La lettre juridique n°684 du 19 janvier 2017

La lettre juridique - Édition n°684

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Absence de discrimination dans l'indemnisation d'une salariée victime d'une maladie professionnelle

Réf. : CEDH, 12 janvier 2017, n° 74734/14 (N° Lexbase : A0651S7A)

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par Charlotte Moronval

Le 19 Janvier 2017

La différence de traitement entre les salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle causée par la faute de leur employeur et les individus victimes d'un dommage qui se produit dans un autre contexte ne constitue pas une discrimination, dans le sens où ils ne se trouvent pas dans des situations analogues ou comparables. Telle est la solution dégagée par la Cour européenne des droits de l'Homme dans un arrêt rendu le 12 janvier 2017 (CEDH, 12 janvier 2017, n° 74734/14 N° Lexbase : A0651S7A).
Dans cette affaire, une salariée française est employée dans un laboratoire. Elle contracte une maladie dont le caractère professionnel est reconnu par le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Créteil. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Créteil lui reconnaît un taux d'incapacité permanent de 70 % et lui accorde une rente d'incapacité. Le tribunal reconnaît ensuite la faute de l'employeur et fixe la rente à son taux maximum. Il ordonne également une expertise pour l'évaluation des préjudices extrapatrimoniaux. Sur la base de ce rapport, la salariée demande l'indemnisation de l'ensemble de ses préjudices. La CPAM refuse de faire l'avance de la réparation de l'intégralité des préjudices réclamés par la requérante. Par un jugement du 21 septembre 2011, le tribunal verse certaines sommes à la salariée mais la déboute en revanche de ses prétentions relatives à "la perte de gains professionnels actuels et futurs et [au] déficit fonctionnel permanent". Saisie par la CPAM, la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 6, 12ème ch., 4 avril 2013, n° 11/10667 N° Lexbase : A5542KBU) infirme le jugement en ce qu'il verse une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle, du déficit fonctionnel permanent, de la tierce personne permanente et du préjudice extrapatrimonial évolutif, et déboute la salariée de ses demandes. La salariée forme un pourvoi en cassation qui est rejeté (Cass. civ. 2, 28 mai 2014, n° 13-18.509, F-D N° Lexbase : A6221MP4). Elle saisit la Cour européenne des droits de l'Homme.
En énonçant le principe susvisée, la Cour énonce qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU) combiné avec l'article 1er du Protocole additionnel (N° Lexbase : L1625AZ9). Elle précise que le régime spécial de responsabilité en cas d'accidents du travail ou de maladies professionnelles est différent du régime de droit commun en ce qu'il ne repose pas sur la preuve d'une faute et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage, et sur l'intervention d'un juge, mais repose sur la solidarité et l'automaticité. La réparation du préjudice en raison de la faute inexcusable de l'employeur vient en complément de dédommagements automatiquement perçus par la victime, ce qui singularise là aussi la situation par rapport à la situation de droit commun (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E4404EXE).

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] La connaissance partagée des éléments visés est de nature à limiter l'étendue du secret professionnel

Réf. : Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n° 15-27.349, F-P+B (N° Lexbase : A2178SXX)

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par Gaëlle Deharo, Professeur en droit privé, groupe INSEEC - Eiffel, Centre de recherche sur la Justice et le Procès, Paris 1

Le 19 Janvier 2017

Par un arrêt 14 décembre 2016, la Haute juridiction prononce la cassation de la décision qui déclare irrecevables, comme couvertes par le secret professionnel, les correspondances échangées entre l'avocat et son client dès lors que la partie à laquelle le secret est opposé avait reçu copie de ces correspondances qui mentionnaient une référence identique et pouvaient se rapporter au même dossier dans lequel l'avocate intervenait au soutien de l'intérêt convergent de ses deux clients, qui participaient à une opération commune, dont ils connaissaient l'ensemble des éléments. Chargée de la défense des intérêts de sa cliente, une avocate avait reçu, par l'intermédiaire de celle-ci, un pouvoir émanant d'un tiers afin qu'elle se porte, pour le compte de celui-ci, adjudicataire de l'immeuble d'habitation de sa cliente, qui faisait l'objet d'une saisie immobilière.

L'immeuble fut ainsi adjugé à l'avocate, agissant pour le compte du tiers. Au décès de celui-ci, un litige survint entre la cliente de l'avocate et l'épouse héritière de l'adjudicataire. La première assignait la seconde pour obtenir sa condamnation à régulariser la vente à laquelle s'était, selon elle, engagé son époux. Afin de faire valoir ses droits, la demanderesse produisait plusieurs documents émanant de son avocate. Les premiers documents invoqués étaient des correspondances que l'avocate avait adressées à sa cliente. Les autres documents étaient, quant à eux, des lettres que l'avocate avait adressées pendant la même période au défunt.

Classique à bien des égards, la question portait sur la production en justice des correspondances échangées par un avocat. La production de ces documents devait permettre à la demanderesse de démontrer que le défunt avait agi, auprès de l'avocate, en son nom et pour son compte, sur le fondement d'un mandat.

Les premiers juges avaient cependant écarté l'ensemble des pièces des débats, celles-ci étant selon eux couvertes par le secret professionnel, conclu que la preuve d'un mandat n'était pas rapportée, rejeté la demande en régularisation de la vente et condamné la demanderesse à verser, à l'épouse héritière, une indemnité d'occupation.

Un appel fut formé et la cour d'appel avait partiellement infirmé la décision des premiers juges. Elle avait, en effet, déclaré recevables les lettres adressées par l'avocate à sa cliente et produites par cette dernière. Mais elle avait, par ailleurs, confirmé la décision des premiers juges en écartant des débats les lettres adressées par l'avocate à l'adjudicataire qui s'opposait à leur production en justice.

Un pourvoi fut formé contre cette décision. Statuant sous le visa de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), la Cour de cassation casse la décision des juges du fond sur ce dernier point. La cour d'appel aurait dû "rechercher comme elle y était invitée, si ces correspondances adressées en copie à la cliente de l'avocate, qui mentionnaient une référence identique, ne se rapportaient pas à un seul et même dossier dans lequel l'avocate intervenait au soutien des intérêts convergents de ses deux clients qui participaient à une opération commune, dont ils connaissaient l'un et l'autre, l'ensemble des éléments".

Sur ce fondement, la décision de la cour d'appel est cassée pour manque de base légale. Par cette décision, publiée au bulletin, la première chambre civile ne remet pas en cause l'application du secret professionnel aux documents litigieux, mais elle vient en préciser l'économie (1). Manifestement, les correspondances produites par la demanderesse étaient couvertes par la confidentialité résultant du secret professionnel (I). Toutefois, les clients connaissaient l'un et l'autre le contenu des correspondances. Or, cette connaissance des éléments visés dans les documents produits est, selon la jurisprudence, de nature à limiter la portée du secret professionnel (II).

I - L'application du secret professionnel

Le secret professionnel est une "obligation de discrétion qui pèse sur certains professionnels et dont la violation par la révélation de confidences acquises lors de l'exercice de leurs fonctions ou mission constitue un délit, sauf dans les cas où un texte impose lui-même ces révélations" (2). Si le secret professionnel de l'avocat est absolu dans son principe (A), il ne l'est pas dans son étendue (3) : la confidentialité des correspondances adressées par l'avocat à des confrères ou à son client ne s'impose pas à celui-ci qui, n'étant pas tenu au secret, peut les produire en justice (4) (B).

A - Les correspondances échangées entre l'avocat et son client sont couvertes par le secret professionnel

Selon la définition proposée par le Professeur Guinchard, le secret professionnel se définit comme "une obligation dont le respect est sanctionné par la loi pénale, imposant à certains professionnels de taire les informations, à caractère secret, dont ils sont dépositaires, soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire. L'incrimination implique la révélation, par le professionnel, de confidences qui lui ont été faites ou d'éléments recueillis au cours de l'exercice de son activité, portant ainsi atteinte à la confiance nécessaire à l'exercice de certaines professions ou fonctions" (5).

Strictement encadré par différents textes (A), le secret professionnel n'est, cependant, pas dépourvu de toutes ambiguïtés notionnelles (B).

1 - Les fondements textuels

La protection du secret professionnel trouve ancrage dans différents textes : la loi n° 71-1130 du 31 décembre1971, le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA) et le règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) (N° Lexbase : L2100IR9).

Plus précisément, l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 prévoit que, "en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention 'officielle', les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel". Faisant écho à cette disposition, le RIN, vient préciser les principes et l'étendue du secret professionnel. Le principe du secret professionnel est à nouveau visé par l'article 2.1 du RIN qui précise que l'avocat est le confident nécessaire du client.

Le secret professionnel de l'avocat est d'ordre public et s'applique en toutes matières (5) : administrative (6), civile et pénale (7). Il est général, absolu (8) et illimité dans le temps. Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l'avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel (9).

L'article 2.2 du RIN vient quant à lui préciser l'étendue du secret professionnel. Celui-ci couvre en toute matière, dans le domaine du conseil ou celui de la défense, et quels qu'en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique...) :

- les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci ;

- les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle ;

- les notes d'entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier, toutes les informations et confidences reçues par l'avocat dans l'exercice de la profession ;

- le nom des clients et l'agenda de l'avocat ;

- les règlements pécuniaires et tous maniements de fonds effectués en application de l'article 27, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 ;

- les informations demandées par les commissaires aux comptes ou tous tiers, (informations qui ne peuvent être communiquées par l'avocat qu'à son client).

2 - L'imprécision notionnelle

Malgré l'existence d'un cadre normatif précis, le secret professionnel reste une notion aux contours flous qui tend à être confondue avec la confidentialité (10).

Le RIN distingue strictement le secret professionnel et la confidentialité. Concernant cette dernière, l'article 3 du RIN dispose que tous échanges entre avocats, verbaux ou écrits quel qu'en soit le support (papier, télécopie, voie électronique...), sont par nature confidentiels. La même disposition ajoute que "les correspondances entre avocats, quel qu'en soit le support, ne peuvent en aucun cas être produites en justice, ni faire l'objet d'une levée de confidentialité". Ce principe de confidentialité des correspondances empêcherait donc la production des documents visés en justice, à moins qu'elles ne portent la mention "officiel", autorisant sa production aux débats (11). Or, cette mention est limitée par l'article 3.2 du RIN aux pièces équivalentes à un acte de procédure et à celles qui ne font référence à aucun écrit, propos ou élément antérieur confidentiel à condition de respecter les principes essentiels de la profession d'avocat (12).

Cette distinction doit cependant être nuancée : la Cour de cassation a choisi d'absorber le principe de confidentialité, distingué par l'article 3 du RIN, dans le secret professionnel prévu par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (13). La doctrine en conclut qu'il n'y aurait donc plus de place pour la confidentialité en dehors du secret professionnel (14). Au demeurant, c'est en ce sens que le lexique de termes juridiques du Professeur Guinchard réduit le secret professionnel en matière civile : "la confidentialité des correspondances adressées par l'avocat à des confrères ou à son client ne s'impose pas à ce dernier qui, n'étant pas tenu au secret professionnel, peut les produire en justice" (15). Au-delà des imprécisions sémantiques, c'est sur la possibilité de produire les correspondances ou d'en demander le retrait des débats que portait la question posée à la Cour de cassation.

B - Le secret professionnel ne s'impose pas au client qui peut produire les correspondances en justice

Le principe du secret professionnel de l'avocat, institué dans l'intérêt supérieur de la justice et de la société, est absolu et d'ordre public et personne ne peut l'en délier, pas même son propre client (16).

N'étant pas lié par le secret professionnel, celui-ci peut décider de rendre publique les pièces protégées dont il ôte alors le caractère confidentiel (17). C'est sur ce fondement que la demanderesse avait, en l'espèce, décidé de produire les correspondances de son avocate, échangées non seulement avec elle-même, mais également avec l'adjudicataire. Or, l'espèce ne manquait pas d'originalité dans la mesure où ce dernier était non seulement le contradicteur de la demanderesse, mais également le client de l'avocate et disposait, par conséquent, des mêmes droits et libertés que celle-ci relativement au secret professionnel et à la confidentialité. Plus spécialement, "le secret de la correspondance est une expression de la protection du secret professionnel comme droit de l'avocat et de son client à la confidentialité. Une correspondance, quelle que soit la forme, entre l'avocat et son client est donc inviolable. La correspondance ne peut ainsi ni être saisie, ni consultée par des tiers. Il convient également de préciser que les correspondances entre l'avocat et son client, même si elles ne sont pas revêtues de la mention 'confidentiel', sont couvertes par le secret professionnel et le client peut en demander le retrait des débats" (18).

Dès lors qu'elle avait reçu, par l'intermédiaire de sa cliente, un pouvoir de l'adjudicataire d'agir en son nom et pour son compte, l'avocate intervenait pour la défense des intérêts de deux clients différents. Il en résulte que chacun de ces clients disposait du même droit à la confidentialité ou à la révélation des informations couvertes par le secret professionnel. En d'autres termes, chacun jouissait donc, pour ce qui le concerne, de la liberté de produire les documents litigieux en justice ou d'en demander le retrait des débats.

En rejetant l'ensemble des pièces, les premiers juges avaient fait primer le secret professionnel sur la volonté de la demanderesse de révéler les documents et de les produire en justice. Ils faisaient ainsi une application extensive du secret professionnel. La solution entrait en contradiction avec la jurisprudence classique qui retient, traditionnellement, une application stricte du secret professionnel. La solution était encore critiquable : n'étant pas liés par le secret professionnel, chaque client disposait, en effet, de la liberté de révéler les informations couvertes par celui-ci. Il en résulte que chacun des clients disposait concurremment de la liberté de produire les correspondances en justice ou d'en demander le retrait des débats. Chacune de ces libertés avait en l'espèce été, concurremment, exercées respectivement par la demanderesse et son contradicteur.

Saisie de la question, la cour d'appel avait fait primer la volonté de chacun et dissocié les deux relations existant avec l'avocate. C'est sur ce fondement qu'elle avait partiellement infirmé la décision des premiers juges en relevant que la confidentialité des correspondances adressées par l'avocat à ses confrères ou à son client ne s'impose pas à celui-ci qui, n'étant pas tenu au secret professionnel, peut les produire en justice.

Elle avait donc considéré comme recevables les correspondances échangées entre l'avocate et la demanderesse, mais avait confirmé la décision des premiers juges relativement à l'irrecevabilité des correspondances échangées entre l'avocate et l'adjudicataire qui, quant à lui, s'opposait à la production de ces correspondances et invoquaient le secret professionnel. C'est ce point de la décision qui est cassé par la première chambre civile : les deux clients de l'avocate participaient à une opération commune dont ils connaissaient, l'un et l'autre, l'ensemble des éléments.

II - La limitation de la portée du secret professionnel par la connaissance des éléments visés par le document litigieux

La Cour de cassation ne censure pas la décision de la cour d'appel d'infirmer la décision des premiers juges et de déclarer recevables les correspondances produites en justice par la demanderesse. C'est, en revanche, sur sa décision de confirmer l'irrecevabilité des correspondances échangées entre l'avocate et l'adjudicataire qu'intervient la cassation. Trouvant ancrage dans la jurisprudence antérieure (A), la décision, publiée au bulletin, apporte des précisions sur la mise en oeuvre des solutions jurisprudentielles classiques (B).

A - La jurisprudence antérieure

La jurisprudence fait une application stricte du secret professionnel (1) qui la conduit à l'écarter lorsque les parties ont déjà connaissance des éléments révélés (2).

1 - L'interprétation stricte de la jurisprudence classique

La correspondance échangée entre l'avocat et son client est protégée par un secret absolu (19), qui se poursuit même après le décès du client (20). Pour autant, la jurisprudence fait une application stricte de cette protection : seules sont couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre l'avocat et ses confrères ou entre l'avocat et son client. Le secret professionnel ne couvre donc pas les autres documents, notamment les correspondances échangées avec un expert-comptable (21), les documents détenus par l'adversaire de son client susceptibles de relever du secret des affaires, dont le refus de communication constitue l'objet même du litige (22), ni les correspondances adressées directement par une partie quelle que soit sa profession, à l'avocat de son adversaire ni celles échangées entre un avocat et une autorité ordinale (23). Enfin, il a été précisé que la production en justice d'un échange de lettres entre un tiers à la procédure et un avocat n'était pas subordonnée à l'autorisation de celui-ci (24).

2 - La connaissance par les parties des éléments révélés

Publiée au bulletin, la décision s'inscrit dans le sillage des décisions antérieures. Par une précédente décision, la première chambre civile avait, en effet, posé les jalons de sa doctrine en rejetant la violation, par l'avocat, du secret professionnel auquel il est soumis lorsque les faits concernés par la révélation étaient notoirement connus par des articles de presse (25). Pragmatique, la première chambre civile ne s'en tient donc pas à une protection formelle du secret professionnel : il ne peut y avoir violation du secret professionnel lorsque les parties ont connaissance, par ailleurs, des éléments révélés (26). Les informations qui ont été partagées n'ont plus alors de caractère secret (27). C'est cette jurisprudence qui soutient le raisonnement de la Cour de cassation en l'espèce : les parties avaient une connaissance partagée des informations révélées (28) qui vient limiter la portée du secret professionnel.

B - La solution de la Cour de cassation

La décision de la cour d'appel est censurée, sous le visa de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, sur le fondement d'un manque de base légale : "en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces correspondances adressées en copie à Mme X, qui mentionnaient la référence identique 'X...2006072- X...101', ne se rapportaient pas à un seul et même dossier, dans lequel l'avocate intervenait au soutien des intérêts convergents de ses deux clients qui participaient à une opération commune, dont ils connaissaient l'un et l'autre l'ensemble des éléments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé". Prononcée à l'issue d'un contrôle normatif de motivation, le manque de base légale censure la décision qui n'a pas caractérisé tous les éléments permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle normatif. En l'espèce, il s'agit de savoir si le secret professionnel est opposable à la demanderesse.

Selon la règle dégagée par la jurisprudence antérieure, la connaissance partagée des informations couvertes par le secret professionnel vient limiter la portée de celui-ci. Or, la première chambre civile vient ici préciser que cette connaissance partagée peut procéder, au-delà de la connaissance notoire (29), d'une connaissance factuelle procédant de la participation à une "opération commune" dont elle donne les éléments de qualification :

- l'avocate intervenait au soutien des intérêts convergents de ses deux clients ;

- les deux clients avaient échangé des correspondances avec leur conseil, qui portaient le même numéro de dossier ;

- les correspondances échangées avaient été adressées en copie à l'autre client, celui-ci souhaitant les produire en justice.

L'arrêt vient donc faire une nouvelle application de la jurisprudence antérieure, relative à la portée du secret professionnel. Il confirme que celle-ci est limitée par la connaissance partagée des éléments visés dans les documents. Cohérente avec la construction jurisprudentielle, la solution doit être approuvée. Il ne faut cependant pas en exagérer la portée ; prononcé pour manque de base légale, celui-ci ne se prononce pas sur la valeur de la solution mais sanctionne l'insuffisance de la motivation des juges du fond.


(1) V. déjà G. Royer, Le champ des correspondances couvertes par le secret professionnel de l'avocat, Lexbase éd. privé, 2016, n° 676 (N° Lexbase : N5052BWZ).
(2) R. Cabrillac, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2017, Lexisnexis, 2017, V. "secret professionnel".
(3) B. Chambel, Le secret professionnel des avocats, JCP éd. G, 2012, hors série, n° 47.
(4) Cass. civ. 1, 30 mai 2013, n° 12-24.090, F-D (N° Lexbase : A9591KEX) ; Cass. com., 8 décembre 2015, n° 14-20.521, F-D (N° Lexbase : A1946NZ4).
(5) L. Dargent, Profession d'avocat. Actualités 2015, livre blanc, Dalloz.
(6) V. par ex.: J.-L. Pierre, Règle du secret professionnel, Procédures, 2007, comm., 271 ; CE 9° et 10° s-s-r., 4 mai 2016, n° 387466, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4627RNP) ; CAA Lyon, plén., 26 juin 2007, n° 05LY01861, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2251DXN).
(7) Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, art. 5. V. également, à titre illustratif, Cass. crim., 4 octobre 2016, n° 16-82.308, FS-D (N° Lexbase : A4362R7P) : aucune disposition légale ou conventionnelle ne fait obstacle à ce que l'officier de police judiciaire, le procureur de la République ou le juge d'instruction, dans l'exercice des pouvoirs qui leur sont reconnus par les articles 56 (N° Lexbase : L4944K8M) à 56-4 du Code de procédure pénale, procèdent à la saisir de telles pièces utiles à la manifestation de la vérité lorsque leur contenu est étranger à l'exercice des droits de la défense ou lorsqu'elle sont de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à une infraction.
(8) V. par ex. Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-10.966, FS-D (N° Lexbase : A5594RTD) : le contenu d'une lettre non revêtue de la mention "officiel", adressée par un avocat à un autre avocat à l'occasion d'une procédure disciplinaire en cours est couverte par le secret absolu des correspondances entre avocats, n'est pas punissable sous la qualification de diffamation non publique.
(9) Adde Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, art. 4.
(10) B. Chambel, Le secret professionnel des avocats, JCP éd. G, 2012, hors série, n° 47.
(11) Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n ° 13-22.952, F-D (N° Lexbase : A6484MYS) ; Cass. civ. 2, 4 décembre 2014, n° 13-25.469, F -D (N° Lexbase : A0675M77). Adde Cass. civ. 1, 12 octobre 2016, n° 15-14.896, F-P +B (N° Lexbase : A9566R7G). S. Grayot-Dirx, La mention "officielle" figurant sur une correspondance entre avocats ne suffit pas à la produire en justice, JCP éd. G, 2016, 1165.
(12) Cass. civ. 1, 12 octobre 2016, n° 15-14.896, F-P+B (N° Lexbase : A9566R7G).
(13) Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-21.219, F-P+B+I (N° Lexbase : A9493HXU).
(14) Y. Repiquet, Il n'y aurait donc pas de confidentialité en dehors du secret professionnel, JCP éd. G, 2011, n° 1243.
(15) S. Guinchard, (Dir.), Lexique de termes juridiques, Dalloz, 2016-2017, V. "secret professionnel".
(16) Y. Repiquet, Il n'y aurait donc pas de confidentialité en dehors du secret professionnel, JCP éd. G, 2011, n° 1243.
(17) Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-20.735, FS-P+B (N° Lexbase : A9671DNI) ; R. Perrot, La portée du secret de la correspondance, Procédures, 2006, comm., 125.
(18) J.-M. Burguburu, Contenu et limites du secret professionnel, Rapport au congrès UIA de Dresde, novembre 2012.
(19) Cass. civ. 1, 12 octobre 2016, n° 15-14.896, F-P+B (N° Lexbase : A9566R7G).
(20) CA Paris, 8 novembre1971, Gaz. Pal., 1972, 1, jur. 96.
(21) Cass. com., 4 novembre 2014, n° 13-20.322, FS-D (N° Lexbase : A9309MZS).
(22) Cass. civ. 1, 25 février 2016, n° 14-25.729, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1654QDM). Y. Strickler, Secret professionnel de l'avocat et secret des affaires, Procédures, 2016, comm. 119.
(23) Cass. civ. 3, 13 octobre 2016, n° 15-12.860, F-P+B (N° Lexbase : A9626R7N).
(24) Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 06-16.740, FS-P+B (N° Lexbase : A3925D7I).
(25) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 03-17.972, F-D (N° Lexbase : A3607DQN).
(26) Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-11.314, F-P+B (N° Lexbase : A3906D7S).
(27) Cass. civ. 1, 14 janvier 2010, n° 08-21.854, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3027EQ8).
(28) F. G'seel-Macrez, Portée du principe de confidentialité des correspondances, JCP éd. G, 2010, 81.
(29) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 03-17.972, F-D (N° Lexbase : A3607DQN).

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Avocats/Déontologie

[Brèves] Contestation de l'élection du président du conseil de discipline : le recours doit s'exercer le délai d'un mois à compter de la publication des résultats

Réf. : Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 15-29.336, F-P+B (N° Lexbase : A0719S87)

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par Anne-Laure Blouet Patin

Le 25 Janvier 2017

D'abord, les délibérations des conseils de l'Ordre désignant les membres du conseil de discipline des avocats du ressort d'une même cour d'appel et l'élection du président du conseil de discipline peuvent être déférées à la cour d'appel ; ensuite le recours de l'avocat s'estimant lésé dans ses intérêts professionnels doit s'exercer dans le délai d'un mois à compter de la publication des résultats. Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 janvier 2017 (Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 15-29.336, F-P+B N° Lexbase : A0719S87). Dans cette affaire, Me G., avocate au barreau de Rennes, a saisi, le 9 juin 2015, la cour d'appel d'un recours en annulation, pour diverses irrégularités, des procès-verbaux des 6 janvier 2014 et 16 janvier 2015 qui constataient l'élection, à l'unanimité, de Me M. et de Me L., en leur qualité respective de président et de vice-présidente du conseil de discipline des avocats du ressort de la cour d'appel de Rennes. Pour déclarer recevable le recours de Me G., la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 6 novembre 2015, n° 15/04729 N° Lexbase : A8834NUQ) retient que le décret ne fixe aucun délai pour contester l'élection, de sorte qu'un scrutin ayant eu lieu l'année précédente peut être contesté devant la cour d'appel plus d'un an après. L'arrêt sera censuré par la Haute juridiction au visa des articles 22-1 et 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), et 16, alinéas 1 et 2, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9162ETI).

newsid:456250

Avocats/Institutions représentatives

[Brèves] Assurance au profit de qui il appartiendra en cas d'insolvabilité de l'avocat : du respect strict des conditions posées par la loi

Réf. : Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 15-28.301, FS-P+B (N° Lexbase : A0792S8T)

Lecture: 2 min

N6249BWD

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par Anne-Laure Blouet Patin

Le 21 Janvier 2017

Le barreau doit contracter une assurance au profit de qui il appartiendra, ou justifier d'une garantie affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus à l'occasion de l'exercice de leur activité professionnelle par les avocats qui en sont membres ; la garantie d'assurance s'applique en cas d'insolvabilité de l'avocat, sur la seule justification que la créance soit certaine, liquide et exigible ; et pour l'assureur, l'insolvabilité de l'avocat résulte d'une sommation de payer ou de restituer suivie de refus ou demeurée sans effet pendant un délai d'un mois à compter de sa signification. Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 janvier 2017 (Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 15-28.301, FS-P+B N° Lexbase : A0792S8T). En l'espèce, après avoir déposé, sur un compte ouvert à la Carpa, des fonds remis par une société A, au titre d'une dette par elle contractée envers une société B tiers, dans l'attente de l'issue du recours formé par cette dernière contre un avis à tiers détenteur notifié à sa débitrice, Me X, avocat au barreau de Paris, a restitué la somme séquestrée à sa cliente, la société A, avant toute décision judiciaire. Le tribunal administratif ayant déchargé la société B du paiement de la somme objet de l'avis à tiers détenteur, celle-ci en a sollicité le versement par l'avocat. La société C, caution, qui garantissait, au profit de qui il appartiendra, le remboursement des fonds reçus à l'occasion de l'exercice de leur activité professionnelle par les avocats membres du barreau de Paris, ayant indemnisé la société B, a assigné l'avocat en remboursement. Pour rejeter la demande, la cour d'appel de Versailles, par un arrêt rendu le 2 juillet 2015, retient que, malgré une créance certaine, liquide et exigible et la justification de l'insolvabilité de l'avocat, la garantie n'a pas été valablement mise en oeuvre, dès lors que l'assureur a indemnisé la société B sans respecter ses obligations contractuelles, qui lui imposaient d'arrêter avec l'Ordre des avocats, souscripteur du contrat, la suite à donner à la réclamation et, en cas de désaccord, de solliciter l'intervention du comité de conciliation, ce qui exclut pour l'assureur le bénéfice de la subrogation (CA Versailles, 2 juillet 2015, n° 13/01327 N° Lexbase : A2889NMX). L'arrêt sera censuré par la Cour de cassation au visa des articles 27, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), 207 et 208 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), ensemble l'article L. 121-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0088AAI) : aucune stipulation du contrat d'assurance obligatoire ne peut avoir pour effet de subordonner la mise en oeuvre des garanties à des conditions que la loi ne prévoit pas (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9289ET9).

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Baux d'habitation

[Brèves] Caractère non abusif d'une clause de solidarité stipulée entre colocataires

Réf. : Cass. civ. 3, 12 janvier 2017, n° 16-10.324, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7824S7W)

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N6201BWL

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 19 Janvier 2017

N'est pas abusive, au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation dans sa rédaction alors applicable (N° Lexbase : L6710IMH), la clause insérée dans un contrat de bail selon laquelle "Il est expressément stipulé que les époux, quel que soit leur régime juridique, les personnes liées par un PACS, les colocataires sont tenus solidairement et indivisibles de l'exécution du présent contrat. Pour les colocataires, la solidarité demeurera après la délivrance d'un congé de l'un d'entre eux pendant une durée minimum de trois années à compter de la date de la réception de la lettre de congé" (nous soulignons les termes prétendus abusifs). Telle est la solution d'un arrêt rendu le 12 janvier 2017 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 12 janvier 2017, n° 16-10.324, FS-P+B+I N° Lexbase : A7824S7W). En l'espèce, le contrat donnant un appartement à bail à M. Y et à Mme X comportait une clause de solidarité telle que susmentionnée. Mme X ayant donné congé avec effet au 7 mars 2011, M. Y était demeuré seul dans le logement. Le 30 juillet 2013, le bailleur avait délivré aux preneurs un commandement visant la clause résolutoire afin d'obtenir le paiement d'un arriéré de loyer puis les avait assignés devant le juge des référés en constatation de la résiliation du bail. Pour dire nulle et réputée non écrite ladite clause, la cour d'appel avait retenu qu'elle était discriminatoire en ce qu'elle prévoyait une situation plus défavorable pour les colocataires par rapport aux couples mariés ou liés par un pacte PACS, pour lesquels aucune sanction n'était prévue en cas de congé donné par l'un des deux au bailleur, et qu'elle introduisait un déséquilibre entre les parties au préjudice des colocataires et en faveur du seul bailleur, lequel se réservait le pouvoir d'apprécier, sans limitation dans le temps, la durée pendant laquelle il pourrait réclamer le règlement des sommes dues en vertu du bail au colocataire lui ayant donné congé (CA Amiens, 1er octobre 2015, n° 14/02128 N° Lexbase : A8845NRZ). A tort, selon la Cour suprême qui, après avoir rappelé la définition des clauses abusives édictée par l'article L. 132-1 précité, relève que tous les copreneurs solidaires sont tenus au paiement des loyers et des charges jusqu'à l'extinction du bail, quelle que soit leur situation personnelle, et que la stipulation de solidarité, qui n'était pas illimitée dans le temps, ne créait pas au détriment du preneur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs des parties. L'arrêt est également censuré en ce qu'il retenait que la clause de solidarité était imprécise quant aux sommes restant dues, à défaut d'indiquer s'il s'agissait seulement des loyers et charges restés impayés ou des loyers et des indemnités d'occupation, la Cour suprême relevant qu'en l'absence de stipulation expresse visant les indemnités d'occupation, la solidarité ne pouvait s'appliquer qu'aux loyers et charges impayés à la date de résiliation du bail.

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Collectivités territoriales

[Brèves] Caractère de SPA d'une prestation consistant à dispenser des cours d'"aquabike" dans une piscine municipale gérée directement par une communauté d'agglomération

Réf. : T. confl., 9 janvier 2017, n° 4074 (N° Lexbase : A7475S8D)

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N6293BWY

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aquabike" dans une piscine municipale gérée directement par une communauté d'agglomération - par Yann Le Foll">

par Yann Le Foll

Le 21 Janvier 2017

La prestation consistant à dispenser des cours d'"aquabike" dans une piscine municipale gérée directement par une communauté d'agglomération doit être considérée comme un service public administratif dont le contentieux relève du juge administratif. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Tribunal des conflits le 9 janvier 2017 (T. confl., 9 janvier 2017, n° 4074 N° Lexbase : A7475S8D). Il ressort des pièces du dossier que le centre aquatique en cause, qui comprend notamment une piscine olympique et un espace "bien-être" doté d'une salle de "cardio-fitness", d'un sauna, d'un hammam et d'un bain à remous, propose des activités d'"aqua-gym" et d'"aqua-bike". Ce centre est exploité directement par la communauté d'agglomération, qui en assure la direction et y affecte des agents dont certains ont la qualité de fonctionnaire. Les produits et charges d'exploitation sont portés au budget de la communauté d'agglomération. Eu égard à son organisation et à ses conditions de fonctionnement, le centre ne saurait être regardé comme un service public industriel et commercial. Il présente par suite, pour l'ensemble de ses activités, un caractère administratif. Dès lors, la demande de la société X tendant à la réparation d'un préjudice commercial imputé notamment au tarif des séances d'"aqua-bike" relève de la compétence des juridictions de l'ordre administratif (T. confl., 20 novembre 2006, n° 3570 N° Lexbase : A5437DS8).

newsid:456293

Concurrence

[Brèves] Pratiques anticoncurrentielles : élaboration d'une stratégie entre un laboratoire pharmaceutique et son distributeur visant à retarder l'arrivée sur le marché de médicaments génériques

Réf. : Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-17.134, FS-P+B (N° Lexbase : A0770S8Z)

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N6281BWK

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par Vincent Téchené

Le 20 Janvier 2017

L'élaboration d'une stratégie visant à retarder la venue, sur les marchés de médicaments, des génériques qui, après l'arrivée à leur terme des brevets, permettent de rétablir une concurrence jusqu'alors inexistante, constitue une pratique d'une particulière nocivité économique. Doit ainsi être sanctionné le laboratoire pharmaceutique qui, sur le point de perdre le monopole légal qu'il détenait depuis dix ans en raison de l'expiration de ses droits de propriété intellectuelle, a convenu d'un plan stratégique avec son distributeur visant à retarder ou décourager l'entrée des génériques sur le marché, par la mise en oeuvre de pratiques de dénigrement et de remises fidélisantes. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 janvier 2017 (Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-17.134, FS-P+B N° Lexbase : A0770S8Z ; rejet du pourvoi formé contre CA Paris, Pôle 5, ch. 5-7, 26 mars 2015, n° 2014/03330 N° Lexbase : A7222NE9). Les pratiques de dénigrement consistaient en une communication de nature à induire un doute ou une prévention non justifiée contre le médicament générique, chez les professionnels de santé, et les remises fidélisantes étaient destinées à provoquer, grâce à des rabais de fidélité, sans contrepartie économiquement justifiée, la constitution de stocks importants du médicament princeps dans les pharmacies afin de saturer les linéaires des pharmaciens et ainsi de dissuader ces derniers de substituer le générique à ce dernier. Dès lors, les sociétés actives sur le marché du médicament princeps s'étaient entendues pour mettre en oeuvre des pratiques faussant le libre jeu de la concurrence et la cour d'appel, qui a pris en compte le contenu de l'accord, les objectifs qu'il visait à atteindre et les éléments du contexte économique et juridique dans lesquels il s'insérait, a pu retenir que l'accord conclu entre ces sociétés avait un objet anticoncurrentiel, peu important que le laboratoire pharmaceutique n'ait pas procédé lui-même à la pratique de dénigrement. En outre, l'existence d'un accord de volonté portant sur la définition en commun d'une stratégie d'entrave au libre jeu de la concurrence et sur les moyens de la mettre en oeuvre est, en l'espèce, établie ; ni le fait que le contrat de licence conclu entre les parties, qui prévoyait qu'elles se rencontreraient une fois par an pour se mettre d'accord sur les stratégies de vente, ait été licite, ni celui que les comportements, objet de l'accord, aient été exécutés unilatéralement par le distributeur du médicament princeps, n'ayant d'incidence sur la caractérisation de cet accord.

newsid:456281

Contrôle fiscal

[Brèves] Réalisation par une société de deux opérations concomitantes d'un montant proche : le cas d'un abus de droit

Réf. : CE 10° et 9° ch.-r., 13 janvier 2017, n° 391196, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0496S9A)

Lecture: 1 min

N6299BW9

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par Jules Bellaiche

Le 20 Janvier 2017

Deux opérations synchrones, de caractère contradictoire, et ne s'étant traduite par aucun flux financier, peuvent révéler l'intention du contribuable d'atténuer ses charges fiscales normales et constituer un abus de droit. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 13 janvier 2017 (CE 10° et 9° ch.-r., 13 janvier 2017, n° 391196, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0496S9A). En l'espèce, la société requérante, redressée sur le fondement des dispositions de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU), a réalisé deux opérations d'un montant proche, l'une de distribution de son report à nouveau sous forme de dividendes au profit de son unique actionnaire, l'autre d'émission d'obligations remboursables en actions (ORA) auxquelles a souscrit ce même actionnaire. Pour la Haute juridiction, qui a donné raison à l'administration, la cour administrative d'appel a justement estimé que ces deux opérations synchrones, de caractère contradictoire, et ne s'étant traduite par aucun flux financier, révélaient l'intention du contribuable d'atténuer ses charges fiscales normales, en déduisant artificiellement de son résultat les intérêts afférents aux ORA émises (CAA Versailles, 14 avril 2015, n° 12VE01779 N° Lexbase : A3013NH3). Elle a ensuite écarté les autres motifs avancés par la requérante pour justifier les opérations en litige, tenant à la recherche d'une finalité sociale, à la poursuite d'un objectif de réorganisation ainsi qu'à la volonté de maintenir sa note de crédit. Ainsi, en déduisant de ces appréciations souveraines, exemptes de dénaturation, que la société n'avait pu être inspirée, en réalisant les opérations en cause, par aucun motif autre que celui d'atténuer ses charges fiscales normales, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis .

newsid:456299

Fonction publique

[Brèves] Conditions d'octroi de la protection fonctionnelle aux collaborateurs occasionnels du service public : absence de faute personnelle de l'agent

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 13 janvier 2017, n° 386799, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0494S98)

Lecture: 2 min

N6294BWZ

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par Yann Le Foll

Le 20 Janvier 2017

L'administration est tenue d'octroyer la protection fonctionnelle aux collaborateurs occasionnels du service public, sauf si l'agent a commis une faute de nature personnelle. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 13 janvier 2017 (CE 9° et 10° ch.-r., 13 janvier 2017, n° 386799, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0494S98). Il résulte d'un principe général du droit que, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet. Ce principe général du droit s'étend à toute personne à laquelle la qualité de collaborateur occasionnel du service public est reconnue. En l'espèce, le requérant a été collaborateur du service public en sa qualité d'aviseur des douanes et condamné pour trafic de stupéfiants par les juridictions anglaise et canadienne. La cour administrative d'appel (CAA Paris, 2ème ch., 30 octobre 2014, n° 13PA02359 N° Lexbase : A0604S9A) a souverainement apprécié les faits dont elle était saisie, sans les dénaturer, en estimant que, si l'implication croissante de l'intéressé dans un réseau de trafiquants de drogue a été encouragée à l'origine par l'administration des douanes, les faits pour lesquels il avait été condamné étaient dépourvus de tout lien avec les fonctions exercées en sa qualité d'informateur de l'administration des douanes et étaient donc détachables du service. En en déduisant qu'ils étaient constitutifs d'une faute personnelle de l'intéressé et que, dès lors, l'administration n'avait pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en refusant de lui octroyer à ce titre le bénéfice de la protection fonctionnelle, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique des faits (cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E5932ESI).

newsid:456294

Procédure civile

[Jurisprudence] Péremption d'instance : les parties doivent accomplir les diligences de nature à faire progresser l'instance jusqu'à la fixation de l'affaire

Réf. : Cass. civ. 2, 16 décembre 2016, deux arrêts, n° 15-27.917 (N° Lexbase : A2215SXC) et n° 15-26.083 (N° Lexbase : A2368SXY), FS-P+B+I

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N6148BWM

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par Sâmi Hazoug, Maître de conférences à l'Université de Franche Comté, CRJFC (EA 3225)

Le 20 Janvier 2017

Au titre de l'article 386 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2277H44), relevant des dispositions communes à toutes les juridictions, "l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans". La clarté du texte n'évite pas les difficultés de sa mise en oeuvre, loin s'en faut. Ce dont d'ailleurs attestent deux arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 décembre 2016. L'un de rejet et l'autre de cassation, le premier retenant la péremption de l'instance, et le second l'écartant, dans des affaires où une première lecture, certes rapide, pourrait conduire à relever une similitude factuelle. Dans la première espèce (n° 15 27.917), il était fait grief à la décision attaquée d'avoir prononcé l'extinction de l'instance en dépit de la notification et du dépôt des pièces et conclusions dans les délais. Plus exactement, ceux-ci réalisés, le conseiller de la mise en état n'avait fixé aucune date de clôture, ni des plaidoiries, seule la mention "à fixer" apposée par le greffe dans le dossier électronique avait été portée à la connaissance des parties. Le demandeur soutenait, d'une part, la violation des articles 386 et 912 (N° Lexbase : L0366ITQ) du Code procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) : le conseiller de la mise en état tenu, selon le deuxième texte, d'examiner l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, fixe la date de clôture et celles des plaidoiries. Il n'aurait pu alors être mis à la charge des parties l'accomplissement de diligences utiles à la progression de l'instance, alors qu'il appartenait au magistrat de le faire en fixant soit les dates, soit un calendrier de nouveaux échanges de conclusions. D'autre part, les mêmes textes auraient été violés, en jugeant que la mention apposée par le greffe, ne dispensait pas les parties d'accomplir des diligences.

Les deux branches sont rejetées. Point de méconnaissance du droit à un procès équitable car "la péremption de l'instance, qui tire les conséquences de l'absence de diligences des parties en vue de voir aboutir le jugement de l'affaire et poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique afin que l'instance s'achève dans un délai raisonnable, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable". L'apposition d'une mention "à fixer", et le défaut de fixation de dates par le juge ne conduisent pas plus à la cassation. Il est ainsi énoncé que "[...] la cour d'appel a retenu à juste titre que la mention 'à fixer', portée par le greffe dans le dossier électronique de l'affaire, attestait seulement du dépôt des écritures des parties dans les délais d'échanges initiaux prévus par les articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) et 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) du Code de procédure civile ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que le conseiller de la mise en état n'avait pas fixé l'affaire et que les parties n'avaient pas pris d'initiative pour faire avancer l'instance ou obtenir une fixation, la cour d'appel en a exactement déduit, sans méconnaître les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, que l'instance était périmée".

Plus heureux fut le plaideur dans la seconde affaire (n° 15 26.083), qui verra prononcer la cassation de l'arrêt déféré. En l'occurrence, les parties ayant conclu, le conseiller de la mise en état les avisa le 22 février 2013 de ce qu'il proposait de retenir une clôture de l'instruction au 19 février 2015 et l'audience de plaidoiries au 16 avril 2015, ces dates devenant impératives passé un délai de quinze jours. Le 19 février 2015, la défenderesse souleva la péremption d'instance accueillie. Les juges du fond retinrent, en effet, qu'avant la clôture rien n'indiquait que l'affaire était en état d'être jugée. L'information donnée sur la date de clôture, ne dispensait pas alors les parties d'accomplir les diligences de nature à éviter la péremption. Le raisonnement est censuré au motif que "[...] à compter de la fixation, le 22 février 2013, de la date des débats, les parties n'avaient plus à accomplir de diligences de nature à faire progresser l'instance de sorte que le délai de péremption se trouvait suspendu". De la seule fixation de la date, des débats ici, est donc déduite la suspension du délai de péremption. En somme, les parties restent tenues d'accomplir des diligences utiles à la progression de l'instance tant que la fixation par le juge n'a pas eu lieu. Autrement dit, au rappel de l'obligation des parties (I), répond celui de son extinction (II).

I - Le rappel de l'obligation des parties : l'accomplissement de diligences

Pour éviter la péremption, les parties doivent accomplir des diligences, soit ! Mais quelles seraient-elles lorsque les pièces et conclusions ont été déposées, et que, a priori, l'affaire est en état d'être jugée selon les parties ? Il avait déjà été jugé que la signification de conclusions, qui ne tendraient qu'à l'interruption de la péremption, seraient impuissantes à produire cet effet. Du moins s'il n'est pas caractérisé en quoi elles constitueraient... une diligence, seule de nature à interrompre la péremption (1). Ici, il aurait fallu que les parties "prennent l'initiative pour faire avancer l'instance ou obtenir une fixation". L'instance était, semble-t-il, suffisamment avancée pour qu'elles attendent la fixation de la clôture de l'instruction. Restait, toutefois, selon la Cour de cassation, à demander l'obtention d'une fixation qui avait pu être considérée, un temps, comme inopérante (2).

La fixation n'incombait-elle pas, au titre de l'article 912 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0366ITQ), au conseiller de la mise en état, comme le soutenait le demandeur ? Ce point n'est pas remis en cause. La Cour de cassation, relève simplement qu'à défaut de celle-ci, il revenait aux parties d'agir. La carence du juge n'excusait pas celle des parties, plus exactement, elle l'avait créée. Le magistrat n'ayant pas fixé l'affaire, les parties restaient tenues d'agir à fin d'interruption d'un délai de péremption qui continuait à courir. L'impression de faire supporter aux parties le manquement du juge est quelque peu dérangeante. La solution n'en est pas pour autant à remettre en cause malgré sa sévérité. L'obligation d'agir pèse sur les parties tant qu'elles n'en sont pas déchargées, décharge qui peut procéder de la fixation par le juge, mais non du défaut de celle-ci. La même logique avait conduit à retenir que la fixation de la date de clôture ou d'audience postérieurement à l'expiration du délai de péremption, ne constituait pas un obstacle à cette même péremption (3).

L'on en comprend alors que mieux l'indifférence de la mention apposée par le greffe. La Cour de cassation prend néanmoins soin de préciser qu'elle n'attestait que du seul dépôt des écritures dans les délais. "A fixer" ne signifie pas "fixée" (par le juge), et malgré l'inattention des parties, cela n'était pas de nature à les induire légitimement en erreur. Dès lors, en l'absence d'entraves à l'exercice de diligences qu'il leur appartenait d'accomplir, aucune atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable n'est retenue (4). La péremption est alors justement prononcée, car ni la défaillance du juge, ni la mention visée, n'emportait libération des parties de leur obligation.

II - L'extinction de l'obligation : la fixation d'une date par le juge

Pour pouvoir reprocher un défaut de diligences aux parties, il faut, et cela procède d'évidence, qu'elles soient tenues d'en accomplir. Pouvaient-elles en accomplir dans les espèces rapportées ? Oui, dans un cas comme dans l'autre. Mais, étaient-elles tenues d'en accomplir ? La fixation par le juge de la date de clôture ou d'audience, les décharge d'une telle obligation. C'est ce qui est précisé dans le second arrêt. Ce n'est donc qu'en raison du défaut de celle-ci, que les parties devaient encore accomplir les diligences requises dans la première affaire. Plus qu'une obligation positive, c'est une conséquence de la défaillance du magistrat qui avait conduit au prononcé de la péremption.

Que la fixation de l'affaire libère les parties n'est pas chose nouvelle. La solution dégagée par cette même chambre en 2004 (5) a depuis été plusieurs fois rappelée. La formule ici utilisée reprend toutefois celle retenue dans un arrêt inédit du 24 mars 2005 (6), et par une décision du 15 mai 2014 (7), précisant, par ailleurs, que la fixation emportait suspension de l'instance. "A compter de la fixation [...] de la date des débats, les parties n'avaient plus à accomplir de diligences de nature à faire progresser l'instance". C'est donc de la fixation qu'est déduite l'absence de diligence à accomplir. Plus exactement, la première emporte la seconde. Or, dans la majorité de ses arrêts, la Cour de cassation prenait soin de relever la caractérisation par le juge du fond de l'absence de diligences, qui ne procédait donc aucunement de la seule fixation. Il avait, d'ailleurs, été proposé d'articuler cette solution avec celle consacrée par des décisions antérieures considérant que la fixation ne prive pas les parties d'accomplir les diligences à leur charge, sous peine de péremption (8). De deux choses l'une, soit les parties devaient en accomplir, sans que l'on n'en crée de "creuses", et elles restent tenues de le faire en dépit de la fixation, soit il ressort qu'elles n'en avaient plus à effectuer, et les "gesticulations formelles" (9) n'ont pas lieu d'être. D'autant que ces dernières, n'initiant pas une impulsion processuelle, seraient privées d'effet interruptif.

L'articulation de la sanction du défaut de diligences et de la nécessité de les accomplir ainsi dessinée est remise en cause s'il faut admettre un effet automatique de la fixation. Certes, celui-ci a pour lui l'attrait de la simplicité : avant la fixation, les parties doivent agir, y compris pour solliciter cette fixation, après celle-ci, elles n'ont plus de diligence à accomplir. Mais songeons, par exemple, à une fixation, antérieure à la péremption, de date d'audience, postérieure à cette péremption, intervenue après une ordonnance de clôture partielle. La partie dont la carence aura été sanctionnée par l'ordonnance de clôture partielle, devrait pouvoir échapper à la péremption du fait de la décharge qu'emporte la fixation. En somme, la péremption ne devrait sanctionner que le réel défaut de diligence, et la fixation de l'affaire ne pas emporter décharge systématique d'en accomplir. Mais en toutes hypothèses, même lorsqu'ils n'auront pas à être diligents, les intéressés devront rester vigilants.


(1) V. Cass. civ. 3, 28 février 1990, n° 88-11.574 (N° Lexbase : A3495AHW), Bull. civ. III, n° 67.
(2) V. Cass. civ. 2, 12 juin 2003, n° 01-14.488, F-P+B (N° Lexbase : A7194C8X), Bull. civ. II, n° 192, qui énonce que "[...] les demandes de fixation de l'affaire ne dispensaient pas les parties d'accomplir les diligences propres à éviter la péremption de l'instance".
(3) Pour la fixation d'une date d'audience, v. par ex. Cass. civ. 2, 14 juin 1989, n° 88-10.523 (N° Lexbase : A1619CT7). Pour celle d'une date de clôture, v. par ex., Cass. civ. 2, 15 mars 1989, n° 87-20.274 N° Lexbase : A1619CT7, Bull. civ. II, n° 73 (la Cour de cassation y vise celle de l'audience. Mais il ressort des moyens que celle de clôture était fixée postérieurement à celle de péremption) ; JCP éd. G, 1990, II, 21474, obs. L. Cadiet. Plus récemment, v. par ex. Cass. civ. 2, 9 novembre 2000, n° 97-10.492 (N° Lexbase : A7744AHB), Bull. civ. II, n° 150, pour une date d'audience, où est retenue l'absence de violation de l'art. 6 § 1 de la CESDH, "Mais attendu que l'indication donnée aux parties, avant la clôture de l'instruction, d'une date d'audience ne les dispense pas d'accomplir des diligences propres à manifester leur volonté de voir aboutir l'instance ; qu'ainsi, c'est à bon droit et sans violer les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales que la cour d'appel a constaté que l'instance était périmée", RTDCiv., 2001, 203, obs. R. Perrot ; Dr. et proc., 2001, 114, obs. Y. Desdevises.
(4) Pour une telle atteinte v. par ex. CEDH, 11 mars 2014, Req. 52067/10 et 41072/11 (N° Lexbase : A2773S4H) ; où s'agissant de victimes de l'amiante, il est retenu que "lorsqu'il est scientifiquement prouvé qu'une personne est dans l'impossibilité de savoir qu'elle souffre d'une certaine maladie, une telle circonstance devrait être prise en compte pour le calcul du délai de péremption ou de prescription. Partant, la Cour estime que l'application des délais de péremption ou de prescription a limité l'accès à un tribunal à un point tel que le droit des requérantes s'en est trouvé atteint dans sa substance même" ; D., 2014, 1019, note J. S. Borghetti ; F. Marchadier, RDC, 2014, 506.
(5) Cass. civ. 2, 12 février 2004, n° 01-17.565, FS-P+B (N° Lexbase : A2681DBW), Bull. civ. II, n° 61 ; RTDCiv., 2004, 347, obs. R. Perrot, et Procédures, 2004, n° 50 ; Gaz. Pal., 18 mars 2004, p. 10, note Baufumé. Pour des arrêts postérieurs, v. not. Cass. civ. 2, 23 septembre 2010, n° 09-16.776, F-D (N° Lexbase : A2268GAA), Procédures, 2010, n° 372, obs. R. Perrot ; Cass. civ. 2, 28 juin 2006, n° 04-17.992, FS-P+B (N° Lexbase : A0994DQU), Bull. civ. II, n° 177 ; RTDCiv., 2006, 822, obs. R. Perrot ; D., 2007, pan. 1384, obs. J. Julien.
(6) Cass. civ. 2, 24 mars 2005, n° 02-21.035, FS-D (N° Lexbase : A4088DHU).
(7) Cass. civ. 2, 15 mai 2014, n° 13-17.294, F-P+B (N° Lexbase : A5603ML4), Bull. civ. II, n° 112.
(8) V. Ch. Atias, La péremption d'instance entre deux eaux : sanction des parties et gestion du rôle, D., 2004, 2874.
(9) Selon la formule de Roger Perrot, RTDCiv., 1996, 704.

newsid:456148

Procédures fiscales

[Brèves] Modalités de compensation susceptible d'être opposée par l'administration : quid du comportement à observer par cette dernière ?

Réf. : Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-18.429, FS-P+B (N° Lexbase : A0710S8S)

Lecture: 1 min

N6274BWB

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par Jules Bellaiche

Le 28 Janvier 2017

Selon l'article L. 203 du LPF (N° Lexbase : L8351AEZ), lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation, dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande, c'est à la condition qu'elle n'y ait pas renoncé ; dès lors, il convient de vérifier si cette insuffisance d'imposition ne résultait pas de l'abstention délibérée de l'administration fiscale. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 janvier 2017 (Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-18.429, FS-P+B N° Lexbase : A0710S8S). En effet, pour ordonner la compensation et prononcer divers dégrèvements, l'arrêt d'appel a retenu que la dette, qui était contestée, n'était pas déductible aussi longtemps que le contentieux élevé à son sujet n'avait pas été tranché par une décision définitive ou une transaction et que son inscription injustifiée au passif de la succession constitue une insuffisance dans l'assiette de l'imposition concernée, au sens de l'article L. 203 (CA Versailles, 15 janvier 2015, n° 12/08745 N° Lexbase : A2684M9B). Toutefois, en se déterminant ainsi, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si cette insuffisance d'imposition ne résultait pas de l'abstention délibérée de l'administration fiscale, en l'espèce à une date antérieure à la réclamation de certains des légataires requérants de la défunte, de remettre en cause l'inscription de ce passif, cependant qu'elle disposait d'informations suffisantes dans la déclaration de succession pour contester cette inscription, la cour d'appel a privé sa décision de base légale .

newsid:456274

Propriété intellectuelle

[Brèves] Droit des marques : dépôt frauduleux et caractère déceptif

Réf. : Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-15.750, F-P+B (N° Lexbase : A0721S89)

Lecture: 2 min

N6280BWI

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par Vincent Téchené

Le 21 Janvier 2017

D'une part, un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité ; d'autre part, une marque peut être déceptive lorsqu'elle est susceptible de tromper le consommateur sur la relation entre le signe qu'elle utilise et une oeuvre relevant de la protection par le droit d'auteur ou un droit dérivé. Tels sont les enseignements d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 11 janvier 2017 (Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-15.750, F-P+B N° Lexbase : A0721S89). En l'espèce, un disque comprenant deux chansons, dont l'une met en scène un personnage dénommé "Bébé Lilly", a été commercialisé par une société qui a déposé, dans plusieurs classes, la marque française verbale et la marque internationale "Bébé Lilly". L'auteur des paroles de ces deux chansons a alors assigné cette société pour dépôt frauduleux et trompeur. Tout d'abord, pour rejeter la demande en revendication de l'auteur, l'arrêt d'appel retient qu'il ne justifie pas de droits d'auteur sur la dénomination "Bébé Lilly" et qu'il ne démontre pas en quoi la société aurait manqué à ses obligations contractuelles de loyauté en déposant une marque portant sur un signe sur lequel il ne justifie pas avoir de droits, les relations d'affaires, qui avaient existé entre eux, n'ayant créé aucune interdiction en ce sens. La Cour de cassation censure sur ce point l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L7086IZH) et du principe fraus omnia corrumpit. Enonçant, à ce titre, qu'un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité, elle retient qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si, en procédant à ces dépôts, la déposante n'avait pas cherché à s'approprier la dénomination du personnage "Bébé Lilly", privant ainsi l'auteur de toute possibilité d'exploiter ce dernier dans l'exercice de son activité et de développer des oeuvres le mettant en scène, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. Par ailleurs, pour rejeter la demande fondée sur le caractère déceptif des marques, la cour d'appel, après avoir énoncé que, selon l'article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3712ADT), ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service, retient que la tromperie sur l'origine et la paternité des oeuvres et des enregistrements n'est pas visée par cet article. La Cour de cassation censure là aussi l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 711-3 : en statuant ainsi, alors qu'une marque peut être déceptive lorsqu'elle est susceptible de tromper le consommateur sur la relation entre le signe qu'elle utilise et une oeuvre relevant de la protection par le droit d'auteur ou un droit dérivé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

newsid:456280

Rémunération

[Brèves] Prime de panier et indemnité de transport : remboursement de frais ou complément de salaire ?

Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2017, n° 15-23.341, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A4924S47)

Lecture: 2 min

N6192BWA

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par Blanche Chaumet

Le 19 Janvier 2017

Constituent, nonobstant leur caractère forfaitaire et le fait que leur versement ne soit soumis à la production d'aucun justificatif, un remboursement de frais et non un complément de salaire, une prime de panier et une indemnité de transport ayant pour objet, pour la première, de compenser le surcoût du repas consécutif à un travail posté, de nuit ou selon des horaires atypiques, pour la seconde d'indemniser les frais de déplacement du salarié de son domicile à son lieu de travail. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 janvier 2017 (Cass. soc., 11 janvier 2017, n° 15-23.341, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A4924S47, voir également Cass. soc., 1er avril 1992, deux arrêts, n° 88-40.108 N° Lexbase : A4394ABD et n° 88-42.067 N° Lexbase : A1883ABD ; Cass. soc., 6 février 1992, n° 90-10.540 N° Lexbase : A2107AG7 ; Cass. soc., 7 juin 1967, n° 65-14.453 N° Lexbase : A1050AUG ; Cass. soc., 27 février 1974, n° 72-13.345 N° Lexbase : A6861AG9).
En l'espèce, en application d'accords collectifs, la société X verse à certains de ses salariés une prime de panier de jour, une prime de panier de nuit et une indemnité de transport. La fédération des travailleurs de la métallurgie CGT a saisi le tribunal de grande instance d'une demande aux fins d'enjoindre à l'employeur d'inclure ces primes et cette indemnité dans l'assiette de calcul de l'indemnité de maintien de salaire en cas de maladie et de l'indemnité de congés payés.
Pour accueillir cette demande, la cour d'appel, après avoir constaté que les primes de panier de jour et de nuit étaient servies aux salariés travaillant selon des horaires atypiques, de manière postée ou la nuit, retient que ces primes et l'indemnité de transport indemnisant les salariés des frais de déplacement entre leur domicile et leur lieu de travail, qui ont un caractère forfaitaire et sont perçues sans avoir à fournir le moindre justificatif, sont octroyées aux intéressés en considération de sujétions liées à l'organisation du travail et constituent un complément de salaire. A la suite de cette décision, l'employeur s'est pourvu en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa des articles L. 3141-22 du Code du travail (N° Lexbase : L6927K9G) et 7 de l'accord national sur la mensualisation du 10 juillet 1970 (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0809ET7 et N° Lexbase : E0087ETE).

newsid:456192

Responsabilité

[Brèves] Défectuosité d'un produit à usage professionnel : conditions d'engagement de la responsabilité des vendeurs sur le fondement de la garantie des vices cachés

Réf. : Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 16-11.726, FS+P+B+I (N° Lexbase : A4925S48)

Lecture: 2 min

N6193BWB

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par June Perot

Le 19 Janvier 2017

La responsabilité du vendeur et de l'équipementier de camions semi-remorques ayant pris feu peut être engagée sur le fondement de la garantie des vices cachés, aux côtés de celle du fabricant des essieux des camions sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, peu important que la destination de l'usage du produit soit privée ou professionnelle. Telle est la solution énoncée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 janvier 2016 (Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 16-11.726, FS+P+B+I N° Lexbase : A4925S48). En l'espèce, trois camions semi-remorques appartenant à diverses sociétés membres d'un groupe, devenu propriété de la société X, ont pris feu. Les sociétés ont assigné la société S., vendeur des camions, la société F., l'équipementier, vendeur des essieux portant sa marque et fabriqués par la société Z, dont étaient équipés les camions, ainsi que celle-ci en responsabilité et indemnisation. En cause d'appel, les sociétés venderesses des camions et équipementière ont été mises hors de cause. Pour écarter leur responsabilité, la cour avait énoncé que les essieux fabriqués par la société Z étaient défectueux, retenant sa seule responsabilité en qualité de fabricant desdits essieux, leur défectuosité n'étant pas imputable aux sociétés S. et F.. L'arrêt avait par ailleurs retenu que chaque sinistre trouvait son origine dans un défaut affectant les essieux des véhicules en cause et que ces essieux avaient été fabriqués par la société Z dont, par suite, en sa qualité de producteur, seule sa responsabilité était engagée. La société X a formé un pourvoi à l'appui duquel elle soutenait que la CJUE, dans un arrêt du 4 juin 2009 (CJCE, 4 juin 2009, aff. C-285/08 N° Lexbase : A9623EHU), a jugé que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d'application de la Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (N° Lexbase : L9620AUT). Sur ce point, la Haute juridiction répond que cette Directive s'applique au producteur d'un produit affecté d'un défaut, quelle que soit la destination, privée ou professionnelle, de l'usage de ce produit et approuve les juges d'appel d'avoir mis hors de cause ces sociétés en application des articles 1245 (N° Lexbase : L0945KZZ) et suivants du Code civil, peu important que les camions litigieux, et donc les essieux, aient été destinés à un usage professionnel. Enonçant la solution précitée, et au visa de l'article 1641 du Code civil (N° Lexbase : L1743AB8), elle censure toutefois l'arrêt en ses dispositions mettant hors de cause les sociétés S. et F. (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E2325EYR).

newsid:456193

Responsabilité administrative

[Jurisprudence] Actualité de la notion d'attroupement ou rassemblement en droit administratif de la responsabilité

Réf. : CE 4° et 5° ch.-r., 30 décembre 2016, deux arrêts, mentionné aux tables du recueil Lebon, n°s 389835 (N° Lexbase : A4878S33) et 386536 (N° Lexbase : A4371SYK)

Lecture: 8 min

N6215BW4

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par Pierre Serrand, Agrégé des Facultés de droit

Le 19 Janvier 2017

"L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant de crimes et délits, commis à force ouverte ou par violence par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés soit contre des personnes soit contre des biens". C'est cette disposition que le Conseil d'Etat devait appliquer dans ses arrêts n°s 389835 et 386536 du 30 décembre 2016 par lesquels il a respectivement considéré qu'un groupe s'organisant pour commettre un délit d'entrave à la circulation ne peut être regardé comme un attroupement ou un rassemblement dont les agissements sont susceptibles de mettre en jeu la responsabilité de l'Etat, alors qu'un incendie provoqué par des personnes s'étant spontanément rassemblées pour manifester leur émotion après le décès des deux adolescents peut engager la responsabilité de l'Etat sur ce fondement. Cette disposition est ancienne (1). Si l'on peut trouver les traces d'une responsabilité collective des habitants du fait d'actes commis par des groupes d'individus sur les territoires des paroisses dans un édit de Clotaire de 595, c'est par la loi du 10 Vendémiaire an IV qu'est institué ce régime juridique permettant, en cas de troubles ou émeutes survenus sur le territoire communal, de faire jouer une responsabilité collective et privée des membres de la commune devant le juge judiciaire. L'objectif du législateur était alors moins de favoriser l'indemnisation des victimes, que de responsabiliser les habitants des communes sur le territoire desquelles était survenue une émeute, afin de les inciter à plus de vigilance dans le maintien de l'ordre public communal. A cette responsabilité collective des habitants, la loi du 5 avril 1884, relative à l'organisation municipale, substitua la responsabilité des communes -alors personnes morales de droit public- et institua un régime de présomption de faute. Avec la loi du 16 avril 1914, portant modification des articles 106 à 109 de la loi du 5 avril 1884, le système de présomption de faute fut remplacé par un régime de responsabilité sans faute, l'Etat devant contribuer au paiement de la réparation en supportant, en principe, 50 % de la charge indemnitaire finale. Ce régime juridique, alors codifié aux articles L. 133-1 (N° Lexbase : L5001AW7) et suivants du Code des communes (2), fut maintenu jusqu'à la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat (N° Lexbase : L4726AQ4), qui vint substituer la responsabilité de l'Etat à celle des communes (3). L'abrogation, par la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986, portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales, de l'article L. 133-5 du Code des communes (N° Lexbase : L9525DHA), qui consacrait en cas de contentieux la compétence des "tribunaux de l'ordre judiciaire", eu pour conséquence de faire du juge administratif le juge compétent pour régler les litiges mettant en cause la responsabilité de l'Etat du fait des dommages commis par des attroupements ou rassemblements. Longtemps codifié à l'article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8738AAU), le dispositif actuellement applicable l'est désormais à l'article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5211ISS).

Trois conditions sont nécessaires pour que s'applique ce régime de responsabilité. Les dommages doivent d'abord avoir été commis à force ouverte ou par violence, comme c'est le cas de la destruction et de la dégradation de bâtiments publics (CE, Sect., 29 décembre 2000, n° 188974 N° Lexbase : A1983AIB). Il faut ensuite que les membres du rassemblement se soient livrés à des actes de violence constitutifs de "crimes" ou de "délits". C'est souvent le cas lorsque des violences sont commises par l'usage de la force. Il peut s'agir, comme l'illustre les arrêts rapportés, d'un délit d'entrave à la circulation puni par l'article L. 412-1 du Code de la route (N° Lexbase : L1633DKP) (n° 389835), ou d'un incendie (n° 386536). Enfin, le dommage doit être en relation avec un attroupement ou un rassemblement. C'est cette notion qu'il convient de préciser.

En préalable, il apparaît que les termes "attroupement" et "rassemblement" sont synonymes juridiquement, alors que, dans le langage courant, le premier terme a une connotation péjorative que ne possède pas le second : un attroupement est un rassemblement tumultueux, c'est-à-dire de nature à provoquer des troubles à l'ordre public. Si les deux termes désignent une même notion juridique, deux critères nécessaires (4) permettent de l'identifier.

Le premier critère est matériel, de telle manière qu'un attroupement ou un rassemblement est un regroupement de plusieurs personnes. Il peut s'agir d'une foule d'habitants d'un quartier regroupant plusieurs centaines de personnes (n° 386536), ou d'un ensemble de producteurs de lait constituant un groupe suffisamment important pour bloquer l'accès à une plateforme d'approvisionnement de magasins de grande distribution (n° 389835). Ce premier critère est une constante dans la jurisprudence puisque, avant d'être utilisé par le juge administratif, il était exigé par le juge judiciaire. La Cour de cassation estimait en effet que la notion d'attroupement ou de rassemblement imposait la présence sur les lieux de l'infraction d'individus en nombre suffisant, ce qui avait pour conséquence d'exclure l'action de personnes isolées, agissant à titre personnel, et non comme membre d'une manifestation collective. Un meurtre commis par une bande de jeunes gens qui se livraient à des violences fut ainsi regardé comme le fait d'un attroupement ou rassemblement, la Cour de cassation précisant que, en adoptant cette solution, "la cour d'appel a par là-même exclu que le crime ait été le fait d'individus isolés agissant à titre personnel" (Cass. civ. 1, 4 février 1986, n° 84-13.982, F-P+B N° Lexbase : A3087AAL). Faute de critère numérique précis, il fallait s'appuyer sur l'idée de groupe, indépendamment du nombre de ses membres.

Le second critère de l'attroupement ou du rassemblement est finaliste. C'est surtout à lui qu'il convient de s'intéresser car c'est à son propos que la jurisprudence a évolué. Selon le juge judiciaire, il y avait attroupement ou rassemblement lorsque "se trouvent des personnes animées d'un même esprit, groupées en un nombre tel que la personnalité de chacun des individus tend à disparaître derrière celle du groupe" (Cass. civ. 1, 13 novembre 1979, n° 78-13.570, F-P+B N° Lexbase : A3497CHY), ou lorsque des personnes "se groupent en un nombre tel qu'il est de nature à faire disparaître la personnalité de chacun des individus faisant partie du groupe derrière la personnalité propre de celui-ci" ( n° 84-13.982, préc.). Il convenait donc que les individus assemblés agissent de concert, collectivement, de telle manière que leur action commune couvre la personnalité de chacun. Appliquant cette définition, le juge judiciaire regarda comme provoqués par un attroupement ou un rassemblement : la destruction de la porte d'un chai et de cuves contenant du vin par un groupe de personnes (n° 78-13.570, préc.), l'occupation d'une usine par du personnel en grève (Cass. civ., 2 janvier 1951, Ville de Lille, Bull. civ., n° 1), le meurtre d'un individu par un groupe de jeunes (n° 84-13.982, préc.), des dégâts provoqués par plusieurs personnes dans le cadre de manifestations viticoles (Cass. civ. 2, 5 mars 1980, n° 78-14.096 et 78-15.023 N° Lexbase : A5572S8U), des destructions et des vols commis par un groupe de manifestants agissant dans le cadre d'un festival musical (Cass. civ. 1, 20 janvier 1987, n° 85-10.173 N° Lexbase : A6303AAP).

Puis, sous l'influence du Tribunal des conflits, la notion d'attroupement ou rassemblement commença à se resserrer. Dans une formulation de principe, le Tribunal des conflits considère, d'abord à propos d'un attentat commis à l'explosif dans le hall de l'aéroport d'Orly (T. confl., 24 juin 1985, n° 02401 N° Lexbase : A8437BDT), ensuite à propos de la détérioration d'un chargement de viande transporté par camion (T. confl., 26 juin 1989, n° 02581 N° Lexbase : A8455BDI), que, alors même que l'acte dommageable "aurait été perpétré dans le cadre d'une action concertée et avec le concours de plusieurs personnes, il n'a pas été commis par un attroupement ou un rassemblement". Le Tribunal des conflits distingue en cela l'attroupement ou le rassemblement du commando de terroristes ou de casseurs. Le juge administratif, désormais compétent, confirme exactement dans les mêmes termes cette solution à propos de l'interception d'un camion et la destruction de la viande qu'il transportait par un groupe d'une trentaine d'individus (CE, 25 mars 1992, n° 102632 N° Lexbase : A5520ARU). Cela lui permet d'évacuer de la catégorie "attroupement" ou "rassemblement" les groupements de personnes organisés pour réaliser une action : transporteurs ou agriculteurs interceptant un camion et détruisant la marchandise transportée (CE, 26 mars 2004, n° 248623 N° Lexbase : A6449DBH), syndicalistes ou salariés occupant des locaux (CE, 18 mai 2009, n° 302090 N° Lexbase : A1805EHC). Antérieurement regardés comme des attroupements ou rassemblements, ces regroupements de personnes ne sont donc plus considérés ainsi. Nous avons bien assisté à un resserrement de la notion.

En l'état actuel du droit, il apparaît que les actes ayant un "caractère clandestin et organisé" (CE, 16 juin 1997, n° 145139 N° Lexbase : A0131AEL), les actes "prémédités" (n° 248623, préc.), les actions présentant "un caractère prémédité et organisé" (CE, 11 juillet 2011, n° 331665 N° Lexbase : A0267HWS) ne peuvent pas provenir d'un attroupement ou rassemblement. L'arrêt n° 389835 du 30 décembre 2016 le confirme. Le Conseil d'Etat y considère que des producteurs de lait ayant bloqué l'accès à une plateforme d'approvisionnement de magasins révèle, au regard des moyens matériels mis en oeuvre pour réaliser ce blocage, "une action préméditée, organisée par un groupe structuré", lequel ne peut dès lors pas être regardé comme un attroupement ou un rassemblement. A contrario, un attroupement ou un rassemblement apparaît comme un regroupement de personnes agissant dans des conditions peu organisées et de manière spontanée. C'est ce qu'a jugé le Conseil d'Etat, en formation solennelle, à propos d'un regroupement de jeunes gens dans un quartier à la suite du décès accidentel d'un jeune homme poursuivi par la police (CE Sect., 29 décembre 2000, n° 188974 N° Lexbase : A1983AIB), et d'un groupe de jeunes massés à l'entrée d'une discothèque dont on leur refusait l'entrée (CE, Sect., 13 décembre 2002, n° 203429 N° Lexbase : A6742C9L). L'arrêt n° 386536 du 30 décembre 2016 ne fait qu'appliquer cette jurisprudence. Le Conseil d'Etat regarde en effet comme un attroupement ou un rassemblement une foule d'habitants d'un quartier s'étant spontanément rassemblée sur les lieux d'un accident dans lequel ont péri deux adolescents à la suite d'une collision avec un véhicule de police. L'incendie dommageable est bien le fait d'un attroupement ou rassemblement car il a été "provoqué par des personnes qui étaient au nombre de celles qui s'étaient spontanément rassemblées, peu de temps auparavant, pour manifester leur émotion après le décès des deux adolescents". Un attroupement ou un rassemblement apparaît donc désormais comme un regroupement de personnes agissant de manière spontanée.

Le critère finaliste de la notion d'attroupement ou rassemblement a non seulement évolué, il est aussi d'un maniement délicat car la distinction entre ce qui est spontané et ce qui est organisé et prémédité est parfois ténue. C'est ce qu'illustrent les appréciations différentes des juges saisis successivement par l'effet des voies de recours dans les deux affaires qui nous intéressent. C'est déjà ce qu'illustrait l'arrêt n° 242720 du Conseil d'Etat du 3 mars 2003 (N° Lexbase : A3957A7P) : le regroupement spontané d'une centaine de personnes devant un commissariat de police à la suite du décès accidentel d'un jeune homme poursuivi par les forces de l'ordre est un attroupement ou un rassemblement, alors que le regroupement d'une vingtaine d'individus le lendemain, à l'appel d'une association, n'en est pas un "dès lors que les actes de vandalisme ont eu lieu plusieurs heures après la dispersion de la manifestation et ont été le fait d'une vingtaine d'individus agissant par petits groupes de trois ou quatre personnes et de manière organisée".

On peut regretter l'imprécision de cette jurisprudence et les incertitudes qu'elle fait peser (5). On se consolera peut-être en considérant que c'est le lot de très nombreuses notions juridiques dont l'identification dépend des faits et de l'appréciation qu'en font les juges. N'est-il pas également difficile de déterminer si un signe d'appartenance religieuse est ou non ostensible, ou bien si le retard de quinze minutes d'un fonctionnaire à son travail est constitutif d'une faute ? Laissons au lecteur le soin de réfléchir au caractère nécessairement artificiel -et non pas naturel- des notions juridiques (6) en lui soumettant ces questions.


(1) Sur l'histoire de ce dispositif, v. C. Bréchon-Moulènes, Les régimes législatifs de responsabilité publique, Paris, LGDJ, 1974.
(2) "Les communes sont civilement responsables des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence sur leur territoire, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit envers des personnes, soit contre les propriétés publiques ou privées" (C. communes, art. L. 133-1, alors en vigueur.
(3) "L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens" (loi 7 janvier 1983, art. 92).
(4) Par "critère nécessaire", nous entendons un élément sans lequel la qualification n'est pas possible. L'intérêt général est ainsi un critère nécessaire de la notion de service public car, faute d'intérêt général, il n'y a pas de service public. Un critère nécessaire est moins qu'un critère déterminant qui, à lui seul, permet la qualification. C'est le cas du critère finaliste, qui permet de distinguer police administrative et police judiciaire. Un critère nécessaire est cependant plus qu'un indice, lequel, sans être nécessaire, doit être associé à d'autres indices pour permettre la qualification. C'est par exemple à l'aide de cette technique dite du "faisceau d'indices" que l'on peut qualifier d'"administrative" ou d'"industrielle et commerciale" une mission de service public, ou que l'on peut identifier un contrat administratif. Sur toutes ces notions, v. P. Serrand, Droit administratif, PUF, 2015, Tome 1.
(5) En ce sens, A. Lockhart et A. Ramel, La responsabilité du fait des attroupements, La Gazette, 5 mars 2012, p. 56.
(6) "Les dispositions de la loi sont ajoutées, celles de la nature, nécessaires ; celles de la loi sont établies par convention et ne se produisent pas d'elles-mêmes, celles de la nature se produisent d'elles-mêmes et ne sont pas établies par convention" (Platon, La République, 358 e- 359 b).

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