La lettre juridique n°724 du 21 décembre 2017

La lettre juridique - Édition n°724

Ohada

[Doctrine] La compétence extracommunautaire des tribunaux judiciaires OHADA (première partie)

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N1545BXI

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par Bahoken Valeri Lesmont, Chargé de cours à l'Université de Douala-Cameroun

Le 21 Décembre 2017

La réaction du juge judiciaire OHADA n'est pas la même selon que le litige, dont il est saisi, est interne à l'ordre juridique communautaire ou alors, présente des points de contact avec l'étranger. Lorsque le litige comprend un élément d'extranéité, il soulève la question de la compétence extracommunautaire des tribunaux judiciaires OHADA. Cette compétence est directe et parfois indirecte. Elle est directe lorsqu'il s'agit pour le juge de créer un droit à partir des Actes uniformes OHADA et indirecte dès lors que ledit juge est appelé à mettre en oeuvre les voies d'exécution. Toutefois, dans cette seconde hypothèse, en ce qui concerne spécifiquement l'exequatur d'une décision régulièrement acquise à l'étranger, la préoccupation du juge communautaire sera essentiellement, la sauvegarde de l'ordre public international réellement OHADA. L'objectif affirmé des seize Etats signataires du traité de Port-Louis du 17 octobre 1993, relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique, tel que révisé à Québec le 17 octobre 2008 (N° Lexbase : L3251LGI) (1), était de favoriser, à travers des règles uniformes, sur les matières qui s'y rapportent, l'émergence d'un "pôle économique" entre les Etats-parties (2). En fait, à partir d'un cadre institutionnel (3) et législatif (4) supranational, l'on met en place un espace économique intégré. Comme l'avait pertinemment relevé le Professeur Paul-Gérard Pougoué, avec l'OHADA, "on ne part plus de l'espace économique intégré pour induire quelques principes juridiques communs, on cherche l'intégration juridique pour faciliter les échanges et les investissements et garantir la sécurité juridique des activités des entreprises" (5).

Or, personne ne peut remettre en cause aujourd'hui, l'influence de l'Ecole du droit libre sur la construction juridique contemporaine. Cette Ecole, qui prend le contre-pied du normativisme juridique (6), nous enseigne en effet que le droit est le produit des forces sociales, il est l'oeuvre de la société et non de l'Etat. Ainsi, le législateur ou le juge ne fait qu'une interprétation des réalités sociales pour établir des normes. Pour cette Ecole, "le droit est ainsi rattaché directement à la société, et non plus à l'Etat. La prétention d'un monopole de l'Etat pour engendrer et constater le droit est inadmissible, car le droit vient spontanément des forces profondes de la société"(7). Les "sources réelles" du droit au regard de ce courant de pensée, remontent donc aux réalités sociales, et les "sources formelles", n'en sont que le produit.

Loin de rentrer dans la contradiction de cette pensée, on remarquera, toutefois, que le monde est devenu un village planétaire. En effet, "l'économie contemporaine est dominée par le concept de mondialisation" (8). Les progrès technologiques ont transformé l'humanité, bref, "la techné en tant qu'effort humain dépasse les fins pragmatiquement limitées des temps antérieurs" (9). Cette réalité sociologique, antérieure à l'OHADA, a fortement influencé son avènement. Par l'effet de la mondialisation, les échanges internationaux et extracommunautaires se sont accentués. Les hommes nouent des relations d'affaires à travers les frontières. Les entreprises, établies dans des pays distincts, passent des contrats de plus en plus importants et ceci, avec les techniques les plus modernes. Pour ces derniers d'ailleurs, ces relations transfrontalières qu'ils établissent bien au-delà de l'espace OHADA, semblent être à la fois la condition de leur survie et de leur expansion. Les règles adoptées par le législateur OHADA (10) doivent donc prendre en compte ces considérations qui vont bien au-delà du droit communautaire (11).

Cette exigence est d'autant plus importante que l'accroissement des échanges internationaux ne va pas sans conflits. En effet, au-delà des conflits de lois dans l'espace, la question des conflits de juridiction peut se poser.

S'agissant des conflits de lois dans l'espace (12), on peut imaginer qu'un contrat commercial conclu entre une entreprise d'un Etat membre de l'OHADA et une entreprise étrangère, soulève des questions liées à la loi applicable, c'est-à-dire que la règle matérielle de l'OHADA entre en concurrence avec une loi étrangère. Le contentieux peut porter sur la forme du contrat ou encore dans le fond. Des règles de répartition de la compétence législative, d'origines légales, jurisprudentielles voire conventionnelles ont été élaborées afin de résoudre ledit conflit (13). En effet, si dans le cadre communautaire, les Etats-parties ont cherché à instaurer des règles de fond, directement applicables et insusceptibles, en principe, de générer les conflits de lois, afin de sécuriser au maximum l'activité économique (14), il n'en demeure pas moins qu'au plan extra-communautaire, ces règles peuvent être mises en concurrence avec d'autres dispositions législatives. Le juge saisi, sera donc amené à choisir la loi la plus apte à régir le rapport de droit considéré.

La multiplication des échanges extracommunautaires peut aussi générer des conflits de juridictions. A la différence des conflits de lois, il ne s'agira plus ici de choix de la loi applicable, mais bien, cette fois, de compétence judiciaire internationale, pour le cas du juge chargé de l'application des Actes uniformes OHADA, susceptible d'être saisi de compétence judiciaire extracommunautaire, à cause de l'élément d'extranéité dont est revêtu le rapport de droit.

La différence entre les conflits de lois et les conflits de juridictions est traditionnelle. Alors que les premiers "sont normalement résolus dans un pays donné au moyen de règles de répartition attribuant la situation à une loi interne donnée" (15), les seconds répondent à la question de savoir, dans quelles circonstances une personne physique ou morale de droit privé, dans un litige international, qui entend faire prévaloir ses droits, peut saisir les tribunaux d'un pays donné, d'un ordre judiciaire spécifique. Bien plus, en matière de conflits de juridiction, les règles qui sont affectées pour résoudre ledit conflit sont matérielles et directes, alors que les règles de répartition sont indirectes et par principe, empreintes de neutralité car ce sont des instruments de désignation de la loi applicable (16). Les matières qui concernent les conflits de juridiction sont la compétence internationale des tribunaux nationaux, la procédure qui y est applicable et l'effet dans le for des jugements étrangers.

En réalité, les questions de conflits de juridictions sont importantes dès lors qu'il n'y a pas, du moins en droit privé, de juridiction supranationale appelée à connaître de tous les litiges qui en relèvent. Au même moment, l'accès au juge, qui se présente comme un droit fondamental, impose que toute personne qui estime que ses droits ont été lésés, puisse accéder à un tribunal pour que celui-ci statue sur sa prétention, que la question soulevée soit interne ou revêtue d'un élément étranger pour le juge saisi.

Les juridictions qui relèvent de l'ordre juridique OHADA peuvent ainsi être saisies même si le rapport juridique présente des points de contact avec l'étranger. D'où la question de savoir : quelles sont les circonstances qui peuvent amener les tribunaux chargés d'appliquer le droit OHADA à se reconnaître compétents lorsque la situation juridique qui leur est soumise est revêtue d'un élément d'extranéité ? Cette interrogation s'annonce pleine d'intérêt, à double titre.

En premier lieu, il convient de rappeler qu'à travers l'uniformisation du droit, l'OHADA a créé un véritable ordre juridique. Or, "l'ordre juridique est à la fois, un ordre normatif et un ordre judiciaire" (17). L'ordre normatif est constitué de toutes les dispositions du droit OHADA (Actes uniformes, Traité, Règlements, etc.), lesquelles appellent des juges pour leur application aussitôt qu'elles sont invoquées. L'ordre judiciaire est composé de l'ensemble des juridictions chargé de l'application des desdits Actes avec à sa tête, la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA). Par conséquent, l'expression "tribunaux judiciaires OHADA" est relative à l'ensemble des juridictions qui ressortissent de cet ordre, de ce système judiciaire en marge de l'arbitrage OHADA. Ces juridictions appartiennent aux Etats-parties et sont placées sous le contrôle de la CCJA. C'est donc une organisation judiciaire bien définie, revêtue d'un objectif précis qui est celui de l'application des Actes uniformes dans tout contentieux y relatif et comprenant des juridictions d'instance et d'appel des Etats-parties avec au sommet, la CCJA qui est en réalité, la "Cour suprême commune" (18) sur le plan communautaire.

En effet, au sein de ces Etats, il n'y pas de juridictions spécialisées pour l'application du droit OHADA. Ce sont les juridictions nationales d'instances et d'appels qui se prononcent préalablement sur le litige concerné (19), la CCJA étant un troisième degré de juridiction (20). Outre les avis consultatifs qu'elle rend sur la sollicitation d'un Etat-partie, des juridictions d'instance ou d'appel et du Conseil des ministres, l'on sait qu'elle est saisie (21) dans le cadre d'un recours exercé contre une décision d'une juridiction d'appel, ou insusceptible d'appel rendue par une juridiction nationale (22) soit lorsque le litige soulève des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des Règlements prévus au Traité (23), à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales ou encore, sur renvoi d'une juridiction nationale, statuant en cassation (24). Elle se prononce en fait et en droit en cas de recours ou de renvoi sus évoqué.

C'est une organisation pyramidale (25) avec au-bas de la pyramide, les juridictions de fond des Etats-parties, lesquelles sont obligées d'appliquer les Actes Uniformes à cause de leur supranationalité et leur effet direct et, au sommet, la CCJA qui veille à l'harmonie de la jurisprudence OHADA. Comme l'a résumé un auteur, il appartient au juge national d'assurer la protection juridique des justiciables en ce qui concerne l'applicabilité des Actes Uniformes, c'est à lui qu'est confiée la mission de veiller quotidiennement à la bonne application du droit communautaire alors qu'il revient au juge communautaire, "d'assurer l'appréciation de la validité et l'interprétation uniforme du droit communautaire" (26). La question concerne donc à la fois, la CCJA et les juridictions internes appelées à appliquer ce droit.

En second lieu, la question porte sur la vie internationale marquée, en ce qui concerne le monde des affaires, par des échanges transfrontaliers et extracommunautaires. La mise en place de l'OHADA avait pour but, entre autres, de répondre à ces échanges par des règles de droit simples, modernes et homogènes de manière à favoriser les investissements étrangers pour l'essor des économies des Etats-parties. Comme le relève un auteur, les gestions différenciées "de l'héritage commun avaient conduit à des décalages législatifs qui pouvaient brouiller la lisibilité des règles en vigueur dans la Région- surtout par des investisseurs potentiels d'origine lointaine, européenne ou américaine" (27), l'ordre juridique OHADA ne peut donc être refermé sur lui-même, sans portes. L'occasion nous est donc donnée de mesurer l'ouverture du juge judiciaire OHADA vers la société internationale, la compétence dudit juge dans les conflits extracommunautaires. A l'examen, on réalise que, face à cette typologie de litige, il existe une compétence directe du juge OHADA (I) à côté d'une compétence indirecte dominée par les voies d'exécution (II) (cf. sur la seconde partie N° Lexbase : N1546BXK).

I - La compétence directe des tribunaux judiciaires OHADA dans les litiges extracommunautaires

La compétence directe du juge OHADA dans les litiges extracommunautaires, renvoie aux situations dans lesquelles le juge communautaire est directement appelé à se prononcer en fait et en droit dans les litiges comportant des éléments étrangers à l'ordre juridique OHADA. C'est à dire que l'affaire soumise au juge présente un point de contact avec un pays tiers par rapport à l'OHADA. Les situations sont nombreuses, il peut s'agir du caractère extracommunautaire des parties dans un contrat commercial, d'un litige entre des sociétés immatriculées à l'étranger et n'ayant que des succursales dans l'espace OHADA, d'un bail à usage professionnel non écrit entre deux étrangers etc.. Deux conditions sont indissociables pour déterminer la compétence directe du juge OHADA, il s'agit du rattachement du litige à l'ordre judicaire OHADA (A) et l'application des Actes uniformes (B).

A - Le rattachement du litige à l'ordre judiciaire OHADA

En droit international privé, la compétence internationale est attribuée rationne loci, c'est-à-dire que l'affaire est soumise à une organisation judiciaire précise, à un groupe de juridiction donné. C'est quand cet ordre judiciaire a été désigné que le demandeur rentre dans le droit judiciaire privé interne et s'adresse à une juridiction précise en fonction des règles de compétence d'attribution ainsi prévues. Dans l'ordre international, la compétence judiciaire est d'abord géographique avant d'être matérielle. Le principe est donc la transposition dans l'ordre international, avec quelques adaptations, des règles de compétence territoriale interne (1.), à moins que le rapport juridique soit assorti d'une clause attributive de juridiction (2.).

1 - La transposition dans l'ordre international des règles de compétence territoriale interne

Dans l'arrêt "Pelassa", la Cour de cassation française a énoncé le "principe qui étend à l'ordre international les règles internes de compétence" (28) ainsi, chaque règle de compétence territoriale interne a donc vocation à être érigée en règle de compétence territoriale, ou à engendrer une telle règle, sous réserve des adaptations éventuellement rendues nécessaires par le fait que ces règles sont appelées à jouer lorsque le litige est international (29). Cette formule a été reprise par l'arrêt "Scheffel" : "la compétence internationale se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne" (30). Les règles de compétences territoriales internes, transposées au plan international, forment le droit commun de la compétence judiciaire internationale en droit international privé.

Ce principe énoncé par la jurisprudence française, trouve son application à l 'ordre judiciaire OHADA, du moins, s'agissant de l'instance et de l'appel (31). Ainsi, cet ordre judiciaire pourrait être saisi, soit en fonction du litige, lorsque la succursale de la société est située dans un des Etats-parties (a) soit par des règles tirées du commerce international (b).

a - Le tribunal du lieu de situation de la succursale de la société

Selon l'article 13 de l'Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique (N° Lexbase : L0647LG3), les statuts d'une société, doivent obligatoirement énoncer le siège social qui est, en réalité, le domicile de ladite personne morale (32). Ledit siège doit être fixé par les associés "soit au lieu du principal établissement de la société, soit à son centre de direction administrative et financière" (33). Il doit être localisé par une adresse ou une indication géographique précise (34) aux fins d'exploitation par toute personne intéressée. En principe, c'est par référence au siège social que la société peut être légalement rattachée, les actes de procédure devraient ainsi être notifiés audit siège.

Cependant, un assouplissement au tribunal du siège social de la personne morale a été apporté par la jurisprudence des "gares principales" (35). Les sociétés peuvent être assignées au tribunal du lieu de leurs succursales.

La jurisprudence des "gares principales" n'est pas étrangère à l'ordre judiciaire OHADA. La CCJA en a fait illustration dans l'affaire "A. Denis et autres contre Compagnie multinationale Air Afrique et autres" (36). Pour la Cour : "Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est à bon droit que la cour d'appel d'Abidjan a considéré que le tribunal d'Abidjan dans le ressort duquel se trouve l'un des sièges sociaux de la Multinationale Air Afrique, est bien compétent pour connaître de la procédure de cessation de paiement à elle présentée et ce, conformément à l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif [...]" qu'"aucune disposition tant du statut juridique que des statuts de la compagnie ne confère à celle-ci un caractère dérogatoire au droit commun des sociétés commerciales, le droit commun en la matière étant en Côte d'ivoire, le lieu du siège social, lieu du principal établissement" et constatant que "la compagnie Air Afrique n'était plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible", a prononcé la liquidation des biens.

En fonction de la nature du litige, l'ordre judiciaire OHADA peut être compétent en vertu d'autres règles tirées du commerce international.

b - La règle actor sequitur forum rei

Outre, le lieu de situation de la succursale de la société, la compétence des tribunaux judiciaires OHADA peut découler de l'application du principe actor sequitur forum rei, ou encore en matière de vente internationale de marchandise, de la règle du lieu de livraison de la chose.

En droit judiciaire privé, la règle actor sequitur forum rei est l'une des règles ordinaires et traditionnelle de compétence territoriale. Elle signifie que "le demandeur doit porter son action devant le tribunal du défendeur". Elle existe en droit romain, en droit canonique et est consacrée par toutes les législations modernes. Ce principe revendique une universalité et une permanence incontestable. La doctrine relève que la règle comprend des intérêts à la fois théorique et pratique.

Sur le plan théorique, elle défend diverses présomptions notamment, la présomption selon laquelle personne ne doit rien à personne et la théorie des apparences. Il est donc normal que celui qui entend faire tomber ces présomptions, "soit tenu de faire cette preuve devant le tribunal du domicile de celui qui va défendre à son action et qui, jusqu'à preuve du contraire, est considéré comme opposant une contradiction justifiée à sa prétention" (37). Sur le plan pratique, la règle protègerait le débiteur contre "les demandeurs malhonnêtes" (38) lesquels porteraient leur action partout, même à des lieux très éloignés du débiteur afin de favoriser sa faillite.

Il convient, toutefois, de préciser que cette règle rencontre des applications marginales en droit OHADA compte tenu de la spécificité de la matière. En effet, le principe actor sequitur forum rei trouve sa pleine expansion, nonobstant quelques aménagements (39), en ce qui concerne le statut personnel. En ce sens d'ailleurs, le Code de procédure civile du Cameroun est assez clair : "En matière personnelle, le défendeur sera assigné devant le tribunal de son domicile [...]" ; le droit OHADA traitant des questions du statut réel et du statut des actes juridiques tous, en relation avec l'objet (40) et le domaine (41) du Traité OHADA.

Cependant, sur la base de ce principe, l'ordre judiciaire OHADA peut revendiquer sa compétence surtout à partir de l'Acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement et voies d'exécution (N° Lexbase : L0546LGC). En effet, s'agissant de la procédure d'injonction de payer, l'article 3 dudit Acte uniforme dispose : "La demande est formée par requête auprès de la juridiction compétente du domicile ou du lieu où demeure effectivement le débiteur ou l'un d'entre eux en cas de pluralité de débiteurs". La règle revient en matière de saisie-conservatoire lorsque le créancier est dépourvu de titre exécutoire : "Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut, par requête, solliciter de la juridiction compétente du domicile du lieu où demeure le débiteur, l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur tous les biens mobiliers corporels ou incorporels de son débiteur [...]".

Trouvant sa pleine application au statut personnel, la règle actor sequitur, occupe une place relativement importante en droit des affaires et notamment, s'agissant du domaine déjà uniformisé par le législateur OHADA. Dans les contrats internationaux, diverses règles peuvent fonder la compétence de l'ordre judiciaire OHADA.

c - Les autres règles de compétence des tribunaux judiciaires OHADA

Aux termes de l'article 27 de l'Acte uniforme OHADA relatif aux contrats de transport de marchandises par route (N° Lexbase : L1410LGC), "tout litige auquel donne lieu un transport inter-Etats, [...] le demandeur peut saisir les juridictions du pays sur le territoire duquel :

a) le défendeur a sa résidence habituelle, son siège principal ou la succursale ou l'agence par l'intermédiaire de laquelle le contrat de transport a été conclu ;

b) la prise en charge de la marchandise a eu lieu ou les juridictions du pays sur le territoire duquel la livraison est prévue".

Le droit OHADA offre donc au demandeur une pluralité d'option en cas de transport de marchandise entre plusieurs Etats. Ces options vont du tribunal de la résidence habituelle du défendeur, du siège social, de la succursale de la société ou de l'agence intermédiaire avec laquelle le contrat de transport de marchandise par route a été conclu.

Il convient de relever que ces options offertes au demandeur sont plus importantes que dans certains droits nationaux à l'instar du droit français, lequel ne retient que la juridiction du lieu de livraison de la chose ou du lieu de la prestation de service (42). On peut remarquer que le droit OHADA innove en donnant l'opportunité au demandeur de porter l'affaire devant l'agence par l'intermédiaire de laquelle le contrat a été conclu. Ce droit OHADA est donc plus avantageux pour le demandeur car, même le tribunal du lieu de situation d'une simple agence, qui n'a ni personnalité juridique, ni une quelconque autonomie, peut être saisi par le demandeur.

En droit international privé, en matière de conflits de juridiction, le principe est donc la transposition dans l'ordre international des règles de compétence territoriale interne. Ainsi, en fonction du litige, le demandeur peut disposer de plusieurs options pour faire valoir ses prestations. Mais, dans la majorité des cas, notamment dans le commerce international, tout ceci est tributaire de l'absence dans le contrat d'une clause attributive de juridiction.

2 - La présence dans le contrat d'une clause attributive de juridiction

La clause attributive de juridiction est une manifestation du volontarisme juridique (43) dans le commerce international. Dérogeant aux règles ordinaires de compétence territoriale, elle exprime la liberté contractuelle, l'accord de volontés car elles permettent aux parties de choisir, par avance, le juge compétent appelé à connaître des litiges qui pourraient naître de leurs relations.

En effet, la clause attributive de juridiction est une disposition que les parties peuvent insérer au contrat, et par laquelle, ils conviennent de confier le règlement d'un litige éventuel survenu au cours de son exécution à une juridiction déterminée. Dans le cadre de notre étude, cette juridiction peut relever de l'ordre judiciaire OHADA. La jurisprudence souligne que pour être valable, la clause attributive de juridiction doit être autant licite que valable.

a - La licéité de la clause attributive de juridiction

Dans l'affaire "Cie des signaux et d'entreprises électriques c. société Sorelec" (44), la Cour de cassation française a posé le principe selon lequel, "les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites, lorsqu'il s'agit d'un litige international et que la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d'une juridiction française".

Pour la jurisprudence, la clause attributive de juridiction est licite si le litige présente un caractère international et si elle ne remet pas en cause la compétence territoriale exclusive d'une juridiction du for.

Le caractère international du litige traduit l'hypothèse dans laquelle le rapport juridique fait appel à des normes juridiques émanant de plusieurs Etats. En droit international privé, pour que la relation soit qualifiée comme telle, il suffit qu'elle soit subjectivement internationale "c'est-à-dire qu'elle présente à l'organe étatique saisie, un élément d'extranéité". (45) Tel était le cas en l'espèce, de ce contrat conclu entre deux sociétés françaises, devant s'exécuter en Lybie découlant du contrat de marchés de travaux conclu entre l'une des sociétés et l'organisme de marché public libyen. Pour qu'il soit international, le contrat doit mettre en exergue des lois appartenant aux systèmes juridiques différents.

Pour sa part, le caractère territorial et impératif d'une juridiction du for renvoie aux lois d'application immédiates encore appelées lois de police. Francescakis les définit comme des lois "dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique et sociale ou économique du pays" (46). Il s'agit concrètement d'un ensemble de règles substantielles internes "que le juge doit appliquer en principe immédiatement, avant tout raisonnement conflictuel" (47).

Ces deux conditions cumulatives sont essentielles pour la licéité de la clause attributive de juridiction, mais il faut encore que celle-ci soit valide.

b - La validité de la clause attributive de juridiction

Pour que la clause attributive de juridiction soit exécutoire, sa licéité n'est pas une condition suffisante. Elle doit être assortie de la validité. Cette dernière s'apprécie par la loi d'autonomie s'agissant des conditions de fond, et de la locus regit actum pour ce qui est des conditions de forme.

Les conditions de fond du contrat relèvent de la loi expressément ou implicitement choisie par les parties ; telle est la règle de conflit en matière d'acte juridique en droit international privé. Gounot aimait à dire, parlant du droit, "Que la volonté de l'individu soit faite" (48). L'acte juridique n'étant que la volonté productive d'effets juridiques, le juge même, doit l'interpréter selon l'intention des parties, en vérifiant entre autres, si le consentement était libre et intègre. Seule la volonté des parties doit donc prévaloir.

Cette réalité vaut aussi pour les contrats commerciaux internationaux et la jurisprudence est constante à cet effet : la loi applicable au contrat est celle que les parties ont adoptée, "cette manifestation peut être expresse, mais qu'elle peut s'induire des faits et circonstances de la cause ainsi que des termes du contrat" (49). En effet, à défaut de déclaration expresse des parties, il appartient au juge de fond de rechercher d'après l'économie du contrat et les circonstances de la cause, la loi voulue par les parties (50). En ce qui concerne la forme du contrat, la loi du lieu de conclusion de l'acte revêt un intérêt pratique. Effectivement, il est souhaitable que toute personne puisse, "là où elle se trouve, accomplir les formes extérieures requises pour la validité ou la preuve de l'acte" (51).

La clause attributive de juridiction est donc une prorogation conventionnelle de compétence qui permet aux parties sur la base d'un consentement librement exprimé, de déroger aux règles traditionnelles de compétence territoriale. Par cette clause, les parties peuvent décider de la saisine en cas de litige de l'ordre judiciaire OHADA, ou d'une juridiction spécifique de cette organisation judiciaire. Cependant, du fait de l'absence en droit interne de juridiction spécialisée pour l'application des Actes Uniformes, la clause attributive de juridiction, voire la désignation dudit ordre par les règles de compétence territoriale, doit être accompagnée de l'invocation des Actes uniformes précités.

B - L'invocation des Actes Uniformes au soutien des prétentions de l'une au moins des parties

Aux termes de l'article 13 du Traité OHADA : "le contentieux relatif à l'application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats-parties". Comme souligné en sus, les juridictions nationales de fond sont donc les juges de droit commun des Actes uniformes et la CCJA exerçant son rôle de cassation tout en gardant son droit d'évocation. Or, à cause de la non spécialisation des tribunaux internes des Etats, pour que la compétence directe des tribunaux OHADA soit réalisée, il faut que l'un des Actes uniformes soit invoqué par l'une des parties au soutien de sa prétention. Deux problématiques majeures peuvent ainsi voir le jour : le moment de l'invocation des Actes uniformes (1.) et le probable conflit en cas de pourvoi, entre la CCJA et la Cour suprême nationale concernée (2.).

1 - Le moment de l'invocation des Actes Uniforme OHADA

Dans un litige extracommunautaire, il ne suffit pas que l'ordre judiciaire OHADA, lequel par ailleurs, dans les droits internes des Etats n'est pas spécial, soit désigné pour que le droit OHADA s'applique. Il faut encore que la loi applicable au litige soit une disposition d'un Acte uniforme.

Traditionnellement, en droit international privé, il est admis que "la loi désignée comme devant régir le fond est en principe celle de l'Etat avec lequel la situation présente des liens étroits ou significatifs qu'aucune autre" (52). Cependant, le tribunal rendu compétent en vertu des règles sus évoquées, ne prétend pas nécessairement être celui "des liens les plus étroits", dans le cas contraire, il appliquera la loi étrangère désignée. Tel peut être le cas des tribunaux d'instance et d'appel de l'espace OHADA. Il y a donc une indispensable dissociation entre la compétence juridictionnelle et la compétence de fond.

Pour que le droit OHADA soit appliqué en dépit de la désignation des tribunaux de l'ordre OHADA, la CCJA précise qu'au moment de l'invocation de l'Acte uniforme concerné devant les juges de fond, il faut que celui-ci soit intégré dans l'ordre juridique interne du for. C'est une position désormais classique de la CCJA qui se réfère à la date de l'exploit introductive d'instance pour apprécier de l'applicabilité ou non de l'Acte uniforme invoqué. Cette position de la Haute juridiction s'est dégagée dès ses premières décisions et en des termes relativement précis (53). En vertu du principe de non rétroactivité, les litiges nés après l'entrée en vigueur des Actes uniformes et qui s'y rapportent, sont réglés par les juridictions nationales de fond sous le contrôle de la CCJA. Par contre, avant l'entrée en vigueur desdits Actes, ils sont tranchés par les juridictions nationales de fond sous le contrôle des cours suprêmes nationales (54).

L'Acte uniforme visé par l'une des parties au soutien de ses prétentions, doit donc être intégré dans l'ordre juridique du juge saisi. On voit bien en toute logique que l'exploit introductif d'instance auquel il est fait référence ici, renvoie à l'assignation, c'est-à-dire à l'acte de saisine du tribunal de première instance ou de grande instance. Si au moment de la saisine de l'une ou l'autre desdites juridictions, l'Acte uniforme en question n'était pas applicable dans le for, ledit Acte ne saurait retenir l'attention du juge sous peine de contrariété à son propre ordre juridique. Toute chose qui pourrait justifier la réformation de ladite décision par la cour d'appel et l'incompétence de la CCJA en cas de pourvoi ainsi formé.

Le moment de l'invocation des Actes uniformes OHADA est donc déterminant car, comme l'ont relevé certains auteurs, "le domaine matériel de l'OHADA, c'est-à-dire l'ensemble des matières juridiques susceptibles d'être régies par le droit uniforme semble être extensible à l'infini" (55). Il est donc nécessaire par conséquent, que les modalités et les délais de l'entrée en vigueur des Actes uniformes dans le territoire des Etats parties soient respectés (56). Cependant, au cours de son application, des conflits de juridictions peuvent naître entre la CCJA et les cours suprêmes nationales en cas de pourvoi.

2 - Le conflit entre la CCJA et les cours suprêmes nationales

Bien que le litige soit international, en cas de pourvoi, le conflit de juridiction peut naître entre la Cour suprême d'un Etat membre et la CCJA s'agissant d'un contentieux connexe, c'est-à-dire, mettant en exergue à la fois le droit interne et le droit OHADA.

Confrontée à cette question la Cour suprême du Niger par exemple, a reconnu sa compétente aux motifs que, dans ce cas, le renvoi de l'affaire à la CCJA, ne peut se justifier que "si l'application des Actes uniformes a été prépondérante pour la prise de la décision attaquée, et que le pourvoi est surtout basé sur ces Actes". Et, "qu'en l'espèce, le moyen mis en exergue est la violation de la procédure de référé, que la CCJA n'est exclusivement pas compétente que lorsque le pourvoi est basé uniquement sur l'application des Actes uniformes" (57). On note donc dans l'espace OHADA, des résistances des Cours suprêmes nationales et la Cour suprême du Niger, soulève un argument pour le moins curieux : le critère de prépondérance des Actes uniformes pouvant justifier son application dans un contentieux connexe (58).

Pour remédier à ce problème qu'un auteur a qualifié d'"insuffisance du critère légal de répartition des compétences entre la CCJA et les Cours suprêmes nationales" (59), plusieurs solutions ont été formulées par la doctrine. On peut retenir parmi celles-ci, l'instauration d'un mode de sélection des recours, fondé sur l'enjeu financier du litige. Ainsi, les affaires dont l'enjeu financier ne dépasse pas une certaine somme d'argent seraient portées aux juridictions nationales et les autres, celles dont l'enjeu financier est conséquent seraient réservées à la CCJA (60). L'instauration d'une procédure préjudicielle, par ce moyen, toutes les fois où une juridiction nationale ou une autorité nationale à caractère juridictionnel en particulier, lorsque cette juridiction statue en dernier ressort, est appelée à connaître des questions de droit régional, qu'elle sursoie à statuer et interroge la CCJA pour l'interprétation de ce droit (61). L'élargissement de la compétence de la CCJA (62), dans cette logique, cette dernière serait investie du pouvoir d'interpréter les règles juridiques supranationales connexes à l'OHADA dans un procès. La relecture des dispositions organisant la cassation devant la CCJA, qui passe par "une exploitation optimale du système en vigueur en particulier les articles 14 et suivants du traité OHADA" (63).

Toutefois, il y a lieu de s'interroger sur l'intérêt de toutes ces propositions dès lors que les dispositions du traité OHADA nous paraissent dépourvues de toutes ambigüités. En effet, le degré de précision desdites règles notamment sur les modalités de saisine de la CCJA, tend à proscrire toute interprétation susceptible de remettre en cause le caractère supranational et transnational du droit OHADA. Pour s'en convaincre, selon l'article 14 du Traité, La CCJA assure l'interprétation et l'application communes du Traité ainsi que des règlements pris pour son application, des Actes uniformes et des décisions. Ainsi, "saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'Appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité [...]". La formule est à la fois rigide et précise et concerne toutes les affaires qui soulèvent l'application des Actes uniformes y compris les affaires connexes. Il suffit simplement que l'un des Actes uniformes OHADA soit appelé à s'appliquer et la CCJA sera compétente en cas de pourvoi.

La supériorité de la CCJA sur les cours suprêmes nationales est exprimée dans les dispositions suivantes du Traité. En premier lieu, la saisine de la CCJA "suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée" (64). La procédure ne pourra reprendre qu'après déclaration d'incompétence de ladite Cour, laquelle "peut être soulevée d'office ou par toutes les parties in limine litis" (65). Rien n'interdit dans ce cas, que cette déclaration d'incompétence soit partielle, renvoyant le reste aux juridictions nationales. En second lieu, la CCJA peut être saisie a posteriori, par toute partie, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision attaquée, rendue par une juridiction nationale statuant en cassation en méconnaissance de sa compétence. Dans ce cas, "si la Cour décide que cette juridiction s'est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue" (66).

Les affaires connexes n'échappent donc pas à la compétence de la CCJA, laquelle peut se déclarer incompétente sur des points qui ne relèvent pas de l'application des Actes uniformes, d'office ou sur demande de l'une des parties. Le conflit de juridiction entre la CCJA et les Cours suprêmes nationales se trouve donc difficilement justifié. Il semble résulter en réalité d'une "indiscipline" (67) des Cours suprêmes nationales, toute chose contraire aux objectifs d'unification du droit recherchés par l'OHADA. Or, comme le relevait certains auteurs, pour assurer "l'unité de jurisprudence" (68) dans l'ordre juridique OHADA, "cela suppose d'une part que l'on soit sensible à un minimum de courtoisie à l'égard de la CCJA découlant du caractère supranational du droit OHADA et de la nature quasi fédérale de cette haute juridiction, d'autre part qu'il y ait une parfaite collaboration entre les Cours suprêmes nationales et la CCJA. L'enjeu supérieur de l'harmonie du droit uniforme et de la sécurité des justiciables l'y invite" (69).

La compétence des tribunaux judiciaires OHADA dans un litige extracommunautaire n'est pas seulement directe. Parfois, dans cette typologie de litige, ces tribunaux peuvent être appelés à connaître d'un litige en cours à l'étranger ou déjà revêtue de l'autorité de chose jugée toujours à l'étranger sur des matières organisées par l'OHADA.


(1) Les seize Etats signataires sont les Républiques du Bénin, du Burkina Faso, du Cameroun, de la Centrafrique, des Comores, du Congo, de la Côte d'ivoire, du Gabon, de Guinée-Bissau, de Guinée-Conakry, Guinée Equatoriale, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Tchad et du Togo.
(2) Traité OHADA, art. 1 : "Le présent traité a pour objet l'harmonisation du droit des affaires dans les Etats parties par l'élaboration et l'adoption des règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en oeuvre de procédures judiciaires appropriées, et par l'encouragement au recours à l'arbitrage pour le règlement des différends contractuels".
(3) Traité, art. 3 : "La réalisation des tâches prévues au présent traité est assurée par une organisation dénommée Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA).
L'OHADA comprend la Conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement, le Conseil des ministres, la Cour Commune de justice et d'arbitrage et le Secrétariat permanent".
(4) V. Traité OHADA, art.10. Sur la portée abrogatoire des Actes uniformes, une abondante jurisprudence notamment, V., Avis n° 002/99/EP du 13 octobre 1999 sur demande de la République du Mali, Ohadata J.02.02 ; Avis n° 002/2000 EP du 26 avril 2000 sur demande de la République du Sénégal, Ohadata J.02-04 ; Avis n°1/2001/EP du 30 avril 2001 sur demande de la République de Côte d'ivoire, Ohadata J-02-04, Observations Joseph Issa-Sayegh et Sylvain Souop ; CCJA, 18 avril 2002, n° 012/2002, Ohadata J.02-65 ; CCJA, 26 décembre 2002 n° 21/2002, Ohadata J. 03-107. L'idée générale qui transparait de ces différentes jurisprudences est que, le droit interne des affaires de chaque Etat-partie se compose, d'une part des dispositions des Actes uniformes et d'autre part, de celles du droit interne ayant le même objet que ces Actes qui ont survécu. Sur le plan doctrinal, lire par exemple, Boukamani, Le juge interne et le droit OHADA, Penant, 2002, p. 146 et s.
(5) P.-G. Pougoue, OHADA, Instrument d'Intégration Juridique, RASJ, Vol.2, n° 2, 2001, p. 11.
(6) L'Ecole normative a pour Maître Hans Kelsen et l'idée de base ici, est que, "on ne peut constituer une science du droit, c'est-à-dire une théorie pure du droit qu'en faisant abstraction des éléments empruntés à des disciplines voisines, notamment des principes de la morale ou des postulats de la politique, éléments considérés comme 'métajuridiques'".(Pour d'amples éclaircissements sur ce courant de pensée, v. P. Roubier, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 2005, p. 60 et s., spéc., p. 61).
(7) P. Roubier, Théorie générale du droit, op. cit., p. 79.
(8) P. Tiger, Le droit des Affaires en Afrique, PUF, 1999, p. 11.
(9) V. H. Jonas, Le principe de responsabilité, Paris, les éditions du cerf, 1990, p. 35.
(10) Il n'est pas superflu de rappeler que, sur le plan institutionnel, l'OHADA a fortement respecté le principe de la séparation des pouvoirs élaboré par John Locke et surtout par Montesquieu (Esprit des lois, livre XI, chap. 6). Le conseil des ministres assure le pouvoir législatif de cette institution, le Secrétariat permanent constitue le pouvoir exécutif et la Cour commune de justice et d'arbitrage le pouvoir judiciaire. En ce sens, lire par exemple, A.-M. Mdontsa épouse Foné, OHADA : de quelques innovations juridiques, RASJ, Vol.2, n° 2, 2001, p. 81 et s..
(11) Il convient de relever que la volonté intégrationniste en Afrique ne se manifeste pas seulement à travers l'OHADA. La volonté de créer des pôles économiques est visible par exemple à travers la CEDEAO et l'UEMOA en Afrique de l'Ouest, la CEMAC, CEEAC en Afrique Centrale, la SADC en Afrique Australe.
(12) Il y a conflit de lois "toutes les fois qu'une situation juridique pouvant se rattacher à plusieurs pays, il faut choisir, entre les lois de ces différents Etats, celle qui sera appelée à régir le rapport de droit considéré". Y. Loussouarn et P. Bourel, Droit international privé, Paris, Dalloz, 1980, p. 5.
(13) Sur les différentes règles de conflits de lois, V. par exemple, P. Mayer et V. Heuze, Droit international privé, Paris, Montchrestien, 10ème éd., 2010, pp. 119-120.
(14) Pour les pères fondateurs de l'OHADA, la confusion des textes en Afrique sur le domaine du droit affaires était source en réalité d'une insécurité juridique. Comme le résume si bien P. Tiger, op. cit., p. 20, "la sédimentation désordonnée des sources du droit, sans que l'on sache toujours laquelle est véritablement applicable, la confusion des textes et les conflits entre les textes, les incertitudes même sur le droit applicable, ce cumul de facteurs avait créé une insécurité juridique", il s'imposait donc des règles uniformes afin de sécuriser les rapports de droit relevant de l'activité économique. L'on relève toutefois que les conflits de lois n'ont pas disparu. Par exemple, rien qu'en ce qui concerne la capacité à exercer le commerce, précisément la minorité ou encore, les conditions d'émancipation, compétence est laissée aux différentes lois nationales.
(15) B. Audit, Droit international privé, 6ème éd., Economica, 2010, p.10.
(16) Sur la neutralité de la règle de conflit, V.par exemple, Y. Loussouarn, La règle de conflit est-elle une règle neutre ?, TCFDIP, 1980, 81, p. 43 et s ; V. L. Bahoken, La méthode bilatérale de règlement des conflits de lois à l'épreuve des droits fondamentaux, Thèse, Université de Toulouse, 2009, p. 55 et s.. Dans le cadre de l'OHADA, on peut constater que, de façon quasi-systématique, le législateur OHADA définit pour chaque Actes Uniforme des règles conflits de lois dès l'article 1er intitulé : "Champ d'application". Ainsi, par exemple, s'agissant de l'AUDCG, les principales règles de rattachement sont, l'établissement ou le siège social dans un des Etats-parties, en matière de contrat de transport de marchandise par route, les règles de rattachement sont principalement, "le lieu de prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour sa livraison" lorsque lesdits lieux sont situés au moins sur le territoire d'un des Etats parties au traité et cela, quel que soit la nationalité ou le domicile des parties au contrat de transport.
(17) En ce sens, V. C. Ngono, Réflexions sur l'Espace judiciaire OHADA, Revue de l'ERSUMA, n° 6, 2016, p. 3.
(18) L'expression est empruntée à P.-G. Pougoue, OHADA, Instrument d'Intégration Juridique, op. cit., p. 24.
(19) Traité OHADA, art. 13.
(20) V. Traité, art. 14, al. 5 : "en cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond".
(21) Sur la compétence d'attribution de la CCJA, V. les articles 14 du Traité OHADA.
(22) V. par exemple : ordonnance n° 002/2000/CCJA du 26 avril 2000, RJCCJA, numéro spécial, janvier 2003, p. 78 ; Ohadata J-03-123 ; CCJA, 10 janvier 2002, n° 002/2002, RJCCJA, n° spécial, janv. 2003, p. 5 ; Ohadata J.02-24, en l'espèce, la Cour a statué en ces termes : "Attendu que l'examen des pièces du dossier de la procédure révèle que le jugement n°62 du 31 janvier 2001 du tribunal de commerce de Bamako, objet du présent pourvoi, est une décision rendue sur opposition à une ordonnance d'injonction de payer ; qu'en application de l'article 15 de l'Acte Uniforme susvisé, ledit jugement est susceptible d'appel dans les conditions du droit national du Mali ; que le jugement, dont pourvoi, n'étant donc ni une décision rendue par une juridiction d'appel malienne, ni une décision susceptible d'appel prononcée par toute autre juridiction malienne, c'est en violation des dispositions sus-énoncées de l'article 14 du Traité institutif de l'OHADA qu'il a fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant la Cour de céans ; que dès lors ledit pourvoi doit être déclaré irrecevable".
(23) V. par exemple : Ordonnance n° 002/2001/CCJA du 13 juin 2001, aff. "CNPS du Cameroun contre Sarl Pamol Plantations LTD", Ohadata J-03-125 ; Arrêt n° 019/2004 du 17 juin 2004, Aff. "Société Guinéenne d'Assurances Mutuelles dite SOGAM contre Société Nationale d'Assurances Mutuelles dite SONAM et autres" (RJCCJA n° 3, Janv.-juin 2004, p.34 et s.), Ohadata J-04-380.
(24) Traité, art. 15.
(25) En ce sens, V. C. Ngono, Article précité, p. 5.
(26) L. M. Ibriga, La juridictionnalisation des processus d'intégration en Afrique de l'Ouest : une hypothétique juridisation, Actes du Colloque sur les risques de conflits de normes et de juridictions entre l'OHADA et les organisations voisines, Lomé, octobre 2010, La documentation de l'OHADA, p. 22.
(27) P. Tiger, Le droit des Affaires en Afrique, op. cit., p. 9.
(28) Cass. civ. 1, 19 octobre 1959, n° 58-10.628 (N° Lexbase : A6656DP9), D., 1960, 37, note G. Holleaux.
(29) B. Audit, Droit international privé, Economica, 6ème éd., op. cit., n° 343, p. 305.
(30) Cass. civ. 1, 30 octobre1962, D., 1963, 109 note G. Holleaux, RC, 63.387, N. Francescakis, JDI, 63,1072 obs. Sialelli, GA, n° 37.
(31) Traité OHADA, art. 13 : "Le contentieux relatif à l'application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats -parties".
(32) Le domicile c'est lieu auquel la loi rattache la personne morale. Il a donc à la fois, un caractère de fixité et de permanence. Primordial dans l'ancien droit car, il traduisait le lien de rattachement, de sujétion d'une personne, la notion semble avoir perdu toute son importance au profit de la résidence habituelle ou d'habitation en matière de statut personnel. S'agissant des personnes morales, la flexibilité a été introduite avec la prise en compte en droit processuel, des succursales de la société.
(33) AUSCGIE, art. 24.
(34) AUSCGIE, art. 25.
(35) Cass. civ., 15 avril 1893, DP, 1894,1, 539 ; CA Caen, 4 novembre 1897, ibid, 1900, 2, 99 ; S., 1899, 2, 257, note Tissier, Bourges, 30 novembre 1903, S., 1904, 2, 108.
(36) CCJA, 8 janvier 2004, n° 004/2004 ([LXB=]), RJCCJA, janvier-juin 2004, p. 44 et s.
(37) S. Guinchard, F. Ferrand, Procédure civile, Paris, Dalloz, 28ème éd., 2006, n° 304, p. 333.
(38) Ibid.
(39) V. par exemple, C. pr. civ. français, art. 42 (N° Lexbase : L1198H47) : "La juridiction compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur [...]. Si le défendeur n'a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ou celle de son choix s'il demeure à l'étranger".
(40) V. Traité OHADA, art. 1er.
(41) V. Traité OHADA, art. 2.
(42) C. pr. civ. français, art. 46 (N° Lexbase : L1210H4L) : "Le demandeur peut saisir de son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service". Pour la jurisprudence, le lieu de livraison effective de la chose est celui où la livraison est matériellement intervenue, à l'exécution de celui où elle aurait dû intervenir (Cass. com., 3 novembre 1998, Bull. civ. IV, n° 291 ; Cass. com., 14 juin 1994, Bull. civ. n° 221).
(43) Pour d'amples explications sur cette philosophie, V. par exemple, M. Villey, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, Dalloz, 2002, p. 271 et s..
(44) Rev. crit. 1986, 537, note H. Gaudemet-Tallon, D., 1986, IR, 265, obs. B. Audit, GADIP, n° 72.
(45) P. Mayer, Droit international privé, Montchrestien, 2010, 10ème éd., p. 4.
(46) P. Francescakis, Trav. com. fr., DIP, 1966-1969.
(47) H. Kenfack, Droit du commerce international, Paris, Dalloz, 5ème éd., 2005, p. 34. Sur la définition des lois de police, V. par exemple l'article 9 du Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (dit "Rome I") (N° Lexbase : L7493IAR), applicable à tous les pays de l'Union européenne à l'exception du Danemark : "une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent Règlement".
(48) E. Gounot, Le droit contractuel, écrit fouillée en 1885, cité par M. Villey, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, op. cit., p. 277.
(49) Cass. civ., 5 décembre 1910, Rev. crit., 1911, 395, Clunet, 1912, 1156, S., 1911, 1, 129, GA, n° 11 ; Cass. civ., 21 juin 1950, Rev. crit., 1950, 609, note H. Battifol, D., 1951, 749, note J. Hamel, S., 1952, 1, 1, note J.-P. Niboyet, JCP, 1950, II, 5812, note J. Ph. Lévy, GA, n° 22. V. aussi pour d'amples explications sur ces arrêts, Ph. Mbida Balla, La volonté des parties et la détermination de la loi applicable aux contrats internationaux, Mémoire de Master II, Université de Douala, année académique, 2012-2013, p. 30 et s..
(50) En ce sens, V. "Société des Fourures Renel c. Allouche", Cass. civ. 1, 6 juillet 1959, Rev.crit., 1959, 708, note H. Batiffol, GA, n° 35.
(51) Y. Loussouarn, et P. Bourel, Droit international privé, Paris, Dalloz, 2ème éd., 1980, p. 468.
(52) B. Audit, Droit international privé, op. cit., p. 11.
(53) V., par exemple, CCJA, 11 octobre 2001, n° 003/2001 : "Attendu qu'il ressort de l'examen des pièces du dossier de la procédure que l'Acte Uniforme portant sur le Droit commercial général, entré en vigueur le 1er janvier 1998, n'avait pas intégré l'ordre juridique interne de la république du Mali à la date de la requête introductive d'instance, soit le 2 juillet 1997 et qu'il ne pouvait, de ce fait, être applicable ; que dans ce contexte spécifique, aucun grief ni moyen relatif à l'application de l'Acte uniforme invoqué n'avait pu être formulé et présenté devant les juges de fond par le requérant ; que dès lors, les conditions de compétence de la Cour commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA en matière contentieuse, telles que précisées à l'article 14 susvisé, n'étant pas réunies, il y a lieu, nonobstant l'arrêt de la Cour Suprême du Mali qui ne lie pas la Cour commune de justice et d'arbitrage, de se déclarer incompétent". Dans le même sens, CCJA, 11 octobre 2001, n° 001 /2001, RCCJA, n° spécial, janvier 2003, pp. 13-14 ; CCJA, 26 février 2004, n° 009/2004, RCCJA n° 3, Janv-juin 2004, p. 19. Ohadata J-04-294, note M. Brou Kouakou ; CCJA, 17 juin 2004, n° 023, RJCCA, n° 3, Janvier-Juin 2004, p. 40 et s. Ohadata J-04-384.
(54) V., en ce sens P. S. Owona Levoa, La Cour commune de justice et d'arbitrage, in P.-G. Pougoué, (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Lamy, 2011, p. 602, n° 48.
(55) P.-G. Pougoué, et Y. R. Kalieu Elongo, Introduction critique à l'OHADA, PUF, 2008, p. 68.
(56) On rappellera juste que, aux termes de l'article 9 du Traité OHADA : "Les Actes uniformes sont publiés au Journal officiel de l'OHADA par le Secrétariat Permanent dans les soixante jours suivant leur adoption. Ils sont applicables quatre-vingt-dix jours après cette publication, sauf modalités particulières d'entrée en vigueur prévues par les Actes uniformes".
(57) Cour suprême du Niger (chambre judiciaire), 16 août 2001, n° 01-158/C, Ohadata-j-02-28, obs. D. Abarchi ; sur cette affaire, V. A. Kanté, La détermination de la juridiction compétente pour statuer sur un pourvoi formé contre une décision rendue en dernier ressort en cas d'application des Actes Uniformes (observations sur l'arrêt de la Cour Suprême du Niger du 16 août 2001), Ohadata, D-02-29 ; P. Meyer, La sécurité juridique et judiciaire dans l'espace OHADA, Penant, n° 855, Ohadata.com, Ohadata D-06-50.
(58) Il est important de préciser que cette décision a été fortement critiquée par la doctrine. Sur l'ensemble de ces critiques, V. P. S. Owona Levoa, La Cour commune de justice et d'arbitrage", op. cit., p. 600, n° 41.
(59) V., J. Fometeu, Le clair-obscur de la répartition des compétences entre la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA et les Juridictions nationales de cassation, in A. Akam Akam, dir., Les mutations juridiques dans le système OHADA, L'Harmattan, 2009, p. 37.
(60) En ce sens, V., B. Diallo, L'OHADA : un exemple de convergences. Vaincre la résistance des juridictions suprêmes nationales les pistes possibles de réformes, Ohadata D-11-95.
(61) Ibid.
(62) Sur cette proposition, V., J. Issa Sayegh, La fonction juridictionnelle de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA, Ohadata D-02-16.
(63) Sur cette proposition, V., J. Fometeu, op. cit., p. 64 et s.
(64) Traité OHADA, art.16.
(65) Traité OHADA, art. 15.
(66) V. Traité, art. 18.
(67) L'expression est empruntée à B. Arabit, Réflexion sur les problèmes de cohabitation entre la CCJA et les juridictions nationales de cassation, Revue de droit uniforme africain, n° 3, p. 82 ; Ohadata D-11-72, p. 3.
(68) V., Akam Akam, L'OHADA et l'intégration juridique en Afrique, in Akam Akam A (dir.), Les mutations juridiques dans le système OHADA, op. cit., p. 29.
(69) P.-G. Pougoué, et Y. R. Kalieu Elongo, Introduction critique à l'OHADA, op. cit., p. 166.

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Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Noir c'est noir : la convention d'honoraires face au mauvais payeur

Réf. : Cass. civ. 2, 23 novembre 2017, n° 16-25.120, F-P+B (N° Lexbase : A5803W3C)

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par Pierre-Louis Boyer, Maître de conférences HDR, CREDO-UCO- IODE Rennes 1

Le 21 Décembre 2017

Une nouvelle fois, la Cour de cassation vient rappeler un point de déontologie de la profession d'avocat, à savoir la date à laquelle les honoraires peuvent être exigés et plus particulièrement, avec l'arrêt du 23 novembre 2017 de la deuxième chambre civile, les honoraires de résultat. Le cas d'espèce est assez classique. Nous sommes dans une procédure de divorce et l'épouse a confié sa défense à un avocat avec lequel elle a signé, le 3 mars 2010, une convention d'honoraires comprenant honoraire de diligence et honoraire de résultat dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial.

Le 9 mars 2010, la cour d'appel de Montpellier a renvoyé les époux divorcés devant notaire pour établissement de l'acte partage. Mais, suite à ce renvoi devant l'officier ministériel, l'avocat de Madame n'a pu obtenir de la part de sa cliente la copie de l'acte notarié rédigé en 2014, et n'a donc pu obtenir, non plus, le paiement de l'honoraire de résultat conventionnellement prévu.

Le conseil du mauvais payeur a donc sollicité cet acte auprès de sa cliente, ainsi que, le 22 janvier 2015, l'honoraire de résultat sur lequel les parties s'étaient initialement mises d'accord. Sans l'acte, impossible pour l'avocat d'établir le calcul de l'honoraire de résultat... raison pour laquelle l'avocat a saisi son Bâtonnier pour fixer cet honoraire. Ledit Bâtonnier a rendu une ordonnance de taxe d'honoraire le 16 décembre 2015, ordonnance allant dans le sens de la demande de l'avocat.

Le premier président de la cour d'appel de Montpellier, vraisemblablement saisi en second ressort pour fixation de l'honoraire de résultat, a rendu une ordonnance le 11 octobre 2016, faisant ainsi droit, comme l'avait fait le Bâtonnier, aux demandes de l'avocat et rejetant les moyens de la cliente qui soulevait la prescription de l'action intentée par son avocat devant le Bâtonnier de l'Ordre. Ladite ordonnance a fait l'objet d'un pourvoi devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, pourvoi formé par les représentants de la cliente de l'avocat, cette dernière étant décédée entre l'acte notarié et le pourvoi.

On aurait pu penser d'entrée que le délai écoulé entre le 9 mars 2010, date de l'arrêt qui sonnait la fin de la mission de l'avocat auprès de sa cliente, et le 22 janvier 2015, dépassait de loin la prescription biennale classique relative au paiement des honoraires d'avocat. En effet, l'article L. 218-2 (N° Lexbase : L1585K7T) (anciennement L.137-2 N° Lexbase : L7231IA3) du Code de la consommation, dispose bien que "l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans".

En effet, on se rappelle que l'approche très consumériste du délai de prescription de l'honoraire de l'avocat avait été tranchée par deux arrêts de la deuxième chambre civile du 26 mars 2015, ces deux arrêts imposant le délai de prescription biennal de l'article L. 218-2 au motif que l'avocat était, finalement et au regard du "marché " juridique, un fournisseur de services à destination des consommateurs.

En conséquence de ces deux décisions et de la jurisprudence qui a suivi, le délai de recouvrement des honoraires pour un avocat commence à compter de la fin de sa mission et ce pour une durée de deux années, sauf si les services de l'avocat sont réalisés en faveur d'une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins entrant dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Dans ce dernier cas, le délai s'étend à cinq années (1).

L'arrêt de la cour d'appel qui a tranché le litige entre les parties en indiquant au notaire les dispositions qu'il devait prendre dans son acte n'a cependant pas été retenu comme le point de départ du délai de prescription de l'action en recouvrement des honoraires par la Cour de cassation, mais c'est l'établissement de l'acte notarié de partage qui l'a été.

La raison est à la fois fort simple et juridique, voire même contractuelle et logique. La convention d'honoraire objet du litige porté devant la Haute juridiction prévoyait que l'honoraire de résultat serait "payable dès règlement des sommes dues" à la cliente. L'acte notarié n'ayant été établi que dans le courant de l'année 2014, les sommes visées dans la convention n'ont pas été versées à la cliente, ce qui empêchait que la condition de réalisation du paiement contenue dans la convention ne soit réalisée. Ainsi, la saisine du Bâtonnier de janvier 2015 n'était-elle pas hors délai.

De plus, sans l'acte définitif, et donc sans le montant total perçu par la cliente, l'honoraire de résultat ne pouvait être calculé. Il y avait donc un double défaut : absence de versement des sommes dues comme évoqué dans la convention d'honoraire, et absence de l'assiette de calcul de l'honoraire de résultat.

Ainsi, la Cour de cassation fait bien reporter le commencement du délai de prescription de l'exécution de l'obligation au moment où la créance est devenue exigible, et non à la date de fin de la mission de l'avocat. Cela revient à dire que la fin de la mission du conseil n'entraîne pas la fin de son mandat, ce dernier courant jusqu'à ce que l'exécution de la convention d'honoraires soit rendue possible, c'est-à-dire jusqu'à ce que la créance qui était "déterminable" soit "déterminée", jusqu'à "exigibilité de l'honoraire".

La Cour vient compléter sa jurisprudence antérieure en ce domaine, en particulier celle, récente, du 26 octobre dernier qui venait rappeler que le délai de prescription de l'action de l'avocat en recouvrement de ses honoraires courait à compter de la date à laquelle son mandat avait pris fin, et que ce délai ne saurait courir à compter de la décision judiciaire (2), et ce au visa des articles L. 218-2 susvisé du Code de la consommation, 412 (N° Lexbase : L6513H7D) et 420 (N° Lexbase : L0430IT4) du Code de procédure civile, et 13 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA). Dans l'arrêt du 26 octobre dernier, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation soulignait bien le fait que le premier président qui énonce que la prescription extinctive court à compter de la date à laquelle le mandat de l'avocat a pris fin, soit à la date de la décision juridictionnelle mettant fin au contentieux, viole l'article L. 218-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1585K7T).

Une nouvelle fois, donc, mais dans un cadre plus précis car concernant uniquement l'exigibilité de l'honoraire de résultat, la deuxième chambre civile semble différencier deux rapports entre l'avocat et son client, un rapport de représentation, et un rapport contractuel. Elle semble, peut-être sans le vouloir, redonner à l'avocat toute sa noblesse en différenciant "mission" et "mandat".

La mission de l'avocat serait, dès lors, la fonction de défense ou de conseil que revêt l'avocat, à savoir sa fonction de représentation, d'assistance ou de postulation. La mission de l'avocat, c'est, en réalité, sa mission essentielle, à savoir sa vocation : se substituer à son client face à une juridiction ou un tiers. La mission, c'est une charge, une délégation totale, un "office", pour ne pas dire le coeur de son sacerdoce.

Le mandat, en revanche, renvoie au rapport contractuel existant entre l'avocat et son client. Si la mission est une substitution entre le justiciable et l'homme en noir, le mandat est bien le contrat, froid, technique, qui lie un professionnel du droit à un consommateur d'un service juridique ou judiciaire.

En conséquence, en considérant que l'arrêt de la cour d'appel de 2010 marquait bien la fin de la mission de l'avocat, mais que l'avocat pouvait, contractuellement, continuait d'exiger l'honoraire de résultat qui lui était dû et ce jusqu'à ce que ce dernier puisse être exigible, la Cour de cassation souligne instinctivement ce double rapport existant entre l'avocat et son client : mission et mandat, fonction et contrat.

Dans tous les cas, il aurait été, en effet, aberrant que l'on impose à l'avocat un délai dans lequel il lui était impossible de calculer l'honoraire de résultat prévu contractuellement.

Pour plus de sécurité, messieurs de la barre, n'oubliez pas d'apporter cette précision dans vos conventions d'honoraires de résultat : l'honoraire de résultat sera payable au jour où le résultat sera définitif et les sommes versées à vos clients, puisque le délai de prescription de l'action en recouvrement exercée par l'avocat en paiement de son honoraire de résultat ne peut commencer à courir avant que cet honoraire soit exigible.

Après l'absence d'interdiction de percevoir un honoraire de résultat même après dessaisissement de l'avocat (3), la deuxième chambre civile vient une nouvelle fois prendre la défense de l'avocat et du consensualisme lié à la convention d'honoraires passée avec son client. Tout travail mérite salaire, qu'on se le dise.


(1) Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 14-15.013 (N° Lexbase : A4644NEQ) et n° 14-11.599 (N° Lexbase : A4643NEP), FS-P+B+R+I ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9580ETY), Dalloz actualité, 30 mars 2015, obs. A. Portmann ; Dalloz avocats, 2015, p. 137, obs. J. Dargent ; JCP éd. G, 2015, n° 393, obs. Lasserre-Capdeville ; JCP éd. G, 2015, n° 649, note Caseau-Roche ; D. 2015, 449, obs. N. Fricero.
(2) Cass. civ. 2, 26 octobre 2017, n° 16-23.599, FS-P+B (N° Lexbase : A1419WXT ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).
(3) Cass. civ. 2, 26 octobre 2017, n° 16-19.083, F-D (N° Lexbase : A1577WXP ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0081EUK).

newsid:461807

Bancaire

[Brèves] Organisation de la surveillance prudentielle du groupe Crédit mutuel : confirmation des décisions de la BCE par le Tribunal de l'Union européenne

Réf. : TPIUE, 13 décembre 2017, deux arrêts, aff. T-712/15 (N° Lexbase : A3646W78) et aff. T-52/16 (N° Lexbase : A3645W77)

Lecture: 2 min

N1804BX4

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par Vincent Téchené

Le 21 Décembre 2017

La BCE est en droit d'organiser une surveillance prudentielle du groupe Crédit mutuel par l'intermédiaire de la Confédération nationale du Crédit mutuel, y compris à l'égard du Crédit mutuel Arkéa. Tel est l'enseignement de deux arrêts rendus par le Tribunal de l'Union européenne le 13 décembre 2017 (TPIUE, 13 décembre 2017, deux arrêts, aff. T-712/15 N° Lexbase : A3646W78 et aff. T-52/16 N° Lexbase : A3645W77).

Le Crédit mutuel est un groupe bancaire français non centralisé, constitué d'un réseau de caisses locales ayant le statut de sociétés coopératives. Chaque caisse locale de crédit mutuel doit adhérer à une fédération régionale et chaque fédération doit adhérer à la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM), organe central du réseau. Le Crédit mutuel Arkéa est une société anonyme coopérative de crédit à capital variable, agréée en tant qu'établissement de crédit, créé par le rapprochement de plusieurs fédérations régionales de crédits mutuels. Par deux décisions, la BCE a organisé sa surveillance prudentielle des entités du groupe Crédit mutuel, dont le Crédit mutuel Arkéa, sur une base consolidée par l'intermédiaire de la CNCM. Elle a également considéré que le Crédit mutuel Arkéa devait posséder des fonds propres supplémentaires de catégorie 1. Le Crédit mutuel Arkéa a saisi le Tribunal de l'Union européenne pour faire annuler ces décisions. En substance, il conteste le recours à une surveillance prudentielle consolidée du groupe Crédit mutuel par l'intermédiaire de la CNCM au motif que celle-ci ne serait pas un établissement de crédit, qu'il n'existerait pas de "groupe Crédit mutuel" et que la BCE ne pouvait pas lui imposer des exigences de fonds propres supplémentaires.

Le Tribunal confirme les deux décisions de la BCE. Il déclare, notamment, que, dans le cadre de la réglementation de l'Union en matière de surveillance prudentielle, l'intention du législateur est de permettre à la BCE de disposer d'une vue globale sur l'ensemble des risques susceptibles d'affecter un établissement de crédit ainsi que d'éviter un fractionnement de la surveillance prudentielle entre la BCE et les autorités nationales. Il retient qu'il ne ressort pas de la réglementation de l'Union en matière de surveillance prudentielle que la notion d'"organisme central" doit disposer de la qualité d'établissement de crédit. Ainsi, un "groupe soumis à surveillance prudentielle" relève de cette réglementation dès lors qu'il remplit les conditions prévues par celle-ci, et ce indépendamment du fait que l'organisme central de ce groupe dispose ou non de la qualité d'établissement de crédit. Le Tribunal ajoute que, dès lors que l'ensemble constitué par l'organisme central et les établissements affiliés possède des comptes consolidés, l'autorité compétente peut s'assurer que la liquidité et la solvabilité de cet ensemble sont conformes aux exigences prudentielles, et ce que l'organisme central dispose ou non de la qualité d'établissement de crédit.

newsid:461804

Entreprises en difficulté

[Brèves] Recours contre les décisions relatives au prolongement de la période d'observation

Réf. : Cass. com., 13 décembre 2017, n° 16-50.051, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2112W7D)

Lecture: 1 min

N1798BXU

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par Vincent Téchené

Le 21 Décembre 2017

Il résulte de l'article L. 661-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L3498ICK) que le pourvoi en cassation n'est pas ouvert au ministère public contre les arrêts rendus sur la durée de la période d'observation (C. com., art. L. 661-6, I, 2° N° Lexbase : L2742LB8) et il n'est dérogé à cette règle, comme à toute règle interdisant ou différant un recours, qu'en cas d'excès de pouvoir. Et, ne commet pas d'excès de pouvoir le tribunal qui prolonge exceptionnellement, pour une durée n'excédant pas six mois, la période d'observation en l'absence de demande du ministère public ou en dépit de l'opposition de celui-ci. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2017 (Cass. com., 13 décembre 2017, n° 16-50.051, FS-P+B+I N° Lexbase : A2112W7D).

En l'espèce, une société a été mise en redressement judiciaire le 28 octobre 2014. Par un jugement du 27 octobre 2015, le tribunal a prolongé la période d'observation jusqu'au 28 avril 2016, à charge pour le débiteur de ne pas créer de nouvelles dettes. Le ministère public a fait appel du jugement, puis a formé un pourvoi contre l'arrêt (CA Reims, 25 octobre 2016, n° 15/02782 N° Lexbase : A9963R9U) ayant refusé d'annuler le jugement.

Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation retient que dirigé contre une décision qui n'est pas entachée d'excès de pouvoir et qui n'a pas consacré d'excès de pouvoir, le pourvoi n'est pas recevable (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E2257GAT et N° Lexbase : E9609ET3).

newsid:461798

Fiscalité du patrimoine

[Brèves] Assujettissement du constituant d'un trust à l'ISF : conformité à la Constitution

Réf. : Cons. const., 15 décembre 2017, n° 2017-679 QPC (N° Lexbase : A7103W79)

Lecture: 2 min

N1820BXP

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par Jules Bellaiche

Le 21 Décembre 2017

Les dispositions relatives à l'assujettissement du constituant d'un trust à l'ISF sont conformes à la Constitution. Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 15 décembre 2017 (Cons. const., 15 décembre 2017, n° 2017-679 QPC N° Lexbase : A7103W79).
En l'espèce, le requérant reproche aux dispositions de l'article 885 G ter du CGI (N° Lexbase : L4679I7G) de porter atteinte aux facultés contributives des contribuables, en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques, en ce qu'elles conduisent à imposer le constituant d'un trust irrévocable et discrétionnaire à raison des biens placés dans ce trust alors même qu'il en est dépossédé et qu'il n'en a plus la disposition. Il soutient également que la présomption irréfragable de propriété pesant sur le constituant revêt un caractère disproportionné au regard de l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
Les dispositions contestées incluent les biens ou droits placés dans un trust, ainsi que les produits qui y sont capitalisés, dans l'assiette de l'ISF dû par le constituant du trust ou de son bénéficiaire réputé constituant. Ces dispositions ne s'appliquent pas, sous certaines conditions, aux trusts irrévocables dont les bénéficiaires exclusifs relèvent de l'article 795 du CGI (N° Lexbase : L7866K99).
En instituant l'ISF, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits. En adoptant les dispositions contestées applicables aux biens ou droits placés dans un trust, le législateur a instauré, à des fins de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, une présomption de rattachement au patrimoine du constituant de ces biens, droits ou produits. Le législateur a ainsi tenu compte de la difficulté, inhérente aux trusts, de désigner la personne qui tire une capacité contributive de la détention de tels biens, droits ou produits. Ce faisant, il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales qu'il a poursuivi. Pour le Conseil constitutionnel, qui n'a pas donné raison au requérant, les dispositions contestées ne sauraient toutefois, sans que soit méconnue l'exigence de prise en compte des capacités contributives du constituant ou du bénéficiaire réputé constituant du trust, faire obstacle à ce que ces derniers prouvent que les biens, droits et produits en cause ne leur confèrent aucune capacité contributive, résultant notamment des avantages directs ou indirects qu'ils tirent de ces biens, droits ou produits. Cette preuve ne saurait résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X7038ALA).

newsid:461820

Licenciement

[Brèves] Publication d'un décret relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement

Réf. : Décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017, relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement (N° Lexbase : L6195LHW)

Lecture: 1 min

N1817BXL

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par Charlotte Moronval

Le 21 Décembre 2017

Publié au Journal officiel du 17 décembre 2017, le décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017, relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement (N° Lexbase : L6195LHW), fait suite à l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail (N° Lexbase : L7629LGN).

Ce texte fixe les conditions et les délais dans lesquels les motifs énoncés dans la lettre de licenciement peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés soit par l'employeur, soit à la demande du salarié.

Dorénavant, dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, demander à l'employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. L'employeur dispose quant à lui d'un délai de quinze jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s'il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Par ailleurs, dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et selon les mêmes formes, l'employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement.

Ces nouvelles dispositions sont applicables aux licenciements prononcés à compter du 18 décembre 2017 (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3080E4T).

newsid:461817

Pénal

[Brèves] Le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes de nouveau censuré par le Conseil constitutionnel

Réf. : Cons. const., décision n° 2017-682 QPC, du 15 décembre 2017 (N° Lexbase : A7105W7B)

Lecture: 2 min

N1805BX7

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par June Perot

Le 21 Décembre 2017

Si le législateur a ajouté à la consultation, comme élément constitutif de l'infraction, la manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ces services, cette consultation et cette manifestation ne sont pas susceptibles d'établir à elles seules l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes. Les dispositions de l'article 421-2-5-2 du Code pénal (N° Lexbase : L4801K8C) répriment donc d'une peine de deux ans d'emprisonnement le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, sans que soit retenue l'intention terroriste de l'auteur de la consultation comme élément constitutif de l'infraction.

Dès lors, et dans la mesure où l'article 421-2-5-2 du Code pénal, dans sa version issue de la loi du 28 février 2017 (N° Lexbase : L0527LDU) porte une atteinte à l'exercice de la liberté de communication, il doit être censuré. De plus, aucun motif ne justifiant de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité, celle-ci est immédiate. Telle est la position de nouveau adoptée par le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue le 15 décembre 2017 (Cons. const., décision n° 2017-682 QPC, du 15 décembre 2017 N° Lexbase : A7105W7B ; v. précédemment : Cons. const., décision n° 2016-611 QPC, du 10 février 2017 N° Lexbase : A7723TBN).

Le Conseil constitutionnel avait de nouveau été saisi par la Chambre criminelle d'une QPC portant sur l'article 421-2-5-2, dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 28 février 2017 (Cass. crim., 4 octobre 2017, n° 17-90.017, FS-D N° Lexbase : A8694WT8). Le requérant soutenait, notamment, qu'en adoptant à nouveau un délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, alors que le Conseil constitutionnel en a censuré une précédente rédaction, le législateur aurait méconnu l'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel, de même que le principe de légalité des délits et des peines. Il faisait également valoir que la liberté de communication serait méconnue, le principe d'égalité devant la loi violé et, enfin, que l'article contesté instaurerait une présomption de culpabilité.

Enonçant la solution susvisée, le Conseil constitutionnel a rappelé en outre qu'il existe déjà un arsenal législatif suffisant ayant pour objet de prévenir la commission d'actes de terrorisme (not., C. pén., art. 421-2-4 N° Lexbase : L7497IU9, 421-2-5 N° Lexbase : L8378I43 et 421-2-6 N° Lexbase : L9398LDG ; pouvoirs dans le cadre des enquêtes, pouvoirs de l'autorité administrative et plus récemment, la loi du 30 octobre 2017 N° Lexbase : L2052LHH qui a instauré de nouvelles mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance) (cf. l’Ouvrage "Droit pénal spécial" N° Lexbase : E5500EXY).

newsid:461805

Procédure prud'homale

[Brèves] Nouvelles mesures relatives à la procédure suivie devant le conseil de prud'hommes

Réf. : Décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017, portant diverses mesures relatives à la procédure suivie devant le conseil de prud'hommes (N° Lexbase : L6193LHT)

Lecture: 1 min

N1842BXI

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par Charlotte Moronval

Le 21 Décembre 2017

Publié au Journal officiel du 17 décembre 2017, le décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017, portant diverses mesures relatives à la procédure suivie devant le conseil de prud'hommes (N° Lexbase : L6193LHT) prévoit les mesures d'application des dispositions de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail qui concernent la procédure prud'homale (N° Lexbase : L7629LGN).

La conciliation est favorisée par l'exigence que l'employeur soit assisté ou représenté par un membre de l'entreprise ou de l'établissement fondé de pouvoir ou habilité à cet effet. Cette disposition entre en vigueur le 18 décembre 2017.

Un partage de voix lors du bureau de conciliation et d'orientation ne donnera plus lieu à un nouveau renvoi en bureau de conciliation et d'orientation après départage, mais à un renvoi direct en bureau de jugement. Cette mesure est destinée à raccourcir les délais de procédure.

Sont également précisées la procédure suivie en cas de contestation des avis du médecin du travail ainsi que les modalités de désignation du médecin-inspecteur du travail (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3781ET9 ; N° Lexbase : E3809ETA et N° Lexbase : E3272ETD).

newsid:461842

Propriété

[Chronique] Chronique de droit des biens - Décembre 2017 (première partie)

Lecture: 28 min

N1840BXG

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par Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919), et Julien Laurent, maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919)

Le 21 Décembre 2017

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique de droit des biens de Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919), et de Julien Laurent, Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole (IEJUC-EA 1919). Au sommaire de cette chronique, qui couvre la période allant du 1er novembre 2016 au 31 octobre 2017, le lecteur trouvera des confirmations et de nombreuses décisions sur des questions inédites. Confirmation, d'une part, concernant le contentieux récurrent de l'empiètement et des troubles anormaux de voisinage. Pour le premier, la Cour de cassation en profite cependant pour apporter une nuance à la rigueur de la sanction de démolition ; pour le second, une précision utile concernant l'incompétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la demande d'enlèvement d'éoliennes. Décisions inédites, d'autre part, dans de nombreux domaines, et qui seront l'objet de la seconde partie de cette chronique : ainsi la découverte d'une peinture sous une autre est confrontée à la notion de trésor ; également, l'action en nullité d'un bail rural pris par le nu-propriétaire seul ou l'action en résiliation d'un tel bail confrontée au défaut d'incapacité des indivisaires ; enfin, une confrontation originale entre accession et prescription acquisitive au rang des modes de preuve d'acquisition de la propriété.
Première partie (cf. infra)

I - Notion de bien

Notion de Trésor

Civ. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-19.340, FS-P+B+I

II - Propriété

A - Modes d'acquisition : accession et prescription extinctive

Cass. civ. 3, 27 avril 2017, n° 16-10.753, FS-P+B

B - Contentieux

1°) La sanction de l'empiètement

Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-21.949, FP-P+B
Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-19.561, FP-P+B
Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113, FP-P+B

2°) Troubles anormaux de voisinage

Cass. civ. 3, 19 janvier 2017, n° 15-28591, F-D
Cass. civ. 3, 25 janvier 2017, n° 15-25526, FS-P+B+I
Cass. civ. 3, 26 janvier 2017, n° 15-16977, F-D
Cass. civ. 3, 11 mai 2017, n° 16-14339, FS-P+B+I

Seconde partie (cf. N° Lexbase : N1841BXH)

III - Droits réels

Bail conclu par un nu-propriétaire seul

Cass. civ. 3, 6 juillet 2017, n° 15-22.482

IV - Indivision : gestion de l'indivision

1°) Action en résiliation et bail rural

Cass. civ. 3, 5 octobre 2017, n° 16.21499, FS-P+B+I

2°) Convention d'indivision et mandat successoral

Cass. civ. 1, 25 octobre 2017, n° 16-25.525, F-P+B

I - Notion de bien

  • Notion de Trésor - Une peinture dissimulée sous une autre, qui n'est pas matériellement dissociable de son support, ne peut être considérée comme un trésor (Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-19.340, FS-P+B+I N° Lexbase : A8343WLL ; voir également, L. Bosc, une oeuvre de Jean Malouel devant la Cour de cassation, Lexbase, n° 708, 217 N° Lexbase : N9621BWA)

Que ce soit ici un Velázquez ou là un Jacques Gamelin, la presse se fait parfois l'écho de ces restaurations singulières de peintures menant à des trouvailles fabuleuses. Une oeuvre majeure se cachait sous une autre mineure sous des couches de vernis ou de repeints ou bien c'est la signature du maître qui apparaît et non plus celle d'un disciple sous la peinture apparente. Les circonstances parfois extraordinaires de ces découvertes évoquent irrésistiblement la vénérable notion de trésor de l'article 716 du Code civil (N° Lexbase : L3325ABR), qui désigne "toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété et qui est découverte par l'effet du pur hasard" et sur laquelle peut s'élever un conflit de propriété entre l'auteur de la découverte (son "inventeur") et le propriétaire du bien qui cachait le trésor. Rappelons que, dans cette hypothèse, la loi prévoit le partage de la propriété du trésor à chacun pour moitié (C. civ., art. 716, al. 1er). Mais une oeuvre dissimulée sous une autre peinture peut-elle constituer un trésor au sens de l'article 716 du Code civil ?

En janvier 1985, un brocanteur fait l'acquisition d'un tableau peint sur bois, qu'il présente à un antiquaire. Repérant des éclats de dorure sous une écaillure, l'antiquaire conseille au propriétaire de le confier à un restaurateur d'art afin qu'il procède à son nettoyage, ce qu'il fait. Ce travail révéla que, sous la peinture apparente, se trouvait une autre oeuvre datant du 15ème siècle et attribuée, après plusieurs années de recherches et de restauration, au peintre Jean Malouel. En 2011, le Musée du Louvre en fit l'acquisition pour un prix de 7,8 millions d'euros. L'antiquaire, considérant que l'oeuvre mise à jour constituait un trésor au sens de l'article 716 du Code civil, et invoquant sa qualité d'inventeur, assigna le propriétaire du tableau afin d'obtenir sa condamnation à lui verser la moitié du produit net de la vente comme le prévoit ce même texte.

La cour d'appel (CA Riom, 4 avril 2016, n° 15/00081 N° Lexbase : A2148RB8) ayant rejeté sa demande, l'antiquaire forma un pourvoi en cassation articulé autour de deux arguments : d'une part, il faisait valoir que son intervention dans la mise au jour de l'oeuvre avait été décisive, permettant ainsi de considérer qu'il était bien à l'origine du processus ayant permis la découverte de l'oeuvre ; d'autre part, le demandeur avançait qu'il résultait des constatations des juges du fond que c'était bien par l'effet du "pur hasard" que l'oeuvre avait été découverte. Bref, le demandeur tentait essentiellement d'établir sa qualité d'inventeur au sens de l'article 716 du Code civil. Toutefois, ce n'est pas sur ce terrain que va se placer la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi, mais au regard de la qualification même de trésor. Opérant une substitution de motifs, la Cour de cassation énonce que "seules peuvent recevoir cette qualification les choses corporelles matériellement dissociables du fonds dans lequel elles ont été trouvées et, comme telles, susceptibles d'appropriation" (nous soulignons) et qu'en l'espèce, "l'oeuvre attribuée à Jean Malouel était dissimulée sous la peinture visible, ce dont il résulte[ait] que cette oeuvre [était] indissociable de son support matériel [...] de sorte qu'elle ne constitu[ait] pas un trésor au sens du texte précité".

Conformément à une jurisprudence traditionnelle, la Cour de cassation conditionne la qualification de trésor à l'exigence de pouvoir dissocier matériellement le bien découvert du bien qui le recelait (I). L'application de ce critère au cas d'espèce, qui conduit à rejeter la qualification de trésor, repose sur une interprétation stricte de l'article 716 du Code civil (II).

I - L'exigence de la dissociabilité matérielle de la chose cachée et du fonds la recelant

La notion de trésor n'a pas exactement le même sens en droit que celle que lui connaît le langage commun. Aux termes de l'article 716, alinéa 2 du Code civil, est un trésor "toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété et qui est découverte par l'effet du pur hasard". Il ressort de ce texte que trois conditions sont exigées pour que l'on soit en présence d'un trésor, chacune ayant nécessité des précisions de la jurisprudence et de la doctrine. Deux concernent les circonstances entourant sa découverte, une troisième intéresse la chose découverte elle-même. Il faut d'abord que personne ne soit en mesure (et notamment les ayants-droit du propriétaire originel du trésor) de revendiquer la propriété du trésor. Il faut ensuite que le bien en question ait été découvert par le "pur effet du hasard". Il faut enfin que l'on soit en présence d'une "chose cachée ou enfouie". La jurisprudence, conformément à la tradition romaine, a toujours considéré que le terme de "chose" devait s'entendre d'un bien meuble corporel. Toute chose mobilière peut néanmoins constituer un trésor, qu'il s'agisse de métaux précieux, or, argent, ou de pièces de monnaie anciennes (v. par ex., Paris, 18 décembre 1950, D., 1951, 144, S., 1951, 2, 171), ou qu'il s'agisse d'armes, de bijoux, de vaisselle ou de vases (CA Rouen, ch. corr., 2 mai 1990 ; CA Bourges, 18 janvier 1989). C'est la raison pour laquelle un trésor ne peut être ni un immeuble par nature, ni un immeuble par destination ; ainsi, un bien meuble incorporé dans un fonds par accession, bien immeuble par nature, ne peut logiquement constituer un trésor (Cass. Req., 13 décembre 1881, DP, 1882, I, 55). En revanche, et contre la lettre de l'article 716, alinéa 1er, parlant d'un bien trouvé dans un "fonds", la jurisprudence a eu l'occasion de préciser que le bien contenant le trésor pouvait être un bien meuble corporel et pas seulement un immeuble, s'il permet de cacher le bien (une commode, un coffre, une malle, une armoire, un secrétaire, etc.).

En l'espèce, l'oeuvre dissimulée sous la peinture sur bois répondait assurément aux critères traditionnels de la notion de trésor tels qu'interprétés par la jurisprudence : le bien découvert était bien un meuble corporel, à savoir une peinture (il faut bien sûr ici distinguer l'oeuvre elle-même, bien incorporel, de son support matériel, composé de couches de peintures), le bien-réceptacle était un bien meuble corporel également, en l'occurrence le tableau peint sur bois. Mais, pour recevoir la qualification de trésor, la Cour de cassation énonce que le bien découvert doit être en outre matériellement dissociable du fonds dans lequel il a été trouvé.

Quoique la formulation soit inédite, cette exigence n'est pas nouvelle. Une jurisprudence ancienne affirme de manière constante que seul est un trésor un "contenu" que l'on peut différencier de son "contenant" (Cass. Req., 13 décembre 1881, DP, 1882, 1, 55, S., 1882, 1, 255, préc. ; v. aussi, TGI Millau, 26 mai 1988, D., 1990, Somm. 87, obs. A. Robert, à propos de vertèbres fossilisées d'un plésiosaure ; adde, les références citées par P. Berchon, Rep. Civ. V° Trésor, n° 6). A bien y réfléchir, la précision semble superfétatoire : si le prétendu trésor n'était pas dissociable du bien le recélant, on ne voit pas comment l'on pourrait prétendre exercer une propriété distincte de celle s'exerçant sur le contenant ; il n'y aurait donc tout simplement pas matière à parler de trésor. Prise à la lettre, l'exigence d'une dissociabilité précise donc moins la notion de "trésor" qu'elle ne rappelle la condition première de l'existence d'un bien distinct du fonds le cachant, pour que la question de son appropriation se pose. C'est la raison pour laquelle, à notre connaissance, la Cour de cassation n'avait jusqu'ici rappelé cette exigence qu'aux fins de vérifier que le bien considéré n'était pas confondu avec l'immeuble l'abritant par accession par incorporation (C. civ., art. 552 N° Lexbase : L3131ABL) ; il s'agissait donc surtout d'une manière de caractériser la nature mobilière du bien contenu dans le fonds (Req., 13 décembre 1881, DP 1882, 1, 55, S. 1882, 1. 255). L'arrêt fait donc application d'un critère essentiellement pensé dans le cas d'un trésor contenu dans un immeuble, au cas de deux meubles corporels.

Pour rejeter la qualification de trésor sur ce critère, la Cour de cassation part de l'observation que l'oeuvre découverte se situait sous la peinture en surface, de sorte que l'oeuvre de Jean Malouel, une fois nettoyée du repeint la dissimulant (meuble corporel incarnant une oeuvre mineure), se trouvait directement au contact du bois qui constituait son support. De cette constatation, la Cour de cassation tire la conclusion que les deux biens meubles corporels -peinture de Jean Malouel et support de bois- étaient en fait incorporés et formaient un bien unique, excluant par-là la qualification de trésor. Cette analyse peut être approuvée. Au fond, le processus de nettoyage ayant mené à la mise au jour de l'oeuvre -initié avec la découverte de l'antiquaire- relevait plus de la transformation du tableau peint sur bois que de l'invention d'un bien caché dans un autre. L'hypothèse n'est pas sans rappeler les situations dans lesquelles deux biens sont en fait incorporés l'un dans l'autre : soit par accession immobilière (C. civ., art. 552 N° Lexbase : L3131ABL), soit par accession mobilière lorsque leurs matières sont mélangées (C. civ., art. 572 et s. N° Lexbase : L3153ABE), justifiant dans les deux cas le rejet de la qualification de trésor, faute de bien distinct du bien-contenant sur lequel exercer la propriété de l'inventeur. La seule alternative aurait été un procédé propre à "déposer" la peinture du tableau sans l'altérer.

En revanche, la transposition d'un critère pensé pour le cas d'un meuble caché dans un bien immeuble, suscite des interrogations dans l'hypothèse de deux biens meubles corporels plus courants. Pour être "matériellement dissociables" du bien découvert, faudra-t-il que l'armoire à double fond ou le tiroir secret restent intègres suite à la mise au jour du trésor ? Complètement ? Totalement ? Il est probable que cette exigence ne tient qu'aux caractéristiques physiques des biens corporels ici considérés. Elle ne trouvera à s'appliquer que dans les cas où la découverte du bien entraîne la destruction irrémédiable du bien recelant le trésor : on pense évidemment à deux peintures ou encore à deux manuscrits (les palimpsestes).

II - Une interprétation stricte de l'article 716 du Code civil

A s'en tenir à la lettre de l'article 716 du Code civil, la solution semble imparable. La loi postule effectivement l'existence de deux biens distincts, le fonds recelant et la chose recelée. En outre, il n'y a sans doute dissociation au sens strict que si deux biens sont identifiables à l'issue du processus de séparation. De sorte qu'une incorporation du prétendu trésor au bien le dissimulant conduit immanquablement à écarter la qualification de trésor.

Toutefois, en l'espèce, il est permis de penser qu'une autre solution était possible à condition d'interpréter différemment -et assez librement- le texte. Tout tient ici à l'interprétation retenue de la notion de fonds. La Cour de cassation retient en effet que le fonds dont il était question est le support en bois sur lequel avait été peint successivement les deux peintures ; or, ce fonds est effectivement indissociable de l'oeuvre découverte. Mais n'était-il pas concevable de considérer que le bien-réceptacle était, non pas le support de bois incorporé avec l'oeuvre de Jean Malouel, mais bien plutôt la peinture mineure la recouvrant ? D'ailleurs, la Cour de cassation ne parle-t-elle-pas elle-même d'oeuvre "dissimulée" sous la peinture visible ? Certes, c'était légèrement forcer la notion puisque le support en bois n'est pas "caché", lui ; de sorte que n'étant pas un trésor, il fallait bien considérer qu'il constituait une partie du fonds. Mais après tout, la jurisprudence avait déjà fait preuve d'audace en admettant que le fonds puisse être un bien meuble corporel. Partant, il était possible de considérer que le fonds au sens de l'article 716 du Code civil était non le support de bois, mais le repeint ; et que la dissociation matérielle de ces deux biens était possible puisque l'oeuvre de Jean Malouel avait pu être nettoyée (et à condition d'admettre que cette dissociation se fasse au prix de la disparition d'un des deux éléments dissociés, ici le repeint). On était alors en présence d'un trésor.

En somme, la solution, bien que parfaitement défendable au regard de la lettre de l'article 716 du Code civil, nous semble procéder d'une interprétation étroite de ce texte. Elle aboutit à une conception restrictive de la notion de trésor que l'on peut regretter, d'autant qu'en l'espèce, le caractère inéquitable de la solution est sensible. Or l'équité est au coeur de la notion de trésor (F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Droit des biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 18). Une manière à la fois plus habile et plus pertinente de refuser cette qualification -si tel était effectivement le souhait de la première chambre civile à l'endroit des peintures sur peintures, hypothèse ayant des précédents- aurait été de mettre en cause la volonté du propriétaire originel de cacher ainsi la toile recouverte ou, pourquoi pas, de dénier la qualité d'inventeur de l'antiquaire comme semblait vouloir le faire la cour d'appel. Bref, de l'audace, encore de l'audace !

Julien Laurent

II - Propriété

A - Modes d'acquisition

  • Accession et prescription extinctive - La présomption de propriété par accession qu'établit l'article 546 du Code civil (N° Lexbase : L3120AB8) peut être renversée par la preuve contraire résultant de la prescription acquisitive (Cass. civ. 3, 27 avril 2017, n° 16-10.753, FS-P+B N° Lexbase : A2780WBL)

Le propriétaire d'un moulin assignait le propriétaire des parcelles sur lesquelles étaient situés un ensemble d'ouvrages et d'aménagements nécessaires au fonctionnement du moulin en revendication d'une partie de ces biens : ainsi l'entier canal, des francs-bords (rebords en général artificiels créés le long d'un cours d'eau afin de limiter l'érosion des berges) et des vannages, et en outre en interdiction de faire obstacle à son passage sur les francs-bords du bief pour l'entretenir. Le propriétaire défendeur à l'action en revendication prétendait de son côté avoir acquis par prescription acquisitive la propriété de ces différents biens revendiqués (bief, vannages et francs-bords).

La question était de savoir si, à supposer que le propriétaire du moulin puisse se prévaloir du mécanisme de l'accession en l'espèce, celui-ci permettait-il de prouver automatiquement la propriété des ouvrages et aménagements nécessaires à son fonctionnement (en l'espèce à l'acheminement de l'eau), en dépit de l'existence d'une prescription acquisitive ?

La cour d'appel de Bourges (CA Bourges, 15 octobre 2015, n° 14/01555 N° Lexbase : A3220NTG) choisit de faire prévaloir la règle de l'accession. Selon les juges du fond, le principe selon lequel "l'accessoire suit le principal" s'opposait à ce que la prescription acquisitive fasse échec à l'accession, sous peine de rompre l'unité que la loi a voulu préserver. L'arrêt est cassé. Pour la troisième chambre civile, au contraire, "l'article 546 du Code civil instaure, en faveur de celui qui l'invoque, une présomption de propriété par accession qui peut être renversée par la preuve contraire résultant de la prescription".

La décision repose au fond sur deux considérations simples. En premier lieu, elle rappelle la portée de l'accession comme mode acquisitif. L'accession comme mode d'acquisition de la propriété n'est pas un mode automatique et absolu d'acquisition de la propriété. Elle n'établit, en vertu de la règle de "l'accessoire suit le principal", qu'une présomption de propriété au profit du revendiquant qui en situation de l'invoquer (1.). En second lieu, cette présomption est une présomption simple qui peut être renversée par la preuve contraire, ce qui sera notamment le cas lorsque le défendeur peut se prévaloir d'une prescription acquisitive, mode de preuve assez courant en matière immobilière (2.). Ces deux propositions doivent être approuvées.

1. L'accession établit une présomption simple de propriété au profit du propriétaire du bien principal sur le bien qui lui est accessoire

Examinons la nature particulière de l'accession dont pouvait se prévaloir ici le propriétaire du moulin (a) ; avant d'examiner la portée de l'accession en matière d'acquisition de propriété (b).

a - Quelle accession était en cause en l'espèce ? L'accession ou droit d'accession est un mode d'acquisition de la propriété qui repose sur un principe plus général du droit, selon lequel "l'accessoire doit suivre le principal" ("accessorium sequitur principale"), et qui reçoit des applications très diverses en droit. En vertu de cette règle, un élément, considéré comme accessoire à un autre par un lien hiérarchique, se voit alors placé dans la dépendance d'un élément considéré comme principal par rapport à lui. Employé comme mécanisme acquisitif, la règle de l'accessoire suit le principal prend le nom d'accession.

Aux termes de l'article 546 du Code civil, l'accession est le droit que donne "la propriété d'une chose soit mobilière, soit immobilière [...] sur tout ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement". Autrement dit, la propriété d'une chose principale emporte la propriété d'une chose qui lui est principale, soit que la chose accessoire est générée par la chose principale, soit qu'elle s'unit à celle dernière.

En matière immobilière, la figure classique de l'accession par "union" est l'accession dite par incorporation, en vertu de laquelle un meuble (des matériaux ou des végétaux) par exemple qui s'incorporent au fonds de terre (bien immeuble par nature), deviennent la propriété du propriétaire du fonds, bien toujours considéré comme la chose principale dans ce rapport. C'est cette déclinaison de l'accession que prévoit l'article 552 du Code civil (N° Lexbase : L3131ABL) aux termes duquel "la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous".

La difficulté en l'espèce est que les ouvrages revendiqués ne se situaient pas sur le fonds du propriétaire du moulin, mais sur des parcelles voisines, (en amont croit-on comprendre), de sorte qu'il ne pouvait s'agir d'une classique accession par incorporation. Si l'accession, au sens général que lui donne l'article 546 du Code civil, est néanmoins invocable, c'est qu'il est possible de considérer que les ouvrages et divers aménagements en question entretenaient un lien fonctionnel avec le moulin, propre à fonder un lien d'accessoire à principal. En effet, ces biens sont incontestablement nécessaires à son fonctionnement. Cette acception extensive de la règle de l'accession peut s'appuyer sur une interprétation souple de l'article 546 du Code civil, le texte évoquant l'hypothèse de l'"union" entre le bien principal et le bien accessoire. L'union dont il s'agit ne repose alors pas sur un lien physique comme dans le cas de l'accession "classique" par incorporation (C. civ., art. 552), mais sur un lien intellectuel ou encore d'affectation (v. F. Danos, obs. sous arrêt, RDC, 2017, n° 3, p. 516).

C'est ainsi qu'une jurisprudence ancienne et constante (v. déjà, Cass. req., 21 décembre 1830 : S., 1831, I, 14) admet à certaines conditions de configuration des lieux (sur lesquelles, Cass. civ. 3, 3 octobre 1969, n° 68-11.077 N° Lexbase : A6392C9M ; Cass. civ. 3, 7 novembre 1975, n° 73-14.087 N° Lexbase : A5180CGX ; Cass. civ. 3, 28 novembre 2012, n° 11-24.191, FS-D N° Lexbase : A8622IXM ; v. en dernier lieu, Cass. civ. 3, 20 octobre 2016, n° 15-20.044, FS-P+B N° Lexbase : A6602R9E) permettant de caractériser ce lien de dépendance, que l'accession puisse jouer au profit du propriétaire du moulin revendiquant les canaux d'amenée (biefs) ainsi que les divers aménagements y afférents.

b - La portée de l'accession comme mode acquisitif restait à préciser. La jurisprudence déjà évoquée (Cass. req., 21 décembre 1830, préc.) considère que l'accession établit au profit du propriétaire du moulin une présomption simple de propriété sur les ouvrages et aménagements accessoires, et notamment les biefs en question (v. par ex. Cass. civ. 3, 28 novembre 2012, n° 11-24.191, FS-D N° Lexbase : A8622IXM).

Cette solution ne surprend pas, l'accession ne jouant ni de manière automatique ni impérative. L'article 546 du Code civil n'établit qu'une présomption légale au profit du propriétaire de la chose principale. Ainsi, même dans le cas de l'accession immobilière par incorporation, accession immobilière par excellence, l'accession peut être aménagée voire neutralisée par convention. Par conséquent, c'est logiquement que la jurisprudence si l'accession permet de présumer la propriété du propriétaire de la chose (comme par exemple l'illustre l'article 553 du Code civil (N° Lexbase : L3132ABM) en matière d'accession immobilière), cette présomption est simple et supporte la preuve contraire (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 97-13.107 N° Lexbase : A9103AGA). Si cette solution vaut pour une accession par incorporation, où les biens sont physiquement liés, elle doit valoir a fortiori dans l'hypothèse ici considérée d'une accession fonctionnelle, où les biens ne sont qu'intellectuellement unis.

Il restait une question, que tranche l'arrêt : cette preuve contraire pouvait-elle résulter de l'existence d'une prescription acquisitive ? Oui pour la Cour de cassation.

2. La prescription acquisitive permet de prouver contre une acquisition par accession

La cour d'appel de Bourges avait écarté l'idée que l'accession existant au profit du propriétaire du moulin puisse être neutralisée par la prescription acquisitive. Selon la Cour de cassation, la présomption de propriété qu'établit l'existence d'une accession peut toutefois être renversée par la preuve contraire résultant de la prescription. Ici encore, la solution doit être approuvée en ce qu'elle est conforme aux règles de contentieux de preuve de la propriété.

Prouver que l'on est propriétaire se résume à prouver que l'on a acquis un bien. Il s'agit donc d'un fait juridique. Par conséquent, et par principe, la propriété se prouve donc par tout moyen (Cass. civ. 1, 11 janvier 2000, n° 97-15.406 N° Lexbase : A3427AUH). La preuve étant libre, le juge sera amené à trancher entre les différents éléments de preuve apportés par les plaideurs et notamment entre les diverses présomptions et indices dont ils entendront se prévaloir. Il n'y a donc pas de preuve de la propriété l'emportant en toute hypothèse et tout sera fonction du contexte et du cas d'espèce (transfert de propriété ou acquisition originaire ; meuble ou immeuble, etc.).

Parmi ces moyens, l'existence d'une prescription acquisitive constitue néanmoins un moyen privilégié, notamment en matière immobilière, où la propriété de ces biens remonte parfois très loin dans le temps. Aux termes de l'article 2258 du Code civil (N° Lexbase : L7194IAP), "la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi". Il suffira donc au défendeur de justifier qu'il a possédé la chose durant le temps requis pour prescrire (30 ans en matière immobilière). Ainsi, la jurisprudence a déjà affirmé que la prescription pouvait jouer contre un titre (Cass. civ. 3, 4 décembre 1991, n° 89-14.921 N° Lexbase : A2665ABC). A fortiori pourra-t-elle jouer contre l'accession, si les éléments requis pour prescrire sont effectivement réunis au moment où la revendication a lieu.

Julien Laurent

B - Contentieux

1°) La sanction de l'empiètement

  • De l'astreinte en cas d'empiètement minime subsistant (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-21.949, FP-P+B N° Lexbase : A9077SGB). De la proportionnalité en matière d'empiètement (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-19.561, FP-P+B N° Lexbase : A9101SG8). Des modalités de la sanction de l'empiètement (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113, FP-P+B N° Lexbase : A9133SGD)

La rigueur des solutions retenues en matière d'empiètement est connue et constante comme en témoignent trois arrêts rendus le 10 novembre 2016 par la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 10 novembre, n° 15-21.949, n° 15-19.561, et n° 15-25.113, FP-P+B). Si cette sévérité s'explique par une lecture a contrario de l'article 545 du Code civil (1), laquelle doit conduire à refuser de consacrer une expropriation pour cause d'utilité privée, il n'en demeure pas moins que de nombreuses critiques s'élèvent notamment en matière d'empiètement minime.

Dans la première affaire (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-21.949), un couple avait acquis un immeuble empiétant sur le fonds voisin. L'empiètement ayant été constaté, les juges du fond accordèrent un délai de deux ans sous astreinte pour le supprimer. Le couple s'exécuta dans le délai imparti mais un empiètement minime subsista de telle manière que les voisins demandèrent la liquidation de l'astreinte. Dans la deuxième affaire (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-19.561), la Cour de cassation censura, pour violation de la loi, la cour d'appel de Bastia qui avait cru pourvoir refuser la demande en démolition au motif que cette dernière était disproportionnée eu égard au préjudice subi par la victime de l'empiètement. Enfin, dans la dernière affaire (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113), qui est sans doute la plus intéressante, les magistrats du Quai de l'horloge censurèrent la cour d'appel de Bourges, pour défaut de base légale, d'avoir ordonné la démolition totale d'un bâtiment empiétant sur l'héritage voisin. En réalité, le grief adressé aux juges du fond consistait à ce qu'ils n'avaient pas recherché si le rabotage du mur n'était pas suffisant pour mettre fin à l'empiètement.

Si l'on met de côté les arguments classiquement invoqués mais systématiquement rejetés par la Cour de cassation pour tenter d'éviter la sanction drastique de l'empiètement -abus de droit de propriété (2), bonne foi de l'auteur de l'empiètement (3), mauvaise foi de la victime de l'empiètement (4), antériorité de l'empiètement (5), caractère minime de l'empiètement (6)- deux points soulevés dans ces arrêts méritent notre attention. D'une part, les deux premiers arrêts (Cass. civ. 3, 10 novembre, n° 15-21.949 et 15-19.561) mettent en lumière le caractère disproportionné de la sanction ; d'autre part, les modalités de la sanction appellent quelques observations eu égard notamment au troisième arrêt rendu (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113).

Dans la première espèce (Cass. civ. 3, 10 novembre, n° 15-21.949), les demandeurs au pourvoi arguaient du fait que la réalisation de travaux supplémentaires pouvait entraîner des conséquences disproportionnées sur le patrimoine du propriétaire de l'immeuble en cause. De la même manière, dans la deuxième affaire (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-19.561), la cour d'appel estimait que la démolition était disproportionnée en l'absence de préjudice. La tentative du recours à la proportionnalité n'est pas nouvelle pour tendre à davantage d'équité en matière d'empiètement lorsque ce dernier est particulièrement minime. Pourtant, pour l'heure, la Cour de cassation s'y refuse en se drapant de l'absoluité du droit de propriété de l'article 544 du Code civil et de la seule possibilité d'admettre l'expropriation pour cause d'utilité publique conformément à l'article 545 du même code. Toutefois, il n'est pas certain que ce refus subsiste à l'heure où la proportionnalité gagne le contrôle de la Cour de cassation ainsi que les dispositions, à venir sans doute, du Code civil. En effet, l'article 1261 du projet de réforme de la responsabilité civile (7) prévoit que la réparation en nature ne sera pas ordonnée en cas d'impossibilité ou de disproportion manifeste entre son coût pour le responsable et son intérêt pour la victime. Autrement dit, appliquée à l'empiètement, cela signifie que la démolition de la totalité de l'ouvrage pourrait être refusée lorsque celle-ci conduit à un coût exorbitant eu égard au préjudice subi du fait de l'empiètement.

Pour l'heure, la proportionnalité n'a pas trouvé grâce aux yeux de la Cour de cassation. En revanche, elle semble faire preuve d'un peu plus de souplesse lorsqu'il s'agit de s'entendre sur les modalités de la sanction de l'empiètement comme en témoigne la troisième espèce (Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113). En effet, en indiquant que les juges du fond auraient dû rechercher si le rabotage du mur n'était pas de nature à mettre fin à l'empiètement constaté, les magistrats du Quai de l'horloge semblent ne pas considérer, une fois l'empiètement constaté, que la démolition de la construction empiétant sur le fonds d'autrui est la seule solution. Or, il n'a jamais été question de procéder à la démolition automatique de la totalité de la construction puisque l'article 545 du Code civil invite à mettre fin à l'empiètement. En d'autres termes, seule l'assiette de l'empiètement est visée de telle manière que la démolition de l'ouvrage doit seulement être perçue comme une conséquence de la sanction de l'empiètement lorsque la démolition de la partie de l'ouvrage qui empiète (un mur porteur par exemple) ne peut conduire qu'à la démolition de l'ouvrage dans son entier. Aussi, il ne faut pas voir dans cette décision un assouplissement de la position de la Cour de cassation mais simplement la volonté de faire cesser l'empiètement en se limitant, quand c'est possible, à ce qui est seulement nécessaire. Enfin, cette dernière espèce est l'occasion d'évoquer la solution proposée par l'association Henri Capitant lorsque l'empiètement est minime. En effet, l'article 539 de l'avant-projet de réforme de droit des biens dispose que "le propriétaire victime d'un empiètement non intentionnel sur son fonds, ne peut, si celui-ci est inférieur à 0,30 mètres, en exiger la suppression que dans le délai de deux ans de la connaissance de celui-ci sans pouvoir agir plus de 10 ans après l'achèvement des travaux". Si un peu de bienveillance semble appropriée en matière d'empiètement minime, en revanche, la détermination arbitraire d'une mesure ne semble guère souhaitable dans la mesure où la perte d'utilité du bien devrait davantage être appréciée eu égard à la perte de la superficie correspondante à l'assiette de l'empiètement. Or, cette dernière espèce prend soin de mettre en évidence la superficie de l'empiètement -0,04 m² en l'espèce- plutôt que la mesure de l'empiètement. Aussi, il nous semblerait utile que ce critère soit retenu pour la simple raison qu'il vaut mieux, par exemple, un empiètement d'1 mètre sur une bande de 2 mètres qu'un empiètement de 20 centimètres sur une bande de 500 mètres.

Séverin Jean

2°) Troubles anormaux de voisinage

  • Du fondement juridique des troubles anormaux du voisinage à leur appréciation judiciaire - Un syndicat de copropriétaires peut agir sur le fondement du trouble anormal du voisinage à l'encontre d'un copropriétaire (Cass. civ. 3, 11 mai 2017, n° 16-14339, FS-P+B+I N° Lexbase : A4628WCE). L'appréciation variable du trouble anormal du voisinage (Cass. civ. 3, 19 janvier 2017, n° 15-28.591, F-D N° Lexbase : A7208S9T et Cass. civ. 3, 26 janvier 2017, n° 15-16.977, F-D N° Lexbase : A5540TAG). De la compétence du juge judiciaire limitée même en présence d'un trouble anormal du voisinage en présence d'une installation classée (Cass. civ. 3, 25 janvier 2017, n° 15-25.526, FS-P+B+I N° Lexbase : A8409S9C)

Dans la première espèce (Cass. civ. 3, 11 mai 2017, n° 16-14.339), un syndicat de copropriétaires assigna un copropriétaire en indemnisation à la suite d'infiltrations d'eau. L'arrêt est important en ce qu'il posait la question du fondement juridique de l'action. En effet, l'action du syndicat des copropriétaires à l'encontre d'un copropriétaire devait-elle être exercée sur le fondement de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété ou sur le fondement des troubles anormaux du voisinage. Les juges du fond estimèrent que l'action ne pouvait être conduite que sur le fondement de la loi du 10 juillet 1965 -l'article 9 (8) plus particulièrement- et non sur le fondement des troubles anormaux du voisinage. Pourtant, la Cour de cassation désavoua la cour d'appel en énonçant, sous l'allure d'un principe, "qu'un syndicat des copropriétaires peut agir à l'encontre d'un copropriétaire sur le fondement d'un trouble anormal de voisinage". Par ailleurs, la solution semble parfaitement logique puisqu'en matière de troubles anormaux de voisinage, il a toujours été admis que peu importe qui souffre du trouble du moment que le demandeur souffre lui-même du trouble. Or, dans la mesure où un syndicat de copropriété est composé de l'ensemble des copropriétaires, ce dernier peut agir en justice, pour le compte de la copropriété, dès lors que des infiltrations menacent l'immeuble -notamment des parties communes- puisque le syndicat des copropriétaires a pour objet spécialement la conservation de l'immeuble. Par conséquent, il est loisible de penser que le syndicat des copropriétaires dispose légitiment d'un intérêt à agir en ce sens qu'il souffre lui-même du trouble. Enfin, de manière plus prospective, il convient de songer au projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 qui a le mérite de consacrer légalement les troubles anormaux de voisinage. En effet, l'article 1244 alinéa 1 (N° Lexbase : L0946KZ3) dispose que "le propriétaire, le locataire, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs, qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, répond de plein droit du dommage résultant de ce trouble". Dès lors, en précisant clairement les débiteurs en matière de troubles anormaux de voisinage, il serait clairement acquis que le copropriétaire, propriétaire donc, pourrait assurément voir sa responsabilité engagée pour les préjudices causés consécutivement à un trouble qui excèderait les inconvénients normaux du voisinage. Reste alors à apprécier l'anormalité du trouble.

L'appréciation de l'anormalité du trouble n'est pas toujours évidente comme en témoignent les deux autres arrêts (Cass. civ. 3, 19 janvier 2017, n° 15-28.591 et Cass. civ. 3, 26 janvier 2017, n° 15-16.977) quand bien même les circonstances factuelles seraient a priori semblables. Dans les deux espèces, des propriétaires de maisons d'habitation estimaient avoir perdu de l'ensoleillement du fait de la construction d'immeubles sur les fonds voisins. Pourtant, les solutions divergent. En effet, dans l'espèce du 19 janvier 2017, les magistrats du Quai de l'horloge estimèrent que la perte d'ensoleillement était significative compte tenu de la configuration en longueur et de la faible largeur de la parcelle de telle manière que le trouble anormal de voisinage était caractérisé peu important que l'immeuble litigieux fût implanté en milieu urbanisé. En revanche, dans l'espèce du 26 janvier 2017, la Cour de cassation refusa de retenir le trouble anormal du voisinage au motif que la perte de vue d'ensoleillement et l'étroitesse du passage pour les travaux d'entretien constituaient certes des inconvénients réels mais qu'ils n'excédaient pas les inconvénients normaux du voisinage. La divergence des solutions est à vrai dire peu compréhensible mais ce serait oublier que l'anormalité du trouble est une question de fait relevant alors de la seule appréciation souveraine des juges du fond. Aussi, le signataire se contentera de rappeler que l'anormalité du trouble doit être appréciée in concreto en tenant compte spécialement de la destination et de l'environnement des lieux.

Enfin, le dernier arrêt (Cass. civ. 3, 25 janvier 2017, n° 15-25.526) est relatif à la compétence du juge judiciaire en matière de troubles anormaux de voisinage lorsqu'est en cause des installations éoliennes, lesquelles sont assimilées à des installations classées. En effet, il est acquis que lorsque la juridiction judiciaire constate des nuisances occasionnées par une installation classée, celle-ci peut parfaitement prendre les mesures pour faire cesser le préjudice subi sous réserve toutefois de ne pas méconnaître le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire. Plus précisément, et c'est ce que rappelle la Cour de cassation dans cette espèce, ce n'est qu'à la condition que le juge judiciaire ne s'immisce pas dans l'exercice d'une police administrative spéciale sans quoi son intervention porterait atteinte au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Cette limitation du l'autorité judiciaire est exprimée depuis la fin du 19ème siècle (9) et confirmée par le Tribunal des Conflits de manière constante (10). Dans l'arrêt du 25 janvier 2017, la Cour de cassation procède en trois étapes : d'abord, elle rattache les éoliennes à des installations classées ; ensuite, elle rappelle le principe de la compétence du juge judiciaire en troubles anormaux du voisinage ; enfin, elle limite la compétence de ce dernier lorsque les mesures envisagées viennent en contradiction avec les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient. La motivation de la Cour de cassation ne souffre, par conséquent, n'aucune critique. Aussi, c'est surtout les précisions apportées, relatives aux incidences du principe de séparation des autorités lorsqu'est en cause une police spéciale, qui doivent retenir notre attention. En effet, les magistrats du Quai de l'horloge, partant de l'idée que le juge judiciaire ne pouvait substituer son appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les dangers et inconvénients que pouvaient présenter ces installations, en a logiquement déduit que les mesures que le juge judiciaire pourrait prendre -l'enlèvement des installations éoliennes- contrarieraient les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient. Par conséquent, c'est à bon droit que la Cour de cassation a relevé l'incompétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la demande d'enlèvement des installations litigieuses. Pour autant, cette jurisprudence risque de conduire à l'impossibilité pure et simple, pour le juge judiciaire, de connaître des troubles anormaux de voisinage en matière d'éoliennes pour au moins deux raisons. En premier lieu, l'appréciation du trouble visuel et esthétique est nécessairement subjective de telle sorte que cela conduira sans doute à considérer systématiquement que le juge judiciaire a substitué ladite appréciation à celle de l'autorité de police administrative. En second lieu, les inconvénients esthétiques et visuels ayant déjà fait l'objet d'un examen au moment de la délivrance du permis de construire et à l'occasion d'une étude d'impact et d'une enquête publique, il est fort probable que l'immixtion de l'autorité judiciaire à ce propos ne puisse être que contraire à l'autorisation administrative.

Séverin Jean


(1) L'article 545 du Code civil dispose que "nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité" (N° Lexbase : L3119AB7).
(2) Cass. civ. 3, 7 novembre 1990, n° 88-18.601 (N° Lexbase : A3914AHG): "Qu'en statuant ainsi, alors que la défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus [...]".
(3) Cass. civ. 3, 19 décembre 1983, n° 82-15.670 (N° Lexbase : A2093CID).
(4) Cass. civ. 3, 18 février 1998, n° 95-19.106 (N° Lexbase : A2420ACM). Dans cette affaire, la victime de l'empiètement avait gardé le silence pendant la construction empiétant sur son fonds.
(5) Cass. civ. 3, 7 novembre 1978, n° 77-13.300 (N° Lexbase : A5205CGU).
(6) Cass. civ. 3, 29 février 1984, n° 83-10.585 (N° Lexbase : A4115CKM) : "L'article 545 du Code civil [...] doit être appliqué dans toute sa rigueur [...] même si son importance est minime".
(7) L'article 1261 du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 dispose que "la réparation en nature ne peut être imposée à la victime. Elle ne peut non plus être ordonnée en cas d'impossibilité ou de disproportion manifeste entre son coût pour le responsable et son intérêt pour la victime".
(8) Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, art. 9 (N° Lexbase : L4861AHI) : "Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble".
(9) Cass. Requête, 11 juin 1877, D., 1878, 1, 409 et 410.
(10) Tribunal des conflits, 23 mai 1927, Cts Neveux et Kolher, S. 1927, 3, 94.

newsid:461840

Responsabilité

[Brèves] Réparation du préjudice moral d'un enfant né après le décès de son père

Réf. : Cass. civ. 2, 14 décembre 2017, n° 16-26.687, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3674W79)

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N1806BX8

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par June Perot

Le 21 Décembre 2017

Dès sa naissance, l'enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu'il était conçu. Telle est la solution énoncée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 décembre 2017 (Cass. civ. 2, 14 décembre 2017, n° 16-26.687, FS-P+B+I N° Lexbase : A3674W79 à rapprocher de : CAA Nantes, 4ème ch., 7 juin 2017, n° 16NT01005 N° Lexbase : A3771WH7).

Dans cette affaire, M. X, qui effectuait des missions pour une société d'intérim, a été victime d'un accident mortel du travail alors qu'il avait été mis à la disposition d'une société. Sa veuve a saisi le tribunal des affaires de Sécurité sociale pour faire juger que l'accident était dû à la faute inexcusable de l'employeur et obtenir réparation de son préjudice et de celui de ses enfants. Il a été jugé que la société, ayant commis une faute inexcusable, devait, avec son assureur, garantir la société d'intérim de l'ensemble des conséquences de celle-ci.

En cause d'appel, la société et son assureur ont été condamnés à indemniser le préjudice moral de l'enfant. Ils ont alors formé un pourvoi, soutenant que la réalité objective de la souffrance de l'enfant invoquée n'avait pas été établie et qu'il n'existait pas de lien de causalité entre le décès accidentel d'une personne et le préjudice subi par son fils né après son décès.

La Haute juridiction énonce la solution précitée et approuve la cour d'appel en ce qu'elle a caractérisé l'existence d'un préjudice moral résultant de l'absence définitive du père de l'enfant, ainsi que du lien de causalité entre le décès accidentel du père et ce préjudice (cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E7678EQG).

newsid:461806

Urbanisme

[Jurisprudence] Le Conseil d'Etat précise les contours de la notion d'immeuble de grande hauteur

Réf. : CE 1° et 6° ch.-r., 6 décembre 2017, n° 405839, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6255W4G)

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N1831BX4

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"

Le 21 Décembre 2017

Par arrêté du 16 juin 2015, le maire de Bordeaux, agissant au nom de l'Etat, a délivré à la société X le permis de construire d'un immeuble de dix-neuf étages à vocation de résidence étudiante, comprenant quatre-vingt-dix logements, dont deux appartements en duplex occupant les dix-huitième et dix-neuvième étages. L'immeuble, d'un goût architectural discutable, présente une hauteur de soixante-et-un mètres dans un environnement d'immeubles urbains de petite taille. Deux voisins ayant décidé de faire annuler le permis de construire ont saisi le maire de recours gracieux puis de recours contentieux. Par deux jugements du même jour, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le permis de construire. De manière assez surprenante, le tribunal n'a pas prononcé la jonction des deux affaires alors qu'elles présentaient les mêmes questions à juger. Ce faisant, il n'a fait qu'user de son pouvoir discrétionnaire sur ce point, dès lors qu'il est de jurisprudence constante que "dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif dispose, sans jamais y être tenu, de la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires ; que l'absence de jonction est, par elle-même, insusceptible d'avoir un effet sur la régularité de la décision rendue et ne peut, par suite, être contestée en tant que telle devant le juge de cassation" (CE, 22 septembre 2017, n° 401364 N° Lexbase : A7381WS8 ; CE, 17 février 2006, n° 365943 N° Lexbase : A4120PL8 ; CE, 23 octobre 2015, n° 370251 N° Lexbase : A0319NUD). Il en résulte néanmoins que la même décision a été annulée le même jour à deux reprises ce qui est toujours un peu curieux car dès lors que l'une des annulations précède l'autre, la seconde vient à annuler une décision qui n'existe déjà plus. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat, confirmant l'annulation sur la base de l'un des pourvois a jugé qu'il n'y avait plus lieu à statuer sur l'autre. Sur le fond, les premiers juges ont considéré que le permis était illégal pour deux motifs : le premier est tiré de la qualification d'immeuble de grande hauteur, le second, qui ne fait pas l'objet du débat devant le juge de cassation, porte sur l'application de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L0569KWY) et constitue une conséquence de la qualification d'immeuble de grande hauteur. Statuant par une seule décision sur les deux pourvois en cassation formés par le promoteur, le Conseil d'Etat confirme la solution de fond retenue par les premiers juges. L'arrêt confirme quelques points de contentieux et précise les contours de la notion d'immeuble de grande hauteur.

I - Quelques rappels de contentieux de l'urbanisme

L'arrêt du 6 décembre 2017 s'inscrit dans la continuité de décisions récentes, tant au niveau de la qualité pour agir, qu'au sujet du permis de construire modificatif.

En premier lieu, le Conseil d'Etat confirme les modalités d'appréciation de l'intérêt pour agir qui découle de sa jurisprudence la plus récente. On sait qu'afin de limiter le contentieux, l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4348IXC) a réduit la recevabilité des recours aux seuls requérants dont les conditions de jouissance peuvent être affectées par les autorisations, limitant ainsi fortement les hypothèses dans lesquelles l'intérêt pour agir est reconnu. Le Conseil d'Etat a donc été dans l'obligation de préciser ces restrictions en les modulant quelque peu. L'arrêt reprend donc les termes de ce qui est devenu un considérant de principe : "il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction".

L'arrêt s'inscrit donc dans une parfaite continuité avec une décision du 13 avril 2016 (CE 1° et 6° s-s-r., 13 avril 2016, n° 389798, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6777RCY) (1) et confirme la situation particulière dont bénéficie le voisin qui peut se prévaloir d'une sorte de présomption implicite.

Il apporte toutefois deux précisions supplémentaires.

La première porte sur la notion de voisinage en zone urbaine : celui-ci est reconnu au sens de la jurisprudence relative à l'article L. 600-1-2 dès lors que l'immeuble du requérant se trouve dans le même îlot que celui du terrain d'assiette du projet.

La seconde précision porte sur le trouble reconnu comme donnant qualité pour agir : il s'agit ici de la vue, dès lors que le projet consiste dans une tour de soixante-et-un mètres de haut. Les deux éléments, localisation et trouble de jouissance, ne sont pas cependant, par principe, nécessaires pour que la qualité pour agir soit reconnue, dès lors que la jurisprudence exige du voisin qu'il fasse état "d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction". Il reste qu'il est plus prudent, pour l'auteur du recours, de motiver son recours avec le plus grand soin afin d'éviter de faire l'objet de l'exception dont le Conseil d'Etat n'a pas dessiné les contours mais dont il a prévu l'existence lorsqu'il relève que "le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir". Il y a fort à parier qu'un arrêt futur viendra préciser le contenu de cette exception.

Second rappel relatif, cette fois-ci, aux articles L. 600-5 (N° Lexbase : L4354IXK) et L. 600-5-1 (N° Lexbase : L4350IXE) du Code de l'urbanisme qui permettent au juge, pour le premier, de limiter l'annulation de l'autorisation aux éléments insusceptibles d'être régularisés par un permis modificatif et, pour le second, de sauver un permis annulable en offrant au pétitionnaire la possibilité de produire, en cours d'instance, un permis modificatif (2).

L'arrêt du 6 décembre 2017 officialise une solution précédemment énoncée dans un arrêt non publié du 23 décembre 2015 (CE n° 383490 N° Lexbase : A0104N3A). Il précise, au sujet de la possibilité offerte au juge de provoquer la délivrance d'un permis modificatif, que si "l'exercice de cette faculté par le juge n'est pas nécessairement subordonné à la présentation de conclusions en ce sens, le tribunal s'est livré, en s'abstenant d'en faire usage en l'espèce, à une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation".

D'une part, l'arrêt cerne donc l'office du juge qui le conduit à décider de lui-même de recourir à cette procédure. Ne pas exiger que la demande vienne du pétitionnaire confère donc au juge un pouvoir qui dépasse le pouvoir ordinaire du juge de la légalité. On sait que l'office du juge des référés lui ferme cette possibilité (CE, 22 mai 2015, n° 385183 N° Lexbase : A5597NI7). On rappellera également que, dans le cadre de l'article L. 600-5-1, la légalité du permis modificatif doit être contestée à l'occasion de l'instance dirigée contre le permis initial, une nouvelle requête dirigée contre le permis modificatif étant irrecevable (CE, 19 juin 2017, n° 398531 N° Lexbase : A4267WIU). De même, lorsque le juge a fait usage de la faculté de surseoir à statuer ouverte par l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme, qu'un permis modificatif a été délivré et que le juge a mis fin à l'instance par un second jugement, l'auteur d'un recours contre ce jugement peut contester la légalité du permis de construire modificatif par des moyens propres et au motif que le permis initial n'était pas susceptible de régularisation (CE, 19 juin 2017, n° 394677 N° Lexbase : A4251WIB).

D'autre part, la décision de ne pas recourir à l'application de l'un de ces deux articles relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Le Conseil d'Etat avait déjà posé des repères relatifs au contrôle de la décision de faire application de l'article L. 600-5-1, laquelle peut faire l'objet d'un recours jusqu'à la délivrance du permis modificatif, date après laquelle les conclusions dirigées contre la décision de faire usage des pouvoirs prévus par cet article deviennent irrecevables car privées d'objet (CE, 19 juin 2017, n° 394677 N° Lexbase : A4251WIB).

En revanche, la décision de ne pas faire recourir au permis modificatif échappe au contrôle du juge de cassation, précisément parce que l'utilisation de ces procédures relève d'un choix du juge du fond. La question ne pose pas de difficultés lorsque, comme ce fût le cas devant le tribunal administratif de Bordeaux dans les deux espèces ayant donné lieu au présent arrêt, le pétitionnaire ne demande pas au juge de recourir à l'une des deux procédures : en l'absence de conclusions en ce sens et en l'absence de décision du juge, la contestation en appel ou en cassation sur cette question est impossible dès lors qu'elle présente aucun point d'accroche. Le juge n'ayant pas été saisi, aucun défaut de motivation ne peut lui être reproché et la décision n'ayant donc pas évoqué la question, aucune discussion ne peut être soulevée devant le juge d'appel ou de cassation, sous peine d'irrecevabilité des moyens nouveaux. Toutefois, lorsque le pétitionnaire sollicite l'application de l'un des deux articles, le refus de mettre en oeuvre l'une des deux procédures est susceptible d'être contesté en appel ou en cassation, dès lors que le respect de l'obligation de motivation impose au juge de répondre au moyen.

II - Les contours de l'immeuble de grande hauteur

Le titre II du livre 1er de la partie réglementaire du Code de la construction et de l'habitation contient les dispositions relatives à la sécurité incendie des immeubles. Le dispositif général repose sur le classement des immeubles en plusieurs catégories auxquelles s'appliquent des régimes juridiques différents. Les immeubles de grande hauteur (IGH) présentent des caractéristiques qui imposent un régime draconien en termes de sécurité incendie.

L'article R. 122-2 de ce code (N° Lexbase : L7845IEB) précise que "constitue un immeuble de grande hauteur, pour l'application du présent chapitre, tout corps de bâtiment dont le plancher bas du dernier niveau est situé, par rapport au niveau du sol le plus haut utilisable pour les engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie : / - à plus de 50 mètres pour les immeubles à usage d'habitation [...]". L'article R. 431-29 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7639HZX) impose au pétitionnaire d'un permis relatif à un immeuble de grande hauteur, de produire, à l'appui de sa demande le récépissé du dépôt en préfecture du dossier spécifique à ces immeubles.

L'article R-111-13 (N° Lexbase : L7804ABN) renvoie à un arrêté ministériel, daté du 31 janvier 1986 (arrêté relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation N° Lexbase : L6351LHP), pour fixer les critères de répartition entre les différentes catégories d'immeuble d'habitation. Cet arrêté s'applique aux bâtiments d'habitation dont le plancher bas du logement le plus haut est situé au plus à cinquante mètres au-dessus du sol utilement accessible aux engins des services de secours et de lutte contre l'incendie. Le dépassement de la hauteur de cinquante mètres entraîne l'application du régime des IGH. Les habitations dont le plancher bas du logement le plus haut est situé entre vingt-huit et cinquante mètres au-dessus du niveau du sol utilement accessible aux engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie appartiennent à la quatrième famille et n'entrent donc pas dans la catégorie des IGH. Aux termes d'une modification réglementaire postérieure à la délivrance du permis de construire en cause, l'arrêté précise que, pour le classement des bâtiments, seul le niveau bas des duplex ou des triplex des logements situés à l'étage le plus élevé est pris en compte, notamment, si ces logements disposent d'une pièce principale et d'une porte palière en partie basse.

La difficulté était donc de déterminer ce qui devait être qualifié de plancher bas pour un duplex : le plancher du dix-huitième ou celui du dix-neuvième étage ? Le tribunal administratif avait estimé que l'immeuble devait être qualifié d'immeuble de grande hauteur au motif que le dernier niveau des deux duplex, situé au dix-neuvième étage, était prévu pour accueillir notamment l'unique chambre de chaque logement et que le plancher bas de ce dernier niveau s'élève à une hauteur de cinquante-deux mètres. Le tribunal avait considéré "qu'au sens de ces dispositions, qui tiennent compte du plancher bas du dernier niveau par rapport au niveau du sol le plus haut utilisable pour les engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie, le projet de la SNC [X] doit donc être regardé comme un immeuble de grande hauteur".

Le pétitionnaire soutenant que ce devait être le premier niveau qui devait être retenu, le tribunal a résolu la question de la contradiction entre le code et l'arrêté du 31 janvier 1986, lequel utilise seulement la notion de logement, en relevant que les dispositions du code de la construction, ayant une valeur réglementaire supérieure à celle de l'arrêté, devaient prévaloir sur celle de l'arrêté.

Sans reprendre à son compte de manière expresse la contrariété entre les deux textes, le Conseil d'Etat confirme la solution de principe des premiers juges en relevant qu'"il résulte des dispositions de l'article R. 122-2 du Code de la construction et de l'habitation que la hauteur d'un immeuble se mesure, pour l'application de la réglementation relative aux immeubles de grande hauteur, entre le niveau du sol le plus haut utilisable pour les engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie et le plancher bas du dernier niveau, qui désigne le plancher qui sépare celui-ci du niveau immédiatement inférieur. Ces dispositions doivent être comprises comme visant le dernier niveau de l'immeuble quand bien même celui-ci correspond à la partie supérieure d'un duplex ou d'un triplex, sans qu'y fasse obstacle le parti que les auteurs de l'arrêté du 31 janvier 1986 précité ont cru pouvoir retenir en se référant, à son article 1er, au 'plancher bas du logement le plus haut', et en précisant, au 5° de son article 3, le régime des duplex et triplex, au demeurant par des dispositions postérieures au permis de construire en litige".

Aucune décision n'avait été rendue au sujet de cette notion de "plancher bas". Le Conseil d'Etat lui donne une définition très générale qui ne dépend pas des modalités d'organisation interne de l'immeuble et donc de la configuration en duplex ou triplex choisie par l'architecte. En relevant, de manière apparemment tautologique, que le plancher bas est celui qui sépare le dernier niveau du niveau immédiatement inférieur, le Conseil d'Etat énonce un critère qui dépend de la structure de l'immeuble et non de sa configuration interne. En effet, sur la base de l'arrêté, on pouvait soutenir qu'il fallait raisonner au regard des logements, auquel cas le dix-huitième étage constituait le plancher bas des deux duplex. Sans souligner de contrariété manifeste entre les deux textes, le Conseil d'Etat écarte donc cette interprétation en relevant que les termes de l'arrêté ne font pas obstacle à son interprétation de la notion de plancher bas, ce qui est une façon polie d'éviter de souligner une contradiction entre les actes réglementaires en cause.

On remarquera la rigueur du juge administratif suprême en la matière. Le pétitionnaire avait fait le choix d'éviter la qualification "IGH", et c'est très probablement ce qui explique le choix des duplex dans les deux derniers étages. Les contraintes de sécurité très lourdes liées à cette qualification se traduisent par des coûts incompressibles, incompatibles avec la rentabilité d'un investissement immobilier pour un investisseur et un loyer maîtrisé pour un utilisateur. La création de quatre-vingt-dix logements pour étudiants en plein Bordeaux ne vaut donc pas une entorse aux exigences de sécurité.

On notera cependant que, lorsqu'il ne s'agit plus de sécurité, le Conseil d'Etat ne s'embarrasse pas d'une telle rigueur. Le principe d'indépendance des législations ayant bon dos, l'application de la méthode par comparaison utilisée pour l'évaluation de la valeur locative des locaux commerciaux et biens divers prévue au 2° de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT) ne s'appuie pas sur les critères de l'article R. 122-2 du code de la Construction. En effet, "il n'y a [...] pas lieu de se référer à la catégorie des immeubles de grande hauteur définie par le code de la construction et de l'habitation, notamment par son article R. 122-2, qui inclut des immeubles qui ne présentent pas, par la nature de leur construction, de spécificité telle, au regard de la loi fiscale, qu'elle empêche la comparaison avec un immeuble n'appartenant pas à cette catégorie" (CE, 21 janvier 2016, n° 371972 N° Lexbase : A5761N47), une telle solution étant soit favorable au contribuable (CE, 4 mai 2016, n° 371973 N° Lexbase : A4595RNI), soit défavorable (CE, 6 janvier 2017, n° 389983 N° Lexbase : A4879S34).

Le Conseil d'Etat ne peut donc que constater que l'illégalité du permis de construire, dès lors que le dossier de demande ne contenait pas le récépissé de dépôt en préfecture du dossier relatif aux immeubles de grande hauteur. Bien qu'il s'agisse d'un motif d'annulation relatif à la légalité externe du permis de construire, ses implications sont telles que le promoteur se trouve donc contraint de revoir son projet en entier. Les conséquences de la qualification d'IGH modifient de manière déterminante l'aménagement interne de l'immeuble et sa gestion : on peut penser qu'il préfèrera supprimer le dernier étage, si tant est que cela soit possible. La présentation du projet sur le site officiel du promoteur deviendra alors exacte : "l'immeuble s'étire sur 61 mètres de haut et comprend 18 étages"....


(1) Lire nos obs., De nouveaux développements sur le contrôle de l'intérêt à agir contre les autorisations d'urbanisme par le voisinage immédiat, Lexbase éd. pub. n° 415, 2016 (N° Lexbase : N2581BWI).
(2) Sur le régime de l'article L. 600-5-1, lire nos obs. sous CE, 22 février 2017, n° 392998 (N° Lexbase : A7530TN9), L'extension du champ d'application de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme, Lexbase éd. pub., n° 452, 2017 (N° Lexbase : N7081BW8).

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