La lettre juridique n°723 du 14 décembre 2017

La lettre juridique - Édition n°723

Arbitrage

[Doctrine] L'exequatur des sentences arbitrales étrangères au sein de l'espace OHADA : l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage suscite toujours bien des questions (première partie)

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N1699BX9

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par Alexander Brabant, Avocat associé, DLA Piper, Maxime Desplats, Counsel, DLA Piper et Ophélie Divoy, Avocat, DLA Piper

Le 14 Décembre 2017

L'entrée en vigueur de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage (N° Lexbase : L1333LGH) a joué un rôle crucial dans l'harmonisation et la modernisation du droit des affaires dans les Etats membres de l'espace OHADA. Cet Acte uniforme a remplacé les lois nationales sur l'arbitrage alors en vigueur dans les Etats membres de l'OHADA et dont le champ d'application était souvent limité à l'arbitrage interne. Pour certains de ces Etats membres, l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage a même permis de combler un vide lorsqu'il n'existait aucune loi sur l'arbitrage. L'objectif principal de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage est de développer un cadre juridique favorable à la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales, non seulement pour les sentences rendues au sein des Etats membres de l'OHADA, mais aussi pour celles rendues en dehors de l'espace OHADA. Ce développement vise à attirer toujours plus d'investisseurs au sein de l'espace OHADA. En effet, quelle que soit sa qualité, une sentence arbitrale perd de sa valeur si elle n'est pas susceptible d'exequatur et partant, d'exécution. Cependant, l'exécution dans les Etats membres de l'OHADA de sentences rendues en dehors de l'espace OHADA continue de se heurter à de nombreux obstacles. Un an après avoir publié un article à ce sujet et à l'aune de la très récente réforme de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage (Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage du 23 novembre 2017 N° Lexbase : L4677LHP), les auteurs ont souhaité dresser un état des lieux. Ce dernier leur permet de constater que la matière évolue rapidement, certaines de leurs suggestions semblant avoir été retenues par la CCJA. Quant à la réforme précitée, force est de constater qu'elle ne permet pas de lever les ambiguïtés relevées et que de nouveaux amendements seraient les bienvenus. Lorsqu'il s'agit de conférer l'exequatur à une sentence rendue en dehors de l'espace OHADA, les dispositions de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage restent en effet source de débats importants. Que ce soit pour régir la reconnaissance et l'exécution de ces sentences dites étrangères (I) ou pour régir les recours contre les ordonnances d'exequatur (II) (sur la seconde partie N° Lexbase : N1701BXB), de nombreuses interrogations demeurent alors que peu de réponses tranchées ont été apportées. I - Application de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage pour régir l'exequatur des sentences arbitrales

L'entrée en vigueur de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage (l'"AUA") (1) a constitué une étape cruciale dans l'harmonisation et la modernisation du droit des affaires dans les Etats membres de l'espace OHADA (les "Etats OHADA") (2). Elle répond au désir de ses membres de "promouvoir l'arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels" (3).

L'AUA a pour objectif de "[tenir] lieu de loi relative à l'arbitrage dans les Etat-parties" (4). Conçu comme un instrument exhaustif, l'AUA régit les étapes essentielles de la procédure arbitrale, telles que la rédaction de la clause arbitrale, les recours qui peuvent être intentés à l'encontre des sentences arbitrales ou encore les conditions de leur reconnaissance et de leur exécution. Seules certaines questions spécifiques, exclues du champ de l'AUA, demeurent régies par les lois nationales des Etats OHADA (5).

Concernant la reconnaissance et l'exequatur des sentences arbitrales rendues en dehors de l'espace OHADA et non régies par l'AUA (les "Sentences Etrangères") (6), l'article 34 de l'AUA (7) dispose que "[l]es sentences arbitrales rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues par le présent Acte uniforme, sont reconnues dans les Etats-parties, dans les conditions prévues par les conventions internationales éventuellement applicables, et à défaut, dans les mêmes conditions que celles prévues aux dispositions du présent Acte uniforme" (8).

Interprété seul ou à la lumière d'autres dispositions de l'AUA, l'article 34 soulève plusieurs questions :

  • Au-delà de la question de la reconnaissance, l'article 34 s'applique-t-il également à l'exequatur ? (A)
  • L'article 34 est-il directement applicable aux sentences rendues dans les pays situés en dehors de l'espace OHADA ? (B)
  • Lorsqu'un Etat-partie à l'OHADA est également partie à la Convention de New York sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958 (la "Convention de New York") (N° Lexbase : L6808BHM), le principe de subsidiarité instauré par l'article 34 lui interdit-il l'application des conditions posées par l'article 31 de l'AUA pour conférer l'exequatur à des sentences étrangères ? (C)
  • Les avantages offerts par l'application de l'AUA (en vertu de son article 34]) pour régir la reconnaissance et l'exécution des sentences étrangères sont-ils contrebalancés par le renvoi qu'il opère aux lois nationales des différents Etats OHADA sur certains aspects procéduraux ? (D)

A - Applicabilité de l'AUA à l'exequatur des Sentences Etrangères dans les Etats OHADA

L'article 31 traite aussi bien de la reconnaissance que de l'exequatur des sentences. Ainsi, édicte-t-il les conditions de reconnaissance et d'exequatur d'une sentence arbitrale :

"La reconnaissance et l'exequatur de la sentence arbitrale supposent que la partie qui s'en prévaut établisse l'existence de la sentence arbitrale.

L'existence de la sentence arbitrale est établie par la production de l'original accompagné de la convention d'arbitrage ou des copies de ces documents réunissant les conditions requises pour leur authenticité.

Si ces pièces ne sont pas rédigées en langue française, la partie devra en produire une traduction certifiée par un traducteur inscrit sur la liste des experts établie par les juridictions compétentes.

La reconnaissance et l'exequatur sont refusés si la sentence est manifestement contraire à une règle d'ordre public international des Etats-parties" (9).

En revanche, l'article 34 traitant spécifiquement de la question de la reconnaissance des Sentences Etrangères reste silencieux en ce qui concerne leur exequatur. Cela a suscité une interrogation car ces deux articles sont tous deux insérés dans le chapitre 6 de l'AUA intitulé "Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales" (10).

Pourquoi l'article 34 évoque-t-il alors uniquement la reconnaissance et non l'exequatur des Sentences Etrangères ? L'AUA a-t-il été rédigé de façon à écarter la question de l'exequatur du champ d'application de l'article 34 ? Cela impliquerait alors que l'exequatur des "[s]entences arbitrales sur la base des règles différentes que celles de l'Acte uniforme" soit régi par les lois nationales en vigueur dans les Etats OHADA et non par l'AUA. Cela ne serait cependant pas cohérent avec le fait que l'article 34 s'insère dans un chapitre intitulé "Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales" lequel comprend l'article 31 qui, quant à lui, mentionne expressément l'"[...] exequatur de la sentence arbitrale".

La doctrine précisait d'ailleurs que l'absence de référence à l'exequatur des sentences arbitrales dans l'article 34 devait donc être considérée comme un oubli et non comme une omission délibérée (11).

Les auteurs du présent article partageaient également cette opinion (12) et la jurisprudence récente est venue, depuis, abonder en ce sens.

Par un arrêt du 26 janvier 2017, la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA (la "CCJA") a jugé que : "Attendu qu'il y a lieu de relever d'office qu'aux termes de l'article 34 [de l'AUA] 'les sentences arbitrales rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues par le présent Acte uniforme, sont reconnues dans les Etats-parties, dans les conditions prévues par les conventions internationales éventuellement applicables...'

Attendu donc qu'il appert que l'exequatur des sentences arbitrales rendues dans les Etats tiers à l'OHADA s'opère selon les conventions internationales si l'Etat où la sentence a été rendue et l'Etat partie où la sentence est invoquée sont liés en ce domaine" (13).

Même si, aujourd'hui, jurisprudence et doctrine s'accordent pour dire qu'il ne s'agit que d'un oubli, ce dernier n'en reste pas moins manifeste et fait naître des incertitudes dans l'esprit tant des juges que des justiciables quant au champ d'application de l'article 34.

Ces incertitudes pourraient d'ailleurs être exploitées, en particulier devant un juge d'un Etat OHADA réticent à retenir une interprétation téléologique de l'article 34. Une telle exploitation serait susceptible d'emporter la conviction d'un juge dont la culture juridique favorise les interprétations littérales. Aussi et surtout, il pourrait résulter de cette nécessaire interprétation de l'article 34 (téléologique ou littérale) des décisions incohérentes au sein même de l'espace OHADA.

Ceci est d'autant plus à craindre que la réforme de l'AUA du 23 novembre 2017 (la "Réforme") n'a pas pris le soin d'amender l'article 34. D'aucuns pourraient ainsi s'appuyer sur la Réforme pour dénoncer qu'il ne peut s'agir d'une simple erreur matérielle et que la question de l'exequatur des "sentences arbitrales rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues par le présent Acte uniforme" n'est pas soumise à l'AUA.

Une confirmation de la jurisprudence précitée de la CCJA apparaît donc nécessaire, à moins que de nouveaux amendements de l'AUA n'interviennent pour trancher définitivement ce point.

B - Applicabilité de l'AUA aux sentences arbitrales rendues en dehors de l'espace OHADA

Outre la question de savoir si l'article 34 inclut ou non l'exequatur des sentences arbitrales, il y a également lieu de s'interroger sur le fait de savoir s'il s'applique ou non aux Sentences Etrangères.

En effet, l'article 34 se réfère aux "[s]entences rendues sur la base de règles différentes de celles de l'Acte uniforme". Il ne distingue pas entre les sentences rendues dans un Etat OHADA et les sentences rendues dans d'autres Etats. Dès lors, une nouvelle question se pose : l'article 34 vise-t-il les sentences rendues dans un Etat OHADA mais sur le fondement de règles différentes de l'AUA ou les Sentences Etrangères ou les deux ?

A cet égard, la référence de l'article 34 à des "règles différentes" de l'AUA semble se rapporter, bien qu'indirectement, à des sentences rendues en dehors de l'espace OHADA. En effet, les sentences arbitrales rendues sont soumises à la loi d'arbitrage du siège. Lorsque le siège de l'arbitrage est en dehors de l'espace OHADA, les procédures arbitrales qui ont conduit à leur prononcé n'ont normalement pas vocation à être régies par l'AUA. Les Sentences Etrangères sont donc bien censées avoir été "rendues sur la base de règles différentes de celles de l'Acte uniforme" et seraient ainsi visées par l'article 34. Partant, des pans entiers de l'AUA (et non uniquement son article 34) pourraient leur être applicables si aucune autre convention internationale ne venait régir les questions traitées par l'AUA.

Or, l'article premier peut sembler aller à l'encontre de cette interprétation de l'article 34. Il dispose que "[l]'Acte uniforme a vocation à s'appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du tribunal arbitral se trouve dans l'un des Etats-parties". Ainsi, certains plaideurs ont soutenu que l'article 1 empêchait d'appliquer les règles posées par l'AUA à une Sentence Etrangère. En d'autres termes, l'exequatur des Sentences Etrangères serait toujours régi par le droit national antérieur des Etats membres plutôt que par l'AUA.

Ce raisonnement a été adopté par la cour d'appel d'Abidjan dans un arrêt du 19 novembre 2002. Celle-ci a confirmé la validité de l'ordonnance d'exequatur d'une sentence rendue en Suisse en se fondant, non pas sur l'AUA, mais sur le droit ivoirien. Le raisonnement de la cour d'appel était le suivant : "Certes, l'article 35 de l'Acte uniforme relatif au droit d'arbitrage indique que 'le présent Acte uniforme tient lieu de loi relative à l'arbitrage dans les Etats-Parties' ;
Cependant l'article 1er
[...] de l'Acte uniforme relatif au droit d'arbitrage précise clairement que l'Acte uniforme a vocation à s'appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du Tribunal arbitral se trouve dans un des Etats parties au Traité OHADA ;

A contrario, lorsque le siège du Tribunal se trouve hors des Etats parties les dispositions de l'Acte uniforme ne sont pas applicables, et il faut rechercher le droit applicable dans les dispositions du droit national relatif à l'arbitrage qui n'a pu être complètement abrogé notamment relativement aux modalités d'obtention de l'exequatur des sentences arbitrales lorsque celles-ci sont rendues par un Tribunal arbitral situé hors des Etats parties ;

En l'espèce, le siège du Tribunal arbitral se trouvant en Suisse hors des Etats Parties, seule la loi ivoirienne n° 93-671 du 9 Août 1993 relative à l'arbitrage est applicable en ce qui concerne la procédure d'obtention de l'exequatur" (14).

Cette décision semble exclure, sur la base des dispositions de l'article 1, la reconnaissance et l'exequatur des Sentences Etrangères du champ d'application de l'article 34.

Or, le raisonnement adopté par la cour d'appel d'Abidjan est pour le moins critiquable. Celui-ci méconnaît les termes de l'article 34 qui, en se référant à la possible application de l'AUA à la reconnaissance (et, vraisemblablement, également à l'exequatur]) des "sentences rendues sur la base de règles différentes de celles prévues par le présent Acte uniforme", ne fait aucune distinction entre les sentences rendues au sein ou en dehors de l'espace OHADA. Pourtant, si l'AUA avait pour but de restreindre le champ d'application de l'article 34 aux seules sentences rendues dans les Etats OHADA, il aurait vraisemblablement fait référence aux "sentences rendues dans un Etat Membre sur la base de règles différentes [...]" (15) ; or, telle n'est pas la rédaction de l'article 34.

Au contraire, les rédacteurs de l'AUA étaient conscients du "caractère internationaliste déjà très poussé de la Loi Uniforme" ; en effet, ils ont signalé que "tracer une nouvelle frontière entre cet 'Espace OHADA' et les autres pays du monde [...] a dès lors paru inutile et dangereux" (16).

La grande majorité de la doctrine reconnait ce "caractère internationaliste de l'Acte uniforme" (17), et considère la décision de la cour d'appel d'Abidjan comme faisant "une mauvaise application" de l'article 34. En particulier, le Code vert OHADA indique que :

"[l]es sentences rendues dans des Etats tiers à l'OHADA sur le fondement de règles différentes de celles de l'Acte uniforme seront également reconnues et exequaturées sur la base des dispositions de l'article 31 si l'Etat de l'OHADA [où la reconnaissance et l'exécution sont demandées] n'est pas partie à une convention internationale sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales avec l'Etat étranger où la sentence a été rendue. Ceci résulte des dispositions de l'article 34 de l'Acte uniforme" (19).

"[...][s]i le tribunal arbitral est situé hors d'un Etat de l'OHADA, il faut appliquer, soit les conventions internationales pertinentes [...], soit les dispositions de l'Acte uniforme de l'OHADA sur l'arbitrage. La survivance des anciennes lois sur l'arbitrage ne porte donc pas sur l'ensemble des 'modalités d'obtention de l'exequatur' mais uniquement sur le juge compétent et la procédure d'exequatur. Les conditions de fond de l'exequatur, quant à elles, relèvent soit des conventions internationales pertinentes, soit des dispositions de l'article 31 de l'Acte uniforme sur l'arbitrage" (20).

Par ailleurs, cette décision de la cour d'appel d'Abidjan est également surprenante en ce qu'elle va à l'encontre de l'objectif principal de l'OHADA qui est de créer un cadre juridique unifié, lisible et fiable destiné à rassurer les investisseurs, notamment étrangers (21). Soumettre l'exécution des Sentences Etrangères dans l'espace OHADA aux conditions différentes de 17 Etats membres plutôt qu'à celles uniformisées de l'AUA apparaît anachronique et incompatible avec le but unificateur de l'AUA. Pour les mêmes motifs, cette décision semble également porter atteinte à la promotion de l'arbitrage tant souhaitée par les Etats parties à l'OHADA (22). Soumettre l'exequatur d'une Sentence Etrangère, selon l'Etat concerné, à des conditions différentes et parfois plus contraignantes qu'avec l'AUA, ne participe effectivement pas à la promotion de l'arbitrage.

Pour l'ensemble de ces raisons, les auteurs de cet article avaient préféré relativiser la portée de cette décision dans la mesure où, entre autres, elle n'émanait pas de la CCJA et demeurait isolée (23). En l'absence de décisions sur ce point de la CCJA, elle restait toutefois susceptible de créer un précédent sur lequel des parties pouvaient se fonder pour contester l'exécution d'une Sentence Etrangère dans un Etat OHADA. Elle permettait ainsi aux plaideurs désireux de s'opposer à l'exequatur de légitimer le recours à des dispositions nationales souvent moins favorables que celles de l'AUA (24).

Depuis, la CCJA a eu l'occasion d'intervenir. Elle a confirmé la portée toute limitée qu'il convient d'accorder à cette décision de la cour d'appel d'Abidjan. L'arrêt précité du 26 janvier 2017 a effectivement appliqué, sans équivoque, l'article 34 à une Sentence Etrangère (en l'espèce, la sentence avait été rendue en Belgique]) (25).

A nouveau, en l'absence d'amendement de l'article 34 par la Réforme, la CCJA joue un rôle clé pour solutionner les difficultés posées par l'AUA relativement aux Sentences Etrangères.

C - L'application subsidiaire de l'AUA

Même en admettant que l'article 34 s'applique à la reconnaissance et l'exequatur des Sentences Etrangères au sein des Etats membres, l'application d'autres dispositions de l'AUA aux Sentences Etrangères pose question.

En disposant que "[l]es sentences arbitrales rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues par le présent Acte uniforme, sont reconnues dans les Etats-parties, dans les conditions prévues par les conventions internationales éventuellement applicables, et à défaut, dans les mêmes conditions que celles prévues aux dispositions du présent Acte uniforme" (26), l'article 34 pose un principe d'application subsidiaire de l'AUA. Ce principe signifie que l'AUA s'applique aux "sentences rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues par [l'AUA]" uniquement en l'absence de convention internationale applicable régissant les questions de reconnaissance et d'exequatur de Sentences Etrangères (27).

La conséquence pratique de ce principe est que la reconnaissance et l'exécution d'une Sentence Etrangère dans un Etat OHADA vont d'ordinaire être régies par la Convention de New York, plutôt que par l'AUA. En effet, la Convention de New York a été ratifiée par 12 des 17 Etats OHADA (28).

Cependant, l'article VII §1 de la Convention de New York prévoit que si les dispositions applicables de la loi de l'Etat contractant dans lequel la reconnaissance et l'exécution sont recherchés sont plus favorables que celles de la convention internationale, alors ce sont ces dispositions du droit national qui doivent recevoir application (29).

L'article 35 dispose que "le présent acte uniforme tient lieu de loi relative à l'arbitrage dans les Etats-parties". Dès lors, le droit national auquel l'article VII §1 de la Convention de New York fait référence n'est autre que l'AUA au sein de l'espace OHADA. Or, l'AUA pose vraisemblablement des conditions d'exequatur des sentences plus favorables que celles posées par la Convention de New York.

En effet, les critères de l'AUA concernant la reconnaissance et l'exécution des sentences sont, du moins prima facie, moins exigeants que ceux de la Convention de New York (30) : les critères de l'AUA consistent en trois conditions de forme et une condition de fond, tandis que la Convention de New York impose le respect de huit conditions de fond (31). Les critères divergents de l'AUA et la Convention de New York sont résumés ci-dessous (32) :

Nature de la condition AUA (article 31) Convention de New York (articles IV et V)
Forme L'original de la sentence arbitrale ou une copie réunissant les conditions requises pour son authenticité (art. 31 § 2) L'original dûment authentifié de la sentence ou une copie de cet original réunissant les conditions requises pour son authenticité (art. IV 1. (a))
Forme L'original de la convention d'arbitrage ou une copie réunissant les conditions requises pour son authenticité (art. 31 § 2) L'original de la convention d'arbitrage ou une copie réunissant les conditions requises pour son authenticité (art. IV 1. (b))
Forme Si la sentence ou la convention d'arbitrage ne sont pas rédigées en langue française, une traduction certifiée de ces pièces (art. 31 §3) (33) Si la sentence ou la convention d'arbitrage ne sont pas rédigées dans une langue officielle du pays où la sentence est invoquée, une traduction certifiée de ces pièces dans cette langue. (art. IV 2.)
Fond La sentence ne doit pas être manifestement contraire à une règle d'ordre public international des Etats membres (art. 31 § 4) (34) La reconnaissance ou l'exécution de la sentence ne doivent pas être contraires à l'ordre public du pays où elles sont recherchées (art. V 2. (b))
Fond Incapacité d'une des parties à la convention d'arbitrage (art. V. 1. (a))
Fond Invalidité de la convention d'arbitrage (art. V. 1. (a))
Fond Violation du principe du contradictoire (art. V. 1. (b))
Fond Le tribunal arbitral a statué ultra petita (art. V. 1. (c))
Fond Constitution irrégulière du tribunal arbitral (art. V. 1 (d))
Fond La sentence n'est pas encore devenue obligatoire ou a été annulée/suspendue (art V. 1. (e))
Fond Inarbitrabilité du litige (art V. 2. (a))

La question est alors de savoir si ces sentences peuvent, du fait de l'article VII § 1 de la Convention de New-York, se voir appliquer les conditions plus favorables posées par l'AUA pour recevoir l'exequatur au sein de l'espace OHADA. Cela suppose que le renvoi opéré par l'article 34 aux conventions internationales (et donc en général à la Convention de New York) n'interdise pas de s'appuyer sur l'AUA. Pour répondre à cette question, l'alternative suivante s'offre au juge.

Une première interprétation, préconisée par certains auteurs (35) et semblant être appliquée par certaines juridictions (36), consiste à considérer que puisque l'article VII §1 de la Convention de New York invite à l'application des dispositions plus favorables de l'AUA, l'article 34, en se référant à l'application des conventions internationales en vigueur, requiert en fait l'application de l'article 31 de AUA imposant des conditions d'exequatur plus favorables.

Cependant, comme l'a très bien souligné un auteur, alors que cette première interprétation est conforme et donne plein effet à l'article VII §1 de la Convention de New York, elle "ne se concilie, cependant, pas aisément avec l'article 34 de l'Acte uniforme qui, en désignant les 'conventions internationales éventuellement applicables', semble ne pas permettre à la partie intéressée le droit de se prévaloir des dispositions de l'Acte uniforme" (37).

Une seconde interprétation invite, quant à elle, à considérer que les conditions posées par la Convention de New York (ou par toute autre convention internationale), pour octroyer l'exequatur d'une sentence, doivent toujours être remplies lorsqu'elle est applicable. Cette seconde solution s'appuie sur le fait que l'article 34 n'envisage qu'une application subsidiaire de l'AUA.

La regrettable conséquence de cette seconde interprétation est que la clause du droit le plus favorable de l'article VII § 1 de la Convention de New York est rendue inefficace par ce principe d'application subsidiaire de l'AUA (38). Cette seconde solution crée alors un paradoxe. Il devient, en effet, plus facile d'obtenir une ordonnance d'exequatur d'une Sentence Etrangère dans un Etat OHADA qui n'est pas partie à la Convention de New York.

L'étude de la jurisprudence la plus récente de la CCJA ne permet pas, à notre connaissance, de déterminer la solution retenue par cette institution. En effet, la CCJA a très récemment imposé, par le truchement de l'article 34, l'application de la Convention de New York pour déterminer si les tribunaux camerounais devaient rendre exécutoire une sentence arbitrale rendue à Paris. Elle n'a toutefois pas précisé si l'application de la Convention de New York entraînait, cette fois par le truchement de son article VII § 1, l'application de l'article 31 de l'AUA (39). Quant à la Réforme, elle n'apporte aucun éclairage sur ce point.

La question demeure ainsi ouverte.

D - La nécessité de se référer aux législations nationales pour déterminer la compétence des tribunaux et la nature de la procédure d'exequatur

Même dans les cas où, en application de son article 34, l'AUA est la loi applicable à la reconnaissance et à l'exécution des Sentences Etrangères dans un Etat OHADA (aucune convention internationale traitant de la question n'étant applicable), tous les aspects de la procédure de reconnaissance et d'exequatur ne sont néanmoins pas régis par les dispositions de l'AUA.

Ceci est particulièrement vrai s'agissant de la détermination de la juridiction compétente pour conférer reconnaissance et exequatur à la sentence arbitrale. En effet, l'article 30 de l'AUA dispose que la reconnaissance et l'exécution sont accordées "par le juge compétent dans l'Etat-partie" (40). Le juge ou le tribunal compétent pour ordonner la reconnaissance et l'exécution des Sentences Etrangères reste donc déterminé par les législations internes de chaque Etat OHADA. Pourtant, plusieurs législations internes ne prévoient toujours pas le juge compétent pour prononcer la reconnaissance et l'exequatur des Sentences Etrangères (41).

L'AUA ne précise pas davantage la procédure légale et le type d'action requis pour demander l'exequatur d'une sentence arbitrale (y compris d'une Sentence Etrangère). Cette omission est regrettable dans la mesure où les lois nationales des Etats OHADA n'offrent pas une solution uniforme : certaines disposent que la demande d'exequatur doit faire l'objet d'une procédure contradictoire (42) là où d'autres prévoient une procédure sur requête (donc généralement ex-parte (43)).

Cette omission constitue une lacune importante de l'AUA. L'objectif de création d'un droit uniforme de l'arbitrage au sein des pays membres de l'espace OHADA aurait été mieux servi par un degré supérieur d'harmonisation du régime de la reconnaissance et de l'exécution des sentences.

A la lumière de ce qui précède, même si les incertitudes créées par la rédaction de l'article 34 concernant l'application de l'AUA aux Sentences Etrangères peuvent être surmontées, notamment par la CCJA, le principe de subsidiarité instauré par l'article 34 et le fait que l'AUA renvoie certains aspects de la procédure d'exequatur aux législations nationales des Etats OHADA offrent des arguments aux parties perdantes à l'arbitrage pour tenter d'échapper aux dispositions modernes de l'AUA sur la reconnaissance et l'exequatur des Sentences Etrangères dans les Etats OHADA.

Il est regrettable que l'exequatur des Sentences Etrangères, une étape évidemment cruciale de la procédure d'arbitrage, soit toujours en partie soumise aux législations nationales hétérogènes des Etats OHADA alors que l'AUA a justement été conçu pour les remplacer. On ne peut qu'espérer que les futures révisions de l'AUA prendront en compte ce problème.

En outre, rien ne semble s'y opposer. Par exemple, l'article 49 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (N° Lexbase : L0546LGC) précise déjà la juridiction compétente au sein des Etats membres pour former une contestation. Des amendements à l'AUA pourrait donc unifier la procédure applicable au sein de l'espace OHADA pour solliciter l'exequatur des sentences arbitrables.

D'ailleurs, la Réforme a déjà fait un pas dans cette direction. Si le juge compétent n'est toujours pas précisé, tel n'est plus le cas de la procédure qui lui est applicable. La Réforme impose désormais que la "procédure relative à la demande d'exequatur [ne soit] pas contradictoire" (44).

De nouveaux amendements à l'AUA s'imposent d'autant plus que des difficultés similaires peuvent être rencontrées en ce qui concerne les recours contre les ordonnances d'exequatur.


(1) Une version révisée de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage a été adoptée le 23 novembre 2017 à Conakry (République de Guinée). Néanmoins, lorsqu'il est fait mention de l'AUA dans le présent article, il s'agit, sauf précision contraire, de sa version du 11 mars 1999.
(2) A ce jour, les dix-sept Etats OHADA sont la République du Bénin, le Burkina Faso, la République du Cameroun, la République Centrafricaine, la République du Tchad, l'Union des Comores, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, la République de Guinée Équatoriale, la République du Gabon, la République de Guinée, la République de Guinée-Bissau, la Côte d'Ivoire, la République du Mali, la République du Niger, la République du Sénégal et la République du Togo.
(3) Préambule du Traite Relatif à l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires adopté le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Île Maurice) ("Traité de l'OHADA" (N° Lexbase : L3251LGI).
(4) Voir l'article 35 de l'AUA : "Le présent acte uniforme tient lieu de loi relative à l'arbitrage dans les Etats-parties. Celui-ci n'est applicable qu'aux instances arbitrales nées après son entrée en vigueur".
(5) Par exemple, la détermination du juge ou de la juridiction compétente pour rendre une ordonnance d'exequatur est une question qui demeure régie par les législations nationales.
(6) Ou au singulier, une "Sentence Etrangère". Le présent article ne traitera pas du cas de sentences arbitrales éventuellement rendues en dehors de l'espace OHADA mais régies par l'AUA, étant donné que ces sentences ne rentrent pas dans le champ d'application de l'article 34 précité.
(7) Toute référence aux articles de l'AUA (autre que celles incluses dans les citations de jurisprudence ou de doctrine) sera limitée au numéro de l'article concerné, sans mentionner "de l'AUA".
(8) Les "règles" auxquelles cet article fait référence doivent être comprises comme les règles de procédure du siège de l'arbitrage, et non comme les règles de droit substantiel applicables au fond du litige.
(9) Soulignements ajoutés.
(10) Ce chapitre comprend les articles 30 à 34 de l'AUA.
(11) OHADA, Traités et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2014 ("Code Vert OHADA"), observations sous l'article 34 de l'AUA, page 181: "[c]ette disposition règle la question de la reconnaissance -et, bien que le texte ne le mentionne pas expressément, de l'exequatur- des sentences arbitrales rendues dans les Etats tiers à l'OHADA" ; C. Sossou Biadja, L'acte uniforme OHADA relatif à l'arbitrage à l'épreuve des standards transnationaux de la justice arbitrale, Approche comparée de droit international privé, LGDJ, 2015, page 511, § 122 : "[c]ette disposition règle, pour ainsi dire, la problématique de la reconnaissance (et même si elle ne le mentionne pas expressément, celle de l'exequatur) des sentences arbitrales rendues dans les Etats tiers à l'OHADA voire à l'intérieur de l'OHADA mais sur le fondement d'une loi d'arbitrage autre que l'AUA".
(12) T. A. Brabant, O. Divoy, The Enforcement of International Arbitral Awards in OHADA Member States - The Uniform Act on Arbitration is Not the Smooth Ride it Was Designed to Be, TDM 4 (2016), lire ici.
(13) CCJA, 26 janvier 2017, n° 003/2017 (N° Lexbase : A4763WGI et lire N° Lexbase : N7638BWS) ; (soulignement ajouté).
(14) CA Abidjan, 19 novembre 2002, n° 1157 du 19 novembre 2002. Il est fait référence à cette décision dans deux des trois codes commentés OHADA : 1° Le Code Vert OHADA, voir note 8 supra, observations sous l'article 34 de l'AUA, page 182, et 2° Code Pratique OHADA, Traité, Actes Uniformes et Règlements annotés, éditions Francis Lefebvre, 2014 ("Code Gris OHADA"), observations sous l'article 35 de l'AUA, page 181. Le troisième Code OHADA disponible est OHADA, Code Bleu, Traité - Actes Uniformes - Règlement de Procédure et d'Arbitrage - Jurisprudence annotée, Juriafrica, édition 2016 ("Code Bleu OHADA") ; soulignement ajouté.
(15) Soulignement et termes soulignés ajoutés.
(16) Extrait du préambule de la première version du projet de rédaction de l'Acte Uniforme, issu de Regard critique sur le droit de l'arbitrage OHADA, d' Henri-Joël Tagum Fombeno, accessible ici.
(17) G. Kenfack Douajni and C. Imhoos, L'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage dans le cadre du Traité OHADA, paru dans la Revue Camerounaise de l'Arbitrage n° 5, Avril-Mai-Juin 1999, page 3 (Ohadata D-08-79) : "[l]a particularité de l'exécution des sentences arbitrales dans le système de l'Acte Uniforme OHADA résulte de son article 34 [...]. Cette disposition novatrice et suffisamment ouverte signifie que les sentences arbitrales étrangères aux pays de l'espace OHADA seront reconnues en vertu des règles contenues dans la Convention de New York, pour autant que celle-ci ait été ratifiée par les Etats en cause, et à défaut, conformément à l'Acte uniforme [...]".
(18) Code Vert OHADA, observations sous l'article 34 de l'AUA, page 182 : "[l]a complexité inutile de l'article 34 explique peut-être -sans la justifier- la mauvaise application faite de cette disposition par la cour d'appel d'Abidjan dans un arrêt du 19 novembre 2002".
(19) Ibid., observations sous l'article 31 de l'AUA, page 179.
(20) Ibid., observations sous l'article 34, page 182 (soulignement ajouté). Voir aussi C. Sossou Biadja, voir note 8 supra, page 113, §76. Après avoir relevé que sur la base d'une lecture prima facie de l'article 1 de l'AUA, une définition "territorialiste" plutôt qu'"autonomiste" du siège de l'arbitrage semblerait prévaloir (supra, note 5), l'auteur note : "cette même lecture 'territorialiste' du 'siège' n'avait-elle pas été expressément faite par la CA d'Abidjan dans un arrêt à l'occasion d'une demande de reconnaissance d'une sentence arbitrale rendue hors OHADA ? Cette juridiction ivoirienne avait écarté l'AUA au motif que le 'siège du tribunal arbitral se [trouvait] en Suisse'. Ce qui, à notre avis, est une grave erreur d'appréciation du sens que devrait avoir la notion de "siège" dans l'AUA".
(21) Préambule du Traité de l'OHADA, §§ 1-6 : "Hautes parties contractantes du Traité, relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique, déterminés à [...] établir un courant de confiance en faveur des économies de leur pays en vue de créer un nouveau pôle de développement en Afrique ; [...] Persuadés que la réalisation de ces objectifs suppose la mise en place dans leurs Etats d'un Droit des Affaires harmonisées, simple, moderne et adapté, afin de faciliter l'activité des entreprises ; Conscients qu'il est essentiel que ce droit soit appliqué avec diligence, dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique des activités économiques, afin de favoriser l'essor de celles-ci et d'encourager l'investissement".
(22) Ibid., § 7 : "Désireux de promouvoir l'arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels".
(23) T. A. Brabant; O. Divoy, The Enforcement of International Arbitral Awards in OHADA Member States - The Uniform Act on arbitration is not the smooth ride it was designed to be, TDM 4 (2016), lire ici.
(24) Par exemple, les dispositions du droit national antérieur à l'OHADA de la République Démocratique du Congo sur l'arbitrage prévoit que l'exequatur d'une sentence arbitrale peut être refusé lorsqu'un recours en annulation de la sentence est toujours pendant (Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l'ordre judiciaire, art. 120 5 °).
(25) CCJA, 26 janvier 2017, n° 003/2017 (soulignement ajouté).
(26) Soulignement ajouté.
(27) Supra, Section 1.1.
(28) ce jour, les cinq Etats OHADA qui n'ont pas ratifié la Convention de New York sont la République du Tchad, la République du Congo (Congo-Brazzaville), la République de Guinée Equatoriale, la République de Guinée-Bissau et la République du Togo.
(29) Convention de New York, art. VII §1: "[l]es dispositions de la présente Convention ne portent pas atteinte à la validité des accords multilatéraux ou bilatéraux conclus par les Etats contractants en matière de reconnaissance et d'exécution de sentences arbitrales et ne privent aucune partie intéressée du droit qu'elle pourrait avoir de se prévaloir d'une sentence arbitrale de la manière et dans la mesure admises par la législation ou les traités du pays où la sentence est invoquée". Dans The 1958 New York in action (Kluwer Law International 2016, pp. 233-238) Marike R. P. Paulsson observe que "[l'] article VII(1) est une disposition fourre-tout qui encourage l'exécution des sentences à l'étranger : il permet au demandeur de bénéficier d'un régime d'exécution différent - qu'il soit basé sur des dispositions nationales ou sur un autre traité - s'il est plus favorable que la Convention elle-même. Cette pratique est connue comme étant la clause du droit le plus favorable" (traduction libre de l'anglais).
(30) P. G. Pougoué et alii, Droit de l'arbitrage dans l'espace OHADA, Yaoundé, Presses universitaires d'Afrique, 2000, p. 32 ; voir également, P. Meyer, Revue Burkinabé de droit, note sous la décision Ohadata n° J-03-83 ; Tribunal de grande instance de Ouagadougou, 13 juin 2001 : "[u]ne sentence rendue dans un Etat tiers à l'OHADA, dont l'efficacité est requise dans un Etat de l'OHADA, non partie à la Convention de New York, bénéficiera des dispositions -plus libérales que celles du droit conventionnel- de l'Acte uniforme".
(31) La Réforme n'affecte pas cette conclusion. L'AUA semble toujours poser des conditions de reconnaissance et d'exequatur plus favorables que celles énumérées par la Convention de New York. Entre autres, l'AUA dans sa version révisée fait toujours référence à un respect "manifeste" des règles d'ordre public "international" là où la Convention de New York se contente d'exiger un respect des règles d'ordre public de l'Etat partie où l'exequatur est sollicité.
(32) Certaines descriptions de ces critères font apparaître des termes en gras. Ils visent à attirer l'attention sur une différence notable entre l'AUA et la Convention de New York.
(33) La Réforme impose désormais une traduction "dans la ou les langue(s) officielle(s) de l'Etat Partie où l'exequatur est demandé". Le français n'est donc plus toujours exigé.
(34) La Réforme a modifié ce critère. Il s'agit désormais de ne refuser l'exequatur que "si la sentence est manifestement contraire à une règle d'ordre public international".
(35) P. G. Pougoué et alii, voir note 26 supra.
(36) Un exemple de la probable application de cette première approche est une ordonnance d'exequatur datant de février 2016 et rendue en République Démocratique du Congo (la "RDC"). Sur le fondement de l'article 31 de l'AUA, elle a reconnu exécutoire en RDC une sentence arbitrale rendue à Paris. Ainsi, et sans s'en expliquer davantage, la décision n'a pas appliqué les conditions posées par la Convention de New York, instrument pourtant en vigueur en RDC depuis février 2015.
(37) P. Meyer, Commentaire de l'article 34 de l'Acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage dans le Code Vert OHADA, p. 182.
(38) P. Meyer, L'Acte Uniforme de l'OHADA sur le droit de l'arbitrage (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires), Revue de Droit des Affaires Internationales, 1999, n° 6, p. 647, accessible sur HeinOnline : "[u]ne sentence rendue dans un Etat tiers à l'OHADA dont la reconnaissance et l'exécution sont requises dans un Etat de l'OHADA partie à la Convention de New York, relèvera des dispositions conventionnelles. Enfin, une sentence rendue dans un Etat tiers à l'OHADA et dont l'efficacité est demandée dans un Etat de l'OHADA non partie à la Convention du 10 juin 1958, bénéficiera des dispositions -plus libérales que celles du droit conventionnel- de la législation uniforme. On peut, en conséquence, se demander si la règle posée par l'article 34 était réellement opportune. Il aurait été plus judicieux de laisser jouer librement le principe posé par l'article VII § 1 de la Convention du 10 juin 1958 qui a pour effet de n'imposer que des conditions minimales à la reconnaissance".
(39) CCJA, 27 juillet 2017, n° 166/2017 (N° Lexbase : A1678WTC ; et lire sur cet arrêt N° Lexbase : N1137BXE).
(40) L'article 30 de l'AUA : "La sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'en vertu d'une décision d'exequatur rendue par le juge compétent dans l'Etat-partie".
(41) C'est toujours le cas au Burkina Faso et dans l'Union des Comores : les sections relatives à l'arbitrage de leurs Codes de procédure civile contiennent uniquement une référence aux dispositions de l'AUA sans aucune disposition supplémentaire (Titre VIII du Code de procédure civile du Burkina Faso et Livre 4 du Code de procédure civile des Comores). Quant au Code de procédure civile sénégalais (article 812), il prévoit uniquement le juge compétent pour prononcer l'ordonnance d'exequatur de sentences arbitrales internes.
(42) Par exemple, en République du Mali en vertu de l'article 517 du Code de procédure civile.
(43) Par exemple, en République du Togo (C. pr. civ., togolais, art. 286) et en République Démocratique du Congo (C. pr. civ. de la RDC, art. 184).
(44) AUA, art. 31.

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Réparation des préjudices subis du fait d'une expulsion ultérieurement remise en cause

Réf. : Cass. civ. 3, 30 novembre 2017, n° 16-17.686, FP-P+B (N° Lexbase : A4826W4I)

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N1799BXW

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par Julien Prigent, Avocat à la cour, Mutelet - Prigent et Associés, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 14 Décembre 2017

A la suite de la remise en cause d'une décision d'expulsion qui a été exécutée, le locataire qui ne peut être réintégré a droit à la réparation des préjudices causés par cette expulsion et, à cet égard, le préjudice né de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction doit être distingué de celui réparé par cette indemnité. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 30 novembre 2017.
En l'espèce, par contrat du 24 mai 2000, avait été concédée à une société, la jouissance, pour une durée indéterminée, d'un emplacement dans un centre commercial. Le 4 mars 2011, son contractant lui avait notifié un congé. Après annulation d'une sentence arbitrale du 10 août 2012, complétée le 24 septembre 2012, un arrêt irrévocable du 14 janvier 2014 avait requalifié le contrat liant les parties en bail commercial, annulé le congé et, au constat de l'impossibilité de réintégrer le locataire dans les lieux, ordonné une expertise sur le montant de l'indemnité d'éviction. Après le dépôt du rapport de l'expert, le locataire a sollicité sa réintégration dans les lieux et l'annulation de l'expertise et la désignation d'un autre expert, en contestant le montant de l'indemnisation proposé par l'expert. I - La requalification du "contrat de prestations réciproques" et les conséquences liées à cette requalification

L'arrêt rapporté constitue le prolongement d'une affaire dans laquelle un contrat, intitulé "contrat de prestations de services réciproques", accordant un droit de jouissance sur un local situé dans un "village de marques" avait été qualifié de bail commercial. Le cocontractant disposait en effet d'une clientèle propre et les contraintes qui lui étaient imposées n'avaient pas été jugées incompatibles avec le libre exercice de son exploitation (Cass. civ. 3, 19 novembre 2015, n° 14-13.882, F-D N° Lexbase : A5487NXI ; nos obs., Lexbase, éd. aff., 2016, n° 450 N° Lexbase : N0882BWL ; Gaz. Pal., 1er mars 2016, p. 76, note J.-D. Barbier).

Toutefois, la société locataire avait été expulsée avant que son action en requalification ait été accueillie et la cour d'appel avait, dans une précédente décision, déjà constaté l'impossibilité de la réintégrer dans les lieux loués. Dans l'arrêt objet du pourvoi ayant donné lieu à la décision du 30 novembre 2017, la cour d'appel avait en conséquence ordonné une expertise judiciaire en vue de la fixation du montant de l'indemnité d'éviction selon la mission habituellement impartie à un expert judiciaire pour la fixation d'une telle indemnité à la suite d'un refus de renouvellement (C. com., art. L. 145-14 N° Lexbase : L5742AII).

S'agissant de l'expulsion, il peut être rappelé que le créancier titulaire d'un titre exécutoire provisoire peut décider de ne pas mettre en oeuvre l'exécution de ce titre (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 4 juin 2008, n° 07-14.118, FS-P+B N° Lexbase : A9316D8K).

Il peut toutefois faire procéder à l'exécution forcée mais, dans ce cas, à ses risques (C. proc. civ. exécution, art. L. 111-10 N° Lexbase : L5798IR8) compte tenu du fait que le titre pourrait être remis en cause, la décision n'étant pas irrévocable. Dans cette hypothèse, le créancier doit "rétablir le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié" (C. proc. civ. exécution, art. L. 111-10).

La Cour de cassation a précisé sur ce point que "l'exécution d'une décision de justice exécutoire à titre provisoire n'a lieu qu'aux risques de celui qui la poursuit, à charge par lui, si le titre est ultérieurement modifié, d'en réparer les conséquences dommageables" (Ass. plén., 24 février 2006, n° 05-12.679, P N° Lexbase : A4318DNA), "sans qu'il soit nécessaire de relever une faute à son encontre" (Cass. civ. 2, 22 janvier 2004, n° 01-00.580, F-P+B N° Lexbase : A8629DAT).

L'expulsion pouvant être poursuivie en vertu d'une décision de justice (C. proc. civ. exécution, art. L. 411-1 N° Lexbase : L9116IZN), il résulte de ce qui précède que le bailleur peut poursuivre l'expulsion sur la base d'une décision exécutoire qui ne serait pas irrévocable, sous réserve de réparer les conséquences dommageables de cette exécution si le titre est ensuite modifié.

Le créancier qui a fait exécuter sur la base d'un titre provisoire ultérieurement modifié étant tenu de "rétablir le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent" (C. proc. civ. exécution, art. L. 111-10), la réintégration du locataire pourra être ordonnée si elle est possible (en ce sens, CA Paris, 5 mai 2010, n° 07/04238 N° Lexbase : A4865EXH ; CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 7 mars -2012, n° 10/23644 N° Lexbase : A0136IER ; CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 20 juin 2012, n° 11/18550 N° Lexbase : A3067IPB ; CA Paris, Pôle 1, 5ème ch., 20 juin 2013, n° 13/05852 N° Lexbase : A6050MTA ; CA Paris Pôle 1, 2ème ch., 19 novembre 2015, n° 15/05482 N° Lexbase : A1464NXI ; Cass. civ. 3, 15 février 2011, n° 10-14.003, F-D N° Lexbase : A1647GXB ; Cass. civ. 3, 8 mars 2011, n° 09-71.848, F-D N° Lexbase : A2508G9R et Cass. civ. 3, 28 juin 2011, n° 10-20.041, F-D N° Lexbase : A6420HUC et relatifs à une réintégration accordée dès lors que le bail avait été consenti à un tiers de manière frauduleuse).

S'agissant de la remise en cause d'une décision de cour d'appel par un arrêt de la Cour de cassation, l'article L. 111-11 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5799IR9) dispose que "sauf dispositions contraires, le pourvoi en cassation en matière civile n'empêche pas l'exécution de la décision attaquée. Cette exécution ne peut donner lieu qu'à restitution ; elle ne peut en aucun cas être imputée à faute". L'article 625 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7854I4N) précise, par ailleurs, que "sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé".

A défaut de réintégration possible, comme dans l'arrêt rapporté, ce point ayant d'ailleurs été tranché par une précédente décision, le preneur pourra prétendre à des dommages et intérêts (voir à propos des conséquences de la cassation d'un arrêt de cour d'appel, qualifiant de restitution l'indemnisation de la privation de jouissance, Cass. civ. 3, 9 mars 2011, n° 10-30.603, FS-P+B N° Lexbase : A2599G97).

Dès lors que l'indemnité d'éviction, en cas de refus de renouvellement alors que le locataire pourrait y prétendre, doit correspondre au préjudice causé par ce défaut de renouvellement (C. com., art. L. 145-14), il paraît logique de s'appuyer sur les éléments que l'article L. 145-14 du Code de commerce vise, de manière non exhaustive, pour apprécier le montant de l'indemnité : "cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre".

II - Sur la perte du droit au maintien dans les lieux

En ce qui concerne le quantum de l'indemnisation, l'arrêt objet du pourvoi ayant donné lieu à la décision rapportée avait, notamment, débouté le locataire de sa demande en réparation de la perte de son droit au maintien dans les lieux.

Les juges du fond avaient en effet estimé que l'indemnisation de la perte du droit au maintien dans les lieux avait déjà été prise en compte par la fixation d'une indemnité d'éviction qui indemnise le préjudice subi par le défaut de renouvellement du bail.

La Cour de cassation censure cette solution, au visa des articles L. 145-14 (indemnité d'éviction) et L. 145-28 du Code de commerce (N° Lexbase : L5756AIZ droit au maintien dans les lieux) en précisant que le préjudice né de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction est distinct de celui réparé par cette indemnité. Ce visa incite à conclure que c'est bien au regard de ces dispositions que l'appréciation du préjudice né de l'expulsion ultérieurement remise en cause doit s'apprécier, en dépit du fait que la situation juridique est différente de celle du locataire se voyant refuser un renouvellement.

Sur la distinction entre indemnité d'éviction et indemnité d'occupation, il peut être rappelé que le locataire évincé dans le cadre d'un refus de renouvellement avec offre d'indemnité d'éviction bénéficie d'un droit au maintien dans les lieux dans l'attente du paiement de cette indemnité. Cette dernière est fixée en fonction de la valeur locative de l'article L. 145-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L5761AI9 ; cf. C. com., art. L. 145-28) sur laquelle est appliqué, en vertu des usages, un abattement pour prendre en compte la précarité de l'occupation.

Dans le moyen annexé au pourvoi, le preneur réclamait au titre d'une indemnisation de la perte de son droit au maintien dans les lieux, un manque à gagner lié à la diminution de son chiffre d'affaires par rapport aux années précédentes, de laquelle il avait déduit l'économie de loyer en résultant, ainsi que le préjudice lié à l'obligation d'écouler son stock sur internet, déduction faite des frais d'exploitation.

Même si ce préjudice est lié à l'exploitation, il ne pouvait a priori être confondu avec le préjudice pris en compte au titre de l'indemnité d'éviction qui correspond à la valeur du fonds de commerce ou du seul droit au bail s'il est supérieur.

Il appartiendra donc à la cour de renvoi de déterminer le préjudice subi par le preneur au titre de la perte du droit au maintien dans les lieux.

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Congés

[Jurisprudence] Précisions de la CJUE sur le cas du salarié empêché de prendre ses congés annuels

Réf. : CJUE, 29 novembre 2017, aff. C-214/16 (N° Lexbase : A6999W3M)

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N1676BXD

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 14 Décembre 2017

La Cour de justice de l'Union européenne est régulièrement saisie d'affaires relatives au bénéfice des congés annuels, ce qui confirme que la France n'est sans doute pas le seul pays de l'Union dont la législation peine à être mise en conformité de la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L5806DLM). La décision rendue le 29 novembre 2017 par la juridiction européenne ne met pas en lumière une nouvelle contrariété du droit français au droit européen, ce qui ne l'empêchera pas d'avoir des conséquences pour les salariés français qui se verraient privés par leurs employeurs de droits à congés payés. Constatant qu'un travailleur britannique a été privé de son droit à congés (I), la Cour de justice mobilise le droit à un recours effectif (II) et le principe d'un droit à report illimité (III) pour préciser les limites dans lesquelles les législations et pratiques nationales peuvent encadrer le droit à report des congés non pris.
Résumé

Un travailleur doit pouvoir reporter et cumuler des droits au congé annuel payé non exercés lorsqu'un employeur ne met pas ce travailleur en mesure d'exercer son droit au congé annuel payé. Par ailleurs, le droit de l'Union s'oppose à l'obligation pour un travailleur de prendre un congé avant de savoir s'il a le droit d'être rémunéré au titre de ce congé.

Commentaire

I - L'affaire : le travailleur empêché de bénéficier de ses congés et le droit à report

L'affaire devant les juridictions internes. Un travailleur britannique avait été engagé sur la base d'un "contrat de travailleur indépendant rémunéré à la commission uniquement" depuis le 1er juin 1999 jusqu'à son départ à la retraite le 6 octobre 2012. Les congés annuels du travailleur ne lui étaient pas rémunérés. Après son départ de l'entreprise, il réclama en justice le paiement d'indemnités financières pour ses congés annuels pris et non payés ainsi que pour les congés non pris depuis 1999.

L'Employment Tribunal compétent classe les indemnités dues au salarié en trois catégories. D'abord, les indemnités correspondant aux congés acquis mais non pris au moment de la cessation de la relation de travail pour la dernière année de référence ; ensuite, les indemnités correspondant aux congés effectivement pris entre 1999 et 2012 mais n'ayant pas été rémunérés ; enfin, les indemnités correspondant aux congés acquis mais non pris pendant cette même période. Il juge que le demandeur doit être qualifié de travailleur au sens de la Directive 2003/88 et qu'il est, par conséquent, en droit de bénéficier des trois catégories d'indemnités.

L'employeur interjette appel de cette décision devant l'Employment Appeal Tribunal et obtient la censure de la décision des juges du premier degré qui s'inclinent. Le travailleur forme un nouvel appel dévolu cette fois à la division civile de la Court of Appeal (England & Wales), laquelle juge finalement que la qualification de travailleur doit bien être retenue et que le demandeur a droit aux indemnités de congés correspondant aux deux premières catégories (congés de la dernière année de travail et congés pris non rémunérés).

S'agissant, en revanche, de la troisième catégorie d'indemnités, l'employeur soutient que le travailleur n'avait pas le droit de reporter les périodes de congés sur une nouvelle année de référence puisque l'article 13, § 9 du Working Time Regulations de 1998, ayant transposé la Directive 2003/88, impose que les congés soient pris au cours de l'année de référence. Il soutient que le travailleur aurait dû introduire un recours en application de l'article 30 du même règlement dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle le travailleur prétend que l'exercice du droit aurait dû être autorisé. La demande du travailleur serait donc prescrite. La Court of Appeal constate que le droit du Royaume-Uni ne permet pas le report d'un congé annuel au-delà de la période de référence et n'assure pas nécessairement un recours effectif pour se prévaloir d'une violation de l'article 7 de la Directive 2003/88. Eprouvant des doutes quant à l'interprétation à retenir du droit de l'Union européenne, la juridiction décide de formuler cinq questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne.

Les questions préjudicielles. La première question intéresse le droit à un recours effectif et est formulée de la manière suivante : "le fait que le travailleur doive d'abord prendre son congé avant de pouvoir savoir s'il a droit à être rémunéré au titre de ce congé est-il compatible avec le droit de l'Union, en particulier avec le principe du droit à un recours effectif ?".

La deuxième question interroge la Cour sur la question de l'imputabilité du non-bénéfice de congés dans les termes suivants : "si le travailleur ne prend pas tout ou partie du congé annuel auquel il a droit au cours de l'année de référence [...], dans un cas où le travailleur aurait exercé ses droits si son employeur ne refusait pas de lui payer tout congés pris par lui, le travailleur est-il fondé à prétendre qu'il a été empêché d'exercer son droit à congé payé, de sorte que son droit se reporte d'année en année jusqu'à ce qu'il ait la possibilité de l'exercer ?".

Les troisième, quatrième et cinquième questions concernent la durée de l'éventuel report et, plus précisément, les obligations des Etats membres s'agissant de la détermination de cette durée : "si le droit au congé est reporté, l'est-il indéfiniment ou bien existe-t-il une période limitée pendant laquelle le travailleur est tenu d'exercer son droit à congé reporté, par analogie avec les délais qui s'appliquent lorsque le travailleur est dans l'incapacité d'exercer son droit à congé dans l'année de référence pour cause de maladie ?". Faute de disposition légale encadrant la période de report, "la juridiction saisie est-elle tenue d'imposer une limite à la période pendant laquelle les congés peuvent être reportés afin de garantir que l'application [de la législation nationale en matière de temps de travail] ne dénature pas la finalité attachée à l'article 7 [de la Directive 2003/88] ?". Dans l'affirmative, "une période dix-huit mois à compter de la fin de l'année de référence pour le calcul des congés au titre de laquelle les congés ont été acquis est-elle compatible avec l'article 7 de la Directive ?".

Par un arrêt rendu le 29 novembre 2017, la Cour de justice de l'Union européenne répond à l'ensemble des questions préjudicielles posées. Elle choisit toutefois de traiter séparément la première question (recours effectif) et les quatre questions suivantes (droit au report).

II - L'effectivité du droit au congé annuel payé

Solution : l'atteinte au droit au recours effectif. Le droit à un recours effectif, garanti par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) et l'article 7 de la Directive 2003/88 s'oppose-t-il à ce que le travailleur doive d'abord prendre son congé avant de savoir s'il a droit à être rémunéré au titre de ce congé ? A cette question, la Cour répond par l'affirmative : ces textes "doivent être interprétés en ce sens que, dans l'hypothèse d'un litige entre un travailleur et son employeur quant au point de savoir si le travailleur a droit à un congé annuel payé conformément au premier de ces articles, ils s'opposent à ce que le travailleur doive d'abord prendre son congé avant de savoir s'il a droit à être rémunéré au titre de ce congé". Dit autrement, le travailleur ne peut être contraint de prendre un congé sans solde et de réclamer par la suite au juge qu'une rémunération lui soit servie pour ces congés sans que cela ne porte atteinte aux dispositions de la Directive et de la Charte.

La Cour rappelle d'abord que le droit à quatre semaines de congés annuels rémunérés doit être considéré "comme un principe du droit social de l'Union revêtant une importance particulière" et que le droit à congé est consacré par l'article 31, § 2 de la Charte ayant même valeur juridique que les traités (1). Le droit au congé annuel et l'obtention d'une rémunération à ce titre doivent être considérés comme "deux volets d'un droit unique" destiné à "placer le travailleur, lors dudit congé, dans une situation qui est, s'agissant du salaire, comparable aux périodes de travail" (2). Comme cela avait déjà été jugé en 2009, la Cour rappelle également que les Etats membres doivent s'abstenir de subordonner à quelque condition que ce soit la constitution de ce droit à congé annuel rémunéré (3). Le travailleur "doit être en mesure de jouir de la rémunération à laquelle il a droit au titre de l'article 7, paragraphe 1, de la Directive 2003/88", ce qui lui permet "de se reposer et de disposer d'une période de détente et de loisirs", ce dont il ne serait pas en mesure de jouir pleinement s'il est "confronté à des circonstances de nature à susciter de l'incertitude durant la période de son congé annuel au sujet de la rémunération qui lui est due" et que ces circonstances "sont susceptibles de dissuader le travailleur de prendre son congé annuel" (4).

S'agissant plus précisément du droit à un recours effectif, la Cour rappelle que les Etats membres doivent garantir le respect du droit à un recours effectif tel que consacré par l'article 47 de la Charte (5). Un droit à recours est bien prévu par les articles 13 et 30 du Working Time Regulations de 1998, permettant au travailleur de contester le refus de son employeur de lui reconnaître droits à congés annuel ou pour réclamer le paiement de la rémunération que l'employeur n'aurait pas versée au titre des congés (6). Mais l'interprétation des juridictions britanniques aboutissait à ce que "dans une situation dans laquelle l'employeur n'accorde que des congés non rémunérés au travailleur, ce dernier ne pourrait pas se prévaloir devant le juge du droit de prendre des congés payés en tant que tel. A cet effet, il serait d'abord contraint de prendre des congés sans solde, puis d'introduire un recours visant à en obtenir le paiement", résultat que la Cour juge "incompatible" avec l'article 7 de la Directive 2003/88 (7).

La justification : l'atteinte à l'effectivité du droit à congés annuels. La décision de la Cour tendant à apprécier les législations nationales au regard du droit à un recours effectif n'est pas étonnante. A plusieurs reprises déjà, la Cour a eu l'occasion de préciser la portée et les limites de ce principe (8).

Au plan textuel, le droit à un recours effectif se distingue du droit au juge tel qu'il résulte, notamment, de l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Il s'approche davantage du principe énoncé par l'article 13 de cette convention (N° Lexbase : L1360A9A) et garantit que le bénéficiaire d'un droit puisse effectivement saisir une juridiction pour le faire sanctionner.

En la matière, la Cour de justice de l'Union européenne considère qu'il existe un principe dit d'autonomie procédurale des Etats membres, ce qui signifie que les législateurs ou pratiques nationaux peuvent aménager les règles d'accès aux juridictions internes, cela à moins que le droit de l'Union prévoie des règles spécifiques d'accès au juge (9). Même si, comme l'énonce la Cour, la Directive 2003/88 "ne comporte certes aucune disposition" en matière d'accès au juge, l'autonomie procédurale doit être limitée par deux principes corollaires que sont le principe d'équivalence (les situations communautaires sont traitées de la même manière que les situations internes) et le principe d'effectivité (l'exercice des droits garantis par l'Union ne doit pas être rendu impossible ou excessivement difficile) (10). La Cour l'admet lorsque "une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l'application du droit de l'Union" (11).

Or, l'interprétation retenue par les juges britanniques aboutissait à ce que "dans une situation dans laquelle l'employeur n'accorde que des congés non rémunérés au travailleur, ce dernier ne pourrait pas se prévaloir devant le juge du droit de prendre des congés payés en tant que tel. A cet effet, il serait d'abord contraint de prendre des congés sans solde, puis d'introduire un recours visant à en obtenir le paiement" (12). Pour le dire plus simplement le droit à un congé annuel payé n'est pas garanti puisque le salarié est contraint de prendre un congé non rémunéré avant de pouvoir saisir le juge. Le droit au recours effectif n'est pas garanti parce que le droit garanti par l'Union n'est pas lui-même effectif.

III - La durée du report en cas de privation des droits à congés

La solution : le report jusqu'à la rupture du contrat des droits à congés dont le salarié a été privé

L'article 7 de la Directive 2003/88 s'oppose-t-il à ce que des dispositions ou pratiques nationales qui empêchent un travailleur de reporter et de cumuler, jusqu'au moment où sa relation de travail prend fin, des droits à congé annuel payé non exercés au titre de plusieurs périodes de référence consécutives en raison du refus de l'employeur de rémunérer ces congés ? A cette question, la Cour répond à nouveau par l'affirmative : l'article 7 "s'oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales selon lesquelles un travailleur est empêché de reporter et, le cas échéant, de cumuler, jusqu'au moment où sa relation de travail prend fin, des droits au congé annuel payé non exercés au titre de plusieurs périodes de référence consécutives, en raison du refus de l'employeur de rémunérer ces congés".

La Cour rappelle qu'elle a déjà été amenée à se prononcer sur la question proche du report de droits à congés lorsque le salarié n'a pas été en mesure de l'exercer "pour des raisons indépendantes de sa volonté, et plus particulièrement en raison d'une maladie" (13). Elle juge qu'en l'occurrence, c'est bien pour des raisons indépendantes de sa volonté que le travailleur n'a pu exercer son droit à congé annuel payé avant son départ à la retraite, que la Directive 2003/88 "ne permet pas aux Etats membres ni d'exclure la naissance du droit au congé annuel payé ni de prévoir que le droit au congé annuel payé d'un travailleur ayant été empêché d'exercer ce droit s'éteint à l'expiration de la période de référence et/ou d'une période de report fixée par le droit national" (14). Le travailleur qui n'a pas été en mesure d'exercer son droit à congé "a droit à une indemnité financière au titre de l'article 7, paragraphe 2, de la Directive 2003/88" dont le montant doit être calculé "de sorte que ledit travailleur soit placé dans une situation comparable à celle dans laquelle il se serait trouvé s'il avait exercé ledit droit pendant la durée de sa relation de travail".

La Cour précise surtout que, dans les affaires s'étant jusqu'ici prononcées sur le droit à report dont peuvent bénéficier les travailleurs, les "concernés avaient été empêchés d'exercer leur droit au congé annuel payé en raison de leur absence du travail pour cause de maladie" et que, dans ce contexte particulier, "bien qu'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives serait en droit d'accumuler, de manière illimitée, tous les droits à congé annuel payé acquis durant la période de son absence du travail, un tel cumul illimité ne répondrait plus à la finalité même du droit au congé annuel payé" (15). Dans "ces circonstances spécifiques", elle ne s'opposait alors pas, tant au regard de la protection des travailleurs que de celle de l'employeur "confronté au risque d'un cumul trop important de périodes d'absence du travailleur et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l'organisation du travail" à ce que les dispositions ou pratiques nationales limitent la période de report à quinze mois (16).

Il est donc nécessaire pour la Cour d'examiner si les circonstances de l'espèce britannique sont "spécifiques" de sorte qu'elles justifieraient une dérogation au principe posé par l'article 7 de la Directive 2003/88 selon lequel le droit au congé acquis ne peut s'éteindre à l'expiration de période de référence ou d'une période de report fixée par le droit national. A cette fin, la Cour rappelle que "le droit au congé annuel payé ne saurait être interprété de manière restrictive" (17) et note que dans l'affaire en cause, "une protection des intérêts de l'employeur ne paraît pas strictement nécessaire et, partant, n'apparaît pas de nature à justifier une dérogation au droit au congé annuel payé du travailleur" (18).

La Cour conclut son raisonnement en des termes forts puisqu'elle considère que "contrairement à une situation de cumul de droits au congé annuel payé d'un travailleur empêché de prendre lesdits congés pour raison de maladie, l'employeur qui ne met pas un travailleur en mesure d'exercer son droit au congé annuel payé doit en assumer les conséquences" et qu'"admettre, dans ces conditions, une extinction des droits au congé annuel payé acquis par le travailleur reviendrait à valider un comportement menant à un enrichissement illégitime de l'employeur au détriment de l'objectif de la directive visant le respect de la santé du travailleur" (19).

La portée : l'allongement substantiel du délai pour agir en cas de privation de congés. La question de la durée du report éveille naturellement l'attention du juriste du travail français tant on sait cette question délicate (20) et sujette à décisions régulières de la Chambre sociale de la Cour de cassation (21). Il n'est pas certain pour autant que la décision sous examen apporte un éclairage nouveau sur la question.

Comme le relevait récemment la Chambre sociale de la Cour de cassation, la législation française ne prévoit pas de durée maximale de report des droits à congés (22) alors même que la Cour de justice admet qu'une telle limite soit établie par les Etats membres (23). Comme le détaille très clairement la Cour, le droit au report des congés est par principe illimité et il n'a été admis qu'il soit limité que parce qu'"un tel cumul illimité ne répondrait plus à la finalité même du droit au congé annuel payé" et confronterait l'employeur "au risque d'un cumul trop important de périodes d'absence du travailleur et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l'organisation du travail".

Sur le principe, l'absence de limitation du report en droit interne reste donc conforme aux exigences de la Cour de justice qui en fait pleine application et justifie sa solution par le fait que le salarié ait été empêché de prendre ses congés par le fait de l'employeur.

De proche en proche, on peut toutefois se demander si les règles relatives à la prescription biennale en cas de demande relative à l'exécution du contrat de travail en France ne pourraient pas être impactées (24). Plus exactement, face à un employeur qui ne verserait pas d'indemnités de congés payés ou, plus vraisemblablement, qui ne ferait pas bénéficier à ses salariés de l'ensemble de leurs droits à congés annuels, le droit à report d'une année sur l'autre ne permettrait pas au délai légal de prescription de commencer à courir qu'à compter de la rupture du contrat de travail. Cette solution résonne nécessairement avec la décision rendue par la Chambre sociale au mois de septembre dernier qui gardait le silence pour seule réponse à l'argumentation du moyen invoquant la prescription quinquennale alors en vigueur et semblait ainsi permettre aux juges du fond de condamner l'employeur à des rappels de congés payés jusqu'à 2003 (25).


(1) CJUE, 22 novembre 2011, aff. C-214/10, point 37 (N° Lexbase : A9722HZ4 ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0069ETQ) et les obs. de Ch. Willmann, Directive 2003/88/CE : une réglementation nationale peut autoriser l'extinction du droit aux congés payés non pris pour le salarié en incapacité de travail, Lexbase, éd. soc., n° 465, 2011 (N° Lexbase : N9160BS3).
(2) V. déjà CJUE, 22 mai 2014, aff. C-539/12, point 17 (N° Lexbase : A6294MLP).
(3) CJCE, 20 janvier 2009, aff. C-350/06 et C-520/06, point 28 (N° Lexbase : A3596EC8 ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0069ETQ), RJS, 2009, p. 263, note J.-Ph. Lhernould.
(4) Points 36 à 40.
(5) Par ex., CJUE, 15 septembre 2016, aff. C-439/14, point 46 (N° Lexbase : A9160RZB) : "lorsqu'ils définissent les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits conférés par les Directives 89/665 (N° Lexbase : L9939AUN) et 92/13 (N° Lexbase : L7561AUL) aux candidats et aux soumissionnaires lésés par des décisions des pouvoirs adjudicateurs, les Etats membres doivent garantir le respect du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, consacré à l'article 47 de la Charte".
(6) Working Time Regulations, art. 30 : "Un travailleur peut saisir un Employment Tribunal lorsque l'employeur a refusé de lui permettre d'exercer un droit dont il jouit en vertu : [...] de l'article 13, paragraphe 1 [...] ou ne lui a pas payé tout ou partie d'une somme qui lui est due en vertu de [...] l'article 16, paragraphe 1".
(7) Points 43 à 45.
(8) Par ex., s'agissant des mesures de rétorsion en réaction à une action en justice, v. CJUE, 14 octobre 2010, aff. C-243/09, point 66 (N° Lexbase : A7318GBN ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0334ETK) ; s'agissant du délai de forclusion de quinze jours pour agir en nullité du licenciement d'une salariée enceinte, CJUE, 8 juillet 2010, aff. C-246/09, point 35 (N° Lexbase : A0460E4S ; cf. l’Ouvrage Droit du travail N° Lexbase : E5481EXB).
(9) CJUE, 27 juin 2013, aff. C-93/12 (N° Lexbase : A7718KHC).
(10) Sur lesquels v. P. Girerd, Les principes d'équivalence et d'effectivité, RTD eur., 2002, p. 75.
(11) CJUE, 8 juillet 2010, préc., point 35.
(12) Point 44.
(13) CJCE, 20 janvier 2009, préc., point 28.
(14) Ibid..
(15) CJUE, 22 novembre 2011, préc., points 29 et 30.
(16) Ibid..
(17) CJUE, 22 avril 2010, aff. C-486/08, point 29 (N° Lexbase : A7838EW9).
(18) Point 59.
(19) Points 63 et 64.
(20) En particulier en raison, précisément, de l'articulation du droit français avec la Directive 2003/88, v. notre étude, Rapport annuel de la Cour de cassation pour l'année 2016 : durée du travail et contrat de travail, Lexbase, éd. soc., n° 709, 2017 (N° Lexbase : N9773BWU) ; N. Chavrier et L. Chabaud, Les congés payés : panorama des obligations françaises à l'aune des exigences du droit de l'Union européenne, JCP éd. S, 2015, 1359 ; P. Florès, Les congés payés à l'heure de la Directive, SSL, n° 1731, 2016, p. 7.
(21) En dernier lieu, v. Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-24.022, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3785WSY ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0069ETQ et (N° Lexbase : E3213ET8) et nos obs., Congés payés : il est temps que le législateur cesse de se reposer sur la Cour de cassation !, Lexbase, éd. soc., n° 714, 2017 (N° Lexbase : N0468BXM).
(22) Ibid..
(23) Une période de report doit être garantie et doit permettre au travailleur "de pouvoir disposer, au besoin, de périodes de repos susceptibles d'être échelonnées, planifiables et disponibles à plus long terme et dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée", CJUE, 22 novembre 2011, préc..
(24) C. trav., art. C. trav., art. L. 1471-1, al. 1er (N° Lexbase : L8076LG9).
(25) Cass. soc., 21 septembre 2017, préc..

Décision

CJUE, 29 novembre 2017, aff. C-214/16 (N° Lexbase : A6999W3M)

Question préjudicielle (Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), 30 mars 2016)

Texte concerné : Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L5806DLM).

Mots-clés : congés payés annuels ; report ; droit au recours effectif.

Lien base : (N° Lexbase : E0069ETQ).

newsid:461676

Distribution

[Brèves] Licéité de l'interdiction faite par un fournisseur de produits de luxe à ses distributeurs agréés de vendre les produits sur une plate-forme internet tierce

Réf. : CJUE, 6 décembre 2017, aff. C-230/16 (N° Lexbase : A5558W4M)

Lecture: 2 min

N1663BXU

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par Vincent Téchené

Le 14 Décembre 2017

Un fournisseur de produits de luxe peut interdire à ses distributeurs agréés de vendre les produits sur une plate-forme internet tierce telle qu'Amazon ; une telle interdiction est, en effet, appropriée et ne va pas en principe au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver l'image de luxe des produits. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la CJUE le 6 décembre 2017 (CJUE, 6 décembre 2017, aff. C-230/16 N° Lexbase : A5558W4M).

En premier lieu, la Cour précise qu'un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l'image de luxe de ces produits n'enfreint pas l'interdiction des ententes prévue par le droit de l'Union2 , pour autant que les conditions suivantes sont respectées : d'une part, le choix des revendeurs doit s'opérer en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, et, d'autre part, les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.

Elle constate, en second lieu, que l'interdiction des ententes prévue par le droit de l'Union ne s'oppose pas à une clause contractuelle qui interdit aux distributeurs agréés d'un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l'image de luxe de ces produits de recourir de façon visible à des plateformes tierces pour la vente sur internet des produits concernés, dès lors que les conditions suivantes sont respectées. D'abord, cette clause doit viser à préserver l'image de luxe des produits concernés. Ensuite, elle doit être fixée d'une manière uniforme et appliquée d'une façon non discriminatoire. Enfin, elle doit être proportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Il appartient alors aux juridictions nationales de vérifier si tel est le cas. La Cour observe à, cet égard, que, sous réserve de ces vérifications, la clause litigieuse apparaît licite en l'espèce. En particulier, eu égard à l'absence de relation contractuelle entre le fournisseur et les plates-formes tierces lui permettant d'exiger de ces plates-formes le respect des conditions de qualité qu'il a imposées à ses distributeurs agréés, autoriser les distributeurs de recourir à de telles plates-formes sous la condition que ces dernières répondent à des exigences de qualité prédéfinies ne peut pas être considéré comme étant aussi efficace que l'interdiction litigieuse. Enfin, dans l'hypothèse où le juge allemand conclurait, en l'espèce, que la clause litigieuse tombe, en principe, sous l'interdiction des ententes prévue par le droit de l'Union, la Cour observe qu'il n'est pas exclu que cette clause puisse bénéficier d'une exemption par catégorie. En effet, l'interdiction litigieuse ne constitue ni une restriction de la clientèle, ni une restriction des ventes passives aux utilisateurs finals.

newsid:461663

Droit financier

[Brèves] Autorisation de la blockchain pour l'enregistrement de titres

Réf. : Ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017, relative à l'utilisation d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers (N° Lexbase : L5575LHX)

Lecture: 2 min

N1679BXH

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par Vincent Téchené

Le 14 Décembre 2017

Un ordonnance, publiée au Journal officiel du 9 décembre 2017 (ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017, relative à l'utilisation d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers N° Lexbase : L5575LHX), modifie le Code monétaire et financier afin de permettre la représentation et la transmission, au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP), des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d'un dépositaire central de titres (DCT) ni livrés dans un système de règlement et de livraison d'instruments financiers.

L'ordonnance a retenu le champ le plus large possible au vu de l'habilitation donnée, à savoir l'ensemble des titres qui ne sont pas admis aux opérations d'un DCT, et, en pratique, ceux pour lesquels l'émetteur pourra décider de l'inscription dans un DEEP. Cette catégorie recouvre notamment :
- les titres de créance négociables ;
- les parts ou actions d'organismes de placement collectif ;
- les titres de capital émis par les sociétés par actions et les titres de créance autres que les titres de créance négociables, à condition qu'ils ne soient pas négociés sur une plate-forme de négociation.
Le terme de "dispositif d'enregistrement électronique partagé" employé correspond à la technologie blockchain. Cette désignation demeure large et neutre à l'égard des différents procédés afin de ne pas exclure des développements technologiques ultérieurs. Elle recouvre les principales caractéristiques de la blockchain : sa vocation de registre et son caractère partagé. Sur le fond, l'ordonnance permet de conférer à l'inscription d'une émission ou d'une cession de titres financiers dans une blockchain les mêmes effets que l'inscription en compte de titres financiers. Elle ne crée pas d'obligation nouvelle, ni n'allège les garanties existantes relatives à la représentation et à la transmission des titres concernés. Les dispositions au sein du Code monétaire et financier et du Code de commerce relatives aux titres financiers sont ajustées pour permettre le recours à ce dispositif. Un décret en Conseil d'Etat fixera les conditions applicables à l'inscription de titres financiers dans un DEEP. Un délai est prévu s'agissant de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, fixée au plus tard au 1er juillet 2018, afin de ménager un temps d'élaboration des mesures d'application.

newsid:461679

Droit financier

[Brèves] Préjudice causé par le non-respect d'un mandat de gestion

Réf. : Cass. com., 6 décembre 2017, n° 16-23.991, F-P+B+I (N° Lexbase : A6093W4G)

Lecture: 1 min

N1673BXA

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par Vincent Téchené

Le 14 Décembre 2017

Le préjudice causé par le non-respect d'un mandat de gestion est constitué par les pertes financières nées des investissements faits en dépassement du mandat, indépendamment de la valorisation éventuelle des autres fonds investis et de l'évolution globale du reste du portefeuille géré conformément au mandat. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 6 décembre 2017 (Cass. com., 6 décembre 2017, n° 16-23.991, F-P+B+I N° Lexbase : A6093W4G).

En l'espèce, une société a confié, le 14 janvier 2010, à une autre société un mandat de gestion portant sur une certaine somme. Selon le mandat, l'objectif assigné à la gestion était "d'obtenir la valorisation du capital confié sans prendre de risque", selon une gestion prudente et en vue de l'obtention d'une performance régulière, l'offre de gestion préconisant un "profil prudent investi à 100 % en obligations convertibles de bonne qualité". Courant 2010, la mandataire a investi certains montants dans des obligations émises par l'Etat grec. Le 4 octobre 2012, la société mandante a résilié le mandat et, après avoir cédé les titres litigieux et constaté une moins-value qu'elle estimait avoir été fautivement causée par sa mandataire, elle l'a assignée en réparation de son préjudice. La cour d'appel ayant fait droit à ces demandes (CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 30 juin 2016, n° 14/07263 N° Lexbase : A8994RUN), la mandataire s'est pourvue en cassation.

Enonçant le principe précité, la Haute juridiction rejette le pourvoi : après avoir retenu que certains des titres choisis par la mandataire ne répondaient pas aux orientations du mandat de gestion prudente, à l'absence de tout risque expressément stipulé par la mandante et à la catégorie des obligations de bonne qualité définies par l'une des agences mentionnées dans l'offre de gestion, ce dont elle a déduit que la mandataire n'avait pas respecté son mandat, la cour d'appel a, à bon droit, décidé que le préjudice causé par la faute ainsi caractérisée était constitué par la perte financière constatée lors de la cession des titres litigieux et par celle de tout rendement de ces investissements.

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Égalité de traitement

[Brèves] Du respect du principe d'égalité de traitement entre les salariés embauchés avant et après la mise en place d'un nouveau barème conventionnel

Réf. : Cass. soc., 7 décembre 2017, n° 16-14.235, FS-P+B (N° Lexbase : A1183W7X)

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N1702BXC

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par Charlotte Moronval

Le 15 Décembre 2017

Le principe d'égalité de traitement ne fait pas obstacle à ce que les salariés embauchés postérieurement à l'entrée en vigueur d'un nouveau barème conventionnel soient appelés dans l'avenir à avoir une évolution de carrière plus rapide dès lors qu'ils ne bénéficient à aucun moment d'une classification ou d'une rémunération plus élevée que celle des salariés embauchés antérieurement à l'entrée en vigueur du nouveau barème et placés dans une situation identique ou similaire. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 décembre 2017 (Cass. soc., 7 décembre 2017, n° 16-14.235, FS-P+B N° Lexbase : A1183W7X).

Dans cette affaire, une salariée est engagée par une association en qualité d'aide-monitrice. Promue à des fonctions d'aide-soignante, la salariée obtient également le CAP d'aide-médico-psychologique.

Contestant l'attribution du coefficient 460, à l'occasion de l'entrée en vigueur de la nouvelle grille de classification issue de l'avenant n° 250 du 11 juillet 1994 à la Convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées du 15 mars 1966, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes de paiement d'un rappel de salaire et de dommages-intérêts. La cour d'appel (CA Pau, 28 janvier 2016, n° 13/03177 N° Lexbase : A8365N4L) retient l'existence d'une inégalité de traitement et fait droit à la demande de rappel de salaire. L'association forme un pourvoi en cassation.

Enonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse et annule l'arrêt de la cour d'appel au visa du principe d'égalité de traitement et de l'avenant n° 250 du 11 juillet 1994 à la Convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées. En statuant comme elle l'a fait, sans constater que des salariés engagés après l'entrée en vigueur du nouveau barème conventionnel avaient bénéficié d'une classification ou d'une rémunération supérieures à celles de Mme X, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E2592ET8).

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Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Sur l'imputation, sur leurs revenus fonciers, du déficit d'une SCI transparente par les usufruitiers - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 10° et 9° ch.-r., 8 novembre 2017, n° 399764, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8547WY9)

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N1751BX7

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par Aurélie Bretonneau, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 14 Décembre 2017

Le Conseil d'Etat, par une décision rendue le 8 novembre 2017, a jugé qu'en cas de démembrement de la propriété des parts d'une société de personnes détenant un immeuble, qui n'a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, l'usufruitier de ces parts est soumis à l'impôt sur le revenu à raison de la quote-part des revenus fonciers correspondant aux droits dans les résultats de cette société que lui confère sa qualité ; lorsque le résultat de cette société de personnes est déficitaire, l'usufruitier peut déduire de ses revenus la part du déficit correspondant à ses droits (CE 10° et 9° ch.-r., 8 novembre 2017, n° 399764, mentionné aux tables du recueil Lebon). Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Aurélie Bretonneau. La question que pose ce dossier a pour triple qualité d'être unique, inédite et même intéressante. Il s'agit de décider si les usufruitiers de parts d'une société civile immobilière (SCI) transparente peuvent ou non imputer, à hauteur de leur quote-part, le déficit de cette dernière sur leurs revenus fonciers.

La réponse négative qu'a faite la cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 15 mars 2016, n° 14BX01701 N° Lexbase : A5328RAL) par l'arrêt attaqué a pour elle des arguments juridiques solides qui avaient d'ailleurs convaincu d'autres cours auxquelles elle a emboîté le pas (CAA Lyon, 25 mai 2010, n° 08LY00786 N° Lexbase : A7655E3W : RJF, 12/10, n° 1172, mais sur un autre point ; CAA Paris, 11 décembre 2012, n° 11PA02059 N° Lexbase : A9765I7S). Nous nous en séparons pourtant et vous proposerons d'apporter à la question une réponse positive, que nous croyons plus conforme à la réalité économique et, à travers elle, à l'objectif de neutralité de l'imposition. Or, c'est l'objectif qui, en l'absence d'indication du législateur quant au cap à tenir, tient d'ordinaire lieu de boussole à vos orientations jurisprudentielles.

L'article 8 du CGI (N° Lexbase : L1176ITQ), celui qui soumet les sociétés de personnes à un régime de translucidité fiscale, s'est longtemps borné à prévoir la soumission à l'impôt sur le revenu de leurs associés pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. Rien n'était dit, dans cette formule, du cas particulier des sociétés de personnes dont les parts ont fait l'objet d'un démembrement de propriété. En conséquence, l'administration, prenant acte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle seul le nu-propriétaire a qualité d'associé (v. not. Cass. com., 4 janvier 1994, n° 91-20.256 N° Lexbase : A4835AC3 : RJDA, 5/94, n° 526, Bull. civ. IV, n° 10 ; côté juridiction administrative, v. CAA Nancy, 6 juillet 1995, n° 94NC00957 N° Lexbase : A5433BGC, RJF, 10/95, n° 1148), en a déduit que seul le nu-propriétaire, à l'exclusion de l'usufruitier, était redevable de l'impôt sur les résultats de la société à hauteur de la totalité de sa quote-part, quand bien même d'ailleurs il n'en aurait tiré aucun fruit (Rép. min. M. Valleix, 23 décembre 1996, JOAN, p. 6735, n° 24606). La doctrine administrative a, par la suite, consenti une exception pour les seules SCI, en admettant que le bénéfice foncier était taxable entre les mains de l'usufruitier (Inst., 20 août 1996, BOI 5 D-5-96, n° 5 N° Lexbase : X0189AAA).

La loi du 2 juillet 1998 (N° Lexbase : L1474AIG) est venue modifier l'article 8 pour y régler le sort des sociétés de personnes démembrées. Etendant à l'ensemble de ces sociétés la solution consacrée par la doctrine pour les seules SCI, elle a prévu qu'"En cas de démembrement de la propriété de tout ou partie des parts sociales, l'usufruitier est soumis à l'impôt sur le revenu pour la quote-part correspondant aux droits dans les bénéfices que lui confère sa qualité d'usufruitier. Le nu-propriétaire n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l'usufruitier". Il en résulte que l'usufruitier est désormais imposé à raison du bénéfice courant de l'exercice, tandis que le nu-propriétaire est imposé à raison des résultats exceptionnels.

Cette répartition de l'imposition des bénéfices ne pose pas de difficulté dans le présent litige. Ce qui pose problème, c'est la façon de traiter les déficits. Pour les requérants, qui avaient gagné devant le tribunal administratif, les déficits sont le pendant des bénéfices, de sorte que l'imposition sur les bénéfices emporte l'imputation des déficits sur ces derniers. Pour le ministre, auquel la cour a donné raison, seuls les bénéfices, c'est-à-dire les fruits de l'exploitation, sont l'affaire de l'usufruitier (les déficits étant, à l'instar des pertes, l'affaire exclusive de l'associé seul chargé d'en répondre).

Nous avons dit que la thèse du ministre, partagée par la cour, avait pour elle des arguments juridiques. L'un est de texte, l'autre tient aux rôles théoriques respectifs du nu-propriétaire et de l'usufruitier dans la société.

L'argument de texte nous semble par lui-même assez peu décisif. Il est tiré de ce que l'article 8 dispose que : "l'usufruitier est soumis à l'impôt sur le revenu pour la quote-part correspondant aux droits dans les bénéfices que lui confère sa qualité d'usufruitier". L'utilisation du terme "bénéfices" en lieu et place de résultat témoignerait de ce que le législateur a voulu instaurer un partage d'imposition entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, et non substituer l'un à l'autre en qualité de redevable de l'impôt, ouvrant ainsi à l'usufruitier les droits qui s'attachent à la qualité de redevable, au nombre desquels le droit à l'imputation des déficits.

Cette lecture fait sens si l'on s'en tient à ce membre de phrase, mais ressort sérieusement affaiblie de l'examen de l'article dans son ensemble. En effet, immédiatement ensuite, il est précisé qu'en conséquence de cette imposition, "Le nu-propriétaire n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l'usufruitier". Surtout, ces précisions viennent juste après l'énoncé du principe selon lequel les associés des sociétés de personnes qui n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux sont "personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société". Or, il est de jurisprudence constante que la soumission des associés à l'impôt sur le revenu, assise sur cette formule, vaut aussi bien pour les bénéfices que pour les déficits que l'associé peut évidemment imputer (v. par ex. CE 8° et 9° s-s-r., 18 juin 1980, n° 15186, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8166AIB ; CE 3° et 8° ch.-r., 6 juillet 2016, n° 377904, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6113RWC)

Toujours s'agissant du texte, le ministre, au-delà de sa lettre, en convoque l'esprit, en se prévalant des travaux parlementaires, que la cour administrative d'appel mentionne aussi au soutien de sa solution. L'argument est plus troublant, car il est vrai qu'on y lit, sous la plume des sénateurs Lambert et Marini, rapporteurs au nom de la commission des finances, qu'il s'agit de mettre fin au paradoxe consistant à imposer le nu-propriétaire alors que l'usufruitier "appréhende le plus souvent la totalité des bénéfices sociaux" et bénéficie "d'un flux régulier de revenus dont on peut se demander s'il ne devrait pas être soumis à l'IR". On y lit aussi qu'il convient "de prendre en compte la vocation naturelle de l'usufruitier à l'appréhension effective des bénéfices sociaux et d'éviter la double-imposition qui pourrait résulter des règles actuelles" (imposition du nu-propriétaire en tant qu'associé et de l'usufruitier du fait de la perception d'un revenu). On parle enfin de "partage de l'imposition".

Mais là encore, tout est question de focale, et l'on trouve quand on l'élargit des formules qui pourraient plaider pour la thèse des requérants : il s'agit "d'assujettir l'usufruitier à l'impôt sur le revenu à raison de la quote-part de ce résultat qui lui revient et d'exonérer le nu-propriétaire à hauteur du même montant", de faire de l'usufruitier le "redevable [...] à hauteur de ses droits financiers", étant précisé qu'il s'agit des "droits financiers de l'usufruitier sur le résultat courant d'exploitation"... Quant à la phrase selon laquelle le "nu-propriétaire [...] pratiquerait le cas échéant l'imputation des déficits", elle est logée dans un paragraphe du rapport qui laisse entendre qu'il s'agirait des déficits exceptionnels et non courants.

Ni la lettre, ni les travaux préparatoires de la loi n'étant déterminants, il reste le second argument du ministre, selon lequel, pour faire simple, l'usufruitier ne répond que des fruits, tout le reste étant l'affaire du nu-propriétaire. Cette solution s'adosse à l'article 578 du Code civil (N° Lexbase : L3159ABM) selon lequel : "L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance", et se prévaut de l'inspiration de votre jurisprudence (v. CE 3° et 8° s-s-r., 15 décembre 2010, n° 297513, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6625GNP).

Pour ce qui est de cette dernière décision, vous peinerez à en tirer quelque chose pour l'affaire qui nous occupe. Vous deviez répondre à la question des conséquences sur les revenus de l'associé d'une remise en cause, par l'administration, du déficit fiscal déclaré par une société de personnes, lorsque son associé n'a pas déduit de ses revenus personnel le déficit déclaré par la société. Vous avez jugé que, contrairement au raisonnement mené sur le bénéfice de la société, qui lorsqu'il est redressé doit être ajouté à hauteur de sa quote-part aux revenus de l'associé sans qu'il y ait lieu de rechercher si celui-ci a perçu la somme correspondante, la remise en cause par l'administration d'un déficit conduisant à lui substituer un bénéfice imposable ne conduit à établir une imposition supplémentaire au nom de l'associé que dans la seule mesure de la part du bénéfice lui revenant, et à réintégration du déficit qu'à la condition expresse qu'il ait été déduit. Vous vous êtes donc montrés capables de distinguer intellectuellement le traitement fiscal des bénéfices et des déficits dans le cadre de l'article 8 du CGI. Mais la question était si différente de celle dont vous avez à connaître que nous ne pensons pas qu'il faille en déduire une règle générale d'appréhension différenciée.

Reste la répartition des rôles dans une société démembrée. Il est certain que contrairement au nu-propriétaire, l'usufruitier n'a pas la disposition de la substance et que vous en avez tiré des conséquences dans vos décisions. A titre d'exemple, d'une ligne directrice selon laquelle l'usufruitier est assujetti aux impôts liés à la jouissance du bien et le nu-propriétaire à ceux résultant de sa détention, vous avez déduit que c'est le nu-propriétaire qui est redevable de l'impôt sur les plus-values en cas de cession (CE 9° s-s., 28 octobre 1966, n° 68280, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9456B8Q, DF, 1966, n° 49, comm. 1139 ; Dupont, 1966, n° 8929, p. 535), ou encore que les sociétés qui ne détiennent que l'usufruit des titres dont elles perçoivent les produits, parce qu'elles n'ont pas de droits équivalents à ceux du propriétaire vis-à-vis du capital et de l'exercice du droit de vote, sont exclus du régime fiscal des sociétés mères, dont le bénéfice repose sur un critère de détention (CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2012, n° 321224, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1440IDP). Vous avez encore marqué votre compréhension de ce que la vocation de l'usufruitier est de jouir des fruits du bien par une récente décision (CE 8° et 3° ch.-r., 24 février 2017, n° 395983, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2372TPK), précisément rendue à propos d'un cas de démembrement de la propriété de parts d'une société de personnes détenant un immeuble donné en location, et qui précise que le nu-propriétaire ne saurait être regardé comme disposant d'un revenu à ce titre, de sorte que les intérêts d'emprunts contractés par lui pour financer l'acquisition de la nue-propriété ne peuvent être regardés comme une charge exposée en vue de l'acquisition ou la conservation de revenus fonciers, ceux-ci étant captés par le seul usufruitier.

De cette répartition des rôles, le ministre retient en premier lieu que seul le nu-propriétaire, à l'exclusion de l'usufruitier, est amené en sa qualité d'associé à répondre des pertes de la société (v. not., Cass. civ. 3, 6 juillet 1994, n° 92-12.839 N° Lexbase : A6855ABI : RJDA, 12/94, n° 1310). Il en déduit que tout ce qui est solde négatif ne regarde que le nu-propriétaire, et qu'il en va notamment ainsi des déficits, qui sont en quelque sorte la prémisse d'une perte et en tous cas le contraire d'un fruit juteux.

Ainsi, toutefois que le relevait le rapporteur public devant la cour et que l'a souligné la doctrine en réaction à l'arrêt litigieux, ce raisonnement procède d'une assimilation des déficits aux pertes qui est sujette à caution. C'est en effet uniquement dans l'hypothèse où la société ne serait pas en mesure d'honorer ses dettes que le nu-propriétaire serait amené à en répondre en sa qualité d'associé. Autrement dit, s'engager à contribuer aux pertes de la société n'oblige à l'égard des créanciers de la société que lorsque celle-ci fait défaut, et n'impose pas de consentir à une augmentation du capital de la société à chaque exercice déficitaire en vue de l'éponger. Il existe donc un lien potentiel entre déficit généré par des charges courantes et perte relevant de la responsabilité du seul associé, mais il n'est pas aussi mécanique que l'affirment l'arrêt et l'administration.

Et nous en arrivons au premier contre-argument de logique économique, qui vient de ce qu'en vertu de l'article 608 du Code civil (N° Lexbase : L3195ABX), c'est bien l'usufruitier, et pas le nu-propriétaire, qui est tenu de supporter les charges courantes, qui font le lit des déficits courants. Il y est même tenu "au-delà de son émolument, c'est-à-dire au besoin sur ses biens personnels, si les fruits ne suffisent pas" (1). De sorte qu'affirmer que l'usufruitier ne connaît que des fruits et est indifférent à la question des déficits nous semble un peu court, et peu conforme à la réalité. A titre de comparaison, vous jugez que dans le cas d'un immeuble démembré entre un nu-propriétaire et un usufruitier, les dépenses de réparation de cet immeuble sont déductible des bases de l'impôt dû par celui qui en a effectivement supporté la charge (CE Sect., 7 février 1975, n° 90196, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7609AYH, RJF, 3/75, n° 118 ; CE 9° et 7° s-s-r., 6 décembre 1978, n° 10238, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5358AIB, RJF, 1/79, n° 21), ce qui, en principe, s'agissant de dépenses courantes, sera le cas de l'usufruitier.

Un second argument du même ordre s'attache aux conséquences concrètes en matière de droit à déduction qu'aurait la position de la cour et de l'administration. Vous savez qu'en vertu de l'article 156 du CGI (N° Lexbase : L2412LE3), les déficits fonciers s'imputent exclusivement sur les revenus fonciers et non sur le revenu global. Or, dans des hypothèses comme la nôtre, il revient au seul usufruitier des parts de la SCI de percevoir les revenus liés à l'immeuble qu'elle détient. Vous l'avez très clairement jugé par une récente décision relative au cas de démembrement de la propriété de parts d'une société de personnes détenant un immeuble donné en location, pour en déduire que, dès lors le nu-propriétaire n'est pas regardé comme disposant d'un revenu foncier à ce titre, les intérêts des emprunts contractés personnellement par lui pour financer l'acquisition de la nue-propriété de ces parts ne peuvent être regardés comme une charge exposée en vue de l'acquisition ou la conservation d'un revenu foncier déductibles de revenus fonciers à ce titre (CE 8° et 3° ch.-r., 24 février 2017, n° 395983, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc.). Mais symétriquement, il s'en déduirait que le droit à l'imputation des déficits issus de travaux de réparations courantes, s'il était fermé à l'usufruitier, n'en serait pas nécessairement ouvert pour autant au nu-propriétaire. En raison de la tunnellisation des déficits fonciers, ces déficits ne pourraient être déduits par le nu-propriétaire qu'à la condition que ce dernier dispose par ailleurs de revenus fonciers provenant d'un autre immeuble, et encore, car à défaut de supporter les charges ayant entraîné le déficit, celui-ci ne devrait normalement pas lui être imputable.

Bref, il nous semble que la position retenue par la cour est à l'origine d'une double distorsion.

D'une part, elle conduit à éloigner la situation de l'usufruitier d'un immeuble démembré, qui sera imposable sur les revenus fonciers déduction faite des charges, de celle de l'usufruitier de parts de SCI démembrées qui, pour sa part, sera imposé sur les bénéfices sans déduction possible des charges qu'il aura assumées. Cette distinction est intellectuellement concevable, car translucide ou pas, la personnalité de la société s'interpose et l'usufruit porte sur les parts et non sur l'immeuble : l'on peut donc raisonner en soutenant que l'usufruitier n'est imposé que sur les bénéfices distribués, donc positifs, tout ce qui est négatif étant transféré au passif de la société sous la responsabilité du nu-propriétaire. Même si c'est là faire peu de cas de ce que l'usufruitier transverse en réalité la fiction juridique de la personnalité morale pour s'acquitter des charges courantes d'entretien de l'immeuble.

D'autre part, elle institue, par un risque de déperdition systémique du droit à déduction, une distorsion de taille entre les sociétés dont la propriété est démembrée et les autres.

A ce double risque, l'administration répond seulement que ce n'est pas bien grave, dès lors que l'usufruitier et le nu-propriétaire pourront toujours déroger à ce partage par voie de convention (CE 3° et 8° s-s-r., 18 décembre 2002, n° 230605, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4709A7K ; v. aussi CE, 10 février 1943, n° 69981 et 70232, p. 33 ; CE 8° s-s., 8 novembre 1967, n° 69696, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5902B7Q ; mutatis mutandis, CE 9° s-s., 28 octobre 1966, n° 68280, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9456B8Q ; côté doctrine de l'administration, inst. 4 F-2-99 du 8 novembre 1999 N° Lexbase : X7270ABU, DF, 99, n° 4, inst. 12.336 ; également, CE plén., 26 avril 1976, n° 93212, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7848B88, RJF, 6/76, n° 272, DF, 31977, n° 10, comm. 352, concl. D. Fabre ; CE 9° et 8° s-s-r., 13 mai 1988, n° 49437, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7060AP8, RJF, 7/88, n° 892). C'est vrai, mais cela nous semble un peu maigre, dès lors où comme nous vous l'avons dit, la lettre du texte qui seule a emporté la position de la Cour ne dicte pas une lecture contraire à la réalité économique et à la neutralité fiscale.

Or, c'est bien un double objectif de neutralité fiscale qui sous-tend votre jurisprudence. Cet objectif guide, d'une part, la jurisprudence en cas de démembrement de la propriété, dont vous estimez qu'il doit en principe être sans incidence sur la possibilité de déduire les charges de la propriété (vous l'avez réaffirmé avec force par une décision : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2014, n° 366008, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3295MG7) (2). D'autre part, c'est le même principe de neutralité qui guide la jurisprudence en matière de société de personnes : c'est en vertu de ce principe que vous réputez, indépendamment de la question du démembrement, les bénéfices acquis à la clôture de l'exercice même si les associés n'ont pas pu en disposer, et que la quote-part de leur déficit est déductible à la date de cette clôture ; c'est en vertu de ce principe encore que vous déterminez les modalités de détermination du prix de revient d'une société de personnes (CE 3° et 8° s-s-r., 16 février 2000, n° 133296, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0346AUD).

En croisant ces deux inspirations jurisprudentielles, on en arrive à l'idée qu'une société dont la propriété des parts est démembrée et qui possède un immeuble doit être fiscalement traitée au plus proche possible d'une SCI non démembrée, elle-même traitée, en ce qui concerne la déduction des déficits, comme il en irait pour la propriété d'un immeuble.

C'est pourquoi nous proposons en définitive d'accueillir le moyen d'erreur de droit.

Par ces motifs nous concluons à l'annulation, au renvoi à la cour administrative d'appel de Bordeaux, et à l'octroi aux requérants de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.


(1) Ce sont les termes du fascicule "Usufruit" du répertoire Dalloz de droit civil.
(2) Portant précisément sur un cas d'exception légale à la tunnellisation des déficits fonciers, pour lequel vous avez jugé que le démembrement de la propriété était sans incidence.

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Libertés publiques

[Brèves] Liberté de religion : un témoin ne doit pas être obligé de retirer une calotte dans un prétoire...

Réf. : CEDH, 5 décembre 2017, n° 57792/15 (disponible en anglais)

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N1667BXZ

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par Marie Le Guerroué

Le 14 Décembre 2017

Punir pour outrage à magistrat un témoin au seul motif que celui-ci a refusé d'enlever sa calotte, symbole religieux, devant la cour n'était pas nécessaire dans une société démocratique et méconnaissait le droit fondamental de l'intéressé de manifester sa religion. Ainsi statue la Cour européenne des droits de l'Homme dans un arrêt du 5 décembre 2017 (CEDH, 5 décembre 2017, n° 57792/15, disponible en anglais).

Dans cette affaire, M. H., témoin dans le cadre d'un procès pénal fut expulsé du prétoire, reconnu coupable d'outrage à magistrat et frappé d'une amende pour avoir refusé d'enlever sa calotte.

La Cour constate, tout d'abord, que rien n'indique que M. H. ait fait preuve d'un manque de respect au cours du procès. Elle rend, par conséquent, la décision susvisée, et estime que les autorités bosniaques ont outrepassé "l'ample marge d'appréciation" qui leur était accordée et ont, ainsi, méconnu l'article 9 de la CESDH (N° Lexbase : L4799AQS).

Elle souligne, ensuite, que la situation de M. H. doit être distinguée des affaires concernant le port de symboles et vêtements religieux sur le lieu de travail, notamment par des agents publics qui, eux, ont un devoir de discrétion, de neutralité et d'impartialité, notamment le devoir de ne pas porter des symboles et vêtements religieux lorsqu'ils exercent des fonctions officielles.

newsid:461667

Procédure civile

[Brèves] De la communication du recours en révision au ministère public

Réf. : Cass. civ. 2, 7 décembre 2017, n° 15-14.686, F-P+B (N° Lexbase : A1155W7W)

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N1678BXG

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par Aziber Seïd Algadi

Le 14 Décembre 2017

Le recours en révision est communiqué au ministère public, en première instance comme en appel. Lorsque le recours est formé par citation, cette communication est faite, à peine d'irrecevabilité du recours, par son auteur, qui dénonce la citation au ministère public. Dans les autres cas, la communication est faite à la diligence du juge. Telle est la solution retenue par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 7 décembre 2017 (Cass. civ. 2, 7 décembre 2017, n° 15-14.686, F-P+B N° Lexbase : A1155W7W ; il convient de préciser que cette formalité est d'ordre public ; en ce sens, Cass. civ. 1, 12 février 2002, n° 98-22.606, FS-P N° Lexbase : A9935AXA ; Cass. civ. 2, 17 février 2011, n° 10-15.401, F-D N° Lexbase : A2270GXD).

Dans cette affaire, M. T. et M. G. étant propriétaires de fonds voisins, ce dernier a été condamné, par un jugement du 5 janvier 2005, devenu irrévocable, à couper les branches de ses arbres dépassant sur le fonds de M. T. et à procéder à l'élagage de lauriers à une certaine hauteur. Par acte du 3 février 2012, M. G. a assigné M. T. devant le tribunal d'instance ayant rendu ce jugement à fin de révision de celui-ci. Il a ensuite interjeté appel du jugement du 27 février 2013 déclarant irrecevable sa demande en révision, ainsi que les demandes qui en étaient la conséquence, et prononçant sa condamnation à des dommages-intérêts pour procédure abusive. La cour d'appel (CA Versailles, 13 janvier 2015, n° 13/02321 N° Lexbase : A2494M9A) a confirmé le jugement, sauf en ce qui concerne le quantum des dommages-intérêts.

L'arrêt est censuré par la Haute juridiction, qui retient qu'en statuant ainsi, alors que la communication de l'affaire en cause d'appel du jugement statuant sur le recours en révision incombait à la cour d'appel et qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que le recours en révision a été communiqué au ministère public, la cour d'appel a violé les articles 428 (N° Lexbase : L6532H73) et 600 (N° Lexbase : L8424IUK), dans sa rédaction issue du décret n° 2012-1515 du 28 décembre 2012 (N° Lexbase : L7997IUQ), du Code de procédure civile (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1458EUK).

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Procédure pénale

[Brèves] Indépendance du Parquet : conformité à la Constitution des dispositions établissant un lien de subordination entre les magistrats du Parquet et le garde des Sceaux

Réf. : Cons. const., décision n° 2017-680 QPC, du 8 décembre 2017 (N° Lexbase : A6818W4B)

Lecture: 2 min

N1674BXB

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par June Perot

Le 14 Décembre 2017

Les dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (N° Lexbase : L5336AGQ), selon lesquelles "les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du Garde des sceaux, ministre de la Justice [..]", sont conformes à la Constitution dès lors qu'il existe une conciliation équilibrée entre l'indépendance de l'autorité judiciaire et les prérogatives du Gouvernement. Telle est la position adoptée par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 8 décembre 2017 (Cons. const., décision n° 2017-680 QPC, du 8 décembre 2017 N° Lexbase : A6818W4B).

Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 27 septembre 2017 par le Conseil d'Etat (CE, 27 septembre 2017, n° 410403 N° Lexbase : A0357WTE). L'Union syndicale des magistrats, rejointe par plusieurs intervenants, reprochait à ces dispositions de méconnaître le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire qui découle de l'article 64 de la Constitution (N° Lexbase : L0893AHK), au motif qu'elles placent les magistrats du Parquet sous la subordination hiérarchique du Garde des sceaux, alors que ces magistrats appartiennent à l'autorité judiciaire et devraient bénéficier à ce titre, autant que les magistrats du siège, de la garantie constitutionnelle de cette indépendance. Pour le même motif, le syndicat reprochait également à cet article de méconnaître le principe de séparation des pouvoirs, dans des conditions affectant le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire.

Opérant un contrôle de conciliation, le Conseil constitutionnel a mis en balance, d'une part, l'autorité du Garde des sceaux et, d'autre part, les prérogatives des magistrats du Parquet. Il retient, principalement, que cette autorité du Garde des sceaux se manifeste notamment par l'exercice de son pouvoir de nomination et de sanction, ainsi que par sa faculté d'adresser aux magistrats du ministère public des instructions générales de politique pénale, lesquelles doivent être mises en oeuvre par ce dernier. Il rappelle que le ministre de la Justice ne peut pas adresser aux magistrats du Parquet des instructions dans des affaires individuelles (suppr. par la loi du 25 juillet 2013 N° Lexbase : L9267IXI), que le Parquet est titulaire de l'exercice de l'action publique, qu'il a la possibilité de développer oralement les observations qu'il juge convenables et, enfin, qu'il dispose de l'opportunité des poursuites.

Pour ces raisons, le Conseil constitutionnel, juge que les dispositions contestées assurent une conciliation équilibrée entre le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et les prérogatives du Gouvernement. Elles ne méconnaissent pas non plus la séparation des pouvoirs.

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Social général

[Brèves] Refus de suspension par le Conseil d'Etat de deux ordonnances "Macron"

Réf. : CE référé, 7 décembre 2017, n° 415243 (N° Lexbase : A6808W4W) et n° 415376 (N° Lexbase : A6809W4X)

Lecture: 2 min

N1672BX9

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par Charlotte Moronval

Le 14 Décembre 2017

Estimant soit que les arguments soulevés n'étaient pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des articles contestés, soit que l'urgence à la suspension des dispositions contestées n'était pas démontrée, le juge des référés du Conseil d'Etat rejette les recours de la CGT contre les ordonnance n° 2017-1386 (N° Lexbase : L7628LGM) et n° 2017-1387 (N° Lexbase : L7629LGN) du 22 septembre 2017 dans deux décisions du 7 décembre 2017 (CE référé, 7 décembre 2017, n° 415243 N° Lexbase : A6808W4W et n° 415376 N° Lexbase : A6809W4X ; lire aussi la décision CE référé, 16 novembre 2017, n° 415063 N° Lexbase : A1981WZE et les obs. Ch. Radé N° Lexbase : N1448BXW).

La CGT a saisi le juge des référés du Conseil d'Etat de demandes de suspension de l'exécution des articles 2, 4, 15 et 16 de l'ordonnance n° 2017-1387 relatifs notamment à l'encadrement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif ou encore à la possibilité pour un employeur de préciser les motifs de licenciement après un licenciement et de l'article 1er de l'ordonnance n° 2017-1386 prévoyant la création d'une instance de représentation du personnel unique dénommée comité social et économique en remplacement des trois instances existantes que sont les DP, le CE et le CHSCT.

Enonçant la solution susvisée, le Conseil d'Etat rejette, dans sa totalité, les deux demandes de suspension. Plus précisément, le juge des référés a estimé que tant l'article 4 que l'article 16 de l'ordonnance n° 2017-1387 doivent être précisés par des décrets qui n'ont pas encore été pris, ils ne sont donc pas immédiatement applicables. Il en va de même des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance n° 2017-1386 relatives aux comités économiques et sociaux. En ce qui concerne les dispositions relatives au conseil économique, la CGT n'établit pas l'urgence qu'il y aurait à en suspendre l'exécution. En ce qui concerne l'article 2 de l'ordonnance n° 2017-1387, les arguments invoqués par la CGT selon lesquels cet article a pour effet de priver les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse d'une indemnisation adéquate et d'une réparation appropriée du préjudice subi ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité. S'agissant enfin des modalités d'appréciation de la cause économique d'un licenciement définies par l'article 15 de cette même ordonnance, le juge des référés estime que les arguments soulevés par la CGT, notamment celui tiré de la rupture d'égalité selon que l'entreprise à laquelle appartient le salarié fait ou non partie d'un groupe, ne sont pas non plus de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cet article.

Il est précisé que le rejet de ces demandes ne préjuge toutefois pas de l'appréciation que portera le Conseil d'Etat sur la légalité des deux ordonnances, sur laquelle il se prononcera dans les prochains mois.

newsid:461672

Urbanisme

[Brèves] Respect des préoccupations d'environnement par l'autorité compétente pour délivrer un permis de construire

Réf. : CE 1° et 6° ch.-r., 6 décembre 2017, n° 398537, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6241W4W)

Lecture: 1 min

N1671BX8

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par Yann Le Foll

Le 14 Décembre 2017

S'il n'appartient pas à l'autorité compétente pour délivrer un permis de construire d'assortir ce permis délivré pour une ICPE de prescriptions relatives à son exploitation et aux nuisances qu'elle est susceptible d'occasionner, il lui incombe, en revanche, le cas échéant, de tenir compte des prescriptions édictées au titre de la police des installations classées ou susceptibles de l'être. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 6 décembre 2017 (CE 1° et 6° ch.-r., 6 décembre 2017, n° 398537, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6241W4W).

Les requérants ont soutenu devant la cour que le permis litigieux était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-15 du Code de l'urbanisme alors en vigueur (N° Lexbase : L7381HZE), faute de comporter des prescriptions spéciales destinées à limiter les incidences du projet sur l'environnement.

Cependant, ayant relevé qu'il ressortait des pièces du dossier qu'une demande d'autorisation de regroupement d'installations d'élevage au titre de la police des ICPE était en cours d'instruction devant l'autorité compétente à la date de délivrance du permis litigieux, la cour n'a entaché son arrêt d'aucune erreur de droit en jugeant que les requérants n'étaient pas fondés à se prévaloir, pour contester la légalité de ce permis au regard des dispositions de l'article R. 111-15, de la circonstance, qui concernait l'exploitation de l'installation, que l'augmentation du nombre de porcs présents sur le site génèrerait des nuisances supplémentaires, notamment en ce qui concerne le volume du lisier et la teneur en nitrates des milieux aquatiques (cf. l’Ouvrage "Droit de l'urbanisme" N° Lexbase : E5636E7U).

newsid:461671

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