La lettre juridique n°727 du 18 janvier 2018

La lettre juridique - Édition n°727

Ohada

[Doctrine] L'OHADA, le système juridique et le système judiciaire (première partie)

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N2091BXQ

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par Hervé Magloire Moneboulou Minkada, Agrégé des Facultés de Droit, Enseignant à l'Université de Douala

Le 18 Janvier 2018

L'OHADA est une organisation, qui a produit des normes juridiques et une juridiction. Pris sous l'angle des normes juridiques, il est possible d'établir un rapport entre l'OHADA et le système juridique. Et pris sous le prisme de la juridiction, il est possible d'objectiver un lien entre l'OHADA et le système judiciaire. La présente analyse se propose de revenir sur la nature de l'OHADA eu égard au système juridique et au système judiciaire. Le droit OHADA est-il véritablement un droit communautaire ? La CCJA est-t-elle réellement une juridiction communautaire ? Telles sont les questions, dont les réponses s'éloignent de la doctrine dominante. La présente analyse suggère le droit OHADA comme un droit commun et la CCJA comme une juridiction commune. Le droit OHADA ne constitue pas un droit communautaire, mais plutôt une intégration par une uniformisation" (1)*. Ce revirement d'un des théoriciens de l'OHADA témoigne de la vitalité du débat sur la nature du système juridique et système judiciaire de l'OHADA.

L'OHADA désigne l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (2). Cette organisation regroupe des Etats sur la base d'un Traité (3). A ce titre, l'OHADA doit être considérée comme une institution internationale (4). Et la finalité (5) recherchée est la réalisation de l'intégration économique au moyen de l'uniformisation (6) du droit applicable aux activités économiques (7). L'intégration juridique est un levier indispensable de l'intégration économique (8). En synthèse, les objectifs de l'OHADA se résument en trois : intégration juridique (9), intégration judiciaire et la promotion de l'arbitrage dans le règlement des litiges contractuels (10). Outre ces objectifs affichés, il existe d'autres objectifs non moins négligeables dans l'appréhension de l'OHADA (11).

Les Etats de la zone franc se sont regroupés dans le cadre de l'OHADA pour réaliser ce dessein. Cette organisation internationale est née de manière graduelle entre 1991 et 1993. En avril 1991 à Ouagadougou au Burkina Faso, les ministres des finances de la zone franc ont initié une réflexion sur un projet de réforme du droit des affaires de leurs Etats (12). L'idée a été reprise lors d'une réunion des ministres des finances à Paris en octobre 1991. Au cours de cette réunion, il fut mis en place une équipe de sept membres (juristes) dirigés par Kéba M'Baye. Elle devait asseoir la faisabilité technique du projet. De mars à septembre 1992, la mission s'est rendue dans les Etats membres pour sensibiliser les chefs d'Etats et obtenir les opinions des opérateurs économiques. Le rapport a été présenté à la réunion des ministres des finances le 17 septembre 1992, lors du sommet France-Afrique (13). Il a été présenté par le Président Abdou Diouf. La conférence s'est achevée par l'adoption du projet par les chefs d'Etats (14) et la mise en place d'un directoire pour matérialiser le projet (15). Ce dernier a été examiné par les ministres de la justice pendant une réunion tenue à Libreville les 7 et 8 juillet 1993. Après des discussions, les ministres formulèrent des remarques et des amendements qui ont conduit à l'adoption du projet de Traité. Au terme d'une concertation avec les experts, le projet de Traité fut finalisé suite à une double réunion des ministres de la justice, puis des ministres des finances les 21 et 22 septembre 1993 à Abidjan (16) en Côte d'Ivoire. L'enjeu était de présenter le projet de Traité à la signature. Le 17 octobre 1993 à Port-Louis en Ile-Maurice, à l'occasion de la Conférence des chefs d'Etats et de gouvernement de la francophonie, le projet finalisé du Traité est signé par quatorze Etats (17). Son entrée en vigueur est prévue en septembre 1995. Un amendement intervient lors du sommet des chefs d'Etat à Québec le 17 octobre 2008.

L'approche du Droit comme un système correspond souvent à la terminologie : "système juridique" ou "ordre juridique" (18). La doctrine se divise sur la teneur de cette expression. Selon la théorie normativiste, l'ordre juridique est un ordre de contrainte de la conduite humaine (19). Cela signifie que les normes juridiques sont des normes ; dont l'inobservation fait l'objet de sanctions instituées par l'ordre juridique. L'Etat dispose du monopole dans l'édiction de ces normes, étant donné que l'Etat est l'ordre juridique (20). Elles sont rangées dans une sorte de pyramide ayant au sommet la "Grundnorm". Kelsen distingue les normes primaires et les normes secondaires. Les normes primaires fixent une prescription et les normes secondaires précisent la sanction. Relativement à l'existence des normes du droit international, Kelsen (21), père de l'Ecole moniste, a proposé une distinction entre le monisme avec primauté du droit interne (22) d'une part et le monisme avec primauté du droit international (23) d'autre part. Il est relativisé dans cette option par l'Ecole dualiste (24), ayant pour promoteurs : Brownlie (25), Dupuy (26), Malcom Shaw (27) et Sciotti-Lam (28). Hart rejette la classification kelsennienne des normes primaires et secondaires. Il distingue trois catégories de règles. Pour lui, les règles primaires indiquent la conduite des sujets de droit. Les règles secondaires ont pour objet les procédures à suivre pour créer et modifier les règles primaires de l'ordre juridique (rules of change) ainsi que les procédures portant sur l'application du droit ; que ce soit par les organes administratifs ou les organes juridictionnels (rules of adjudication) (29). La troisième catégorie de règles secondaires, constituée par la règle de reconnaissance (rule of recognition), permet aux organes d'un ordre juridique de reconnaître que telle norme est bien une norme de l'ordre juridique en question et non pas d'un autre ordre (30). Si Hart aborde la norme de reconnaissance au singulier, Bobbio (31) l'envisage au pluriel. Il distingue les normes sur les sources (32) et les normes sur la validité des lois dans le temps et dans l'espace (33). Bobbio analyse aussi l'ordre juridique au pluriel. Il établit une typologie tripartite : les ordres simples (34), les ordres semi-complexes (35) et les ordres juridiques complexes (36). Au-delà de leurs divergences, Kelsen et Hart ont en commun : les ordres juridiques sont des ensembles de normes. En outre, la théorie institutionnelle de l'ordre juridique a été développée par Santi Romano. Pour lui, il est impossible de définir un ordre juridique simplement comme un ensemble de normes. Avant que la norme existe, il faut un ordre social organisé, et c'est là le sens de la notion d'institution. Romano synthétise sa vision dans une formule éloquente (37). Quant aux théories postnormativistes de l'ordre juridique, elles ont en commun le dépassement des normes posées par des normes additives. Paul Amselek constate qu'il existe des actes juridiques non porteurs de normes. Ce sont ceux qui établissent des directives ; que le sujet est libre de suivre ou non, et des actes déclaratifs (38). Jean Combacau considère que le système juridique ne saurait être réduit à un système de normes. Il distingue les produits et les modes de production (39). Joseph Raz réserve l'expression "norme juridique" (legal norms) aux règles d'un système, qui imposent des obligations ou confèrent des pouvoirs (duty imposing and power-conferring rules). Mais à côté des normes, il existe plusieurs autres types de règles (laws), qui ne sont pas des normes. Il cite les règles de qualification (categorizing rules) (40), les règles qui énoncent les domaines d'application des autres règles (rule of scope), les règles établissant la situation dans l'ordre juridique des personnes ou des choses en termes de droits, de responsabilité, de statuts, etc (position -specifying rules) (41). Enfin, Ronald Dworkin (42) soutient que dans leurs raisonnements, les juges ne prennent pas seulement en considération des règles au sens strict du terme, mais aussi d'autres types de standards comme les "principes" (43) ou les "politiques" (44). Dans l'ensemble, le système juridique comme ordre juridique mobilise la doctrine (45). Les règles composant l'ensemble comme système peuvent être structurées en fonction, soit du principe de la hiérarchie cher à Kelsen (46), soit le principe de cohérence cher à Virally (47).

La définition du système judiciaire a un fondement doctrinal. Il renvoie aux acteurs, qui appliquent le droit auprès des juridictions (48). La CCJA est la composante de l'OHADA concernée par le système judiciaire.

Derrière le thème : "L'OHADA, système juridique et système judiciaire", existe une controverse. Pour les uns, l'OHADA est une organisation communautaire (49). En conséquence, le droit qu'elle produit, est un droit communautaire (50). Et la CCJA est une juridiction communautaire (51). Pour d'autres, l'OHADA est une organisation de l'intégration juridique et judiciaire (52). Pour d'autres encore, l'OHADA est une organisation mitoyenne entre l'international et l'interne. De la sorte, le système juridique OHADA est intégré et international (53). Sur la base de cette controverse, la question suivante peut être posée : peut-on aboutir à un nouveau résultat en confrontant le droit et la juridiction créés par l'OHADA au système juridique et au système judiciaire ?

La question est fondamentale au double plan théorique et pratique. En théorie, l'analyse suggère un nouveau discours la nature de l'OHADA. En pratique, il faudrait rénover les solutions aux conflits de normes et les conflits de juridiction de l'espace OHADA. En confrontant le droit et la juridiction de l'OHADA avec le système juridique et le système judiciaire, il ressort un nouveau discours sur le système juridique (I) et le système judiciaire (II) (sur la seconde partie, cf. N° Lexbase : N2093BXS).

I - La rénovation du système juridique à l'épreuve de l'OHADA

Le système juridique (54) renvoie à l'ensemble des règles de droit, qui régissent la vie en société. Il est souvent confondu avec l'ordre juridique (55). Toutefois, les avis sont partagés sur cette question (56). A l'observation, le droit OHADA est exclu du système juridique international (A) pour s'intégrer au système juridique national (B).

A - L'exclusion du droit OHADA du système juridique international

Le système juridique international renvoie au droit international. Il est question de l'ordre juridique international (57). La présente analyse se limite à la distinction entre le droit international public et le droit communautaire. Malgré les éléments de rapprochement, le droit OHADA doit être exclu non seulement du droit international public (1), mais aussi du droit communautaire (2).

1 - L'exclusion du droit OHADA du droit international public

Le droit international public se définit comme un ensemble de règles juridiques régissant les rapports entre Etats souverains ; auxquelles on ajoute aujourd'hui celle qui gouvernent les rapports entre des entités ou des personnes dotées de compétences d'ordre international. Sont visées : les organisations internationales, les collectivités infra- ou para-étatiques et même des personnes privées (58). C'est aussi un ensemble de règles juridiques, qui régissent les rapports internationaux entre sujets indépendants (59). Les sources du droit international public sont les principes politiques, les traités, la coutume internationale, les actes unilatéraux des Etats et les sources subsidiaires (60). Ces sources sont aussi énumérées dans l'article 38 du statut de la Cour internationale de justice (61). Et le droit OHADA (62) renvoie à un ensemble de normes comprenant : le Traité comme droit originaire d'une part, les règlements, les décisions et les actes uniformes comme droit dérivé d'autre part. Le lien entre le droit OHADA et le droit international public est l'identité d'une source : le Traité. Cependant, suffit-il que l'OHADA soit créée sur la base d'un Traité pour ériger le droit OHADA en droit international public ? La réponse doit être fournie au soir de la confrontation entre le Traité OHADA et le traité international classique.

Sur un plan terminologique, le traité doit être distingué des notions voisines (63). En lui-même, le traité désigne une manifestation des volontés concordantes imputables à deux ou plusieurs sujets de droit international, destinée à produire des effets de droit et qui doit être exécutée de bonne foi (64). Cette définition écarte les accords entre particuliers, même s'ils ont une portée internationale, ceux entre particuliers et gouvernements, et ceux entre membres d'un Etat fédéral qui relèvent du droit constitutionnel interne de l'Etat (65). Le traité doit être négocié, signé, ratifié, enregistré et publié. Et les sujets du droit international public sont : les Etats, les organisations internationales, les individus, les sociétés multinationales et les organisations non-gouvernementales.

Il peut exister une proximité entre le droit international public et le droit OHADA en partant du point commun qu'est le Traité. Sur le plan de l'instrumentum, le droit OHADA comporte la norme : Traité (66). Ce dernier est conclu par les sujets du droit international public, en l'occurrence les Etats. De quatorze Etats signataires, le mécanisme d'adhésion permet aujourd'hui d'avoir dix-sept. Ce traité a été ratifié. La procédure prévoit aussi la publication. Elle a lieu en deux temps. Le premier est obligatoire au journal officiel de l'OHADA et le second est facultatif, au journal officiel de chaque Etat membre. Toutefois, le traité OHADA s'éloigne du droit international public eu égard à certains aspects. Sur le plan de la validité, le traité du droit international public est assujetti à trois conditions : ratification, publication et réciprocité dans l'application. Or le traité OHADA ne fait de la réciprocité dans l'application, une condition de validité. L'hypothèse de l'accompagnement du traité par les lois pénales nationales est révélatrice. Sur les dix-sept Etats membres de l'OHADA, cinq seulement ont adopté les lois nationales. Cela n'empêche pas le traité d'être en vigueur dans les douze Etats restants. Un autre facteur d'exclusion du traité OHADA du droit international public concerne les sujets. Si en droit international public les individus et les sociétés sont des sujets du droit international, ce ne sont pas les mêmes personnes que vise le traité OHADA. Ce dernier vise les individus et les sociétés comme opérateurs économiques. Ce sont en fait les personnes régies par les normes de droit privé. Pourtant, les individus et les sociétés interpellés par le droit international public sont les sujets de droit public. Sur cette base, l'objet du traité en droit international public est la régulation des rapports entre sujets du droit international orientée vers l'application des normes de droit public. Or le traité OHADA a pour objet, l'harmonisation du droit des affaires, un droit d'obédience privatiste.

De ce qui précède, il devient possible d'admettre une distinction entre un traité de droit international public et un traité de droit interne. Et le traité OHADA s'assimile au traité de droit interne, parce que ses sujets et son objet sont rattachables à la sphère interne de l'Etat membre de l'OHADA et non à sa sphère internationale. Le sort du droit originaire affecte le droit dérivé, qui emprunte en conséquence son identité. C'est dire que les règlements, les décisions et les actes uniformes ne s'inscrivent pas comme source du droit international public. A l'instar du traité fondateur, leurs sujets et objets présentent un caractère national et non international. Toute chose qui valide l'exclusion du droit OHADA du droit international public. Le droit OHADA semble aussi exclu du droit communautaire.

2 - L'exclusion du droit OHADA du droit communautaire

Traditionnellement, le droit communautaire était entendu en référence au droit communautaire européen (67), comme l'ensemble des règles qui régissent l'organisation et le fonctionnement des communautés européennes (68). Il en était ainsi parce que la forme classique de référence de la construction communautaire était le cadre européen (69). De nos jours, le droit communautaire s'entend du droit des organisations intergouvernementales d'intégration (70). Il représente l'ensemble des règles, qui régulent l'organisation et le fonctionnement de l'ordre communautaire, ainsi que ses rapports avec les autres ordres juridiques (71). La doctrine majoritaire de l'OHADA a défendu l'idée de droit communautaire (72) et par extension, l'OHADA comme une organisation internationale communautaire. Pour éviter l'écueil du préjugé, la démarche scientifique commande de ressortir les identifiants du droit communautaire. Ensuite, une confrontation à l'OHADA permettra de se prononcer sur la nature communautaire ou non du droit OHADA.

Par identifiants du droit communautaire, il faut envisager les éléments permettant de le reconnaître comme une entité autonome. Il en est ainsi : des valeurs fondatrices et les caractères généraux. Les Etats appartiennent à une communauté et peuvent dont avoir un droit communautaire, s'ils partagent les mêmes valeurs fondatrices. Quelles sont ces valeurs ? Dans le cadre de la communauté européenne, elles sont exprimées dans les Traités de Maastricht et d'Amsterdam, puis mises en lumière dans le Traité de Lisbonne. Certaines ont été dégagées par la Cour de justice de l'Union Européenne ; d'autres trouvent leur origine dans des déclarations politiques du Conseil européen. Dans la déclaration sur l'identité européenne adoptée par la Conférence des chefs d'Etats ou de gouvernement à Copenhague, le 14 décembre 1973, les Etats membres "désireux d'assurer le respect des valeurs d'ordre juridique, politique et moral auxquelles ils sont rattachés, soucieux de préserver la riche variété de leurs cultures nationales, partageant une même conception de la vie, fondée sur la volonté de bâtir une société conçue et réalisée au service des hommes [...] entendent sauvegarder les principes de la démocratie représentative, du règne de la loi, de la justice sociale finalité du progrès économique- et du respect des droits de l'Homme, qui constituent des éléments fondamentaux de l'identité européenne" (73). Dans ce document, cinq valeurs essentielles sont mises en évidence : respect de la diversité culturelle, règne de la loi, justice sociale, respect des droits de l'homme et principe de démocratie (74). Le Traité révisé de la CEMAC (75) dans son préambule énonce ces valeurs. La formule utilisée est la suivante : "Réaffirmant leur attachement au respect des principes de démocratie, des droits de l'Homme, de l'Etat de droit, de la bonne gouvernance, du dialogue social et des questions de genre". Le Traité révisé de la CEDEAO abonde dans le même sens aux termes des principes fondamentaux, qu'il formule. En substance, l'article 4 sur les principes fondamentaux dispose : "LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES, dans la poursuite des objectifs énoncés à l'Article 3 du présent Traité, affirment et déclarent solennellement leur adhésion aux principes fondamentaux suivants : (g) respect, promotion et protection des droits de l'homme et des peuples conformément aux dispositions de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ; (j) promotion et consolidation d'un système démocratique de gouvernement dans chaque Etat Membre tel que prévu par la Déclaration de Principes Politiques adoptée le 6 juillet 1991 à Abuja". Il ressort de ces dispositions un ensemble de valeurs donnant une orientation sociale et politique, que doivent prendre les membres de la Communauté.

Au regard de ces valeurs, l'OHADA semble éloignée des valeurs que poursuit une communauté. Les Etats s'accordent plutôt pour utiliser le droit en vue de réaliser l'intégration des économies. C'est l'idée de l'intégration économique par le biais de l'intégration juridique. En ce sens l'OHADA compte s'ouvrir à tous les Etats de l'Afrique. En un mot, l'OHADA est une organisation à but économique, alors qu'une organisation communautaire se veut à la fois politique et économique. C'est en ce sens qu'une doctrine voit dans le droit OHADA, un droit des activités économiques (76) et non un droit communautaire. L'OHADA n'est pas une communauté politique ou économique, mais une organisation interétatique conçue exclusivement comme un outil technique. Sur cette base, on peut affirmer que le droit OHADA n'est pas un droit communautaire (77).

S'agissant des caractères du droit communautaire, une distinction peut être établie entre les caractères généraux des règles communautaires et les caractères généraux de l'ordre juridique communautaire. Au nombre des caractères généraux des règles communautaires, il convient de cibler : la validité immédiate (78), l'applicabilité directe (79), la hiérarchie (80) et la primauté (81) des règles communautaires. Quant aux caractères généraux de l'ordre juridique communautaire, sont visés : l'autonomie (82) et la juridictionnalité (83) du droit communautaire (84). Certains caractères entretiennent une confusion entre le droit OHADA et le droit communautaire. Il en est ainsi de la hiérarchie, la juridictionnalité et de l'applicabilité directe. La hiérarchie des règles communautaires signifie que les normes communautaires sont hiérarchisées, ajuster entre rang inférieur et rang supérieur. Il existe un droit primaire (85), qui se trouve au sommet de la hiérarchie. Et le droit dérivé (86) se trouve à la base. Une hiérarchie complète des normes communautaires a été proposée (87). A son tour, le droit OHADA peut aussi exciper l'idée d'hiérarchie. Il comporte un droit primaire (une) (88) et un droit dérivé (89). Une hiérarchie complète est même possible. Du sommet à la base, l'ajustement suivant est plausible : le traité, le règlement, la décision et les actes uniformes. Bien plus, l'exigence de "juridictionnalité" est partagée entre le droit OHADA et le droit communautaire. Les deux droits sont accompagnés d'un mécanisme juridictionnel. Dans le cadre du droit communautaire européen, il existe une cour de justice de la communauté européenne. De même, le droit OHADA est accompagné par une juridiction, appelée : la Cour commune de justice et d'arbitrage. En pour ce qui est de l'applicabilité directe, le droit OHADA et le droit communautaire présentent une convergence. Elle réside dans les effets de l'applicabilité directe. L'effet direct a trois composantes : la capacité de la règle à créer les droits et obligations pour les particuliers, la possibilité pour ceux-ci d'invoquer les garanties devant le juge national, et l'obligation pour le juge de statuer sur les causes invoquées par les personnes (90).

En dehors de ces aspects, des éléments évitent d'assimiler le droit OHADA au droit communautaire. Il est question : de la validité, la primauté et l'autonomie. Parlant de la validité, la règle communautaire est de validité immédiate en droit interne. Elle n'a pas besoin, pour être intégrée d'une formalité supplémentaire. Sur le plan formel, les actes uniformes OHADA font l'objet d'une double publication : une publication au journal officiel de l'OHADA et une seconde publication au journal officiel des Etats parties. Bien que la seconde publication soit sans incidence sur l'entrée en vigueur des actes uniformes, une telle procédure n'existe pas dans un droit communautaire (91). Toutefois, certaines normes du droit OHADA bénéficient de la validité immédiate. Il est question : du traité, des règlements et décisions. Concernant la primauté de la norme communautaire, elle signifie que le droit communautaire prime sur tout le droit interne de tout Etat membre, y compris les normes suprêmes à valeur constitutionnelle (92). Or le droit OHADA a laissé germer l'idée de primauté à la faveur d'une certaine exégèse de l'article 10 du traité (93). Les dispositions de droit interne subissant la primauté des Actes uniformes englobent-elles la Constitution ? Si le droit OHADA était un droit communautaire, la validité immédiate aurait rendu inutile l'article 10. N'étant pas un droit communautaire, il devient utile de préciser son internalisation et sa valeur juridique. Les normes de droit interne en concours doivent donc exclure la Constitution. C'est plutôt, elle qui approuve ou non l'entrée du Traité OHADA en droit interne. Par ailleurs, le droit OHADA se distingue du droit communautaire par l'idée d'autonomie. Le droit communautaire est autonome, c'est-à-dire complet et indépendant du droit international public et droit interne. A l'inverse, le droit OHADA est dépendant du droit interne, qu'il a vocation à compléter en matière de droit des affaires. C'est un droit de substitution ; car il remplace les dispositions antérieures du droit interne en matière de droit des affaires, à l'exemple du Code de commerce français applicable aux colonies, certaines dispositions du Code civil sénégalais sur les aspects que couvre l'harmonisation, etc..

Par ailleurs, le droit OHADA recherche l'uniformisation ; alors que le droit communautaire n'est pas globalement uniforme. Son identité et sa fonctionnalité varient, et dépendent des niveaux d'intégration, ainsi que des acteurs en jeu (94). Dans une vue panoramique, le droit communautaire est statique, car les citoyens de la communauté viennent vers lui pour l'invoquer. Or le droit OHADA est dynamique, puisque créé dans le cadre d'une organisation, il doit se déplacer pour intégrer l'ordonnancement juridique des Etats membres. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'intégration du droit OHADA dans le système juridique national.

B - L'intégration du droit OHADA dans le système juridique national

Le droit OHADA ne saurait être érigé en système juridique autonome. C'est une normativité intégrant le système juridique national (1). La nature du droit OHADA est d'être une norme commune aux Etats membres de l'OHADA (2).

1 - Le droit OHADA comme une normativité intégrant le système juridique national

Le droit OHADA est secrété par l'organisation, mais il n'a pas vocation à demeurer en dehors des Etats. A la différence du droit communautaire, qui existe au-dessus des Etats, le droit OHADA doit intégrer l'ordonnancement juridique interne de chaque Etat membre de l'OHADA. Il se pose dès lors deux questions imbriquées : les modalités d'intégration ou d'internalisation d'une part et la place du droit OHADA par rapport à la Constitution d'autre part.

Pour ce qui est des modalités d'intégration, une distinction est plausible entre la publication et la validité immédiate. La publication est un mode de publicité employé normalement en matière d'actes législatifs et réglementaires, et consistant à diffuser la connaissance de l'acte en cause au moyen de modes de communication de masse, en particulier par l'insertion dans un recueil officiel de texte (95). Dans le cadre de l'OHADA, la publication des actes uniformes est prévue par l'article 9 du Traité. Il dispose : "(1) Les Actes uniformes sont publiés au Journal officiel de l'OHADA par le Secrétariat Permanent dans les soixante jours suivant leur adoption. Ils sont applicables quatre-vingt-dix jours après cette publication, sauf modalités particulières d'entrée en vigueur prévues par les Actes uniformes. (2) Ils sont également publiés dans les Etats-parties, au Journal officiel ou par tout autre moyen approprié. Cette formalité n'a aucune incidence sur l'entrée en vigueur des Actes uniformes". L'article fait expressément mention des Actes uniformes, à l'exclusion des autres normes constitutives du droit OHADA. Sont concernées : le Traité, les règlements et les décisions. Le traité procède du droit originaire et le fruit de la volonté des Etats membres de l'OHADA. Les règlements et les décisions constituent le droit dérivé et relèvent du Conseil des ministres (96). Leur modalité d'entrée en vigueur dans le droit national est la validité immédiate. Le droit OHADA emprunte ainsi une technique du droit communautaire, toute chose qui s'explique par la finalité d'intégration juridique. Par la validité immédiate, une norme est valide en droit interne sans besoin d'une formalité supplémentaire.

Une fois, le droit OHADA internalisé, il demeure la question de sa place par rapport à la Constitution (97). Bien plus, le législateur OHADA ne précise pas si les dispositions de droit interne désignent également la loi fondamentale (98). Cette question est amplifiée par le flou créé par l'article 10 du Traité. Il dispose : "Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats-parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure". La formulation a permis à la doctrine d'affirmer mordicus la "supranationalité du droit OHADA" ou "la primauté de l'ordre juridique OHADA" (99). La jurisprudence a abondé en ce sens. Ainsi, la CCJA s'est prononcée sur le sens à donner à l'article 10 dans un avis. Saisie par la République de Côte d'ivoire par lettre n° 137/MJ/CAB -3/KK/MB du 11 octobre 2000, enregistrée au greffe le 19 octobre 2000, elle a apporté une réponse. Au fond, il s'agissait de savoir si l'article 10 contient une règle de supranationalité et une règle d'abrogation du droit interne par les Actes uniformes ? La Cour répond : "L'article 10 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique contient une règle de supranationalité, parce qu'il prévoit l'application directe et obligatoire dans les Etats parties des Actes uniformes et institue, par ailleurs, leur suprématie sur les dispositions du droit interne antérieures ou postérieures" (100). En clair, l'idée première est de valider la supériorité du droit OHADA sur tout le droit interne y compris la Constitution.

Il convient de s'étonner d'une telle exégèse, pour un droit dont le support le plus élevé est un traité internalisé. Si le droit OHADA était fondé sur un traité supra-étatique comme le traité communautaire, sa supranationalité ne serait pas contestée. Cependant, le droit OHADA est assis sur un traité intra-étatique, c'est-à-dire destiné à intégrer l'ordonnance juridique interne de chaque Etat membre de l'OHADA. Il se pose la question de sa supériorité ou son infériorité par rapport à la constitution. Dans l'hypothèse d'un traité du droit international public, la question a été réglée avec l'arrêt "Nicolo" (101). Depuis cet arrêt, la constitution est supérieure au Traité. Dans le cadre de l'OHADA, les solutions doctrinales et les solutions jurisprudentielles existent.

Les solutions doctrinales se résument en la supériorité de la constitution sur le traité OHADA, malgré la divergence des trajectoires. Pour les Professeurs Pougoué (102) et Kalieu, en cas de contrariété entre la constitution et le traité OHADA, l'Etat dispose d'une marge de manoeuvre pour taire le conflit. Elle consiste à réviser la constitution avant la ratification du Traité OHADA. Cette révision permet à la constitution de conserver son degré supérieur dans la hiérarchie des normes. La primauté matérielle de l'ordre OHADA laisse ainsi sauve la suprématie formelle de la constitution comme norme fondamentale (103). Il s'agit d'une démarche préventive du conflit entre la Constitution et le Traité OHADA. Elle est soutenue par Babongeno (104). Pour lui les Commissions nationales peuvent s'assurer de la conformité des avants-projets en sollicitant l'avis des juridictions constitutionnelles (105). La non prise en compte de la contrariété avérée peut être sanctionnée par un vote négatif de l'Etat. Il va bloquer la procédure en jouant sur la règle de l'unanimité. Hans Kelsen distingue : la norme fondamentale, la constitution, le traité, la loi parlementaire, le règlement, la coutume, le contrat, les décisions judiciaires et administratives. Par nature, la norme OHADA appartient à la typologie des traités. Bien qu'il s'agisse d'un traité sui generis, sa nature première est d'être un Traité. Sa valeur juridique est d'être infra-constitutionnelle et supra-législative. Si un Acte uniforme comporte une disposition contraire à la loi parlementaire, celle-ci est abrogée implicitement. C'est le véritable sens de l'idée de "supranationalité" de la norme OHADA (106). Aucun Etat ne pourrait invoquer les dispositions infra-constitutionnelles de son droit interne pour justifier la non application du Traité et ses actes uniformes (107). Par contre si l'Acte uniforme comporte une disposition contraire à la constitution, cela signifie que les représentants de l'Etat veulent initier une révision de la Constitution. Ce serait le préalable avant de ratifier ou d'adhérer au Traité OHADA. La révision de la constitution s'impose pour lui conserver son "degré supérieur de droit positif " (108). La primauté matérielle de la norme OHADA laisse ainsi sauve la supériorité formelle de la constitution comme norme fondamentale de la République (109). La thèse volontariste permet de comprendre que, ce soient les titulaires du pouvoir d'exprimer la volonté de l'Etat, qui s'expriment dans le cadre de la Constitution et dans le cadre du Traité OHADA.

La solution doctrinale semble préventive du conflit entre le Traité OHADA et la Constitution. Qu'en sera-t-il lorsqu'après l'entrée en vigueur, une disposition du Traité OHADA est déclarée contraire à la Constitution ? Les hésitations jurisprudentielles sur la solution au conflit entre Traité OHADA et Constitution se fondent sur une approche de l'OHADA comme un droit communautaire (110). Dans son avis du 30 avril 2001, la Cour commune de justice et d'arbitrage a apporté des précisions à propos de cette portée abrogatoire des Actes uniformes. Elle a décidé que l'article 10 du Traité OHADA concerne l'abrogation ou l'interdiction de l'adoption de toute disposition d'un texte législatif ou règlementaire de droit interne présent et avenir ayant le même objet que les dispositions des Actes uniformes et étant contraires à celle-ci. Cette abrogation concerne également les dispositions de droit interne identiques à celles des Actes uniformes (111). L'avis de la CCJA est moins évident, car il n'est pas établi que les Actes uniformes soient de même valeur que la Constitution. Il demeure un silence jurisprudentiel sur les rapports hiérarchiques entre la Constitution et les Actes uniformes. Or la place du Traité OHADA en droit interne n'est pas dubitative. Norme de droit interne, la contrariété à la Constitution donne pouvoir au juge constitutionnel de le sanctionner. Un tel conflit donne la possibilité au juge constitutionnel saisi de sanctionner le traité pour inconstitutionnalité d'une part et l'arrêt rendu tiendra lieu d'arrêt de provocation. Il donne la possibilité au législateur national soit de dénoncer le traité, soit de réviser la constitution en cas d'inattention pendant la ratification ou l'adhésion au Traité OHADA. Le plus important est la possibilité reconnue au juge national de remettre en cause le droit OHADA en cas de contrariété avec le droit national. L'illustration est fournie par l'arrêt rendu par la Cour suprême du Congo le 30 novembre 2016 (deuxième chambre civile, audience publique, du 30 novembre 2016, arrêt n° 35/GCS-2016). Dans cette décision, le juge de la Cour suprême congolaise rejette la compétence de la CCJA pour une question d'ordre interne. Sa décision se formule dans les termes de la présente note (112). Si une juridiction civile peut remettre en cause la compétence de la CCJA, a fortiori une juridiction constitutionnelle. En bref, le droit OHADA est un droit intégré dans le système juridique national de chaque Etat membre de l'OHADA. Composante du droit interne, le droit OHADA se veut aussi une normativité commune aux Etats membres de l'OHADA.

2 - Le droit OHADA comme une normativité commune aux Etats membres de l'OHADA

Le droit OHADA n'est pas un droit communautaire, il urge de se prononcer sur sa nature. Le risque intellectuel de la présente analyse consiste à voir dans le droit OHADA, une normativité commune. C'est un droit commun. La terminologie "droit commun" existe déjà. Elle renvoie à la règle applicable à une situation juridique entre des personnes physiques ou morales, quand il n'est pas prévu qu'une règle particulière s'applique à cette situation ou à ce rapport. Il est question de la dialectique : "droit commun" et "droit spécial". La présente analyse considère le droit commun par juxtaposition au droit communautaire. Le droit commun serait un ensemble de règles partagées par les Etats sur la base de leur volonté sans miser sur les mécanismes de sanctions des Etats. Or, le droit communautaire se particularise par des règles partagées entre les Etats avec les mécanismes de sanctions garantissant l'effectivité de l'ordre juridique communautaire. Il apparaît que le droit commun n'est pas le droit communautaire. Ce risque ne procède pas d'un choix arbitraire ; mais de l'observation des règles et de la procédure d'édiction du droit originaire et du droit dérivé de l'OHADA.

Pour ce qui est des règles, le droit OHADA est un droit commun ; parce qu'il comporte des règles communes. Ce sont des règles partagées par un groupe d'Etats. Leur finalité est le rapprochement des Etats sur la base d'une volonté commune, sans la prétention de créer une structure contraignante imposant un projet aux Etats. Les règles communes sont à base de volontarisme et non de dirigisme. Leur efficacité réside dans le vouloir des Etats de réaliser ensemble, ce qu'ils ne peuvent pas réaliser tout seul. Si dans la logique communautaire, le but est de secréter un droit voulu mais imposé, la logique commune vise l'élaboration d'un droit voulu mais composé. De ce qui précède, il est possible de distinguer dans le droit OHADA, un droit commun originaire et un droit commun dérivé.

Le droit commun originaire de l'OHADA est constitué du Traité OHADA. C'est un accord entre deux ou plusieurs sujets du droit international. Dans le cas d'espèce, les sujets en cause sont les Etats membres de l'OHADA. C'est à Ouagadougou en avril 1991 sur la base des constatations communes des politiques et des opérateurs économiques que les Ministres des finances de la zone franc ont initié une réflexion sur la faisabilité d'un projet de réforme du droit des affaires dans leurs Etats. L'idée a été reprise à la réunion des ministres des finances de la zone franc en octobre 1991 à Paris. Une équipe dirigée par Kéba M'baye s'est rendue dans les Etats concernées pour sensibiliser les autorités politiques et recueillir les observations des opérateurs économiques de mars à septembre 1992. Un rapport a été dressé et présenté à la réunion des ministres des finances de la zone franc le 17 septembre 1992. Le président sénégalais, Abdou Diouf, a présenté le projet. Il a été adopté par les chefs d'Etats (114) et un directoire a été mis en place pour matérialiser le projet (115). Après le travail du directoire, le projet a été examiné par les ministres de la justice à une réunion tenue à Libreville les 7 et 8 juillet 1993. Après échange avec des experts, des amendements ont été apportés. Au terme d'une double réunion, des ministres de la justice, puis des ministres des finances avec ceux de la justice tenue les 21 et 22 septembre 1993 à Abidjan (116), le projet de Traité a été finalisé. Le 17 octobre 1993 à Port-Louis en Ile Maurice, le Traité est signé par quatorze Etats (117) à l'occasion de la Conférence des chefs d'Etats et de gouvernement de la Francophonie.

Qu'est ce qui peut amener l'analyste à soutenir l'idée d'un droit commun OHADA, à l'observation du Traité ? La réponse ne peut être donnée à partir de la procédure d'élaboration du Traité OHADA. Cependant, une réponse objective est contenue dans l'article premier du Traité OHADA. Il dispose : "Le présent traité a pour objet l'harmonisation du droit des affaires dans les Etats-parties par l'élaboration et l'adoption des règles communes simples, modernes...". La nature des règles que le traité compte couvrir est enfin connue. Il ne s'agit pas des règles communautaires, mais des règles communes. Communautaire peut-il s'assimiler à commune ? La réponse est négative. Une règle communautaire suppose un droit communautaire, ce que le droit OHADA n'est pas. Une règle commune suppose un droit commun, ce que le droit OHADA est.

S'agissant du droit dérivé OHADA, il est composé des normes suivantes : les règlements, les décisions et les Actes uniformes. La procédure d'élaboration des règlements et décisions se distingue des actes uniformes. Les règlements pour l'application et les décisions seront pris, chaque fois que de besoin, par le Conseil des Ministres, à la majorité absolue (118). Il ressort que les règlements et les décisions sont des normes complémentaires du traité OHADA. Dans la substance, traité, règlements et décisions constituent des règles communes. Et dans la procédure, l'intervention du Conseil des ministres matérialisent encore la volonté commune des Etats. Le ministre de la justice et le ministre des finances de chaque Etat membre de l'OHADA traduisent cette volonté commune. Ils expriment la volonté des Etats membres au moyen du vote. Le véto d'un Etat membre suffit à paralyser la dynamique commune. Bien plus, il n'existe pas au sein de l'OHADA un mécanisme de sanctions permettant d'imposer la conduite des Etats. Leur volonté est à la base et à la fin du processus d'intégration de l'OHADA. La logique volontariste et souverainiste a été systématisée dans une analyse (119).

Quant aux Actes uniformes, leur nature de règles communes est doublement avérée. En substance, le Traité en son article 5 affirme la nature commune des Actes uniformes. Il dispose : "Les actes pris pour l'adoption des règles communes prévues à l'article premier du présent traité sont qualifiés "actes uniformes " ". L'article précise donc que les actes uniformes sont un instrument permettant l'adoption des règles communes. La procédure d'élaboration des Actes uniformes par des institutions communes corrobore ce postulat. Les Actes uniformes sont préparés par le Secrétariat Permanent en concertation avec les gouvernements des Etats-parties. Ils sont délibérés et adoptés par le Conseil des ministres après avis de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (120). La procédure détaillée est précisée aux termes de l'article 7 du Traité (121). L'adoption des Actes uniformes par le Conseil des ministres requiert l'unanimité des représentants des Etats-parties votants. Il faut au moins la présence des deux tiers des Etats parties. Et l'abstention ne fait pas obstacle à l'adoption des Actes uniformes (122). Il ressort de cette procédure une action successive des institutions traduisant la volonté commune des Etats pour l'élaboration d'une règle commune. Si dans la logique du droit communautaire, il est fondé d'affirmer un abandon de souveraineté ; le droit commun de l'OHADA procède d'une expression de la souveraineté des Etats par le truchement de leurs représentants dans le cadre de l'OHADA (123).

Le droit OHADA n'est pas du droit communautaire, mais un droit commun. Ce dernier est intégré au système juridique national de chaque Etat membre. Comme toute source du droit appartenant au système juridique interne, le Traité OHADA est inférieur à la Constitution. Toute chose qui présente une plus-value sous l'angle de la conflictualité entre les normes. La doctrine précédente a toujours posé le débat en termes de conflit entre deux normes communautaires (124) ; lorsque la norme OHADA est en conflit avec une norme communautaire. C'est une logique dérivée de la perception de l'OHADA comme un droit communautaire (125). Une fois cet écueil levé, il convient de retrouver l'authenticité du conflit. Il opposerait une norme commune OHADA à une norme communautaire d'abord, une norme commune OHADA à une norme nationale ensuite, et une norme commune OHADA à une autre norme commune.

Pour l'hypothèse où la norme commune OHADA serait en conflit avec une norme national, la solution dégagée par l'analyse existe. Elle postule la primauté de la Constitution sur la norme commune OHADA d'une part, et la primauté de la norme commune OHADA sur toutes les autres normes nationales. Toutefois, ce principe est assorti d'une condition. Elle consiste au respect du principe de spécificité. La norme commune OHADA ne peut l'emporter que si le conflit porte sur l'interprétation et l'application des Actes uniformes OHADA. Hors de ce giron, le principe de concurrence prend le relais. Il signifie que la norme commune OHADA peut être contestée, dès lors qu'elle est mobilisée pour couvrir les domaines non visés par l'OHADA.

Quant au conflit entre norme communautaire et norme commune OHADA, il importe de s'appuyer sur la nature et la valeur juridique de ces deux normes pour dégager les solutions. Par nature, une norme commune relève du droit national et une norme communautaire relève du droit international. Il s'infère certaines conséquences sous l'angle de la valeur juridique. La norme communautaire est supérieure à la norme commune OHADA sur la base du principe de primauté du droit communautaire. En effet, la norme communautaire relève du monisme avec primauté du droit international. C'est dire que bien qu'émanant de deux traités, le traité communautaire procède d'une volonté "dur" des Etats de réaliser l'intégration (126). En revanche, le traité commun s'entend d'une volonté "souple" des Etats de réaliser l'intégration (127).

S'agissant du conflit entre deux normes communes, il ne relève pas d'une illusion. La norme commune OHADA peut entrer en conflit avec d'autres normes communes, à l'instar de la norme du CIPRES (128), de la norme de la CIMA (129), de la norme de l'OAPI (130). Une distinction de nature existe entre le droit commun OHADA et les autres droits communs CIPRES, CIMA et OAPI. Le droit commun OHADA est accompagné à la cassation d'une juridiction : la CCJA. A l'inverse, les autres droits communs relèvent des juridictions nationales classiques. Le droit commun OHADA procède d'une compilation des techniques d'intégration. Il s'y trouve conjugué l'harmonisation, l'unification et l'uniformisation (131). Par contre, les autres droits communs reposent sur la technique de l'uniformisation. En guise d'illustration, un constat se dégage à l'observation des deux droits communs en matière pénale. La norme OHADA recourt au principe du renvoi pour la détermination de la sanction pénale. Un auteur y voit la dissociation de l'incrimination avec la sanction (132). Pourtant les normes CIPRES, de l'OAPI et de la CIMA prévoient directement des sanctions applicables. Au-delà de la divergence de style dans la légistique, les deux normes communes sont équivalentes. Le risque de conflit est minoré par le principe de spécificité. En effet, chaque norme prévoit dans son préambule, un domaine permettant d'éviter un flou ou une confusion. En cas de conflit, la détermination du domaine ou de la compétence rationae materiae permettra de mettre fin à ce conflit.

En synthèse, OHADA et système juridique fonde un constat : l'exclusion du droit OHADA du système juridique international et l'intégration du droit OHADA dans le système juridique national des Etats-membres. Quid du système judiciaire ?


* Les notes de bas de pages sont à la fin de la deuxième partie.

newsid:462091

Droit des étrangers

[Brèves] Placement en rétention : exemple d'une décision motivée et d'une juste appréciation des garanties de représentation

Réf. : CA Lyon, 3 janvier 2018, n° 18/00006 (N° Lexbase : A8087W9E)

Lecture: 2 min

N2223BXM

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par Marie Le Guerroué

Le 18 Janvier 2018

Il résulte de l'article L. 551-2 Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8943IUR) que la décision de placement en rétention est écrite et motivée. Cette motivation se doit de retracer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé l'administration pour prendre sa décision ; ce qui signifie que l'autorité administrative n'a pas à énoncer puis à expliquer pourquoi elle a écarté les éléments favorables à une autre solution que la privation de liberté. Pour autant, elle doit expliciter pourquoi elle a placé la personne en rétention non pas au vu d'éléments généraux et stéréotypés mais au regard d'éléments factuels liés à la situation individuelle et personnelle de l'intéressé et ce au jour où elle prend sa décision. En outre, les garanties de représentation à même de justifier l'irrégularité d'un placement en rétention cumulent généralement plusieurs critères tels que la situation familiale en France (enfants, couple stable), le logement (stable ou non), un document d'identité, l'attitude face à la législation sur les étrangers (notamment exécution volontaire ou non des mesures d'éloignement antérieures). Dans un arrêt du 3 janvier 2018, la CA de Lyon donne une illustration de ces exigences (CA Lyon, 3 janvier 2018, n° 18/00006 N° Lexbase : A8087W9E).

M. Z relevait appel de l'ordonnance déclarant régulier son placement en rétention et sa prolongation.
La cour note que le préfet motivait sa décision par 7 considérants, retenant que :
- M. Z a été interpellé pour infraction au Code de la route, en situation irrégulière et ne justifiant pas d'une entrée régulière sur le territoire ; qu'il a été placé en garde à vue pour défaut d'assurance et a été trouvé porteur d'une bonbonne de gaz lacrymogène et d'un club de golf ;
- son comportement constitue une menace à l'ordre public en raison des faits commis ;
- il se maintient irrégulièrement sur le territoire au mépris d'OQTF ;
- il déclare exercer une activité professionnelle sans autorisation provisoire de travail ni titre de séjour ;
- il a déclaré vouloir se maintenir sur le territoire national.
Pour la cour, au vu des circonstances de droit et de fait qui fondent la décision, le préfet a bien examiné la situation individuelle. Il ne peut donc être fait droit au moyen tirés de l'insuffisance de motivation.

Enfin, elle note que si M. Z justifie d'un domicile stable et d'un passeport valide le préfet a pu légalement estimer qu'il ne présentait pas de garanties de représentation effectives suffisantes à prévenir le risque qu'il se soustrait à la mesure d'éloignement prise à son encontre puisqu'il n'a pas donné suite aux précédentes et que par ailleurs il a exprimé sa volonté de rester sur le territoire. Par ailleurs, les arguments relatifs à l'état de santé de sa mère aujourd'hui décédée expliquant son maintien sur le territoire n'ont pu être vérifiés. Le placement est donc régulier (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E3227E4B).

newsid:462223

Droit social européen

[Brèves] Renvoi préjudiciel devant la CJUE concernant la délivrance du certificat E 101 dans le cadre du travail détaché

Réf. : Cass. soc., 10 janvier 2018, n° 16-16.713, FP+P+B (N° Lexbase : A1986XAS)

Lecture: 2 min

N2280BXQ

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par Blanche Chaumet

Le 19 Janvier 2018

La Cour de cassation renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) les questions suivantes :
1) l'interprétation donnée par la CJUE dans son arrêt C-620/15 (CJUE, 27 avril 2017, aff. C-620/15 N° Lexbase : A8174WAY), à l'article 14 § 2, a), du règlement n° 1408/71 (N° Lexbase : L4570DLT), dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97 (N° Lexbase : L5012AU8), tel que modifié par le règlement n° 647/2005 (N° Lexbase : L3735HDP), s'applique-t-elle à un litige relatif à l'infraction de travail dissimulé dans lequel les certificats E 101 ont été délivrés au titre de l'article 14 § 1, a), en application de l'article 11 § 1 du règlement n° 574/72 (N° Lexbase : L7131AUN) fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71, alors que la situation relevait de l'article 14 § 2, a), i), pour des salariés exerçant leur activité sur le territoire de l'Etat membre dont ils sont ressortissants et sur lequel l'entreprise de transport aérien établie dans un autre Etat membre dispose d'une succursale et que la seule lecture du certificat E 101 qui mentionne un aéroport comme lieu d'activité du salarié et une entreprise aérienne comme employeur permettait d'en déduire qu'il avait été obtenu de façon frauduleuse ?
2) Dans l'affirmative, le principe de la primauté du droit de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une juridiction nationale, tenue en application de son droit interne par l'autorité de la chose jugée par une juridiction pénale sur la juridiction civile, tire les conséquences d'une décision d'une juridiction pénale rendue de façon incompatible avec les règles du droit de l'Union européenne en condamnant civilement un employeur à des dommages et intérêts envers un salarié du seul fait de la condamnation pénale de cet employeur pour travail dissimulé ?
Telles sont les questions posées par la Chambre sociale de la Cour de cassation à la CJUE dans un arrêt rendu le 10 janvier 2018 (Cass. soc., 10 janvier 2018, n° 16-16.713, FP+P+B N° Lexbase : A1986XAS).

M. X a été engagé par une compagnie aérienne en qualité de copilote par contrat de droit espagnol et détaché, par avenant de détachement, à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Par la suite, le salarié a démissionné puis s'est rétracté et a pris acte de la rupture de son contrat de travail. Sollicitant la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il a saisi la juridiction prud'homale. La Cour de cassation (Cass. crim.,11 mars 2014, n° 12-81.461, FS-P+B+I N° Lexbase : A5032MGH) a condamné la société pour travail dissimulé. La cour d'appel ayant condamné l'employeur à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, l'employeur s'est alors pourvu en cassation.

C'est à l'occasion de ce litige que la Haute juridiction pose les questions susvisées à la CJUE (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7311ESL).

newsid:462280

Entreprises en difficulté

[Brèves] Destinataire de la lettre de contestation de la créance d'un établissement public à caractère administratif

Réf. : Cass. com., 10 janvier 2018, n° 16-20.764, F-P+B+I (N° Lexbase : A8998W97)

Lecture: 2 min

N2218BXG

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par Vincent Téchené

Le 18 Janvier 2018

L'envoi de la lettre de contestation par le liquidateur au siège d'un établissement public à caractère administratif, qui a la qualité de créancier, vaut avis à celui-ci de l'existence de la contestation au sens de l'article R. 624-1, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6267I3I), peu important que la lettre n'eût pas été adressée personnellement à l'agent comptable, seul compétent pour déclarer les créances de l'établissement public. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 10 janvier 2018 (Cass. com., 10 janvier 2018, n° 16-20.764, F-P+B+I N° Lexbase : A8998W97).

En l'espèce, une société (le débiteur) a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 26 juillet et 11 septembre 2012. L'agent comptable de l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (l'Oppic), établissement public à caractère administratif, a déclaré une créance qui a été contestée par le liquidateur. Conformément à la proposition de ce dernier, le juge-commissaire a rejeté la créance, faute de réponse du créancier dans le délai de trente jours à la lettre de contestation. L'Oppic, agissant par son agent comptable, a formé un recours contre cette ordonnance, en faisant valoir que ni le délai d'appel contre l'ordonnance du juge-commissaire, ni celui pour répondre à la contestation n'avaient couru, au motif que cette ordonnance et la lettre de contestation n'avaient pas été "notifiées" à son agent comptable, seul compétent pour déclarer les créances.

La cour d'appel (CA Versailles, 19 mai 2016, n° 14/01101 N° Lexbase : A8507RPR) juge l'Oppic recevable à contester la proposition de rejet de sa créance formulée par le mandataire judiciaire. Elle constate, à cet effet, que le liquidateur a adressé sa lettre de contestation à l'Oppic, et non à l'agent comptable de celui-ci pourtant seul habilité à agir en matière de déclaration de créance. Dès lors, elle en déduit qu'un tel envoi de la lettre de contestation, irrégulier, n'a pas fait courir le délai de trente jours prévu par l'article L. 622-27 du Code de commerce (N° Lexbase : L7291IZ3) pour contester la proposition du mandataire judiciaire.

Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel au visa des articles 665 (N° Lexbase : L6839H7G) et 692 (N° Lexbase : L4054AZ8) du Code de procédure civile, ensemble les articles L. 622-27, L. 624-3 (N° Lexbase : L3982HB4) et R. 624-1 du Code de commerce. Cette solution s'inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui a déjà jugé que, lorsqu'un créancier déclare sa créance par l'intermédiaire d'un mandataire (en l'occurrence un avocat), la lettre par laquelle le mandataire judiciaire avise que la créance déclarée fait l'objet d'une contestation peut être uniquement adressée au créancier, cet envoi faisant alors courir le délai de réponse de 30 jours (Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-19.115, F-P+B N° Lexbase : A1007DTH ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E0389EXP).

newsid:462218

Entreprises en difficulté

[Brèves] Durée excessive de la liquidation administrative italienne et absence de recours interne : violation des droits du créancier

Réf. : CEDH, 11 janvier 2018, Req. 38259/09 (N° Lexbase : A9058W9D)

Lecture: 2 min

N2221BXK

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par Vincent Téchené

Le 18 Janvier 2018

L'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) est applicable dès lors, qu'en l'espèce, la demande formulée par le créancier vise à l'admission de son crédit dans la liste des créances et constitue une contestation réelle et sérieuse sur un droit de caractère civil. Ainsi, bien que la procédure ait été complexe, s'agissant en particulier du recensement de l'activité économique de la société en cessation de paiements et de la transformation de chaque créance en liquidité, la durée en l'espèce de plus de 25 ans, n'est pas justifiée et n'a donc pas répondu à l'exigence d'un "délai raisonnable". Par ailleurs, et en raison de l'inapplicabilité de la loi "Pinto" à la liquidation administrative, doit être constaté l'absence en droit interne d'un recours permettant au requérant d'obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la CEDH le 11 janvier 2018 (CEDH, 11 janvier 2018, Req. 38259/09 N° Lexbase : A9058W9D).

La Cour note que les procédures italiennes de faillite et de liquidation administrative ont en commun le fait que le créancier ne peut pas introduire devant les juridictions judiciaires une demande en exécution visant à attaquer directement le patrimoine de la société débitrice. Le principe de fond vise en effet à assurer l'égalité entre les créanciers. En l'espèce, la Cour relève qu'au-delà de la différence de nature attribuée au niveau interne entre la procédure de faillite et la liquidation administrative, le créancier dans les deux cas fonde la perspective de réalisation de son crédit sur un tiers (le commissaire liquidateur) qui vérifie l'existence des créances et procède ensuite à leur liquidation. En ce qui concerne la procédure de faillite, la Cour a toujours considéré qu'il y a contestation à partir du moment où le créancier dépose une déclaration de créance. En ce qui concerne la liquidation administrative, la Cour relève que c'est à partir de la première communication du commissaire liquidateur relative à la vérification des créances de l'entreprise en cessation de paiements que le créancier peut présenter une demande visant à l'admission de son crédit dans la liste des créances. A partir de cette demande formulée par le créancier, surgit alors une contestation réelle et sérieuse sur un droit de caractère civil. La Cour conclut donc que l'article 6 § 1 trouve à s'appliquer en l'espèce. Elle estime que la durée litigieuse (procédure ouverte en 1985 et toujours en cours en 2010) est excessive et qu'elle n'a pas répondu à l'exigence du "délai raisonnable". En outre, la Cour observe que d'après la jurisprudence interne, la possibilité de recourir au "remède Pinto" est limitée à la seule contestation de la déclaration de la cessation de paiements ou à l'opposition à la liste de créances, ce qui exclut de son champ la procédure menée par le commissaire liquidateur. La Cour estime, par conséquent, qu'il y a eu violation de l'article 13 de la CESDH (N° Lexbase : L4746AQT).

newsid:462221

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Informations relatives aux éléments devant figurer sur le justificatif à fournir par le contribuable au titre de la réduction d'impôt SOFICA

Réf. : Décret n° 2018-15 du 9 janvier 2018 (N° Lexbase : L9792LH7)

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N2220BXI

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par Marie-Claire Sgarra

Le 18 Janvier 2018

Un décret n° 2018-15 du 9 janvier 2018, publié au Journal officiel du 11 janvier 2018 (N° Lexbase : L9792LH7) met à jour les engagements devant figurer sur l'annexe à la décision d'agrément du capital délivré par le ministre chargé du Budget, dont une copie doit être jointe par le contribuable, à l'appui de sa déclaration de revenus, afin de bénéficier de la réduction d'impôt au taux majoré de 48 % prévue à l'article 199 unvicies du Code général des impôts (N° Lexbase : L9446LHC) au titre des souscriptions au capital des sociétés de financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (SOFICA).

Pour rappel, le taux de cet avantage fiscal est passé de 36 % à 48 % depuis la loi de finances pour 2017 (loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, de finances pour 2017 N° Lexbase : L0759LC4). Ce taux s'applique lorsque la SOFICA s'engage à consacrer au moins 10 % de ses investissements à des dépenses de développement d'oeuvres audiovisuelles de fiction, de documentaire et d'animation sous forme de séries ou à défaut au moins 10 % de ses investissements à des versements en numéraire réalisés par contrats d'association à la production en contrepartie de l'acquisition de droits portant exclusivement sur des recettes d'exploitation des oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles à l'étranger. La loi de finances pour 2018 a prorogé la durée de la réduction d'impôt jusqu'au 31 décembre 2020 (loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, de finances pour 2018 N° Lexbase : L7952LHY).

Le texte est entré en vigueur le 12 janvier 2018.

newsid:462220

Magistrats

[Jurisprudence] Les magistrats du parquet, des subordonnés indépendants

Réf. : Cons. const., décision n° 2017-680 QPC, du 8 décembre 2017 (N° Lexbase : A6818W4B)

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N2219BXH

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par Antoine Botton, Professeur à l'Université Toulouse I - Capitole, Co-directeur de l'Institut de criminologie et de droit pénal Roger Merle, IRDEIC - Centre d'excellence Jean Monnet

Le 06 Septembre 2021

Dans cette décision du 8 décembre 2017 (1), le Conseil constitutionnel avait à juger d'une question transmise par le Conseil d'Etat, visant l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature N° Lexbase : L5336AGQ) aux termes duquel : "Les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre". Précisément, les requérants -l'Union syndicale des magistrats- reprochaient à cet article de placer les magistrats du Parquet "sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la Justice" au mépris, selon eux, du principe de séparation des pouvoirs et de l'un de ses corollaires, celui d'indépendance de l'autorité judiciaire, d'une part, et des droits à un procès équitable et de la défense, d'autre part.

La question intervenait, il est vrai, dans un contexte particulier. Au niveau interne d'abord, il faut relever qu'au travers de certaines réformes et initiatives (2), le législateur actuel a justement souhaité garantir une certaine indépendance fonctionnelle au ministère public. Il n'en demeure pas moins que la réforme constitutionnelle de son statut (3) n'a pas abouti et ce, malgré deux rapports en ce sens sous l'ancienne mandature (4). Concernant le droit du Conseil de l'Europe ensuite, rappelons que la Cour européenne des droits de l'Homme, de jurisprudence constante, considère que le ministère public français n'est pas une "autorité judiciaire" au sens de la Convention, notamment du fait de son défaut d'indépendance (5). S'agissant enfin du droit de l'Union européenne, comment ne pas penser ici à la récente adoption du Règlement portant création d'un Parquet européen (6) ? La référence s'impose ici d'autant plus que le texte comprend des dispositions garantissant expressément aux membres de ce Parquet une indépendance à l'égard tant des institutions communautaires que des Etats membres (7).

Compte tenu de ce contexte, la réponse du Conseil constitutionnel à la question de l'Union syndicale des magistrats faisait nécessairement l'objet d'une attente particulière. Sans surprise toutefois (8) et au terme d'une motivation pour le moins elliptique, le juge constitutionnel déclare les dispositions attaquées conformes aux droits et principes constitutionnels invoqués par les requérants. Pour ce faire, il procède en deux temps : après avoir affirmé qu'il existe un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet (I), il juge que la subordination hiérarchique de ces derniers au Garde des Sceaux ne lui contrevient pas (II).

I - L'existence d'un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet

"Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du Parquet" (9). C'est ainsi que le Conseil conclut son rappel des "normes de référence", c'est-à-dire des dispositions constitutionnelles sur lesquelles va s'appuyer son contrôle. La formule est nette, qui tranche avec l'impression résultant justement de ce rappel.

En effet, hormis l'article 64 de la Constitution (N° Lexbase : L0893AHK) suivant lequel "Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire", aucune des dispositions constitutionnelles visées n'assure précisément une telle indépendance. A cet égard, le Conseil précise d'une part qu'"en ce qui concerne les domaines d'action du ministère public", il revient au Gouvernement, en application de l'article 20 de la Constitution (N° Lexbase : L0846AHS), de déterminer et de conduire la politique de la Nation. D'autre part, après avoir assez maladroitement rappelé que l'article 64 de la Constitution garantit une inamovibilité aux seuls magistrats du siège, le juge constitutionnel reprend les termes de son article 65 (N° Lexbase : L0894AHL) suivant lesquels les décisions relatives à la nomination et à la discipline des magistrats du Parquet ne font l'objet que d'un avis simple du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), relevant respectivement d'une compétence exclusive du Président de la République (10) et du Garde des Sceaux (11).

Si bien que le Conseil infère le principe d'indépendance du Parquet de dispositions constitutionnelles en révélant manifestement la dépendance institutionnelle. Il s'agit là d'un premier paradoxe que la décision tente toutefois de ménager par une précision concernant cette indépendance : elle "doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement et... elle n'est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège" (12). A en croire l'expression, l'indépendance constitutionnelle du Parquet serait donc à la fois relative et spécifique. Le premier de ces caractères laisse toutefois songeur : est-il possible pour une institution d'être à la fois dépendante et indépendante ? En d'autres termes, l'indépendance souffre-t-elle la relativité ? Il est vrai que pourrait être objectée à cette vision simpliste -ou de bon sens, suivant le point de vue- la possibilité théorique de distinguer entre deux formes d'indépendance, l'une institutionnelle, l'autre fonctionnelle. Dans cette perspective, la dépendance institutionnelle indéniable du Parquet n'empêcherait pas son autonomie de fonctionnement. Ainsi, semble l'entendre le Conseil constitutionnel lorsqu'il évoque, après avoir proclamé l'indépendance des magistrats du Parquet, "le libre exercice de leur action devant les juridictions" (13). Toutefois, quand bien même le suivrait-on dans cette démarche dichotomique, quel est le fondement constitutionnel de ce "libre exercice de leur action" par les magistrats du Parquet ? En effet, si la dépendance institutionnelle du Parquet ressort nettement des dispositions constitutionnelles sus-évoquées, rien de tel en revanche n'émerge s'agissant de son autonomie fonctionnelle. Aussi, en évoquant leur "libre exercice (d') action", le Conseil ne peut faire référence qu'aux articles du Code de procédure pénale et de l'ordonnance attaquée, qui assurent justement aux magistrats du Parquet une indépendance dans l'exercice de leur triple fonction de direction d'enquête (14), de déclenchement (15) et d'exercice (16) de l'action publique (17). Or, tous ces textes ont un point commun : ils n'ont aucune valeur constitutionnelle (18).

De sorte que le raisonnement mené par le Conseil nous semble devoir conduire à une conclusion inverse de la sienne. La Constitution -norme de contrôle- loin d'assurer une quelconque indépendance aux magistrats du Parquet, prévoit au contraire leur rattachement institutionnel à l'exécutif. Dès lors, ne faudrait-il pas plutôt y déceler un principe de dépendance à l'exécutif du Parquet ? La question est, convenons-en, provocatrice, qui peut faire l'objet de deux objections principales.

En premier lieu, si l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), siège du principe de séparation des pouvoirs, ne fait manifestement pas obstacle à l'existence d'un lien hiérarchique entre le Parquet et le pouvoir exécutif (19), ne prohibe-t-il pas néanmoins toute reconnaissance constitutionnelle de cette dépendance ? Il est a priori permis de le penser. Cela étant, l'affirmer nécessiterait de passer sous silence l'ambiguïté de l'adjectif "judiciaire". S'il s'attache à un organe, le Parquet, membre du corps "judiciaire", ne peut être alors envisagé, d'un point de vue constitutionnel, comme dépendant d'un autre pouvoir. Si, en revanche, l'adjectif est conçu -il est vrai, abusivement- comme un synonyme de "juridictionnel" et s'attache en conséquence à une fonction, il est alors notable que le Parquet n'en exerce aucune, du moins officiellement. Comme l'a lui-même reconnu le Conseil à propos du projet d'"injonction pénale", ancêtre de la composition, le Parquet n'est pas une autorité de jugement mais une autorité chargée de l'action publique (20). Par conséquent, si l'on confère un sens identique aux épithètes "judiciaire" et "juridictionnel" lorsqu'ils s'attachent à un "pouvoir" à séparer, il serait envisageable, pour le Conseil, de consacrer un principe de dépendance des magistrats du Parquet sans pour autant bafouer l'article 16 de la Déclaration de 1789. En effet, si cet article ne vise qu'à séparer le pouvoir juridictionnel des autres pouvoirs, il ne saurait alors concerner l'activité, par hypothèse (21), non-juridictionnelle du Parquet.

Dès lors, quelle définition retenir de l'adjectif "judiciaire" attaché à un pouvoir devant être séparé ? Si l'on s'en tient à la jurisprudence du Conseil, celle consistant à l'envisager tel un "pouvoir" de jugement. En effet, suivant une formule du Conseil, l'article 16 de la Déclaration "implique le respect du caractère spécifique des fonctions juridictionnelles, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement" (22). Ainsi entendu, le principe constitutionnel des séparations des pouvoirs n'obvie alors en rien à la consécration de celui de dépendance des magistrats du Parquet, sauf, il est vrai, à leur reconnaître officiellement une fonction juridictionnelle qu'ils exerceraient déjà, selon certains auteurs (23), à titre officieux.

Pareille consécration ne se heurterait-elle pas, en second lieu, à la jurisprudence déjà rappelée de la Cour européenne des droits de l'Homme concernant le ministère public français (24) ? Nous ne le pensons pas. Bien au contraire, la reconnaissance constitutionnelle de la dépendance du Parquet aurait pour mérite de ne plus jurer avec le constat dressé par la Cour. Il convient surtout de rappeler ici que la position de la Cour ne remet nullement en cause le statut du ministère public français ; elle ne concerne que les prérogatives qui lui sont reconnues en matière d'arrestation et de détention avant jugement. En effet, elle veille exclusivement à ce que, conformément à l'article 5 § 3 de la Convention (N° Lexbase : L4786AQC), toute personne arrêtée ou détenue soit "aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires". La Cour est donc tout à fait indifférente à l'institution, en elle-même, d'un Parquet dépendant et partial tant que celui-ci n'exerce pas les prérogatives d'une "autorité judiciaire" telle qu'elle l'entend.

Au terme de ces développements, l'affirmation d'un principe d'indépendance des magistrats du Parquet ne semble pas sans conteste ; la consécration d'un principe inverse, doté quant à lui de véritables fondements constitutionnels, disposant de l'avantage indéniable de priver d'intérêt la question de constitutionnalité ici posée au Conseil. Ce dernier a toutefois choisi d'ouvrir la "porte étroite" de son contrôle, pour mieux, il est vrai, la refermer brusquement au nez des requérants.

II - La conformité de la subordination hiérarchique des magistrats du Parquet

"Les dispositions contestées placent les magistrats du Parquet sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la Justice". Par ce considérant lapidaire débute l'examen de constitutionnalité de l'article 5 de l'ordonnance de 1958, celui-ci semblant ainsi condamné sans avoir même été jugé. C'était sans compter le souci du Conseil de ménager quelque effet de surprise à ses lecteurs. Au terme d'un suspens relativement bref, compte tenu de la sécheresse de la motivation, le Conseil déclare effectivement cet article conforme à la Constitution, usant ainsi d'une recette bien connue des auteurs de romans policiers : celui que tout désigne comme coupable à la première page est, contre toute attente, reconnu innocent à la dernière. L'entre-deux est souvent de peu d'intérêt pour le lecteur de ces romans. Rien de tel cependant en l'occurrence, la motivation de la décision, bien que laconique, étant remarquable à deux égards : quant à la méthode de contrôle qu'elle révèle, d'une part, et quant à sa teneur, d'autre part.

Dans la décision commentée, le contrôle de constitutionnalité des dispositions attaquées tient principalement en celui de leur environnement juridique. En effet, au lieu de procéder à l'examen de l'article 5 de l'ordonnance de 1958 en lui-même, le Conseil opte pour un rappel de l'ensemble des normes infra-constitutionnelles relatives à l'indépendance des magistrats du Parquet. Précisément, il relève, dans un premier temps (25), toutes les dispositions légales marquant la dépendance de ces derniers au pouvoir exécutif : les règles de nomination et de discipline contenues dans l'ordonnance de 1958 (26) mais aussi celles prévues par le Code de procédure pénale en matière d'instructions générales de politique pénale émises par le garde des Sceaux (27).

Puis, dans un second temps, le Conseil mentionne les textes assurant, au contraire, une indépendance fonctionnelle aux magistrats du Parquet car prohibant toute instruction du Garde des Sceaux dans les affaires individuelles (28), garantissant une liberté de parole aux membres du ministère public (29), soumettant leur action au principe d'impartialité (30) ou encore leur permettant de décider librement de l'opportunité des poursuites (31).

Une fois rappelé leur contexte juridique, le Conseil juge alors que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe d'indépendance des magistrats du Parquet précédemment dégagé et ne contreviennent, au surplus, à aucun autre des droits et libertés garantis par la Constitution.

Sans évoquer pour l'heure la teneur et la valeur de l'argumentation, il convient ici de s'interroger sur la méthode choisie par le Conseil. Est-il effectivement concevable qu'un contrôle de constitutionnalité prenne la forme d'un inventaire, serait-il complet, de l'environnement juridique des dispositions contestées ? Ne devrait-il pas plutôt consister en une confrontation entre la norme de contrôle -le principe d'indépendance des magistrats du Parquet- et la norme contrôlée -l'article 5 de l'ordonnance de 1958- ? La démarche a certainement paru trop fruste au Conseil ; démarche qui aurait, au demeurant, fatalement conduit à la censure du texte. Il n'est pas ici question de revenir sur l'opportunité de tenir compte du contexte de la norme contrôlée ; celui-ci existe et en cela, ne peut être ignoré du Conseil. Mais tenir, comme dans la décision commentée, l'accessoire -le contexte- pour le principal- le texte- ne nous paraît pas davantage acceptable. Encore une fois, à supposer qu'il existe un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet (32), la norme infra-constitutionnelle organisant leur dépendance devrait, en toute logique et quel que soit son contexte, être censurée. En d'autres termes, si le contexte "éclaire" (33) le texte, il ne saurait l'éclipser, lui et son éventuelle inconstitutionnalité.

Il convient par ailleurs de noter que la méthode usitée est révélatrice d'un phénomène déjà identifié de pénalisation du contrôle de constitutionnalité ou, si l'on préfère, d'émergence d'un droit constitutionnel pénal (34). Si, comme l'indique prudemment le commentaire officiel de sa décision (35), le Conseil n'a pas ici "constitutionnalisé" les dispositions du Code de procédure pénale, il n'en a pas moins tiré l'essence de son contrôle tant celui-ci s'est axé, répétons-le, sur le contexte normatif de la loi attaquée.

- Au-delà de la méthode qui y préside, la motivation marque d'emblée par une brièveté qui tranche avec le souci récent d'une autre Haute juridiction d'enrichir précisément ses explications (36). Surtout, l'argumentation brève de cette décision de conformité tient principalement dans la mise en exergue, par le Conseil, de dispositions législatives "éclairant" le texte attaqué d'une lumière constitutionnellement flatteuse puisque révélant l'autonomie fonctionnelle du Parquet. Prises une à une ou dans leur ensemble, ces "garanties" peinent cependant à justifier le sens de la décision.

En premier lieu, le Conseil rappelle que le ministre de la Justice ne peut plus, depuis une loi du 25 juillet 2013 (37) et suivant l'article 30 du Code de procédure pénale, adresser aux magistrats du Parquet des instructions dans les affaires individuelles. Si l'évolution est notable car symbolique, comment toutefois ne pas la relativiser au vu du maintien des instructions générales de politique pénale (38) ? En effet, si dans les affaires les plus sensibles, l'autonomie fonctionnelle du Parquet semble ainsi garantie, il faut néanmoins remarquer que dans l'essentiel de leur activité de poursuites, les magistrats du Parquet doivent, en vertu des articles 39-1 (N° Lexbase : L4929IXT) et 39-2 (N° Lexbase : L4923IXM) du Code de procédure pénale, suivre les instructions du pouvoir exécutif. Ainsi ramenée au petit nombre d'affaires -seraient-elles importantes- dans lesquelles elle peut s'exercer, l'indépendance fonctionnelle du Parquet paraît alors telle qu'elle est : résiduelle.

En deuxième lieu, la décision fait mention à deux reprises de la liberté de parole des magistrats du Parquet, garantie à la fois par l'article 33 du Code de procédure pénale et l'article 5 in fine de l'ordonnance du 22 décembre 1958. S'il est vrai que la "plume est serve mais la parole est libre", il convient toutefois de noter que, dans notre procédure pénale moderne, la première s'exprime davantage que la seconde. Pour s'en convaincre, il suffit de relever qu'en matière correctionnelle, les procédures avec audience contradictoire, où la libre parole du Parquet peut précisément s'exercer, constituent un mode minoritaire de réponse pénale. D'une part, pour l'année 2016, environ 42, 5 % des affaires poursuivables ont fait l'objet d'une alternative aux poursuites (39). D'autre part, toujours en 2016, 49 % des affaires poursuivies devant le tribunal correctionnel ont donné lieu à des procédures sans audience contradictoire (40). Si à cela on ajoute que l'activité du ministère public ne se résume pas à l'exercice de l'action publique devant une juridiction, il appert alors assez nettement que cette liberté, de parole en l'occurrence, est là encore, sinon anecdotique, du moins limitée.

En troisième lieu, le Conseil s'appuie sur les articles 31 (N° Lexbase : L4927IXR) et 39-3 du Code de procédure pénale qui, introduits par deux lois récentes (41), exigent du ministère public qu'il fasse preuve d'impartialité dans l'exercice de l'action publique, pour le premier, et dans la direction d'enquête, pour le second. S'il s'agit là encore d'avancées remarquables, en quoi sont-elles cependant opérantes dans un débat relatif à l'indépendance du Parquet ? Si les notions ont un sens, l'impartialité ne garantit l'indépendance d'une autorité qu'à l'égard des parties, ce qui permet traditionnellement de la distinguer de l'indépendance stricto sensu s'exerçant, quant à elle, vis-à-vis des autres pouvoirs (42). Or, la question posée concernant justement cette seule indépendance du Parquet à l'égard du pouvoir exécutif, on perçoit dès lors mal la pertinence du rappel de textes assurant son autonomie à l'endroit des parties.

En quatrième et dernier lieu, le Conseil mentionne, à la fin de son inventaire justificatif, l'article 40-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7457LBS) en vertu duquel, selon lui, "le procureur de la République décide librement de l'opportunité d'engager des poursuites". Envisager ce texte tel un facteur de liberté du procureur dans le choix des poursuites relève toutefois du contre-sens, à moins qu'il ne s'agisse d'une réserve implicite d'interprétation. Bien au contraire, cette disposition, issue de la loi "Perben II" du 9 mars 2004 (43), visait précisément à encadrer le pouvoir d'appréciation du Parquet quant à l'opportunité des poursuites et ce, afin d'augmenter le taux de réponse pénale (44). A telle enseigne que cet article 40-1 hiérarchise, par ordre de préférence, les options offertes au ministère public lorsqu'il exerce son pouvoir d'opportunité.

Somme toute, le contexte législatif de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 n'édulcore en rien la subordination hiérarchique du Parquet qu'il édicte. Au contraire, l'incapacité de ce contexte à démontrer l'autonomie fonctionnelle des magistrats du Parquet accentue, par contraste, la netteté d'un texte prévoyant expressément leur subordination hiérarchique au garde des Sceaux.

En définitive, la déclaration de conformité de l'article 5 de l'ordonnance de 1958 au principe d'indépendance des magistrats du Parquet ne convainc pas davantage que la reconnaissance constitutionnelle dudit principe. Au risque de se répéter, il aurait certainement été plus simple de constater l'existence d'un principe constitutionnel de dépendance statutaire du Parquet et de déclarer, dans la foulée, les dispositions attaquées conformes à la Constitution. Le Parquet est institutionnellement dépendant en France. C'est là une situation juridique que le Conseil constitutionnel lui-même ne saurait remettre en cause, la question ressortissant exclusivement au pouvoir constituant.


(1) Décision commentée.
(2) V., à cet égard, loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du Garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique (N° Lexbase : L9267IXI). Notamment, cette loi met un terme aux instructions individuelles du ministre de la Justice (C. pr. pén., art. 30 N° Lexbase : L4926IXQ).
(3) Projet de loi constitutionnelle de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, adopté en Conseil des ministres le 13 mars 2013.
(4) Refonder le ministère public, rapport de la commission de modernisation de l'action publique présidée par J.-L. Nadal, 2013 ; Rapport sur la procédure pénale, rapport de la commission présidée par J. Beaume, 2014.
(5) CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 (N° Lexbase : A2353EUP) ; CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06 (N° Lexbase : A7244GKI).
(6) Règlement (UE) n° 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (N° Lexbase : L2117LHU).
(7) Règlement (UE) n° 2017/1939, art. 6. Sur ce texte, v., not., G. Taupiac-Nouvel et A. Botton, Les aspects procéduraux du Règlement (UE) 2017/1939 mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, JCP éd. G, à paraître en janvier 2018.
(8) Compte tenu de sa jurisprudence antérieure. V., notamment, en dernier lieu, Cons. const., décision n° 2016-555 QPC, du 22 juillet 2016 (N° Lexbase : A7431RXI) (subordination de la mise en mouvement de l'action publique en matière d'infractions fiscales à une plainte de l'administration). Dans le considérant 10 de la décision, le Conseil précisait déjà qu'"il découle de l'indépendance de l'autorité judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du Parquet, un principe selon lequel le ministère public exerce librement [...] l'action publique devant les juridictions pénales".
(9) Décision commentée, cons. 9.
(10) Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre, art. 28.
(11) Ibid., article 66.
(12) Cons. 9, in fine.
(13) Ibid.
(14) C. proc. pén., art. 39-3 (N° Lexbase : L4827K8B).
(15) C. proc. pén., art. 40-1 (N° Lexbase : L7457LBS).
(16) C. proc. pén., art. 33 (N° Lexbase : L7056A44) et ordonnance précitée du 22 décembre 1958, art. 5.
(17) S'agissant des affaires individuelles, l'indépendance fonctionnelle est assurée, de manière générale, par l'article 30 du Code de procédure pénale suivant lequel le ministre de la Justice ne peut adresser aucune instruction aux magistrats du Parquet.
(18) A cet égard, le commentaire officiel de la décision, dans une sorte d'obiter dictum révélateur, prend le soin -utile ?- de préciser que "le Conseil constitutionnel n'a pas constitutionnalisé' les dispositions législatives citées" (commentaire officiel, site internet du Conseil constitutionnel, p. 22).
(19) L'article 65 de la Constitution en témoigne.
(20) Décision n° 95-360 DC du 2 février 1995 N° Lexbase : A8324ACB) Loi relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, cons. 6.
(21) Du fait du principe de séparation des fonctions, découlant lui aussi de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
(22) V., en dernier lieu, loi relative à la transparence de la vie publique, cons. 46. Sur cette formule, v., commentaire officiel de la décision, préc., p. 15.
(23) M.-L. Rassat, Le ministère public, entre son passé et son avenir, Thèse Paris, LGDJ, 1967, p. 39, n° 50. L'auteur écrit : "Pour décider de l'opportunité de la répression, le ministère public doit connaître de l'affaire au fond', exactement comme le ferait le juge de jugement et prendre une décision qui s'apparente à celles que rend ce dernier et l'on peut dire, alors, que le ministère public s'immisce dans la fonction du juge de jugement' ".
(24) CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 ; CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06.
(25) Cons. 11.
(26) Art. 28 (nomination des magistrats du Parquet par décret du Président de la République) et art. 66 (décision de sanction disciplinaire prise par le Garde des Sceaux).
(27) C. proc. pén., art. 30 al. 2 (émission des instructions), C. proc. pén., 39-1 (N° Lexbase : L4929IXT) et C. proc. pén., 39-2 (N° Lexbase : L4923IXM) (mise en oeuvre des instructions).
(28) C. proc. pén., art. 30 (N° Lexbase : L4926IXQ).
(29) C. proc. pén., art. 33 (N° Lexbase : L7056A44) et 5 in fine de l'ordonnance précitée du 22 décembre 1958.
(30) C. proc. pén., art. 31 (impartialité dans l'exercice de l'action publique) et 39-3 (impartialité dans la direction d'enquête).
(31) C. proc. pén., art. 40-1.
(32) Ce dont nous doutons fortement (cf. supra I).
(33) Expression utilisée dans le commentaire officiel de la décision (préc., p. 22).
(34) V., sur ce phénomène, B. de Lamy et A. Botton, La QPC, révélateur des limites du droit constitutionnel ? Lectures contrariées et contradictoires (1), Recueil Dalloz, 2012, p. 2030 et la réplique de X. Magnon, p. 2032.
(35) Commentaire préc., p.22.
(36) Rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, avril 2017, p. 129 et s. (accessible en ligne sur le site de la Cour de cassation).
(37) Loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 préc..
(38) Maintien que le Conseil relève lui-même au considérant 11 de sa décision.
(39) Chiffres-clés de la justice 2017, ministère de la Justice, p. 19. Précisément, ces 42,5 % se décomposent en 37,5 % d'alternatives au classement sans suite et de 5 % de composition pénale.
(40) Idem, p. 19. Précisément, sur 496 872 affaires poursuivies devant le tribunal correctionnel, le ministère de la Justice dénombre 158 870 (soit environ 32 %) procédures d'ordonnance pénale et 87 733 procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (soit environ 17 %).
(41) Respectivement les lois du 25 juillet 2013 (préc.) et du 3 juin 2016 (loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale).
(42) V., à cet égard, la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l'Homme qui distingue nettement les deux exigences d'indépendance et d'impartialité. V., supra, note 5.
(43) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8).
(44) V., à cet égard, B. de Lamy, Commentaire de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, D., 2004, p. 1910. M. le Professeur Bertrand de Lamy écrit ainsi que : "la loi, si elle maintient le principe de l'opportunité des poursuites, l'encadre plus précisément et entend réduire la part des classements sans suite".

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Notaires

[Jurisprudence] Manquement déclaratif fiscal d'une partie et responsabilité du notaire

Réf. : Cass. civ. 1, 20 décembre 2017, n° 16-13.073, FS-P+B (N° Lexbase : A0630W99)

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par Eric Meiller, Notaire, docteur en droit, Rapporteur de la 2ème commission, 114ème congrès des notaires de France

Le 18 Janvier 2018

Par un arrêt du 20 décembre 2017, la Cour de cassation retient que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours. L'espèce concerne une vente, pour laquelle le notaire ne commet aucune erreur quant à la fiscalité liquidée dans l'acte. Le vendeur, en revanche, omet de déclarer la TVA sur marge relative à ladite vente. A la suite au redressement fiscal qu'il subit, le vendeur met en cause le notaire pour défaut d'information sur la fiscalité applicable.

L'opération litigieuse relève de la TVA immobilière antérieure à la loi de finances rectificative pour 2010. Selon la législation de l'époque, étaient soumises à la TVA, les opérations portant sur des immeubles et dont les résultats étaient taxables à l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux (CGI, anc. art. 257, 6° N° Lexbase : L5169HLZ). Etaient redevables de la TVA à ce titre, d'une part les marchands de biens, et, d'autre part, les lotisseurs.

Les opérations des marchands de biens et lotisseurs concourant à la production d'immeubles étaient en principe passibles de la TVA immobilière (CGI, anc. art. 257, 7°), mais exonérés de droits d'enregistrement dès lors que l'acquéreur prenait l'engagement de construire dans le délai de quatre ans (CGI, anc. art. 1594-0 G, A N° Lexbase : L2858KIP). Par exception, ne relevaient pas de la TVA les terrains revendus par ces professionnels à une personne physique en vue de la construction d'un immeuble à usage d'habitation (CGI, anc. art. 257, 7°). Dans ce dernier cas, où la revente était hors du champ de la TVA immobilière, une TVA sur la marge était due par le professionnel, calculée sur le profit brut (CGI, anc. art. 268 N° Lexbase : L4910IQW).

Ce régime fiscal spécial a été supprimé par la loi de finances rectificative pour 2010 (J.-C. Bouchard et W. Stemmer, Suppression du régime spécial des marchands de biens, JCP éd. N, 2010, 1140). Sous l'empire de la nouvelle législation, la revente d'un terrain à bâtir par un assujetti est soumise à la TVA, sur le prix total si l'acquisition a ouvert droit à déduction, sur la marge si l'acquisition n'a pas ouvert droit à déduction (CGI, art. 268).

Ceci rappelé, le problème de l'arrêt est le suivant. Il semblerait que le notaire ait bien informé le vendeur de l'existence d'une TVA sur la marge, à l'occasion des ventes effectuées après la réforme de 2010. Mais que rien n'ait été dit à ce propos lors des ventes antérieures à cette réforme. La cour d'appel estime qu'il n'y a pas eu de manquement du notaire dans ce dernier cas, car, pour elle, les ventes antérieures à la réforme ne relevaient pas de la TVA immobilière. Sur ce plan, l'analyse est censurée par la Cour de cassation. En effet, dès lors que la SARL venderesse est considérée par le fisc comme un lotisseur, une TVA sur la marge est également due pour les ventes d'avant la réforme, sur le fondement de l'article 257 du Code général des impôts dans sa rédaction d'alors.

Cela étant, le notaire n'a commis aucune erreur fiscale pour les perceptions qu'il lui appartenait de liquider dans son acte. En effet, la déclaration de TVA, sur imprimé CA3, que devait faire le lotisseur est indépendante de l'acte notarié, et est établie sous la seule responsabilité de l'entreprise concernée. Il est certain que le notaire n'a pas pour mission de tenir la comptabilité de cette entreprise ni de remplir ou de suivre ses obligations déclaratives.

Pour autant, la Cour de cassation considère que les manquements déclaratifs du vendeur sont consécutifs à une information incomplète délivrée par le notaire sur la fiscalité, alors que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours.

L'arrêt confirme, en tant que de besoin, que le notaire a un devoir d'information quant au régime fiscal applicable à une opération qu'il reçoit (I). Encore faut-il que ce défaut d'information cause un préjudice réparable (II).

I - Devoir d'information fiscal du notaire

Dans le cadre de son devoir de conseil, le notaire est tenu d'un devoir absolu d'information, non seulement en matière civile, mais également en matière fiscale (P. Becqué, Le notaire et la collecte de l'impôt, JCP éd. N, 2014, 1094). Il doit informer les parties des impôts qui sont la suite de son acte (J.-F. Pillebout et J. Yaigre, Droit professionnel notarial, LexisNexis, 8ème éd., 2009). La solution est constante en jurisprudence. La même formule que dans l'arrêt d'espèce, "le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours", se retrouve déjà dans des décisions antérieures (par ex., Cass. civ. 1, 15 février 2005, n° 03-12.553, F-D N° Lexbase : A7372DG7, JCP éd. N, 2005, 1363, note D. Lepeltier). A cette fin, le notaire a un devoir de s'informer, pour pouvoir informer à son tour (Cass. civ. 2, 19 octobre 1994, n° 92-21.543 N° Lexbase : A7427ABP, D., 1995, jurispr. p. 499, note A.-M. Gavard-Gilles).

En général, la responsabilité du notaire est surtout recherchée lorsqu'il n'a pas informé les parties des conséquences fiscales désastreuses de l'opération réalisée. Par exemple, quand un notaire prête son concours à une donation déguisée, alors qu'il existait des moyens moins onéreux pour parvenir au même résultat (Cass. civ. 1, 9 décembre 2010, n° 09-16.531, F-P+B+I N° Lexbase : A7107GM8 et lire N° Lexbase : N8445BQT, Bull. civ. I, n° 524). En matière de vente immobilière, la plupart des arrêts concernent des opérations de défiscalisation immobilière, où une partie se plaint de ne pas avoir été correctement informée des conditions à respecter pour bénéficier du régime fiscal de faveur (par ex., Cass. civ. 1, 30 avril 2009, n° 07-19.500, FS-D N° Lexbase : A6444EGR ; Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-21.183, F-D N° Lexbase : A5833EAB, JCP éd. N, 2008, act. 686). Mais on trouve également des décisions dans des affaires proches de la présente espèce. Ainsi, un notaire a été rendu responsable de n'avoir pas correctement informé son client sur les conditions d'application de la TVA immobilière (Cass. civ. 1, 12 juillet 1989, n° 87-15.356 N° Lexbase : A0351CSS, JCP éd. N 1990, II, 152).

De manière générale, le notaire a un devoir d'exactitude sur les conséquences fiscales immédiates, c'est-à-dire le régime fiscal de l'acte lui-même, et d'un devoir d'information sur les les implications futures de l'acte, pour autant que le notaire ait connaissance des projets des parties à ce propos (G. Durand-Pasquier, Le devoir de conseil du notaire quant au régime fiscal applicable à une opération d'acquisition immobilière, JCP éd. N, 2013, 1047). A contrario, le notaire est relevé de son devoir de conseil lorsqu'il n'est pas mis en mesure de l'accomplir. Ainsi, un notaire ne peut se voir reprocher une erreur d'appréciation fiscale, alors que le vendeur ne lui a jamais transmis les factures, pourtant réclamées à plusieurs reprises, qui auraient permis d'apprécier l'étendue des travaux de rénovation et l'application de la TVA à l'opération (Cass. civ. 1, 8 juin 1994, n° 92-14.262 N° Lexbase : A7276CP8, JCP éd. N, 1996, II, p. 1011, obs. Th. Sanséau).

II - Existence d'un préjudice réparable

La preuve du conseil donné incombe au notaire (Cass. civ. 1, 3 février 1998, n° 96-13.201 N° Lexbase : A2233ACP, Bull. civ. I, n° 44). Mais la preuve du préjudice incombe à la personne qui se plaint du défaut d'information (P. Pierre, Un défaut d'information est indifférent si le client ne démontre pas le préjudice qui en découle, JCP éd. N, 2013, 1050).

En l'espèce, le vendeur ne subit pas une imposition indue ; il subit simplement une imposition qu'il n'avait pas prévue (T. Sanséau et J.-F. Sagaut, Responsabilité notariale - Applications - Vente d'immeuble, JurisClasseur Notarial Formulaire, Responsabilité notariale fasc. 20). En conséquence, le préjudice n'est pas égal au total des sommes à verser au Trésor public (Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-14.830, F-D N° Lexbase : A1211IIP, JCP éd. N, 2012, n° 16, act. 461). Le préjudice n'existe réellement que si le défaut d'information du notaire a entraîné l'application d'une fiscalité évitable, soit que les parties auraient renoncé à leur projet si elles avaient été correctement informées, soit que les parties auraient modifié les termes de leur accord pour bénéficier d'une taxation plus avantageuse (CA Paris, 8ème ch., 12 mars 1985, Defrénois, 1985, art. 33596, p. 1076, obs. J.-L. Aubert).

Le préjudice fiscal réparable est donc la perte d'une chance (CA Douai., 24 novembre 2011, n° 10/01468 N° Lexbase : A3268H3G). Ainsi que le paiement des pénalités appliquées lors du redressement (CA Aix-en-Provence, 10 septembre 1985).

Encore faut-il que la perte de chance soit réelle. Tel n'est pas le cas si l'option perdue est trop incertaine (Cass. com., 19 janvier 2010, n° 09-65.472, F-D N° Lexbase : A4829EQW, Defrénois 2010, art. 39175, obs. M. L.). S'il n'est pas démontré que les parties auraient renoncé à l'opération avec une meilleure information, il n'y a pas de perte de chance indemnisable (Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-25.973, FS-D N° Lexbase : A0297IXB).

En l'espèce, le vendeur demande l'indemnisation du préjudice ayant résulté pour lui de l'impossibilité de répercuter financièrement la TVA sur marge dans les prix de vente des terrains. Ce point de son argumentation n'a pas à être débattu devant la Cour de cassation. Mais il n'est pas certain que les juges du fond, sur renvoi, suivent ce raisonnement. Certes, il est possible de négocier une charge augmentative de prix, par laquelle l'acquéreur prend en charge la TVA sur marge du vendeur. Mais cette stipulation ne s'envisage, en pratique, que dans l'hypothèse où l'acquéreur est assujetti à la TVA, puisque celui-ci va pouvoir ensuite la récupérer. Tel n'est pas le cas du particulier qui achète un terrain à bâtir en vue de construire son habitation. Pour lui, la prise en charge de la TVA conduit à une augmentation du prix. Or, on peut douter que l'acquéreur accepte une telle augmentation. On peut supposer que, par le jeu de l'offre et de la demande, le prix qui avait obtenu l'accord du vendeur et de l'acquéreur était déjà au maximum de ce que le vendeur pouvait obtenir.

Par suite, même en admettant le défaut d'information du notaire en l'espèce, il n'est pas certain que le notaire soit responsable du préjudice dont se plaint le vendeur.

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Procédure administrative

[Jurisprudence] L'application toujours inflexible du désistement d'office lors d'un pourvoi en cassation suite à l'appréciation d'une question préjudicielle

Réf. : CE 2° ch., 20 décembre 2017, n° 413558, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4798W9L)

Lecture: 13 min

N2273BXH

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"

Le 19 Janvier 2018

La recherche de l'équilibre entre les nécessités de l'action administrative et le respect des droits des administrés est une préoccupation majeure chez le juge administratif. Le Conseil d'Etat se montre globalement toujours plus apte à trouver ce juste milieu mais certaines décisions peuvent prêter à discussion voire amener à un regard différent quant aux solutions alors préconisées. C'est à l'occasion d'un contentieux judiciaire quant à la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" que le contentieux d'espèce est né. Le TASS d'Evry a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Versailles d'une question préjudicielle portant sur la légalité de la décision du préfet de l'Essonne refusant de délivrer l'attestation concernant cette carte de séjour temporaire. La décision n'a pas été jugée comme entaché d'illégalité par les premiers juges administratifs. Le requérant se pourvoi directement en cassation devant le Conseil d'Etat contre le jugement rendu alors en premier et dernier ressort (comme l'y autorise l'article R. 811-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L9961LA8) et demande l'annulation du jugement tout comme le règlement de l'affaire au fond quant à l'illégalité de la décision du préfet. Comme le contentieux relève d'une question préjudicielle, la juridiction saisie doit instruire et juger l'affaire comme une affaire urgente et les délais les plus brefs sont donnés aux parties pour produire leurs observations (CJA, art. R. 711-2-1 N° Lexbase : L8940LDH), le délai du pourvoi étant fixé à quinze jours (CJA, art. R. 771-2-2 N° Lexbase : L0533I8A). Cela n'empêche pas cependant un certain formalisme et des règles assez strictes à respecter. Après le pourvoi, un mémoire complémentaire a été annoncé par le requérant et, selon l'article R. 611-23 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0567I8I), celui-ci doit parvenir au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, juge de cassation, dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle le pourvoi a été enregistré. Si le délai de droit commun est habituellement de trois mois (CJA, art. R. 611-22 N° Lexbase : L2911HPI), ce délai d'un mois pour "les recours sur renvoi de l'autorité judiciaire" fait partie des hypothèses où on a considéré, eu égard à la spécificité du contentieux et à la nécessité de rendre l'instruction du dossier encore plus réduite, que ce délai devait être réduit. C'est, par exemple, le cas, aussi, en matière de contentieux électoral (délai d'un mois), de décisions relatives aux séjours des étrangers assorties d'une obligation de quitter le territoire français (délai de quinze jours en vertu de l'article R. 776-12 du Code de justice administrative N° Lexbase : L8141LAR) ou encore lorsque le pourvoi en cassation est dirigé contre une décision prise par le juge des référés (délai de quinze jours) ou une demande de sursis à exécution d'un jugement (délai d'un mois en vertu de l'article R. 611-23 précité). Que ce soit pour le délai de droit commun ou pour ces délais spéciaux, si ces derniers ne sont pas respectés, l'auteur du pourvoi est réputé s'être désisté à l'expiration des dits délais s'il n'a pas produit le mémoire annoncé.

La règle ainsi énoncée est assez autoritaire et sévère, le Conseil d'Etat ne doit ni mettre en demeure l'intéressé de le faire, ni l'y inviter. La rigueur de ce régime se manifeste d'autant plus que le juge interprète strictement l'intention du requérant de produire un mémoire complémentaire. L'application qui en est faite par le Conseil d'Etat est, traditionnellement, dans l'esprit du texte, assez drastique mais, à sa décharge on la retrouve aussi du côté du juge judiciaire ainsi que, dorénavant, pour les mémoires récapitulatifs qui ne sont pas produit dans le délai imparti fixé au maximum à un mois (1). Cependant, le cas d'espèce faisait mention d'une circonstance particulière en ce que la notification du jugement administratif comportait une indication erronée sur le délai de pourvoi contre ce jugement, probablement un délai de deux mois au lieu des quinze jours réglementaires. D'un prime abord, cette erreur n'a pas d'incidence sur la question de l'application du délai de production du mémoire complémentaire et le désistement prononcé en l'espèce tout à fait logique puisque le délai réglementaire d'un mois était dépassé mais le requérant pouvait penser de façon légitime à ce qu'au délai de droit commun ainsi notifié s'applique un délai de droit commun également sur la production des mémoires complémentaires. Cette circonstance particulière aurait pu amener le juge à infléchir sa jurisprudence, il n'en a rien été puisqu'il l'a jugé, avec une rigueur dont on peut comprendre qu'elle ait été mal comprise par le requérant, qu'elle était sans incidence sur l'application des articles R. 611-22 et R. 611-23 du Code de justice administrative. En prononçant alors, malgré tout, le désistement d'office, le juge administratif inscrit néanmoins sa décision dans la lignée de sa jurisprudence précédente même si elle a été jugée, par certains égards, non conforme aux règles du procès équitable (I). Un autre regard est cependant possible sur le choix ainsi effectué même s'il faut toujours prendre en considération des éléments techniques propres à justifier la décision ainsi prise tenant notamment à l'impératif de bonne administration de la justice. La rigueur de la règle de principe a déjà été atténuée, par le passé, par le Conseil d'Etat et on a déjà aussi évoqué la transposition possible des règles plus souples existant devant les tribunaux et cours administratives d'appel. Même si la faute commise par le greffe du tribunal administratif n'est pas directement à l'origine de la prescription en cause dans l'arrêt d'espèce justifiant le prononcé du désistement d'office, elle est susceptible d'induire en erreur le requérant. Il peut, en effet, exister un doute sur la légèreté du requérant qui doit normalement être, seule, sanctionnée par le désistement d'office (II).

I - Une décision qui s'inscrit dans le cadre du caractère très rigoureux des décisions de désistement d'office prises par le Conseil d'Etat

La décision d'espèce s'inscrit dans une logique qui perdure depuis quelques temps maintenant devant le Conseil d'Etat qui amène à une interprétation et à une application mécanique des cas de désistement d'office sans rechercher l'intention réelle de l'auteur de la requête. Cette vision des choses a été sanctionnée par le juge européen (B) mais elle continue à primer devant le Conseil d'Etat pour ne pas entraîner des retards inutiles dans l'instruction des affaires (A).

A - La nécessité de ne pas entraîner des retards inutiles dans l'instruction des affaires

C'est d'abord le décret du 16 janvier 1981 (2) qui a institué devant le Conseil d'Etat la procédure et le système du désistement d'office remplaçant l'ancienne hypothèse de la mise en demeure qui prévalait jusque-là. Selon la rédaction actuelle de l'article R. 611-22 du Code de justice administrative depuis créé, "lorsque la requête ou le recours mentionne l'intention du requérant [...] de présenter un mémoire complémentaire, la production annoncée doit parvenir au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat dans un délai de trois mois (3) à compter de la date d'expiration de ce délai, même si le mémoire complémentaire a été ultérieurement produit". La règle a été appliquée sans fioritures par le Conseil d'Etat qui en a donné une interprétation très large pour ne pas entraîner de retards inutiles dans l'instruction des affaires. Le délai ne peut ainsi être prolongé si le requérant demeure à l'étranger ou dans un territoire d'outre-mer (4). Elle s'applique à toutes personnes physiques ou morales, publiques ou privées y compris aux requêtes présentées par les ministres. Elle s'applique même lorsque la requête annonçant le mémoire complémentaire a d'abord été introduite à tort devant un tribunal administratif avant d'être transmise au Conseil d'Etat (5) ou quand le mémoire complémentaire n'a été présenté que par l'un des deux requérants qui avaient initialement annoncées conjointement la production du document (6). Le requérant est réputé s'être désisté, que le mémoire complémentaire ne soit pas produit (7) ou qu'il soit produit hors délai (8). La circonstance qu'à l'issue du délai, le requérant ait fait connaître qu'il ne produirait pas de mémoire complémentaire ne fait pas obstacle à l'application de la règle sur le désistement d'office (9). Ce dernier est encouru même si la requête annonçant le mémoire est suffisamment développée pour le rendre inutile ou si le requérant a simplement indiqué qu'il le produirait "le cas échéant" (10).

Lorsque les contentieux sont soumis, comme en l'espèce, à des délais spéciaux pour la production des mémoires complémentaires (CJA, art. R. 611-23), l'application de la règle est d'autant plus rigoureuse dans la mesure où l'instruction du dossier doit être aussi réduite que possible que ce soit en matière de contentieux électoral où le délai est d'un mois (11) ou lorsque le pourvoi en cassation est dirigé contre une décision prise par le juge des référés où le délai est réduit à quinze jours (12). L'interprétation rigoureuse dans la décision d'espèce concernant le délai spécial d'un mois pour les recours sur renvoi de l'autorité judiciaire s'inscrit dans cette logique d'application afin que les délais de procédure qui font attendre le jugement au fond devant l'autorité judiciaire ne s'éternisent pas davantage. Peu importe si la notification du jugement du tribunal administratif comportait l'indication d'un autre délai. Le Conseil d'Etat avait pourtant pu juger déjà que l'erreur commise par le greffe dans l'indication d'un délai de recours rendait inopposable le délai plus bref fixé en la matière (13).

B - Une application mécanique sans recherche de l'intention réelle de l'auteur de la requête sanctionnée par le juge européen

Le texte de l'article R. 611-22 du Code de justice administrative ne prévoit aucun aménagement et est appliqué de manière automatique par le juge sans rechercher l'intention réelle de l'auteur de la requête. Si la jurisprudence varie ainsi au gré des formules employées par les requérants, elle révèle parfois une sévérité excessive dans l'application du mécanisme. Ainsi l'intention de produire un mémoire complémentaire est-elle établie lorsqu'une partie fait état d'un "mémoire ampliatif éventuel" (14) ou déclare se "[réserver] le droit de développer" la requête par un tel mémoire (15) ou encore lorsque le requérant se "réserve le droit d'amplifier le présent recours si besoin est" (16). Ne sont pas, en revanche, considérées comme appelant un mémoire complémentaire le fait que le requérant indique dans ses écritures "qu'il existe encore de nombreux autres motifs d'annulation, lesquels seront explicités ultérieurement" (17), l'annonce de l'intention de produire un mémoire en réplique (18) ou encore les formules telles que "par ces motifs et tous autres à produire, déduire ou suppléer au besoin d'office" (19), "[le requérant se réserve] le droit de produire tout mémoire ou toutes explications complémentaires à l'audience" (20), "le ministre complétera son recours en tant que de besoin" (21), ou encore "il existe encore de nombreux autres motifs d'annulation, qui seront explicités ultérieurement" (22).

Malgré le caractère assez rigide du mécanisme et de la fluctuation de la jurisprudence qui en découle, le Conseil d'Etat a jugé le mécanisme du désistement d'office compatible avec l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) (23) de la même façon que celui qui impose au requérant, après le rejet d'une demande de sursis pour absence de moyens sérieux, de confirmer ses conclusions à fin d'annulation (24). Le juge européen n'est pas du même avis puisqu'il a sanctionné la France pour la violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison d'une application trop rigoureuse de la procédure. Si la Cour reconnaît que le droit à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations notamment quant aux conditions de recevabilité des recours, les Etats jouissant d'une certaine marge d'appréciation, les restrictions à l'accès au juge doivent respecter un rapport de proportionnalité entre les moyens et le but visé. Une formule d'usage par laquelle un requérant, non juriste, se "réserve le droit d'amplifier le présent recours si besoin est" devant le Conseil d'Etat, ne devrait pas être interprétée comme un cas de désistement d'office de sa requête si ce dernier ne présente pas de mémoire complémentaire ou ampliatif dans le délai prescrit. Le désistement d'office revenait ainsi à lui "imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge" (25).

II - Une décision qui apparait sévère au regard des perspectives plus contemporaines ouvertes par le Conseil d'Etat et de la procédure plus souple prévue pour les juges du fond

Si le juge administratif a appliqué de façon assez rigide les règles relatives au désistement d'office et que la décision d'espèce ne déroge pas aux principes ainsi appliqués, il existe aussi une jurisprudence plus souple qui ne cesse, sous l'influence européenne, de s'intensifier (A), influence qui amène à valoriser l'approche plus pragmatique qui existe du côté des juges du fond et qui tend à transposer devant le Conseil d'Etat l'envoi d'une mise en demeure tenant à produire le mémoire complémentaire (B).

A - La souplesse croissante de la jurisprudence du Conseil d'Etat

La décision d'espèce apparaît d'abord sévère par rapport à un certain nombre d'atténuations à la rigueur de la règle du désistement d'office qui ont été apportées depuis la fin des années 1990 par le Conseil d'Etat. Ainsi, le juge a admis la possibilité pour le justiciable de renoncer à produire le mémoire complémentaire annoncé pendant le délai imparti (26) alors que la jurisprudence classique n'ouvrait pas cette possibilité (27). Le Conseil d'Etat est aussi moins exigeant que par le passé en ce qui concerne le contenu du mémoire devant être produit. La formalité étant jugée accomplie lorsque le requérant ne fait que reproduire le contenu de sa requête introductive d'instance, le mémoire complémentaire annoncé étant considéré comme produit bien que son contenu soit identique à celui de la requête introductive d'instance (28). C'est le cas, aussi, lorsque, en appel, il se borne à produire un mémoire se référant à ceux présentés en première instance et dont il joint la copie (29). L'exigence de production du mémoire complémentaire est ainsi, quelque part, vidée de son contenu dans un souci de prévalence de l'accès au juge.

Autre assouplissement notable, celui qui a amené le juge, par la décision "Paris et Mme Orth" (30) à reconnaître que le défaut de production d'un mémoire complémentaire annoncé n'est plus forcément un désistement d'action par lequel le requérant est censé renoncer à toute requête ultérieure ayant le même objet, mais peut être un désistement d'instance par lequel le requérant aurait renoncé seulement à poursuivre ladite instance. En raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache à la décision qui le prononce, une nouvelle demande présentée par le même requérant ayant la même cause et le même objet que celle s'étant conclue sur le désistement d'office ne pouvait auparavant qu'être rejetée (31). Depuis la décision "Paris et Mme Orth", il revient dorénavant au juge saisi d'une telle demande d'apprécier si le désistement dont il avait été donné acte d'office ne revêt pas, au regard des circonstances particulières de l'espèce, le caractère d'un désistement d'instance. Pour déterminer la nature du désistement, les juridictions administratives sont dorénavant invitées à rechercher l'intention réelle du requérant lorsqu'il paraît ne pas souhaiter poursuivre l'action en s'abstenant de produire son mémoire. Il s'agit donc d'une appréciation in concreto de l'omission du requérant qui n'est plus irrémédiablement analysée comme un désistement d'action. Le Conseil d'Etat a confirmé cette nouvelle jurisprudence par l'arrêt "Rigat" en la généralisant à tous les désistements, pas simplement ceux prononcés d'office par le juge (32). Le Conseil d'État consacre ainsi une solution générale qui aligne la procédure administrative contentieuse sur la procédure civile.

A noter aussi, toujours dans le cadre de l'assouplissement, que le juge suprême a, plus récemment, jugé qu'un mémoire motivé présenté par un requérant sans avocat, lequel mémoire contenait des conclusions "sous réserve de tous autres éléments de droit et de fait à produire ultérieurement par mémoire complémentaire, et sous réserve de tout autre recours", ne devait pas être regardé comme annonçant la production d'un mémoire complémentaire (33).

B - La transposition possible de l'exigence de mise en demeure telle qu'établie devant les juges du fond

C'est le juge européen lui-même qui a émis l'hypothèse et observé "que l'objectif poursuivi, à savoir réduire le délai d'instruction des recours, peut-être atteint par des moyens moins rigoureux, tels que l'envoi d'une mise en demeure, comme c'est le cas devant les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel [CJA, art. R. 612-5]" (34). La rigidité de la procédure du désistement d'office devant le Conseil d'Etat contraste, en effet, sérieusement avec la souplesse de celle qui existe devant les juges du fond. Devant les tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le désistement d'office n'est constaté qu'à la suite d'une mise en demeure, non suivie d'effet, de produire le mémoire complémentaire annoncé dans la requête introductive d'instance (CJA, art. R. 612-5). De cette manière, il est mis fin à toute ambiguïté concernant les intentions du requérant puisque celui-ci sera amené à confirmer ou non sa volonté d'introduire un mémoire complémentaire, étant entendu qu'il peut expressément y renoncer avant l'expiration du délai imparti. Le requérant qui a alors renoncé expressément lorsqu'il a été mis en demeure de le produire ne peut être réputé s'être désisté d'office de sa requête (35). Le délai de production du mémoire n'est pas fixé par les textes, il est déterminé par le rapporteur chargé de l'affaire et de son instruction. Dans ce cas, le requérant défaillant est alors réputé s'être désisté s'il n'a pas produit à l'expiration du délai fixé par le rapporteur alors même qu'il a agi avant la clôture de l'instruction (36).

Tout plaide aujourd'hui encore pour qu'il y ait une harmonisation des procédures au niveau des juridictions administratives. Si les raisons du régime applicable au Conseil d'Etat tiennent essentiellement au souci d'éviter l'engorgement du prétoire voire à l'exercice d'une bonne administration de la justice, elles ne paraissent guère défendables aujourd'hui. Ce qui pouvait déjà être contesté à une époque (37) l'est tout autant aujourd'hui (38). Il n'est certes pas contestable que le principe du désistement d'office soit préservé. S'il est normal que celui qui sollicite un mémoire complémentaire supporte le risque d'un désistement en contrepartie s'il ne le produit pas, l'homogénéisation des procédures offre aujourd'hui toutes les garanties nécessaires au respect du droit au juge tout en assurant la maîtrise des délais d'instruction. L'arrêt d'espèce peut s'apparenter à l'utilisation de techniques punitives ou disqualifiantes envers le requérant qui peuvent empêcher l'accès au juge. Si une notification erronée d'un délai de pourvoi est sans incidence sur le respect d'un délai de production d'un mémoire complémentaire, elle reste susceptible d'avoir des conséquences sur le droit d'accès au juge, fut-ce de façon indirecte. S'il est bon parfois de responsabiliser les justiciables, ce n'est pas toujours à eux de payer le plus lourd tribut dans la recherche de l'efficacité de la justice administrative qui plus est lorsqu'elle commet des erreurs.


(1) CJA, art. R. 611-8-1 (N° Lexbase : L9944LAK), tel qu'issu de l'article 17 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, portant modification du Code de justice administrative (partie réglementaire) (N° Lexbase : L9758LAN), JO, 4 novembre 2016, texte n° 16.
(2) Décret n° 81-29 du 16 janvier 1981, modifiant le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963, portant règlement d'administration publique pour l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945 et relatif à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat, JO, 18 janvier 1981, p. 275.
(3) Le délai de trois mois remplace le délai initial de quatre mois depuis le décret n° 2006-964 du 1er août 2006, modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4521HKN), JO, 3 août 2006, p. 11570.
(4) Non application de l'article 1023 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5868ICC) devant le Conseil d'Etat : CE, 13 janvier 1984, n° 50187 (N° Lexbase : A6296ALR), Tables, p. 709 ; CE, 14 février 2007, n° 293523 (N° Lexbase : A6810DUR).
(5) CE, 26 juin 1985, n° 49501 (N° Lexbase : A3526AMK), Tables, p. 734 ; le délai ne courant qu'à la date d'enregistrement au Conseil d'Etat si l'ordonnance de renvoi a bien été notifiée au requérant (CJA, art. R. 351-2 N° Lexbase : L2020K9P).
(6) CE, 6 février 1998, n° 169700 (N° Lexbase : A6380AS4).
(7) Par ex. : CE, 6 novembre 1985, n° 64270 ou CE, 4 novembre 2009, n° 328939.
(8) CE, 23 juin 2008, n° 304541 (N° Lexbase : A3552D9G).
(9) CE, 22 novembre 1989, Dame Fene, D. 1991, somm., p. 144, obs. F. Llorens et P. Soler-Couteaux.
(10) CE, 13 mai 1987, n° 82389 (N° Lexbase : A3757APT), Tables, p. 886.
(11) CE, 29 novembre 1989, n° 107077 (N° Lexbase : A2178AQQ), Tables, p. 856.
(12) CE, 17 mai 1999, n° 197113 (N° Lexbase : A4180AX4).
(13) CE Sect., 26 mars 1993, n° 117557 (N° Lexbase : A9076AM4) ou CAA Paris, 8 octobre 1993, n° 92PA00546 (N° Lexbase : A8876BH9), AJDA, 1993, p. 870, concl. V. Albanel.
(14) CE, 15 septembre 1995, n° 132120 (N° Lexbase : A5390ANX).
(15) CE, 6 mars 2000, n° 182780, 192164 (N° Lexbase : A4160B79) et CE, 1er octobre 1993, n° 129350 (N° Lexbase : A0831AN4).
(16) CE, 13 février 2004, n° 241093 (N° Lexbase : A3389DB7).
(17) CE, 21 octobre 1994, n° 138078 ([LXB=A3354ASZ ]), Tables, p. 1121.
(18) CE, 20 novembre 1996, n° 176551 (N° Lexbase : A1957AP8), Tables, p. 1097.
(19) CE, 18 décembre 1996, n° 156270 et n° 156543 (N° Lexbase : A2256APA), Rec. CE, p. 497.
(20) CE, 23 février 1994, n° 125663 (N° Lexbase : A9821AR8), Tables, p. 1121.
(21) CE, 22 avril 1988, n° 62469 (N° Lexbase : A8069APK).
(22) CE, 21 octobre 1994, n° 138078 (N° Lexbase : A3354ASZ), Tables, p. 1121.
(23) CE, 10 octobre 1997, n° 136605 (N° Lexbase : A4497ASD), Rec. CE, p. 345 et CE, 9 octobre 2002, n° 239719 (N° Lexbase : A2951A3P).
(24) CE, 29 juillet 1998, n° 188715 (N° Lexbase : A8092ASI), Rec. CE, p. 313, AJDA, 1998, p. 1010, concl. Schwartz.
(25) CEDH, 15 janvier 2009, Req. 24488/04 (N° Lexbase : A3583ECP), § 49, AJDA, 2009, p. 547, note B. Pacteau, JCP éd. A, 2009, n° 2057, note D. Bailleul.
(26) CE Sect., 26 juillet 1996, n° 160269 (N° Lexbase : A0429APL), Rec. CE, p. 312, LPA, 1996, octobre, n° 122, note B. Pacteau.
(27) CE, 5 novembre 1982, n° 16452 (N° Lexbase : A9137AKM), Rec. CE, p. 369 ; CE Sect., 17 mai 1985, n° 54273 (N° Lexbase : A3194AMA), Rec. CE, p. 156, AJDA, 1985, p. 630, note O. Gohin et LPA, 1985, 18 octobre, note B. Pacteau.
(28) CE, 9 juillet 1997, n° 179047 ([LXB=A1034AEZ ]), Tables, p. 1009, LPA, 1998, mars, n° 33, note B. Pacteau.
(29) CE, 21 février 1997, n° 118902 (N° Lexbase : A8282AD4), Tables, p. 1009.
(30) CE, 19 octobre 2007, n° 289551 (N° Lexbase : A7871DY8), Rec. CE, p. 428, JCP éd. G, 2008, II, n° 10003, note D.Bailleul, AJDA, 2007, p. 2007, obs. C. Biget.
(31) CE Sect., 29 janvier 1932, Janson, Rec. CE, p. 128, D., 1933, 3, jurispr. p. 11, concl. R. Latournerie ; CE Sect., 24 mai 1957, Caffot, Rec. CE, p. 341 ; CE, 22 juillet 1992, n° 66419, 114410 (N° Lexbase : A7498AR7), Tables, p. 1224.
(32) CE Sect., 1er octobre 2010, n° 314297 (N° Lexbase : A2227GB4), Rec. CE, p. 352, JCP éd. A, 2010, n° 2350, note L. Erstein, AJDA, 2010, p. 2202, chron. D. Botteghi et A. Lallet.
(33) CE, 5 juillet 2013, n° 356660 (N° Lexbase : A4582KIK), Tables, p. 775 qui revient sur CE, 13 mai 1997, n° 82389, préc. et CE, 1er octobre 1993, n° 129350, préc..
(34) CEDH, 15 janvier 2009, Req. 24488/04 préc., cons. n°s 19 et 48.
(35) CAA Lyon, 22 septembre 1992, n° 90LY00778 (N° Lexbase : A3499A84), Tables, p. 1224 ; CE Sect., 26 juillet 1996, n° 160269 (N° Lexbase : A0429APL), Rec. CE, p. 312, LPA, 1996, octobre, n° 122, note B. Pacteau.
(36) CE Sect., 19 novembre 1993, n° 119389 (N° Lexbase : A1153ANZ), Rec. CE, p. 326 ; CE, 29 décembre 1997, n° 138762 (N° Lexbase : A5430ASW), Tables, p. 1008 ; CE, 15 février 1999, n° 162485 ([LXB=A4521AXQ ]).
(37) Voir en ce sens, déjà en 2009, D. Bailleul, Le désistement d'office devant le Conseil d'Etat et la Cour européenne des droits de l'Homme : remise en cause d'un archaïsme, JCP éd. A, 2009, n° 2057 ou B. Pacteau, Le désistement d'office en contentieux administratif. Regards et reproches de la Cour européenne, AJDA, 2009, p. 547.
(38) Egalement en ce sens, par ex., P. Caille, Contentieux administratif, Revue générale du droit on line, 2017, n° 26148.

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Procédure civile

[Jurisprudence] Expulsion demandée en référé et contrôle de proportionnalité : une nouvelle pierre à l'édifice est apportée

Réf. : Cass. civ. 3, 21 décembre 2017, n° 16-25.469, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0712W9A)

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par Sâmi Hazoug, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne Franche Comté CRJFC (EA 3225)

Le 18 Janvier 2018

Au visa de l'article 849, alinéa 1er (N° Lexbase : L0814H4W), la troisième chambre civile de la Cour de cassation énonce dans un arrêt du 21 décembre 2017 qu'en écartant l'illicéité manifeste du trouble généré par une occupation sans droit, ni titre alors que "l'occupation sans droit ni titre du bien d'autrui constitue un trouble manifestement illicite", la cour d'appel a violé le texte visé. Voilà qui est dit, bien dit, et bienvenu, du moins sur le plan juridique, l'affaire mettant par ailleurs en exergue une triste réalité sociale. Ressortissants syriens ayant été contraints de quitter leur pays d'origine qui connaît la situation que l'on sait, les défendeurs au pourvoi avaient occupé un logement dans un immeuble voué à la démolition appartenant à l'office public de l'habitat de Toulouse. En première instance, le juge des référés ordonna leur expulsion et fixa l'indemnité d'occupation mensuelle mise à leur charge. Appel de l'ordonnance fut alors interjeté. L'arrêt infirme la décision rendue et considère qu'il n'y a pas lieu à référé en l'absence d'illicéité manifeste en ce que, en substance, une expulsion porterait une atteinte plus importante au droit au respect du domicile des appelants qu'à celui de propriété de l'intimé. Il est utile ici de rapporter l'exact motif aux termes duquel "la compétence du juge des référés, saisi par l'intimé, repose principalement sur l'existence d'un trouble manifestement illicite, de sorte qu'il convient de déterminer si l'occupation de l'immeuble appartenant à ce dernier caractérise ou non un trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés et ce dans la mesure où l'atteinte au droit de propriété de l'Office, dont la réalité n'est pas contestée, n'est pas de nature, ipso facto et en tant que telle, à caractériser l'existence de ce trouble manifestement illicite ; qu'en effet, il appartient au juge des référés, saisi dans ce cadre, d'apprécier l'illicéité manifeste du trouble allégué de manière concrète dès lors que le droit de propriété, même consacré par des textes internes et internationaux, est susceptible d'être mis en balance avec d'autres droits protecteurs tout autant consacrés par des textes de droit interne et de droit international ; qu'en l'espèce, il est constant que les appelants occupent les lieux depuis plusieurs mois et qu'ils y sont domiciliés, même si les conditions d'habitation sont précaires puisque les lieux en cause sont voués à être détruits, cette destruction intervenant dans le cadre d'une opération de réhabilitation projetée par l'intimé, et ce alors qu'ils ne peuvent bénéficier d'autres solutions de logement ; qu'ainsi, il résulte de ce qui précède que les appelants sont fondés à invoquer à leur profit les droits qui leur sont notamment reconnus par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) dès lors qu'ils sont domiciliés dans l'immeuble en cause, et ce peu important l'illégalité de cette occupation dès lors que cette occupation est continue et durable ; que si l'article 8 évoqué supra ne garantit pas un droit au logement décent à ceux qui en sont dépourvus, il garantit en revanche la protection du domicile à ceux qui en disposent de sorte que les appelants sont fondés à invoquer le droit à la protection de leur domicile consacré par cet article, dans les conditions et limites posées par cette disposition ; qu'à cet égard, il se déduit de cette disposition et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme que la protection du droit de propriété d'autrui ne peut justifier qu'il soit porté atteinte au droit à la protection du domicile qu'au seul cas où cette atteinte est proportionnée au but légitime que constitue la protection de ce droit de propriété, de sorte qu'il appartient au juge des référés saisi des demandes d'expulsion de se livrer à un examen de proportionnalité dans l'ingérence dans ce droit que constituerait la mesure d'expulsion sollicitée par le propriétaire ; qu'en outre, cet examen de proportionnalité impose au juge saisi de tenir compte de l'appartenance des occupants des lieux à une population placée dans une situation précaire et des conséquences d'une expulsion immédiate qui aurait pour effet de jeter ces derniers à la rue, sans possibilité de relogement ; qu'en l'espèce, force est de relever que le premier juge a omis de se livrer à cet examen, et ce alors que l'expulsion des appelants aurait pour effet de les placer dans une plus grande précarité, s'agissant de ressortissants syriens ayant été contraints de quitter leur pays d'origine à raison des troubles qui l'affectent, de sorte qu'elle caractériserait une atteinte bien plus importante à celle portée au droit de propriété de l'intimé, dès lors notamment que les lieux occupés sont destinés à la démolition et ne peuvent en l'état faire l'objet d'une location ; que, dès lors, il résulte de ce qui précède que la demande d'expulsion présentée est à l'évidence, dans les circonstances de l'espèce, de nature à compromettre l'exercice par les appelants de leurs droits consacrés par l'article 8 de la CESDH, de sorte que le trouble allégué, indéniable, par l'intimé dans l'exercice de son droit de propriété est dépourvu de toute illicéité manifeste et que les demandes présentées échappent à la compétence du juge des référés en ce qu'elles seraient fondées sur les dispositions de l'article 849, alinéa 1er, du Code de procédure civile ; que, par ailleurs, elles échappent également à la compétence du juge des référés en ce qu'elles seraient fondées sur les dispositions de l'article 848 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0812H4T) dès lors que l'intimé ne justifie d'aucune urgence, dès lors qu'il n'est pas justifié de la date à laquelle l'immeuble en cause devra être démoli, étant en outre relevé à titre superfétatoire qu'au vu de ce qui précède, il ne peut être soutenu que la mesure d'expulsion sollicitée serait justifiée par l'existence d'un différend opposant les parties ; que, dès lors, la demande d'expulsion sollicitée échappe à la compétence du juge des référés, tant sur le fondement de l'article 848 du Code de procédure civile que sur celui de l'article 849 de ce code".

L'atteinte au droit de propriété constitue-t-elle un trouble manifestement illicite qu'il revient au juge des référés de faire cesser ? "Non" répond l'arrêt déféré, "Oui" réplique la Cour de cassation. La solution énoncée par cette dernière ne mériterait d'être rapportée qu'au titre d'un simple rappel, tant il serait étonnant d'admettre la licéité de l'occupation sans droit, ni titre, du bien d'autrui. En réalité, c'est le raisonnement suivi par les juges du fond, sanctionné en l'occurrence, qui retient l'attention. C'est en effet au titre d'un contrôle de proportionnalité qu'à hauteur d'appel la demande d'expulsion est rejetée ; contrôle qu'avait imposé cette même chambre, en la même matière, au juge des référés (1). Il serait pourtant bien hâtif de retenir au titre de la cassation, quelque peu "sèche", sans référence aucune à ce même contrôle, sa remise en cause. En réalité, il en avait été déduit, en appel, l'absence d'illicéité manifeste du trouble caractérisé. Autrement dit, c'est la règle qui fut écartée, et non ses effets aménagés. C'est ce qui a été sanctionné, et uniquement cela. Mise en oeuvre de la règle (I) et modulation des effets (II) sont deux aspects distincts auxquels l'analyse de cet arrêt conduit à revenir.

I - La mise en oeuvre de la règle à appliquer

Le juge des référés, comme tout juge, se doit, au titre de l'article 12, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I) d'appliquer la règle de droit idoine, disposition qui énonce que "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables". La répartition des rôles du juge et des parties, défendue par Motulsky avec plus de nuances qu'il est trop souvent considéré (2), laisse, du moins dans une certaine mesure, la maîtrise du droit au juge. "Da mihi factum, tibi dabo jus", est-il classiquement enseigné. "Donne moi, le fait, je te donnerai(s) le droit", à quoi il peut être utile d'ajouter "... si je veux". Pour tenir compte de la solution consacrée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation énonçant que "si, parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 du Code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes" (3). Ce qui impose une distinction selon que le fondement juridique a été ou non invoqué par une partie.

L'obligation de la détermination de la règle par le juge, qui reste libre de le faire, voit alors, son champ sensiblement rétréci en matière de référé. Celui-ci doit, en effet être introduit, au titre de l'article 485 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9916IQC), par voie d'assignation. Modalité de formation de la demande qui comprendra, en application de l'article 56, 2° (N° Lexbase : L1127H4I) "un exposé des moyens en fait et en droit". Même en ce cas, a pu se poser la question de l'office du juge en cas d'omission de cette mention, sanctionnée au titre d'un seul vice de forme (4) que ne peut donc soulever le juge, si le défendeur s'est abstenu de le faire. Il a alors été proposé (5) d'admettre l'obligation pour le juge de rechercher le fondement juridique, tout en usant, le cas échéant, du pouvoir offert par l'article 13 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1129H4L) d'inviter les parties à fournir "les explications de droit qu'il estime nécessaire à la solution du litige". En dehors de cette hypothèse, il faut également garder à l'esprit les cas d'introduction d'un référé par une autre voie que l'assignation. Ainsi en est-il, par exemple, en matières prud'homale (6), et dans une moindre mesure, familiale (7).

La règle déterminée, il convient alors de s'intéresser à sa mise en oeuvre, et ses conditions remplies, d'en venir à l'effet qu'elle prévoit. Ici, il faut relever l'absence de cloisonnement entre les mesures à ordonner. Celle prévue par un fondement spécifique pourra être obtenue sur un autre (8). Il a ainsi été admis que l'exécution d'une obligation, visée à l'article 809, alinéa 2 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K), puisse être ordonnée sur le fondement de l'article 808 du même code (9), ou encore, s'agissant d'un référé commercial, qu'elle le soit au titre de l'article 873, alinéa 1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A), comme constituant une mesure conservatoire (10), alors qu'elle relève normalement du second alinéa. Dans le choix de la mesure utile, le juge des référés jouit d'un pouvoir souverain (11). Facette de son pouvoir, dont il est permis de se demander s'il ne s'agit pas plutôt d'un devoir, de déterminer la mesure nécessaire à l'obtention de la solution demandée. Le juge des référés est le juge qui, n'étant pas saisi du principal, a "le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires" précise l'article 484 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6598H7I), texte relevant des dispositions applicables devant toutes les juridictions.

En recherchant la mesure nécessaire à l'obtention du résultat escompté, il ne fait rien d'autre que de se conformer à sa mission (12). A ce titre, comme l'écrivait M. le Doyen Normand, il n'est pas "enfermé dans la stricte alternative d'avoir à admettre ou à refuser la mesure même qu'il est sollicité de prendre" (13). La mesure qu'il retiendra doit évidemment tendre à la même fin que celle demandée, et ne pas conduire à une situation plus contraignante pour le défendeur que celle qu'il aurait connue par application de la mesure écartée (14), sauf à se prononcer ultra petita (15). Il procède alors à une pesée, in concreto, des intérêts en présence pour le choix de la mesure adaptée et proportionnée (16), sans pour autant rejeter la mise en oeuvre de la règle, contrairement à ce qui avait été fait en la présente espèce. Qu'importe qu'ait été retenu au soutien de la solution adoptée un contrôle de proportionnalité (conventionnelle), puisque celui-ci n'impacte que les seuls effets de la règle mise en oeuvre.

II - La modulation des effets de la règle appliquée

Que l'on adhère à l'admission d'un contrôle de proportionnalité, ou qu'on la critique, il n'en faut pas moins tenir compte de sa consécration par la Cour de cassation (17). Il y a peu, et cela a déjà été précisé, cette même chambre le retenait au sujet d'une expulsion ordonnée en référé. Au visa de l'article 8 de la CESDH "ensemble" l'article 809 du Code de procédure civile, la décision déférée fut cassée au motif qu'"en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des consorts X., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision", dans un arrêt honoré d'une publication maximale (18). La décision "Winterstein et autres contre France" de la CEDH (19) qui était alors invoquée au soutien de la cassation ne contraint pas, selon M. l'avocat général Sturlèse, le juge des référés à "faire un contrôle de proportionnalité pour établir le trouble manifestement illicite, impose, en revanche, un tel contrôle pour apprécier la mesure à prendre pour y prendre fin" (20).

Or, dans la présente affaire c'est bien à l'appréciation du trouble illicite, à l'issue du contrôle de proportionnalité, qu'avaient procédé les juges du fond en considérant que l'atteinte au droit à la protection de leur domicile ôtait toute illicéité à l'occupation des lieux par les appelants. La Cour de cassation censure le raisonnement en rappelant, fidèle en cela à sa jurisprudence, que l'allégation de l'atteinte à un droit fondamental ne rend pas licite ce qui ne l'est pas : "l'occupation sans droit ni titre du bien d'autrui constitue un trouble manifestement illicite" (21). Ce constat opéré, le juge devait prononcer la mesure adaptée prévue. Le contrôle de proportionnalité pouvait alors jouer à ce niveau et conduire à la modulation de l'expulsion en l'aménageant. En l'occurrence, la disproportion de la solution qui serait retenue pourrait devoir être invoquée, le cas échéant, devant la cour de renvoi, puisque la Cour de cassation n'a pas eu à se prononcer sur cette question. En se souvenant que le choix portera sur la mesure adaptée, donc proportionnée, au titre de l'article 484 du Code de procédure civile (22).

La prise en compte du droit de l'occupant pourrait-elle déboucher sur un refus d'expulsion, neutralisation totale plutôt que simple adaptation ? Cela a pu être envisagé (23). Sans s'intéresser aux conséquences économiques à laquelle conduirait une telle admission, il faut rappeler que le propriétaire jouit, et c'est heureux, d'une protection de son droit, que nierait le refus d'expulsion d'un occupant sans droit, ni titre. D'ailleurs, c'est ce à quoi aboutissait la solution retenue par l'arrêt d'appel. Une chose est d'admettre une atteinte ponctuelle à un droit, en est une autre de le priver de toute efficience. Cette même chambre a eu, le même jour, à rappeler que l'auteur d'un empiètement ne peut valablement se prévaloir de son droit au respect de sa propriété pour s'opposer à la démolition, puisque la victime jouit du même droit (24).

Refuser l'expulsion porterait assurément une atteinte disproportionnée au droit du demandeur. La troisième chambre civile avait par ailleurs déjà considéré qu'une expulsion sans délai ne méconnaissait pas l'article 8 de la CESDH (25), dans une espèce où un dommage imminent avait été caractérisé. S'il est permis d'en déduire une pesée des intérêts en présence, il l'est également de considérer que l'imminence du dommage se suffit à elle-même. Faute de quoi, et ce serait aller trop loin, il faudrait imposer un arbitrage entre la survenance prochaine d'un dommage à subir par des tiers (qui devrait le supporter à quel titre ?), et la protection d'une situation factuelle. Si le maintien, un temps, d'un trouble, même manifestement illicite peut être admis en raison des spécificités d'une espèce, il n'en est pas de même de la survenance d'un dommage dont le caractère futur fermera la porte aux habiles plaideurs tendant de glisser d'un fondement à l'autre, soit du trouble réalisé au dommage imminent, pour tenter d'échapper à un éventuel contrôle de proportionnalité. L'on voit alors que si le défendeur a tout intérêt à invoquer une atteinte disproportionnée à l'un de ses droits fondamentaux, l'issue du litige est loin d'être acquise. D'autant que certaines questions restent en suspens (26). Si une pierre a été apportée, l'édifice est toujours en cours de construction (27).


(1) Sur ce point v. infra n° 8.
(2) V. déjà sa thèse, Principes d'une réalisation méthodique du droit privé, préf. P. Roubier, Paris 1948, rééd. Dalloz 2002, présent. A. M. Frison Roche. Ce n'est pas tant un rôle exclusif, s'agissant du droit, que l'auteur reconnaît au juge, qu'un rôle prépondérant v. par ex. n° 81, p. 81.
(3) Ass. plén., 21 décembre 2007, n° 06-11.343, P+B+R+I (N° Lexbase : A1175D3W ; cf. l’Ouvrage "procédure civile" N° Lexbase : E0690EU4), Bull. Ass. plén., n° 10. Not. JCP éd. G., 2008, I, 138, n° 9, obs. S. Amrani Mekki ; JCP éd. G, 2008, II, 10006, note L. Weiller ; Procédures, 2008, n° 70, obs. R. Perrot ; RTDCiv., 2008. 317, obs. P.-Y. Gautier ; O. Deshayes, L'office du juge à la recherche de sens, à propos de l'arrêt d'Assemblée plénière du 21 décembre 2007, D., 2008, 1102.
(4) Pour la sanction du défaut de mention, v. par ex. Cass. civ. 3, 6 octobre 2010, n° 09-66.683, FS-P+B (N° Lexbase : A3784GBR ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E4954EUZ), Bull. civ. III, n° 182. Sur son régime v. par ex. Cass. civ. 3, 26 novembre 2003, Bull. civ. III, n° 205.
(5) V. en ce sens, M. Foulon et Y. Strickler, Les pouvoirs du juge des référés, Gaz. Pal, 26 mai 2012, n° 147, p. 17, spéc. nos 15 et s..
(6) C. trav., art. R. 1455-9 (N° Lexbase : L0812IAC) en prévoyant l'acte d'huissier, renvoie aux modalités prévues à l'art. R. 1452-1 du même code (N° Lexbase : L2638K89), soit la requête et la présentation volontaire des parties.
(7) En matière d'ordonnance de protection des articles 515 et 13 du Code civil (N° Lexbase : L7175IMP), l'article 1136-3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1434I8M) prévoit la saisine du juge aux affaires familiales par requête remise ou adressée au greffe. De façon générale, l'article 1137 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1712H48) précise que s'il peut être saisi dans les formes prévues pour les référés, le juge aux affaires familiales peut également l'être par requête remise ou adressée au greffe, conjointement ou par une partie seulement.
(8) Sur la question v. M. Foulon et Y. Strickler préc., spéc. n° 3.
(9) Cass. civ. 1, 15 novembre 1988, n° 86-18.619 (N° Lexbase : A2126AH9), Bull. civ. I, n° 321.
(10) Cass. com., 26 février 1991, n° 89-16.348 (N° Lexbase : A2704ABR), Bull. civ. IV, n° 87.
(11) V. par ex. Cass. civ. 2, 12 février 2004, n° 01-17.632, F -P+B (N° Lexbase : A2682DBX), Bull. civ. II, n° 65.
(12) V. par ex. Cass. civ. 1, 9 mai 1990, n° 88-19.220 (N° Lexbase : A9120AYG ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E5956ETR), Bull. civ. I, n° 101.
(13) J. Normand, obs. sous Cass. civ. 1, 12 mai 1993, n° 91-16.437 (N° Lexbase : A3690ACN ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E0711EUU), RTD civ. 1994. 668.
(14) V. cep. Cass. civ. 2, 15 novembre 2007, n ° 07-12.304, F-P+B (N° Lexbase : A6065DZN), Bull. civ. II, n° 255.
(15) Ultra petita qui ne peut être retenu si la mesure ordonnée, tout en étant moins contraignante pour le défendeur, aboutit à ce qui était demandé.
(16) Pour une analyse détaillée des différents contrôles, v. N. Cayrol, Le contrôle de proportionnalité des mesures conservatoires et de remise en état ordonnées en référé, RTDCiv., 2016, 449.
(17) La question a fait, et fait encore, l'objet de nombreuses études, sans prétendre à l'exhaustivité, v. not. B. Louvel, Pour exercer pleinement son office de Cour suprême, la Cour de cassation doit adapter ses modes de contrôle, JCP éd. G, 2015, 1122 ; Ph. Jestaz, J. P. Marguénaud et Ch. Jamin, Révolution tranquille à la Cour de cassation, D., 2014, 2061 ; F. Chénédé, Contre révolution tranquille à la Cour de cassation, D., 2016, 796 ; v. également Regards d'universitaires sur la réforme de la Cour de cassation, JCP éd. G., 2016, suppl. au n° 12 ; V. Vigneau, Libres propos d'un juge sur le contrôle de proportionnalité, D., 2017, 123. Bien que peu développé, le contrôle de proportionnalité est bien envisagé dans le rapport de la Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation. Pour une présentation, v. J. Théron, Sublimer l'essence de la Cour de cassation ? - à propos du rapport de la Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, JCP éd. G., 12 juin 2017, n° 24, 666.
(18) Cass. civ. 3, 17 décembre 2015, n° 14-22.095, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8776NZ3) ; P. Y. Gautier, Contrôle de proportionnalité subjectif, profitant aux situations illicites : "l'anti Daguesseau", JCP G., 15 février 2016, n° 189.
(19) CEDH, 17 octobre 2013, Req. 27013/07 (N° Lexbase : A9322KM9), abondamment commenté. V. not. J. P. Marguénaud et J. Mouly, D., 2013, 2678. Pour une étude d'ensemble, v. J. F. Renucci, La notion de "victime" au sens de l'article 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4769AQP), D., 2014, 238.
(20) B. Sturlèse, La Cour de cassation doit imposer d'effectuer un contrôle de proportionnalité entre droits fondamentaux en matière de référé expulsion, JCP éd. G., 15 février 2016, 187.
(21) V. déjà, l'occupant invoquant son droit constitutionnel à un logement décent, Cass. civ. 3, 20 janvier 2010, n° 08 -16.088, FS-P+B (N° Lexbase : A4610EQS), Bull. civ. III, n° 19 ; ou encore Cass. civ. 2, 2 février 2012, n° 11-14.729, F-D (N° Lexbase : A8928IBB ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1658EUX).
(22) Cette particularité peut conduire à douter de l'utilité de l'ajout d'un contrôle de proportionnalité. Pour un développement sur ce point v. N. Cayrol préc..
(23) V. B. Sturlèse préc. qui considère que "selon les circonstances de fait, le contrôle de proportionnalité d'une mesure d'expulsion sollicitée ne doit pas déboucher nécessairement sur la négation de ce droit à l'expulsion dont bénéficie le propriétaire victime d'une occupation illicite". C'est bien admettre qu'il pourrait y conduire.
(24) Cass. civ. 3, 21 décembre 2017, n° 16-25.406, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0686W9B) rejetant le pourvoi se prévalant d'une disproportion de la mesure de démolition portant partiellement sur un mur porteur. La Cour énonce que "tout propriétaire est en droit d'obtenir la démolition d'un ouvrage empiétant sur son fonds, sans que son action puisse donner lieu à faute ou à abus ; que l'auteur de l'empiétement n'est pas fondé à invoquer les dispositions de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dès lors que l'ouvrage qu'il a construit méconnaît le droit au respect des biens de la victime de l'empiétement".
(25) Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-11.776, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7681NTN) ; Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-11.776, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7681NTN).
(26) Outre celle de savoir si la caractérisation d'un dommage imminent suffit à écarter une adaptation de la mesure ordonnée, question simplement évoquée sans être développée, peut être posée celle de la nécessité d'invoquer une atteinte pour que joue le contrôle. Débordant du cadre de la présente étude, elle n'a pas été abordée. Mais pourrait être défendue l'idée d'une application d'office par le juge.
(27) Pour une analyse approfondie du régime de ce contrôle, v. H. Fulchiron, Le contrôle de proportionnalité : questions de méthode, D., 2017, 656.

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Procédure civile

[Brèves] Pas d'application de l'augmentation des délais à la requête en déféré

Réf. : Cass. civ. 2, 11 janvier 2018, n° 16-23.992, F-P+B (N° Lexbase : A2014XAT)

Lecture: 2 min

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par Aziber Seïd Algadi

Le 18 Janvier 2018

La requête en déféré est un acte de procédure qui s'inscrit dans le déroulement de la procédure d'appel et n'ouvre pas une instance autonome, de sorte que l'augmentation de délais prévue par l'article 643 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6758LEZ) pour les personnes domiciliées à l'étranger, lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, ne s'applique pas à ladite requête. Telle est la précision apportée par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 11 janvier 2018 (Cass. civ. 2, 11 janvier 2018, n° 16-23.992, F-P+B N° Lexbase : A2014XAT ; il convient de rappeler par ailleurs que l'augmentation des délais de comparution pour les personnes résidant à l'étranger ne s'applique pas devant le juge chargé de réparer les erreurs et omissions matérielles affectant un jugement ; en ce sens Cass. civ. 2, 18 octobre 2012, n° 11-24.807, F-P+B N° Lexbase : A7212IUN).

Selon les faits de l'espèce, M. S., intimé dans une procédure d'appel introduite à l'encontre d'un jugement rendu par un tribunal de grande instance, a déféré à une cour d'appel deux ordonnances rendues par un conseiller de la mise en état les 18 mars et 15 avril 2014. Un arrêt au fond a ensuite été rendu par cette cour.

M. S. a fait grief aux arrêts (CA Aix-en-Provence, 3 mai 2016, n° 13/12188 N° Lexbase : A2081RMZ ; CA Aix-en-Provence, 19 mai 2015, n° 14/13168 N° Lexbase : A1706NIZ) de le déclarer irrecevable en sa requête en déféré, en date du 30 mai 2014, formée contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 18 mars 2014 et en sa requête en déféré, formée le 27 juin 2014, contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 avril 2014, arguant notamment que s'agissant d'une requête en déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état statuant sur la recevabilité de l'appel, le délai de quinzaine à compter du prononcé de l'ordonnance du conseiller de la mise en état prévu par l'article 916 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0170IPY) bénéficierait du délai de distance, à défaut de texte spécifique l'excluant.

A tort. Enonçant le principe susvisé, la Haute juridiction retient qu'ayant relevé que les requêtes en déféré avaient été formées plus de quinze jours après la date des ordonnances rendues par le conseiller de la mise en état en violation des dispositions de l'article 916 du Code de procédure civile dans sa version alors applicable, c'est à bon droit que la cour d'appel les a déclarées irrecevables (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1265EUE).

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Magistrats

[Jurisprudence] Les magistrats du parquet, des subordonnés indépendants

Réf. : Cons. const., décision n° 2017-680 QPC, du 8 décembre 2017 (N° Lexbase : A6818W4B)

Lecture: 16 min

N2219BXH

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par Antoine Botton, Professeur à l'Université Toulouse I - Capitole, Co-directeur de l'Institut de criminologie et de droit pénal Roger Merle, IRDEIC - Centre d'excellence Jean Monnet

Le 06 Septembre 2021

Dans cette décision du 8 décembre 2017 (1), le Conseil constitutionnel avait à juger d'une question transmise par le Conseil d'Etat, visant l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature N° Lexbase : L5336AGQ) aux termes duquel : "Les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre". Précisément, les requérants -l'Union syndicale des magistrats- reprochaient à cet article de placer les magistrats du Parquet "sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la Justice" au mépris, selon eux, du principe de séparation des pouvoirs et de l'un de ses corollaires, celui d'indépendance de l'autorité judiciaire, d'une part, et des droits à un procès équitable et de la défense, d'autre part.

La question intervenait, il est vrai, dans un contexte particulier. Au niveau interne d'abord, il faut relever qu'au travers de certaines réformes et initiatives (2), le législateur actuel a justement souhaité garantir une certaine indépendance fonctionnelle au ministère public. Il n'en demeure pas moins que la réforme constitutionnelle de son statut (3) n'a pas abouti et ce, malgré deux rapports en ce sens sous l'ancienne mandature (4). Concernant le droit du Conseil de l'Europe ensuite, rappelons que la Cour européenne des droits de l'Homme, de jurisprudence constante, considère que le ministère public français n'est pas une "autorité judiciaire" au sens de la Convention, notamment du fait de son défaut d'indépendance (5). S'agissant enfin du droit de l'Union européenne, comment ne pas penser ici à la récente adoption du Règlement portant création d'un Parquet européen (6) ? La référence s'impose ici d'autant plus que le texte comprend des dispositions garantissant expressément aux membres de ce Parquet une indépendance à l'égard tant des institutions communautaires que des Etats membres (7).

Compte tenu de ce contexte, la réponse du Conseil constitutionnel à la question de l'Union syndicale des magistrats faisait nécessairement l'objet d'une attente particulière. Sans surprise toutefois (8) et au terme d'une motivation pour le moins elliptique, le juge constitutionnel déclare les dispositions attaquées conformes aux droits et principes constitutionnels invoqués par les requérants. Pour ce faire, il procède en deux temps : après avoir affirmé qu'il existe un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet (I), il juge que la subordination hiérarchique de ces derniers au Garde des Sceaux ne lui contrevient pas (II).

I - L'existence d'un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet

"Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du Parquet" (9). C'est ainsi que le Conseil conclut son rappel des "normes de référence", c'est-à-dire des dispositions constitutionnelles sur lesquelles va s'appuyer son contrôle. La formule est nette, qui tranche avec l'impression résultant justement de ce rappel.

En effet, hormis l'article 64 de la Constitution (N° Lexbase : L0893AHK) suivant lequel "Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire", aucune des dispositions constitutionnelles visées n'assure précisément une telle indépendance. A cet égard, le Conseil précise d'une part qu'"en ce qui concerne les domaines d'action du ministère public", il revient au Gouvernement, en application de l'article 20 de la Constitution (N° Lexbase : L0846AHS), de déterminer et de conduire la politique de la Nation. D'autre part, après avoir assez maladroitement rappelé que l'article 64 de la Constitution garantit une inamovibilité aux seuls magistrats du siège, le juge constitutionnel reprend les termes de son article 65 (N° Lexbase : L0894AHL) suivant lesquels les décisions relatives à la nomination et à la discipline des magistrats du Parquet ne font l'objet que d'un avis simple du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), relevant respectivement d'une compétence exclusive du Président de la République (10) et du Garde des Sceaux (11).

Si bien que le Conseil infère le principe d'indépendance du Parquet de dispositions constitutionnelles en révélant manifestement la dépendance institutionnelle. Il s'agit là d'un premier paradoxe que la décision tente toutefois de ménager par une précision concernant cette indépendance : elle "doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement et... elle n'est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège" (12). A en croire l'expression, l'indépendance constitutionnelle du Parquet serait donc à la fois relative et spécifique. Le premier de ces caractères laisse toutefois songeur : est-il possible pour une institution d'être à la fois dépendante et indépendante ? En d'autres termes, l'indépendance souffre-t-elle la relativité ? Il est vrai que pourrait être objectée à cette vision simpliste -ou de bon sens, suivant le point de vue- la possibilité théorique de distinguer entre deux formes d'indépendance, l'une institutionnelle, l'autre fonctionnelle. Dans cette perspective, la dépendance institutionnelle indéniable du Parquet n'empêcherait pas son autonomie de fonctionnement. Ainsi, semble l'entendre le Conseil constitutionnel lorsqu'il évoque, après avoir proclamé l'indépendance des magistrats du Parquet, "le libre exercice de leur action devant les juridictions" (13). Toutefois, quand bien même le suivrait-on dans cette démarche dichotomique, quel est le fondement constitutionnel de ce "libre exercice de leur action" par les magistrats du Parquet ? En effet, si la dépendance institutionnelle du Parquet ressort nettement des dispositions constitutionnelles sus-évoquées, rien de tel en revanche n'émerge s'agissant de son autonomie fonctionnelle. Aussi, en évoquant leur "libre exercice (d') action", le Conseil ne peut faire référence qu'aux articles du Code de procédure pénale et de l'ordonnance attaquée, qui assurent justement aux magistrats du Parquet une indépendance dans l'exercice de leur triple fonction de direction d'enquête (14), de déclenchement (15) et d'exercice (16) de l'action publique (17). Or, tous ces textes ont un point commun : ils n'ont aucune valeur constitutionnelle (18).

De sorte que le raisonnement mené par le Conseil nous semble devoir conduire à une conclusion inverse de la sienne. La Constitution -norme de contrôle- loin d'assurer une quelconque indépendance aux magistrats du Parquet, prévoit au contraire leur rattachement institutionnel à l'exécutif. Dès lors, ne faudrait-il pas plutôt y déceler un principe de dépendance à l'exécutif du Parquet ? La question est, convenons-en, provocatrice, qui peut faire l'objet de deux objections principales.

En premier lieu, si l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), siège du principe de séparation des pouvoirs, ne fait manifestement pas obstacle à l'existence d'un lien hiérarchique entre le Parquet et le pouvoir exécutif (19), ne prohibe-t-il pas néanmoins toute reconnaissance constitutionnelle de cette dépendance ? Il est a priori permis de le penser. Cela étant, l'affirmer nécessiterait de passer sous silence l'ambiguïté de l'adjectif "judiciaire". S'il s'attache à un organe, le Parquet, membre du corps "judiciaire", ne peut être alors envisagé, d'un point de vue constitutionnel, comme dépendant d'un autre pouvoir. Si, en revanche, l'adjectif est conçu -il est vrai, abusivement- comme un synonyme de "juridictionnel" et s'attache en conséquence à une fonction, il est alors notable que le Parquet n'en exerce aucune, du moins officiellement. Comme l'a lui-même reconnu le Conseil à propos du projet d'"injonction pénale", ancêtre de la composition, le Parquet n'est pas une autorité de jugement mais une autorité chargée de l'action publique (20). Par conséquent, si l'on confère un sens identique aux épithètes "judiciaire" et "juridictionnel" lorsqu'ils s'attachent à un "pouvoir" à séparer, il serait envisageable, pour le Conseil, de consacrer un principe de dépendance des magistrats du Parquet sans pour autant bafouer l'article 16 de la Déclaration de 1789. En effet, si cet article ne vise qu'à séparer le pouvoir juridictionnel des autres pouvoirs, il ne saurait alors concerner l'activité, par hypothèse (21), non-juridictionnelle du Parquet.

Dès lors, quelle définition retenir de l'adjectif "judiciaire" attaché à un pouvoir devant être séparé ? Si l'on s'en tient à la jurisprudence du Conseil, celle consistant à l'envisager tel un "pouvoir" de jugement. En effet, suivant une formule du Conseil, l'article 16 de la Déclaration "implique le respect du caractère spécifique des fonctions juridictionnelles, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement" (22). Ainsi entendu, le principe constitutionnel des séparations des pouvoirs n'obvie alors en rien à la consécration de celui de dépendance des magistrats du Parquet, sauf, il est vrai, à leur reconnaître officiellement une fonction juridictionnelle qu'ils exerceraient déjà, selon certains auteurs (23), à titre officieux.

Pareille consécration ne se heurterait-elle pas, en second lieu, à la jurisprudence déjà rappelée de la Cour européenne des droits de l'Homme concernant le ministère public français (24) ? Nous ne le pensons pas. Bien au contraire, la reconnaissance constitutionnelle de la dépendance du Parquet aurait pour mérite de ne plus jurer avec le constat dressé par la Cour. Il convient surtout de rappeler ici que la position de la Cour ne remet nullement en cause le statut du ministère public français ; elle ne concerne que les prérogatives qui lui sont reconnues en matière d'arrestation et de détention avant jugement. En effet, elle veille exclusivement à ce que, conformément à l'article 5 § 3 de la Convention (N° Lexbase : L4786AQC), toute personne arrêtée ou détenue soit "aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires". La Cour est donc tout à fait indifférente à l'institution, en elle-même, d'un Parquet dépendant et partial tant que celui-ci n'exerce pas les prérogatives d'une "autorité judiciaire" telle qu'elle l'entend.

Au terme de ces développements, l'affirmation d'un principe d'indépendance des magistrats du Parquet ne semble pas sans conteste ; la consécration d'un principe inverse, doté quant à lui de véritables fondements constitutionnels, disposant de l'avantage indéniable de priver d'intérêt la question de constitutionnalité ici posée au Conseil. Ce dernier a toutefois choisi d'ouvrir la "porte étroite" de son contrôle, pour mieux, il est vrai, la refermer brusquement au nez des requérants.

II - La conformité de la subordination hiérarchique des magistrats du Parquet

"Les dispositions contestées placent les magistrats du Parquet sous l'autorité du Garde des Sceaux, ministre de la Justice". Par ce considérant lapidaire débute l'examen de constitutionnalité de l'article 5 de l'ordonnance de 1958, celui-ci semblant ainsi condamné sans avoir même été jugé. C'était sans compter le souci du Conseil de ménager quelque effet de surprise à ses lecteurs. Au terme d'un suspens relativement bref, compte tenu de la sécheresse de la motivation, le Conseil déclare effectivement cet article conforme à la Constitution, usant ainsi d'une recette bien connue des auteurs de romans policiers : celui que tout désigne comme coupable à la première page est, contre toute attente, reconnu innocent à la dernière. L'entre-deux est souvent de peu d'intérêt pour le lecteur de ces romans. Rien de tel cependant en l'occurrence, la motivation de la décision, bien que laconique, étant remarquable à deux égards : quant à la méthode de contrôle qu'elle révèle, d'une part, et quant à sa teneur, d'autre part.

Dans la décision commentée, le contrôle de constitutionnalité des dispositions attaquées tient principalement en celui de leur environnement juridique. En effet, au lieu de procéder à l'examen de l'article 5 de l'ordonnance de 1958 en lui-même, le Conseil opte pour un rappel de l'ensemble des normes infra-constitutionnelles relatives à l'indépendance des magistrats du Parquet. Précisément, il relève, dans un premier temps (25), toutes les dispositions légales marquant la dépendance de ces derniers au pouvoir exécutif : les règles de nomination et de discipline contenues dans l'ordonnance de 1958 (26) mais aussi celles prévues par le Code de procédure pénale en matière d'instructions générales de politique pénale émises par le garde des Sceaux (27).

Puis, dans un second temps, le Conseil mentionne les textes assurant, au contraire, une indépendance fonctionnelle aux magistrats du Parquet car prohibant toute instruction du Garde des Sceaux dans les affaires individuelles (28), garantissant une liberté de parole aux membres du ministère public (29), soumettant leur action au principe d'impartialité (30) ou encore leur permettant de décider librement de l'opportunité des poursuites (31).

Une fois rappelé leur contexte juridique, le Conseil juge alors que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe d'indépendance des magistrats du Parquet précédemment dégagé et ne contreviennent, au surplus, à aucun autre des droits et libertés garantis par la Constitution.

Sans évoquer pour l'heure la teneur et la valeur de l'argumentation, il convient ici de s'interroger sur la méthode choisie par le Conseil. Est-il effectivement concevable qu'un contrôle de constitutionnalité prenne la forme d'un inventaire, serait-il complet, de l'environnement juridique des dispositions contestées ? Ne devrait-il pas plutôt consister en une confrontation entre la norme de contrôle -le principe d'indépendance des magistrats du Parquet- et la norme contrôlée -l'article 5 de l'ordonnance de 1958- ? La démarche a certainement paru trop fruste au Conseil ; démarche qui aurait, au demeurant, fatalement conduit à la censure du texte. Il n'est pas ici question de revenir sur l'opportunité de tenir compte du contexte de la norme contrôlée ; celui-ci existe et en cela, ne peut être ignoré du Conseil. Mais tenir, comme dans la décision commentée, l'accessoire -le contexte- pour le principal- le texte- ne nous paraît pas davantage acceptable. Encore une fois, à supposer qu'il existe un principe constitutionnel d'indépendance des magistrats du Parquet (32), la norme infra-constitutionnelle organisant leur dépendance devrait, en toute logique et quel que soit son contexte, être censurée. En d'autres termes, si le contexte "éclaire" (33) le texte, il ne saurait l'éclipser, lui et son éventuelle inconstitutionnalité.

Il convient par ailleurs de noter que la méthode usitée est révélatrice d'un phénomène déjà identifié de pénalisation du contrôle de constitutionnalité ou, si l'on préfère, d'émergence d'un droit constitutionnel pénal (34). Si, comme l'indique prudemment le commentaire officiel de sa décision (35), le Conseil n'a pas ici "constitutionnalisé" les dispositions du Code de procédure pénale, il n'en a pas moins tiré l'essence de son contrôle tant celui-ci s'est axé, répétons-le, sur le contexte normatif de la loi attaquée.

- Au-delà de la méthode qui y préside, la motivation marque d'emblée par une brièveté qui tranche avec le souci récent d'une autre Haute juridiction d'enrichir précisément ses explications (36). Surtout, l'argumentation brève de cette décision de conformité tient principalement dans la mise en exergue, par le Conseil, de dispositions législatives "éclairant" le texte attaqué d'une lumière constitutionnellement flatteuse puisque révélant l'autonomie fonctionnelle du Parquet. Prises une à une ou dans leur ensemble, ces "garanties" peinent cependant à justifier le sens de la décision.

En premier lieu, le Conseil rappelle que le ministre de la Justice ne peut plus, depuis une loi du 25 juillet 2013 (37) et suivant l'article 30 du Code de procédure pénale, adresser aux magistrats du Parquet des instructions dans les affaires individuelles. Si l'évolution est notable car symbolique, comment toutefois ne pas la relativiser au vu du maintien des instructions générales de politique pénale (38) ? En effet, si dans les affaires les plus sensibles, l'autonomie fonctionnelle du Parquet semble ainsi garantie, il faut néanmoins remarquer que dans l'essentiel de leur activité de poursuites, les magistrats du Parquet doivent, en vertu des articles 39-1 (N° Lexbase : L4929IXT) et 39-2 (N° Lexbase : L4923IXM) du Code de procédure pénale, suivre les instructions du pouvoir exécutif. Ainsi ramenée au petit nombre d'affaires -seraient-elles importantes- dans lesquelles elle peut s'exercer, l'indépendance fonctionnelle du Parquet paraît alors telle qu'elle est : résiduelle.

En deuxième lieu, la décision fait mention à deux reprises de la liberté de parole des magistrats du Parquet, garantie à la fois par l'article 33 du Code de procédure pénale et l'article 5 in fine de l'ordonnance du 22 décembre 1958. S'il est vrai que la "plume est serve mais la parole est libre", il convient toutefois de noter que, dans notre procédure pénale moderne, la première s'exprime davantage que la seconde. Pour s'en convaincre, il suffit de relever qu'en matière correctionnelle, les procédures avec audience contradictoire, où la libre parole du Parquet peut précisément s'exercer, constituent un mode minoritaire de réponse pénale. D'une part, pour l'année 2016, environ 42, 5 % des affaires poursuivables ont fait l'objet d'une alternative aux poursuites (39). D'autre part, toujours en 2016, 49 % des affaires poursuivies devant le tribunal correctionnel ont donné lieu à des procédures sans audience contradictoire (40). Si à cela on ajoute que l'activité du ministère public ne se résume pas à l'exercice de l'action publique devant une juridiction, il appert alors assez nettement que cette liberté, de parole en l'occurrence, est là encore, sinon anecdotique, du moins limitée.

En troisième lieu, le Conseil s'appuie sur les articles 31 (N° Lexbase : L4927IXR) et 39-3 du Code de procédure pénale qui, introduits par deux lois récentes (41), exigent du ministère public qu'il fasse preuve d'impartialité dans l'exercice de l'action publique, pour le premier, et dans la direction d'enquête, pour le second. S'il s'agit là encore d'avancées remarquables, en quoi sont-elles cependant opérantes dans un débat relatif à l'indépendance du Parquet ? Si les notions ont un sens, l'impartialité ne garantit l'indépendance d'une autorité qu'à l'égard des parties, ce qui permet traditionnellement de la distinguer de l'indépendance stricto sensu s'exerçant, quant à elle, vis-à-vis des autres pouvoirs (42). Or, la question posée concernant justement cette seule indépendance du Parquet à l'égard du pouvoir exécutif, on perçoit dès lors mal la pertinence du rappel de textes assurant son autonomie à l'endroit des parties.

En quatrième et dernier lieu, le Conseil mentionne, à la fin de son inventaire justificatif, l'article 40-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7457LBS) en vertu duquel, selon lui, "le procureur de la République décide librement de l'opportunité d'engager des poursuites". Envisager ce texte tel un facteur de liberté du procureur dans le choix des poursuites relève toutefois du contre-sens, à moins qu'il ne s'agisse d'une réserve implicite d'interprétation. Bien au contraire, cette disposition, issue de la loi "Perben II" du 9 mars 2004 (43), visait précisément à encadrer le pouvoir d'appréciation du Parquet quant à l'opportunité des poursuites et ce, afin d'augmenter le taux de réponse pénale (44). A telle enseigne que cet article 40-1 hiérarchise, par ordre de préférence, les options offertes au ministère public lorsqu'il exerce son pouvoir d'opportunité.

Somme toute, le contexte législatif de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 n'édulcore en rien la subordination hiérarchique du Parquet qu'il édicte. Au contraire, l'incapacité de ce contexte à démontrer l'autonomie fonctionnelle des magistrats du Parquet accentue, par contraste, la netteté d'un texte prévoyant expressément leur subordination hiérarchique au garde des Sceaux.

En définitive, la déclaration de conformité de l'article 5 de l'ordonnance de 1958 au principe d'indépendance des magistrats du Parquet ne convainc pas davantage que la reconnaissance constitutionnelle dudit principe. Au risque de se répéter, il aurait certainement été plus simple de constater l'existence d'un principe constitutionnel de dépendance statutaire du Parquet et de déclarer, dans la foulée, les dispositions attaquées conformes à la Constitution. Le Parquet est institutionnellement dépendant en France. C'est là une situation juridique que le Conseil constitutionnel lui-même ne saurait remettre en cause, la question ressortissant exclusivement au pouvoir constituant.


(1) Décision commentée.
(2) V., à cet égard, loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du Garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l'action publique (N° Lexbase : L9267IXI). Notamment, cette loi met un terme aux instructions individuelles du ministre de la Justice (C. pr. pén., art. 30 N° Lexbase : L4926IXQ).
(3) Projet de loi constitutionnelle de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, adopté en Conseil des ministres le 13 mars 2013.
(4) Refonder le ministère public, rapport de la commission de modernisation de l'action publique présidée par J.-L. Nadal, 2013 ; Rapport sur la procédure pénale, rapport de la commission présidée par J. Beaume, 2014.
(5) CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 (N° Lexbase : A2353EUP) ; CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06 (N° Lexbase : A7244GKI).
(6) Règlement (UE) n° 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (N° Lexbase : L2117LHU).
(7) Règlement (UE) n° 2017/1939, art. 6. Sur ce texte, v., not., G. Taupiac-Nouvel et A. Botton, Les aspects procéduraux du Règlement (UE) 2017/1939 mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, JCP éd. G, à paraître en janvier 2018.
(8) Compte tenu de sa jurisprudence antérieure. V., notamment, en dernier lieu, Cons. const., décision n° 2016-555 QPC, du 22 juillet 2016 (N° Lexbase : A7431RXI) (subordination de la mise en mouvement de l'action publique en matière d'infractions fiscales à une plainte de l'administration). Dans le considérant 10 de la décision, le Conseil précisait déjà qu'"il découle de l'indépendance de l'autorité judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du Parquet, un principe selon lequel le ministère public exerce librement [...] l'action publique devant les juridictions pénales".
(9) Décision commentée, cons. 9.
(10) Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre, art. 28.
(11) Ibid., article 66.
(12) Cons. 9, in fine.
(13) Ibid.
(14) C. proc. pén., art. 39-3 (N° Lexbase : L4827K8B).
(15) C. proc. pén., art. 40-1 (N° Lexbase : L7457LBS).
(16) C. proc. pén., art. 33 (N° Lexbase : L7056A44) et ordonnance précitée du 22 décembre 1958, art. 5.
(17) S'agissant des affaires individuelles, l'indépendance fonctionnelle est assurée, de manière générale, par l'article 30 du Code de procédure pénale suivant lequel le ministre de la Justice ne peut adresser aucune instruction aux magistrats du Parquet.
(18) A cet égard, le commentaire officiel de la décision, dans une sorte d'obiter dictum révélateur, prend le soin -utile ?- de préciser que "le Conseil constitutionnel n'a pas constitutionnalisé' les dispositions législatives citées" (commentaire officiel, site internet du Conseil constitutionnel, p. 22).
(19) L'article 65 de la Constitution en témoigne.
(20) Décision n° 95-360 DC du 2 février 1995 N° Lexbase : A8324ACB) Loi relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, cons. 6.
(21) Du fait du principe de séparation des fonctions, découlant lui aussi de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
(22) V., en dernier lieu, loi relative à la transparence de la vie publique, cons. 46. Sur cette formule, v., commentaire officiel de la décision, préc., p. 15.
(23) M.-L. Rassat, Le ministère public, entre son passé et son avenir, Thèse Paris, LGDJ, 1967, p. 39, n° 50. L'auteur écrit : "Pour décider de l'opportunité de la répression, le ministère public doit connaître de l'affaire au fond', exactement comme le ferait le juge de jugement et prendre une décision qui s'apparente à celles que rend ce dernier et l'on peut dire, alors, que le ministère public s'immisce dans la fonction du juge de jugement' ".
(24) CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 ; CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06.
(25) Cons. 11.
(26) Art. 28 (nomination des magistrats du Parquet par décret du Président de la République) et art. 66 (décision de sanction disciplinaire prise par le Garde des Sceaux).
(27) C. proc. pén., art. 30 al. 2 (émission des instructions), C. proc. pén., 39-1 (N° Lexbase : L4929IXT) et C. proc. pén., 39-2 (N° Lexbase : L4923IXM) (mise en oeuvre des instructions).
(28) C. proc. pén., art. 30 (N° Lexbase : L4926IXQ).
(29) C. proc. pén., art. 33 (N° Lexbase : L7056A44) et 5 in fine de l'ordonnance précitée du 22 décembre 1958.
(30) C. proc. pén., art. 31 (impartialité dans l'exercice de l'action publique) et 39-3 (impartialité dans la direction d'enquête).
(31) C. proc. pén., art. 40-1.
(32) Ce dont nous doutons fortement (cf. supra I).
(33) Expression utilisée dans le commentaire officiel de la décision (préc., p. 22).
(34) V., sur ce phénomène, B. de Lamy et A. Botton, La QPC, révélateur des limites du droit constitutionnel ? Lectures contrariées et contradictoires (1), Recueil Dalloz, 2012, p. 2030 et la réplique de X. Magnon, p. 2032.
(35) Commentaire préc., p.22.
(36) Rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation, avril 2017, p. 129 et s. (accessible en ligne sur le site de la Cour de cassation).
(37) Loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 préc..
(38) Maintien que le Conseil relève lui-même au considérant 11 de sa décision.
(39) Chiffres-clés de la justice 2017, ministère de la Justice, p. 19. Précisément, ces 42,5 % se décomposent en 37,5 % d'alternatives au classement sans suite et de 5 % de composition pénale.
(40) Idem, p. 19. Précisément, sur 496 872 affaires poursuivies devant le tribunal correctionnel, le ministère de la Justice dénombre 158 870 (soit environ 32 %) procédures d'ordonnance pénale et 87 733 procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (soit environ 17 %).
(41) Respectivement les lois du 25 juillet 2013 (préc.) et du 3 juin 2016 (loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale).
(42) V., à cet égard, la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l'Homme qui distingue nettement les deux exigences d'indépendance et d'impartialité. V., supra, note 5.
(43) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8).
(44) V., à cet égard, B. de Lamy, Commentaire de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, D., 2004, p. 1910. M. le Professeur Bertrand de Lamy écrit ainsi que : "la loi, si elle maintient le principe de l'opportunité des poursuites, l'encadre plus précisément et entend réduire la part des classements sans suite".

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Procédures fiscales

[Brèves] Simplification des évolutions de la convention passée entre la direction générale des finances publiques et les partenaires EDI

Réf. : Décret n° 2018-12 du 8 janvier 2018, relatif à la convention passée entre l'administration et les partenaires pour les échanges de données informatisées (EDI) (N° Lexbase : L9636LHD)

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N2244BXE

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par Marie-Claire Sgarra

Le 18 Janvier 2018

Le décret n° 2018-12 du 8 janvier 2018, relatif à la convention passée entre l'administration et les partenaires pour les échanges de données informatisées (N° Lexbase : L9636LHD), publié au Journal officiel du 10 janvier 2018 simplifie les évolutions de la convention passée entre la direction générale des finances publiques et les partenaires EDI.

La version actuelle de l'article 344-I quater de l'annexe III au Code général des impôts (N° Lexbase : L7078ISX) prévoit que la convention passée entre la direction générale des finances publiques et les partenaires EDI fait l'objet d'un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Cette procédure rend plus complexe les modifications de cette convention. Afin de simplifier cette procédure, la mention de l'avis de la CNIL dans l'article susvisé est supprimée, avec l'accord de cette dernière. De même, la mention "justifient être à jour de leurs obligations fiscales au sens de l'article 43 du Code des marchés publics" est supprimée de l'article.

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Propriété

[Brèves] Indivision : acquisition de la propriété selon les proportions fixées par le titre de propriété, et non selon les modalités de financement

Réf. : Cass. civ. 1, 10 janvier 2018, n° 16-25.190, F-P+B (N° Lexbase : A2003XAG)

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 18 Janvier 2018

Ceux qui achètent un bien en indivision en acquièrent la propriété dans les proportions fixées par le titre de propriété, quelles que soient les modalités du financement. Tel est le principe rappelé par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l'article 815 du Code civil (N° Lexbase : L9929HN3), ensemble l'article 1134 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L1234ABC ; cf. désormais, C. civ., art. 1103 N° Lexbase : L0822KZH) (Cass. civ. 1, 10 janvier 2018, n° 16-25.190, F-P+B N° Lexbase : A2003XAG).

En l'espèce, par acte du 15 octobre 1998, M. M. et Mme E. avaient acquis indivisément des parcelles, pour moitié chacun. Ils avaient créé un lotissement sur l'une des parcelles et fait édifier une maison d'habitation sur l'autre parcelle, dont le financement a été en partie assuré avec le produit de la revente des lots. Mme E. avait assigné M. M. en liquidation et partage de l'indivision. Pour dire que les droits de M. M. sur la maison indivise s'élèveraient à 46,24 % de sa valeur et ceux de Mme E. à 31,22 %, la cour d'appel avait retenu que chacun des coïndivisaires avait financé à titre personnel, dans cette proportion, le coût de la construction de la maison.

Le raisonnement est censuré par la Cour suprême, qui énonce que ceux qui achètent un bien en indivision en acquièrent la propriété, quelles que soient les modalités du financement ; aussi, selon la Cour suprême, en statuant comme elle l'avait, alors que, ayant acheté le bien en indivision chacun pour moitié, M. M. et Mme E. en avaient acquis la propriété dans la même proportion, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

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