, instrument de capitaux propres d'une autre entité, droit contractuel de recevoir d'une autre entité de la trésorerie ou un autre actif financier, droit contractuel d'échanger des instruments financiers avec une autre entité à des conditions potentiellement favorables, contrat pouvant être réglé en instruments de capitaux propres de l'entité.
  • Un passif financier désigne tout passif correspondant à une obligation contractuelle de remettre de la trésorerie à une entité ou tout autre actif financier, d'échanger des instruments financiers avec une autre entité à des conditions potentiellement défavorables, ou un contrat qui sera ou pourra être réglé en instruments de capitaux propres de l'entité.
  • Un instrument de capitaux propres désigne tout contrat mettant en évidence un intérêt résiduel dans les actifs d'une entité après déduction de tous ses passifs.

Peuvent donc être considérés comme des actifs financiers : les titres (immobilisés ou de placement), les prêts, les créances, des instruments financiers à terme (au sens des articles L. 211-1 N° Lexbase : L5536ICZ et D. 211-1 A I N° Lexbase : L0152IDY du Code monétaire et financier, appelées par IAS 39 "Instruments dérivés" ou par le Plan comptable général "Instruments de trésorerie" : contrats à terme ferme, contrats d'option, contrats d'échange ou "swaps", accords de taux futurs, etc.), les liquidités.

Peuvent être considérés comme des passifs financiers : les emprunts (obligataires, auprès d'établissements de crédit, etc.), les autres dettes, des instruments financiers à terme.

Méthodes de comptabilisation et d'évaluation préconisées par la norme IAS 39

A des fins de comptabilisation, la norme IAS 39 distingue les instruments financiers suivants.

  • Actifs financiers ou passifs financiers à la juste valeur par le biais du compte de résultat ("financial assets or financial liabilities at fair value through profit or loss") : ils comprennent les actifs et passifs financiers détenus à des fins de transaction et les actifs et passifs financiers désignés lors de la comptabilisation initiale comme étant à la juste valeur. Ces actifs ou passifs sont évalués à la juste valeur (pour les méthodes d'évaluation, on distingue l'évaluation à partir de la valeur de marché, applicable lorsque l'élément est coté, l'évaluation à partir de la valeur de marché d'un bien similaire et l'évaluation à partir d'un modèle financier [lire nos obs., Juste valeur : projet de norme internationale, Lexbase Hebdo n° 435, 7 avril 2011 - édition fiscale N° Lexbase : N4954BRW]). Les variations de juste valeur sont comptabilisées dans le compte de résultat net. Les instruments financiers dérivés, non utilisés comme instrument de couverture (voir ci-après), sont tous évalués à la juste valeur, par le biais du compte de résultat.
  • Placements détenus jusqu'à leur échéance ("held-to-maturity investments") : ces actifs sont évalués au coût amorti (c'est-à-dire au coût initial, diminué des remboursements, et tenant compte des intérêts calculés au taux effectif, taux qui actualise exactement les encaissements et décaissements de trésorerie futurs). Prenons l'exemple d'une société qui a décaissé 98 000 euros pour acquérir 100 obligations de 1 000 euros chacune au taux de 6 %, remboursable en 10 ans par amortissements constants. Au moment de l'acquisition, le coût amorti est de 98 000 euros. Le taux effectif qui actualise les encaissements et les décaissements n'est pas de 6 %, mais supérieur (du fait que l'entité n'a versé que 98 000 euros et qu'il lui sera remboursé 10 fois 10 000 euros et payé un intérêt de 6 %). Le taux effectif est, en fait, de 6,46 %, et au bout d'un an, après le remboursement d'un capital de 10 000 euros et un intérêt payé de 6 000 euros, le coût amorti sera de 98 000 + 98 000 X 6,46 % - 10 000 - 6 000 = 88 330,80 euros.
  • Prêts et créances ("loans and receivables") : ces actifs sont aussi évalués au coût amorti.
  • Actifs financiers disponibles à la vente ("vailable-for-sale financial assets") : ces actifs sont également évalués à la juste valeur, la variation de juste valeur étant constatée dans un poste des autres éléments du résultat global ("other comprehensive income") (c'est-à-dire une rubrique du compte de résultat global comprenant des profits et des pertes, constatés directement dans un compte de capitaux propres, rubrique qui vient s'ajouter au résultat net de l'entité : résultat net + autres éléments du résultat global = résultat global).
  • Pour les opérations de couverture, IAS 39 considère trois types de relations de couverture :
    - la couverture de juste valeur ("fair value hedge") ;
    - la couverture de flux de trésorerie ("cash flow hedge") ;
    - la couverture d'un investissement net dans une activité à l'étranger ("hedge of a net investment in a foreign operation").

Dans une opération de couverture, il y a un élément couvert (un actif ou un passif, généralement financier) et un élément de couverture (généralement un instrument dérivé). Les deux instruments doivent être évalués de manière semblable, de telle façon que la perte sur l'un soit compensée par un profit (total ou partiel) sur l'autre. Les opérations de couverture de juste valeur sont comptabilisées à la juste valeur, dont les variations sont comptabilisées dans le résultat net, et les opérations de couverture de flux de trésorerie ou d'un investissement net dans une activité à l'étranger sont comptabilisées à la juste valeur, dont les variations sont comptabilisées dans les autres éléments du résultat global ("other comprehensive income").

Il est à remarquer qu'en principe la classification s'effectue au moment de la première comptabilisation de l'instrument financier. Toutefois, en octobre 2008 (Règlement n° 1004/2008/CE de la Commission du 15 octobre 2008, modifiant le Règlement n° 1725/2003/CE de la Commission portant adoption de certaines normes comptables internationales conformément au Règlement n° 1606/2002/CE du Parlement européen et du Conseil, pour ce qui concerne la norme comptable internationale IAS 39 et la norme internationale d'information financière IFRS 7 N° Lexbase : L6272IBW), un amendement à IAS 39 a permis de reclasser, dans des circonstances particulières, des actifs financiers hors de la catégorie de la juste valeur par le biais du résultat. Cette disposition a permis à de nombreuses banques, dont souvent plus de 50 % des actifs sont évalués à la juste valeur, d'éviter de constater alors des moins-values significatives du fait de la variation des cours des instruments financiers détenus.

Une nouvelle norme comptable en construction

Le projet de remplacement de la norme IAS 39 par une norme IFRS 9 a été structuré en trois étapes principales.

1. Classification et évaluation des actifs et des passifs financiers : cette partie de norme a été publiée en novembre 2009, pour ce qui concerne les actifs financiers, et en octobre 2010, pour les passifs financiers ;
2. Coût amorti et dépréciation : un exposé sondage (proposition de norme soumise à commentaires) a été émis en novembre 2009, un document complémentaire ayant été émis en janvier 2011 ; la publication finale est prévue pour le deuxième trimestre 2011 ;
3. Comptabilité de couverture : un exposé sondage a été publié en décembre 2010 ; la publication finale est prévue au deuxième trimestre 2011.

Classification et évaluation des actifs et passifs financiers

La première publication d'IFRS 9, de novembre 2009, divise tous les actifs financiers qui sont actuellement dans le champ d'application de la norme IAS 39 en deux catégories (au lieu de quatre) : ceux mesurés au coût amorti et ceux mesurés à la juste valeur.

Le classement est effectué au moment où l'actif financier est comptabilisé initialement, à savoir lorsque l'entité devient partie aux dispositions contractuelles de l'instrument.

Un actif financier ou un passif financier serait évalué au coût amorti si les deux conditions suivantes sont réunies : l'instrument a les caractéristiques d'un prêt classique et l'instrument est géré sur la base d'un rendement contractuel. A contrario, un actif financier qui ne remplit pas ces deux conditions serait évalué à la juste valeur.

Tous les actifs financiers sont évalués initialement à leur coût d'acquisition majoré, dans le cas où un actif financier n'est pas classé à la juste valeur, des coûts de transaction.

Dans certains cas relatifs à des actifs financiers (placements en actions non cotées notamment), les changements de valeur ne seront pas reconnus en résultat net, mais dans les autres éléments du résultat global ("other comprehensive income").

Le 28 octobre 2010, l'IASB a publié une version modifiée de l'IFRS 9. La norme révisée conserve les dispositions relatives au classement et à l'évaluation des actifs financiers publiées en novembre 2009, mais ajoute des indications sur le classement et l'évaluation des passifs financiers. Celles-ci suivent les critères de classement des passifs financiers figurant actuellement dans l'IAS 39. En d'autres termes, les passifs financiers continuent d'être évalués, en tout ou en partie, au coût amorti ou à la juste valeur par le biais du compte de résultat. Les passifs financiers détenus à des fins de transaction continueront d'être évalués à la juste valeur par le biais du compte de résultat et tous les autres passifs financiers seront évalués au coût amorti, sauf si l'option de la juste valeur est appliquée, conformément au critère actuel de l'IAS 39.

Coût amorti et dépréciation

L'exposé sondage de décembre 2010 clarifie l'objectif de l'évaluation au coût amorti en précisant :
- que le coût amorti est un mode d'évaluation qui combine des informations sur les flux de trésorerie courantes à chaque date d'évaluation avec une évaluation de ces flux de trésorerie qui reflète les conditions existant lors de la comptabilisation initiale de l'instrument financier ;
- les types de montants qui sont répartis sur la durée de vie attendue de l'instrument financier (y compris, dans le cas d'un actif financier, l'estimation initiale des pertes sur créances attendues).

Le document complémentaire de janvier 2011 traite des pertes de valeur sur créances.

Comptabilité de couverture

Le projet de norme distingue toujours (comme IAS 39) trois catégories de couvertures : couverture de juste valeur, couverture de flux de trésorerie et couverture d'un investissement net dans une activité à l'étranger.

La relation de couverture de juste valeur devrait être comptabilisée comme suit.
- Les gains ou pertes de réévaluation de l'instrument de couverture sont comptabilisés dans les capitaux propres (rubrique "autres éléments du résultat global").
- Le gain ou la perte de couverture sur l'élément couvert sont comptabilisés et présentés également dans les capitaux propres.
- La partie inefficace du gain ou de perte de la réévaluation de l'instrument de couverture et l'élément couvert sont transférés au compte de résultat net.

La relation de couverture de flux de trésorerie doit être comptabilisée comme suit.
- La composante distincte des capitaux propres, associée à l'élément couvert, est ajusté à la moindre des montants suivants : gain ou perte cumulé sur l'instrument de couverture depuis la création de la couverture, ou variation cumulée de la juste valeur de l'élément couvert.
- La partie du gain ou la perte sur l'instrument de couverture qui est déterminée à être une couverture efficace doit être comptabilisée dans les capitaux propres (autres éléments du résultat global).
- Tout gain ou perte résiduel (inefficacité de la couverture par exemple) est reconnu en résultat net.

Les couvertures d'un investissement net dans une activité à l'étranger, y compris une couverture d'un élément monétaire qui est comptabilisé comme faisant partie de l'investissement net, doivent être comptabilisées de la même manière que les couvertures de flux de trésorerie.

Référence

IFRS 9 : Financial Instruments (replacement of IAS 39) sur http://www.ifrs.org/.

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Fiscalité des particuliers

[Chronique] Un point sur la réforme de la fiscalité patrimoniale telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale

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N5821BSE

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par Frédéric Subra et Mathieu Le Tacon, avocats associés au sein du cabinet Delsol Avocats

Le 28 Juin 2011

Annoncée comme la "grande réforme" de la fiscalité patrimoniale, le projet de loi de finances rectificative pour 2011 est loin de tenir ses promesses d'un soir d'interview présidentielle : entre détricotage du passé et maintien de l'ISF, même sous une forme allégée, il apparaît davantage comme un patchwork de mesures fiscales qui ne fait que renforcer le sentiment d'insécurité fiscale. Alors que le texte vient en discussion devant le Sénat, après avoir été adopté, à 310 voix contre 220, par l'Assemblée nationale, le mardi 14 juin 2011, la présente chronique se propose d'analyser les principales mesures telles que votées en première lecture par l'Assemblée nationale. Frédéric Subra, avocat associé et Mathieu Le Tacon, avocat of counsel au sein du cabinet Delsol Avocats, reviennent sur les modifications de fond et de forme que nos députés ont apporté à ce qui avait été présenté comme une réforme "en profondeur" de la fiscalité du patrimoine de cette année 2011.
  • Suppression du bouclier

Aux termes de l'article 13 du projet de loi de finances rectificative pour 2011, le bouclier fiscal s'appliquerait pour la dernière fois au titre des impositions afférentes aux revenus réalisés en 2010.

Les contribuables redevables de l'ISF au titre de l'année 2012 pourraient, sauf exception (le contribuable titulaire de la créance cesse d'être redevable de l'ISF, décès du titulaire de la créance, imposition séparée à l'ISF), exercer le droit à restitution acquis au 1er janvier 2012 en imputant le montant correspondant à ce droit exclusivement sur la cotisation d'ISF due en 2012, et le cas échéant les années suivantes. Il en irait de même des redevables de l'ISF au titre de 2011 qui n'auront pas déposé une demande de restitution avant le 30 septembre 2011.

  • Allègement de l'ISF

1 - Modification du tarif de l'ISF

Le projet de loi propose de modifier le barème de l'ISF comme suit :

Valeur nette taxable du patrimoine Tarif applicable (%)
Egale ou supérieure à 1,3 millions d'euros et inférieure à 3 millions d'euros 0,25
Egale ou supérieure à 3 millions d'euros 0,50

Les pourcentages indiqués ci-dessus s'appliqueraient sur l'ensemble de la valeur nette taxable du patrimoine (i.e. à compter du premier euro).

Le montant de l'ISF calculé selon ce nouveau barème serait réduit à 1 500 euros pour les redevables dont le patrimoine net taxable est égal à 1,3 millions d'euros et de moitié pour les redevables dont le patrimoine net taxable est égal à 3 millions d'euros.

Afin de limiter l'effet de seuil, le montant de l'impôt serait par ailleurs réduit d'une somme calculée en appliquant, respectivement, les formules suivantes :

Valeur nette taxable du patrimoine (P) Réduction du montant de l'imposition
Egale ou inférieure à 1,3 millions d'euros et inférieure à 1,4 millions d'euros 24 500 euros - (7 x 0,25 % P)
Egale ou supérieure à 3 millions d'euros et inférieure à 3,2 millions d'euros 120 000 euros - (7,5 x 0,50 % P)

Au titre de l'ISF 2011, les redevables dont le patrimoine net taxable est supérieur ou égal à 1,3 millions d'euros seraient assujettis à l'impôt selon le barème voté en décembre 2010 (i.e. ancien barème). Les personnes dont le patrimoine net taxable est inférieur à 1,3 millions d'euros échapperaient ainsi à l'ISF dès 2011.

Le délai pour déposer la déclaration d'ISF 2011 et s'acquitter de l'impôt est reporté au 30 septembre 2011.

2 - Formalités déclaratives

A compter de l'ISF 2012, les personnes dont le patrimoine net taxable est inférieur à 3 millions d'euros seraient dispensées du dépôt d'une déclaration d'ISF au 15 juin. Leur obligation déclarative se limiterait à porter le montant de la valeur nette taxable de leur patrimoine sur la déclaration des revenus n° 2042. L'impôt serait mis en recouvrement par le Trésor public en même temps que l'impôt sur le revenu.

3 - Assouplissement des conditions d'exonération au titre du pacte "Dutreil"

En l'état actuel de la législation fiscale, la conclusion d'un engagement collectif, d'une durée minimale de deux ans, permet sous certaines conditions d'exonérer d'ISF les titres de sociétés à concurrence de 75 % de leur montant.

Le projet de loi prévoit de ne pas remettre en cause le bénéfice de cette exonération en cas de cession par un cosignataire de ses titres à un tiers, si les autres cosignataires conservent leurs titres jusqu'au terme de l'engagement et si les droits attachés à ces titres respectent le seuil requis de 20 ou 34 %, ou si le cessionnaire souscrit à l'engagement collectif de manière à ce que le pourcentage de droits demeure respecté et à la condition que l'engagement collectif soit alors reconduit pour une durée minimale de deux ans.

Par ailleurs, l'engagement collectif initial pourrait être ouvert à un nouvel associé sans que la signature d'un nouveau pacte soit nécessaire, à condition que l'engagement collectif soit reconduit pour une durée minimale de deux ans.

4 - Assouplissement des conditions d'exonération des biens professionnels

L'exonération d'ISF des biens professionnels ne porte, actuellement, que sur les biens nécessaires à l'exercice à titre principal d'une profession et, dans le cas des sociétés soumises à l'IS, sur les parts ou actions détenues dans une société où le contribuable exerce effectivement une fonction de direction. Ainsi, en cas d'exercice d'activités multiples, l'exonération est subordonnée au caractère soit similaire, soit connexe et complémentaire des différentes activités exercées.

Le projet de loi prévoit d'élargir l'exonération des biens professionnels à l'ensemble des participations détenues par le contribuable, dès lors que ce dernier respecte, pour chaque participation, les conditions requises par le CGI, étant précisé que les rémunérations tirées de l'exercice des fonctions de direction seraient globalisées pour apprécier si elles représentent plus de la moitié des revenus professionnels.

D'autre part, le seuil actuel de détention requis, soit 25 %, serait réduit, sous certaines conditions, à 12,5 %, lorsque la participation du redevable se trouve diluée du fait d'une augmentation du capital.

5 - Absence de prise en compte des créances détenues par des personnes non-résidentes pour la valorisation des parts de sociétés à prépondérance immobilière

Actuellement, les personnes non-résidentes peuvent être soumises à l'ISF en France sur la valeur des parts de sociétés à prépondérance immobilière qu'elles détiennent, à proportion du rapport entre la valeur des biens détenus en France par la société et l'actif totale de cette dernière. En revanche, les comptes courants des non-résidents sont exonérés d'ISF.

Ainsi, les non-résidents pouvaient, jusqu'à présent, échapper à l'ISF, en finançant une société à prépondérance immobilière dont ils détiennent les parts par le biais d'apports en compte courant.

Le projet de loi de finances prévoit d'exclure les dettes de compte courant pour la valorisation des parts des sociétés à prépondérance immobilière.

6 - Réduction d'ISF par personne à charge

Sur amendement des députés, la réduction d'ISF par personne à charge, actuellement égale à 150 euros, passerait à 300 euros.

  • Réforme des droits de succession et des droits de donation

1 - Augmentation des taux applicables aux deux dernières tranches d'imposition pour les transmissions à titre gratuit en ligne directe

Le projet de loi prévoit de porter de 35 à 40 % le taux applicable pour la fraction de la part nette taxable comprise entre 902 838 euros et 1 805 677 euros (bornes de la tranche en 2011), et de 40 à 45 % pour la fraction de la part nette taxable au-delà de 1 805 677 euros.

Cette disposition serait applicable aux successions ouvertes et aux donations consenties à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.

2 - Augmentation de 6 à 10 ans du délai de rappel des donations

Le projet de loi prévoit de revenir à un délai de rappel fiscal de 10 ans (délai applicable antérieurement à l'adoption de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 N° Lexbase : L6429HET).

Pour le calcul des droits de succession ou de donation postérieurement à l'entrée en vigueur du projet de loi de finances rectificative pour 2011, il conviendrait donc d'ajouter la valeur des biens ayant fait l'objet de donations ou de déclarations de succession au cours des dix années précédentes.

Ainsi, dans l'hypothèse de donations déjà consenties, postérieurement à juillet 2001 et antérieurement à juin 2005, les personnes intéressées peuvent avoir intérêt à procéder à une nouvelle libéralité avant l'entrée en vigueur du projet de loi en cours de discussion, afin de bénéficier encore du délai de rappel fiscal de six ans.

Afin de lisser l'impact de cette mesure, le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit qu'il serait fait application d'un abattement sur la valeur des donations passées dans les dix années précédant l'entrée en vigueur de la loi, à hauteur de :
- 20 % si la donation est passée depuis plus de six ans et moins de sept ans ;
- 40% si la donation est passée depuis sept ans et moins de huit ans ;
- 60 % si la donation est passée depuis huit ans et moins de neuf ans ;
- 80 % si la donation est passée depuis huit ans et moins de dix ans. En contrepartie de cet assouplissement, le droit de partage serait porté de 1,10 % à 2,20 %.

3 - Suppression des réductions de droits de donation liés à l'âge du donateur

L'actuel article 790 du CGI (N° Lexbase : L1922HNI) prévoit des réductions des droits de donation qui sont variables en fonction de l'âge du donataire et de la nature des droits transmis.

         Donateur âgé de moins de 70 ans Donateur âgé de 70 ans à moins de 80 ans
Donation de la pleine propriété 50 % 30 %
Donation de la nue-propriété 35 % 10 %

Le projet de loi de finances rectificative envisage de supprimer ces réductions de droit.

L'Assemblée nationale a toutefois maintenu une réduction de droits de 50 % en cas de donation en pleine propriété de titres de sociétés ou d'entreprise individuelle, lorsque le donateur est âgé de moins de 70 ans.

4 - Assouplissement des conditions de l'exonération de droits de mutation à titre gratuit au titre du pacte "Dutreil"

Les assouplissements prévus en matière d'ISF sont repris pour l'exonération de droits de mutation à titre gratuit afférents aux transmissions de parts ou actions de sociétés grevées d'un engagement collectif de conservation.

5 - Régime des dons manuels

Sur amendement des députés, le texte clarifie le régime fiscal des dons manuels en prévoyant que les droits doivent être acquittés dans le mois qui suit la réalisation de ce don ou, sur option du donataire, lors de la révélation du don, dans le délai d'un mois qui suit la date du décès du donateur.

Les droits doivent, par ailleurs, être acquittés dans le mois qui suit la date à laquelle ce don a été révélé, lorsque cette révélation est la conséquence d'une réponse à une demande de l'administration ou d'une procédure de contrôle fiscal.

Les droits sont calculés sur la valeur du don manuel au jour de sa déclaration ou sur sa valeur au jour de la donation si elle est supérieure ; le bail et les abattements applicables sont ceux en vigueur au jour de la déclaration du don manuel.

  • Imposition des non-résidents sur leur résidence secondaire

Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 prévoyait de créer une nouvelle taxe sur les résidences secondaires détenues en France par des personnes physiques non résidentes.

Le Gouvernement a cependant annoncé, le 20 juin dernier, renoncer à cette mesure.

  • Imposition des biens ou droits composant un trust à l'ISF et aux droits de mutation à titre gratuit

Dans un contexte législatif et jurisprudentiel qui appréhende, jusqu'à présent, mal les trusts, le projet de loi se propose de soumettre aux droits de succession les transmissions réalisées par l'intermédiaire d'un trust.

Dans l'hypothèse où les transmissions réalisées via le trust pourraient être qualifiées de donation ou de succession, celles-ci seraient soumises aux droits de mutation existants compte tenu du lien de parenté entre le constituant et le bénéficiaire. Seraient concernés par cette taxation les biens ou droits mis en trust, ainsi que les produits capitalisés.

Le projet de loi crée par ailleurs un nouveau cas d'application des droits de succession au décès du constituant, que les biens, droits ou produits capitalisés soient transmis au décès du constituant ou à une date postérieure :
- lorsqu'à la date du décès, la part d'un bénéficiaire est déterminée, celle-ci serait taxée aux droits de mutation par décès en fonction de son lien de parenté avec le constituant défunt ;
- dans le cas où la part revenant aux bénéficiaires ne peut pas être déterminée pour chacun d'entre eux à la date du décès, des droits de mutation seraient dus au décès du constituant au taux maximum applicable en ligne directe sur la part des biens, droits ou produits capitalisés qui a vocation à être transmise à des descendants du constituant, et au taux de 60 % sur les autres biens, droits et produits restant dans le trust. Dans ce cas, les droits de mutation seraient acquittés par le trustee.

Ces droits seraient dus, soit lorsque le défunt a son domicile fiscal en France, soit lorsque les biens mis en trust sont situés en France.

Le constituant et les bénéficiaires seraient, par ailleurs, soumis à un prélèvement de 0,50 % sur la valeur de l'ensemble des biens, droits ou produits capitalisés composant le trust. Ce prélèvement serait opéré par le trustee. Ce prélèvement ne serait, toutefois, pas applicable à raison des biens, droits ou produits capitalisés placés dans le trust, qui ont été inclus dans le patrimoine du constituant ou d'un bénéficiaire pour l'imposition à l'ISF. Il est à noter qu'un amendement présenté par le sénateur Philippe Marini propose de porter ce taux à 0,70 %.

Pour l'application de ces dispositions, il convient d'entendre par "constituant d'un trust", soit la personne physique qui l'a constitué, soit, lorsqu'il a été constitué par une personne physique agissant à titre professionnel ou par une personne morale, la personne physique qui y a placé des biens et droits.

  • "Exit tax"

Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 prévoit d'instaurer un dispositif visant à taxer à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux les plus-values latentes sur les valeurs mobilières et droits sociaux constatées avant le changement de résidence fiscale des personnes physiques. Est également concernée la créance de complément de prix qu'un contribuable peut détenir au jour de son départ.

Seraient visés les contribuables qui transfèrent hors de France leur domicile fiscal et qui détiennent, lors de ce transfert, avec les autres membres de leur foyer fiscal, une participation directe ou indirecte d'au moins 1 % dans le capital d'une société, ou une participation directe ou indirecte dans une société d'une valeur supérieure à 1,3 millions d'euros lors de ce transfert. Les plus-values latentes afférentes à ces participations seraient taxées lors du transfert hors de France. Il en irait de même des plus-values bénéficiant à cette date d'un report d'imposition.

Il est à noter que, par une fiction légale, et pour éviter les éventuelles contrariétés avec les dispositions conventionnelles, le transfert de résidence constitutif du fait générateur de l'"exit tax" serait réputé avoir lieu la veille du départ effectif.

Un sursis de paiement sans prise de garanties serait accordé en cas de transfert du domicile fiscal dans un Etat de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, ainsi qu'une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement. Dans les autres cas, le sursis de paiement ne s'appliquerait que sur présentation de garanties adéquates.

Le sursis de paiement, de droit ou sur option, prendrait fin lors de la cession, du rachat, du remboursement ou de l'annulation des titres ou lors de la donation de ces titres. Cependant, si le contribuable justifie que la donation n'avait pas pour seule fin d'éluder l'impôt, l'impôt sur la plus-value serait dégrevé.

L'impôt sur la plus-value latente ne serait plus exigible à l'expiration d'un délai de huit ans suivant le transfert du domicile fiscal hors de France. A noter, les prélèvements resteraient toutefois dus, tout en continuant à bénéficier du sursis de paiement.

Lorsqu'un contribuable transfère de nouveau son domicile fiscal en France sans avoir auparavant cédé ses titres, l'impôt calculé sur la plus-value d'échange ou de cession serait dégrevé ou restitué et le report d'imposition rétabli de plein droit.

L'impôt relatif à la plus-value latente lors du transfert de domicile serait diminué si la plus-value effectivement réalisée était inférieure à la plus-value constatée au moment du transfert du domicile fiscal hors de France ou effacé si une moins-value était constatée.

Afin d'éviter une double imposition, l'impôt éventuellement acquitté dans le pays de résidence serait imputable sur l'impôt dû en France, dans la limite de ce dernier et à proportion de la part d'assiette taxée en France.

L'"exit tax" s'appliquerait pour les transferts intervenus à compter du 3 mars 2011.

L'application de ce nouveau dispositif, au regard du droit communautaire et des conventions fiscales, suscite de nombreuses interrogations, qu'il reviendra aux juridictions compétentes de trancher.

  • Assurance-vie

Les mesures touchant les droits de succession pourraient inciter les contribuables à s'orienter davantage encore vers les contrats d'assurance-vie.

Pour limiter ce risque, l'Assemblée nationale a voté un amendement mettant fin à l'exonération des contrats souscrits par un résident fiscal étranger au moment de la souscription. Le prélèvement ci-dessus s'appliquerait dès lors que le bénéficiaire a son domicile fiscal en France au moment du décès et qu'il l'a eu pendant au moins six années au cours de dix années précédant le décès ou dès lors que l'assuré a, au moment du décès, son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY).

Par ailleurs, en cas de démembrement de la clause bénéficiaire, le nu-propriétaire et l'usufruitier seraient considérés, pour l'application du prélèvement prévu à l'article 990 I du CGI (N° Lexbase : L0534IHA), comme bénéficiaires au prorata de la part leur revenant dans les sommes, rentes ou valeurs versées par l'organisme d'assurance, déterminée selon le barème prévu à l'article 669 du CGI (N° Lexbase : L7730HLU). A l'heure actuelle, seul l'usufruitier est taxé sur la part lui revenant.

Enfin, le Sénat propose, sur amendement, de porter de 20 à 25 % le taux de taxation des sommes figurant sur un contrat d'assurance-vie en cas de décès (CGI, art. 990 I), lorsque l'assuré a effectué des versements avant l'âge de 70 ans.

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Santé

[Questions à...] L'indemnisation par la cour d'appel de Versailles d'une victime de la troisième génération du distilbène - Questions à Martine Verdier, avocat au barreau d'Orléans, SELARL Verdier & associés

Lecture: 4 min

N5794BSE

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 24 Juin 2011

Alors que l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité, le 14 juin 2011, un dispositif d'indemnisation pour les victimes du Mediator (article 22 du projet de loi rectificative pour 2011), plusieurs médicaments ont occupé le devant de la scène ces derniers jours. D'une part, l'Afssaps retirait du marché l'Actos et le Competact, deux antidiabétiques susceptibles d'être à l'origine de cancers de la vessie. D'autre part, la cour d'appel de Versailles reconnaissait, jeudi 9 juin 2011, l'indemnisation d'une victime de la troisième génération du distilbène, ce médicament interdit à la fin des années soixante-dix mais provoquant toujours des séquelles des décennies plus tard. Le diéthystilbestrol, ou DES, commercialisé principalement sous le nom de distilbène est une molécule qui a les effets d'une hormone sexuelle féminine sans y ressembler dans sa structure. Des millions de femmes y ont été exposées. Non pas qu'elles l'aient avalée, leurs mères l'ayant prise alors que, foetus, elles se développaient dans leur ventre. On estime qu'entre 1950 et 1976 en France, 160 000 femmes ont été traitées par DES pendant leur grossesse. On peut évaluer ainsi que 80 000 filles et 80 000 garçons âgés aujourd'hui de 25 à 50 ans ont été exposés au DES in utero, le pic de prescription de cette molécule se situant autour des années 1970. Il a été clairement établi à ce jour que l'exposition au DES in utero est susceptible de provoquer des atteintes de l'appareil génital chez la femme en particulier avec des anomalies structurelles et morphologiques et des conséquences sur la reproduction, des risques d'adénocarcinome à cellules claires du vagin (1 pour mille des patientes exposées au DES in utero) et du col de l'utérus. L'occasion a été donnée à de nombreuses reprises de présenter, au sein de Lexbase Hebdo, les différentes décisions de justice rendues en matière de Distilbène (1). La dernière en date est l'arrêt rendu le 9 juin 2011 par la cour d'appel de Versailles, condamnant le laboratoire UCB Pharma à verser 1,7 millions de dommages et intérêts à un enfant né grand prématuré, après avoir considéré que l'exposition au distilbène de sa mère était responsable, à travers les malformations dont elle était porteuse, de l'accouchement très prématuré qui lui-même expliquait de façon directe le handicap majeur dont il était atteint (CA Versailles, 3ème ch., 9 juin 2011, n° 09/04905 N° Lexbase : A4747HTY).

Pour aller plus loin sur cette décision, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Martine Verdier, avocate de la famille de la victime.

Lexbase : Sur quel fondement a été retenue la responsabilité du Laboratoire dans cette affaire ?

Martine Verdier : La responsabilité du laboratoire a été examinée par la cour d'appel de Versailles dans un cadre délictuel, en l'absence de tout lien contractuel de Mme C. et de son fils avec le laboratoire. La responsabilité délictuelle était recherchée dans la mesure où Mme C. se prévalait d'un préjudice résultant d'un manquement du laboratoire à ses obligations. C'est le non-respect de l'obligation générale de diligence et de vigilance imposée à un laboratoire pharmaceutique qui a été ici sanctionné.

La responsabilité du laboratoire UCB PHARMA est ainsi retenue en raison des fautes commises lors de la commercialisation du distilbène puisque dès 1938, des doutes portaient sur l'innocuité du produit, des inconvénients tumoraux à la suite de la prise d'oestrogènes ayant été mis en évidence, et que, à partir de 1953, l'efficacité du médicament était mise en cause.

Ainsi en maintenant la commercialisation du distilbène à l'époque de la grossesse de la mère de Mme C. sans avoir fait de réserve dans la notice de ce médicament et alors que plusieurs effets nocifs et tératogènes étaient connus, les juges ont estimé que le laboratoire avait manqué à son devoir de vigilance.

Lexbase : Peut-on considérer que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles reconnaît une "présomption de causalité" ?

Martine Verdier : Non, la cour d'appel de Versailles n'a pas retenu de présomption de causalité.

Au contraire, les juges ont indiqué que les demandeurs devaient établir le lien de causalité entre l'exposition in utero de Mme C. à la molécule DES du distilbène et les inconvénients subis par leur fils Louis, tout en précisant que "cette preuve peut résulter de la réunion de divers éléments et circonstances dès lors qu'ils ont un caractère grave, précis et sont concordants et que ce lien de causalité a un caractère suffisamment probable, la parfaite certitude n'étant jamais acquise en matière scientifique".

Ils ont déduit des documents présents au dossier, et notamment des constatations expertales relatives aux problèmes gynécologiques particuliers de Mme C. et à l'historique de sa grossesse terminée prématurément, que se trouvaient réunis "différents phénomènes caractéristiques d'une exposition à la molécule DES ; que leur présence à différents stades du processus menant à la naissance de Louis, constitue suffisamment des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir le rôle causal de l'exposition in utero au distilbène, dans la prématurité et ses conséquences dans l'état de Louis".

Cet arrêt constitue ainsi une étape décisive pour l'indemnisation des préjudices des petits-enfants du DES et pour leurs proches parents.

Lexbase : L'indemnisation est portée à 1,7 millions d'euros contre plus de 2 millions accordés par le TGI de Nanterre. Quels éléments n'ont pas été retenus par la cour ?

Martine Verdier : L'annonce d'une diminution de l'indemnisation globale du handicap de Louis n'est pas exacte.

La cour d'appel n'a pas ventilé les postes d'indemnisation de même manière et a, notamment, retenu une rente mensuelle pour le préjudice professionnel de Louis.

En revanche, la cour a diminué les postes relatifs aux réparations des préjudices moraux des parents de Louis, ce qui apparaît d'autant plus contestable que le préjudice de la souffrance endurée par les parents est celui d'une vie entière consacrée au handicap et que les indemnisations des premiers juges étaient conformes aux décisions rendues par d'autres cours dans des hypothèses de grand handicap proche de celui de Louis.

Lexbase : Où en est-on s'agissant de la reconnaissance d'un préjudice de troisième génération ?

Martine Verdier : Les préjudices de troisième génération sont à l'étude et des commissions de travail ont été créées au sein de l'AFFSAPS.


(1) Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, deux arrêts, n° 08-10.081, FS-P+B (N° Lexbase : A3172EL3) et n° 08-16.305, FS-P+B (N° Lexbase : A3172EL3), lire Anne-Laure Blouet-Patin, Affaire du "Distilbène" : la Cour de cassation inverse la charge de la preuve !, Lexbase Hebdo n° 371 du 12 novembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N3674BMZ).

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Prise d'acte de la rupture du contrat de travail : un régime équilibré

Réf. : Cass. soc., deux arrêts, 8 juin 2011, n° 09-43.208, FS-P+B (N° Lexbase : A4981HTN) et n° 09-71.306, F-D (N° Lexbase : A5032HTK)

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N5799BSL

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 24 Juin 2011

Pas à pas, arrêt après arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation continue d'affiner le régime juridique de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail qui reste, somme toute, un mode de rupture du contrat de travail encore jeune. Si les deux arrêts rendus par la Haute juridiction en la matière le 8 juin 2011 ne révolutionnent pas le régime juridique de la prise d'acte, ils ont cependant le double avantage de préciser ou de confirmer des règles qui restaient jusqu'ici peu assurées et, surtout, de systématiser ce régime sur la base d'un équilibre satisfaisant. L'analyse de ces deux décisions (II) sera ainsi l'occasion de revenir sur les éléments du régime juridique de la prise d'acte (I) pour montrer que celui-ci est en voie d'atteindre un point d'équilibre (III).
Résumé

Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-43.208, FS-P+B

La prise d'acte de la rupture du contrat qui n'est pas justifiée produit les effets d'une démission. Il en résulte que le salarié doit à l'employeur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis résultant de l'application de l'article L. 1237-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1389H9C).

Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-71.306, F-D

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Manque gravement à ses obligations l'employeur qui porte atteinte à l'intégrité physique ou morale de son salarié.

Commentaire

I - La construction du régime juridique de la prise d'acte

  • Notion de prise d'acte

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail, comme le rappelle invariablement la Cour de cassation, constitue un mode de rupture à l'initiative du salarié par lequel celui-ci tente d'imputer la responsabilité de la rupture à l'employeur en raison de faits qu'il lui reproche (1). Lorsque ces faits justifient la prise d'acte, la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, ce sont les effets d'une démission qui surviendront (2).

Au-delà de ces généralités, la Chambre sociale a tenté, ces dernières années, d'apporter quelques précisions aux conditions qui doivent être remplies pour que la prise d'acte soit justifiée, d'une part, à la transposition des régimes du licenciement ou de la démission, d'autre part.

  • Les conditions de la prise d'acte

La principale condition permettant de justifier la prise d'acte tient à la réalité bien sûr, mais aussi à la gravité des manquements reprochés à l'employeur.

S'agissant de la réalité des faits invoqués, ces conditions sont relativement claires. Ces faits peuvent être établis à partir de la lettre de prise d'acte adressée par le salarié à l'employeur, d'une lettre de démission "motivée" (3), voire en contestant rapidement une démission qui, pourtant, paraissait résulter d'une volonté claire et non équivoque (4). Le salarié aura la charge d'apporter la preuve de l'existence de ces manquements (5) mais, contrairement à ce qui se produit en matière de licenciement, le contenu de la lettre de prise d'acte ne fixera pas les limites du litige (6).

Les conditions sont, en revanche, nettement plus obscures s'agissant de la preuve de la gravité des manquements dont il est fait grief à l'employeur. Depuis 2005, la Chambre sociale exige qu'il s'agisse de "faits suffisamment graves" (7), faisant ainsi écho aux conditions de la résiliation judiciaire du contrat de travail (8). Alors que la notion de faits suffisamment graves demeurait très floue et, surtout, très casuistique, la Chambre sociale rendit deux décisions qui eurent pour effet d'accroître encore ces incertitudes.

Par un premier arrêt rendu en 2010, la Cour de cassation parut affirmer que seuls les manquements rendant impossible le maintien de la relation de travail pouvaient justifier une prise d'acte, ce qui semblait rapprocher sensiblement les "faits suffisamment graves" de la faute grave permettant, par exemple, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée (9). Toujours en 2010, la Chambre sociale sembla établir un lien d'automaticité entre manquement de l'employeur en matière de rémunération et "faits suffisamment graves", ce qui laissait supposer qu'il existait en quelque sorte des manquements qui, par leur nature même, revêtaient toujours une gravité suffisante (10).

Si les arrêts sous examen reviennent sur ces questions de justification de la prise d'acte, ils s'intéressent également aux effets de la prise d'acte.

  • Les effets de la prise d'acte

Cela n'est désormais plus contesté, la prise d'acte de la rupture produit une rupture immédiate et irréversible du contrat de travail à la date à laquelle la volonté du salarié est exprimée (11). Pour le reste, nous l'avons dit, elle produit soit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, soit ceux d'une démission.

La question du respect d'un préavis dans le cadre de la prise d'acte a cependant fait débat. Elle a suscité des interrogations, d'abord, dans l'hypothèse d'un salarié qui prend acte de la rupture de son contrat tout en s'astreignant à un délai de préavis. Pouvait-on, dans ce cas de figure, considérer que les manquements de l'employeur étaient suffisamment graves alors même que le salarié avait pu supporter quelques semaines supplémentaires à son service ? La Chambre sociale considéra que le respect par le salarié de tout ou partie du préavis auquel il est astreint en cas de démission ne pouvait caractériser d'absence de gravité des manquements du salarié (12). Cette solution discréditait le rapprochement tenté entre faute grave et faits d'une suffisante gravité. Surtout, cette décision était en parfaite harmonie avec la solution apportée à une autre question relative au préavis.

En effet, lorsque la rupture produit les effets d'une démission, peut-on reprocher au salarié de ne pas avoir effectué de préavis ? Depuis 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation répond à cette question par l'affirmative, le salarié peut être tenu de verser à l'employeur une indemnité compensatrice de préavis lorsque la prise d'acte n'était pas justifiée (13). Partant, il était indispensable que le salarié puisse respecter un délai de préavis pour ne pas avoir à assumer une telle indemnité mais que, dans le même temps, il ne perde pas la possibilité de démontrer la suffisante gravité des manquements de l'employeur.

C'est l'ensemble de ces questions relatives tant aux conditions qu'aux effets de la prise d'acte qui est repris et, parfois, précisé par les deux arrêts commentés.

II - La confirmation du régime juridique de la prise d'acte

  • Première espèce

Dans la première affaire (n° 09-43.208), un commercial d'une société de téléphonie mobile avait pris acte de la rupture de son contrat de travail en reprochant à l'employeur le non-paiement d'heures supplémentaires. Saisie de l'affaire, la cour d'appel de Versailles le débouta de ses demandes et le condamna, au surplus, à payer à l'employeur une indemnité correspondant au préavis qui n'avait pas été effectué. Le salarié forma pourvoi en cassation.

Par un premier moyen, le salarié contesta le raisonnement des juges d'appel qui refusaient de caractériser des manquements de l'employeur sur la base d'un simple relevé d'horaires effectué par le salarié, relevé contesté par l'employeur et qui n'était pas corroboré par quelque autre élément extérieur. La Chambre sociale rejette le pourvoi en estimant que l'analyse des éléments de preuve effectuée par la cour d'appel dans "son pouvoir souverain d'appréciation" n'était pas critiquable. Concernant la prise d'acte de la rupture, on retiendra surtout que la Cour de cassation maintient implicitement la charge de la preuve de l'existence des manquements et de leur gravité sur les épaules du salarié et confirme ainsi que ce n'est qu'à titre tout à fait exceptionnel que cette charge peut être attribuée à l'employeur (14).

Sur le troisième moyen, relatif à l'indemnité compensatrice de préavis, la Chambre sociale rejette encore le pourvoi par une formule plus ciselée aux termes de laquelle "la prise d'acte de la rupture du contrat qui n'est pas justifiée produit les effets d'une démission ; qu'il en résulte que le salarié doit à l'employeur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis résultant de l'application de l'article L. 1237-1 du Code du travail". Là encore, cette solution ne semble que confirmer celle déjà avancée en 2008 (15), la publication de l'arrêt présenté et la formulation adoptée ayant cependant pour effet de rendre la solution mieux assurée.

  • Seconde espèce

Dans la seconde affaire, un architecte promu chef de projet avait eu une altercation avec un cadre dirigeant de la société, altercation à la suite de laquelle il avait été placé en arrêt maladie pendant plusieurs mois. Le conflit paraissait avoir été assez violent puisque le dirigeant avait proféré des propos grossiers et avait bousculé le salarié, cela provoquant un "choc psychologique intense". Le salarié prit acte de la rupture de son contrat de travail.

La cour d'appel de Versailles jugea que la prise d'acte n'était pas justifiée par des manquements suffisamment graves de l'employeur. En effet, le cadre dirigeant qui avait violenté le salarié n'étant pas lui-même salarié de l'entreprise, les juges du fond estimaient qu'il ne pouvait être fait grief à l'employeur de ne pas l'avoir sanctionné pour son comportement. Ils relevaient également que l'employeur n'avait jamais minimisé le rôle préjudiciable du comportement du cadre et qu'au contraire il avait tout mis en oeuvre pour que le salarié puisse reprendre rapidement sa place dans l'entreprise. Cette solution avait cependant de quoi étonner compte tenu du renforcement actuel des règles en matière de santé des travailleurs (16).

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR) et L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC) du Code du travail. Par un chapeau de tête qui, comme toujours, renforce la solennité de la décision (17), la Chambre sociale dispose que "manque gravement à ses obligations l'employeur qui porte atteinte à l'intégrité physique ou morale de son salarié". Il ressort de cette argumentation, au moins de manière implicite, que l'atteinte à la santé physique ou mentale du salarié devrait à l'avenir toujours constituer un manquement grave de l'employeur à ses obligations. A dire vrai, cela ne surprend guère puisque les agissements de l'employeur qui, d'une manière générale, constituent une inexécution de son obligation de sécurité de résultat, ont toujours ou presque permis de justifier une prise d'acte de la rupture. Pour autant, la règle n'avait jamais été affirmée avec une telle clarté.

Somme toute, si les deux arrêts sous examen ne révolutionnent pas le régime de la prise d'acte, ils ont tout de même le mérite de confirmer et de mettre en perspective des règles qui se complètent harmonieusement.

III - L'équilibre du régime juridique de la prise d'acte

D'une part, le salarié est tenu au paiement d'une indemnité de préavis lorsque la rupture produit les effets d'une démission. D'autre part, constitue un manquement suffisamment grave de l'employeur l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale du salarié. Mis côte à côte, ces deux règles paraissent n'avoir en commun que d'appartenir au régime juridique de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail.

Il est pourtant probable qu'en réalité, la Chambre sociale se livre ici à un habile exercice d'équilibriste qui, à terme, devrait stabiliser le régime de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail (18). C'est, en effet, la seconde fois que la Chambre sociale affirme avec force qu'un comportement précis de l'employeur constitue, d'une manière qui semble automatique, un manquement suffisamment grave de l'employeur à ses obligations (19). Après la modification unilatérale de la rémunération vient l'atteinte à la santé et la sécurité du salarié. On peut espérer que la liste des manquements qui justifient nécessairement une prise d'acte soit, sinon allongée, du moins clarifiée afin que les salariés et leurs conseils connaissent précisément les cas dans lesquels la prise d'acte est une arme efficace. Ces précisions sont d'autant plus importantes que la prise d'acte est risquée et, comme en témoigne le premier arrêt, l'est même de plus en plus.

En effet, outre que le salarié ne percevra ni indemnité de rupture, ni prestations chômage, il pourra à coup sûr être condamné à indemniser l'employeur en raison de l'inexécution du préavis. Les conséquences pour le salarié d'une prise d'acte injustifiée sont donc aggravées, rendant un peu plus encore nécessaire de savoir avec certitude dans quels cas la rupture sera justifiée, dans quels cas elle ne le sera pas. Ce dernier effet reste cependant aménageable puisqu'il restera loisible au salarié souhaitant minimiser ces risques de respecter quoiqu'il en soit le délai de préavis. Peu à peu, le régime juridique de la prise d'acte s'équilibre ce dont on ne peut que se féliciter.


(1) Pour une étude complète des dernières évolutions de la notion de prise d'acte de la rupture du contrat de travail, v. F. Géa, La prise d'acte de la rupture. Dynamiques d'une construction jurisprudentielle, RJS, août-septembre 2010, p. 559.
(2) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y) et v. les obs. de Ch. Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8027AAK).
(3) Dans ce cas, la volonté de démissionner n'est pas claire et non équivoque si bien que la démission peut être requalifié en prise d'acte de la rupture du contrat de travail. V. par ex. Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-45.546, FS-P+B (N° Lexbase : A8034DNU).
(4) Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315 (N° Lexbase : A0908DWK), n° 05-40.518 (N° Lexbase : A0909DWL), n° 05-41.324 (N° Lexbase : A0910DWM) et n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8) et les obs. de Ch. Radé, Clarifications (?) sur la distinction entre prise d'acte et démission, Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0691BB9) ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème édition, 2008, n° 88 ; RJS, juillet 2007, p. 591, note J. Pélissier ; RDT, 2007, p. 452, note G. Auzero.
(5) Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-44.754, F-P (N° Lexbase : A1364D3W). Ces règles probatoires peuvent cependant être perturbées par d'autres techniques qui interfèrent avec la prise d'acte, comme c'est le cas notamment s'agissant d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat. V. Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-70.838, FS-P+B (N° Lexbase : A9810GPZ) et nos obs., Prise d'acte, obligation de sécurité et charge de la preuve, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1679BRM).
(6) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-42.804, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8388DII) et les obs. de Ch. Radé, La lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ne fixe pas les limites du litige prud'homal, Lexbase Hebdo n° 175 du 7 juillet 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6328AI9).
(7) Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0755DG3) ; Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DGW) et les obs. de Ch. Radé, Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4456ABN).
(8) Par ex., Cass. soc. 1er juillet 2009, n° 07-44.198, F-D (N° Lexbase : A5741EIH) ; RJS, octobre 2009, n° 789. On retrouve une terminologie proche ("faits d'une suffisante gravité") dans le contentieux administratif à propos des fautes du salarié protégé qui justifient qu'une autorisation de licenciement soit délivrée par l'inspecteur du travail, v. CE, 5 mai 1975, SAFER d'Auvergne, Les grands arrêts du droit du travail, préc., p. 690.
(9) Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-44.236, FS-P+B (N° Lexbase : A4043EUB) et les obs. de Ch. Radé, Prise d'acte : la Cour de cassation plus stricte ?, Lexbase Hebdo n° 391 du 15 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7424BNB).
(10) Cass. soc., 5 mai 2010, n° 07-45.409, FS-P+B (N° Lexbase : A0659EXP) et les obs. de G. Auzero, La modification unilatérale de la rémunération du salarié justifie nécessairement la prise d'acte de la rupture, Lexbase Hebdo n° 395 du 20 mai 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1871BPY) ; RDT, 2010, p. 435, nos obs..
(11) Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 05-42.158, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0483DSP) et les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5061ALZ).
(12) Cass. soc., 2 juin 2010, n° 09-40.215, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2231EYB) et nos obs., La prise d'acte et le préavis, Lexbase Hebdo n° 399 du 17 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4161BPS).
(13) Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 07-42.299, F-D (N° Lexbase : A7100D9T). Il en va de même, à l'inverse, lorsque la prise d'acte est justifiée auquel cas l'employeur doit servir au salarié une indemnité de préavis, v. Cass. soc., 20 janvier 2010, 2 arrêts, n° 08-43.471, FS-P+B (N° Lexbase : A4709EQH) et n° 08-43.476, FS-P+B (N° Lexbase : A4710EQI) et les obs. de Ch. Radé, La prise d'acte justifiée ouvre droit à l'indemnité de préavis et de congés payés afférente, Lexbase Hebdo n° 381 du 4 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1526BNT).
(14) Cf. supra, note n° 5.
(15) Cass. soc., 2 juillet 2008, préc..
(16) Sur le plan jurisprudentiel, v. les arrêts fondamentaux rendus le 3 février 2010, Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et v. nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN). Du côté des partenaires sociaux, v. l'ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail, et les obs. de Ch. Willmann, L'ANI sur le harcèlement et la violence au travail du 26 mars 2010, Lexbase Hebdo n° 409 du 23 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0959BQL).
(17) La simple diffusion de l'arrêt laisse cependant perplexe et contraste fortement avec l'usage de ce chapeau dont l'usage est souvent considéré comme la marque des arrêts importants...
(18) La Chambre sociale est habituée à un tel exercice de renforcement d'un élément de régime compensé par l'affaiblissement d'un autre. On en trouve ainsi une belle illustration dans la jurisprudence du début des années 1990 au sujet du droit de grève et de l'appréciation de la faute lourde du salarié, v. Ch. Radé, Droit du travail et responsabilité civile, LGDJ, Bibl. droit privé, 1997, n° 401.
(19) En matière de rémunération, cf. supra note n° 10.

Décision

Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-43.208, FS-P+B (N° Lexbase : A4981HTN)

Rejet, CA Versailles, 6ème ch., 8 septembre 2009, n° 09/00142 (N° Lexbase : A9527G4M)

Textes cités : C. trav., art. L. 1237-1 (N° Lexbase : L1389H9C)

Mots-clés : prise d'acte de la rupture du contrat de travail, rupture produisant les effets d'une démission, préavis

Liens Base : (N° Lexbase : E9680ESC)

Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-71.306, F-D (N° Lexbase : A5032HTK)

Cassation partielle, CA Versailles, 5ème ch., 24 septembre 2009, n° 08/02487 (N° Lexbase : A9674G43)

Textes visés : C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR) et art. L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC)

Mots-clés : prise d'acte de la rupture du contrat de travail, manquements de l'employeur, faits d'une suffisante gravité, atteintes à l'intégrité physique ou mentale

Liens Base : (N° Lexbase : E9677ES9)

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Santé

[Questions à...] L'indemnisation par la cour d'appel de Versailles d'une victime de la troisième génération du distilbène - Questions à Martine Verdier, avocat au barreau d'Orléans, SELARL Verdier & associés

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 24 Juin 2011

Alors que l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité, le 14 juin 2011, un dispositif d'indemnisation pour les victimes du Mediator (article 22 du projet de loi rectificative pour 2011), plusieurs médicaments ont occupé le devant de la scène ces derniers jours. D'une part, l'Afssaps retirait du marché l'Actos et le Competact, deux antidiabétiques susceptibles d'être à l'origine de cancers de la vessie. D'autre part, la cour d'appel de Versailles reconnaissait, jeudi 9 juin 2011, l'indemnisation d'une victime de la troisième génération du distilbène, ce médicament interdit à la fin des années soixante-dix mais provoquant toujours des séquelles des décennies plus tard. Le diéthystilbestrol, ou DES, commercialisé principalement sous le nom de distilbène est une molécule qui a les effets d'une hormone sexuelle féminine sans y ressembler dans sa structure. Des millions de femmes y ont été exposées. Non pas qu'elles l'aient avalée, leurs mères l'ayant prise alors que, foetus, elles se développaient dans leur ventre. On estime qu'entre 1950 et 1976 en France, 160 000 femmes ont été traitées par DES pendant leur grossesse. On peut évaluer ainsi que 80 000 filles et 80 000 garçons âgés aujourd'hui de 25 à 50 ans ont été exposés au DES in utero, le pic de prescription de cette molécule se situant autour des années 1970. Il a été clairement établi à ce jour que l'exposition au DES in utero est susceptible de provoquer des atteintes de l'appareil génital chez la femme en particulier avec des anomalies structurelles et morphologiques et des conséquences sur la reproduction, des risques d'adénocarcinome à cellules claires du vagin (1 pour mille des patientes exposées au DES in utero) et du col de l'utérus. L'occasion a été donnée à de nombreuses reprises de présenter, au sein de Lexbase Hebdo, les différentes décisions de justice rendues en matière de Distilbène (1). La dernière en date est l'arrêt rendu le 9 juin 2011 par la cour d'appel de Versailles, condamnant le laboratoire UCB Pharma à verser 1,7 millions de dommages et intérêts à un enfant né grand prématuré, après avoir considéré que l'exposition au distilbène de sa mère était responsable, à travers les malformations dont elle était porteuse, de l'accouchement très prématuré qui lui-même expliquait de façon directe le handicap majeur dont il était atteint (CA Versailles, 3ème ch., 9 juin 2011, n° 09/04905 N° Lexbase : A4747HTY).

Pour aller plus loin sur cette décision, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Martine Verdier, avocate de la famille de la victime.

Lexbase : Sur quel fondement a été retenue la responsabilité du Laboratoire dans cette affaire ?

Martine Verdier : La responsabilité du laboratoire a été examinée par la cour d'appel de Versailles dans un cadre délictuel, en l'absence de tout lien contractuel de Mme C. et de son fils avec le laboratoire. La responsabilité délictuelle était recherchée dans la mesure où Mme C. se prévalait d'un préjudice résultant d'un manquement du laboratoire à ses obligations. C'est le non-respect de l'obligation générale de diligence et de vigilance imposée à un laboratoire pharmaceutique qui a été ici sanctionné.

La responsabilité du laboratoire UCB PHARMA est ainsi retenue en raison des fautes commises lors de la commercialisation du distilbène puisque dès 1938, des doutes portaient sur l'innocuité du produit, des inconvénients tumoraux à la suite de la prise d'oestrogènes ayant été mis en évidence, et que, à partir de 1953, l'efficacité du médicament était mise en cause.

Ainsi en maintenant la commercialisation du distilbène à l'époque de la grossesse de la mère de Mme C. sans avoir fait de réserve dans la notice de ce médicament et alors que plusieurs effets nocifs et tératogènes étaient connus, les juges ont estimé que le laboratoire avait manqué à son devoir de vigilance.

Lexbase : Peut-on considérer que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles reconnaît une "présomption de causalité" ?

Martine Verdier : Non, la cour d'appel de Versailles n'a pas retenu de présomption de causalité.

Au contraire, les juges ont indiqué que les demandeurs devaient établir le lien de causalité entre l'exposition in utero de Mme C. à la molécule DES du distilbène et les inconvénients subis par leur fils Louis, tout en précisant que "cette preuve peut résulter de la réunion de divers éléments et circonstances dès lors qu'ils ont un caractère grave, précis et sont concordants et que ce lien de causalité a un caractère suffisamment probable, la parfaite certitude n'étant jamais acquise en matière scientifique".

Ils ont déduit des documents présents au dossier, et notamment des constatations expertales relatives aux problèmes gynécologiques particuliers de Mme C. et à l'historique de sa grossesse terminée prématurément, que se trouvaient réunis "différents phénomènes caractéristiques d'une exposition à la molécule DES ; que leur présence à différents stades du processus menant à la naissance de Louis, constitue suffisamment des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir le rôle causal de l'exposition in utero au distilbène, dans la prématurité et ses conséquences dans l'état de Louis".

Cet arrêt constitue ainsi une étape décisive pour l'indemnisation des préjudices des petits-enfants du DES et pour leurs proches parents.

Lexbase : L'indemnisation est portée à 1,7 millions d'euros contre plus de 2 millions accordés par le TGI de Nanterre. Quels éléments n'ont pas été retenus par la cour ?

Martine Verdier : L'annonce d'une diminution de l'indemnisation globale du handicap de Louis n'est pas exacte.

La cour d'appel n'a pas ventilé les postes d'indemnisation de même manière et a, notamment, retenu une rente mensuelle pour le préjudice professionnel de Louis.

En revanche, la cour a diminué les postes relatifs aux réparations des préjudices moraux des parents de Louis, ce qui apparaît d'autant plus contestable que le préjudice de la souffrance endurée par les parents est celui d'une vie entière consacrée au handicap et que les indemnisations des premiers juges étaient conformes aux décisions rendues par d'autres cours dans des hypothèses de grand handicap proche de celui de Louis.

Lexbase : Où en est-on s'agissant de la reconnaissance d'un préjudice de troisième génération ?

Martine Verdier : Les préjudices de troisième génération sont à l'étude et des commissions de travail ont été créées au sein de l'AFFSAPS.


(1) Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, deux arrêts, n° 08-10.081, FS-P+B (N° Lexbase : A3172EL3) et n° 08-16.305, FS-P+B (N° Lexbase : A3172EL3), lire Anne-Laure Blouet-Patin, Affaire du "Distilbène" : la Cour de cassation inverse la charge de la preuve !, Lexbase Hebdo n° 371 du 12 novembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N3674BMZ).

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Urbanisme

[Questions à...] Le nouveau champ d'application de l'étude de sécurité publique - Questions à Jean-Joseph Giudicelli - avocat senior au sein du cabinet AdDen avocats

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N5757BSZ

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 24 Juin 2011

Le décret n° 2011-324 du 24 mars 2011, relatif aux études de sécurité publique (N° Lexbase : L8825IPK), entré en vigueur le 1er juin 2011 (sauf dans les cas particuliers prévus au II et III de son article 4), vise à étendre le champ d'application des études de sécurité prévues par l'article L. 111-3-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9194HWG). Les études de sécurité publique ont, notamment, pour objet d'apprécier les conséquences de ses opérations sur la protection des personnes et des biens, avant le commencement des travaux. Il abaisse, également, de 100 000 à 70 000 m² le seuil de la surface hors oeuvre nette (SHON) retenue pour soumettre les opérations d'aménagement à étude de sécurité. En outre, les études de sécurité publique viseront, dorénavant explicitement les extensions d'un établissement recevant du public (ERP). Pour faire le point sur les apports de ce décret, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Jean-Joseph Giudicelli, avocat senior au sein du cabinet AdDen avocats. Lexbase : Tout d'abord, pouvez-vous nous rappeler l'objectif assigné aux études de sécurité publique ?

Jean-Joseph Giudicelli : L'objectif de ce dispositif est de faire en sorte que la prévention de la malveillance dans l'urbanisme et la construction soit prise en compte par les maîtres d'ouvrage au même titre que le développement durable, les qualités environnementales, urbaines et sociales. Par malveillance, l'on entend les incivilités, le vandalisme, la délinquance ou la criminalité, mais aussi le risque terroriste (1). Bien évidemment, cette prise en compte sera protéiforme en fonction de l'opération et de son contexte géographique, urbanistique, social...

Les enjeux de sécurité publique sont, ainsi, différents si l'opération est située dans un quartier sensible ou si elle est implantée dans une zone touristique. Dans le même sens, l'implantation d'un collège ne pose pas les mêmes questions en matière de sécurité publique que celle d'un centre commercial. L'intérêt de l'étude est donc d'étudier les interactions entre le projet et son environnement en matière de sécurité publique (risques induits par le projet et risques pesant sur celui-ci), puis d'envisager les mesures permettant d'y faire face.

Par ailleurs, le fait de s'interroger en amont de la réalisation d'un projet, notamment, sur la nécessité de mettre en place des équipements de sécurité (l'on pense, par exemple, à la vidéoprotection), permet d'intégrer ces équipements plus efficacement, mais aussi plus harmonieusement à celui-ci. Dans ce cadre, l'étude de sécurité publique doit permettre d'engager, préalablement à la réalisation des travaux, un dialogue sur ces différents points entre le maître d'ouvrage et l'administration par le biais, notamment, de la consultation de la sous-commission départementale pour la sécurité publique créée au sein de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité.

Lexbase : Le décret du 24 mars 2011 étend le champ d'application de la procédure d'étude de sécurité publique. Quels changements cela implique-t-il ?

Jean-Joseph Giudicelli : Je dirai que le nouveau champ d'application de l'étude de sécurité publique est à la fois plus large et plus précis. Il est plus large, tout d'abord, parce qu'il concerne de nouveaux types d'opérations. Fait, ainsi, son apparition l'hypothèse où, dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, une opération de construction a pour effet de créer au moins 70 000 m² de SHON. Sont, également, nouvellement concernés par l'obligation de réalisation d'une étude de sécurité publique, les projets de rénovation urbaine comportant la démolition d'au moins 500 logements et qui sont désignés par arrêté préfectoral du fait de leurs incidences en matière de sécurité publique (l'on peut imaginer que cette nouvelle disposition vise, notamment, les destructions de "tours" d'habitation dans les quartiers sensibles).

Il est, également, plus étendu en ce qu'il concerne, plus largement qu'auparavant, les opérations d'aménagement. Lorsqu'elles sont situées dans une agglomération de plus de 100 000 habitants, celles-ci sont, désormais, soumises à étude de sécurité publique dès qu'elles ont pour effet de créer ("en une ou plusieurs phases" précise le texte) plus de 70 000 m² de SHON alors que, dans l'ancienne version de l'article R. 111-48 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8842IP8), ce seuil était fixé à 100 000 m² de SHON. Il en va de même des ERP qui n'étaient auparavant soumis à cette étude, par principe, que s'ils faisaient partie de la première catégorie et se trouvaient dans une agglomération de plus 100 000 habitants (2) et qui sont, désormais, obligatoirement concernés au titre de la deuxième catégorie, voire, pour certains établissements, de la troisième catégorie et en dehors des agglomérations de plus de 100 000 habitants (3).

L'on note, également, une nette amélioration de la précision de la rédaction de l'article R. 111-48 du Code de l'urbanisme, dont l'ancienne rédaction, qui avait, certes, l'avantage d'une certaine simplicité, laissait, cependant, subsister quelques points sujets à interprétation. A cet égard, c'est certainement la question des travaux sur des établissements recevant du public existant qui posait le problème le plus sérieux en pratique. L'ancienne version de l'article R. 111-48 faisait, ainsi, référence à la "création d'un établissement recevant du public de première catégorie".

Des décisions du juge administratif, intervenues à propos de dispositions analogues (4), invitaient alors à une lecture littérale de ce texte en considérant que l'utilisation du terme "création" visait uniquement l'hypothèse de la constitution d'un nouvel établissement et ne concernait donc pas l'extension d'un ERP existant. Mais que fallait-il alors penser des cas où, par exemple, un projet d'extension d'un centre commercial avait pour effet de transformer un ERP de deuxième catégorie (ou inférieure) en ERP de première catégorie ou, encore, si le projet d'extension du centre comportait en son sein la création d'un ERP de première catégorie autonome...

La nouvelle rédaction tente opportunément de clarifier ces différents points en ajoutant aux cas de "création" d'ERP soumis à étude de sécurité publique les hypothèses de "travaux et aménagements soumis à permis de construire exécutés sur un établissement recevant du public existant de première ou de deuxième catégorie ayant pour effet soit d'augmenter de plus de 10 % l'emprise au sol, soit de modifier les accès sur la voie publique". L'on peut, cependant, s'interroger sur la pertinence de l'utilisation de certaines expressions... A quoi correspondent, ainsi, ces "aménagements" qui seraient soumis à permis de construire, alors que le champ d'application du permis de construire ne concerne que les constructions et les travaux ...

Il faut, en tout cas, noter qu'il s'agit là d'une extension très importante des travaux qui seront, désormais, soumis à l'obligation de réalisation d'une étude de sécurité publique en espérant que le surcroît d'activité généré n'aura pas pour effet de nuire à l'efficacité du contrôle qui sera effectué par la sous-commission pour la sécurité publique sur la qualité de ces études. Précisons, toutefois, que, contrairement à ce que pourrait laisser penser à première vue cette disposition, la seule modification des accès sur la voie publique ne devrait impliquer que rarement la réalisation d'une étude de sécurité publique, dès lors qu'en principe ce type de travaux n'est pas soumis à permis de construire (le plus souvent, le projet ne sera, ainsi, soumis à étude de sécurité publique que si la modification des accès sur la voie publique se trouve intégrée à un projet de construction plus important).

Lexbase : Le décret modifie également le contenu de ce document. Quelle en sera dorénavant la teneur ?

Jean-Joseph Giudicelli : Effectivement, le contenu de l'étude de sécurité publique est modifié corrélativement à l'extension du champ d'application de cette étude. Il faut rappeler, à cet égard, que l'étude de sécurité publique comporte trois parties : le diagnostic qui porte, en principe, sur "le contexte social et urbain", ainsi que sur "l'interaction entre le projet et son environnement immédiat", l'analyse des risques du projet, et les mesures envisagées pour y faire face.

Or, dès lors que le champ d'application de l'étude de sécurité publique est désormais étendu à certaine extension ou modification des ERP existants, il était logique d'en adapter le contenu dans ce cas particulier. C'est pourquoi, la nouvelle version de l'article R. 111-49 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4031IQD) précise in fine que, dans cette hypothèse, la partie diagnostic de l'étude porte uniquement sur "l'interaction entre le projet et son environnement immédiat". De plus et surtout, le nouveau texte ajoute que, "si une étude a été réalisée depuis moins de quatre ans pour le même établissement", la nouvelle étude ne concerne alors que "la partie de l'établissement donnant lieu à la modification de plus de 10 % de l'emprise au sol ou modifiant l'accès sur la voie publique".

Dans cette mesure, l'on peut ainsi dire que le contenu de l'étude de sécurité est désormais à géométrie variable, et l'on ne peut que s'en réjouir. En effet, il ne serait pas raisonnable et, d'ailleurs, inutile de demander à un maître d'ouvrage de refaire une étude de sécurité publique complète chaque fois qu'il entend modifier un peu substantiellement son établissement. Notons, enfin, que le nouveau texte précise, par ailleurs, expressément que l'étude de sécurité doit se prononcer sur "l'opportunité d'installer ou non un système de vidéoprotection".

Lexbase : Enfin, quelles sont les opérations auxquelles les dispositions des articles R. 111-48 et R. 111-49 du Code de l'urbanisme résultant du décret demeurent inapplicables ?

Jean-Joseph Giudicelli : Comme nous l'avons vu, le champ d'application de l'étude de sécurité publique est largement étendu dans le cadre de la nouvelle rédaction de l'article R. 111-48 du Code de l'urbanisme issue du décret du 24 mars 2011. Force est, cependant, de constater qu'il continue de concerner uniquement soit des opérations d'aménagement ou de constructions très importantes (le seuil de 70 000 m² de SHON reste très élevé, de sorte que seules des opérations de grande envergure se trouvent concernées), soit des opérations considérées comme sensibles du point de vue de la sécurité publique (ERP et, en particulier, les établissements d'enseignement et les gares). Il en résulte, notamment, que les programmes d'habitation et de bureaux (qui ne constituent pas en principe des ERP) sont exclus du champ d'application de cette disposition dès lors qu'ils n'atteignent pas le seuil de 70 000 m².

Ce point ne nous paraît pas choquant dès lors que, comme nous l'avons déjà indiqué, une définition trop large du champ d'application de l'étude de sécurité publique serait de nature à empêcher l'administration de se concentrer sur les opérations pour lesquelles les enjeux sont réellement importants. Il convient, d'ailleurs, de préciser sur ce point que l'ensemble des programmes de logements et de bureaux qui sont aujourd'hui réalisés à l'intérieur d'opérations d'aménagement plus larges sont, également, d'une certaine manière, indirectement soumis à la procédure d'étude de sécurité publique par ce biais.


(1) Circulaire INT/CAB, n° 07/00103 du 1er octobre 2007 (N° Lexbase : L7111HYZ), relative à l'application de l'article L. 111-3-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9194HWG).
(2) Les ERP de première catégorie sont ceux dont l'effectif du public reçu est supérieur à 1 500 personnes.
(3) La nouvelle rédaction de l'article R. 111-48 prévoit, par principe, que les "établissements d'enseignement du second degré" sont soumis à la réalisation d'une étude de sécurité de publique jusqu'à la troisième catégorie sur l'ensemble du territoire national, de même que les "gares ferroviaire, routière, ou maritime" de première et deuxième catégorie. Les ERP de deuxième et de troisième catégorie sont ceux dont l'effectif du public reçu est respectivement compris entre 701 et 1 500 personnes et 301 et 700 personnes.
(4) Le juge administratif a, ainsi, considéré dans la matière de l'urbanisme commercial qu'un texte visant les seules créations n'est pas applicable en cas de simple modification (CE 4° et 5° s-s., 5 avril 2006, n° 269883, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9460DNP).

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