La lettre juridique n°735 du 22 mars 2018

La lettre juridique - Édition n°735

Aide juridictionnelle

[Brèves] Modalités de mise en oeuvre de l'interruption du délai de prescription par la demande d'aide juridictionnelle : compétence du pouvoir réglementaire

Réf. : CE 6° et 5° ch.-r., 14 mars 2018, n° 415956, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9097XGZ)

Lecture: 1 min

N3214BXC

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par Aziber Seïd Algadi

Le 23 Mars 2018


Une demande d'aide juridictionnelle, formée en vue de saisir une juridiction, a le caractère d'une demande en justice au sens de l'article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9), ayant pour effet d'interrompre le délai de prescription du droit revendiqué par le demandeur. Dès lors, l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE), en tant qu'il confère aux demandes d'aide juridictionnelle un caractère interruptif des délais de prescription, se borne à préciser les modalités de mise en oeuvre de l'interruption du délai de prescription qui découle de la loi. Par conséquent, il n'a pas été pris en méconnaissance du champ de compétence que l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) réserve au législateur. Telle est la solution retenue par un arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 14 mars 2018 (CE 6° et 5° ch.-r., 14 mars 2018, n° 415956, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9097XGZ)

En l'espèce, Mme B. a saisi le conseil de prud'hommes en vue de la requalification des contrats de travail, qu'elle a conclus avec la société C., et du versement de dommages et intérêts pour absence de visite médicale d'embauche, manquement à l'obligation de formation et de sécurité et violation du droit individuel à la formation. La société C. a, quant à elle, soulevé une exception d'illégalité visant l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, dans sa rédaction résultant du décret n° 2007-1142 du 26 juillet 2007 (N° Lexbase : L5525HXW), en ce qu'il définit des règles de prescription, malgré l'incompétence, selon elle, du pouvoir réglementaire pour fixer ces règles. Le Conseil des prud'hommes a alors sursis à statuer sur la demande présentée par Mme B. et saisi le Conseil d'Etat de la question.

Enonçant le principe susvisé, le Conseil d'Etat juge que l'exception d'illégalité de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, soulevée par la société C. devant le conseil de prud'hommes, n'est pas fondée (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9852ET3).

newsid:463214

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Absence de qualité à agir de l'entreprise utilisatrice en contestation de la décision portant fixation du taux d'incapacité permanente du salarié de l'entreprise de travail temporaire

Réf. : Cass. civ. 2, 15 mars 2018, n° 16-19.043, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9083XGI)

Lecture: 2 min

N3215BXD

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par Laïla Bedja

Le 22 Mars 2018



En application de l'article L. 1251-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6248IE7), le seul employeur d'un salarié lié par un contrat de mission à une entreprise de travail temporaire et mis à la disposition d'une entreprise utilisatrice est l'entreprise de travail temporaire. Il en résulte que, si elle peut agir en responsabilité contractuelle contre l'entreprise de travail temporaire devant la juridiction de droit commun, ou contester devant la juridiction du contentieux général de la Sécurité sociale l'imputation pour partie du coût de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle prévue par l'article L. 241-5-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4937AD9), l'entreprise utilisatrice, qui n'est pas l'employeur juridique du salarié mis à sa disposition, n'a pas qualité pour contester devant les juridictions du contentieux de l'incapacité la décision portant fixation du taux d'incapacité permanente du salarié, victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle à l'occasion d'une mission. Telle est la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 15 mars 2018 (Cass. civ. 2, 15 mars 2018, n° 16-19.043, FS-P+B+I N° Lexbase : A9083XGI).

Dans cette affaire, salarié de la société A., aux droits de laquelle vient la société AF. (l'employeur), mis à la disposition de la société E. (l'entreprise utilisatrice), M. X a été victime, le 1er mars 2002, d'un accident du travail. La caisse primaire d'assurance maladie de Lille-Douai (la caisse) ayant fixé le taux d'incapacité permanente partielle de la victime à 15 %, l'entreprise utilisatrice a saisi d'un recours une juridiction du contentieux technique de la Sécurité sociale.

Pour la Cour nationale de l'incapacité et des accidents du travail, s'il est exact que la qualité d'employeur du salarié mis à disposition confère à l'entreprise de travail temporaire des droits et obligations spécifiques en matière d'accident du travail et de maladie professionnelle, la loi ne lui réserve pas pour autant le droit de contester la décision attributive de rente ; qu'ainsi, l'entreprise utilisatrice dispose d'un droit propre à agir et le délai de deux mois prévu à l'article R. 143-7 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5936IA4) ne peut lui être opposé dès lors que la décision contestée ne lui a pas été notifiée.

A tort, énonçant la solution susvisée, la Haute juridiction casse et annule l'arrêt de la Cour. En statuant ainsi, la Cour a violé l'article L. 1251-1 du Code du travail, ensemble l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43 ; cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E7269ABT).

newsid:463215

Avocats

[Jurisprudence] La clause compromissoire l'emporte sur l'arbitrage du Bâtonnier

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 février 2018, n° 14/16971 (N° Lexbase : A0935XED)

Lecture: 6 min

N3208BX4

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

Le 22 Mars 2018

Est valable la clause d'arbitrage en cas de conflit survenant à tout moment sur l'interprétation ou les effets d'un acte d'adhésion à un limited liability partnership (LLP) rendant incompétent le Bâtonnier à statuer sur la rémunération de l'associé retrayant (litige opposant d'une part un avocat à la fois inscrit au barreau et auprès de l'autorité de contrôle britannique et, d'autre part, une structure de droit anglais). Telle est la substance d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, le 21 février 2018. La procédure appelée "arbitrage du Bâtonnier" a bien souvent soulevé malentendus ou incertitudes.

Pendant longtemps on évoquait en effet "l'arbitrage du Bâtonnier", alors pourtant que la rédaction de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971, relative à la profession d'avocat (N° Lexbase : L7655AHY) conférait à cette autorité professionnelle le pouvoir de "prévenir ou concilier" les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau.

Prévenir ou concilier : pas arbitrer.

Cela n'empêchait pas la jurisprudence d'y voir parfois un véritable arbitrage (CA Paris, 18 décembre 1985, Rev. arb., 1988, obs.Th. Bernard).

Mais on s'est tout de même demandé s'il s'agissait ou non d'un arbitrage "véritable " (B. Moreau, L'arbitrage du Bâtonnier, Rev. arb., 1993, p. 361 ; G. Flécheux, L'arbitrage du Bâtonnier. Un exemple d'arbitrage forcé, Rev. arb., 1990, p. 101 ; J. Villacèque, La juridiction du Bâtonnier : une charge publique à parachever, D., 1997, Chron., p. 305).

On a aussi eu, logiquement et corrélativement, matière à hésiter sur le domaine de cet arbitrage du Bâtonnier.

Ainsi, le barreau de Paris avait, dans son règlement intérieur, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier "toute difficulté entre avocats relativement ou à l'encontre d'une structure" alors qu'à l'époque, la loi ne soumettait à l'arbitrage du Bâtonnier que le contrat de travail entre avocats.

Or, cette extension ordinale du domaine du recours obligatoire à l'arbitrage du Bâtonnier a été censurée par la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 22 novembre 2005.

Dans une première affaire (Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 04-11.384, F-P+B N° Lexbase : A7506DLL, Bull. civ. I, n° 421, D., 2006, Jur. p. 2079, note E. Rosenfeld, et Pan., p. 268, obs. B. Blanchard), il s'agissait d'un conflit entre un avocat et son ancien cabinet à propos d'un solde de rémunération. Fort de son règlement intérieur, le Bâtonnier de Paris se déclara compétent pour apprécier le litige et organiser l'arbitrage. Le cabinet d'avocats fit appel de cette décision estimant qu'il n'était pas tenu de régler son litige par la voie de l'arbitrage. Il fut débouté par la cour d'appel de Paris qui renvoya au règlement intérieur du barreau de Paris. La censure pour violation de la loi intervient au motif que "hors les cas où la loi en dispose autrement, seule la volonté commune des parties peut investir l'arbitre de son pouvoir juridictionnel".

On a notamment estimé que permettre à un règlement ordinal d'étendre le domaine de l'arbitrage du Bâtonnier reviendrait à lui permettre de créer un nouvel ordre de juridiction, ce qui, aux termes de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), est du domaine exclusif de la loi (en ce sens, E. Rosenfeld, note D., 2006, Jur., p. 2079).

C'est d'ailleurs ce que rappelle la Cour de cassation dans le second arrêt du même jour lorsqu'elle a énoncé que "le règlement intérieur d'un barreau ne peut, sans méconnaître cette disposition législative, étendre la compétence du Bâtonnier aux litiges nés à l'occasion de l'exercice de la profession d'avocat en groupement" (Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-12.860, FP-P+B N° Lexbase : A7416DLA ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9233ET7, Bull. civ. I, n° 422, LPA, 2006, n° 133, p. 22, concl. J. Sainte-Rose ; D., 2005, IR, p. 3032).

Cette jurisprudence s'était installée. Ainsi, lorsqu'une cour d'appel a appliqué l'arbitrage du Bâtonnier, sur le fondement du règlement intérieur de barreau de Paris, et en l'absence de clause compromissoire, à une SCP d'avocats qui s'y opposait, la Cour de cassation a de nouveau censuré (Cass. civ. 1, 7 juin 2006, n° 04-19.290, F-P+B+I N° Lexbase : A8476DPM, Bull. civ. I, n° 283, D., 2006, IR, p. 1769).

Fort heureusement, l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 dispose désormais que tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel "est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier".

La compétence ordinale relative au "règlement de tout différend entre les avocats à l'occasion de leur exercice professionnel" est donc clairement établie.

Sur un plan théorique, on s'est interrogé sur la légitimité d'un tel "arbitrage forcé". Cet arbitrage du Bâtonnier échappe au fondement habituellement conventionnel de l'arbitrage. Certains auteurs en déduisent que pour ce motif ce n'est pas un véritable arbitrage (Ch. Jarrosson, Rev. arb., 1988, 296, n° 5), ce qui peut se comprendre du point de vue des qualifications juridiques. Il est vrai que la notion d'arbitrage forcé semble irrecevable, un arbitrage ne pouvant être "forcé".

Mais il existe d'autres exemples d'arbitrage "forcé", par exemple en droit des investissements internationaux. Et surtout, nous sommes ici en présence d'un texte spécial dont l'impérativité ne fait guère de doute, s'agissant de l'organisation d'une profession d'auxiliaire de justice, et non des moindres. Considérons donc que l'arbitrage du Bâtonnier est un arbitrage, puisque la loi le dit. Mais la question rebondit sur un plan pratique.

Arbitrage forcé par une disposition impérative de la loi, soit. Mais cette compétence arbitrale est-elle exclusive ? Les parties (avocats) ont-elles la possibilité de s'accorder un autre arbitrage ? L'arrêt commenté dit qu'une clause d'arbitrage l'emporte sur l'arbitrage du Bâtonnier.

En l'espèce, un avocat inscrit au barreau de Paris avait conclu un partenariat avec un cabinet membre d'un groupe international installé à Londres, précisément pour exercer au barreau de Paris au sein du cabinet parisien membre de ce groupe, et plus précisément en qualité d'associé de la SCP qui structure ce cabinet. Il quitte le cabinet. Il saisit le Bâtonnier aux fins de faire liquider ses droits au titre de sa participation dans la SCP. Le Bâtonnier se déclare incompétent, et c'est cette décision d'incompétence qui est confirmée par l'arrêt commenté.

La cour met l'accent sur ceci que les sommes réclamées relèvent de l'application du partenariat, à savoir bonus de performance, feuille de route, attribution de points de rémunération, performance pool, et honoraires particuliers à certains dossiers. Or, ce partenariat comporte une clause compromissoire, et c'est cette clause qui doit recevoir application.

La cour ajoute que cette clause n'est ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable en ce qu'elle n'est pas contraire aux dispositions des articles 179 et suivants du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L5731IM9).

La Cour de cassation s'était déjà prononcée en ce sens (Cass. civ. 2, 27 avril 1988, n° 86-19.462 N° Lexbase : A0461C4T, Rev. arb., 1988, 293, note Ch. Jarrosson ; Cass. civ.2, 13 septembre 2012, n° 10-21.144, FS-D N° Lexbase : A7467ISD ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2704E4W, Rev. arb., 2013, 393), décidant par exemple en 2014 (Cass. civ.1, 9 juillet 2014, n° 13-13.598, FS-P+B+I N° Lexbase : A0579MUY, Rev. arb., 2015, p. 1103, note B. Castellane ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1764E7H), "qu'une clause compromissoire entre avocats est exclusive de l'application des dispositions de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971".

La compétence de l'arbitrage du Bâtonnier est exclusive de toute compétence judiciaire, mais elle cède devant un arbitrage convenu entre les parties.

Dans une décision du 22 juin 2016 (Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-18.701, F -D N° Lexbase : A2476RUA, Rev. arb., 2016, 960) la Cour de cassation admet encore l'application d'une clause compromissoire contenue dans une convention d'exercice en groupe non signée, dès lors que l'exécution de ladite convention équivalait à une acceptation de la clause.

En somme, il faut affiner l'analyse : la clause compromissoire, y inclus par acceptation tacite, prévaut sur l'arbitrage du Bâtonnier.

Reste-t-il une petite interrogation ? La cour poursuit : "puisque le litige oppose d'une part un avocat à la fois inscrit au barreau de Paris et auprès de l'autorité de contrôle britannique et d'autre part une structure britannique". Le mot "puisque" intrigue. La primauté de l'arbitre choisi par les parties serait-elle réservée aux situations de droit international ?

Ce serait dommage, du point de vue de la liberté patrimoniale des avocats et de la cohérence du droit de l'arbitrage. D'autre part, la jurisprudence précitée (Cass. civ. 2, 27 avril 1988, Rev. arb., 1988, 293, note Ch. Jarrosson ; Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 13-13.598, FS-P+B+I, Rev. arb., 2013, 393, précité) ne fait aucunement cette distinction.

Gageons que la Cour de cassation aura bientôt l'occasion d'écarter ce rédactionnel maladroit de la décision commentée, par ailleurs excellente.

newsid:463208

Avocats

[Jurisprudence] La clause compromissoire l'emporte sur l'arbitrage du Bâtonnier

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 février 2018, n° 14/16971 (N° Lexbase : A0935XED)

Lecture: 6 min

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

Le 22 Mars 2018

Est valable la clause d'arbitrage en cas de conflit survenant à tout moment sur l'interprétation ou les effets d'un acte d'adhésion à un limited liability partnership (LLP) rendant incompétent le Bâtonnier à statuer sur la rémunération de l'associé retrayant (litige opposant d'une part un avocat à la fois inscrit au barreau et auprès de l'autorité de contrôle britannique et, d'autre part, une structure de droit anglais). Telle est la substance d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, le 21 février 2018. La procédure appelée "arbitrage du Bâtonnier" a bien souvent soulevé malentendus ou incertitudes.

Pendant longtemps on évoquait en effet "l'arbitrage du Bâtonnier", alors pourtant que la rédaction de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971, relative à la profession d'avocat (N° Lexbase : L7655AHY) conférait à cette autorité professionnelle le pouvoir de "prévenir ou concilier" les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau.

Prévenir ou concilier : pas arbitrer.

Cela n'empêchait pas la jurisprudence d'y voir parfois un véritable arbitrage (CA Paris, 18 décembre 1985, Rev. arb., 1988, obs.Th. Bernard).

Mais on s'est tout de même demandé s'il s'agissait ou non d'un arbitrage "véritable " (B. Moreau, L'arbitrage du Bâtonnier, Rev. arb., 1993, p. 361 ; G. Flécheux, L'arbitrage du Bâtonnier. Un exemple d'arbitrage forcé, Rev. arb., 1990, p. 101 ; J. Villacèque, La juridiction du Bâtonnier : une charge publique à parachever, D., 1997, Chron., p. 305).

On a aussi eu, logiquement et corrélativement, matière à hésiter sur le domaine de cet arbitrage du Bâtonnier.

Ainsi, le barreau de Paris avait, dans son règlement intérieur, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier "toute difficulté entre avocats relativement ou à l'encontre d'une structure" alors qu'à l'époque, la loi ne soumettait à l'arbitrage du Bâtonnier que le contrat de travail entre avocats.

Or, cette extension ordinale du domaine du recours obligatoire à l'arbitrage du Bâtonnier a été censurée par la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 22 novembre 2005.

Dans une première affaire (Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 04-11.384, F-P+B N° Lexbase : A7506DLL, Bull. civ. I, n° 421, D., 2006, Jur. p. 2079, note E. Rosenfeld, et Pan., p. 268, obs. B. Blanchard), il s'agissait d'un conflit entre un avocat et son ancien cabinet à propos d'un solde de rémunération. Fort de son règlement intérieur, le Bâtonnier de Paris se déclara compétent pour apprécier le litige et organiser l'arbitrage. Le cabinet d'avocats fit appel de cette décision estimant qu'il n'était pas tenu de régler son litige par la voie de l'arbitrage. Il fut débouté par la cour d'appel de Paris qui renvoya au règlement intérieur du barreau de Paris. La censure pour violation de la loi intervient au motif que "hors les cas où la loi en dispose autrement, seule la volonté commune des parties peut investir l'arbitre de son pouvoir juridictionnel".

On a notamment estimé que permettre à un règlement ordinal d'étendre le domaine de l'arbitrage du Bâtonnier reviendrait à lui permettre de créer un nouvel ordre de juridiction, ce qui, aux termes de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), est du domaine exclusif de la loi (en ce sens, E. Rosenfeld, note D., 2006, Jur., p. 2079).

C'est d'ailleurs ce que rappelle la Cour de cassation dans le second arrêt du même jour lorsqu'elle a énoncé que "le règlement intérieur d'un barreau ne peut, sans méconnaître cette disposition législative, étendre la compétence du Bâtonnier aux litiges nés à l'occasion de l'exercice de la profession d'avocat en groupement" (Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-12.860, FP-P+B N° Lexbase : A7416DLA ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9233ET7, Bull. civ. I, n° 422, LPA, 2006, n° 133, p. 22, concl. J. Sainte-Rose ; D., 2005, IR, p. 3032).

Cette jurisprudence s'était installée. Ainsi, lorsqu'une cour d'appel a appliqué l'arbitrage du Bâtonnier, sur le fondement du règlement intérieur de barreau de Paris, et en l'absence de clause compromissoire, à une SCP d'avocats qui s'y opposait, la Cour de cassation a de nouveau censuré (Cass. civ. 1, 7 juin 2006, n° 04-19.290, F-P+B+I N° Lexbase : A8476DPM, Bull. civ. I, n° 283, D., 2006, IR, p. 1769).

Fort heureusement, l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 dispose désormais que tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel "est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier".

La compétence ordinale relative au "règlement de tout différend entre les avocats à l'occasion de leur exercice professionnel" est donc clairement établie.

Sur un plan théorique, on s'est interrogé sur la légitimité d'un tel "arbitrage forcé". Cet arbitrage du Bâtonnier échappe au fondement habituellement conventionnel de l'arbitrage. Certains auteurs en déduisent que pour ce motif ce n'est pas un véritable arbitrage (Ch. Jarrosson, Rev. arb., 1988, 296, n° 5), ce qui peut se comprendre du point de vue des qualifications juridiques. Il est vrai que la notion d'arbitrage forcé semble irrecevable, un arbitrage ne pouvant être "forcé".

Mais il existe d'autres exemples d'arbitrage "forcé", par exemple en droit des investissements internationaux. Et surtout, nous sommes ici en présence d'un texte spécial dont l'impérativité ne fait guère de doute, s'agissant de l'organisation d'une profession d'auxiliaire de justice, et non des moindres. Considérons donc que l'arbitrage du Bâtonnier est un arbitrage, puisque la loi le dit. Mais la question rebondit sur un plan pratique.

Arbitrage forcé par une disposition impérative de la loi, soit. Mais cette compétence arbitrale est-elle exclusive ? Les parties (avocats) ont-elles la possibilité de s'accorder un autre arbitrage ? L'arrêt commenté dit qu'une clause d'arbitrage l'emporte sur l'arbitrage du Bâtonnier.

En l'espèce, un avocat inscrit au barreau de Paris avait conclu un partenariat avec un cabinet membre d'un groupe international installé à Londres, précisément pour exercer au barreau de Paris au sein du cabinet parisien membre de ce groupe, et plus précisément en qualité d'associé de la SCP qui structure ce cabinet. Il quitte le cabinet. Il saisit le Bâtonnier aux fins de faire liquider ses droits au titre de sa participation dans la SCP. Le Bâtonnier se déclare incompétent, et c'est cette décision d'incompétence qui est confirmée par l'arrêt commenté.

La cour met l'accent sur ceci que les sommes réclamées relèvent de l'application du partenariat, à savoir bonus de performance, feuille de route, attribution de points de rémunération, performance pool, et honoraires particuliers à certains dossiers. Or, ce partenariat comporte une clause compromissoire, et c'est cette clause qui doit recevoir application.

La cour ajoute que cette clause n'est ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable en ce qu'elle n'est pas contraire aux dispositions des articles 179 et suivants du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L5731IM9).

La Cour de cassation s'était déjà prononcée en ce sens (Cass. civ. 2, 27 avril 1988, n° 86-19.462 N° Lexbase : A0461C4T, Rev. arb., 1988, 293, note Ch. Jarrosson ; Cass. civ.2, 13 septembre 2012, n° 10-21.144, FS-D N° Lexbase : A7467ISD ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2704E4W, Rev. arb., 2013, 393), décidant par exemple en 2014 (Cass. civ.1, 9 juillet 2014, n° 13-13.598, FS-P+B+I N° Lexbase : A0579MUY, Rev. arb., 2015, p. 1103, note B. Castellane ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1764E7H), "qu'une clause compromissoire entre avocats est exclusive de l'application des dispositions de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971".

La compétence de l'arbitrage du Bâtonnier est exclusive de toute compétence judiciaire, mais elle cède devant un arbitrage convenu entre les parties.

Dans une décision du 22 juin 2016 (Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-18.701, F -D N° Lexbase : A2476RUA, Rev. arb., 2016, 960) la Cour de cassation admet encore l'application d'une clause compromissoire contenue dans une convention d'exercice en groupe non signée, dès lors que l'exécution de ladite convention équivalait à une acceptation de la clause.

En somme, il faut affiner l'analyse : la clause compromissoire, y inclus par acceptation tacite, prévaut sur l'arbitrage du Bâtonnier.

Reste-t-il une petite interrogation ? La cour poursuit : "puisque le litige oppose d'une part un avocat à la fois inscrit au barreau de Paris et auprès de l'autorité de contrôle britannique et d'autre part une structure britannique". Le mot "puisque" intrigue. La primauté de l'arbitre choisi par les parties serait-elle réservée aux situations de droit international ?

Ce serait dommage, du point de vue de la liberté patrimoniale des avocats et de la cohérence du droit de l'arbitrage. D'autre part, la jurisprudence précitée (Cass. civ. 2, 27 avril 1988, Rev. arb., 1988, 293, note Ch. Jarrosson ; Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 13-13.598, FS-P+B+I, Rev. arb., 2013, 393, précité) ne fait aucunement cette distinction.

Gageons que la Cour de cassation aura bientôt l'occasion d'écarter ce rédactionnel maladroit de la décision commentée, par ailleurs excellente.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Survie de la clause limitative de responsabilité à la résolution du contrat. Comparaison n'est pas raison !

Réf. : Cass. com., 7 février 2018, n° 16-20.352, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6692XCT)

Lecture: 24 min

N3212BXA

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par Louis Thibierge, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l'Université Aix-Marseille, Membre du Centre de Droit Economique (EA4224)

Le 27 Mars 2018

Rien, paraît-il, n'est plus certain que la mort. Qu'il soit, au sujet des clauses contractuelles, permis d'en disconvenir. La mort du contrat n'emporte pas toujours dans son sillage celle des clauses qui le composaient. Pas de résurrection en la matière, mais une survie de certaines stipulations. Une vie après la mort contractuelle, en quelque sorte. Tel est l'enseignement dispensé par une récente décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation rendue le 7 février 2018, promise aux honneurs du Bulletin. En l'espèce, une société V. (venant aux droits d'une société S.) exploitait une centrale de cogénération. L'électricité produite à partir de cette centrale était vendue à EDF, la vapeur à une autre société.

Le 4 octobre 2010, une présence anormale d'eau est détectée sous la chaudière de récupération des calories de la turbine. Après investigations, une fuite fut diagnostiquée au niveau d'une soudure. La société V. fit appel à la société C. pour que celle-ci entreprenne les travaux de réparation.

Le contrat d'entreprise conclu entre les parties contenait une clause limitative de responsabilité. Celle-ci excluait, d'une part, la réparation des "pertes de revenu, d'usage, de production, augmentation des coûts de production ou tous autres dommages indirects et/ou immatériels". Elle plafonnait, d'autre part, le quantum d'indemnisation des dommages indemnisables à 100 % du prix hors taxe du contrat.

Après maints travaux, la ligne fut redémarrée le 4 novembre 2010. Las : le 4 février, à peine trois mois plus tard, la turbine cessa de fonctionner, une chute brutale de la pression de la chaudière empêchant tout redémarrage de l'installation. Une nouvelle fuite fut constatée.

L'expert saisi sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49) conclut, en avril 2012, à l'imputabilité des nouvelles fuites aux défauts affectant les soudures de raboutage pratiquées par la société C.. Il évalua le coût des réparations nécessaires à plus de 280 000 euros, et la perte d'exploitation subséquente à plus de 480 000 euros.

Le maître de l'ouvrage assigna en conséquence son entrepreneur en résolution judiciaire du contrat, restitution d'une somme de 25 400 euros correspondant au prix du marché, et paiement de plus de 760 000 euros de dommages-intérêts.

Le 12 janvier 2015, le tribunal de commerce de Nancy accéda à l'intégralité des demandes du maître de l'ouvrage. L'entrepreneur interjeta appel de la décision.

Confirmant intégralement le jugement de première instance, la cour d'appel de Nancy condamna l'entrepreneur à indemniser l'entier préjudice subi par le maître de l'ouvrage. Sur la question de la clause limitative de responsabilité, les juges nancéens estimèrent que "la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, il n'y a pas lieu d'appliquer la clause limitative de responsabilité". Dit autrement, la mort du contrat emportait avec elle celle de la clause limitative de responsabilité.

Pourvoi fut relevé par l'entrepreneur, marri de voir déjouées ses prévisions contractuelles quant au préjudice indemnisable.

Avec succès, puisque la Cour de cassation prend l'exact contrepied des juges lorrains, dont elle censure la décision pour violation de la loi, au visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1184 (N° Lexbase : L1286ABA) anciens du Code civil. A en croire la Haute juridiction, "en cas de résolution d'un contrat pour inexécution, les clauses limitatives de réparation des conséquences de cette inexécution demeurent applicables".

Sur ce point précis, la Chambre commerciale opère revirement. Le 5 octobre 2010, n'affirmait-elle pas, dans un attendu tout aussi général, que "la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer les clauses limitatives de responsabilité" (1) ? La proximité entre cet attendu et le considérant de l'arrêt d'appel censuré est indéniable.

Il faut désormais comprendre que la résolution du contrat pour cause d'inexécution n'emporte pas anéantissement des clauses limitant la responsabilité du débiteur pour "les conséquences de cette inexécution". Celles-ci s'appliquent nonobstant la résolution du contrat.

Comment expliquer ce revirement inattendu ? L'explication immédiate réside dans la comparaison. En rapprochant la clause limitative de responsabilité d'autres clauses auxquelles la jurisprudence attribue déjà une vie après la mort contractuelle, on pourrait être tenté de justifier le sort nouveau réservé à la clause limitative de réparation. A rebours, si l'on rapproche la résolution de la nullité, l'on s'étonne que l'anéantissement du contrat emporte dans sa chute celle des clauses de responsabilité en cas de nullité, mais pas de résolution.

La comparaison tourne court. Comme tout raisonnement par analogie, il accuse vite ses limites. Peut-être faut-il chercher plus loin la justification de la solution. Une première piste réside dans l'effet atténué de la rétroactivité en matière de résolution. Une seconde piste tient, sans doute avec plus de succès, dans la finalité des clauses de responsabilité.

En somme, comparaison (I) n'est pas raison (II). La téléologie l'emporte sur l'analogie.

I - Les comparaisons

Le raisonnement par analogie peut exercer quelque tentation pour le juriste. Puisque la jurisprudence admet déjà la survie de certaines clauses à la résolution du contrat, le revirement du 7 février 2018 ne serait qu'une oeuvre de cohérence. La clause limitative de responsabilité rejoindrait la cohorte des survivantes (A). A l'inverse, le raisonnement par analogie achoppe lorsqu'on entend rapprocher les causes d'anéantissement que sont la nullité et la résolution pour inexécution (B).

A - La comparaison des clauses

Il est tentant de ramener la solution à un simple alignement de la clause limitative de responsabilité sur d'autres clauses dont la survie était déjà acquise (1). Mais l'explication peut sembler relever de la simple casuistique. Peut-être faut-il alors objectiver le test et rapprocher la clause limitative de responsabilité des clauses détachables du contrat (2). En somme, plutôt qu'en termes d'analogie pure, il faudrait raisonner en termes d'autonomie.

1. L'analogie

La première tentative d'explication réside dans la pure analogie. En observant que d'autres clauses sont déjà, pour la Cour de cassation, des résistantes, on prétendrait en déduire que la clause limitative de responsabilité doit elle aussi résister à la résolution du contrat.

Il est vrai que certaines stipulations peuvent persister après la mort contractuelle : clauses pénales, clauses attributives de compétence (2), clauses compromissoires (3), voire clauses de non-concurrence (4)...

Comparer la clause limitative à chacune de ces clauses aurait quelque chose d'artificiel. Qu'y a-t-il de commun entre la clause limitative de responsabilité et la clause de non-concurrence stipulée à un contrat de travail ? Rien, hormis leur potentielle survie à la résolution du contrat.

C'est pourquoi nous cantonnerons l'analogie à la plus proche cousine de la clause limitative de responsabilité : la clause pénale. La solution du 7 février 2018 n'est-elle qu'un alignement de la première sur le régime de la seconde ?

D'un point de vue conceptuel, le rapprochement entre clause limitative et clause pénale ne manque guère de sens. Toutes deux sanctionnent une inexécution contractuelle. Toutes deux anticipent les conséquences pécuniaires de cette inexécution, la première par le biais d'un plafond de responsabilité, la seconde au travers d'un forfait. Sur ce plan, il paraît donc plausible de raisonner par analogie.

Là où le bât blesse, c'est lorsqu'on passe à la seconde prémisse : les clauses pénales survivraient à la résolution du contrat. Il semble qu'une analyse plus nuancée s'impose. Reprenons le fil de la jurisprudence.

Le 6 janvier 1993, par un attendu passablement alambiqué, la troisième chambre civile affirme que "la clause pénale destinée à réparer les conséquences dommageables de la résolution d'un contrat survit à la résolution de ce contrat" (5). Mais qu'est-ce à dire ? Faut-il que la clause spécifie expressément qu'elle régit les conséquences d'une résolution, à défaut de quoi elle serait cantonnée aux demandes de dommages-intérêts ? L'interrogation est de mise (6).

Le 15 février 2005, la même troisième chambre civile juge que "la résolution de la vente [est] sans effet sur le bénéfice de la clause pénale" (7). L'affirmation est plus générale, mais sa portée demeure discutable, l'arrêt étant inédit.

Le 22 mars 2011, c'est la Chambre commerciale qui se prononce en les termes suivants : "la caducité d'un acte n'affecte pas la clause pénale qui y est stipulée et qui doit précisément produire effet en cas de défaillance fautive de l'une des parties" (8). La solution manque cruellement de clarté. Si l'on peut passer sur le clair-obscur de la caducité-sanction de la défaillance fautive, on éprouve quelque peine à déterminer si la solution s'explique par la différence de régime entre la caducité et la résolution. La première, en effet, n'opère que pour l'avenir, ce qui pourrait en soi justifier l'absence de remise en cause de la clause pénale.

Le 3 mai 2012, la même Chambre commerciale semblait admettre, au contraire, que les clauses pénales sont inapplicables en cas de résolution judiciaire. En l'espèce, le contrat contenait une clause de résiliation anticipée, laquelle prévoyait le versement d'une indemnité forfaitaire en cas de résiliation unilatérale. Le créancier sollicita la résolution judiciaire du contrat. Le débiteur entendait se voir verser l'indemnité prévue. Il fut débouté en appel, les juges du fond estimant inapplicable la stipulation contractuelle. Le pourvoi formé par le débiteur fut rejeté en les termes suivants : "ayant retenu que la gravité des manquements de la société M. justifiait la résolution du contrat aux torts exclusifs de cette dernière, en application des dispositions de l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA), la cour d'appel en a déduit à bon droit que le contrat résolu étant anéanti, la société M. n'était pas fondée à se prévaloir des stipulation contractuelles régissant les conditions et les conséquences de sa résiliation unilatérale par la société G." (9). L'interprétation de l'arrêt peut se faire selon deux modes. Restrictif : la solution s'explique par le cantonnement de la clause à la seule résiliation unilatérale, la résolution judiciaire n'étant pas incluse dans son champ d'application. Extensif : la résolution judiciaire du contrat pour inexécution neutralise les clauses aménageant la responsabilité en cas de rupture anticipée. Lequel adopter ?

En somme, le régime de la clause pénale en cas de résolution n'est pas si clair qu'on le veut bien dire. Il paraît excessif d'affirmer que toute clause pénale survit à la résolution du contrat pour cause d'inexécution (10). Partant, l'arrêt rendu le 7 février 2018 ne peut s'expliquer par le seul alignement des clauses aménageant la responsabilité.

2. L'autonomie

L'analogie n'est pas nécessairement inexacte, mais elle ne peut à elle seule justifier le maintien de la clause pénale et de certaines autres stipulations malgré la résolution du contrat.

On suggère parfois que la survie des clauses serait "une conséquence du caractère plus ou moins autonome des clauses concernées" (11).

Qu'est-ce à dire ? Que certaines clauses du contrat ne seraient pas des clauses lambda, mais des clauses autonomes, détachables du reste du contrat. L'explication paraît séduisante : la branche tomberait, mais les rameaux que l'on peut en détacher resteraient en vie.

Cette proposition a su séduire (12).

On songe naturellement à la clause compromissoire, dont l'autonomie a été affirmée dès 1963 en matière internationale (13), et près de quarante ans plus tard en matière interne (14). A en croire la Haute juridiction, "la clause compromissoire présent[e], par rapport à la convention principale dans laquelle elle s'insère, une autonomie juridique qui exclut qu'elle puisse être affectée par l'inefficacité de cet acte". La raison d'être de la solution est limpide : éviter que l'arbitre constatant la nullité du contrat anéantisse corrélativement la clause qui lui donne compétence... pour statuer sur la nullité du contrat. Pour contourner cette situation ubuesque, la clause compromissoire se détache du contrat, ce qui la met à l'abri en cas de résolution ou de nullité du contrat principal.

La solution peut être étendue à la clause attributive de juridiction, que certains auteurs tiennent pour "une convention distincte de la convention principale" (15). Puisqu'elle est distincte, autonome, sa survie à la résolution du contrat se comprend aisément.

Dans la même veine, il a été soutenu que "la clause pénale ne saurait être réduite à un élément secondaire faisant partie d'un tout. Il s'agit d'une stipulation autonome, certes non étrangère au contrat principal, mais non annexée, non plus, par celui-ci", ou encore que "la clause pénale est un contrat qui garantit l'exécution d'une obligation" (16). Ainsi, la clause pénale serait autonome, détachable du contrat. Voilà qui expliquerait sans doute qu'elle survive indépendamment du contrat qui la renfermait.

Cela posé, on peut ne pas tenir la proposition pour s'imposant avec la force de l'évidence. Lorsque la cour d'appel de Paris affirme que "la clause compromissoire constitue une convention de procédure autonome" (17), ou encore que "si la clause compromissoire est matériellement annexée au contrat dans lequel elle est insérée, encore est-il certain qu'elle en est juridiquement séparée" (18), on peut n'être pas pleinement convaincu. La distinction entre negotium et instrumentum n'épuise pas la question. Y a-t-il, en pratique, un consentement distinct donné à la clause compromissoire ou à la clause pénale ? Qui a négocié un contrat contenant une clause compromissoire peut en douter. Et quid d'une clause compromissoire contenue dans un contrat d'adhésion ? Soutiendra-t-on qu'elle est une convention juridiquement séparée, parce qu'elle a fait l'objet d'un échange de consentements distinct ?

Finalement, l'autonomie proclamée des clauses pénales, compromissoires ou attributives de juridiction est essentiellement de convenance. Elle ne participe pas à notre sens de l'essence de ces clauses, qui ne sont pas plus importantes dans l'esprit des parties que la clause définissant l'obligation essentielle, celle arrêtant le prix, celle qui détermine les délais d'exécution ou celle qui élit le droit applicable. Du reste, la jurisprudence ne s'y trompe pas : telle la chauve-souris de La Fontaine, la clause est tantôt détachable, tantôt inséparable du contrat puisqu'elle se transmet avec lui.

B - La comparaison des causes d'anéantissement

Pour les juges du fond, la neutralisation de la clause limitative de responsabilité dans le sillage de la mort du contrat s'explique par une assimilation de la résolution à la nullité. Pourtant, cette assimilation des causes d'anéantissement (1) n'est pas parfaite ; il faut au contraire différencier ces institutions (2).

1. L'assimilation

Reprenons les termes de l'arrêt de la cour de Nancy : "la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, il n'y a pas lieu d'appliquer la clause limitative de responsabilité".

Le raisonnement des magistrats lorrains paraît inductif. Tentons de l'emprunter : puisque la résolution emporte anéantissement rétroactif du contrat, elle peut être utilement rapprochée de la nullité. Or, la nullité du contrat fait tomber toutes les clauses de celui-ci. Partant, les clauses limitatives de responsabilité ne peuvent davantage survivre à la résolution du contrat qu'elles ne survivent à sa nullité.

Résolution et nullité sont il est vrai dotées d'effets similaires. Dans un cas comme dans l'autre, le contrat est anéanti. Jusqu'à la récente ordonnance du 10 février 2016, on aurait ajouté : "rétroactivement". En effet, la résolution se rapprochait plus encore de la nullité en ce qu'elle niait tous les effets passés du contrat. Ce que les parties s'étaient donné devait être restitué, selon la figure du "contrat synallagmatique renversé" (19).

De fait, la résolution devrait emprunter le même régime que la nullité. Dit autrement, le sort des clauses devrait être identique dans les deux cas, puisque ces deux causes d'anéantissement produisent les mêmes effets.

Or, la nullité du contrat entraîne dans sa chute toutes les clauses qu'il renfermait. Ainsi en va-t-il de la clause pénale ou de la clause limitative de responsabilité. Si le contrat qui les stipulait était nul, il n'a pu produire aucun effet valable. Partant, les clauses aménageant la responsabilité sont nulles. Quod nullum est, nullum producit effectum.

Mais une première lacune se fait jour. La nullité n'est pas toujours si radicale dans ses effets. Elle n'atteint pas toutes les clauses avec la même force. La jurisprudence sauve ainsi, en cas de nullité, les clauses relatives au règlement du litige, qu'elles soient attributives de compétence (20) ou compromissoires (21).

De surcroît, et c'est la deuxième lacune : même en faisant abstraction de la modification en 2016 de l'effet rétroactif de la résolution, ce mécanisme doit être rigoureusement distingué de la nullité. Si la nullité du tout (le contrat) entraîne logiquement de la partie (la clause), c'est parce que l'acte n'a jamais été valable. A l'inverse, en matière de résolution, le contrat était valablement formé, ce qui interdit de tenir par principe pour nulle et non avenue la clause qui aménage la responsabilité.

2. La différenciation

Il faut réfuter cette assimilation hasardeuse entre nullité et résolution. Elle procède d'une forme de paresse intellectuelle, consistant à induire de la proximité d'effet (l'anéantissement) une identité de nature, dont découlerait ensuite pseudo-logiquement une proximité de solution quant aux clauses aménageant la responsabilité. Le raisonnement n'est plus seulement inductif, mais circulaire.

En réalité, nullité et résolution doivent être rigoureusement distinguées.

D'une part, elles sanctionnent des situations différentes. La nullité frappe le contrat mal formé, dès son origine. Ce contrat n'a jamais été valable. La nullité préexiste au jugement, qui ne fait que la constater. Le ver était dans le fruit. Rien de tel en matière de résolution, qui est la sanction d'un contrat valablement formé mais mal exécuté. Ce contrat était, au risque de le répéter, parfaitement valable. Les clauses afférentes à la responsabilité qu'il pouvait renfermer étaient de facto elles aussi parfaitement valables. Comme l'expose un auteur, "en aucun il ne peut s'agir de faire comme si le contrat n'avait pas été conclu -ainsi qu'il en va peut-être en matière de nullité- : la résolution présuppose l'existence d'un manquement contractuel et donc d'un contrat qui ne peut pas ne pas avoir existé" (22). C'est ce qui justifie, notamment, que la responsabilité qui découle d'un contrat mal exécuté soit contractuelle, en dépit de la résolution du contrat. Le fait contractuel n'est pas nié.

Pourquoi alors faire produire à la résolution et à la nullité un même effet d'anéantissement rétroactif du contrat ? Pas pour les mêmes raisons. Et c'est sans doute là que se trouve la clé de compréhension.

En matière de nullité, la rétroactivité s'explique par l'absence de tout effet de droit produit par le contrat. Puisqu'il a été conclu sur de mauvaises bases (consentement vicié, défaut de capacité, de forme ou de contenu), il n'a pu valablement lier les parties. Rappelons qu'aux termes de l'article 1103 nouveau (N° Lexbase : L0822KZH), seuls les contrats "légalement formés" tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. A contrario, celui qui était invalide ab initio est privé de toute force obligatoire. Les parties à un contrat nul n'ont donc jamais été tenues par les stipulations relatives aux limites de responsabilité.

En matière de résolution, la rétroactivité se justifie par un autre motif : le synallagma. Si, jusqu'à l'ordonnance du 10 février 2016, la résolution était par principe rétroactive, ce n'était pas pour nier l'existence du contrat, mais pour ne pas rompre l'équilibre contractuel. Primus a versé 100 à Secondus pour que ce dernier accomplisse un travail. Ce travail n'est pas accompli. Secondus sera tenu de restituer les 100 perçus à Primus. Il ne s'agit pas là tant de rétablissement du statu quo ante, quoi qu'en dise la cour d'appel de Nancy (qui évoque la "remise des choses en leur état antérieur") que de justice contractuelle : restituer ce qui a été reçu sans contrepartie du fait de l'inexécution.

En somme, la comparaison avec la nullité accuse doublement ses limites. D'une part, la nullité n'emporte pas nécessairement dans sa chute toutes les clauses. Les contre-exemples fournis par les clauses relatives au règlement des litiges affaiblissent l'analogie. D'autre part, nullité et résolution, même rétroactive, ne peuvent être confondues. La résolution pour inexécution, parce qu'elle n'obéit pas aux mêmes objectifs que la nullité, ne saurait emprunter ses brisées.

Que l'on tourne le regard vers la clause ou la cause de l'anéantissement, comparaison n'est donc pas raison. Il faut aller sonder ailleurs la justification de ce revirement.

II - Les raisons

Quelles sont les raisons de la survie de la clause limitative de responsabilité à la résolution du contrat ? La première pourrait tenir dans le jeu atténué de la rétroactivité (A). La seconde résulterait de la finalité de la clause (B).

A - La rétroactivité

Il peut sembler tentant d'expliquer la solution à l'aune de la rétroactivité, dont le jeu a été récemment atténué (1.). Cette explication doit pourtant être réfutée (2.).

1. L'explication

La clé de l'arrêt pourrait résider dans la rétroactivité, cette fiction juridique qui fleure bon l'aphorisme de Giraudoux, cette construction de l'esprit qui prétend remonter le cours du temps. La rétroactivité, cela n'existe pas en soi. Imaginons que Primus communique au terme d'un contrat une information confidentielle à Secondus. Peut-on, sous prétexte de rétroactivité, provoquer l'amnésie chez Secondus si le contrat vient à être résolu ou annulé ?

Le Code civil n'attachait pas expressément, avant la réforme du 10 février 2016, d'effet rétroactif à la résolution. Cet effet était déduit de la combinaison des articles 1184 et 1183. Le premier, siège de la résolution pour inexécution, la qualifie improprement de "condition résolutoire". Le second traite bien de la condition résolutoire, mais au sens de condition, c'est-à-dire d'événement aléatoire échappant au contrôle des parties. Cet article 1183 dispose que "la condition résolutoire est celle qui, lorsqu'elle s'accomplit, opère la révocation de l'obligation, et qui remet les choses au même état que si l'obligation n'avait pas existé". Partant, on en déduisait que la résolution pour inexécution emportait anéantissement rétroactif du contrat.

Il faudrait alors comprendre que toute résolution étant rétroactive, elle annihile l'intégralité des clauses du contrat (23). Si la jurisprudence a parfois permis, par accident, à certaines stipulations de se maintenir, c'est qu'il n'était pas question de résolution rétroactive stricto sensu.

Ainsi, dans l'espèce précitée du 22 mars 2011, la Cour juge que : "la caducité d'un acte n'affecte pas la clause pénale qui y est stipulée et qui doit précisément produire effet en cas de défaillance fautive de l'une des parties" (24). La solution est-elle liée à l'absence d'effet rétroactif de la caducité ? Celle-ci n'opérant que pour l'avenir, elle ne justifierait pas l'effacement des clauses aménageant la responsabilité. A l'inverse, la résolution, parce qu'elle est rétroactive, emporterait dans son sillage les clauses de responsabilité.

La proposition n'emporte pas pleinement la conviction.

Non seulement parce que l'arrêt de 2011 est passablement embrouillé, faisant de la caducité la sanction d'une inexécution fautive, ce qu'elle ne peut pas être. Mais encore parce que la caducité n'est pas intrinsèquement privée d'effet rétroactif. L'article 1187 du Code civil (N° Lexbase : L0891KZZ), issu de l'ordonnance du 10 février 2016 et donc, certes, inapplicable aux faits de la cause, dispose : "la caducité met fin au contrat. Elle peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9". La caducité rétroactive n'est donc pas un monstre juridique. Partant, l'explication ne tient peut-être pas dans la rétroactivité. Ce n'est pas parce que la résolution est ou n'est pas rétroactive que la clause de responsabilité peut survivre.

On pourrait, alors, vouloir expliquer l'arrêt rendu le 7 février 2018 par une application anticipée de la réforme du droit des obligations.

En effet, l'ordonnance du 10 février 2016 a rompu avec la solution traditionnelle, qui voulait que la résolution fût nécessairement rétroactive. L'article 1229 nouveau dispose tout d'abord : "la résolution met fin au contrat", tout comme la caducité. Il ajoute : "la résolution prend effet selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice". On comprend déjà que la rétroactivité n'est pas le propre de la résolution puisque, en fonction du mode de résolution, la date de prise d'effet varie. Le texte poursuit : "lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation". Dit autrement, la résolution ne rétroagit au jour de formation du contrat que si la prestation est indivisible, en ce que son exécution partielle n'apporte pas de satisfaction partielle.

La réforme de 2016 a donc fait de la rétroactivité l'exception en matière de résolution. Faut-il alors percevoir dans l'arrêt du 7 février 2018 une forme d'anticipation de la réforme ? L'idée peut sembler séduisante : parce que la résolution ne serait plus rétroactive, elle ne remettrait pas en cause les clauses aménageant la responsabilité. Il n'est pourtant pas certain que l'on doive suivre cette idée. D'une part, l'arrêt ne dit rien de la réforme, à rebours de certaines décisions récentes qui proclament tenir compte de "l'évolution du droit des obligations" (25). D'autre part, en l'espèce, il semble que la résolution aurait dû être rétroactive, car l'exécution partielle n'avait apporté au créancier aucune satisfaction, les soudures réalisées par l'entrepreneur étant défectueuses. Là n'est donc pas l'explication.

2. La réfutation

En réalité, le sort des clauses limitatives de responsabilité ne peut dépendre de l'effet plus ou moins rétroactif de la résolution pour inexécution.

Ce qui importe, ce sont les prévisions des parties et l'équilibre du contrat. Lorsqu'elles ont négocié le contrat, les parties ont façonné un équilibre unique. La clause limitative de responsabilité y joue un rôle non négligeable. Souvenons-nous de l'arrêt "Faurecia 2", celui par lequel est revenue la lumière : si la Cour y sauve la clause limitative portant sur l'obligation essentielle, c'est parce qu'elle ne vide pas celle-ci de sa substance (26). C'est parce qu'en l'espèce, la clause avait été négociée, en contrepartie d'une réduction de près de 50 % du prix. Plus proche de nous, la Cour a récemment admis la validité d'une clause de renonciation à recours entre un bailleur et un preneur, au motif que "l'arrêt relève que la clause litigieuse, inscrite dans le cadre de relations contractuelles habituelles et équilibrées, a prévu une répartition entre les deux parties des risques encourus par les marchandises ; qu'ayant, ainsi, fait ressortir que la clause litigieuse ne vidait pas de toute substance l'obligation essentielle du contrat de stockage, la cour d'appel, abstraction faite du motif critiqué par la deuxième branche, qui est surabondant, a retenu, à juste titre, que cette clause devait recevoir application" (27).

Ajoutons que l'engagement du débiteur est le produit d'un calcul risques/bénéfices. Si le débiteur sait qu'il risque, en cas d'inexécution, d'indemniser un préjudice potentiel de 10 millions d'euros, acceptera-t-il de s'engager pour quelques dizaines de milliers d'euros ? Dans le cas d'espèce, le prix du marché était de 25 400 euros. Sur cette somme, à combien s'élève le bénéfice de la société C. ? Quelques dizaines de milliers d'euros tout au plus. La clause limitative de responsabilité cantonnait le préjudice indemnisable à "100 % du prix hors taxe du marché", soit 25 400 euros. La faire sauter contraindrait le débiteur à réparer un dommage sans proportion avec cette somme : plus de 760 000 euros.

On ne devrait toucher à la clause limitative de responsabilité que les mains tremblantes.

Remettre en cause la clause limitative de responsabilité motif pris de la rétroactivité attachée à la résolution ne participe pas de ce mouvement. Si l'on prend la rétroactivité comme clé de répartition, on aboutit aux résultats suivants.

Pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 :

- si le contrat est à exécution successive, la résolution ne joue que pour l'avenir, sans remettre en cause la période antérieure à l'inexécution : la clause limitative de responsabilité est maintenue ;
- si le contrat est à exécution instantanée, la résolution joue avec plein effet rétroactif : la clause limitative de responsabilité tombe ;
- si le contrat est à exécution successive mais que l'absence d'exécution ou l'exécution imparfaite existe depuis l'origine du contrat, celui est résolu rétroactivement : la clause limitative de responsabilité tombe.

Pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016 :

- si l'exécution partielle du contrat a apporté au créancier une satisfaction partielle, alors la résolution ne joue que pour l'avenir, sans remettre en cause la période antérieure à l'inexécution ; la clause limitative de responsabilité est maintenue ;
- si l'exécution partielle du contrat n'a pas procuré au créancier de satisfaction partielle, alors la résolution joue rétroactivement ; la clause limitative de responsabilité tombe.

Qui ne verra l'aspect sibyllin d'une telle dichotomie ? Suivant la date de conclusion du contrat, le type ou le moment de l'inexécution, la clause limitative de responsabilité sera maintenue ou écartée. Et l'on n'ose imaginer l'effet d'aubaine que pourrait susciter ces distinctions impraticables. S'il veut être pleinement indemnisé, le créancier devra se battre pour convaincre le juge que l'exécution ne lui a apporté nulle satisfaction.

Enfin, quelle logique y a-t-il à donner effet à la clause limitative ou à la priver d'effet en fonction d'un critère (la rétroactivité) qui n'est qu'un effet secondaire optionnel de la résolution du contrat ? Comme l'écrivait notre collègue Thomas Genicon, "outre que le fait que la différence de traitement est difficilement tolérable en pratique, elle est injustifiable en théorie puisque, à bien y réfléchir, la difficulté conceptuelle devrait être exactement la même dans les deux cas" (29).

B - La finalité

La réponse est ailleurs. Elle ne réside ni dans la comparaison de la clause limitative de responsabilité avec d'autres stipulations, ni dans le rapprochement de la résolution avec la nullité, ni dans le jeu de la rétroactivité.

Plus modestement, il faut peut-être la trouver dans la finalité de la clause limitative de responsabilité (on n'ose dire sa cause). Seules doivent survivre à la résolution du contrat, qu'elles soient ou non rétroactives, les clauses qui ne sont pas cumulables (30) avec elle. Dit autrement, peu importe que le contrat prenne fin pour le passé ou non : il demeure un fait qu'il ne peut plus produire d'effets pour l'avenir. Dès lors, il faut s'interroger sur l'effet de la stipulation en cause : la résolution l'empêche-t-elle de se réaliser ou peut-elle coexister avec lui ?

On comprend aisément que l'on ne peut, dans le même temps, demander deux choses contraires : que le contrat soit résolu, et qu'il produise effet. Le créancier ne peut exiger la résolution du contrat et son exécution forcée. Mais y a-t-il incompatibilité entre une demande de résolution et une demande d'indemnisation ? Loin s'en faut : la résolution ne répare pas les conséquences de l'inexécution. Elle ne fait que la sanctionner. Partant, le créancier peut parfaitement, sous l'ancien droit comme le nouveau, solliciter que lui soient accordés, en sus de la résolution, des dommages-intérêts (31).

Est-il si illogique que ces dommages-intérêts qui se cumulent avec la résolution du contrat soient soumis aux stipulations du contrat ? Quelles sont les raisons qui justifieraient d'écarter la volonté des parties et de tromper leurs prévisions ? Il nous semble que rien ne justifie de paralyser une clause qui a précisément pour vocation de définir les droits des parties en cas d'inexécution. Que la clause limitative de responsabilité soit neutralisée par la faute lourde ou dolosive se conçoit : lorsque le débiteur prend ses libertés avec le contrat, il en assume les conséquences. Mais qu'on tourne la clause au seul motif que le créancier poursuit la résolution du contrat ne se justifie guère. Le débiteur n'a pas de prise sur ceci.

La clause limitative n'a qu'une raison d'être : limiter l'indemnisation lorsque le créancier demande réparation du préjudice résultant de l'inexécution contractuelle. Prétendre la neutraliser au seul motif que le créancier a demandé, en plus de cette réparation conventionnelle, la résolution du contrat, paraît peu orthodoxe. Il suffirait au créancier de solliciter une résolution dont il n'a cure, surtout si elle ne lui donne pas droit à des restitutions, pour qu'il obtienne une indemnisation de son entier préjudice. En l'espèce, il suffisait au créancier de demander la résolution du contrat pour voir, merveille ésotérique, son indemnisation passer de 25 400 à 760 000 euros.

Il nous paraît donc opportun que la Cour de cassation revienne à plus de raison en maintenant la clause limitative de responsabilité en dépit de la résolution du contrat. On peut à cet égard se réjouir de l'attendu, qui ne fait pas référence à la rétroactivité : "en cas de résolution d'un contrat", se borne à dire la Cour, sans distinguer selon qu'elle opère pour l'avenir ou le passé.

On éprouve néanmoins, sur la forme, quelques doutes sur deux incises de l'attendu, l'une afférente à la cause, la seconde à la clause.

La première est relative à la cause de la résolution. La Cour de cassation vise, sans distinguer, la "résolution" du contrat. Faut-il comprendre que sont indifféremment visées les hypothèses de résolution pour inexécution ? Ou doit-on en retrancher la résolution du contrat pour acquisition de la clause résolutoire ? Quid également de la "résolution" pour cause de force majeure, à laquelle recourait -selon nous à tort (32)- la Cour de cassation sous l'empire de l'ancien droit des contrats (33) ?

La seconde incise touche à la clause de résolution. L'attendu retient que demeurent applicables les "clauses limitatives de réparation des conséquences de cette inexécution". La formule paraît restrictive. Sont corrélativement exclues les clauses pénales, mais aussi les clauses limitatives de réparation d'autres préjudices que ceux découlant de l'inexécution à l'origine de la résolution. Ainsi, si le contrat contenait deux clauses limitatives, l'une relative à l'obligation essentielle et l'autre aux obligations accessoires, faut-il en déduire que la résolution prononcée pour inexécution de l'obligation principale emporterait anéantissement de la clause limitative applicable à l'obligation accessoire ?

Dernière question : quid de l'apport d'un tel arrêt alors qu'est entré en vigueur l'article 1230 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L0933KZL), lequel dispose "la résolution n'affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence" ? Le texte s'inspire largement des codifications savantes, qu'il s'agisse des Principes Lando (34) ou Unidroit (35).

L'intérêt de l'arrêt demeure non négligeable. Peut-être fournira-t-il une clé d'application, certes anticipée, du texte nouveau. En effet, si l'énumération de l'article 1230 n'est pas exhaustive, elle n'est pas non plus fort précise. Les rédacteurs de l'ordonnance du 10 février 2016 auraient pu, s'ils l'avaient voulu, indiquer que les clauses limitatives de responsabilité survivaient à la résolution du contrat. Ils ne l'ont pas fait. Le juge est alors libre de déterminer si la clause limitative est ou non "destinée à produire effet même en cas de résolution". La casuistique n'est pas close (36) !


(1) Cass. com., 5 octobre 2010, n° 08-11.630, F-D (N° Lexbase : A3629GBZ) (c'est nous qui soulignons).
(2) Cass. civ. 1, 15 avril 2015, n° 14-11.572, F-D (N° Lexbase : A9371NG8) : "en raison de son autonomie par rapport à la convention principale dans laquelle elle s'insère, la clause attributive de compétence n'est pas affectée par l'inefficacité de celle-ci".
(3) Cf. infra.
(4) La solution est toutefois discutée en jurisprudence. Voir par exemple : Cass. civ. 1, 6 mars 1996, n° 93-21.728, publié au Bulletin (N° Lexbase : A9517AB4) : "une partie ne peut demander l'exécution d'aucune des stipulations d'un contrat mis à néant, s'agît-il de la clause de non-concurrence qui y était insérée".
(5) Cass. civ. 3, 6 janvier 1993, n° 89-16.011, inédit (N° Lexbase : A3041CNX).
(6) Rappr. C. Chabas, Rép. civ. Dalloz, V° "Résolution-Résiliation", n° 227, au sujet de l'arrêt de 1993 : "on peut se demander si cette persistance n'a lieu que si la clause pénale prévoit expressément les conséquences de la résolution".
(7) Cass. civ. 3, 15 février 2005, n° 04-11.223, F-D (N° Lexbase : A7468DGP).
(8) Cass. com., 22 mars 2011, n° 09-16.660, F-P+B (N° Lexbase : A7594HI4).
(9) Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-17.779, FS-P+B (N° Lexbase : A6569IKI).
(10) En droit spécial, voir notamment à propos d'un crédit-bail résilié du fait de la résolution de la vente : Cass. com., 26 octobre 1993, n° 92-11.088, publié au Bulletin (N° Lexbase : A6770ABD) : la résolution de la vente emporte résiliation du crédit-bail, "sous réserve de l'application de clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation". Adde. R.-N. Schnütz, Rép. dr. civ. Dalloz, V° " Crédit-bail ", n° 250 : "la clause pénale stipulée dans l'ensemble des contrats de crédit-bail et qui sanctionne l'inexécution par le locataire de son obligation de payer le loyer n'est sûrement pas applicable lorsque la résiliation du crédit-bail est la conséquence de la résolution de la vente".
(11) M. Mignot, Commentaire article par article de l'ordonnance du 10 février 2016, Petites Affiches, 2016, n° 67, p. 5.
(12) Voir notamment H. Kassoul, L'après-contrat, thèse, Nice, 2017, dir. Y. Strickler, n° 383 : l'auteur y estime que la clause limitative de responsabilité survit à la résolution en raison de son caractère autonome.
(13) Cass. civ. 1, 7 mai 1963, Gosset, publié au Bulletin.
(14) Cass. civ. 2, 4 avril 2002, n° 00-18.009, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4296AYR).
(15) L. Cadiet, Liberté des conventions et clauses relatives au règlement des litiges, Petites Affiches, 2000, n° 90, p. 30.
(16) D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, 1992, n° 90 et 7 (c'est nous qui soulignons).
(17) Paris, 8 octobre 1998, Sam.
(18) Paris, 9 mars 1972, cité par L. Degos, La Cour de cassation consacre l'autonomie de la clause compromissoire en droit français de l'arbitrage interne, D., 2003, p. 1117.
(19) Carbonnier, Droit civil, Les obligations, t. 4, PUF, 2000, n° 107.
(20) Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 07-17.788, F-P+B+I (N° Lexbase : A1233E4G) : "une clause attributive de compétence, en raison de son autonomie par rapport à la convention principale dans laquelle elle s'insère, n'est pas affectée, par l'inefficacité de cet acte".
(21) Arrêt "Gosset", précité. Le décret du 13 janvier 2011 a inscrit à l'article 1447 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2276IPY) que "la convention d'arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte".
(22) Th. Genicon, Coup de théâtre : la résolution du contrat emporte avec elle la clause limitative de responsabilité !, RDC, 2011, n° 2, p. 431.
(23) Cass. com., 5 octobre 2010, n° 08-11.630, F-D (N° Lexbase : A3629GBZ) : "la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer les clauses limitatives de responsabilité".
(24) Cass. com., 22 mars 2011, n° 09-16.660, publié au Bulletin (N° Lexbase : A7594HI4).
(25) Voir par exemple Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-12.906, FS-P+B (N° Lexbase : A7608WSL). (soulignement ajouté).
(26) Solution reprise par l'article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L0876KZH) issu de la réforme du 10 février 2016.
(27) Cass. com., 26 avril 2017, n° 15-23.239, F-D (N° Lexbase : A2712WB3).
(28) Cass. civ. 3, 30 avril 2003, Lucie, n° 01-14.890, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7549BSE).
(29) Th. Genicon, op. cit..
(30) Le critère est consacré à l'article 1217 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L0931KZI).
(31) Au sujet des clauses pénales, Messieurs Deshayes, Genicon et Laithier écrivent : "il faut veiller à ce que la clause, telle qu'elle est chiffrée, ne représente pas une exécution par équivalent de la prestation inexécutée" (in Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis, 2016, p. 516. La remarque ne s'applique sans doute pas aux clauses limitatives de responsabilité, dès lors qu'elles ne fixent qu'un plafond.
(32) L. Thibierge, Le contrat face à l'imprévu, Economica, préf. L. Aynès, 2011, n° 842.
(33) Voir par ex. Cass. civ. 1, 2 juin 1982, n° 81-10.158, publié au Bulletin (N° Lexbase : A7585CEN).
(34) Article 9:305 (2) : "la résolution n'a point d'effet sur les stipulations du contrat relatives au règlement des différends, non plus que sur toutes autres clauses appelées à produire effet même en cas de résolution".
(35) Article 7.3.5 (3) : "Elle n'a pas d'effet sur les clauses du contrat relatives au règlement des différends, non plus que sur toute autre clause destinée à produire effet même en cas de résolution".
(36) Rappr. M. Mekki, Le juge et les remèdes à l'inexécution du contrat, RDC, 2016/2, p. 400.

newsid:463212

Divorce

[Brèves] Prestation compensatoire : possible de présenter la demande pour la première fois en cause d'appel, même lorsque la demande en divorce a été présentée en première instance par l'autre partie !

Réf. : Cass. civ. 1, 14 mars 2018, n° 17-14.874, F-P+B (N° Lexbase : A2229XHZ)

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N3232BXY

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 22 Mars 2018

La demande de prestation compensatoire, accessoire à la demande en divorce, peut être présentée pour la première fois en appel tant que la décision, en ce qu'elle prononce le divorce, n'a pas acquis force de chose jugée. Tel est le rappel opéré par la première chambre civile de la Cour de cassation (déjà en ce sens, cf. Cass. civ. 2, 11 février 1998, n° 96-12.917 N° Lexbase : A2658ACG), dans un arrêt rendu le 14 mars 2018, dont on peut dégager que cette règle s'applique, peu important que la demande en divorce ait été formée en première instance par l'autre partie que celle formant la demande de prestation compensatoire (Cass. civ. 1, 14 mars 2018, n° 17-14.874, F-P+B N° Lexbase : A2229XHZ).

En l'espèce, un jugement avait rejeté la demande en divorce de M. L. ; sur appel de celui-ci, son épouse, Mme V. avait conclu à la confirmation du jugement et subsidiairement, demandé une prestation compensatoire ; la cour d'appel avait prononcé le divorce. Pour déclarer irrecevable, comme nouvelle, la demande de prestation compensatoire, la cour d'appel avait retenu qu'une partie n'est pas recevable à présenter pour la première fois devant la cour d'appel des prétentions qui seraient le prolongement ou l'accessoire de celles formées en première instance par une autre partie et que, Mme V. n'ayant formulé aucune demande en divorce en première instance, sa demande de prestation compensatoire ne se rattachait à aucune prétention originelle.

A tort. La décision est censurée par la Cour suprême, qui rappelle la règle précitée, au visa de l'article 270 du Code civil (N° Lexbase : L2837DZ4), ensemble l'article 1076-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1492H4Z) (cf. l’Ouvrage "Droit du divorce" N° Lexbase : E0405EUK).

newsid:463232

Droit des étrangers

[Brèves] Demande de prolongation de la rétention : le premier président doit rechercher le document propre à établir les conditions de l'interpellation ayant conduit au placement initial en garde à vue

Réf. : Cass. civ. 1, 14 mars 2018, n° 17-17.328, FS-P+B (N° Lexbase : A2192XHN)

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N3234BX3

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par Marie Le Guerroué

Le 06 Avril 2018

Il incombe au premier président, saisie d'une requête en prolongation d'une rétention administrative, de rechercher le document propre à établir les conditions de l'interpellation ayant conduit au placement initial en garde à vue. Ainsi statue la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mars 2018 (Cass. civ. 1, 14 mars 2018, n° 17-17.328, FS-P+B N° Lexbase : A2192XHN).

En l'espèce, M. M., se disant de nationalité tunisienne et étant en situation irrégulière en France, avait été interpellé le 15 juillet 2016 et immédiatement placé en garde à vue jusqu'au lendemain pour l'exécution d'un mandat de justice, puis le 16 juillet pour des faits de maintien irrégulier sur le territoire national. Il avait été placé en rétention administrative le même jour. Le préfet avait demandé la prolongation de la rétention le 20 juillet. L'ordonnance relevait, pour accueillir la demande, que le procès-verbal de saisine préalable à la seconde mesure de garde à vue valait procès-verbal d'interpellation.

La première chambre civile de la Cour de cassation rend la solution susvisée au visa de l'article R. 552-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9107LAK) et estime, qu'en se déterminant ainsi, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E3899EY3).

newsid:463234

Entreprises en difficulté

[Brèves] DNI concernant un immeuble indivis : défaut de qualité du liquidateur d'un coïndivisaire pour agir en licitation

Réf. : Cass. com., 14 mars 2018, n° 16-27.302, F-P+B+I (N° Lexbase : A8296XGD)

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N3203BXW

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par Vincent Téchené

Le 22 Mars 2018

Dès lors qu'un immeuble indivis a fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité régulièrement publiée avant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de l'un des coïndivisaires, les droits indivis de ce dernier n'ayant pas été appréhendés par la procédure collective, le liquidateur n'a pas qualité pour agir en partage et licitation de l'immeuble sur le fondement de l'article 815 du Code civil (N° Lexbase : L9929HN3). Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 14 mars 2018 (Cass. com., 14 mars 2018, n° 16-27.302, F-P+B+I N° Lexbase : A8296XGD).

Le propriétaire indivis, avec son épouse, d'un bien qu'ils ont déclaré insaisissable par un acte publié le 16 avril 2004 a été mis en redressement puis liquidation judiciaires les 11 septembre 2007 et 29 septembre 2008. Le liquidateur a assigné la femme en partage de l'indivision et licitation de l'immeuble. La cour d'appel (CA Toulouse, 28 juin 2016, n° 13/03367 N° Lexbase : A6610RUD) déclare cette demande recevable, retenant que le liquidateur, exerçant les droits et actions du débiteur dessaisi de la libre administration de son patrimoine, a qualité pour agir en partage de l'indivision sur le fondement de l'article 815 du Code civil (N° Lexbase : L9929HN3) et que le partage peut toujours être provoqué par l'un des indivisaires, sans que la déclaration d'insaisissabilité puisse faire obstacle à cette action.

Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel au visa des articles L. 641-9 (N° Lexbase : L7329IZH) et L. 526-1 (N° Lexbase : L9525IYG) du Code de commerce, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (N° Lexbase : L4876KEC ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E4645EUL et N° Lexbase : E4635EU9).

newsid:463203

Fiscalité internationale

[Brèves] Accord UE-Suisse : imposition des plus-values latentes afférentes aux participations substantielles dans le capital de sociétés établies dans l'Etat membre d'origine à l'occasion d'un transfert

Réf. : CJUE, 15 mars 2018, aff. C-355/16 (N° Lexbase : A8327XGI)

Lecture: 2 min

N3211BX9

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par Marie-Claire Sgarra

Le 22 Mars 2018

Une personne qui transfère sa résidence en Suisse et qui gère, à partir de cette résidence, des participations détenues dans un autre Etat membre sans y effectuer de déplacement, peut être redevable d'un impôt sur les plus-values latentes afférentes à ces participations.

Telle est la solution dégagée par la CJUE dans un arrêt du 15 mars 2018 (CJUE, 15 mars 2018, aff. C-355/16 N° Lexbase : A8327XGI).

En l'espèce, le requérant a transféré sa résidence de la France vers la Suisse au cours de l'année 2002. A cette date il détenait des participations dans le capital social de plusieurs sociétés françaises. Lors de ce transfert, il a déclaré conformément aux dispositions de l'article 167 bis du CGI (N° Lexbase : L9344LHK) une plus-value latente sur les titres de ces participations et a désigné un représentant fiscal en France. En 2005, le requérant cède ses titres de participations. L'administration fiscale française a réévalué le montant de la plus-value latente et a mis à la charge du requérant des cotisations supplémentaires d'IR et de contributions sociales, assorties de pénalités. Ce dernier dépose une réclamation afin d'obtenir la décharge de ces cotisations, ce que l'administration rejette. Le tribunal administratif de Montreuil, puis la cour administrative de Versailles rejettent également sa demande. Le Conseil d'Etat décide de surseoir à statuer et de renvoyer l'affaire devant la CJUE.

Le requérant fait valoir devant la Cour que l'activité de gestion à partir de la Suisse, de ses participations dans les sociétés établies en France relève du droit d'établissement en tant qu'indépendant, au regard de l'accord sur la libre circulation des personnes, un droit dont il devrait pouvoir se prévaloir également à l'égard de son Etat d'origine.

La CJUE juge donc que, dès lors qu'une situation ne relève pas du champ d'application ratione personae de la notion d'indépendants au sens de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, et la Confédération suisse, sur la libre circulation des personnes, les stipulations de celui-ci doivent être interprétées en ce sens qu'elles ne s'opposent pas à une législation d'un Etat partie à cet accord, qui lorsqu'une personne physique transfère sa résidence vers un autre Etat partie audit accord, tout en maintenant une activité économique dans le premier de ces deux Etats, prévoit l'imposition immédiate des plus-values latentes afférentes à des participations substantielles que cette personne détient dans le capital de sociétés relevant du droit du premier Etat à l'occasion de ce transfert de résidence et qui n'admet le recouvrement différé de l'impôt dû qu'à la condition que soient constituées des garanties propres à assurer le recouvrement du dudit impôt, alors qu'une personne qui détient également de telles participations, mais qui continue de résider sur le territoire du premier de ces mêmes Etats n'est imposée qu'au moment de la cession de ces participations.

newsid:463211

Fonction publique

[Jurisprudence] La possibilité pour l'agent placé en congé de maladie de conserver son plein traitement lorsque cette maladie est imputable au service - conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 3° ET 8° ch.-r., 21 février 2018, n° 396013, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0578XE7)

Lecture: 14 min

N3210BX8

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par Vincent Daumas, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 22 Mars 2018

Dans un arrêt rendu le 21 février 2018, le Conseil d'Etat a jugé au terme d'un délai maximum de trois mois courant à compter de la demande de reconnaissance d'un accident de service ou de maladie professionnelle formée par l'agent, et s'il ne peut définitivement être statué sur sa situation à défaut de la commission de réforme, l'agent devra être maintenu en congé à plein traitement à titre provisoire, sauf si la personne publique peut démontrer qu'elle se trouvait, pour des raisons indépendantes de sa volonté, dans l'impossibilité de recueillir l'avis de la commission de réforme. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Vincent Daumas. Mme B., qui est ingénieur territorial, exerçait des fonctions de chargée de mission au sein des services de la région Ile-de-France. Elle a été placée en congé de maladie à plein traitement à compter du 17 août 2011. Puis, par six arrêtés successifs du président du conseil régional, elle a été placée en congé de maladie, pour l'essentiel à demi-traitement, pour la période du 15 octobre 2011 au 15 mai 2012. Mme B. a demandé au tribunal administratif de Paris, notamment, l'annulation de ces six arrêtés en tant qu'ils n'ont pas maintenu le versement d'un plein traitement, au motif que sa pathologie, qualifiée de "syndrome d'intolérance aux champs électromagnétiques", était selon elle imputable au service. Le tribunal administratif a rejeté ses demandes, rejet confirmé par la cour administrative d'appel de Paris. Mme B. se pourvoit en cassation.

Observons que la cour administrative d'appel a également rejeté des conclusions de Mme B. qu'elle désigne alternativement dans son arrêt comme des conclusions "indemnitaires" ou "aux fins de rappel de traitement". Le motif de l'arrêt justifiant leur rejet n'est pas critiqué par le pourvoi et ces conclusions, au vu de l'argumentation présentée à leur appui devant la cour, sont sans lien avec celles tendant à l'annulation des six arrêtés plaçant l'intéressée en congé de maladie à demi-traitement. Dans ces conditions, alors même que Mme B. conclut à la cassation de l'arrêt -sans plus de précision-, nous croyons que les conclusions de son pourvoi doivent être requalifiées, au vu des moyens soulevés, comme ne tendant à la cassation de l'arrêt qu'en tant qu'il s'est prononcé sur la légalité des six arrêtés la plaçant en congé de maladie à demi-traitement.

La contestation portée par Mme B. devant les juges du fond a trait, vous l'avez compris, au bénéfice des dispositions du deuxième alinéa du 2° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, relative à la fonction publique territoriale (1), qui permettent à l'agent placé en congé de maladie de conserver son plein traitement lorsque cette maladie est imputable au service. Or il résulte des dispositions du troisième alinéa de ce même 2° et des dispositions réglementaires prises pour son application que la question de l'imputabilité de la maladie au service donne lieu, lorsque l'administration envisage de refuser la reconnaissance de cette imputabilité, à un avis de la commission de réforme. L'administration prend ensuite sa décision au vu de cet avis, sans être liée par celui-ci (3). Mais toute décision refusant de reconnaître l'imputabilité au service prise en l'absence d'avis de la commission de réforme est illégale car prise à l'issue d'une procédure irrégulière (4).

Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B. a évoqué l'imputabilité au service de sa maladie dans le recours gracieux qu'elle a présenté par lettre du 2 décembre 2011 à l'encontre des deux premiers des arrêtés litigieux. Au vu de cette demande, la région Ile-de-France a entrepris de consulter la commission de réforme. Ainsi que l'a relevé la cour administrative d'appel, Mme B. a été invitée, afin d'éclairer la commission, à se soumettre à un examen médical auprès d'un service hospitalier de pathologie professionnelle. L'intéressée a refusé en indiquant que l'examen proposé ne satisfaisait pas les "critères déontologiques [qu'elle était] en droit d'attendre", motif pris des déclarations qu'aurait faites le chef de ce service quant à l'origine des troubles de l'hypersensibilité aux champs électromagnétiques. A l'issue de sa séance du 22 mai 2012, la commission de réforme a indiqué qu'elle ne pouvait se prononcer faute de disposer de suffisamment d'éléments. La commission n'a donc pas délivré d'avis sur l'imputabilité au service des troubles dont souffrait Mme B.

Saisie du litige, la cour administrative d'appel a jugé qu'en refusant sans motif valable de consulter le médecin du service hospitalier de pathologie professionnelle auprès duquel un rendez-vous avait été pris, Mme B. n'avait pas mis la commission de réforme à même de rendre un avis sur sa demande tendant à la reconnaissance de l'origine professionnelle de sa pathologie. Elle en a déduit que, dans ces conditions, en l'absence de décision de la région Ile-de-France concernant l'existence éventuelle d'une maladie professionnelle, elle ne pouvait utilement contester les arrêtés litigieux au motif que son affection était imputable à ses conditions de travail. Ces motifs sont critiqués par des moyens d'erreur de droit et d'inexacte qualification juridique des faits. Selon l'argumentation présentée à leur appui, peu importait que la commission de réforme eût rendu ou non un avis, et dans quel sens, dès lors que les arrêtés litigieux, en plaçant Mme B. en congé de maladie à demi-traitement, avaient nécessairement entendu exclure l'imputabilité au service de sa maladie. Il existait donc bien, selon le pourvoi, une décision refusant de reconnaître cette imputabilité, que l'agent était en droit de contester.

Nous croyons que cette argumentation est fondée -étant précisé que nous comprenons parfaitement le double angle d'attaque retenu par le pourvoi : l'erreur de qualification juridique des faits cible le motif par lequel la cour administrative d'appel a jugé qu'il n'existait pas de décision de la région refusant de reconnaître l'imputabilité au service- ; l'erreur de droit vise celui par lequel la cour a jugé que Mme B. ne pouvait utilement, dans ce litige, critiquer le bien-fondé des arrêtés attaqués motif pris de cette imputabilité.

Examinons chacun de ces deux moyens.

1. Le premier moyen de cassation, tiré de l'erreur de qualification juridique des faits, nous paraît assurément fondé -c'est celui que nous vous proposons de retenir-.

Comme le relevait Bertrand Dacosta dans des conclusions prononcées devant les 7e et 2e sous-sections réunies dans une affaire de référé-suspension (CE, 11 avril 2014, n° 375182 N° Lexbase : A1114MKH, inédite au Recueil), il faut bien combiner la particularité de la procédure applicable aux demandes des fonctionnaires tendant au bénéfice du régime de congé de maladie plus favorable en cas d'imputabilité de la maladie au service avec les règles générales relatives à la naissance des décisions administratives implicites. C'est-à-dire faire coexister l'obligation pesant sur l'administration de recueillir l'avis de la commission de réforme avant de refuser la reconnaissance de l'imputabilité au service et la circonstance que le silence gardé plus de deux mois sur une demande tendant à cette reconnaissance fait naître une décision implicite de rejet. Ainsi que le signalait encore votre rapporteur public, la jurisprudence avait déjà pris parti sur cette question, en jugeant illégal un rejet implicite intervenu avant que le comité médical compétent ne se fût prononcé (CE, 15 décembre 1976, n° 98237 N° Lexbase : A0841B8N, aux tables du Recueil).

L'illégalité quasi-mécanique découlant de l'intervention d'une décision implicite de rejet avant celle de l'avis requis préalablement à un tel rejet n'est guère satisfaisante, bien sûr. Vous pourriez être tenté, à l'occasion de la présente affaire, de préciser les obligations pesant sur l'administration lorsque le comité médical ou la commission de réforme tarde à rendre son avis -ce qui n'est pas rare en pratique-. Avant l'expiration du délai de deux mois faisant naître une décision implicite de rejet, l'administration est en droit de maintenir l'agent à demi-traitement. Une fois expiré ce délai, en revanche, et si l'avis requis n'est toujours pas intervenu, il nous semble que l'administration n'a d'autre choix, pour placer son agent dans une situation régulière, que de lui accorder, à titre provisoire et dans l'attente de cet avis, le bénéfice du maintien de son plein traitement (voyez à ce propos CE, 22 avril 2005, n° 275106 N° Lexbase : A9420DHD, inédite au Recueil). Comme le défendait Bertrand Dacosta -à la réflexion duquel nous empruntons décidément beaucoup !-, il ne pourrait guère en aller autrement que dans l'hypothèse où l'administration démontre qu'elle se trouve dans l'impossibilité de recueillir cet avis.

Quoiqu'il en soit, vous constaterez que l'arrêt de la cour est bien entaché de l'erreur de qualification juridique des faits que lui reproche le pourvoi. Car il existait bien de la part de la région un refus de reconnaître l'imputabilité au service. Ce refus se déduisait de la circonstance que, plus de deux mois après la demande de reconnaissance de l'imputabilité, la région n'avait pas pris de position expresse sur cette demande. Il se déduisait, au surplus, du maintien de Mme B. en congé de maladie à demi-traitement au terme de ce délai de deux mois, la région n'étant pas revenue sur les premiers arrêtés contestés, antérieurs à la demande de reconnaissance de l'imputabilité, et ayant en outre pris de nouveaux arrêtés maintenant son agent dans cette situation. La cour administrative d'appel pouvait peut-être juger que ce refus de reconnaître l'imputabilité au service n'était pas illégal du seul fait de l'absence d'avis de la commission de réforme, en raison du refus opposé par Mme B. de se soumettre à une expertise destinée à nourrir le dossier médical soumis à cette commission. Mais elle ne pouvait nier que ce refus existât.

2. Disons brièvement, pour faire reste de droit, que le second moyen du pourvoi, formulé sur le terrain de l'erreur de droit, nous semble également fondé.

La cour paraît avoir déduit, du refus de Mme B. de se soumettre à l'expertise médicale demandée, une inopérance du débat, porté devant le juge, sur l'imputabilité au service de sa maladie. Un tel raisonnement, qui revient peu ou prou à fermer une voie de droit ouverte à l'agent en raison de son comportement au cours d'une procédure administrative, nous paraît impossible à suivre. La cour, encore une fois, pouvait peut-être tirer les conséquences de l'attitude de Mme B... sur le terrain de la régularité de la procédure suivie par la région pour refuser de reconnaître l'imputabilité au service. Mais certainement pas prétendre esquiver, pour ce motif, le débat soulevé par la contestation de ce refus. S'il était sans doute regrettable que la question de l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre Mme B... ne fût pas éclairée par un avis de la commission de réforme, rien ne faisait obstacle à ce que la cour usât de ses pouvoirs d'instruction pour ordonner une expertise médicale.

La région, en défense au pourvoi, soutient que la cour n'a fait qu'appliquer votre jurisprudence. Elle cite l'une de vos décisions : CE, 23 septembre 1998, n° 147513 (N° Lexbase : A8144ASG), aux tables du Recueil -qu'il ne faut pas confondre avec une décision de section éponyme, postérieure de quelques mois, portant sur la procédure d'abandon de poste (5)-. La décision citée juge qu'un agent communal qui avait systématiquement refusé de se présenter aux différentes visites médicales auxquelles il avait été convoqué soit par le maire, soit par le comité médical départemental, s'était "placé par son fait en dehors du champ d'application des lois et règlements édictés en vue de garantir les droits inhérents à son emploi". Vous en déduisez que cet agent n'est pas fondé à contester les décisions par lesquelles le maire avait implicitement refusé de soumettre à nouveau sa situation au comité médical départemental. Cette décision ne nous fait pas changer d'avis : il nous semble qu'elle se borne à juger que l'agent ne peut revendiquer le bénéfice d'une garantie de procédure à laquelle il a lui-même renoncé du fait de son attitude. Elle ne remet pas en cause son droit de contester devant le juge le régime de congé de maladie que l'administration lui a appliqué. Nous observons d'ailleurs que, dans la décision précitée, vous examinez ensuite l'autre chef de conclusions présenté par l'agent, qui contestait aussi les décisions du maire relatives à ses droits à congé de maladie avec traitement.

3. Il restera à déterminer l'étendue de la cassation qu'il vous appartient de prononcer. Cette question d'espèce en fait naître une autre, de plus vaste portée.

De notre point de vue, l'erreur de qualification juridique des faits commise par la cour permet d'aboutir à la cassation de l'arrêt dans l'exacte mesure demandée par Mme B. -c'est-à-dire en tant que la cour s'est prononcée sur la légalité des six arrêtés litigieux la maintenant à demi-traitement-. Mais l'on peut hésiter sur ce point.

Il faut rappeler, pour vous exposer la difficulté, la chronologie des événements, telle qu'elle ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond. Les deux premiers arrêtés contestés plaçant Mme B. en congé de maladie à demi-traitement sont datés des 6 octobre et 8 novembre 2011. Ce n'est que postérieurement à ces deux arrêtés, dans un recours gracieux adressé à son administration le 2 décembre 2011, qu'elle a formellement revendiqué l'imputabilité au service de la maladie la mettant dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Les deux arrêtés qui suivent, datés des 7 décembre 2011 et 6 janvier 2012, interviennent dans la période de deux mois durant laquelle la région pouvait encore être regardée comme n'ayant pas statué sur la demande d'imputabilité au service, dans l'attente qu'elle était de l'avis de la commission de réforme -avec cette petite subtilité que celui du 6 janvier 2012 couvre la période du 3 janvier au 17 février 2012, c'est-à-dire une période à cheval sur le refus d'imputabilité implicitement opposé par la région-. Enfin les deux derniers arrêtés, des 30 mars et 17 avril 2012, interviennent après le rejet implicite de la demande de Mme B. tendant à la reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie.

Partant du constat que les juges du fond ont statué en tant que juge de l'excès de pouvoir, vous pourriez songer à écarter le moyen d'erreur de qualification juridique des faits s'agissant des trois premiers arrêtés et du quatrième, celui du 6 janvier 2012, en tant qu'il couvre une période antérieure au rejet implicite de la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service. Car à la date à laquelle ils ont été pris et, pour celui du 6 janvier 2012, en tant qu'il porte sur cette période, l'administration pouvait encore être regardée comme n'ayant pas pris de décision concernant l'imputabilité au service. Vous seriez alors conduit à ne prononcer la cassation de l'arrêt qu'en tant qu'il a statué, d'une part, sur l'arrêté du 6 janvier 2012, en tant seulement qu'il porte sur la période postérieure au rejet implicite de la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service, d'autre part, sur les deux derniers arrêtés, des 30 mars et 17 avril 2012.

Ce n'est pas ce que nous vous proposons car il nous semble que la question de l'imputabilité au service de l'affection dont souffre Mme B. est de nature à influer sur la légalité de l'ensemble des arrêtés en litige, y compris les premiers, et alors même qu'ils sont antérieurs à la demande de reconnaissance de cette imputabilité.

Si la cour administrative d'appel, ressaisie du litige, et principalement de cette question d'imputabilité au service, la reconnaissait, il faudrait en conclure que, par application des dispositions législatives citées tout à l'heure, Mme B. était en droit de bénéficier du maintien en congé de maladie à plein traitement jusqu'à, en principe, la reprise de son service . Il y aurait alors lieu, selon nous, d'en tirer les conséquences sur les premiers des arrêtés en litige, en les annulant comme contraires à la loi, puisqu'ils placent Mme B. en congé de maladie à demi-traitement. Cela peut sembler curieux au regard des canons de l'excès de pouvoir, dans la mesure où ces arrêtés, qui pouvaient être regardés comme légaux à la date à laquelle ils ont été pris, seraient censurés en raison de la reconnaissance, postérieurement, de l'imputabilité au service. Toutefois, le paradoxe n'est qu'apparent. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier la légalité des arrêtés litigieux à la date à laquelle ils ont été pris, certes. Mais la "reconnaissance" de l'imputabilité de la maladie au service porte bien son nom : elle éclaire quelle était en réalité la situation de fait à la date à laquelle ces arrêtés sont intervenus et ne fait que révéler une illégalité dont ils étaient porteurs dès l'origine. Pour emprunter les termes d'un autre de vos rapporteurs publics, Damien Botteghi, l'office du juge de l'excès de pouvoir ne se limite pas aux faits tels que l'administration les a perçus mais consiste à vérifier, de manière objective, ce qu'était la situation à la date à laquelle l'administration a statué (7).

Vous avez déjà expressément admis cette dimension rétrospective du contrôle du juge de l'excès de pouvoir dans le contentieux de l'imputabilité au service d'une maladie : voyez CE, 21 novembre 2012, n° 344561, 356462 (N° Lexbase : A2637IXX), au Recueil, décision dans laquelle vous jugez que, pour apprécier l'imputabilité, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de prendre en compte le dernier état des connaissances scientifiques, alors même qu'à la date à laquelle l'autorité administrative a pris sa décision, l'état de ces connaissances était différent. Ajoutons qu'à nos yeux, l'admission de cette "petite rétrospectivité" du contrôle d'excès de pouvoir est tout à fait pertinente dans le contentieux particulier qui nous occupe -celui portant sur les différents régimes de congé de maladie auxquels les fonctionnaires peuvent prétendre-. Elle est profondément cohérente avec l'objet de la loi, qui commande que l'administration ou le cas échéant le juge remplisse les agents de leurs droits -en l'occurrence, le droit au maintien du plein traitement en cas de maladie imputable au service, en principe jusqu'à reprise des fonctions-. Voyez, pour des précédents dont la rédaction donne furieusement le sentiment que le juge se prononce avant tout sur les droits de l'agent pour la période couverte par les actes administratifs attaqués, rétrogradés au rang de simples clés d'entrée du litige : CE, 29 octobre 2012, n° 332387 (N° Lexbase : A1151IWK), inédite au Recueil ; CE, 23 juillet 2014, n° 368856 (N° Lexbase : A7306MU7), inédite aussi.

Nous entendons, bien sûr, l'objection consistant à soutenir que la difficulté pourrait être réglée sur le terrain indemnitaire. Dès lors que l'administration elle-même, ou le juge en cas de contentieux, reconnaît l'imputabilité au service d'une maladie mettant le fonctionnaire dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, il appartient à l'administration de régulariser sa situation en lui versant, entre autres, les rappels de traitement auxquels il a droit. En s'en abstenant, l'administration commettrait une illégalité qui engagerait sa responsabilité. Toutefois, pourquoi renvoyer à un contentieux indemnitaire ultérieur ce qui peut être réglé dès l'intervention du juge de l'excès de pouvoir ? A partir du moment où sont attaqués devant ce dernier des actes maintenant un fonctionnaire en congé de maladie à demi-traitement, qui ne sont pas devenus définitifs et qui sont contestés précisément sur la question de l'imputabilité de la maladie au service, nous croyons plus expédient que le juge de l'excès de pouvoir tire toutes les conséquences d'une éventuelle reconnaissance de l'imputabilité en les annulant, alors même qu'ils seraient antérieurs à la demande de reconnaissance formulée par le fonctionnaire.

C'est pourquoi nous croyons que l'arrêt doit être annulé en tant qu'il a statué sur la légalité des six arrêtés contestés par Mme B. devant les juges du fond.

Vous pourrez, dans les circonstances de l'espèce, faire partiellement droit aux conclusions de Mme B. au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4). Vous devrez en revanche rejeter celles de la région.

Par ces motifs nous concluons dans le sens qui suit :

1. Annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation, en tant qu'ils la placent en congé de maladie à demi-traitement seulement, des arrêtés des 6 octobre 2011, 8 novembre 2011, 7 décembre 2011, 6 janvier 2012, 30 mars 2012 et 17 avril 2012 ;

2. Renvoi de l'affaire, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Paris ;

3. Mise à la charge de la région Ile-de-France, au bénéfice de Mme B..., d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

4. Rejet des conclusions présentées par la région au même titre.


(1) Loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX).
(2) Décret n° 87-602 du 30 juillet 1987, pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux (N° Lexbase : L4961HD4).
(3) CE, 4 janvier 1995, n° 150369 (N° Lexbase : A2205ANY), inédite au Recueil ; CE, 21 juin 1996, n° 120516 (N° Lexbase : A9490ANS), inédite au Recueil.
(4) Par exemple, CE, 24 novembre 2010, n° 328714 (N° Lexbase : A4328GLU), inédite au Recueil.
(5) CE, Sect., 11 décembre 1998, n° 147511, 147512 (N° Lexbase : A8550ASH), au Recueil.
(6) Sur la durée du congé de maladie à plein traitement en cas d'imputabilité au service, voir CE Sect., 18 décembre 2015, n° 374194 (N° Lexbase : A0086N3L), au Recueil.
(7) Conclusions sur CE, 14 novembre 2011, n° 345258 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 5631807, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CE 2/7 SSR., 14-11-2011, n\u00b0 345258, mentionn\u00e9 aux tables du recueil Lebon", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A9299HZG"}}), aux tables du Recueil.

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Marchés publics

[Brèves] Suspension de l'exécution d'un marché pour cause de clause "Molière" dans le règlement de consultation

Réf. : CAA Paris, 13 mars 2018, n° 17PA03641 (N° Lexbase : A8333XGQ)

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N3252BXQ

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par Yann Le Foll

Le 22 Mars 2018

La présence d'une clause "Molière" dans le règlement de consultation d'un marché public doit entraîner la suspension de l'exécution de ce marché. Telle est la solution d'un arrêt rendu le 13 mars 2018 par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 13 mars 2018, n° 17PA03641 N° Lexbase : A8333XGQ, annulant TA Paris, 15 novembre 2017, n° 1715915 N° Lexbase : A9078XGC).

Le moyen tiré de la contrariété des dispositions de l'article 8.5 du règlement de la consultation, intitulé : "Langue et rédaction de propositions et d'exécution des prestations", selon lesquelles "la langue de travail pour les opérations préalables à l'attribution du marché et pour son exécution est le français exclusivement", avec les libertés fondamentales garanties par le TFUE, est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la validité du contrat.

Le préfet de la région d'Ile-de-France est donc fondé à demander la suspension de l'exécution du marché, laquelle ne peut, compte tenu des possibilités, non sérieusement contestées, de prolongation du contrat de l'exploitant actuel qui arrive à échéance le 31 mars 2018, être regardée comme portant une atteinte excessive à l'intérêt général (cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E7154E9T).

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Procédure pénale

[Jurisprudence] Affaire du "Carlton de Lille" : la critiquable sémantique de la faute civile

Réf. : Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-85.518, FS-D (N° Lexbase : A0510XGY)

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N3223BXN

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par François-Xavier Roux-Demare, Doyen de la Faculté de Droit, Maître de conférences, Directeur du Master 2 Droit des personnes vulnérables, Co-Directeur du Master 2 Magistrature, Université de Brest

Le 22 Mars 2018

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 février 2018 a été fortement médiatisé. "La Cour de cassation met un terme définitif à l'affaire du Carlton" (1), "Epilogue de l'affaire du Carlton de Lille : la condamnation civile de Strauss-Kahn annulée en cassation" (2) ou "Affaire du Carlton. La condamnation civile de DSK annulée en cassation" (3) sont quelques exemples des grands titres dans la presse régionale et nationale exposant un récit de cet arrêt pour le grand public. Il est évident que l'attrait de la presse pour cet arrêt ne concerne aucunement son apport juridique, simplement les conséquences pour les protagonistes. Plus particulièrement, la présence d'un homme politique aux importantes fonctions nationales et internationales explique les raisons de cette médiatisation. Il ne s'agit en effet pas de la problématique juridique relative à l'action civile, lorsqu'elle est exercée en appel à la suite d'une relaxe, qui suscite cet engouement journalistique. Et pourtant, cet arrêt est intéressant à plusieurs égards.

Pour reprendre les éléments factuels de cette affaire, plusieurs personnes avaient été poursuivies pour proxénétisme aggravé, à la suite du recours à des prostituées dans des chambres de l'hôtel Carlton de Lille, hôtel ayant donné son nom à l'affaire. Toutefois, le tribunal correctionnel de Lille n'entrera pas en voie de condamnation sur le fondement du proxénétisme, retenant uniquement des faits d'abus de confiance et d'escroquerie à l'égard de deux prévenus. En raison de cette relaxe sur les faits de proxénétisme aggravé, l'association de lutte contre la prostitution "Mouvement du Nid" (4) est déboutée de ses demandes de dommages-intérêts. Elle va donc faire appel de cette relaxe, uniquement sur les intérêts civils. La cour d'appel de Douai va infirmer partiellement le jugement en retenant une faute civile pour ouvrir droit à réparation à son profit. Pour ce faire, les magistrats retiennent soit la mise à disposition d'un appartement pour permettre aux personnes de s'y livrer à la prostitution, soit l'aide ou l'assistance à la prostitution de plusieurs personnes, soit l'intermédiation entre les prostituées et les autres protagonistes, soit l'embauche des personnes en vue de la prostitution. Sur la base de ces fautes, la cour d'appel condamne les responsables au paiement d'indemnités pour un total de 20 000 euros à l'association.

Les défendeurs se pourvoient donc en cassation. Leur second moyen de cassation critique la reconnaissance d'une faute civile ne découlant pas de faits qui entrent dans les prévisions du texte fondant les poursuites. La Cour de cassation accueille ce moyen, casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel.

Au visa des articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), 2 (N° Lexbase : L9908IQZ) et 497 (N° Lexbase : L3893AZ9) du Code de procédure pénale, la Chambre criminelle reprend une solution déjà éprouvée en rappelant sa jurisprudence désormais acquise en la matière : "le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation doit résulter d'une faute démontrée à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite". Détaillant que le comportement reproché aux protagonistes se limite à avoir fait appel à des prostituées pour leur satisfaction personnelle alors même que ce comportement ne constituait pas un acte infractionnel, la Cour met alors fin à cette affaire médiatique dite "Affaire du Carlton". Au-delà de son aspect politique, cet arrêt soulève deux observations utiles. Il offre l'opportunité d'expliquer la solution de la Cour raisonnant sur une absence d'incrimination rendant sans objet l'action de l'association défendant les intérêts des prostituées. Plus encore, il oblige à critiquer la position de la Cour de cassation sur la caractérisation de la faute civile en cas d'appel de la partie civile à la suite d'une relaxe.

Quant à l'absence d'incrimination rendant sans objet l'action. Après un certain désintéressément de la victime dans le cadre de la procédure pénale, la situation s'est progressivement renversée depuis le début des années 2000. Denis Salas parle du "temps des victimes" (5) et Jean Pradel souligne qu'il "devient impossible de faire une loi sans parler des victimes qui sont l'objet d'un véritable emballement" (6). Si cet intéressement est remarqué, la principale prérogative procédurale de la victime reste son pouvoir de demander au juge répressif la réparation de son préjudice découlant de la commission d'une infraction subie. L'article 2 du Code de procédure pénale précise que cette action civile permet à la victime d'obtenir "réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention". Si la victime peut introduire son action devant son juge naturel, le juge civil, elle bénéficie également d'une exception prévue à l'article 3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9886IQ9), aux fins d'exercer son action civile aux côtés de l'action publique du procureur devant la même juridiction. Cette faculté perdure lorsque les prévenus ont bénéficié d'une décision de relaxe. Toutefois, l'article 497 du Code de procédure pénale souligne que cette "faculté d'appeler appartient [...] à la partie civile, quant à ses intérêts civils seulement", restriction approuvée par le Conseil constitutionnel (7). Ainsi, la partie civile peut faire appel d'une décision de relaxe du prévenu, mais uniquement sur les intérêts civils pour les conséquences de l'acte pour lequel il était poursuivi. La Cour de cassation a souligné cet encadrement à différentes reprises, ce qu'elle réitère en l'espèce, en précisant que la partie civile pourra obtenir réparation de son dommage qui résulte d'une faute démontrée à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite. Si les faits n'ont pas été considérés comme constitutifs de l'infraction de proxénétisme -la Cour précisant que les prévenus ont recruté et rémunéré des prostituées pour leur satisfaction personnelle et celle des autres participants sans pour autant en tirer un quelconque profit financier- l'originalité de l'espèce tient au fait que la possible qualification envisageable du comportement des prévenus n'existait pas à l'époque des faits. Effectivement, la cour d'appel a caractérisé un comportement de recours à la prostitution. Toutefois, le recours à la prostitution était illégal à cette époque uniquement lorsque le client recourait à une personne mineure ou particulièrement vulnérable (8), ce qui n'était pas le cas en l'occurrence. Malgré les débats et les avis partagés, la pénalisation de tous les clients recourant à la prostitution n'intervient qu'à partir de l'adoption de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 (9), ceux-ci encourant désormais les sanctions pénales prévues aux articles 225-12-1 (N° Lexbase : L7009K7Q) et suivants. Ainsi, le recours à la prostitution d'une personne majeure est désormais puni de 3 750 euros d'amende. En revanche, le fait de se prostituer n'est pas incriminé (10). Dès lors, la Cour de cassation observe en l'espèce que ce recours à la prostitution était une "infraction non susceptible d'être poursuivie à la date des faits". De fait, il n'y avait pas d'objet à la demande de l'association de lutte contre la prostitution. L'absence d'infraction entraîne l'absence d'indemnisation. Cette solution s'explique par les modalités de qualification de la faute civile qui doivent être nécessairement liées à l'appréciation pénale du comportement reproché.

Quant à l'action civile dépendante de l'infraction pénale. Cette exception accordée à la partie civile d'introduire sa demande devant le juge pénal semble repousser les frontières entre l'action pénale et l'action civile, au profit de cette dernière. Pourtant, en imposant que "le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite", la Cour de cassation fait au contraire prévaloir une appréhension pénale de la faute civile. Cette formule consacrée dans un arrêt de principe du 5 février 2014 (11), puis réaffirmée par plusieurs arrêts postérieurs (12) dont celui de cette espèce, impose de rejuger le civil à travers la qualification de l'infraction pénale. Elle impose un lien d'identité entre les fautes civiles et pénales. En effet, outre que la faute civile doit nécessairement relever des seuls faits ayant fondé la poursuite pénale, la Cour de cassation impose que la faute civile trouve sa source dans les faits entrant dans l'ensemble des prévisions du texte d'incrimination ayant fondé les poursuites. Plus précisément, il faut que la faute civile réponde aux éléments matériel et moral de l'incrimination. En obligeant à démontrer civilement l'existence des éléments constitutifs d'une infraction ayant fait l'objet d'une relaxe, la Cour de cassation impose un raisonnement schizophrénique à la partie civile et aux juges du fond. S'il est possible de s'étonner d'une telle solution résultant de la seule formule "à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite", le risque de condamnation par la Cour européenne des droits de l'Homme permet d'en comprendre les raisons. En effet, la Cour de cassation se montrait antérieurement beaucoup plus claire sur ses attentes quant à l'identité entre les fautes civile et pénale dans cette situation d'appel sur relaxe. Elle soulignait que les juges d'appel "ne peuvent prononcer une peine, la décision des premiers juges ayant acquis, au regard de l'action publique, force de chose jugée, ils ne sont pas moins tenus d'apprécier les faits et de les qualifier pour vérifier leur compétence et pour condamner, s'il y a lieu, le prévenu relaxé à des dommages-intérêts envers la partie civile" (13). Toutefois, une telle analyse apparaissait en contradiction avec les principes de présomption d'innocence et de respect de l'autorité de la chose jugée pouvant entraîner une condamnation de la Cour européenne (14). La Cour de cassation va simplement modifier sa formulation pour se mettre a priori en conformité avec les attentes de la Cour européenne, sans pour autant changer ses propres attentes. Il faut ainsi observer une évolution sémantique sans pour autant constater une évolution juridique "mis à part qu'il faut désormais recourir à un raisonnement tortueux" (15).

Au-delà d'un travail d'appréciation des juges, la caractérisation de la faute civile en cas d'appel après relaxe par la partie civile dépend essentiellement d'une motivation à l'appui d'une sémantique identifiée.


(1) Article d'Eric Dussard dans La Voix du Nord, paru le 1er mars 2018.
(2) Article paru dans Le Monde, 2 mars 2018.
(3) Article paru dans Ouest France, 1er mars 2018.
(4) Ci-après nommée "l'association".
(5) Denis Salas, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette Littératures, 2005, p. 63.
(6) Jean Pradel, Procédure pénale, Paris, Cujas, Coll. "Référence", 17ème éd., 2013, p. 218 (§ 260).
(7) Cons. const., décision n° 2013-363 QPC, du 31 janvier 2014 (N° Lexbase : A3531MD7).
(8) C. pén. anc., 225-12-1.
(9) Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (N° Lexbase : L6858K77).
(10) Notons que l'incrimination de racolage est même abrogée par cette loi d'avril 2016.
(11) Cass. crim., 5 février 2014, n° 12-80.154, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811MDL).
(12) Par ex. : Cass. crim., 11 mars 2014, n° 12-88.131, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9407MGI) ; Cass. crim., 24 juin 2014, n° 13-84.478, F-P+B+I (N° Lexbase : A7734MRU) ; Cass. crim., 3 novembre 2015, n° 14-80.844, FS-P+B (N° Lexbase : A0309NWD) ; Cass. crim., 17 février 2016, n° 15-80.634, FS-P+B (N° Lexbase : A4639PZT).
(13) Cass. crim., 18 juin 1991, n° 90-85.886 (N° Lexbase : A3519ACC). V. égal. Cass. crim. 6 février 1962, Bull. crim. n° 77.
(14) CEDH, 11 février 2003, Req. 56568/00, § 41. Pour une condamnation de la France pour atteinte à la présomption d'innocence à la suite d'un appel de la partie civile et alors que le prévenu était décédé, v. CEDH, 12 février 2012, Req. 18851/07 (N° Lexbase : A4128IIQ), RSC, 2012.695, obs. Damien Roets.
(15) Sébastien Fucini, Appréciation de la faute civile en cas de relaxe et d'appel de la seule partie civile, Dalloz Actualité, 10 mars 2016.

newsid:463223

Soins psychiatriques sans consentement

[Brèves] Soins psychiatriques sans consentement : le certificat médical établissant l'examen somatique n'est pas une pièce obligatoire à présenter au juge

Réf. : Cass. civ. 1, 14 mars 2018, n° 17-13.223, FS-P+B (N° Lexbase : A2224XHT)

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N3291BX8

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par Laïla Bedja

Le 23 Mars 2018



Au regard de l'article L. 3211-2-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2994IYK), la réalisation de l'examen somatique prévu à ce texte ne donne pas lieu à l'établissement d'un certificat médical ni ne figure au nombre des pièces dont la communication au juge des libertés et de la détention est obligatoire. Dès lors, une simple défaillance dans l'administration de la preuve de son exécution ne peut entraîner la mainlevée de la mesure. Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 mars 2018 (Cass. civ. 1, 14 mars 2018, n° 17-13.223, FS-P+B N° Lexbase : A2224XHT).

Dans cette affaire, M. B. a été admis en hospitalisation psychiatrique sans consentement en urgence, à la demande de son fils, par décision du directeur d'établissement prise sur le fondement de l'article L. 3212-3 du Code de la santé publique. En application de l'article L. 3211-12-1 du même code, le directeur a saisi le juge des libertés et de la détention pour qu'il ordonne la poursuite de la mesure.

Le premier président de la cour d'appel de Douai, pour ordonner la mainlevée de la mesure, retient par ordonnance, qu'aucun élément objectif ne permet d'établir qu'il a été procédé à un examen somatique du patient.

Ce que ne retient pas la Haute juridiction qui, au visa de l'article L. 3211-2-2 du Code de la santé publique, casse et annule l'ordonnance pour violation de ce texte (cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E7542E99).

newsid:463291

Taxes diverses et taxes parafiscales

[Brèves] Les dispositions régissant l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux aux divers types d'installation de gaz liquéfié renvoyé devant le Conseil constitutionnel

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 14 mars 2018, n° 416697, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9098XG3)

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N3251BXP

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par Marie-Claire Sgarra

Le 23 Mars 2018

La question de la conformité à la Constitution des dispositions du deuxième alinéa du III de l'article 1519 HA du Code général des impôts (N° Lexbase : L0398K8A) est renvoyée devant le Conseil constitutionnel.

Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 14 mars 2018 (CE 9° et 10° ch.-r., 14 mars 2018, n° 416697, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9098XG3).

En l'espèce, les sociétés requérantes soutiennent qu'en ne mentionnant pas l'article L.452-6 du Code de l'énergie (N° Lexbase : L2771IQP), les dispositions précitées du Code général des impôts exonèrent de l'IFER les installations de gaz naturel liquéfié bénéficiant de la dérogation prévue à cet article et instaurent ainsi, entre les installations de gaz naturel liquéfié, une différence de traitement contraire aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

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