La lettre juridique n°325 du 6 novembre 2008

La lettre juridique - Édition n°325

Éditorial

Clauses de réclamation, clauses d'exclusion : limiter le facteur risque, sans risque juridique

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N6894BHS

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


L'assurance consiste à mutualiser les risques. Mais elle relève, surtout, du calcul de probabilité, car il s'agit de ne pas oublier qu'assurer est un métier et que seule l'assurance-maladie peut, encore, être déficitaire. Or, "la probabilité est le rapport du nombre de cas favorables [ou défavorables, selon] au nombre des événements" nous a enseigné Emile Borel. On comprend, dès lors, que tout l'enjeu de la profession d'assureur est de limiter, rationnellement, et pour ne pas dire juridiquement, ce "nombre de cas favorables", puisque celui des "évènements", c'est-à-dire le nombre total des dommages à connaître, n'est pas, par essence, maîtrisable (sauf prévention effective et efficace). Les clauses de réclamation, dite "claim's made", et les clauses d'exclusion de garantie participent, assurément, à cette contingence du facteur risque... au point que certains auteurs se sont demandés si le risque faisait encore partie du vocabulaire des assureurs et, plus juridiquement, si les contrats d'assurance avaient, encore, un objet.

La saga des "claim's made" est, donc, un exemple topique de l'équilibre qu'il s'est agi de trouver entre la limitation des engagements financiers des assureurs et la garantie des assurés (et des tiers victimes). Dans un premier temps, en 1981, la théorie de la volonté et la liberté contractuelle (dans un contrat d'adhésion, sic) permettaient d'accepter ces clauses par lesquelles l'assureur limitait dans le temps sa garantie qui n'était due que si la réclamation du tiers victime intervenait entre la prise d'effet et l'extinction du contrat d'assurance. Mais, très vite, la question de la garantie après contrat, dans le cadre de contrats successifs ou d'un défaut même d'assurance après résiliation du contrat initial, s'est posée. En 1985, le Cour de cassation fut donc obligée de rendre cette clause inopposable aux victimes ; et, en 1990, la Haute juridiction de conclure à la nullité d'une telle clause pour défaut de cause.

Seulement voilà, si l'intention des Hauts magistrats était louable en ce qu'elle évitait ainsi le vide de garantie pour une raison extérieure à l'assuré lui-même -le déclenchement d'une action en réparation lui étant totalement étranger-, la conséquence, notamment en matière médicale, fut cinglante : les assureurs refusèrent de couvrir certains risques, voire certaines professions, ou moyennant des polices d'un montant hautement dissuasif. Et la situation paraissait d'autant plus ubuesque que le législateur introduisait, dans le même temps, des clauses de réclamation à l'adresse de cas particuliers (agents immobiliers, agents de voyage, centres de transfusion sanguine) ! Tentative législative avortée, notamment, par le Conseil d'Etat, en 2000, qui statua dans le même sens que ses confrères du judiciaire. Finalement, l'équilibre fut trouvé par les lois "About" de 2002 et de sécurité financière de 2003, avec l'instauration d'une garantie subséquente pendant un délai de cinq ans après la résiliation du contrat, qui distingue deux cas :

- pour les faits dommageables commis antérieurement à la prise d'effet de la garantie, mais que l'assuré ne connaissait pas comme tels lorsqu'il a souscrit le contrat, la garantie s'applique si une réclamation est présentée avant l'expiration ou la résiliation du contrat : l'assureur prend en charge le passé inconnu de l'assuré lors de la signature du contrat ;

- après la cessation ou l'expiration du contrat s'ouvre une période subséquente de cinq ans pendant laquelle l'assureur prend en charge les sinistres donnant lieu à des réclamations imputables à l'activité de l'assuré antérieure à la cessation d'effet de la garantie, s'il n'y a pas d'assureur successeur à celui dont la garantie, qui prenait en charge le sinistre, a pris fin.

Cette clause de garantie subséquente, associée à une clause de reprise du passé inconnu, par laquelle l'assureur garantit les dommages réclamés au cours du contrat et dont le fait générateur est antérieur à la souscription, sous réserve que l'assuré n'en ait pas eu connaissance au jour de la souscription, permet ainsi d'équilibrer les risques et leur couverture.

Pour autant, cette garantie subséquente n'est pas rétroactive ; c'est ce qu'a tenu à rappeler la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 2 octobre 2008 sur lequel revient, cette semaine, Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, et Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", dans sa chronique mensuelle. Il s'agit, encore, pour les dommages survenus avant la loi, de jongler entre le régime base survenance du dommage (occurrence basis), le régime base fait générateur et le régime base réclamation (claims made basis).

Quant aux clauses d'exclusion de garantie, leur prolifération oblige le juge à bien analyser si elles ne vident pas le contrat d'assurance de tout son objet. Un arrêt rendu le 2 octobre 2008, par la Cour de cassation, sur lequel revient, cette semaine, Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, sonne comme un rappel à l'ordre des juges du fond qui avaient accepté un peu hâtivement le jeu d'une clause d'exclusion sans s'interroger sur le point de savoir si elle ne vidait pas le contrat de son contenu. L'auteur précise, ainsi, que "généralement, l'analyse de la portée de l'exclusion sur la garantie est réalisée de façon objective : la clause laisse-t-elle certains risques dans le domaine d'application utile du contrat, ou, au contraire, vide-t-elle la garantie de sa substance, suivant l'expression habituellement utilisée par la Cour de cassation ?".

"Le probable est un possible qui nous paraît avoir plus de chances d'être que de ne pas être" (E. Globot). L'équilibre des possibles, entre risques et polices, est la clé de voûte d'un système d'assurance. Et André Gide de triompher dans Les cahiers de la petite dame : "peut-on assurer le bonheur de tous au détriment de chacun ?". Autrement dit, la préservation d'un système d'assurance, privé comme public, passe assurément par une prise de risque maîtrisée de chacun des acteurs.

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Social général

[Evénement] Démocratie sociale et temps de travail : une nouvelle dynamique qui risque de s'avérer complexe à mettre en oeuvre dans les entreprises

Réf. : Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, comprend, faut-il encore le rappeler, des innovations majeures, concernant tant la représentativité syndicale, que la négociation collective ou, encore, mais peut-être dans une moindre mesure, le temps de travail. Autant d'évolutions que doit appréhender l'ensemble des acteurs de l'entreprise. Le colloque proposé par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, "Démocratie social et temps de travail : quel accueil de la loi du 20 août par les entreprises ?", en partenariat avec la Semaine sociale Lamy, s'est efforcé de les y aider, le 24 octobre dernier, grâce à l'analyse et aux réponses concrètes apportées par les divers intervenants. Un point de vue original donc, puisque réunissant experts, universitaires, partenaires sociaux ou, encore, praticiens, qui a permis d'apporter certaines réponses pratiques à des questions, pourtant, encore, bien théoriques, autour de trois tables rondes, concernant, respectivement, la réforme de la représentativité syndicale, les négociations sociales et la durée du travail. Rappelons, pour commencer, avec Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, que l'enjeu du nouveau texte n'est pas le repositionnement des syndicats, mais, davantage, la question de savoir si les partenaires sociaux sont capables d'être des acteurs sociaux de l'entreprise. Et, en effet, là se trouve l'un des enjeux essentiels de la loi du 20 août 2008 : donner une responsabilité accrue à l'ensemble des partenaires sociaux. Tous les intervenants s'accordent sur ce point, qui conduit, logiquement, à une rénovation des relations sociales.

Mais ce n'est pas le seul enjeu. Il ne faut, en effet, pas oublier, et Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations sociales du MEDEF, s'est chargé de le rappeler, le rôle central des élections professionnelles : la légitimité vient, désormais, des salariés eux-mêmes. Alors, certes, le paysage syndical risque de changer, mais ce qui importe, et ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est que tous les acteurs doivent participer à la rénovation du dialogue social et, plus généralement, du droit du travail. C'est cette dynamique, et elle seule, qui aboutira à une rénovation de la compétitivité des entreprises.

Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines et rapporteur du projet de loi, est allé plus loin dans le raisonnement. Selon lui, le texte part d'un constat, le déficit de la représentativité syndicale et du manque de légitimité des partenaires sociaux, constat qui n'est, d'ailleurs, plus à démontrer aujourd'hui. Et de remarquer un rapprochement progressif des modalités de la démocratie sociale vers la démocratie politique, notamment, dû au fait que la loi d'août 2008 prévoit que l'élection devient la clé de voûte de la représentativité syndicale, la légitimité étant donc, désormais, électorale. Par ailleurs, soulignons que, depuis les lois de 2003/2004, ni le Gouvernement ni le législateur ne peuvent prendre seuls l'initiative législative en droit social. Etrange paradoxe : d'un côté, les partenaires sociaux sont en manque de légitimité, de l'autre, ils apparaissent incontournables dans la construction du droit du travail. Le meilleur exemple est, sans doute, celui concernant la modernisation du marché du travail. Le Parlement a reçu deux textes : l'accord national interprofessionnel (janvier 2008) (1) et la position commune (avril 2008). A-t-il joué un rôle dans ce dialogue ? Si la réponse est logiquement, et heureusement, affirmative, il reste partagé entre deux positions : le respect des partenaires sociaux, mais il ne faut pas oublier que le Parlement a le pouvoir d'amender la loi. Le vrai problème posé, ici, est donc celui de savoir quels sont les rôles respectifs du Gouvernement, du Parlement et des partenaires sociaux dans la construction du droit du travail.

1 Réforme de la représentativité syndicale : vers quel paysage syndical ?

L'article L. 2121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3727IBN) retient, désormais, sept critères rénovés de la représentativité, avec, comme point d'orgue, le critère de l'audience électorale : le respect des valeurs républicaines ; l'indépendance ; la transparence financière ; une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation, cette ancienneté s'appréciant à compter de la date de dépôt légal des statuts ; l'audience, établie selon les niveaux de négociation ; l'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ; et, enfin, les effectifs d'adhérents et les cotisations. Ce sont donc les salariés qui décident, la représentativité devient ascendante et n'est plus descendante. A noter, également, le nouvel intervenant instauré par la loi : le RSS ou représentant des sections syndicales.

Mais qu'est-ce-que la représentativité ? Maître Bernard Gauriau, agrégé des facultés de droit, professeur à l'Université d'Angers et avocat au Barreau de Paris, la définit comme l'aptitude d'un groupe à représenter un nombre plus grand que ses seuls adhérents, le recours à l'élection compensant, désormais, la faiblesse des adhésions. En effet, selon lui, le recours à l'idée d'élection a pour objectif de rééquilibrer les rapports sociaux, mais le but n'est, cependant, pas de faire de l'entreprise une démocratie. Au contraire, il faut faire attention à ne pas mélanger démocratie sociale et démocratie politique : l'entreprise est là pour faire du profit donc le rapport de pouvoir est nécessaire.

Par ailleurs, pour aborder un aspect plus technique, concernant la représentativité, le but de la loi d'août 2008 est de supprimer la présomption irréfragable de représentativité, même si le texte ne le dit pas clairement, la position commune était, à cet égard, plus explicite.

Désormais donc, il existe sept critères posés par le Code du travail, le changement, par rapport à la jurisprudence, étant qu'ils deviennent cumulatifs, ce qui risque de soulever des difficultés dans la pratique. Cependant, à l'heure actuelle, la difficulté majeure, pour Maître Bernard Gauriau, tient à l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. En effet, à ce sujet, les textes ne sont pas tous cohérents. Dans les entreprises, il faut retenir qu'il s'agit des prochaines élections professionnelles, en attendant, les mesures transitoires doivent s'appliquer. En effet, les dispositions transitoires s'appliquent, pour l'appréciation de la représentativité des organisations syndicales, jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole préélectoral est postérieure au 21 août 2008.

Concernant l'aspect représentation, et non plus représentativité, il faut retenir du texte que les organisations légalement constituées peuvent désigner un RSS (C. trav., art. L. 2142-1-1 N° Lexbase : L3765IB3) (2), c'est là la principale originalité.

Pour Dominique Restino, élu de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) et membre de la Commission de l'Emploi et des Affaires sociales, qui apporte donc un point de vue plus pragmatique de la loi du 20 août 2008, le nouveau texte doit emporter trois séries d'observations :

- la CCIP approuve l'économie générale du texte, en particulier, l'instauration des critères de représentativité, mais elle regrette de nouvelles sources de complexité dans un domaine déjà confus : les entreprises ont besoin de lisibilité de la norme juridique, or, le texte ne répond pas à ces attentes ;

- il faut simplifier la vie des entreprises et des entrepreneurs et, en particulier, celle des PME, or, encore une fois, le texte ne le fait pas. Au contraire, il semble complexifier les choses en modifiant les règles de désignation du délégué syndical ou, encore, en créant un représentant de la section syndicale. Pour Dominique Restino, il aurait été plus judicieux de simplifier les règles existantes plutôt que de créer de nouvelles règles plus complexes ;

- concernant le temps de travail, la même remarque peut s'appliquer ; en effet, comment, dans les PME, faire fonctionner un tel système ? La loi apparaît, encore, inadaptée aux réalités du travail.

Une autre question pourrait, ici, être posée, celle de savoir si la loi d'août 2008 peut améliorer les taux de couverture des entreprises et, en particulier, celui des PME, par les syndicats. Selon Maître Gérard Kesztenbaum, avocat associé et directeur du département droit social du Cabinet Fidal, le nouveau texte donne un critère déterminant, celui de l'audience des syndicats dans l'entreprise. En toute logique, le législateur a assoupli les modalités des élections professionnelles. Cependant, Maître Kesztenbaum partage, de façon générale, le point de vue de Dominique Restino. En effet, concernant la nature même de la délégation syndicale, on se trouve, désormais, en présence de deux antagonistes que sont le délégué syndical, désigné par une organisation représentative et le représentant de la section syndicale, qui aura quasiment les mêmes droits, à la seule différence qu'il ne pourra pas négocier les accords collectifs. Ainsi, la juxtaposition de toutes ces nouvelles règles peut s'avérer compliquée dans les PME, ce qui risque d'induire une stagnation du taux de couverture, voire une régression de ce taux dans certaines entreprises, même si cela ne veut pas dire que cela nuira nécessairement à la qualité du dialogue social.

Cependant, si le nouveau texte reste complexe et si son application risque d'être difficile dans les PME, il n'en reste pas moins que la loi, pour reprendre les termes de Maître Bernard Boubli, doyen honoraire de la Chambre sociale de la Cour de cassation et avocat associé du Cabinet Capstan, est une "bonne loi", qui aurait pu, si la crise n'était pas arrivée en même temps, être l'une des grandes lois sociales de ces dix dernières années.

Il convient donc, ici, de souligner que la loi du 20 août 2008 est un texte remarquable quant à ses finalités, texte remarquable qui n'en reste pas moins, pour autant, lacunaire quant à ses modalités techniques. Peut-être parce qu'il a fallu écrire la loi en très peu de temps, mais cette contrainte ne saurait expliquer pas à elle seule les lacunes subsistant dans le texte promulgué. Peut-être, comme le souligne Maître Boubli, parce qu'en voulant régler la question de la représentativité syndicale, le texte a voulu suivre l'esprit de la loi du 11 février 1950, sur les conventions collectives, dont l'article 31 disposait que la représentativité doit être déterminée en fonction des critères d'effectifs, d'indépendance, de cotisations, d'expérience et d'ancienneté du syndicat et de l'attitude patriotique pendant l'Occupation. Or, en près de soixante ans, le paysage syndical s'est considérablement modifié. Le législateur semble, ainsi, occulter le principe de liberté syndicale, pourtant, une organisation syndicale libre est une organisation syndicale indépendante (3). C'est même là le critère fondamental.

Pourtant, le texte garde, selon l'avocat, une force réelle en modifiant le paysage syndical de l'entreprise et en mettant un terme à des situations acquises. Il va, ainsi, permettre de redonner une certaine transparence et la pleine capacité juridique au délégué syndical. Alors, ses faiblesses restent, sans doute, dans la légèreté de l'approche juridique d'un certain nombre de problèmes, comme le représentant de la section syndicale, mais certains aspects techniques restent positifs, comme le pouvoir de constituer une section syndicale et de désigner un RSS.

Pour conclure sur ce point, il conviendra de souligner le délai, bref, entre l'idée de réforme et son adoption, ce qui induit certaines lacunes techniques, mais il n'en est pas moins remarquable dans l'approche même et la dynamique du nouveau texte. La loi du 20 août 2008 reste, en effet, malgré ces lacunes, une réforme de grande ampleur, au moins sur deux points : la fin de la présomption irréfragable de représentativité et le rôle central des élections professionnelles, même s'il ne faut pas oublier les règles relatives à la validité des accords. Alors, oui, il y aura sans doute une recomposition du paysage syndical, mais le point le plus important, comme l'a justement souligné Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites (4), c'est la représentation au sein de l'entreprise : la réforme fait de celle-ci la base de tout le système de représentativité.

2 Négociations sociales : les nouvelles règles du jeu

La loi nouvelle est une loi importante, nous l'avons déjà souligné, certainement plus dans son volet démocratie sociale que dans son volet temps de travail. Comme la représentativité, la négociation emporte certaines entraves techniques inhérentes au nouveau texte. Ainsi, Maître Stéphane Béal, avocat associé et directeur adjoint du département droit social du Cabinet Fidal, relève certaines difficultés tenant, notamment, à l'impossibilité technique de conclure un accord dans certaines situations. Par exemple, lorsque l'entreprise a une carence au premier tour de ses élections, c'est-à-dire lorsqu'elle n'a pas eu de candidats, elle ne peut donc déterminer qui est représentatif par rapport aux 10 % exigé par la loi. Si l'entreprise a un délégué syndical, elle ne pourra pas, de la même manière, déterminer les 10, 30 ou 50 % de représentativité. Cette situation est fréquente dans les PME et pourrait, ainsi, perdurer jusqu'en 2012. Le texte ne prévoit aucune issue de secours pour ces entreprises, pourtant, elles ont toujours l'obligation de négocier. A noter, cependant, que l'article L. 132-2-2 III du Code du travail (N° Lexbase : L4693DZT) reste applicable jusqu'au 31 décembre 2008, c'est la seule issue offerte aux entreprises (5).

Une autre situation de blocage risque de se poser. L'article L. 2122-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3740IB7) prévoit que, lorsqu'une liste commune a été établie par des organisations syndicales, la répartition entre elles des suffrages exprimés se fait sur la base indiquée par les organisations syndicales concernées lors du dépôt de leur liste. A défaut d'indication, la répartition des suffrages se fait à part égale entre les organisations concernées. Quel intérêt, pour les organisations syndicales, de passer par cette étape ? En effet, elle impose une répartition des suffrages exprimés, elle n'a aucun intérêt sauf à vouloir pousser, comme le remarque Maître Béal, à une fusion des organisations syndicales.

Enfin, la dernière lacune soulevée par l'avocat concerne les entreprises à établissements multiples. En effet, la loi n'évoque pas la façon dont va évoluer la représentativité dans de telles entreprises.

Remarquons, simplement, pour conclure, que derrière toutes ces lacunes, derrière toutes ces difficultés techniques, subsiste une question récurrente, celle de la légitimité. En effet, comme le souligne Sophie Nadal, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise, de ce point de vue, la loi de 2008 est la consécration du critère électoral, à tous les niveaux, même si, en réalité, il existe deux conditions de validité : l'exercice du droit d'opposition et l'élection. Et de noter l'affaiblissement du rôle de la branche, à compter du 31 décembre 2009, et le fait que le droit commun des conventions et accords risque d'être affecté, notamment, en cas de dénonciation, surtout si elle est le fait de plusieurs parties signataires qui deviennent majoritaires à la suite de nouvelles élections.

3 Un nouveau droit de la durée du travail ?

La question du temps de travail est intimement liée à celle de négociation collective. Cependant, à la différence du volet démocratie sociale, la loi du 20 août 2008 ne crée pas un droit nouveau en droit du temps de travail. Au contraire, elle se trouve dans une certaine continuité des lois précédentes. Ainsi, Michel Miné, Professeur au Conservatoire des arts et métiers, rappelle les lois de 1982 (6), qui instaurait une négociation annuelle obligatoire dans l'entreprise, et de 2004 (7), qui prévoyait qu'un accord d'entreprise peut déroger à un accord de branche, sauf dans certains domaines ou clauses impératives.

Un élément pourrait, ici, surprendre. L'entreprise peut, en effet, avec le nouveau texte, recourir aux heures supplémentaires sans contraintes administratives. Mais, là encore, et Michel Miné le souligne, les nouvelles dispositions se trouvent dans la continuité de 1982.

La loi du 20 août 2008 ne se contente pas, cependant, de confirmer un droit existant, elle comporte, en effet, certaines innovations. Ainsi en est-il des dispositifs de modulation du temps de travail, qui se trouvent unifiés sur le plan légal. Il suffit, désormais, de conclure un simple accord d'entreprise. Pourquoi cet allègement ? Selon Michel Miné, si l'on veut que l'accord définisse les règles du jeu, et non plus la loi, il faut qu'il soit lisible et complet, faute de quoi le contentieux risque de se développer. En revanche, lorsqu'il n'existe pas d'accord, la loi ne distingue pas, un décret d'application devrait vraisemblablement fixer les règles subsidiaires.

L'autre innovation à souligner concerne les régimes de forfait jour, là encore, le contenu de l'accord est allégé. Il est possible de dépasser les 218 jours sous certaines conditions, ces journées seront rémunérées au moins à 10 %.

En revanche, la loi reste muette sur certaines questions. Ces silences sont révélateurs, pour Michel Miné, du cloisonnement du processus législatif, d'une part, et, d'autre part, de la difficulté à intégrer le droit européen. Cette problématique soulève trois enjeux principaux :

- en matière de santé, il va falloir articuler les problèmes de forfait jours ou, d'une manière plus générale, les nouvelles dispositions, avec l'accord sur le stress du 2 juillet 2008 (8), des compromis vont donc devoir être trouvés ;

- en matière de discrimination indirecte, les entreprises vont devoir veiller à ne pas en introduire ;

- concernant, enfin, le problème du processus de négociation, il va falloir s'attacher à ce qu'il soit aussi loyal que possible entre les différents acteurs.

Si les entreprises, avec le nouveau texte, obtiennent plus de libertés et plus de responsabilités, reste à répondre à la question de savoir comment articuler les nouvelles règles ? En effet, pour mettre en oeuvre l'ensemble de ces nouvelles règles, il va falloir acquérir un certain nombre de compétence, c'est là toute la difficulté.

Charlotte Duda, présidente de l'Association Nationale des DRH, qui a réalisé, en juillet 2008, une enquête sur le temps de travail, fait remarquer, à cet égard, que nous sommes, aujourd'hui, dans une position attentiste dans les entreprises, qui ne sont vraisemblablement pas prêtes à renégocier leurs accords sur le temps de travail, car leur mise en place a souvent été longue et compliquée, voire douloureuse. Elles restent donc réticentes à se relancer dans un nouveau processus, d'autant que cela ne leur paraît pas nécessaire. Il faut ajouter à cela le contexte économique et financier actuel qui conditionne le manque de lisibilité des entreprises.

Hugues Desenfant, DRH d'Olympus France, semble partager ce point de vue. Selon lui, la loi permet effectivement plus de flexibilité, mais laisse sans réponse certaines questions et, notamment, celles de savoir quelles sont les marges de manoeuvre dans le cadre de la négociation, d'entreprise ou de branche ou, encore, quel peut en être l'impact au niveau des salariés, c'est-à-dire comment gérer le travail supplémentaire ? En effet, aujourd'hui, les relations de travail ont changé, les salariés ont d'autres centres d'intérêt, la difficulté étant de trouver un juste équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Une chose reste certaine, selon Hugues Desenfant, les entreprises ne peuvent nier cet équilibre et l'attente des salariés a changé. Si le contexte macro-économique annihile un peu l'esprit de la loi, il est donc urgent d'attendre et de voir ce qui va se passer, d'où la position attentiste dans les entreprises.


(1) Voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 289 du 23 janvier 2008 - édition sociale.
(2) Voir les obs. de S. Tournaux, Articles 5, 6 et 7 de la loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : démocratisation de la désignation du DS, RSS et renforcement du statut protecteur des salariés titulaires d'un mandat syndical, Lexbase Hebdo n° 317 du 10 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9810BGG).
(3) Voir Cass. mixte, 10 avril 1998, n° 97-17.870, Syndicat Le Front national de la Police c/ Syndicat national des policiers en tenue et autres (N° Lexbase : A1381AC7).
(4) Auteur de Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales, Rapport au Premier ministre, mai 2006.
(5) Celui-ci dispose qu'une convention de branche ou un accord professionnel étendu détermine les conditions de validité des conventions ou accords d'entreprise ou d'établissement, en retenant l'une ou l'autre des modalités suivantes :
1° Soit la convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement est signé par une ou des organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ; si les organisations syndicales de salariés signataires ne satisfont pas à la condition de majorité, le texte peut être soumis, dans des conditions fixées par décret et devant respecter les principes généraux du droit électoral, à l'approbation, à la majorité des suffrages exprimés, des salariés de l'entreprise ou de l'établissement, à l'initiative des organisations syndicales de salariés signataires, à laquelle des organisations syndicales de salariés non signataires peuvent s'associer ;
2° Soit la convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à l'absence d'opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. L'opposition est exprimée dans un délai de huit jours à compter de la date de notification de cet accord.
En cas de carence d'élections professionnelles, lorsqu'un délégué syndical a été désigné dans l'entreprise ou dans l'établissement, la validité d'une convention ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement signé par ce délégué est subordonnée à l'approbation de la majorité des salariés.
En l'absence de convention ou d'accord étendu tel que prévu au premier alinéa du présent III, la validité de la convention ou de l'accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa conclusion selon les modalités définies au 2°
.
(6) Loi n° 82-957 du 13 novembre 1982, relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail (N° Lexbase : L2703GUN).
(7) Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8).
(8) Lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Accord national interprofessionnel sur le stress au travail : entre compromis et amélioration du dispositif existant, Lexbase Hebdo n° 319 du 24 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1924BHQ).

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Internet - Bulletin d'actualités n° 8

[Panorama] Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Octobre 2008

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N6891BHP

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Le 07 Octobre 2010

Tous les mois, Marc d'Haultfoeuille, avocat associé chez Clifford Chance, vous propose de retrouver l'actualité juridique en matière de Communication Média & Technologies. A noter ce mois-ci, trois jugements, le premier, du TGI de Paris, posant le principe selon lequel la commercialisation d'un ordinateur avec des logiciels pré-installés relève du seul choix du vendeur, le deuxième, du TGI de Nanterre, jugeant illicite un mode d'évaluation des salariés mis en place, faute de respecter des critères d'évaluation clairs, objectifs et légitimes, et le troisième, du TGI de Paris aussi, disposant qu'une marque doit, désormais, non seulement être déposée auprès de l'Institut national de propriété industrielle, mais aussi faire l'objet d'une déclaration, de la part du titulaire, auprès du moteur de recherche en tant que mot clé négatif. Enfin, sera également présenté le Plan numérique rendu public par le Gouvernement le 20 octobre 2008.

I - Internet

  • Le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 24 juin 2008 pose le principe en vertu duquel la commercialisation d'un ordinateur avec des logiciels pré-installés relève du seul choix du vendeur. Celui-ci reste, néanmoins, soumis à une obligation d'afficher les prix respectifs des différents produits qui composent le lot (TGI Paris, 24 juin 2008, n° RG 06/17972, Association UFC Que Choisir c/ Etablissement Darty N° Lexbase : A4257D9K).

Faits :

L'association de défense des intérêts des consommateurs UFC - Que choisir a saisi le tribunal de grande instance de Paris afin de faire reconnaître la société Etablissements Darty coupable d'agissements constitutifs de l'infraction de vente liée.

L'UFC demande aux juges que Darty mette fin à la pratique qui consiste à vendre des ordinateurs avec des logiciels pré-installés sans offrir à l'acquéreur la possibilité de renoncer à ces logiciels moyennant déduction du prix correspondant à leur licence d'utilisation. L'UFC souhaite également que Darty affiche distinctement le prix du système d'exploitation et des logiciels d'utilisation pré-installés qu'elle propose à la vente.

L'association fait, enfin, valoir que la vente des ordinateurs portables préalablement équipés d'un système d'exploitation et de différents logiciels d'utilisation est contraire aux dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6477ABI) qui prohibe la vente avec prestation de service subordonnée.

De son côté, Darty estime qu'un consommateur moyen n'est en aucun cas en mesure de faire fonctionner un ordinateur non doté d'un système d'exploitation. Par conséquent, Darty considère que la complémentarité entre deux produits ou services constitue un "motif légitime" de nature à faire échec à l'application de l'article L. 122-1 du Code de la consommation, car de tels produits ou services forment de facto un produit unique.

Décision :

Le TGI rejette partiellement la demande de l'association UFC et considère que Darty ne contrevient pas "aux dispositions légales en proposant à la vente au grand public des ordinateurs pré-équipés de logiciels d'exploitation".

Les juges estiment, d'une part, que le "consommateur recherche une utilisation immédiate" lors de l'acquisition de matériel informatique, et, d'autre part, "qu'il est parfaitement établi que la substitution d'un logiciel par un autre est une tâche particulièrement délicate qui est hors de la portée du consommateur moyen qui représente l'immense majorité des acheteurs, la demande de produits 'nus' étant à ce jour confidentielle".

Néanmoins, le TGI impose à Darty l'obligation d'afficher le prix des logiciels pré-installés aux motifs que "le matériel informatique et les logiciels sont des produits nettement distincts qui sont certes de nature complémentaire mais qui sont dissociables dans la mesure où ils peuvent être vendus séparément".

Commentaire :

Par cette décision, le TGI confirme que la pré-installation de logiciels et systèmes d'exploitation sur un ordinateur, en France, est considérée favorablement. Le tribunal rappelle, néanmoins, que les distributeurs ont l'obligation d'indiquer le prix des logiciels d'exploitation et d'utilisation pré-installés sur les ordinateurs exposés à la vente dans le réseau de leurs magasins. Il s'agit, notamment, de permettre au consommateur de prendre conscience du prix payé pour chaque logiciel, en vue d'un éventuel remboursement.

Dans un arrêt en date du 5 juin 2008, la Cour de cassation avait rejeté la demande du requérant fondée sur la vente liée, considérant que "malgré le défaut d'affichage de la composition des prix du matériel informatique, la concurrence restait possible entre les différentes solutions présentes sur le marché" (Cass. civ. 1, 6 juin 2008, n° 06-21.514, F-D N° Lexbase : A9229D8C). En l'espèce, un consommateur avait acquis un ordinateur portable à la Fnac dans lequel le système d'exploitation Windows était pré-installé. Le consommateur avait demandé à se faire rembourser du prix du logiciel qu'il n'entendait pas utiliser mais le fabriquant de l'ordinateur (la société Asus) avait tardé à répondre à sa demande. Le consommateur avait alors assigné, en indemnisation, la Fnac pour manquement à son obligation d'information sur la composition et le prix de chaque produit composant le lot.

De même, lors de l'adoption de la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776 N° Lexbase : L7358IAR, dite "LME"), le 4 août 2008, un amendement (n° 999) visant à rendre obligatoire l'affichage détaillé du prix des logiciels équipant un ordinateur avait été proposé par des députés SRC (socialiste, radical, citoyen) et divers gauche mais a, finalement, été rejeté par les députés de la majorité, Luc Châtel estimant que "l'article L. 122-1 du Code de la consommation prohibe la vente liée de deux produits ou services dès lors qu'il n'est pas possible de les acquérir séparément sur le même lieu de vente", mais que "la jurisprudence a parallèlement validé la pratique de la vente liée d'un ordinateur et d'un système d'exploitation pré-installé, considérant que disposer d'un appareil prêt à l'emploi était un avantage pour le consommateur".

Néanmoins, cette position diffère de la position du Tribunal de première instance des Communautés européennes. En effet, dans un arrêt en date du 17 septembre 2007, le TPICE a confirmé la décision du 24 mars 2004 de la Commission européenne qui avait condamné Microsoft au paiement d'une lourde amende (497 millions d'euros), notamment pour avoir procédé à une vente liée abusive (TPICE, 17 septembre 2007, aff. T-201/04, Microsoft Corp. c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A2204DYB). En l'espèce, en conséquence de la vente liée, les consommateurs n'avaient pas la possibilité d'acquérir le système d'exploitation Windows sans acquérir simultanément Windows Media Player.

L'association UFC, qui estime que le jugement du TGI bloque toute perspective pour le consommateur d'avoir un choix réel de systèmes alternatifs dans les magasins, a interjeté appel de cette décision.

  • Dans un arrêt du 5 septembre 2008, le tribunal de grande instance de Nanterre a considéré que le mode d'évaluation des salariés mis en place par la société Wolters Kluwer était illicite, faute de respecter des critères d'évaluation clairs, objectifs et légitimes (TGI Nanterre, 5 septembre 2008, n° RG 08/05737, CHSCT Nord et autres c/ Société Wolters Kluwer France N° Lexbase : A4824EAW).

Faits :

La société Wolters Kluwer France a décidé de mettre en oeuvre un nouvel outil d'évaluation des salariés intitulé "e-Valuation". Celui-ci prévoit à l'occasion de l'entretien annuel d'évaluation une notation basée sur un plan de développement professionnel ("PDP") et un plan individuel de développement ("PID").

Le PID comporte l'évaluation de trois comportements professionnels principaux : "focus client, innovation et responsabilité" s'appliquant aux managers et aux non-managers.

Le PDP de "e-Valuation" double le nombre de critères prévus par rapport à l'outil d'évaluation précédemment utilisé. Le nombre de critères de l'ancien système de notation passe de 3 à 6 critères.

Le CHSCT et le CE ont été informés de la mise en place de ce nouvel outil d'évaluation et ont rendu, à deux reprises, un avis défavorable à son égard.

Le CHSCT et le CE considèrent, d'une part, que l'information sur "e-Valuation", dont ils disposent, est insuffisante et que, d'autre part, le projet n'est pas abouti et pour certains de ses aspects contraires à la déontologie et à la loi.

Ils ont aussi estimé qu'il existe un fort risque de subjectivité dans la notation dû au fait que, dans le système "e-Valuation", seuls les comportements personnels sont évalués et non les compétences des salariés.

Le CHSCT et le CE ont ainsi demandé au tribunal de grande instance de Nanterre de déclarer illicite le système "e-Valuation".

Décision :

Le TGI a accueilli leurs demandes et a considéré que le système d'évaluation "e-Valuation" était illicite.

Les juges rappellent que l'employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d'évaluer le travail des salariés (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-42.368, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) c/ Mme Colette Kobyla N° Lexbase : A1175AZK). Néanmoins, cette évaluation doit se faire selon des critères objectifs, légitimes et transparents.

Le tribunal précise que "les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie" (C. trav., art. L. 1222-3 N° Lexbase : L0811H9W) et que "les informations demandées [...] ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'évaluation des aptitudes" (C. trav., art. L. 1222-2 N° Lexbase : L0809H9T).

Le TGI estime, aussi, que les critères mis en place sont flous en ce qui concerne le PDP et basés sur une appréciation comportementale quant au PID. De même, le critère d'évaluation "focus client" est contraire à la déontologie des journalistes, puisqu'il est "illicite de leur demander de satisfaire les clients alors que ce qui est demandé à un journaliste, c'est de délivrer une information exacte, même si elle doit s'inscrire dans une ligne éditoriale particulière à la revue destinée à la recevoir".

Enfin, les juges soulignent que des "critères comportementaux détachés de toute effectivité du travail accompli impliquent la multiplication de performances à atteindre qui ne sont pas dénuées d'équivoques et peuvent placer les salariés dans une insécurité préjudiciable".

Commentaire :

Par ce jugement, le TGI sanctionne la mise en place par l'éditeur néerlandais Wolters Kluwer dans ses filiales françaises d'un mode d'évaluation de ses salariés journalistes basé sur des critères comportementaux et non professionnels.

Les juges considèrent que les critères retenus par ce mode d'évaluation ne permettent pas de savoir si ce sont des compétences et des objectifs concrets qui sont jugés ou si ce sont des comportements qui sont évalués avec le risque de subjectivité d'une notation basée sur le comportement du salarié devant adhérer à des valeurs d'entreprise. Les six critères d'évaluation étaient les suivants : "Focus client", "création de valeur", "intégrité", "travail en équipe", "innovation" et "responsabilité".

Depuis un arrêt en date du 28 novembre 2007, la Chambre sociale de la Cour de cassation impose que lorsque l'entreprise met en place un nouveau système d'évaluation des salariés, elle doit non seulement consulter le CE mais aussi le CHSCT et, le cas échéant, déclarer le système d'évaluation auprès de la CNIL (Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-21.964, Association pour la gestion du groupe Mornay Europe (AGME) N° Lexbase : A9461DZG) (1).

  • Pour être protégée sur Google AdWord, une marque doit, désormais, non seulement être déposée auprès de l'Institut national de propriété industrielle, mais aussi faire l'objet d'une déclaration, de la part du titulaire, auprès du moteur de recherche en tant que mot clé négatif (TGI Paris, ord. réf., 17 septembre 2008, 2L Multimédia c/ Meetic)

Faits :

Dans le cadre de son activité d'exploitation de sites internet de rencontre, la société 2L Multimédia a procédé au dépôt de plusieurs marques, notamment "Wiziou" et "Carasexe".

La société 2L Multimédia a assigné la société Meetic devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marques afin d'obtenir la suppression des liens pointant vers les sites édités par Meetic lors de l'utilisation sur les moteurs de recherche Google et Voila de mots-clés reproduisant ou imitant les marques, dont 2L Multimédia est titulaire. En l'espèce, il ressort des procès verbaux de constats d'huissier que la saisie des mots clés "carasex.com", "carasex.info", "wiziou.net" et "wiziou.com" génèrent, sur les moteurs de recherche Google ou Voila, des liens commerciaux vers les sites exploités par la société Meetic.

La société Meetic conteste avoir acquis les mots-clés en cause et présente une attestation du directeur juridique de Google France aux termes de laquelle il ressort que les mots clés "wiziou" et "carasexe" n'ont jamais été réservés par la société Meetic. Cette dernière soutient, également, qu'il appartenait à la société 2L Multimédia de signaler ces marques à la société Google pour que celles-ci ne soient plus proposées comme mot-clef ni accessibles dans le cadre d'une requête large (service proposé par Google qui permet d'afficher des liens vers les sites internet de l'annonceur, si une requête comporte des termes similaires ou liés à ceux choisis par l'annonceur).

Décision :

Le TGI a débouté 2L Multimédia de ses demandes à l'encontre de la société Meetic.

Les juges estiment, en effet, qu'aucune contrefaçon des marques par reproduction ou par imitation ne peut être reprochée à la société Meetic puisqu'elle n'a jamais réservé les mots-clés "wiziou" et "carasexe" pour permettre l'accès des internautes à ses sites internet. En outre, dès que la société Meetic a été notifiée, par la société 2L Multimédia, de liens pointant vers son site internet à partir de requêtes effectuées avec des mots-clés "carasex.com", "carasex.info", "wiziou.net" et "wiziou.com", elle a demandé à ce que les deux termes "wiziou" et "carasexe" soient enregistrés en tant que mots-clés négatifs. Enfin, le TGI relève que l'apparition des liens commerciaux était liée au fonctionnement des moteurs de recherche Voila et Google et était indépendante de la volonté de la société Meetic.

Le TGI précise, en outre, que "l'absence de mise en 'mots clés négatifs' des marques d'un concurrent [n'est] un comportement fautif imputable à [la société Meetic] que si celle-ci ne demande pas à la société éditrice du moteur de recherche de mettre ceux-ci en 'mots clés négatifs' dès qu'elle est informée de la situation. En effet, il n'est pas possible pour un commerçant de connaître toutes les marques détenues par ses concurrents et il appartient à ces derniers s'ils ne veulent pas que leurs signes servent à l'apparition de liens commerciaux en faveur d'autres personnes de les mettre eux-mêmes en mots clés négatifs, le titulaire d'une marque ayant une obligation de défense de cette dernière".

Par conséquent le TGI rejette l'ensemble des demandes de la société 2L Multimédia.

Commentaire :

Par cette ordonnance de référé, le TGI de Paris semble poser deux nouvelles obligations en matière de protection des marques de sociétés qui souhaitent utiliser les services de Google AdWords.

Tout d'abord, en plus des dépôts des marques auprès de l'Institut national de la propriété industrielle et de l'Office d'harmonisation dans le marché intérieur, tout annonceur (en l'occurrence la société 2L Multimédia) doit mettre en place une liste de mots-clés négatifs des marques de ses concurrents (de ceux dont il a la connaissance) s'il ne souhaite pas que ses "signes servent à l'apparition de liens commerciaux en faveur d'autres personnes". Les juges précisent que la mise en place de cette liste découle d'une "obligation de défense" qui pèse sur le titulaire d'une marque. Il est difficile de savoir quelle est la portée exacte de cette "obligation de défense" puisque le TGI ne vise aucune disposition du Code de la propriété intellectuelle pour fonder sa décision.

Ensuite, tout annonceur (en l'occurrence, la société Meetic) doit effectuer les diligences nécessaires auprès des services de Google AdWords dès qu'il est informé de la présence de liens pointant vers son site internet à partir de requêtes effectuées avec des mots-clés reprenant les marques de ses concurrents. Cette responsabilité pourrait être rapprochée de celle des hébergeurs prévue par l'article 6.I.2 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 N° Lexbase : L2600DZC). En effet, comme l'hébergeur, l'annonceur ne peut voir sa responsabilité engagée que s'il n'a pas agit dès le moment où il a eu connaissance de la présence de contenus illicites.

La décision du TGI aurait, peut-être, été différente si Google avait été mise en cause en l'espèce, puisque, selon le juge, l'attestation du directeur juridique de Google et les pièces du dossier montraient que "l'apparition des liens commerciaux litigieux est liée au fonctionnement des moteurs de recherche Voila et Google".

II - Numérique

Résumé :

Le "Plan de développement de l'économie numérique", présenté par Eric Besson le 20 octobre 2008, poursuit trois grands objectifs : garantir l'accès de tous les Français à internet à haut débit ; assurer le passage de la France dans le tout numérique audiovisuel avant le 30 novembre 2011 ; et réduire la fracture numérique.

1. Garantir l'accès de tous les français à l'internet à haut débit

L'une des priorités du Plan est de permettre à tous les Français d'accéder aux réseaux et aux services numériques. Parmi les actions qui seront prises dans cette optique figure la fourniture d'une prestation d'accès universel à internet à haut débit, à compter du 1er janvier 2010. Les opérateurs seront invités à proposer des offres garantissant à l'ensemble des Français un accès à internet à haut débit (>512 kbit/s), à un tarif abordable, inférieur à 35 euros/mois. Le débit minimal et le tarif maximal seront actualisés tous les ans. Chaque Français, bénéficiera ainsi d'un droit à l'accès à internet à haut débit.

2. Assurer le passage de la France dans le tout numérique audiovisuel

Conformément à la loi du 5 mars 2007, relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur (loi n° 2007-309 N° Lexbase : L6047HUI), le basculement numérique de la diffusion télévisuelle aura lieu avant la date du 30 novembre 2011. Une partie des fréquences libérées par l'extinction de la télévision analogique, la sous-bande (790-862 MHz), sera affectée à l'accès à internet à haut débit. La procédure d'affectation pour l'attribution de ces fréquences sera lancée dès 2009. Ces fréquences permettront de garantir une couverture complète du territoire par les futurs réseaux à très haut débit. Une réflexion sera menée sur l'opportunité d'affecter une partie du produit financier de l'affectation de ces fréquences à des actions destinées à favoriser le développement de l'économie numérique.

3. Réduire la fracture numérique

En ce qui concerne la téléphonie mobile, le Plan souhaite favoriser la concurrence et assurer une meilleure couverture possible du territoire. Un appel à candidatures pour une quatrième licence de troisième génération sera lancé au premier trimestre 2009. Seront favorisés les candidats qui permettront l'accès et le développement des opérateurs mobiles virtuels.

Afin de développer la production et l'offre de contenus numériques, le Plan prévoit de responsabiliser les prestataires de services d'hébergement et de donner un cadre aux concertations entre ayants droit et acteurs des plateformes de partage par la mise en place d'un répertoire national des oeuvres numériques protégées. Est, également, prévu un renforcement de la lutte contre la cybercriminalité, en doublant le nombre d'enquêteurs spécialisés en criminalité informatique.

Enfin, pour accroître et diversifier les usages et les services numériques dans les administrations, le Plan prévoit l'engagement d'une deuxième phase de déploiement de l'administration électronique, avec une dématérialisation des échanges de bout en bout et l'unification des sites d'accès aux services publics. Le dossier médical personnel partagé et le développement de la télésanté sont, également, prévus par le Plan. De même, la mise en place d'une e-justice, la "pré-plainte" en ligne permettant aux justiciables d'engager une procédure judiciaire sur internet, et des guichets universels d'accès à la justice leur permettront d'obtenir des informations sur une procédure depuis n'importe quel point du territoire.

Commentaires :

Présenté par le Gouvernement comme permettant de relancer la croissance et l'emploi, le Plan a été accueilli positivement par la plupart des acteurs du monde numérique. Cependant, il a suscité un certain nombre de critiques.

La principale critique porte sur son financement. En effet, des questions subsistent et notamment celles concernant le budget qui sera alloué à la mise en application du Plan, le calendrier et l'identité des personnes en charge de le mettre en oeuvre. Le député de l'opposition, Christian Paul, soutient, sur son blog, que "l'essentiel du plan annoncé ne trouvera un début de réalisation qu'avec le soutien des régions, départements, communes [qui] sont invités à mettre la main à la poche sans négociation préalable ni contrepartie sérieuse".

En ce qui concerne l'attribution de la quatrième licence mobile de troisième génération, l'association de consommateurs UFC-Que Choisir estime que le Plan n'est pas clair et n'apporte pas de réponses concrètes.

Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance


(1) Sur ce jugement, lire, également, les observations de G. Auzero, Evaluation des salariés : jusqu'où peut-on aller ?, Lexbase Hebdo n° 322 du 23 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4818BHW).

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Aides d'Etat

[Jurisprudence] La prise en compte des spécificités nationales par le juge communautaire dans le droit des aides d'Etat

Réf. : CJCE, 11 septembre 2008, C-428/06, Unión General de Trabajadores de La Rioja c/ Juntas Generales del Territorio Histórico de Vizcaya et autres (N° Lexbase : A1166EAG) ; TPICE, 22 octobre 2008, T-309/04,TV2 Danmark A/S c/ Commission (N° Lexbase : A8199EAW)

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N6896BHU

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le droit communautaire, et spécialement la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, reposaient sur une vision top-down de la construction européenne, dans laquelle l'ordre juridique communautaire imposait des obligations qui devaient être strictement exécutées par les différentes composantes des systèmes juridiques nationaux. Le droit communautaire, comme le droit international, dans lequel il plonge ses racines, ne s'embarrassait guère des spécificités nationales. Il adopte une conception monolithique de l'Etat et ne se préoccupe pas de son organisation interne. Dès lors, classiquement, tout organe, fut-il constitutionnellement indépendant, engage la responsabilité de l'Etat membre (1). Cette solution, si elle est totalement logique dans le droit international classique, qui n'impose que des obligations de résultats aux ordres juridiques étatiques, n'est pas totalement convaincante en droit communautaire, car ce dernier leur impose, pour sa part, des obligations de comportement tout à fait précises. A travers ces obligations de comportement, il n'est donc pas indifférent à l'organisation interne de l'Etat. Dès lors, ces obligations de comportement devaient avoir une contrepartie permettant la prise en compte des spécificités nationales. Il y a là, assurément, un changement paradigmatique de la construction européenne qui n'est donc plus seulement top-down mais devient également bottom-up. Bien que ce mouvement témoigne d'un certain retour des Etats, il ne faut pas y voir une régression de la construction communautaire, mais, au contraire, l'élaboration d'un véritable statut de l'Etat membre de l'Union européenne. Le droit des aides d'Etat constitue un terrain tout à fait propice à l'observation de ce phénomène. Le Traité et la jurisprudence retiennent, en effet, une définition très extensive de la notion d'aide d'Etat. Selon l'article 87 du Traité CE , sont concernées "dans la mesure où elles affectent les échanges entre les Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat, sous quelque forme que ce soit, qui faussent, ou qui menacent de fausser, la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions". Pour la Cour, quatre éléments doivent donc être pris en compte : "premièrement, il doit s'agir d'une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence" (2). On devine que dans l'interprétation et l'appréciation des premier et troisième critères, le juge communautaire est inéluctablement appelé à s'intéresser à l'organisation interne de l'Etat membre. En outre, si l'on ajoute que depuis la jurisprudence "Altmark" (3), ne constituent pas des aides d'Etat les compensations de service public, il y a là un autre point d'entrée pour le droit communautaire dans la sphère nationale. Cette idée est illustrée par deux arrêts récents de la Cour de justice et du Tribunal de première instance des Communautés européennes. Le premier concerne les mesures fiscales adoptées par une collectivité territoriale intra-étatique (I), et le second est relatif à l'organisation d'un service d'intérêt économique général (II).

I - Aides d'Etat et autonomie des collectivités territoriales intra-étatiques

Pour qu'il y aide d'Etat, l'entreprise bénéficiaire doit disposer d'un avantage qui a pour conséquence de la favoriser au détriment d'autres opérateurs économiques. La sélectivité est, ainsi, un élément constitutif de l'aide d'Etat (4). Dès lors, se pose la question de savoir si des mesures fiscales adoptées par des collectivités intra-étatiques revêtent, ou non, un caractère sélectif susceptible d'entraîner la qualification d'aides d'Etat. Tel est le problème que tente de résoudre la Cour de justice dans son arrêt du 11 septembre 2008 (C-428/06 à C-434/06). Il s'agissait d'un dispositif d'allégement de l'impôt sur les sociétés adopté par la Communauté du Pays-Basque et ses Territorios Históricos. La question de principe n'était pas totalement inédite puisque la Cour avait, d'ores et déjà, fourni certains éléments dans une affaire précédente dans laquelle était concernée une région ultrapériphérique l'île des Açores (5). Le cadre était, toutefois, assez différent car dans ce type de collectivités intra-étatiques, les mesures fiscales visent à surmonter les handicaps structurels affectant les entreprises de la région en raison du caractère insulaire de celle-ci. Tel n'était pas le cas s'agissant des mesures adoptées par le Pays-Basque.

Pour apprécier la sélectivité de l'aide, la Cour accepte de tenir compte de l'autonomie dont jouit la collectivité intra-étatique (A), mais elle pose des critères très précis pour apprécier cette autonomie (B).

A - La prise en compte de l'autonomie locale

La Cour rappelle d'abord sans ambiguïté que "le cadre de référence ne doit pas nécessairement être défini dans les limites du territoire de l'Etat membre concerné, en sorte qu'une mesure octroyant un avantage dans une partie seulement du territoire national n'est pas, de ce seul fait, sélective au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE" (point n° 47). Car, ajoute-t-elle, "il ne saurait être exclu qu'une entité infraétatique dispose d'un statut de droit et de fait la rendant suffisamment autonome par rapport au Gouvernement central d'un Etat membre pour que, par les mesures qu'elle adopte, ce soit cette entité, et non le gouvernement central, qui joue un rôle fondamental dans la définition de l'environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises" (point n° 48).

Il apparaît, ainsi, que la Cour, comme lui suggérait l'Avocat général Kokott dans ses conclusions (spéc. point n° 55), accepte, au moins implicitement, de concilier deux principes. L'on sait, d'une part, qu'un Etat membre ne saurait se fonder sur des dispositions, des pratiques ou des situations de son ordre juridique interne, y compris celles découlant de l'organisation constitutionnelle de cet Etat, pour justifier l'inobservation des obligations résultant du droit communautaire (6). Mais, d'autre part, l'article 6, paragraphe 3, CE affirme que "l'Union respecte l'identité nationale de ses Etats membres". Surtout, l'Avocat général citait expressément l'article 4, paragraphe 2, CE selon lequel "l'Union respecte l'égalité des Etats membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale".

Se posait, alors, dans la présente affaire, la question de savoir quelle entité intra-étatique devait être prise en compte puisqu'étaient en cause, à la fois le Pays-Basque et les Territorios Históricos qui composent ce même Pays-Basque. Pour la Cour de justice, dans la mesure où le Pays-Basque dispose d'une compétence en matière économique et les Territorios Históricos d'une compétence fiscale, ce sont à ces deux entités qu'il convient de se référer pour apprécier le cadre de référence.

Ensuite, la Cour devait déterminer si le contrôle juridictionnel national à l'égard des mesures prises par ces collectivités intra-étatiques avait un impact sur l'autonomie de ces collectivités. Sa réponse est dépourvue d'ambiguïté : "Le contrôle de légalité a pour fonction de faire respecter les limites préétablies des compétences de différents pouvoirs, organes ou entités de l'Etat, mais non de déterminer ces limites. Ainsi que l'a fait valoir le Gouvernement espagnol lors de l'audience, l'existence d'un contrôle juridictionnel est inhérente à l'existence d'un Etat de droit. Si la jurisprudence des juridictions d'un Etat membre est importante pour connaître les limites des compétences d'une entité infraétatique, c'est en tant que l'interprétation jurisprudentielle fait partie intégrante des normes définissant ces compétences. Toutefois, la décision juridictionnelle se borne à interpréter la norme établissant les limites des compétences d'une telle entité, mais elle ne porte pas atteinte, en principe, à l'exercice de ces compétences à l'intérieur de ces limites. Il s'ensuit que ce sont les normes applicables telles qu'interprétées par les juridictions nationales qui déterminent les limites des compétences d'une entité infraétatique, et doivent être prises en considération pour vérifier si cette dernière dispose d'une autonomie suffisante. En conséquence, il ne saurait être valablement conclu à l'absence d'autonomie d'une entité infraétatique, au seul motif qu'un contrôle juridictionnel est exercé sur les actes adoptés par cette dernière" (points n° 80 à 83).

La Cour devait donc, ensuite, examiner les critères de l'autonomie locale, afin d'apprécier si les mesures revêtaient ou non un caractère sélectif et constituaient donc une aide.

B - Les critères de l'autonomie locale

Pour déterminer si la collectivité intra-étatique est suffisamment autonome et "joue un rôle fondamental dans la définition de l'environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises" (point n° 55), la Cour de justice retient trois critères : l'autonomie institutionnelle, l'autonomie procédurale et l'autonomie économique.

Sur le critère de l'autonomie institutionnelle, la réponse de la Cour de justice est assez expéditive. Elle juge, en effet, qu' "il ressort de l'examen de la Constitution, du statut d'autonomie et de l'accord économique que des entités infraétatiques telles que les Territorios Históricos et la Communauté autonome du Pays-Basque, dès lors qu'elles sont dotées d'un statut politique et administratif distinct de celui du Gouvernement central, satisfont au critère de l'autonomie institutionnelle" (point n° 87). Appliqué aux collectivités territoriales françaises, l'appréciation de ce critère pourrait-il conclure à la reconnaissance de leur autonomie, dans la mesure où elles ne sont pas véritablement dotées d'un statut politique par la Constitution française ?

Sur le critère de l'autonomie procédurale, la Cour s'attarde, évidemment, plus longuement. Reprenant la jurisprudence "République portugaise c/ Commission des Communautés européennes" (7), elle rappelle que "le critère essentiel pour juger de l'existence d'une autonomie procédurale est non pas l'amplitude de la compétence reconnue à l'entité infraétatique, mais la possibilité pour cette entité, en vertu de cette compétence, d'adopter une décision de manière indépendante, c'est-à-dire sans que le Gouvernement central puisse intervenir directement sur son contenu" (point n° 107). En l'espèce, les collectivités intra-étatiques, en vertu d'un accord passé entre le Gouvernement central et le Pays-Basque, ont l'obligation de communiquer à l'administration centrale les projets de mesures fiscales qu'elles entendent adopter. Une commission de coordination peut-être réunie afin de prévenir les conflits, mais le Gouvernement central ne dispose d'aucun pouvoir coercitif lui permettant d'imposer ses décisions. Par ailleurs, le principe de l'harmonisation fiscale contenu dans l'accord selon lequel la pression fiscale doit être équivalente à celle existant sur l'ensemble du territoire espagnol ne prive pas les Territorios Históricos d'adopter des mesures fiscales distinctes de celles, par ailleurs, applicables en Espagne.

Le critère de l'autonomie économique et financière était le plus difficile à apprécier. Il signifie que la collectivité intra-étatique doit assumer les conséquences financières, économiques et politiques de sa décision. Dès lors, "les conséquences financières d'une réduction du taux d'imposition national applicable aux entreprises présentes dans la région ne doivent pas être compensées par des concours ou subventions en provenance d'autres régions ou du Gouvernement central" (8). La complexité des relations financières entre le Royaume d'Espagne et le Pays-Basque rend particulièrement délicate l'appréciation de ce dernier critère. La Cour rappelle simplement qu'il "doit exister une compensation, c'est-à-dire un lien de cause à effet entre une mesure fiscale adoptée par les autorités forales et les montants mis à la charge de l'Etat espagnol" (point n° 129). Elle renvoie à la juridiction nationale la détermination de cette compensation, car la réponse dépend de l'interprétation du droit national qui appartient au seul juge national.

Jamais dans la jurisprudence de la Cour de justice n'avait été prise aussi précisément en compte l'organisation constitutionnelle d'un Etat membre pour interpréter le droit communautaire. Au sujet du service public, on retrouve une logique analogue dans l'arrêt du Tribunal de première instance du 22 octobre 2008.

II - Aides d'Etat et définition du service d'intérêt économique général

La Cour de justice estime que les subventions versées par une collectivité publique visant à compenser les pertes d'une entreprise chargée d'une mission de service public ne constituent pas des aides au sens de l'article 87 du Traité CE. Elle juge, en effet, que "de telles subventions sont à considérer comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public" (9).

Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du Tribunal de première instance du 22 octobre 2008, la Commission reprochait au Royaume du Danemark différentes mesures qui avaient bénéficié à une chaîne de télévision publique danoise TV 2 et qui constitueraient donc des aides d'Etat prohibées par les articles 87 et suivants du Traité CE. Le Tribunal, conformément à la jurisprudence "Altmark", devait donc se prononcer sur l'existence ou non d'un service public (A) qui ici n'est pas un service public comme les autres, puisqu'il s'agit du service public de la radiodiffusion (B).

A - L'autonomie de l'Etat dans la définition du service d'intérêt économique général

Dans la jurisprudence de la Cour de justice, l'existence d'un service d'intérêt économique général (SIEG) repose sur trois critères : une entreprise, une activité économique, une activité d'intérêt général et l'habilitation par une autorité publique (10). Le critère le plus délicat est, évidemment, celui tiré du caractère d'intérêt général de l'activité en cause. L'activité, bien qu'économique, doit ainsi avoir "un intérêt économique général qui présente des caractéristiques par rapport à celui que revêtent d'autres activités de la vie économique" (11). Il en va ainsi d'une entreprise investie de l'exploitation de lignes aériennes non rentables (12), d'un office public pour l'emploi (13), du téléphone (14), de la poste (15), de la fourniture d'électricité (16), et même de la gestion de déchets (17). Ne constituent pas, en revanche, des activités d'intérêt général, les activités de transaction bancaire (18) ou la vente de terminaux téléphoniques (19).

Avant même d'examiner ces critères, le Tribunal rappelle ici que "les Etats membres disposent d'un large pouvoir d'appréciation quant à la définition de ce qu'ils considèrent comme des SIEG. Partant, la définition de ces services par un Etat membre ne peut être remise en question par la Commission qu'en cas d'erreur manifeste" (point n° 101). On ne saurait mieux affirmer l'autonomie de l'Etat membre dans la définition du service d'intérêt économique général. Surtout, le Tribunal se réfère pour la première fois dans la jurisprudence communautaire (20) à l'article 16 du Traité CE , selon lequel "sans préjudice des articles 73, 86 et 87, et eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union, ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, la Communauté et ses Etats membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application du présent Traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions". On ne saurait, en outre, négliger que selon l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX), "l'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union".

L'autonomie des Etats dans la détermination des services d'intérêt économique général est d'autant plus forte pour la radiodiffusion qu'il s'agit d'un secteur sensible.

B - L'autonomie de l'Etat dans le fonctionnement du service public de la radiodiffusion

La Cour de justice avait assez tôt considéré qu'une entreprise audiovisuelle investie d'une mission de service public constituait une activité d'intérêt général (21). Depuis, à l'occasion du Traité d'Amsterdam a été ajouté un protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les Etats membres, selon lequel "la radiodiffusion de service public dans les Etats membres est directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ainsi qu'à la nécessité de préserver le pluralisme dans les médias. [...] Les dispositions du Traité instituant la Communauté européenne sont sans préjudice de la compétence des Etats membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion, dans la mesure où ce financement est accordé aux organismes de radiodiffusion aux fins de l'accomplissement de la mission de service public telle qu'elle a été conférée, définie et organisée par chaque Etat membre, et dans la mesure où ce financement n'altère pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure qui serait contraire à l'intérêt commun, étant entendu que la réalisation du mandat de ce service public doit être prise en compte".

Le Tribunal fait explicitement référence à ce protocole ainsi qu'à la résolution du Conseil et des représentants des Gouvernements des Etats membres, réunis au sein du Conseil du 25 janvier 1999 concernant le service public de radiodiffusion (22). On retrouve, ici, également de manière latente, le principe selon lequel l'Union respecte l'identité nationale des Etats membres dans la mesure où la radiodiffusion participe de cette identité. Elle est, également, un instrument de la diversité culturelle qui est affirmée à l'article 151 du Traité CE  et surtout à l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux et à l'article 3 du TUE , dans sa version issue du Traité de Lisbonne.

Le Tribunal en déduit donc que "la possibilité, pour un Etat membre, de définir le SIEG de la radiodiffusion en termes larges, comportant la diffusion d'une programmation généraliste, ne saurait être remise en cause du fait que le radiodiffuseur de service public exerce, par ailleurs, des activités commerciales, notamment la vente d'espaces publicitaires" (point n° 107). On appréciera cette affirmation à l'heure où la France s'apprête à supprimer la ressource publicitaire pour les chaînes du service public.

Il apparaît, ainsi, que les modalités de financement ne constituent pas un élément de la définition du service d'intérêt économique général. Il y a là une différence avec le droit administratif français pour qui cet élément soit pris en compte pour la distinction entre le service public administratif et le service public à caractère industriel ou commercial (23).

Le Tribunal laisse finalement une grande marge de manoeuvre aux Etats dans la définition du service public de radiodiffusion. Il rejette l'argument selon lequel TV2 n'est pas une chaîne de service public parce que sa programmation ne se distinguerait pas de celle des chaînes commerciales : car "accueillir cet argument, et faire donc dépendre, au moyen d'une analyse comparative des programmations, la définition du SIEG de la radiodiffusion du périmètre de la programmation des radiodiffuseurs commerciaux, aurait pour effet de priver les Etats membres de leur compétence pour définir le service public. En effet, la définition du SIEG dépendrait, en définitive, des opérateurs commerciaux et de leurs décisions de diffuser ou pas certains programmes. Comme le relève à juste titre TV2 A/S, les États membres, lorsqu'ils définissent la mission du service public de radiodiffusion, ne sauraient être limités par les activités des chaînes de télévision commerciale" (point n° 123).

Cette consécration de l'autonomie de l'Etat dans le droit des aides d'Etat devrait, assurément, gagner d'autres secteurs. Elle témoigne, une nouvelle fois, du fait que l'Union européenne se construit, non pas contre ses Etats membres, mais par ses Etats membres. Elle a certainement pour contrepartie que les Gouvernements de ces mêmes Etats membres ne pourront pas, avec autant d'aisance, faire passer leur volonté politique pour des obligations en provenance de l'Union européenne (24).


(1) CJCE, 5 mai 1970, aff. C-77/69, Commission des communautés européennes c/ Royaume de Belgique (N° Lexbase : A6625AUW), Rec., p. 237.
(2) CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00, Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg c/ Nahverkehrsgesellschaft Altmark GmbH, en présence de Oberbundesanwalt beim Bundesverwaltungsgericht (N° Lexbase : A2343C9N), Rec., p. I-7747, spéc. n° 75.
(3) Préc..
(4) CJCE, 15 décembre 2005, aff. C-66/02, République italienne c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A9549DLA), Rec., p. I-10901.
(5) CJCE, 6 septembre 2006, aff. C-88/03, République portugaise c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A9475DQY), Rec., p. I-7115.
(6) CJCE, 5 mai 1970, Commission des communautés européennes c/ Royaume de Belgique, préc..
(7) Préc..
(8) CJCE, 6 septembre 2006, République portugaise c/ Commission des Communautés européennes, préc., point n° 67.
(9) CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg, préc., Rec., p. I-7747, spéc. point n° 95.
(10) L. Dubouis et C. Blumann, Droit matériel de l'Union européenne, Paris, Montchrestien, quatrième édition, 2006, n° 944.
(11) CJCE, 10 décembre 1991, aff. C-179/90, Merci convenzionali porto di Genova SpA c/ Siderurgica Gabrielli SpA (N° Lexbase : A9946AUW), Rec. p. I-5889, spéc. point n° 27.
(12) CJCE, 11 avril 1989, aff. C-66/86, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro GmbH c/ Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs e.V. (N° Lexbase : A4536AWW), Rec. p. 803.
(13) CJCE, 23 avril 1991, aff. C-41/90, Klaus Höfner et Fritz Elser c/ Macrotron GmbH (N° Lexbase : A0092AWC), Rec. p. I-1979.
(14) CJCE, 13 décembre 1991, aff. C-18/88, Régie des télégraphes et des téléphones c/ GB-Inno-BM SA (N° Lexbase : A8575AU7), Rec. p. I-5941.
(15) CJCE, 19 mai 1993, aff. C-320/91, Procédure pénale c/ Corbeau (N° Lexbase : A9609AUG), Rec. p. I-2533.
(16) CJCE, 27 avril 1994, aff. C-393/92, Commune d'Almelo et autres c/ NV Energiebedrijf Ijsselmij (N° Lexbase : A1667AWN), Rec., p. I-1477.
(17) CJCE, 23 mai 2000, aff. C-209/98, Entreprenorforeningens Affalds/Miljosektion (FFAD) c/ Kobenhavns Kommune (N° Lexbase : A5918AYT), Rec. p. I-3743.
(18) CJCE, 14 juillet 1971, aff. C-10-71, Ministère public luxembourgeois c/ Madeleine Muller, Veuve J.-P. Hein et autres (N° Lexbase : A6698AUM), Rec. p. 723.
(19) CJCE, 13 décembre 1991, Régie des télégraphes et des téléphones c/ GB-Inno-BM SA, préc..
(20) Fait seulement exception, ord. TPICE, 28 mai 2001, Aff. T-53/01, Poste Italiane SpA c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A2897AW9), Rec., p. II-1479.
(21) CJCE, 30 avril 1974, aff. C-155/73, Giuseppe Sacchi (N° Lexbase : A6883AUH), Rec. p. 409.
(22) JOUE du 5 février 1999, n° C-30, p. 1.
(23) J.-F. Lachaume, C. Boiteau et H. Pauliat, Droit des services publics, Paris, A. Colin, 3ème édition 2004, p. 64 et s.
(24) M. Lombard, L'Etat schizo, Paris, JC Lattès, 2007.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Un lien qui ne prend pas racine dans l'activité propre d'une holding ne constitue pas un lien direct et immédiat et ne saurait ouvrir droit à déduction de la TVA

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 octobre 2008, n° 299265, SA AXA (N° Lexbase : A7089EAS)

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010


Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 6 octobre 2008, vient de juger que si les dépenses exposées par une société holding pour les différents services qu'elle acquiert dans le cadre d'une prise de participation dans une filiale, peuvent être regardés comme faisant partie de ses frais généraux, il n'en va pas de même des dépenses exposées dans le cadre d'une opération, même assujettie à la TVA, qui a été réalisée non par la société holding dans le cadre de son exploitation propre, mais par une filiale. Les faits dans cette affaire sommairement résumés sont les suivants : la société UAP International a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause le caractère déductible de la TVA ayant grevé les honoraires versés au cabinet Clearly, Gottlieb, Steen et Hamilton le 27 avril 1989 pour un montant total de 286 616 francs (43 694 euros), et à la maison Lazard et compagnie le 8 mars 1989, pour un montant total de 12 035 000 francs (1 834 723 euros), au titre des prestations facturées au cours de l'année 1989 à la société UAP International pour l'acquisition de participations dans la société italienne Allsecures Spa, alors filiale du groupe italien d'assurances Toro réalisée non par la société UAP International mais par l'une de ses filiales, la société UAP Italiana.

Le Conseil d'Etat confirme la décision de la cour administrative d'appel de Paris du 2 octobre 2006 (CAA Paris, 5ème ch., 2 octobre 2006, n° 04PA03401 N° Lexbase : A2507DSN) et précise que l'acquisition de titres ayant été réalisée par la filiale italienne UAP Italiana, et non pas directement par la société mère, selon le protocole en date du 15 février 1989 signé entre le groupe Toro et la société holding française, les frais d'honoraires litigieux facturés à cette dernière ne peuvent être regardés comme ayant été exposés dans le cadre de sa propre exploitation, ces dépenses n'ayant été engagées que pour les besoins de l'activité de la filiale italienne. En l'espèce, les frais d'assistance et de conseil exposés par la filiale ne se rattachent pas directement à une opération d'aval de la holding et n'ont pas, non plus, le caractère de frais généraux ayant un lien avec l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti. Le Conseil d'Etat, après avoir tiré toutes les conséquences de la décision de la CJCE "Cibo Participations" (CJCE, 27 septembre 2001, aff. C-16/00, Cibo Participations SA c/ Directeur régional des impôts du Nord-Pas-de-Calais N° Lexbase : A5734AWB) pour des activités inclues exhaustivement dans les frais généraux de la holding, puis appliqué la décision "Abbey National" (CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A1648AWX) pour des activités partiellement inclues dans les frais généraux, tire toutes les conséquences de la décision de la CJCE "Investrand" (CJCE, 8 février 2007, aff. C-435/05, Investrand BV c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A9405DTI).

1. Les dépenses exposées par une holding pour les différents services qu'elle acquiert, dans le cadre d'une prise de participation dans une filiale, font partie des frais généraux

D'origine communautaire les règles applicables à la déductibilité des frais généraux des holdings ont fait l'objet de nombreuses applications dans l'ordre juridique interne et s'appuient pour leur mise en oeuvre sur des critères progressivement précisés par le juge national.

1.1. L'existence nécessaire d'un lien direct et immédiat avec l'ensemble de l'activité économique

Le juge communautaire retient la déductibilité de la TVA afférente à des frais engagés par une holding pour l'acquisition de services auprès de ses filiales. La qualification de frais généraux exposés par la société holding emporte presque mécaniquement le constat de l'existence d'un lien direct permettant d'ouvrir un droit à déduction en matière de TVA. Ce point a été précisé par la CJCE dans un arrêt en date du 27 septembre 2001 "Cibo Participations" précité, dans lequel la Cour a jugé que la TVA ayant grevé des frais exposés par une société holding pour des prises de participation dans des sociétés filiales, peut être récupérée sur la base du prorata, car "les coûts desdits services font partie des frais généraux de l'assujetti et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des produits d'une entreprise". La Cour a retenu, pour fonder sa solution, l'existence d'un lien direct et immédiat entre les services et l'ensemble de l'activité économique de l'assujetti. Dès lors, l'inclusion des dépenses dans les frais généraux de la holding permet a priori, d'inférer l'existence d'un lien direct et immédiat (TA Lille, 4ème ch., 3 novembre 2005, n° 03-4607, SA Chloride Batteries Industrielles). Une décision de la cour administrative d'appel de Nantes du 28 mai 2003 (CAA Nantes, 1ère ch., 28 mai 2003, n° 00NT00836, Société Galapagos N° Lexbase : A1796DAR) illustre le rapprochement mécanique opéré par le juge entre lien direct et immédiat et frais généraux : les dépenses exposées par une holding pour les différents services acquis pour sa constitution et à l'occasion de sa prise de participation dans une filiale font partie de ses frais généraux et entretiennent donc en principe un lien direct et immédiat avec l'ensemble de son activité économique, de nature à permettre la déduction de la TVA qui a grevé ces dépenses.

La ligne jurisprudentielle initiée par la décision "Cibo Participations" a été prolongée par le juge communautaire (CJCE, 26 mai 2005, aff. C-465/03, Kretztechnik AG c/ Finanzamt Linz N° Lexbase : A3969DIT et CJCE, 8 février 2007, aff. C-435/05, Investrand BV c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A9405DTI : Dr. fisc, 2007, n° 9, comm. 216). Ces décisions rendues en matière de TVA mettent en oeuvre, lorsque les dépenses supportées font partie des frais généraux d'une holding, une notion de lien direct non pas avec une opération particulière, mais au regard de l'ensemble de l'activité de l'assujetti. Par ailleurs, la nécessité de ce lien direct, dans le cadre d'opérations en capital, a été rappelée par le juge communautaire dans une décision du 13 mars 2008 (CJCE, aff. C-437/06, Securamenta Göttinger Immobilienanlagen und Vermögensmanagement AG c/ Finanzamt Göttingen N° Lexbase : A9405DTI), la CJCE, sur question préjudicielle au titre de l'article 234 CE ([L5251BCH]), introduite par le Niedersächsisches Finanzgericht (Allemangne), précisant les conditions de déduction de la TVA d'amont ayant grevé des dépenses liées à l'acquisition de capitaux d'un assujetti qui exerce à la fois une activité professionnelle et une activité privée.

1.2. En l'absence de lien direct, le juge regarde si le coût des services fait partie des frais généraux

Les frais généraux sont regardés comme tels dès lors qu'ils entretiennent un lien direct et immédiat avec l'activité d'une holding et concourent à développer son activité. Ils ont pour effet d'accroître le volume des prestations de services que la holding assure pour le compte de l'ensemble de ses filiales : autrement dit, les frais engagés ont alors un lien direct avec l'activité économique exercée par la holding. Reste que ce lien direct entre une opération d'amont et d'aval peut être altéré ou ne pas exister. Le juge, en l'absence de lien direct visible de prime abord, peut alors s'appuyer sur la notion de coûts des services rendus.

L'inclusion dans les frais a été appréciée de manière large. En effet, la déduction en matière de TVA est admise lorsque la taxe grève le coût de biens ou de services faisant partie des frais généraux de l'assujetti, ces frais entretiennent, par suite, un lien direct et immédiat avec l'ensemble de l'activité économique de la holding (CAA Paris, 5ème ch., 21 mai 2007 n° 05PA03817 Minefi c/ SCA Pfizer Holding France N° Lexbase : A1733DXH). Le droit à déduction est donc admis lorsque les coûts des services sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services que la holding fournit. Le juge semble quitter la notion de lien direct pour mieux la retrouver : le coût des services qui font partie des frais généraux est regardé comme  impliquant un lien direct et immédiat avec l'ensemble de l'activité de l'assujetti (CJCE, 22 février 2001, Abbey National, précité : RJF, 6/01 n° 894, concl. F.-G. Jacobs ; CJCE, 27 septembre 2001, Cibo Participations, précité).

La cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 5ème ch., 14 mai 2008, n° 06VE01989, Minefi c/ SA Aventis animal nutrition N° Lexbase : A3250D9A), après la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 30 décembre 2005, n° 03NT00076, SA SIVA N° Lexbase : A8718DN9) et la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 5ème ch., 21 mai 2007, n° 05PA03817, Minefi N° Lexbase : A1733DXH : RJF, 10/07 n° 1035), ont fait application de ces règles et sont venues dire, notamment, que lorsque les dépenses sont imputables concurremment aux activités économiques et aux activités non économiques de l'entreprise, les dépenses ne peuvent pas être regardées en totalité comme des "frais généraux" et doivent, donc, être ventilées entre ces deux catégories d'activités.

L'arrêt "SA AXA" apporte alors des précisions en l'absence de rattachement même partiel de l'opération réalisée par la filiale à l'activité de la holding.

2. Les dépenses exposées dans le cadre d'une opération même assujettie à la TVA réalisée par une filiale d'une holding peuvent être exclues du droit à déduction

Dans la décision "SA AXA", le Conseil d'Etat vient nuancer l'analyse selon laquelle les dépenses exposées par les entreprises assujetties à la TVA pour la réalisation de leurs opérations en capital, en dehors de celles liées aux cessions de titres, font partie des "frais généraux" de l'entreprise et ouvrent donc droit à déduction, le cas échéant en fonction du prorata ou du coefficient de taxation forfaitaire, la circonstance que l'entreprise perçoive par ailleurs des recettes non imposables étant sans incidence.

2.1. En l'absence de lien prenant racine dans l'activité propre d'une holding, le droit à déduction est exclu

Lorsque les dépenses sont imputables exclusivement aux activités non économiques, les dépenses n'ouvrent, dans ce cas, aucun droit à déduction (CJCE, 8 février 2007, aff. C-435/05, Investrand, précité). Dans l'arrêt "SA AXA" le Conseil d'Etat semble tirer toutes les conséquences de la jurisprudence de la CJCE "Investrand" et abandonner sa doctrine administrative (BOI 3 D-4-01 du 15 octobre 2001 N° Lexbase : X7429AAE). Pour inférer de l'inclusion dans les frais généraux, l'existence d'un lien direct ou d'une dépense constitutive du prix de revient des services rendus, encore faut-il que les dépenses en litige aient bien la nature de frais généraux pour la holding. Il faut donc qu'ils se rattachent à son exploitation commerciale. Dans sa décision "SA AXA", le Conseil d'Etat vient affirmer que la taxe afférente aux honoraires d'assistance et de conseil ne peut faire partie des frais généraux de la société holding UAP International dès lors que les dépenses n'ont été engagées que pour les besoins de l'activité de la filiale italienne. La Haute juridiction ne retient pas l'intérêt que peut présenter à terme le développement de la filiale sur un marché étranger. Pourtant, l'opération conduite par la filiale n'est pas dissociable de celui de son partenaire. On a pu souligner que le libéralisme dont fait preuve la jurisprudence lorsqu'il s'agit de reconnaître l'intérêt individuel des sociétés, notamment dans le cadre des groupes, contraste avec l'intransigeance qu'elle manifeste à l'endroit de l'intérêt du groupe pris en tant que tel. C'est une analyse relevant du même esprit que propose ici le Conseil d'Etat. En dépit des liens entre la filiale et la holding il n'y a pas de co-intérêt, ou d'intérêt conjugué qui puisse faire regarder l'opération comme concourant à l'activité commerciale de la holding.

2.2. Une qualification circonscrite de l'existence d'un lien direct et immédiat

L'arrêt du Conseil d'Etat "SA AXA" complète utilement la jurisprudence en matière de frais exposés pour des opérations en capital et inclus dans les frais généraux de la holding. On aurait pu penser, en l'espèce, que les frais engagés allaient avoir, tôt ou tard, une retombée sur le volume de l'activité de la holding. Mais, le Conseil d'Etat n'emprunte pas ce chemin que le tribunal administratif de Paris s'était déjà refusé à suivre dans une affaire (TA Paris, 2ème ch., 2ème sect., 8 juillet 2005 n° 17939, Société Parke-Davis SCA). Pour qu'il y ait frais généraux déductible par la holding ils doivent être rattachables à son activité propre. Ce faisant, la Haute juridiction borde la conception du lien direct et immédiat dégagé par la CJCE et précise les conditions d'inclusion des dépenses en capital dans les frais généraux. Notons que le Conseil d'Etat avait déjà fait valoir une première restriction à une conception trop extensive de la notion de frais déductibles et n'avait pas entendu retenir que peuvent être regardées comme imputables exclusivement aux activités économiques d'une holding les dépenses liées à des opérations en capital effectuées dans le cadre d'une stratégie de groupe (CE, 13 juillet 2007, n° 290711 et CAA Douai, 2ème ch., 29 décembre 2005, n° 04DA00069, SARL Financière de Lesseps N° Lexbase : A5728DM4 et TA Cergy-Pontoise, 29 novembre 2007 n° 03-6138 et 05-4575).

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[Questions à...] Rencontre avec Maître Nathalie Barbier, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Seine-Saint-Denis : échanges sur le thème "Avocat et concurrence"

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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques

Le 07 Octobre 2010

Depuis le 1er janvier 2007, Nathalie Barbier est Bâtonnier de l'un des plus importants Ordres de France : celui de Seine-Saint-Denis. Rendez-vous a été pris avec celle-ci, le 23 septembre 2008, en début de matinée, à la Maison de l'Avocat sise à Bobigny. Véritable tourbillon d'énergie, de dynamisme, de modernité et d'efficacité, Madame le Bâtonnier, qui jongle en permanence avec les idées et leur mise en oeuvre, sans jamais en perdre le fil, ni la cohérence, représente le renouveau de la profession d'avocat en France. Pour cette raison, Lexbase Hebdo a souhaité recueillir son avis sur la façon dont les avocats doivent envisager d'exercer, dans un contexte de mutations profondes des professions du droit. Lexbase : La "Commission Darrois" étudie actuellement la nécessité de réformer la profession d'avocat face aux nouveaux enjeux en termes de concurrence et de compétitivité des professionnels du droit. Qu'attendez-vous de ces travaux ?

Nathalie Barbier : Pour commencer, je dois dire que je suis très satisfaite que cette commission, voulue par le Président de la République lui-même, soit présidée par un avocat, Maître Jean-Michel Darrois. Je suis d'autant plus satisfaite que celui-ci est tout à fait représentatif de notre profession, en ce qu'il regroupe ses deux aspects, le conseil et le contentieux : spécialisé en droit des affaires, il appréhende quotidiennement cette matière et, issu de la "Barre", il connaît, également, très bien la vie judiciaire et le prétoire.

Sur le thème même d'une grande profession du droit, j'y suis, bien entendu, très favorable compte tenu notamment du contexte de concurrence qui s'accroît au fur et à mesure que l'Europe s'ouvre. La profession a, en outre, vu son champ d'intervention "grignoté" par d'autres professions n'exerçant pas le droit à titre principal, bénéficiant d'une formation juridique moins solide et qui ne sont pas soumises à une réglementation et une déontologie fortes, les garanties pour le justiciable s'en trouvant, par conséquent, dangereusement amoindries.

LXB : Sur ce sujet d'actualité qu'est la compétitivité entre les différents professionnels du droit, pensez-vous que l'acte sous signature juridique peut être un moyen efficace de rétablir une "saine concurrence" ?

N. B. : Je pense, en effet, qu'outre cette grande profession du droit -si elle venait à être instaurée-, l'avocat dispose d'autres moyens efficaces pour se réapproprier et renforcer son rôle au sein de la société, dont l'acte sous signature juridique. Son introduction en droit positif français est opportune tant sur le terrain de la concurrence entre les professionnels du droit, que sur celui de l'intérêt général.

Il représente, selon moi, un nécessaire "trait d'union" entre l'acte sous seing privé et l'acte authentique. L'importance du premier ne peut être niée ou remise en cause, en ce que, ne nécessitant aucun formalisme, il répond aux impératifs de rapidité imposés, en particulier, par la vie économique. Pour autant, la protection qu'il offre aux justiciables est loin d'être satisfaisante en cas de contentieux. Il n'est pas, non plus, question de remettre en cause l'existence de l'acte authentique, tout comme il n'est pas question de l'étendre aux avocats. Les notaires sont, en effet, habilités à le dresser, parce qu'ils bénéficient d'une délégation de l'Etat pour ce faire, la contrepartie naturelle étant leur défaut d'indépendance vis-à-vis de celui-ci. C'est précisément cette indépendance que l'avocat doit à tout prix conserver.

Il existe toutefois entre ces deux formes d'actes un vide juridique dû, en grande partie, à l'évolution de la société depuis la rédaction du Code civil, et parallèlement, aux évolutions des professions de notaire et d'avocat, ce qui a très bien été démontré lors du colloque dédié à l'acte sous signature juridique, tenu le 11 septembre dernier à Lyon (1). A l'époque, la France, majoritairement rurale, justifiait les trois principaux thèmes abordés dans le Code civil : droit de la famille, des contrats et du patrimoine. Les notaires disposent encore de monopoles d'exercice sur ces matières. Aujourd'hui, ces thèmes ont subi de profondes mutations et les enjeux afférents aux biens et aux valeurs ne sont plus les mêmes, certains de ces monopoles ne se justifiant alors plus. Parallèlement, l'avocat n'est définitivement plus seulement l'"homme du prétoire", mais il est à même d'intervenir sur tous les terrains et à tous les stades. Prenons pour exemple celui des ventes immobilières. La vente d'immeubles ne s'effectue plus, aujourd'hui, comme elle s'effectuait en 1804 : dans la plupart des cas, l'immeuble sera cédé indirectement, comme résultante de la cession des parts de la société civile immobilière qui le détenait. La compétence et la technicité des avocats pour de telles cessions ne peuvent être niées. Il ne peut, non plus, être nié que le notaire, formé par la doctrine, applique le droit lorsque l'avocat, lui, se permet une approche plus pragmatique, en tant que créateur de la jurisprudence, ce qui représente une protection supplémentaire pour le justiciable.

L'acte sous signature juridique doit donc être introduit dans le Code civil pour répondre à ces impératifs de rapidité et de protection renforcée du justiciable. Les parties doivent pouvoir y recourir dans la plupart des domaines de la vie quotidienne et des affaires.

LXB : Lors du colloque dédié à l'acte sous signature juridique, les intervenants ont insisté sur la place que pourrait prendre le RPVA (réseau privé virtuel des avocats) dans le cadre de la conservation des actes. Rejoignez-vous le sentiment selon lequel cet outil est l'avenir de la profession ?

N. B. : Concernant tout d'abord l'acte sous signature juridique, le RPVA aurait indéniablement un rôle central notamment, en effet, en matière de conservation des actes. Sur ce point, pour une fois nous partirions sur un pied d'égalité avec les notaires, qui sont, de leur côté aussi, aux prémices de la technologie et n'ont pas encore exploré et exploité tout ce qu'elle peut offrir en terme de sécurité, rapidité, efficacité...

Plus généralement, ensuite, il me semble que cet outil révolutionnaire est indispensable au bon exercice de notre profession pour les raisons que je viens d'énoncer. Notre Ordre a toujours été très favorable à l'e-barreau et s'est toujours fortement impliqué dans ce projet. Nous avons en effet, dès le départ, constitué un comité de pilotage composé de représentants des magistrats et du Barreau, présidé par Monsieur Philippe Jeannin (Président du tribunal de grande instance de Bobigny) qui a abouti le 6 décembre 2007 à la signature d'une convention locale relative à la communication électronique entre le TGI et l'Ordre. D'abord opérationnel sur trois chambres immobilières, le RPVA se généralise progressivement sur tous les contentieux et, grâce à une communication massive sur le sujet, l'adhésion des cabinets augmente. En tant qu'utilisatrice de ce système, je ne peux que reconnaître sa pleine efficacité et je reste convaincue qu'une fois ancré dans la pratique, personne ne pourra s'en passer, à l'image du télécopieur qui est progressivement apparu et que l'on trouve aujourd'hui dans la quasi-totalité des cabinets.

LXB : Comment l'Ordre des avocats du Barreau de Seine-Saint-Denis aborde-t-il la problématique de la concurrence ?

N. B. : Il est essentiel de communiquer avec le public sur le rôle de l'avocat au sein de la société et, en particulier, sur ses champs d'intervention. Pour ce faire, l'Ordre dispose notamment d'un site internet performant (2) qui expose les différentes composantes de la profession et qui permet également une réelle transparence sur les activités du Barreau. Nous communiquons aussi par le biais de salons, dont celui de décembre 2007 sur le "droit du travail", qui a été un réel succès et dont l'opportunité et la qualité ont été unanimement reconnues par les professionnels. Nous préparons actuellement la deuxième édition de cet événement sur le thème "Avocats & Entreprises" (3) dédié aux compétences des avocats en droit des affaires et à l'accompagnement du chef d'entreprise qu'elles permettent. Il est primordial pour l'Ordre de prendre en compte l'importance de la vie économique de la Seine-Saint-Denis et de son essor, le département étant, en effet, en troisième position en Ile de France en matière de création d'entreprises et d'embauches. Ce salon a pour objectif de favoriser ce développement. L'Ordre a, également, souhaité accompagner les entrepreneurs en leur proposant des consultations gratuites au sein de la Chambre de commerce et d'industrie et de la Chambre des métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis.

L'avocat se doit d'intervenir sur tous les aspects de la vie économique mais également sur tous les aspects de la vie sociale, ceci, bien entendu, pour des raisons de concurrence mais surtout parce que sa mission est une mission d'intérêt général et qu'il est le plus à même de faire respecter les droits des citoyens. Ainsi, la fonction sociale de l'avocat doit également être avancée et développée autant que faire se peut. C'est ce qu'a fait l'Ordre en créant, dans un premier temps, le Collectif de défense des victimes de la catastrophe de Bondy, qui a mis à la disposition des victimes un numéro de téléphone unique et a organisé des consultations pour répondre à une demande immédiate de conseil et d'assistance. Devant la souffrance rencontrée lors de ces consultations, et face aux nombreuses demandes des résidants de Seine-Saint-Denis, le Barreau a décidé, dans un deuxième temps, de créer une Antenne d'Avocats pour l'Assistance et la Défense des Victimes. Cette antenne a pour objectif, via des consultations juridiques dispensées par des avocats gratuitement, de répondre à une demande croissante d'une défense de qualité des victimes et de leur garantir la prise en charge et l'expression de leurs droits, quelles que soient les ressources. Un guide explicatif des droits et réflexes que doivent avoir les victimes est, parallèlement, distribué dans tous les points stratégiques du département. L'Ordre développe et communique, également, sur le thème de la médiation et a, dans ce but, créé un centre de médiation, "Médiation barreau 93", pour un règlement amiable des conflits.

De façon plus générale, il me semble impératif, pour être au plus proche des citoyens et remplir au mieux ses missions, que l'avocat repense le mode d'exercice de sa profession. Toutefois, je suis tout à fait confiante car, à la différence d'autres professionnels du droit, les avocats ont su, depuis plusieurs années, se remettre totalement en question et accepter les nécessaires changements à apporter à leur profession.


(1) V. L'acte sous signature juridique : rétablir "une saine concurrence" entre les différents professionnels du droit au profit de l'intérêt collectif, Lexbase Hebdo n° 318 du 17 septembre 2008 - Edition privée générale (N° Lexbase : N1885BHB).
(2) V. le site de l'Ordre des avocats de Seine-Saint-Denis.
(3) Le second salon sur le thème "Avocats & Entreprises" se déroulera en avril 2009. Toutes les informations seront disponibles sur le site de l'Ordre en début d'année.

newsid:336885

Notaires

[Jurisprudence] La responsabilité du notaire, rédacteur d'acte, pour défaut d'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place de sûretés

Réf. : Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, Société Banque Neuflize OBC, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9)

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N6892BHQ

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

Le 07 Octobre 2010

La responsabilité du notaire apparaît souvent pour les victimes d'un dommage comme l'ultime recours pour obtenir l'indemnisation de leur préjudice. Cette affirmation est d'autant plus vraie que la solvabilité de cet officier ministériel, à travers l'assurance de responsabilité qu'il doit souscrire, est un gage de sécurité pour qui se plaindrait des fautes par lui commises dans l'exercice de ses fonctions. Si, aujourd'hui, le rôle primordial du devoir de conseil à travers l'obligation d'information dont il est débiteur n'est plus à démontrer, l'émergence d'un contentieux de plus en plus important concernant l'obligation d'assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels le notaire apporte son concours, est un constat qui semble s'imposer à tous.
En témoigne un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 octobre 2008, promis aux honneurs du Bulletin. En l'espèce, selon acte authentique dressé, le 4 avril 1991, par un notaire, associé d'une société civile professionnelle (SCP), avec la participation d'un second notaire, associé d'une autre SCP notariale, une banque a consenti un prêt destiné au financement de l'acquisition par l'emprunteur de parts d'une SCI, garanti par le nantissement desdites parts. Les échéances n'étant plus payées, la banque a prononcé la déchéance du terme et, ayant voulu faire procéder à la vente forcée des parts sociales, a constaté que son nantissement n'avait pas été publié et qu'un autre nantissement, consenti, le 9 juillet 1993, par l'emprunteur sur les mêmes parts, avait été inscrit et publié au profit d'un tiers. La banque a alors recherché la responsabilité professionnelle du notaire et des deux SCP notariales pour la réparation de son préjudice de 107 000 euros. La cour d'appel de Paris, dans un premier arrêt du 7 novembre 2006 (CA Paris, 1ère ch., sect. A, 7 novembre 2006, n° 05/16709 N° Lexbase : A5255DTS), ayant laissé à sa charge la moitié de son préjudice, la banque a présenté une requête en rectification qui a été rejetée par un second arrêt de la même cour du 20 mars 2007 (CA Paris, 1ère ch., sect. A, 20 mars 2007, n° 07/00175, Banque Neuflize OBC c/ SCP Theret-Leroy-Reberat-Brandin et Ladegaillerie N° Lexbase : A3243DXE).

Les juges parisiens, pour limiter à 53 500 euros la condamnation solidaire des notaires en réparation du préjudice souffert par la banque, ont retenu que celle-ci, professionnelle du crédit et des sûretés, était elle-même fautive pour ne pas avoir vérifié que toutes les formalités, nécessaires à l'efficacité du nantissement qui lui avait été consenti, avaient été accomplies et que cette négligence, qui avait contribué à son dommage, justifiait qu'elle en conservât la moitié à sa charge.

La banque a donc formé un pourvoi en cassation. La Cour régulatrice statue, au visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), en faveur de l'établissement de crédit : "le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé" . Dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, après avoir retenu que la faute du notaire avait privé la banque de la totalité de la valeur des parts données en nantissement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; son arrêt est cassé et annulé.

La Cour de cassation rappelle, tout d'abord, que la responsabilité du notaire peut être engagée lorsque celui-ci ne s'est pas assuré de l'efficacité de l'acte auquel il a prêté son concours. Si tous les professionnels du droit, rédacteurs d'actes, sont débiteurs de cette obligation, c'est à propos des notaires que la Cour de cassation en a, d'abord, affirmé le principe. Ainsi, dans un arrêt du 7 février 1989, la première chambre civile a-t-elle précisé que "le notaire, en tant que rédacteur de l'acte, est tenu de prendre toutes les dispositions utiles pour en assurer l'efficacité, notamment en ce qui concerne la protection des parties à l'acte" (Cass. civ. 1, 7 février 1989, n° 86-18.559, Syndicat des copropriétaires c/ M. X N° Lexbase : A4185AAA).

La jurisprudence, en rappelant constamment ce principe depuis, a dessiné les contours de l'obligation. Ainsi, dans l'arrêt du 7 février 1989, la Cour de cassation censure une cour d'appel qui n'a pas retenu la responsabilité du notaire, chargé par la venderesse de dresser les actes de vente immobilières, et tenu, aux termes de l'article L. 243-2, alinéa 2, du Code des assurances, dans sa rédaction applicable à l'espèce (N° Lexbase : L0305AAK), de faire mention dans le corps de l'acte ou en annexe de l'existence des assurances prévues aux articles L. 241-1 (N° Lexbase : L0300AAD) et suivants du même code, alors que celui-ci n'a pas vérifié l'exactitude des déclarations de la venderesse qui faisait état de la souscription effective des contrats ayant pour objet de garantir les acquéreurs contre les désordres pouvant affecter le bien acquis.

La première chambre civile de la Cour de cassation a, également, précisé que le notaire doit vérifier la qualité de propriétaire du vendeur à l'acte de vente qu'il établit et engage sa responsabilité en se bornant à reprendre, d'un acte antérieur, une origine de propriété qui se révèle erronée (Cass. civ. 1, 12 février 2002, n° 99-11.106, F-P N° Lexbase : A9928AXY). De même, le notaire engage sa responsabilité lorsqu'il ne vérifie pas les origines de propriété, la situation hypothécaire ainsi que les déclarations du vendeur, notamment, celles relatives à l'absence de servitudes (Cass. civ. 1, 23 novembre 1999, n° 97-12.595, M. X et autres c/ Caisse des dépôts et consignations, publié N° Lexbase : A7668CIT).

L'arrêt du 16 octobre 2008 apporte sa pierre à l'édifice jurisprudentiel, relatif à la responsabilité du notaire rédacteur d'acte, en précisant que le notaire doit veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution. Ce n'est, toutefois, pas la première fois que la Haute juridiction impose à cet officier ministériel l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue. Ainsi, dans un arrêt du 5 octobre 1999, la Cour de cassation a retenu que le notaire, qui établit un acte de garantie hypothécaire, fût-elle de deuxième rang, a l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 97-14545, Mme Arnaudjouan c/ M. X, publié N° Lexbase : A2322CG4), solution qu'elle avait déjà eu l'occasion d'énoncer quelques années auparavant (Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737, Mme Biglia et autre c/ M. Gros et autre N° Lexbase : A1369AH8).

Mais, l'arrêt du 16 octobre 2008 apporte une précision utile sur l'étendue de l'obligation du notaire en matière d'actes de garanties : il doit s'assurer de la réalisation des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui garantissent l'exécution de l'acte auquel il a prêté son concours. Ainsi, en s'abstenant de procéder aux formalités de publication du nantissement de parts sociales, le notaire a privé l'acte de nantissement d'efficacité.

La solution est de bon sens, les parties n'ont pas à vérifier que le notaire, dont on ne doit pas douter de la compétence, a correctement accompli sa mission.

Toutefois, l'intérêt de l'arrêt du 16 octobre 2008 ne s'arrête pas là. En effet, la Cour régulatrice nous renseigne sur la possibilité pour le notaire, d'une part, de se décharger, en amont, de sa responsabilité, et, d'autre part, de s'en exonérer partiellement, en aval, ou plutôt sur l'impossibilité de partager sa responsabilité eu égard à la qualité de son client.

Ainsi, la Cour de cassation précise-t-elle, tout d'abord, pour la première fois à notre connaissance, que les parties peuvent en convenir autrement et ont donc la possibilité de prévoir dans l'acte de dispenser le notaire de veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à l'efficacité des sûretés. Il s'agit donc, en définitive pour les parties, de consentir au notaire une décharge de sa responsabilité, laquelle, énonce la Haute juridiction doit, bien entendu, être expresse. La précision est importante en théorie, mais nous nous permettons de douter qu'en pratique les parties acceptent l'introduction dans des actes de constitution de sûretés de clauses par lesquelles elles renoncent à leur droit de poursuivre un notaire qui n'aurait pas pleinement rempli les obligations inhérentes à sa fonction.

La première chambre civile, et c'est là, nous semble-t-il, l'apport essentiel de l'arrêt, précise, ensuite, que le notaire doit veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé. Le notaire ne saurait donc exciper de la qualité de son client pour s'exonérer, au moins en partie de sa responsabilité. C'est, d'ailleurs sur ce point que l'arrêt de la cour d'appel est censuré, puisque les juges du second degré avaient considéré qu'il convenait de procéder à un partage de responsabilité compte tenu du fait que la victime de l'absence de publication du nantissement des parts sociales était un établissement de crédit, "professionnel du crédit et des sûretés". Les juges parisiens avaient, dès lors, estimé qu'en cette qualité, le client se devait de vérifier que toutes les formalités, nécessaires à l'efficacité du nantissement qui lui avait été consenti, avaient été accomplies et qu'en l'absence d'une telle vérification il avait commis une négligence, qui avait contribué à son dommage.
La censure est bienvenue. En effet, si dans certains cas (notamment en droit de la consommation) la qualification de client "averti" ou "profane" trouve toute sa justification pour déterminer les obligations de chacun, et parallèlement la responsabilité du professionnel, on ne saurait exiger du client d'un notaire qu'en fonction de ses compétences il fasse preuve de vigilance dans l'accomplissement par l'officier ministériel de la mission qui est la sienne et pour laquelle les parties lui ont fait confiance. Par conséquent, en l'espèce, le préjudice de la banque, né de l'absence de publication du nantissement, est dû à une faute du notaire qui doit donc en réparer l'intégralité.

D'ailleurs, dans le même sens, s'agissant de l'obligation de conseil du notaire, on relèvera que la Cour de cassation a indiqué, dans un arrêt du 3 avril 2007 (Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831, FS-P+B N° Lexbase : A9109DUW, lire D. Bakouche, Obligation d'information et étendue de la mission du notaire, Lexbase Hebdo n° 257 du 26 avril 2007 édition privée générale N° Lexbase : N8903BAY), que le notaire, professionnellement tenu d'informer et d'éclairer les parties sur les incidences fiscales des actes qu'il établit, ne peut être déchargé de son devoir de conseil envers son client par les compétences personnelles de celui-ci. En l'espèce, la compétence des parties ne faisait aucun doute puisque les deux contractants étaient eux mêmes notaires et avaient demandé à l'un de leur confrère d'authentifier leurs accords définitivement conclus entre eux.

L'obligation pour le notaire de s'assurer de l'efficacité des actes auxquels il prête son concours a donc, à l'instar de son obligation de conseil, un caractère absolu.

newsid:336892

Social général

[Manifestations à venir] La modernisation du marché du travail : nouveaux contrats, nouvelles ruptures, nouveaux enjeux

Lecture: 1 min

N6905BH9

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Le 07 Octobre 2010

Elegia organise, le 7 novembre 2008, sous la présidence de Paul-Henri Antonmattei, Doyen de la faculté de droit de Montpellier, une journée de formation consacrée à la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 (loi n° 2008-596 N° Lexbase : L4999H7B). Faire le point sur les nouveautés en matière de période d'essai ; cerner les dernières évolutions en matière de rupture du contrat de travail ; appréhender le nouveau mode de rupture conventionnelle et se tenir informé des apports concernant la création d'un nouveau contrat à objet défini, tels sont les objectifs assignés à cette journée.
  • Thèmes abordés

- La modernisation du marché du travail : la transposition législative d'un accord historique
- Période d'essai : les conséquences du nouvel encadrement légal
- Contrat à objet défini : le point sur une nouveauté contractuelle
- La rupture conventionnelle du contrat de travail : quelles opportunités, quelles contraintes pour l'employeur ?
- Les conséquences de la rupture du contrat de travail : les précisions apportées par la loi
- Les autres dispositions prévues par la loi du 25 juin 2008 : quels apports ?

  • Intervenants

- Marie Laurence Boulanger, Avocate en droit social, Cabinet Fromont Briens & Associés
- Sylvain Niel, Avocat en droit social, Directeur du Département GRH, Cabinet Fidal

  • Date

Vendredi 7 novembre 2008
8h45 - 17h

  • Lieu

Paris

  • Tarifs

829 euros HT

  • Renseignements

Valérie Fraisse, responsable marketing
vfraisse@elegia.fr

www.elegia.fr

newsid:336905

Assurances

[Chronique] La chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences

Lecture: 22 min

N6863BHN

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, seront présentés un arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2008, destiné aux honneurs du Bulletin et du Rapport annuel, qui revient sur la pluralité de contrats d'assurance de responsabilité médicale ; un arrêt, rendu le même jour par la même chambre, qui rappelle, une nouvelle fois encore, l'obligation d'information en assurance de groupe ; une décision, toujours du 2 octobre, rappelant le caractère nécessairement non limité de la clause d'exclusion de garantie privant d'objet l'assurance ; et, enfin, un arrêt de la troisième chambre civile du 7 octobre dernier qui revient sur l'appréciation de la faute intentionnelle de l'assuré personne morale.
  • Pluralité de contrats d'assurance de responsabilité médicale (Cass. civ. 2, 2 octobre 2008, n° 07-19.672, Société Assurances générales de France (AGF), FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5643EAA)

Pour qui s'est un jour penché sur la jurisprudence relative aux assurances de responsabilité au cours des années 1990 et suivantes, l'expression de clauses claims made est familière. Toutefois, rappelons, au moins pour mémoire, qu'avant le débat plus récent sur les assurances vie, ces clauses sont à l'origine de l'un des plus abondant contentieux dans cette matière, que ce soit sous l'angle du droit privé ou du droit public. Ce domaine du droit des assurances est aussi le lieu où se sont multipliées les interventions législatives pour tenter de trouver une solution aux difficultés posées. En effet, il y a plusieurs décennies, les assureurs, constatant le nombre d'actions tardives en responsabilité, ont tenté de circonscrire celles-ci. Ils ont donc inséré dans leurs contrats des clauses, appelées claims made, par lesquelles ils restreignaient leur garantie dans le temps. D'abord consentante (1), la Cour de cassation s'est vite déclarée réfractaire à ce type de dispositions (2).

Afin de comprendre l'enjeu, il convient de revenir aux origines, c'est-à-dire à la loi du 13 juillet 1930. A cette époque, les assurances de responsabilité n'étaient régies que par quatre articles. Le premier d'entre eux, l'article L. 124-1, bien que ne définissant pas exactement la notion essentielle, le sinistre, exigeait toutefois que deux conditions soient présentes : un fait dommageable et une réclamation par la victime. Lorsque ces deux événements se produisaient au cours de la période de validité du contrat d'assurance, aucune difficulté n'apparaissait. En revanche, lorsque la réclamation par la victime était effectuée au-delà du terme du contrat d'assurance, aucune limite n'était prévue, ce qui constituait une gène pour l'assureur. En effet, ce dernier demeurait dans l'ignorance : une réclamation aurait-elle lieu ? Quelle année celle-ci surviendrait-elle ? Combien de provisions fallait-il effectuer ? L'assureur ne pouvait essayer d'avoir une approximation de l'étendue exacte des dommages qu'il était susceptible de devoir assumer. C'est en raison de cette absence de rationalisation aisée de leur gestion que, dans les années 1970, de telles clauses claims made avaient été insérées dans les contrats par les assureurs pour limiter la période au cours de laquelle une réclamation par la victime était encore admise.

La Cour de cassation, après avoir validé ce type de clause, avait, par sept arrêts rendus le même jour, le 19 décembre 1990, décidé que "la clause du contrat selon laquelle le dommage n'est garanti que si la réclamation de la victime, en tout état de cause nécessaire à la mise en oeuvre de l'assurance de responsabilité, a été formulée au cours de la période de validité du contrat, a pour effet de priver l'assuré du bénéfice de l'assurance en raison d'un fait qui ne lui est pas imputable et de créer un avantage illicite comme dépourvu de cause, au profit du seul assureur qui aurait perçu une prime sans contrepartie, cette stipulation doit être réputée non écrite" (3).

Or, cette jurisprudence, qui fut réitérée de multiples fois, avait fait l'objet de fortes critiques par les assureurs, comme par la doctrine, notamment au nom du principe de liberté contractuelle et de la charge financière considérable pour l'assureur qu'il se voyait désormais tenu d'assumer.

Les commentaires devinrent presque ironiques lorsque les clauses claims made avaient été instituées par un décret, comme tel fut le cas dans le cadre des assurances de responsabilité des centres régionaux de transfusions sanguines, ce qui avait contraint la Cour de cassation à nuancer sa conception, ou, tout au moins, à admettre des exceptions. Or, loin de poursuivre dans cette voie tendant à un certain assouplissement, le Conseil d'Etat, de son côté, avait, dans un célèbre arrêt "Beule", du 29 décembre 2000 (4), repris l'argumentation de la Cour de cassation adoptée lors des arrêts de 1990 (5). Il avait même décidé l'illégalité de l'arrêté, objet du litige : "l'arrêté est entaché d'illégalité en tant qu'il comporte une clause type limitant dans le temps la garantie accordée aux centres de transfusion sanguine".

Ce fut le coup de grâce, si nous pouvons nous permettre cette formule triviale. Les assureurs décidèrent de se retirer davantage encore de ce marché et, notamment, du secteur des assurances de responsabilité médicale. Une intervention du législateur s'imposait. Elle eut lieu, le 4 mars 2002, dans le cadre de la loi "Kouchner" (N° Lexbase : L1457AXA). Mais celle-ci ne donnant pas satisfaction une nouvelle loi n° 2002-1577, dite "About", du 30 décembre 2002, relative à la responsabilité civile médicale (N° Lexbase : L9375A8Q), est venue compléter le dispositif qui fut achevé, par la loi du 1er août 2003, dite de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB).

Le commentaire du présent arrêt n'exige pas que soit exposé l'intégralité du contenu précis des diverses dispositions adoptées. Mais parmi celles-ci, un article a été élaboré afin de régler l'une des difficultés rencontrées lorsque des contrats d'assurance successifs ont été conclus, situation plus fréquente déjà dans le passé que l'on pouvait le penser et qu'atteste l'affaire qui nous intéresse. C'est ainsi qu'un article L. 251-2, alinéa 7, du Code des assurances (N° Lexbase : L8886DNG) prévoit, désormais, que "lorsqu'un même sinistre est susceptible de mettre en jeu la garantie apportée par plusieurs contrats successifs, il est couvert en priorité par le contrat en vigueur au moment de la première réclamation, sans qu'il soit fait application des dispositions des quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 121-4 (N° Lexbase : L0080AA9)". Et la loi "About" du 30 décembre 2002 avait rendu cet article applicable aux contrats ayant été conclus ou renouvelés à partir du 31 décembre 2002, date de la publication de la loi.

Dans le cas présent, un chirurgien s'était assuré pour sa responsabilité civile professionnelle auprès des AGF par un contrat dont le terme était fixé au 31 décembre 2002. Il avait souscrit, ensuite, un nouveau contrat auprès de la Medical Insurance Company (MIC) à partir du 1er janvier 2003. L'un de ses patients, opéré en 2002 était décédé au mois de mars de cette même année. Or, ses ayants droit avaient attendu presque un an, avant d'assigner en référé le chirurgien. Celui-ci avait alors déclaré le sinistre à son assureur à l'époque du décès de son patient, soit la société AGF, qui avait refusé sa garantie. Le procès portait sur la détermination de l'assureur tenu de prendre en charge la responsabilité du chirurgien. Selon la cour d'appel de Bourges, il revenait aux AGF, premier assureur dans l'ordre chronologique, de s'exécuter. Car, selon elle, la loi a prévu une période transitoire de cinq ans pendant laquelle c'est en fonction de la date de survenance du fait générateur que doit être déterminé l'assureur chargé de garantir le sinistre.

Toutefois, cette règle, en forme de disposition transitoire, a été prévue dans l'hypothèse où des contrats successifs auraient été conclus à compter du 1er janvier 2003. Or, dans le cas présent, tel n'est pas le cas, puisque le premier contrat avait été passé avant la date du 1er janvier 2003. La Cour de cassation considère donc que ce texte ne peut pas s'appliquer. Pour elle, c'est le contrat en vigueur au moment de la première réclamation qui couvre le sinistre. Admettre comme l'a fait la cour d'appel de Bourges que la règle de l'article L. 251-2, alinéa 7, du Code des assurances a institué une période transitoire au cours de laquelle c'est le fait générateur qui détermine l'assureur responsable irait à l'encontre de l'ensemble de l'article L. 251-2 du Code des assurances. C'est ce que veut éviter la Cour de cassation qui se prononce pour la première fois sur ce thème, ce qui explique sa décision d'inscrire cet arrêt au nombre de ceux qui feront l'objet d'explications plus approfondies.

En réalité la cour d'appel de Bourges semble avoir confondu la situation présente avec celle évoquée dans l'alinéa 4 du même article. Or, ce texte ne vise pas l'hypothèse d'une pluralité de contrats contractés. Il est relatif au cas où, après la résiliation du contrat d'assurance, la réclamation intervient pendant le délai de cinq années minimum imposé par la loi, à condition que le fait dommageable se soit produit au cours de la période de validité du contrat d'assurance. Dans le cas présent, si ces conditions étaient certes réunies, un autre élément déterminant devait être pris en considération : la conclusion d'un nouveau contrat d'assurance avec un autre assureur. Or, cette circonstance fait l'objet d'une disposition textuelle spécifique, énoncée à l'alinéa 7 de l'article L. 251-2 du Code des assurances. C'est donc une véritable violation de la loi que la cour d'appel a réalisée ; elle ne s'est pas contentée d'en faire une mauvaise application de fait. Par conséquent, la cassation de l'arrêt d'appel pour violation de la loi était inévitable. Se trouve donc être aussi de bon aloi la publicité prévue par la Cour de cassation afin de ne pas laisser prospérer cette erreur de raisonnement au cours des prochains mois par d'autres juridictions.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP)

  • Toujours et encore l'obligation d'information en assurance de groupe ! (Cass. civ. 2, 2 octobre 2008, n° 07-15.276, FS-P+B N° Lexbase : A5871EAP)

Décidément, en jurisprudence, l'obligation d'information dans le cadre des assurances de groupe fait recette. Nous l'avions constaté le mois précédent ; toutefois dans une affaire qui concernait un aspect rencontré moins souvent dans les arrêts rendus au cours de ces dernières années par la Cour de cassation : l'appréciation du montant des dommages-intérêts dus par le professionnel en cas de non-respect de son obligation d'information (6). Nous ne pouvons donc que confirmer ce constat, dans le cas présent, à propos de l'étendue de cette même obligation d'information. Et il pourrait aussi être rappelé les diverses décisions rendues en ce domaine depuis des années voire des décennies (7). Toutefois, deux remarques complémentaires méritent d'être effectuées. D'une part, en décidant de publier cet arrêt la Cour de cassation démontre qu'elle y accorde une certaine importance et qu'il ne faudrait pas l'interpréter comme une énième application, sans originalité, de ce type de contentieux. D'autre part -et dans le prolongement probable de ce premier constat-, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s'appuie sur l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) pour fonder sa décision et non sur le Code des assurances, ce qui peut surprendre.

Passons donc vite sur les faits, qui sont, une fois encore, d'un classicisme total. Que l'on en juge. Un couple d'emprunteurs adhère, en 1995, au contrat d'assurance de groupe que leur banque avait, au préalable, souscrit auprès de la Caisse nationale de prévoyance. Or, ce contrat ne garantissait pas n'importe quel risque et, en tous les cas, pas tous les risques ; il se limitait au décès, à l'invalidité permanente absolue et à l'incapacité temporaire totale. En revanche, il ne prenait pas en charge l'invalidité totale et définitive. Comme lors de chaque affaire de cette sorte, l'assuré, un an plus tard, a d'abord été placé en congé maladie ; puis, deux ans après, il a été déclaré invalide. S'étant vu opposer un refus de garantie par l'assureur, à la suite de cette situation, il a assigné tant ce dernier que l'établissement bancaire.

La cour d'appel de Montpellier, s'en tenant aux stricts termes du contrat d'assurance, rejette la demande de l'assuré. Or une telle motivation, rendue le 14 mars 2007, n'avait aucune chance d'être accueillie. En effet, la cour d'appel fonde sa décision sur le constat que l'assuré avait été suffisamment informé grâce à la notice d'information lui ayant été remise. Et elle indique même que la banque n'était pas tenue de lui conseiller une assurance complémentaire. La cassation était certaine, non seulement quelques jours après l'arrêt d'Assemblé plénière du 2 mars 2007 (8), comme depuis diverses décisions antérieures qui, en dépit d'une période d'incertitude, s'étaient plutôt prononcées en faveur de cette analyse, quand bien même pouvait-elle paraître, parfois, sévère.

Sans surprise donc la Cour de cassation rappelle qu'elle tient à ce que ces contrats d'assurance ne soient pas vendus sans attention et égard, ou, si l'on ose cette formule triviale, à la va-vite. Le banquier, souscripteur d'une assurance de groupe, est tenu "d'éclairer son client sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice d'information ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation". Ce souscripteur doit proposer des garanties en adéquation avec les besoins du futur assuré. La solution est désormais acquise et ne souffre plus guère d'exceptions. La remise purement formelle de la notice d'information ne suffit pas, et ce depuis longtemps (9). La cour d'appel se devait donc d'appliquer et de respecter cette jurisprudence. Par conséquent, la deuxième chambre civile respecte, à la lettre, les exigences claires, nettes et précises énoncées en Assemblée plénière. A dire vrai, nul ne pensait sérieusement que celle-ci résisterait, après avoir été elle-même à l'origine de cette position de principe (10). Rappelons, en effet, que si des hésitations avaient pu naître au sein de la Cour de cassation, ces dernières, déjà anciennes, émanaient surtout de la première chambre civile (11), qui s'était vite ralliée à l'analyse de la deuxième chambre civile (12).

On observera, néanmoins, que d'ordinaire c'est le fondement des articles L. 141-1 (N° Lexbase : L2643HWS) et suivants du Code des assurances qui est retenu par la Cour de cassation pour trancher. Dans le cas présent, elle s'appuie sur l'article 1147 du Code civil, soit en réponse à l'avocat de l'assuré, soit de manière volontaire et délibérée afin de démontrer l'ampleur et la portée de cette obligation d'information. S'inscrivant tout à fait dans la ligne directrice énoncée dans l'arrêt du 2 mars 2007 de l'Assemblée plénière, elle insiste sur l'idée que l'obligation d'information dépasse le cadre strict qui lui fut longtemps assigné. Pendant des années, en effet, le droit commun avait une conception souple de cette obligation. Disons, de manière plus explicite, qu'elle était assez allégée, en ce sens que si la formule complète d'obligation d'information et de conseil laissait entendre que des investigations profondes avaient lieu, en réalité, les vérifications se limitaient à l'information.

La deuxième chambre civile semble vouloir en faire une règle plus générale et générique, dépassant le seul cadre du droit des assurances. Est-ce parce que l'assuré, dans le cas des assurances de groupe, est d'abord, dans l'ordre chronologique de l'opération d'emprunt, un individu comme un autre, sans parler du fait qu'il est aussi un consommateur comme un autre, comme la Cour de cassation a eu l'occasion de le rappeler dans un arrêt de la première chambre civile en date du 22 mai 2008 (13) ? La publicité que la deuxième chambre civile a voulu donner à cet arrêt tend à le laisser penser. Quoi qu'il en soit, chaque personne, chaque situation particulière doit être prise en considération de façon individuelle et autonome. Et les conseils qui sont fournis doivent correspondre à cette réalité propre. Autant dire que la Cour de cassation confirme que le conseil de contracter une assurance complémentaire doit être systématique.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP)

  • Du caractère nécessairement non limité de la clause d'exclusion de garantie privant d'objet l'assurance (Cass. civ. 2, 2 octobre 2008, n° 06-11.763, Société Ardouin réparation matériels travaux publics (ARMTP), F-D N° Lexbase : A5824EAX)

Les clauses d'exclusion (au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH) posent une difficulté récurrente. On connaît ainsi la difficulté liée à la délimitation entre clauses de déchéance et d'exclusion (14) ou encore la distinction entre conditions garantie et clauses d'exclusion.

Il est pourtant des clauses d'exclusion classiques, de sorte qu'on pourrait s'étonner qu'elles posent encore problème. Ainsi, dans les polices responsabilité civile "produits", il est usuel de ne couvrir que les dommages causés par le produit livré, mais non les dommages causés à ce produit même, ce qu'on explique généralement, d'une part, par le fait que l'assureur n'a point envie d'assumer le "risque d'entreprendre" pesant sur le seul concepteur de ce produit et, d'autre part, par le fait que cette assurance responsabilité civile n'a pas vocation a jouer, en outre, le rôle d'une assurance de chose à l'égard de ce produit duquel naîtra la situation de responsabilité.

L'arrêt ici examiné concerne une clause de cette sorte, le contrat litigieux garantissant la responsabilité professionnelle pour l'activité de réparation à domicile, dépannage d'engins de chantiers et d'engins agricoles, mais excluant les frais nécessités par les réparations, la rectification des vices ou erreurs à l'origine de l'événement garanti, le coût des fournitures ou produits défectueux et ne couvrant, corrélativement, que les dommages immatériels consécutifs aux dommages matériels garantis.

On signalera le particularisme de cet arrêt du 2 octobre 2008 qui constitue le rabat d'un arrêt du 20 mars 2008 (15), d'où son absence de publication. Saisissons l'occasion de ce "rattrapage" pour dire quelques mots de cet arrêt, inchangé sur le fond, hormis rectification de l'erreur matérielle, comme le veut par nature la technique du rabat d'arrêt (16).

L'une des questions les plus épineuses que posent les clauses d'exclusions porte peut-être sur l'identification du caractère formel et limité de la clause d'exclusion, exigences expressément consignées dans l'article L. 113-1 du Code des assurances. On conviendra que le comble d'une clause d'exclusion non ou insuffisamment limitée réside dans une clause d'exclusion générale au point de priver le contrat d'assurance d'objet. S'engager et retenir (ou plutôt exclure) ne vaut ! En outre, considérer qu'une clause d'exclusion prive le contrat d'objet relève d'une logique similaire à celle considérant qu'une clause attentatoire à l'essence du contrat prive de cause l'engagement de son cocontractant, logique causaliste (C. civ., art. 1131N° Lexbase : L1231AB9) dont les spécialistes de l'assurance savent qu'elle a d'abord prospéré sur le terrain des clauses de "réclamation de la victime" dans les assurances de responsabilité civile, par les célèbres arrêts du 19 décembre 1990 (17), avant d'essaimer dans le droit des obligations par la jurisprudence "Chronopost" et ses suites (18).

Dès lors, une jurisprudence procède à cette comparaison entre l'étendue du risque garanti et la portée de (ou des) l'exclusion (s). La jurisprudence a, dès lors, écarté une exclusion, ou des exclusions, en ce qu'elle(s) prive(nt) le contrat d'assurance d'objet au contrat d'assurance (19), les réputant non écrites.

On a relevé que "généralement, l'analyse de la portée de l'exclusion sur la garantie est réalisée de façon objective : la clause laisse-t-elle certains risques dans le domaine d'application utile du contrat, ou, au contraire, vide-t-elle la garantie de sa substance, suivant l'expression habituellement utilisée par la Cour de cassation ? Il arrive cependant que l'analyse revête un caractère plus subjectif. En ce sens, un arrêt a réputé non écrite une clause d'exclusion qui annule les effets d'une garantie spéciale considérée comme déterminante du consentement du souscripteur, ce qui fait évidemment penser aux vices du consentement (Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 91-19.319 N° Lexbase : A6538ABR, RGAT, 1995, p. 883, note Mayaux L. ; Groutel H., Jeu de piste interdit, Resp. civ. et assur. 1995, chr. n° 46). Cette approche du problème permet de sanctionner une clause d'exclusion qui, objectivement, laissait pourtant subsister un effet utile à la garantie (v. sous Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 91-19.319, précité et Groutel H., chronique précitée)" (20).

On (21) a recensé un certain nombre de décisions qui considèrent formelles et limitées des clauses d'exclusion qui ne privent pas d'objet le contrat, des plus classiques (22) aux plus originales (23).

Dans ce contexte, l'arrêt examiné sonne comme un rappel à l'ordre ded juges du fond qui avaient accepté un peu hâtivement le jeu d'une clause d'exclusion sans s'interroger sur le point de savoir si elle ne vidait pas le contrat de son contenu et qui, comble de la légèreté, avaient considéré que les "dommages ont eu pour cause première la décision de la société ARMTP illégitime de ne pas payer la facture, ce qui exclut toute prise en charge au titre d'une assurance", propos qui n'est en rien de nature à exclure le jeu d'une assurance "RC" puisque il ne caractérise nullement une faute intentionnelle !

Or, en l'espèce, il y a matière à s'interroger, dès lors que, dans un contrat couvrant la "RC professionnelle" d'un réparateur d'engins de chantiers et d'engins agricoles, l'exclusion des frais nécessités par les réparations, la rectification des vices ou erreurs à l'origine de l'événement garanti, le coût des fournitures ou produits défectueux et ne couvrant, corrélativement, que les dommages immatériels consécutifs aux dommages matériels garantis, laisse subsister une couverture bien maigre ! Que reste-t-il une fois évincé le coût des réparations et rectifications ? Simplement le jeu de la résolution, d'une annulation ou d'éventuels dommages-intérêts moratoires ? Là n'est pas l'essence du contrat de réparation qui porte sur... les réparations (initiales et consécutives) !

Il appartiendra à la cour de renvoi d'apprécier si l'objet du contrat n'est pas réduit à une portion congrue. Personnellement, nous ne serions pas étonné qu'elle parvienne à une telle conclusion !

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)

  • Sur l'appréciation de la faute intentionnelle de l'assuré personne morale (Cass. civ. 3, 7 octobre 2008, n° 07-17.969, F-D N° Lexbase : A7234EA8)

Cet arrêt, bien que non publié, présente un intérêt certain, dans la mesure où il n'est pas si fréquent de caractériser la faute intentionnelle de l'assuré, personne morale. En outre, la question de la teneur du contrôle de la Cour de cassation à l'égard de l'analyse par les juges du fond de la faute intentionnelle est une question qui, au "fil de la jurisprudence", mérite d'être examinée afin de savoir si la ligne jurisprudentielle demeure fidèle.

En l'espèce, un maître de l'ouvrage a confié aux soins d'un maître d'oeuvre la direction de travaux accomplis par une tierce entreprise. Des désordres étant apparus après réception, le maître de l'ouvrage a assigné l'assureur de chacun de ces deux intervenants à l'opération de construction.

Il est aisé de deviner que les assureurs ont cherché à se dégager de leurs garanties en plaidant la faute intentionnelle de leurs assurés. L'argument a porté auprès des juges du fond, au grand dam du maître de l'ouvrage, qui porta l'affaire devant la Cour de cassation. Dans son pourvoi, il reproche aux juges d'appel de n'avoir pas caractérisé cette faute intentionnelle qui, s'agissant d'une faute commise par une personne morale, suppose la démonstration que son dirigeant de droit ou de fait a voulu le dommage tel qu'il s'est réalisé.

La Cour de cassation rejette ce pourvoi en s'appuyant sur les constatations souveraines des juges du fond selon lesquelles, d'une part, "l'entreprise chargée des travaux s'était volontairement abstenue d'exécuter les travaux conformément aux prévisions contractuelles et avait délibérément violé par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles, sans ignorer que des désordres allaient apparaître très rapidement" et, d'autre part, "la même faute pouvant être imputée [au maître d'oeuvre] qui avait pour obligation d'assurer le contrôle des travaux", pour en conclure que "la cour d'appel [...] a pu en déduire que ces manquements délibérés constituaient une faute dolosive ayant pour effet de retirer aux contrats d'assurance leur caractère aléatoire".

L'arrêt n'innove en rien mais permet d'asseoir certaines solutions antérieurement posées.

En premier lieu, cet arrêt confirme que lorsque l'assuré est une personne morale, c'est en la personne du dirigeant, de droit ou de fait, que s'apprécie la faute intentionnelle (24). La solution semble pleine de bon sens et rapproche le droit des assurances du droit pénal (cf. responsabilité pénale des personnes morales). Un auteur a pourtant attiré l'attention sur l'excès de généralité que pourrait avoir cette solution en soulignant qu'il serait peut-être ici judicieux de distinguer selon que l'on a à juger d'une faute intentionnelle en matière d'assurance de chose ou de responsabilité. Pour l'assurance de chose, on a suggéré d'analyser l'intérêt personnel de la personne physique auteur de la faute à provoquer le sinistre, à travers la personne morale, sans s'arrêter à sa qualité de dirigeant. Ainsi, d'un associé majoritaire d'une SARL n'ayant pas qualité de gérant et qui se rendrait coupable d'un incendie volontaire d'un bien assuré, où "il serait anormal que la garantie subsiste au motif qu'il n'est pas dirigeant de la société" (25), tandis que "inversement, il serait choquant que la société soit privée de garantie, alors que le gérant non associé est auteur d'un incendie volontaire. Sur le plan patrimonial, ce gérant est un tiers par rapport à la société. Au demeurant, si cette dernière est indemnisée par son assureur, un recours subrogatoire sera ensuite exercé par lui contre l'auteur du sinistre" (26). En revanche, s'agissant d'une assurance de responsabilité, le critère du dirigeant s'impose car il faut apprécier la violation par la personne morale de ses engagements, conduite qui s'examine à l'aune de ses actes de direction. En l'espèce, s'agissant de la responsabilité civile, l'arrêt applique cette solution. On attendra donc une autre occasion pour voir si, sur le terrain des assurances de chose, la Cour de cassation se laissera tenter par cette analyse doctrinale.

En deuxième lieu, cet arrêt confirme implicitement que la caractérisation de cette faute suppose démonstration d'un élément matériel (avoir créé les conditions de réalisation du sinistre) et d'un élément intentionnel (avoir voulu la réalisation de ce sinistre), mais ceci dans une lecture "moderne" qui tire la volonté de parvenir au sinistre d'une violation délibérée de ses obligations qui ne peut qu'entraîner un tel dommage dont son auteur est réputé avoir conscience. En l'espèce, les Hauts magistrats approuvent l'analyse des juges du fond ayant caractérisé la réunion des conditions de réalisation du sinistre. Ces manquements aux obligations contractuelles procédant d'une "dissimulation" ou d'une "fraude", constituaient bien les conditions de réalisation du sinistre (des désordres). En outre, les fautifs sont réputés avoir nécessairement conscience de créer ce désordre (dont l'arrêt ne précise pas la nature exacte), tant le lien de causalité entre les manquements volontaires à l'exécution du contrat et ces désordres est tenu pour évident. On reconnaît là un raisonnement que la Cour de cassation a déjà utilisé dans un arrêt en date du 22 septembre 2005 (27) remarqué pour avoir consacré une approche élargie de la faute intentionnelle (28). Dans cette espèce, une société assurée contre son risque de responsabilité ayant attribué un marché à une entreprise en violation délibérée du cahier des charges par elle établi, ce qui avait occasionné une action de la part de l'entreprise la meilleure indument évincée et une condamnation de l'assurée qui a cherché à obtenir garantie de son assureur. L'assuré reprochait aux juges d'appel de lui avoir refusé toute garantie alors qu'ils avaient pourtant reconnu "que la faute commise par [l'assuré] n'était ni intentionnelle ni dolosive au sens de ce texte, rien ne démontrant qu'elle ait voulu causer un dommage à la société [évincée]", ces juges ayant considéré "que l'assureur n'était pas tenu de garantir les conséquences dommageables de cette faute, au motif qu'en prenant consciemment le risque de causer un dommage, l'assuré aurait retiré au sinistre son caractère aléatoire". La Cour de cassation avait repoussé le pourvoi en énonçant "que de ces énonciations et constatations, qui caractérisent la faute intentionnelle de l'assuré et desquelles il résulte que tout aléa avait disparu, la cour d'appel a exactement déduit que l'assureur était déchargé de son obligation de garantie". Ce faisant, la Cour de cassation y énonçait que la faute intentionnelle était bien caractérisée, contrairement à ce qu'avaient retenu les juges d'appel. Et pour motiver cette qualification, elle a déduit la qualification de faute intentionnelle de la faute consciente de l'assuré ne pouvant qu'entraîner un dommage certain "dont elle ne pouvait pas ne pas être consciente".

L'arrêt examiné du 7 octobre 2008 déduit la faute intentionnelle d'un raisonnement similaire, attestant ainsi de l'ancrage de ce raisonnement, s'écartant d'une nécessaire caractérisation de la double condition constituée par le cumul d'un comportement fautif et d'une recherche du dommage, se satisfaisant d'une nécessaire conscience du dommage.

On signalera toutefois que, dans d'autres espèces, la caractérisation est parfois moins évidente, car il n'est pas toujours possible de "réputer" conscient le sinistre réalisé. Ainsi, l'on a déjà vu la Cour de cassation censurer des juges du fond ayant déduit la faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances de "la condamnation pénale des dirigeants d'une société pour complicité d'incendie volontaire des locaux loués, qui ont été entièrement détruits, et tentative d'escroquerie", en considérant que de tels motifs, "il ne résulte pas que le souscripteur de l'assurance ait eu la volonté de commettre le dommage tel qu'il est survenu" (29).

En troisième lieu, l'arrêt atteste de la subtilité du contrôle opéré par la Cour de cassation sur les juges du fond quant à la faute intentionnelle. Chacun a ici conservé en mémoire les conditions dans lesquelles la première chambre civile de la Cour de cassation avait abandonné au pouvoir souverain des juges du fond la qualification de faute intentionnelle, de concert avec son abandon du contrôle de l'aléa (30). La deuxième chambre civile a, quant à elle, souhaité ne pas opter pour un abandon pur et simple au pouvoir souverain, mais préféré s'orienter vers un certain contrôle. Nous avons toutefois, sur le terrain de l'aléa, eu l'occasion d'écrire dernièrement dans cette chronique qu'il méritait le qualificatif de "léger" (31). Sans doute le qualificatif n'est-il pas aussi adapté s'agissant du contrôle de la faute intentionnelle. L'arrêt précité du 22 septembre 2005 atteste d'un réel contrôle. De même, les espèces dans lesquelles la Cour de cassation censure pour manque de base légale (32) attestent que le contrôle, même formel, s'assure que les juges du fond ont bien motivé leur solution au regard des critères que la Cour de cassation a, antérieurement posé pour cerner la notion de faute intentionnelle, tels que, ici, le critère d'appréciation de la faute de cette nature commise par une personne morale.

L'arrêt examiné du 7 octobre 2008 est bien dans cette lignée d'un contrôle de la motivation des juges du fond, qui conjugue tout à la fois rappel du caractère souverain de l'analyse des juges du fond ("Mais attendu qu'ayant souverainement retenu [...] la cour d'appel [...] a pu en déduire que[...]") et vérification que les deux éléments, matériels et intentionnels, de la faute intentionnelle ont bien été identifiés par les juges du fond dans leur analyse souveraine, tout en s'inscrivant dans une lecture moderne qui n'hésite pas à réputer la volonté de parvenir au sinistre en la déduisant d'une nécessaire conscience chez l'assuré de provoquer ce dommage par son comportement fautif délibéré.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) Cass. civ. 1, 7 novembre 1978, n° 77-12.911, The Yorkshire Insurance Company Limited c/ SA Esso de Recherches et d'Exploitation Pétrolières, publié (N° Lexbase : A5203CGS).
(2) Cass. civ. 1, 22 janvier 1985, n° 83-15.809, Compagnie d'assurances Eagle Star c/ SCI de construction Les Hauts Taillis (N° Lexbase : A0460AHI), RGAT, 1985, p. 411, obs. G. Viney, D., 1985, p. 216 ; Cass. civ. 3, 8 avril 1987, n° 85-17.612, M. Didier c/ Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) (N° Lexbase : A7561AAB), RGAT, 1988, p. 103.
(3) Cass. civ. 1, 19 décembre 1990, n° 88-12.863 (N° Lexbase : A2075ABH), RCA, 1991, n° 81, JCP éd. G, 1991, II 21656, note J. Bigot.
(4) CE, 29 décembre 2000, n° 212338 (N° Lexbase : A1938AIM), D., 2001, p. 1265, note Y. Lambert-Faivre, De la licéité des obligations d'assurances réglementaires, et des limitations de garanties dans le temps et en montant ; Cl. Delpoux, Durée de la garantie dans les assurances de responsabilité civile réglementées : un nouveau cas d'insécurité juridique, RGDA 2001, p. 33.
(5) Op. cit..
(6) Nos obs., La perte de chance : base de calcul des dommages-intérêts pour défaut d'information par l'assureur, à propos de Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 06-17.859, Mme Alice Choukroun, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3909EAZ), in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 320 du 2 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3732BHP).
(7) Cass. civ. 1, 2 février 1994, n° 91-12.251, Banque populaire du Nord c/ Consorts Baudet et autre (N° Lexbase : A5722AHE), Bull. civ. I, n° 39, p. 31. Cette décision fut suivie de beaucoup d'autres : Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-12.603, M. Gilbert Amour, FS-P+B (N° Lexbase : A3749DQW), Bull. civ. II, n° 184, p. 176, L'Argus de l'assurance, 8 septembre 2006, comm., p. 54, obs. G. Defrance ; Cass. civ. 2, 15 décembre 2005, n° 04-13.896, M. Alain Prechal c/ Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), FS-P+B (N° Lexbase : A9983DLC), Bull. civ. II, n° 325, p. 286 ; Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, n° 03-17.199, Société générale c/ Mme Denise Lebouchard, épouse Flauraud, FS-P+B (N° Lexbase : A0232DGP), Bull. civ. II, n° 4, p. 3 ; Cass. civ. 2, 3 juin 2004, n° 03-13.896 (N° Lexbase : A4405DUP), Bull. civ. II, n° 261, p. 221 ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2000, n° 98-15.101, Epoux X c/ Banque nationale de Paris (N° Lexbase : A2100AIM), Bull. civ. I, n° 325, p. 211, RGDA, 2001, n° 1, p. 89, note L. Fonlladosa ; Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-21.973, Compagnie Abeille vie, société anonyme d'assurances c/ M. Jean-Claude Bally et autres (N° Lexbase : A7856CRE), RGDA, 1999, p. 397 ; Cass. civ. 1, 8 juin 1994, n° 92-10.560, M. Molinelli c/ Société nancéienne Varin-Bernier (N° Lexbase : A3855ACR), Bull. civ. I, n° 207, p. 150 (la remise de la notice d'information ne suffit pas ; le souscripteur doit aussi conseiller le futur assuré) ; Cass. civ. 1, 17 novembre 1998, n° 96-18.152, Société Smith & Nephew c/ Mme Violet (N° Lexbase : A9230CHC), RGDA, 1999, n° 1, p. 159, note F. Fonlladosa (le devoir d'information et de conseil ne se limite pas à la phase d'adhésion du contrat).
(8) Ass. Plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX), RGDA, 2007, n° 2, p. 672, note J. Kullmann ; nos obs., Le souscripteur d'un contrat d'assurance tenu d'une obligation de conseil adaptée à chaque situation personnelle, in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6221BAN) ; Rev. Banque et droit, juillet-août, 2007, p. 20, note Th. Bonneau ; JCP éd. E, 2007, 1375, note D. Legeais et JCP, éd. G, 127, note B. Parance ; D., 2007, act. Jurisp., p. 985, note S. Piedelièvre.
(9) Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, préc..
(10) Voir, notamment, Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.485, M. Patrice Abadie c/ Société Axa assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A8469DBB), Bull. civ. II, n° 163, p. 138 ; Cass. civ. 1, 13 janvier 2005, n° 03-17.199, Société générale c/ Mme Denise Lebouchard, épouse Flauraud, FS-P+B (N° Lexbase : A0232DGP), Bull. civ. I, n° 4, p. 3.
(11) Cass. civ. 1, 1er décembre 1998, n° 96-19199, Consorts Jay et autres c/ Compagnie Norwich Union (N° Lexbase : A7006CE9), Bull. civ. I, n° 334, p. 231, RGDA, 1999, n° 2, p. 426, note J. Kullmann ; Cass. civ. 1, 30 janvier 2002, n° 01-00.513, Mme Michelle Devals c/ Caisse nationale de prévoyance, F-P+B (N° Lexbase : A8773AX9), Bull. civ. I, n° 37, p. 29.
(12) Cass. civ. 1, 30 janvier 2001, n° 98-18.145, Etablissements Combes net autre c/ Compagnie La France vie (N° Lexbase : A8839AQG), RGDA, 2001, n° 1, p. 87, note J. Kullmann.
(13) Nos obs., La protection du droit des assurances n'est pas exclusive de celle du Code de la consommation, à propos de Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-21.822,M. Claude Peter, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6678D8T), in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 200, - édition privée générale (N° Lexbase : N4868BGE).
(14) Là-dessus, cf. Cass. civ. 3, 17 octobre 2007, n° 06-17.608, Mme Simone Rabin, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8097DYK), JCP éd. G, 2007, II, 10199, note J.-P. Karila, qui censure des juges d'appel ayant qualifié une clause du contrat d'assurance litigieux de clause de déchéance, celle-ci ayant "pour objet de sanctionner le comportement personnel de l'assuré" aux motifs que "en statuant ainsi, alors qu'elle n'avait constaté que des manquements de l'assuré antérieurs au sinistre, la cour d'appel qui a qualifié de déchéance ce qui constituait une exclusion de garantie, a violé" l'article L. 113-1 du Code des assurances.
(15) Annoté par S. Abravanel-Joly in RGDA, 2008, p. 452.
(16) Encore qu'on a récemment proposé d'élargir cette technique : là-dessus, cf. Christian Atias, Le rabat d'arrêt : De la rectification d'erreur matérielle de procédure au repentir du juge, D., 2007, p. 1156.
(17) Cass. civ. 1, 19 décembre 1990, préc., JCP éd. G, 1991, II, 21656, note J. Bigot ; Resp civ et ass. 1991, comm. 81, par H. Groutel ; Y. Lambert-Faivre, Dalloz 1992, chronique, p. 13. On n'oubliera pas que l'actuel article L. 124-5, issu de la loi de sécurité financière du 1er août 2003, a "restauré" ces clauses dans les contrats autres que ceux couvrant la responsabilité civile des personnes physiques en dehors de leur activité professionnelle, bref dans les contrats "RC professionnelle".
(18) Cf. la "saga chronopost", depuis Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632, Société Banchereau c/ Société Chronopost (N° Lexbase : A2343ABE), Bull. civ. IV, n° 261 et ses prolongements. Là-dessus, cf., notamment, la chronique de droit des obligations David Bakouche qui suit ces évolutions jurisprudentielles (cf., Appréciation de la faute lourde susceptible de tenir en échec l'application d'un plafond légal de réparation, Lexbase Hebdo n° 275 du 1er octobre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N5769BCN).
(19) Cf. Cass. civ. 1, 23 juin 1987, n° 85-17.010 (N° Lexbase : A1372AHB), RGAT, 1988, p. 364, note R. Bout
(20) Lamy Assurances, 2009, spéc. n° 227.
(21) Ibid..
(22) Cass. civ. 1, 7 février 1995, n° 92-13.783, Société Isomat c/ M. Bernard Aldeguer et autres, inédit (N° Lexbase : A9333CNY), Resp. civ. et assur., 1995, comm. n° 148 : "Sont formelles et limitées les clauses d'un contrat d'assurance 'responsabilité civile des entreprises industrielles et commerciales' qui excluent de la garantie les malfaçons des produits livrés, les dommages immatériels en résultant et les frais afférents au remplacement de ces produits et qui laissent ainsi dans le champ de la garantie les dommages corporels et matériels imputables aux produits livrés défectueux et les dommages immatériels qui en sont la conséquence".
(23) Cass. civ. 1, 30 janvier 2002, n° 00-11.459, Compagnie Zurich assurances c/ M. Eric Assad, F-D (N° Lexbase : A9026AXL), RGDA; 2002, p. 465, note J. Landel, qui considère limitée et formelle la clause excluant de la garantie les dommages subis par les véhicules mis en mouvement dans les hypothèses évoquées dans la clause qui garantit les accidents causés aux tiers pouvant incomber à l'assuré ou à l'un de ses enfants mineurs, s'il advient que cet enfant mette en mouvement, à l'insu de ses parents, un véhicule appartenant ou non à l'assuré. Cette clause est jugée limitée car elle laisse dans le champ de la garantie les dommages causés aux tiers par ce véhicule.
(24) Cf. déjà, Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 01-03.494, Compagnie CGU c/ Compagnie Generali France (N° Lexbase : A8232DBI), Bull. civ. I, 2004, n° 108, Resp. civ. et assur. 2004, comm. 241, note H. Groutel, RGDA, 2004, p. 372, note J. Kullmann.
(25) H. Groutel, Responsabilité civile et assurances, n° 7, juillet 2004, comm. 241, à propos de Cass. civ. 1, 6 avril 2004, précité.
(26) Ibid..
(27) Cass. civ. 2, 22 septembre 2005, n° 04-17.232, F-D (N° Lexbase : A5241DKC), RGDA, 2005 p. 907, note J. Kullmann, Resp. civ. et assur., 2005, comm., 370, note H. Groutel.
(28) L'expression est utilisée par Jean Bigot et Luc Mayaux in JCP éd. G, n° 17, 26 avril 2006, I 135, Chronique de droit des assurances.
(29) Cass. civ. 2, 24 mai 2006, n° 05-13.547, Société Mat Industrie c/ AGF IARD, F-D (N° Lexbase : A7593DPW), Responsabilité civile et assurances n° 10, octobre 2006, comm. 319, par Hubert Groutel.
(30) Cf. Cass. civ. 1, 20 juin 2000, n° 97-22.681, Société Châlets des Fiaux et autre c/ Groupement d'intérêt économique G20 et autre (N° Lexbase : A3549AUY), Bull. civ. I, n° 189 et Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 97-22.570, Compagnie Union des assurances de Paris (UAP) c/ Société Novergie exploitation, société anonyme et autres (N° Lexbase : A5483CMZ), H. Groutel, L'appréciation de l'aléa et de la faute intentionnelle dans le contrat d'assurance, Resp. civ. et ass., 2000, chron. 24. Le premier énonce "que l'appréciation de l'aléa, dans le contrat d'assurance, relève du pouvoir souverain des juges du fond", tandis que le second énonce que "l'appréciation par les juges du fond du caractère intentionnel d'une faute, au sens de l'article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, est souveraine et échappe au contrôle de la Cour de cassation".
(31) Cf. nos obs. sous Cass. civ. 2, 7 février 2008, n° 04-11.842, M. Elie Khayat, F-D (N° Lexbase : A7184D4T), in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 299 du 2 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6274BE4).
(32) Cf. Cass. civ. 2, 23 septembre 2004, n° 03-14.389, Consorts Martins Do Carmo c/ Société Norwich Union Life (N° Lexbase : A4225DDT), Resp. civ. et assur., 2004, comm. 389, note H. Groutel, qui censure au motif "qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la faute qu'elle retenait à l'encontre de l'assuré supposait la volonté de commettre le dommage tel qu'il s'est réalisé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés" ; adde Cass. civ. 2, 24 mai 2006, précité.

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Licenciement

[Jurisprudence] Licenciement et non-respect des procédures conventionnelles : la Cour de cassation toujours aussi intransigeante

Réf. : Cass. soc., 22 octobre 2008, n° 06-46.215, M. Bruno Payet, F-P (N° Lexbase : A9294EAH)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


L'employeur qui ne met pas en place, en dépit des difficultés pratiques qu'il peut rencontrer, la commission de discipline prévue par accord collectif, s'expose à de biens mauvaises surprises puisque tous les licenciements disciplinaires qu'il prononcera seront condamnés par les tribunaux, précisément, pour non-respect de la procédure concernée et ce, même si, sur le fond, les sanctions sont parfaitement justifiées (II). Telle est la morale d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 22 octobre 2008, qui s'inscrit dans la droite ligne d'une jurisprudence marquée par une grande sévérité pour les employeurs qui ne respectent pas les procédures conventionnelles applicables en matière disciplinaire (I).
Résumé

La consultation de l'organisme chargé, en vertu d'un accord collectif portant statut du personnel, de donner son avis sur un licenciement envisagé par l'employeur, constitue une garantie de fond ; le licenciement prononcé sans que la commission paritaire ait été consultée et ait rendu son avis selon une procédure conforme à cet accord n'a pas de cause réelle et sérieuse.

Commentaire

I - La sanction du non-respect des procédures conventionnelles de licenciement

  • La validité des procédures conventionnelles de licenciement

Le Code du travail définit de manière non exclusive la procédure qui doit être respectée lorsque l'employeur envisage le licenciement d'un salarié pour un motif disciplinaire (1). Conformément au principe de faveur qui prévaut dans le champ de l'ordre public social, les partenaires sociaux peuvent accorder aux salariés des garanties supplémentaires, qu'il s'agisse de restreindre les causes invocables pour l'employeur ou de renforcer les obligations procédurales qui pèsent sur lui, telle l'obligation de consulter une commission de discipline avant le prononcé de toute sanction.

  • La sanction du non-respect des procédures conventionnelles

La Cour de cassation assure, depuis 1999, l'effectivité de cette obligation, en considérant la consultation de la commission conventionnelle comme une garantie de fond et le licenciement intervenu en violation de la procédure conventionnelle comme dépourvu de cause réelle et sérieuse (2).

Cette sanction est appliquée non seulement lorsque l'employeur néglige purement et simplement de saisir la commission, mais, également, lorsqu'il ne respecte pas certains aspects de la procédure, qui tiennent soit à l'information du salarié sur le droit qui lui est reconnu de saisir la commission (3), soit à la communication des pièces figurant au dossier (4), soit au déroulement de la consultation (5), soit, encore, aux mentions qui doivent figurer impérativement sur le procès-verbal établi par la commission et transmis au salarié (6).

  • La sanction du non-respect imputable à l'employeur

Les irrégularités de procédures doivent, toutefois, être imputables à l'employeur et non à un dysfonctionnement interne à la commission (7). Qu'en est-il lorsque la commission de discipline n'a pas pu être mise en place, interdisant, de facto, à l'employeur de respecter celle-ci ? C'est à cette question intéressante que répond la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 22 octobre 2008.

II - La confirmation lorsque le défaut de consultation résulte du défaut de mise en place de la commission

  • L'affaire

Cette affaire concernait le titre XII de l'accord du 1er février 2000, portant statut du personnel de l'Association pour la formation professionnelle des adultes de la Réunion (AFPAR), relatif aux sanctions disciplinaires. Aux termes de ce dernier, la rupture du contrat de travail doit être précédée de l'avis d'une commission paritaire disciplinaire dont les conditions d'exercice de ses compétences sont fixées par le règlement intérieur. Or, ce règlement intérieur n'était entré en vigueur que cinq ans après l'approbation par l'assemblée générale de l'association des statuts (16 février 2000), ce qui avait retardé d'autant la mise en place de la commission de discipline. Un salarié, licencié pour un motif disciplinaire sans que la commission n'ait été consultée (et pour cause, puisqu'elle n'avait pas encore été mise en place), avait alors réclamé des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion lui avait donné tort après avoir relevé que l'employeur n'avait pu consulter un organe inexistant.

L'arrêt est cassé, au visa des articles L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) et L. 122-41, alinéa 2 (N° Lexbase : L5579ACM), devenus L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G) et L. 1332-2 (N° Lexbase : L1864H9W) du Code du travail, ensemble les articles 77 et 82 de l'accord du 1er février 2000, portant statut du personnel de l'AFPAR, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant que "l'employeur qui s'était engagé en signant l'accord collectif du 1er février 2000, à mettre en place la commission paritaire de discipline ne l'avait pas fait, de sorte que cette commission n'avait pu donner son avis sur le licenciement du salarié prononcé plus de deux ans après l'adoption des statuts". En d'autres termes, l'employeur ne pouvait invoquer à son profit "sa propre turpitude" et le fait qu'il avait manqué à ses propres obligations pour prétendre se soustraire... à ses propres obligations.

  • La confirmation d'un précédent inédit

Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation fait application du principe, exprimé par l'adage latin nemo auditur propriam turpitudinem allegans, en droit du travail (8), ni, d'ailleurs, dans ce cas de figure ; dans une précédente décision inédite, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait, en effet, déjà rendu l'employeur responsable de la non-consultation d'une commission de discipline, cette dernière n'ayant pas été mise en place faute d'un nombre suffisant de délégués du personnel, désignés comme membres devant siéger (9).

  • Une solution logique

Cette solution, quoique sévère pour l'employeur, est logique.

L'employeur, qui entre dans le champ d'un accord collectif, est tenu d'en faire application ; si l'accord instaure une procédure conventionnelle applicable aux sanctions disciplinaires, il doit, alors, la mettre en place et la respecter. Sauf l'hypothèse d'un cas de force majeure l'empêchant de se conformer à ses obligations, hypothèse, en pratique, extrêmement improbable, il doit être considéré comme responsable du défaut de mise en place de la commission et, par conséquent, du défaut de consultation.

  • Une sévérité excessive

La sévérité de la décision tient, alors, moins dans l'application de la jurisprudence dégagée depuis 1999 à propos du défaut de consultation de la commission, que dans la sanction qui s'applique au défaut de consultation.

Il peut, en effet, sembler bien excessif de sanctionner systématiquement le défaut de consultation de la commission par l'attribution de dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse, surtout lorsque le licenciement disciplinaire était bel et bien justifié, notamment, par l'existence d'une faute grave commise par le salarié justifiant un licenciement immédiat.

Certes, cette sanction extrême vise à garantir le respect effectif de la procédure conventionnelle ; mais elle nous semble disproportionnée. Il serait, sans doute, plus juste de permettre aux juges du fond de moduler la sanction civile en fonction de l'incidence du non-respect de la procédure sur le déroulement de celle-ci, et de réserver l'attribution de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse aux seules hypothèses où le défaut de consultation n'a pas permis au salarié de faire valoir utilement ses droits et de convaincre le cas échéant son employeur du caractère infondé de la procédure engagée contre lui.

Cette sévérité nous semble, d'ailleurs, aussi contestable que celle qui consiste à sanctionner, par principe, le défaut de motivation de la lettre de licenciement par l'attribution de dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse. On ne pourra, alors, que regretter le silence de la loi de modernisation du marché du travail (loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail N° Lexbase : L4999H7B) sur cette question, alors que les partenaires sociaux, dans l'accord éponyme du 11 janvier 2008, avaient souhaité un assouplissement de cette jurisprudence. Cet arrêt montre, et on ne peut que le déplorer, que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'entend pas tenir compte du voeu exprimé par les partenaires sociaux.


(1) C. trav., art. L. 1332-1 et s. (N° Lexbase : L1862H9T).
(2) Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412, Mme Jaureguy c/ M. Leray, ès qualités de liquidateur de l'association d'aide à domicile en milieu rural pour le canton de Puymirol et autre (N° Lexbase : A3552AU4), Dr. soc., 1999, p. 634, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.411, Société nouvelle Air Toulouse international c/ M. Texier et autre (N° Lexbase : A6374AG8), RJS, 2000, n° 530 ; Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 97-45.781, M. Demarcke c/ Société Allianz Via assurances (N° Lexbase : A3560AUE), Dr. soc., 2000, p. 1027, et les obs. ; Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-46.070, Mlle Yves-Marie Gustave c/ Compagnie Assurances générales de France vie (AGF Vie), FS-D (N° Lexbase : A7816AXR), Dr. soc., 2002, p. 466, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-43.731, M. Bernard Hubert c/ Société BNP-Paribas, F-D (N° Lexbase : A0415DDQ).
(3) Cass. soc., 31 janvier 2006, n° 03-43.300, Caisse méditerranéenne de financement (CAMEFI) c/ M. Jean-Pierre Darnard, F-P (N° Lexbase : A6480DMX) : "il n'avait pas été avisé qu'il pouvait saisir le conseil de discipline pour qu'il donne son avis sur la mesure envisagée par l'employeur" ; Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 03-48.370, Société SMA Vie Btp, FS-P+B (N° Lexbase : A9583DRD).
(4) Cass. soc., 11 juillet 2006, n° 04-40.379, M. Ange Cenent, F-P (N° Lexbase : A4373DQZ) : "l'article 38 de la Convention collective nationale des banques, alors applicable, dispose que l'agent qui a demandé sa comparution devant le conseil de discipline reçoit communication de toutes les pièces relatives aux griefs articulés contre lui et des notes professionnelles et autres documents composant son dossier individuel, la cour d'appel, qui a constaté l'absence d'envoi par l'employeur de tels documents, a violé le texte susvisé".
(5) Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-41.532, Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (CRCAMG), FS-P+B (N° Lexbase : A4076EA9) : "en dépit de la demande de report justifié dont il n'a pas été allégué qu'elle aurait été abusive, le conseil de discipline avait rendu un avis sans entendre l'intéressé".
(6) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.376, M. Michel Berthelot c/ Société Gan Prévoyance, FS-P+B (N° Lexbase : A8543DIA), Bull. civ. V, n° 221 : "le procès-verbal de réunion du conseil n'avait pas été établi conformément au texte précité, ce dont il résultait que l'avis de chacun des membres du conseil n'avait pas été porté à sa connaissance".
(7) Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 04-46.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde, FS-P+B (N° Lexbase : A7780DTC) : "l'absence d'avis du conseil de discipline régulièrement saisi [...] résulte de ce que ses membres n'ont pu se départager n'a pas pour effet de mettre en échec le pouvoir disciplinaire de l'employeur et de rendre irrégulière la procédure de licenciement".
(8) Ainsi, l'employeur ne peut invoquer les difficultés économiques de l'entreprise s'il a contribué à les créer, par ses propres fautes de gestion : Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-44.380, Association de gestion du lycée professionnel Sainte-Marguerite Marie c/ M. Christian Mfouara, F-P+B+R (N° Lexbase : A9864DLW) et nos obs., Licenciement économique : la légèreté blâmable de l'employeur ne peut être invoquée à tout propos, Lexbase Hebdo n° 197 du 12 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2943AK9) : "l'erreur du chef d'entreprise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable".
(9) Cass. soc., 4 octobre 2005, n° 03-45.983, Société Rema, venant aux droits des Assurances mutuelles d'Eure et Loir c/ M. Bernard Lasne, F-D (N° Lexbase : A7090DKS) : "la procédure prévue par l'article 90 de la Convention collective applicable selon lequel en cas de licenciement pour faute l'employeur doit obligatoirement consulter un conseil composé de trois représentants du personnel, et de trois représentants de l'employeur constitue une garantie de fond dont la convention ne limite pas l'application en fonction du nombre de représentants du personnel dans l'entreprise ; d'où il suit que la cour d'appel a légalement justifié sa décision en constatant que le salarié avait été privé de cette garantie de fond du fait de l'employeur qui n'avait pas mis en place les délégués du personnel alors qu'il y était tenu".

Décision

Cass. soc., 22 octobre 2008, n° 06-46.215, M. Bruno Payet, F-P (N° Lexbase : A9294EAH)

Cassation partielle, CA Saint Denis de la Réunion, ch. soc., 19 septembre 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) et L. 122-41, alinéa 2 (N° Lexbase : L5579ACM), devenus L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G) et L. 1332-2 (N° Lexbase : L1864H9W) ; accord du 1er février 2000, portant statut du personnel de l'AFPAR, art. 77 et 82 ; principe "à travail égal, salaire égal", ensemble l'article L. 140-2, alinéa 1 (N° Lexbase : L5726AC3), devenu L. 3221-2 (N° Lexbase : L0796H9D) du Code du travail

Mots clef : licenciement ; procédure conventionnelle ; commission de discipline ; défaut de mise en place ; conséquences ; licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Lien base :

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