Jurisprudence : CJCE, 13-12-1991, aff. C-18/88, Régie des télégraphes et des téléphones c/ GB-Inno-BM SA

CJCE, 13-12-1991, aff. C-18/88, Régie des télégraphes et des téléphones c/ GB-Inno-BM SA

A8575AU7

Référence

CJCE, 13-12-1991, aff. C-18/88, Régie des télégraphes et des téléphones c/ GB-Inno-BM SA. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1003918-cjce-13121991-aff-c1888-regie-des-telegraphes-et-des-telephones-c-gbinnobm-sa
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Cour de justice des Communautés européennes

13 décembre 1991

Affaire n°C-18/88

Régie des télégraphes et des téléphones
c/
GB-Inno-BM SA


Recueil de Jurisprudence 1991 page I-5941

Edition spéciale suédoise 1991 page 0519

1. Concurrence - Entreprises publiques et entreprises auxquelles les États membres accordent des droits spéciaux ou exclusifs - Entreprise disposant du monopole de l'exploitation du réseau public de télécommunications - Commercialisation, en situation de concurrence, d'appareils téléphoniques - Pouvoir d'édicter des normes techniques applicables aux appareils téléphoniques et de vérifier leur respect par les entreprises concurrentes - Inadmissibilité

(Traité CEE, art. 3, sous f), 86 et 90)

2. Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d'effet équivalent - Agréation par une entreprise publique des appareils téléphoniques, non fournis par elle, destinés à être raccordés au réseau public - Absence d'un recours juridictionnel - Inadmissibilité

(Traité CEE, art. 30)

1. Les articles 3, sous f), 86 et 90 du traité s'opposent à ce qu'un État membre confère à la société exploitant le réseau public de télécommunications le pouvoir d'édicter des normes relatives aux appareils téléphoniques et de vérifier leur respect par les opérateurs économiques, alors qu'elle est la concurrente de ces opérateurs sur le marché de ces appareils.

En effet, confier à une entreprise qui commercialise des appareils téléphoniques la tâche de formaliser des spécifications auxquelles devront répondre les appareils téléphoniques, de contrôler leur application et d'agréer ces appareils revient à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels sont les appareils susceptibles d'être raccordés au réseau public et à lui octroyer ainsi un avantage évident sur ses concurrents, ce qui va directement à l'encontre de l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques sans laquelle l'existence d'un système de concurrence non faussée ne peut être garantie. Une telle restriction de la concurrence ne peut être regardée comme justifiée par une mission de service public d'intérêt économique général, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

2. L'article 30 du traité s'oppose à ce qu'une entreprise publique se voie accorder le pouvoir d'agréer les appareils téléphoniques destinés à être raccordés au réseau public et non fournis par elle, si les décisions de cette entreprise ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel.

En effet, si des exigences impératives tenant à la protection des usagers en tant que consommateurs de services ainsi qu'à la protection et au bon fonctionnement du réseau public justifient l'existence d'une procédure d'agrément desdits appareils, l'absence de toute possibilité de recours juridictionnel pourrait permettre à l'autorité d'agrément d'adopter une attitude arbitraire ou systématiquement défavorable envers les appareils importés.

Dans l'affaire C-18/88,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par le vice-président du tribunal de commerce de Bruxelles et tendant à obtenir dans le litige pendant devant ce juge entre

Régie des télégraphes et des téléphones (RTT)

et

GB-Inno-BM SA,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 30 et 86 dudit traité,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. R. Joliet, président de chambre, Sir Gordon Slynn, MM. J. C. Moitinho de Almeida, G. C. Rodríguez Iglesias et M. Zuleeg, juges,

avocat général : M. M. Darmon

greffier : Mme B. Pastor, administrateur

considérant les observations écrites présentées :

- pour la Régie des télégraphes et téléphones, par Me Eduard Marissens, avocat au barreau de Bruxelles,

- pour la SA "GB-Inno-BM", par Me Louis van Bunnen, avocat au barreau de Bruxelles,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Eric L. White et Mme Edith Buissart, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de la Régie des télégraphes et téléphones, de la SA "GB-Inno-BM" et de la Commission, à l'audience du 25 janvier 1989,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 mars 1989,

rend le présent

Arrêt

1 Par jugement du 11 janvier 1988, parvenu à la Cour le 18 janvier suivant, le vice-président du tribunal de commerce de Bruxelles a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 86 du traité en vue d'apprécier la compatibilité avec ces dispositions d'un régime national octroyant à un organisme public, chargé, sous l'autorité hiérarchique du ministre, de l'établissement et de l'exploitation du réseau public de téléphones et se livrant au commerce d'appareils téléphoniques, le pouvoir d'agréer, en vue de leur raccordement au réseau, les appareils téléphoniques qu'il n'a pas fournis lui-même.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Régie des télégraphes et des téléphones (ci-après "RTT ") à la société GB-Inno-BM (ci-après "GB ") qui vend dans ses magasins des appareils téléphoniques non agréés, destinés à servir de deuxième appareil à raccorder sur une installation existante, à des prix sensiblement inférieurs à ceux des appareils de ce type proposés par la RTT.

3 Sur la base des articles 54 et 55 de la loi sur les pratiques du commerce du 14 juillet 1971 (Moniteur belge du 30 juillet 1971), qui interdisent tout acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale et qui permettent au président du tribunal de commerce d'ordonner la cessation d'un tel acte, la RTT a intenté une action en vue de faire ordonner à GB de cesser de vendre des appareils téléphoniques, originaires le plus souvent d'Extrême-Orient, sans informer les consommateurs, par une publicité appropriée ou tout autre moyen efficace, que les appareils n'étaient pas agréés. Selon la RTT, en vendant les appareils en question sans informer les consommateurs de l'absence d'agréation, GB inciterait les consommateurs à procéder eux-mêmes ou à faire procéder à la connexion de l'appareil non agréé au réseau, ce qui serait de nature à perturber le fonctionnement de celui-ci.

4 Pour se défendre contre cette action, GB a fait valoir que les articles 13, 91 et 93 de l'arrêté ministériel, du 20 septembre 1978, portant fixation, notamment, des conditions de raccordement (Moniteur belge du 29 septembre 1978, p. 11166), modifié en dernier lieu le 24 décembre 1986, qui organisent la procédure d'agrément, étant illégaux, il serait abusif de vouloir imposer à un commerçant de signaler que ces appareils vendus ne sont pas agréés, en lui interdisant de vendre pareils appareils sans fournir cette information. En outre, GB a introduit une demande reconventionnelle tendant à faire dire pour droit que la RTT viole l'article 86 du traité. Selon GB, en intentant l'action judiciaire susmentionnée qui tend à entraver la concurrence de revendeur d'appareils non agréés en vue de favoriser la vente de ses propres appareils ou de ceux qu'elle agrée, la RTT a abusé de sa situation monopolistique.

5 Il ressort du dossier que l'article 1er de la loi belge, du 13 octobre 1930, coordonnant les différentes dispositions législatives concernant la télégraphie et la téléphonie, confère à la RTT le monopole de l'établissement et de l'exploitation, pour la correspondance du public, des lignes et des bureaux télégraphiques et téléphoniques.

6 Selon l'article 13, premier alinéa, de l'arrêté ministériel du 20 septembre 1978, "sauf autorisation écrite de la RTT, l'abonné ne peut relier aucun fil, appareil ou objet quelconque à l'installation dont l'usage lui est concédé, ni ouvrir ou démonter les appareils, modifier de quelque manière que ce soit l'emplacement ou l'affectation de l'appareillage ou des fils ".

7 Selon l'article 91 du même arrêté ministériel, l'appareillage relié aux circuits mis à la disposition du public sous le régime de l'abonnement doit être fourni ou agréé par la Régie. En vertu de cette même disposition, c'est à la Régie qu'il appartient de déterminer le mode de constitution des circuits d'abonnement et leurs caractéristiques techniques. Les spécifications techniques que la RTT a adoptées sur la base de l'article 91 figurent dans un document intitulé "Spécifications n° RN/SP 208" dont la version actuellement en vigueur est celle du 21 avril 1987. Un exemplaire de ces spécifications applicables aux deuxième ou troisième postes raccordés en supplément du premier poste standard RTT est communiqué à tout demandeur d'agrément.

8 Il ressort également du dossier que pour ce qui est des appareils vendus par la RTT, les spécifications techniques à respecter sont précisées dans les cahiers des charges qu'elle impose à ses fournisseurs. Il en résulte que ces appareils ne doivent pas être soumis à une procédure spécifique d'agrément en vue de leur raccordement au réseau public.

9 Le dossier révèle également qu'en ce qui concerne les appareils téléphoniques la RTT s'est réservée la fourniture du premier appareil, mais a renoncé, au cours des dernières années, à l'exclusivité qu'elle avait sur les appareils supplémentaires. Toutefois, l'article 93 de l'arrêté ministériel du 20 septembre 1978, précité, précise encore que la RTT peut, à tout moment, reprendre à son compte la fourniture d'appareillages laissée à l'initiative privée et imposer alors la mise hors service des installations en usage.

10 C'est dans ces conditions que le vice-président du tribunal de commerce de Bruxelles a sursis à statuer et a posé les questions préjudicielles suivantes :

"1) Interprétation de l'article 30 du traité :

Étant acquis que la Régie des télégraphes et téléphones, en plus de l'exploitation du réseau public en Belgique se livre au commerce d'appareillages destinés à être raccordés à ce réseau, en quelle mesure l'article 13 de l'arrêté ministériel du 20 septembre 1978 est-il compatible avec l'article 30 du traité dès lors que :

A. il institue la Régie juge de l'autorisation de raccorder au réseau public des appareillages non fournis et vendus par elle et laisse de ce fait à la discrétion de la Régie le soin d'établir les critères techniques et administratifs auxquels doit répondre un tel appareillage pour que la Régie donne son autorisation?;

B. la Régie se trouvant concurrente sur le marché belge des fournisseurs privés et des importateurs privés en Belgique, aucune procédure contradictoire ni pour la fixation des normes ni pour la vérification de la conformité des appareillages en question ne semble organisée et aucun moyen n'est laissé à l'abonné ou à l'importateur des appareillages en question d'établir que, à l'occasion de la procédure d'autorisation, tout arbitraire, toute discrimination, fut écarté et qu'aucun recours n'est organisé contre une décision de la Régie?;

2) En quelle mesure le fait de mettre à charge de l'abonné les frais occasionnés à la Régie à la suite d'une infraction à l'article 13, premier alinéa, de l'arrêté ministériel en question et entre autres les frais de recherche et de levée d'un dérangement causé par l'appareillage non autorisé constitue-t-il une mesure équivalant à une restriction quantitative dès lors qu'il n'est pas institué de procédure contradictoire devant une instance indépendante pour juger de la réalité du lien causal et du degré de causalité et que de ce fait l'usager ou l'abonné qui désire raccorder de telle façon un appareil sera enclin pour exclure tout risque à se fournir chez la Régie même?;

3) Interprétation de l'article 86 du traité :

En quelle mesure le monopole accordé à la Régie pour accorder l'autorisation de connexion au réseau public et en organiser les modalités en ce qui concerne les appareillages non fournis ou vendus par elle avec comme corollaire le pouvoir pour la Régie de déterminer arbitrairement les normes auxquelles ces derniers appareillages doivent se conformer constitue-t-il une pratique interdite par l'article 86, sous b) et c), du traité?"

11 Pour un plus ample exposé de la législation belge applicable, des faits et des antécédents du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

12 Dans son ordonnance de renvoi, la juridiction nationale a relevé d'emblée que le monopole légal de la RTT sur le réseau public n'était pas en question, pas plus que le fait que pour pouvoir être raccordées au réseau public les installations téléphoniques doivent répondre à certaines exigences techniques. Elle a fait observer que le législateur s'en remettait à la Régie pour déterminer les exigences techniques auxquelles doivent satisfaire les appareils pour être raccordés au réseau et pour juger de leur conformité à ces exigences. Elle a souligné que cette situation devenait tout à fait discutable dès lors que la RTT, qui vend des appareils destinés à être raccordés au réseau, se trouvait en concurrence avec l'entreprise qu'elle attaquait en justice pour avoir commercialisé des appareils sans informer les consommateurs de ce qu'ils n'étaient pas agréés. La juridiction nationale a conclu à la nécessité d'interroger la Cour de justice sur la légalité au regard du traité des dispositions qui plaçaient la RTT dans la situation d'être à la fois juge et partie au motif que, si ces dispositions s'avéraient illégales, "toute interdiction, toute mesure réclamée sous leur autorité constitueraient une distorsion intolérable de la concurrence et un abus de puissance économique par le biais du monopole d'exploitation du réseau qui appartient de façon indiscutée à la Régie ".

13 Quoique la juridiction nationale se soit interrogée sur la compatibilité de la réglementation nationale avec les règles du traité sur la libre circulation des marchandises et sur la concurrence, il apparaît que, compte tenu des considérations de l'ordonnance de renvoi relevées ci-avant, c'est par l'interprétation des règles de concurrence qu'il convient d'aborder les problèmes soulevés par la juridiction nationale.

Sur le régime de concurrence

14 La juridiction nationale cherche à savoir si les articles 3, sous f), 90 et 86 du traité CEE s'opposent à ce qu'un État membre confère à la société exploitant le réseau public de télécommunications le pouvoir d'édicter des normes relatives aux appareils téléphoniques et de vérifier leur respect par les opérateurs économiques, alors qu'elle est la concurrente de ces opérateurs sur le marché des terminaux.

15 La RTT détient, en vertu de la loi belge, le monopole de l'établissement et de l'exploitation du réseau public de télécommunications. En outre, ne peuvent être raccordés au réseau que les appareils fournis par la RTT ou agréés par elle. A ce point de vue, la RTT cumule les pouvoirs d'autoriser ou de refuser le raccordement des appareils téléphoniques au réseau, de préciser les normes techniques qui doivent être satisfaites par ces équipements et de vérifier si les appareils non produits par elle sont conformes aux spécifications qu'elle a adoptées.

16 Dans l'état de développement actuel de la Communauté, ce monopole, qui tend à mettre à la disposition des usagers un réseau public de téléphone, constitue un service d'intérêt économique général, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

17 Selon la jurisprudence constante de la Cour, une entreprise qui bénéficie d'un monopole légal peut être considérée comme occupant une position dominante, au sens de l'article 86 du traité et le territoire de l'État membre auquel ce monopole s'étend est susceptible de constituer une partie substantielle du marché commun (arrêts du 23 avril 1991, Hoefner, point 28, C-41/90, Rec. p. I-0000, et du 18 juin 1991, ERT, point 31, C-260/89, Rec. p. I-0000).

18 La Cour a également constaté que constitue un abus au sens de l'article 86 le fait, pour une entreprise détenant une position dominante sur un marché donné, de se réserver,sans nécessité objective, une activité auxiliaire qui pourrait être exercée par une entreprise tierce dans le cadre des activités de celle-ci sur un marché voisin, mais distinct, au risque d'éliminer toute concurrence de la part de cette entreprise (arrêt du 3 octobre 1985, CBEM, point 27, 311/84, Rec. p. 3261).

19 Par conséquent, le fait pour une entreprise, qui détient un monopole sur le marché de l'établissement et l'exploitation du réseau, de se réserver, sans nécessité objective, un marché voisin, mais distinct, en l'occurrence celui de l'importation, de la commercialisation, du raccordement, de la mise en service et de l'entretien des appareils destinés à être reliés à ce réseau, en éliminant ainsi toute concurrence de la part d'autres entreprises, constitue une violation de l'article 86 du traité.

20 Toutefois, l'article 86 ne vise que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative (voir arrêt du 19 mars 1991, France/Commission "Terminaux", C-202/88, Rec. p. I-0000) et non des mesures étatiques. S'agissant de mesures étatiques, c'est l'article 90, paragraphe 1, qui entre en jeu. Cette disposition interdit aux États membres de mettre, par des mesures législatives, réglementaires ou administratives, les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs dans une situation dans laquelle ces entreprises ne pourraient pas se placer elles-mêmes par des comportements autonomes sans violer les dispositions de l'article 86.

21 Dès lors, si l'extension de la position dominante de l'entreprise publique ou de l'entreprise à laquelle l'État a octroyé des droits spéciaux ou exclusifs est le fait d'une mesure étatique, une telle mesure constitue une violation de l'article 90 en liaison avec l'article 86 du traité.

22 En effet, l'exclusion ou la restriction de la concurrence sur le marché des appareils téléphoniques ne peut être regardée comme justifiée par une mission de service public d'intérêt économique général, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité. La production et la vente de terminaux, notamment, d'appareils téléphoniques est une activité qui doit pouvoir être exercée par toute entreprise. Pour s'assurer que les appareils sont conformes aux exigences essentielles que sont, notamment, la sécurité des usagers, la sécurité des exploitants du réseau et la protection de réseaux publics de télécommunications contre tout dommage, il suffit que soient édictées les spécifications auxquelles ils doivent répondre et que soit instaurée une procédure d'agrément permettant de vérifier s'ils y satisfont.

23 Selon la RTT, une infraction à l'article 90, paragraphe 1, du traité ne pourrait être constatée que si l'État membre avait favorisé un abus effectivement commis par elle, par exemple une application discriminatoire des règles relatives à l'agrément. Elle souligne cependant que le jugement de renvoi n'a relevé aucun abus effectif et que la simple possibilité d'une application discriminatoire de ces règles, du fait de la désignation de la RTT comme autorité d'agrément alors qu'elle est concurrente des entreprises qui demandent l'agrément, ne saurait en elle-même être constitutive d'abus au sens de l'article 86 du traité CEE.

24 Cette argumentation ne saurait être retenue. Il suffit de relever à cet égard que c'est l'extension du monopole de l'établissement et de l'exploitation du réseau téléphonique au marché des appareils téléphoniques, sans justification objective, qui est prohibée comme telle par l'article 86 ou par l'article 90, paragraphe 1, en relation à l'article 86, lorsque cette extension est le fait d'une mesure étatique. La concurrence ne pouvant être éliminée de cette manière, elle ne peut pas non plus être faussée.

25 Or, un système de concurrence non faussée tel que celui prévu par le traité ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée. Confier à une entreprise qui commercialise des appareils terminaux la tâche de formaliser des spécifications auxquelles devront répondre les appareils terminaux, de contrôler leur application et d'agréer ces appareils revient à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels sont les appareils terminaux susceptibles d'être raccordés au réseau public et à lui octroyer ainsi un avantage évident sur ses concurrents (arrêt C-202/88, précité, point 51).

26 Dans ces conditions, le maintien d'une concurrence effective et la garantie de transparence exigent que la formalisation des spécifications techniques, le contrôle de leur application et l'agrément soient effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens ou des services concurrents dans le domaine des télécommunications (arrêt C-202/88, précité, point 52).

27 Il convient encore de relever que les dispositions réglementaires nationales critiquées dans le litige au principal sont susceptibles d'influencer les importations d'appareils téléphoniques en provenance d'autres États membres et, par conséquent, d'affecter le commerce entre États membres, au sens de l'article 86 du traité.

28 Il y a lieu, dès lors, de répondre en premier lieu aux questions de la juridiction nationale que les articles 3, sous f), 90 et 86 du traité CEE s'opposent à ce qu'un État membre confère à la société exploitant le réseau public de télécommunications le pouvoir d'édicter des normes relatives aux appareils téléphoniques et de vérifier leur respect par les opérateurs économiques, alors qu'elle est la concurrente de ces opérateurs sur le marché de ces appareils.

Sur la libre circulation des marchandises

29 La juridiction nationale vise en second lieu à savoir si l'article 30 s'oppose à ce qu'une entreprise publique se voit attribuer le pouvoir d'agréer les appareils téléphoniques destinés à être raccordés au réseau public et non fournis par elle, si les décisions de cette entreprise ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel.

30 Selon la jurisprudence constante de la Cour (voir notamment arrêt du 20 février 1979, dit "Cassis de Dijon", Rewe-Zentral, 120/78, Rec. p. 649), en l'absence d'une réglementation commune des produits dont il s'agit, les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant de disparités des réglementations nationales doivent être acceptés dans la mesure où une telle réglementation nationale, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, peut être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives du droit communautaire. La Cour a toutefois précisé qu'une telle réglementation devait être proportionnée à l'objet visé et que, si un État membre disposait d'un choix entre différentes mesures aptes à atteindre le même but, il lui incombait de choisir le moyen qui apporte le moins d'obstacles à la liberté des échanges.

31 En l'absence d'une réglementation communautaire relative à l'établissement des réseaux publics de télécommunications et compte tenu de la diversité technique des réseaux dans les États membres, ces derniers conservent, d'une part, le pouvoir d'édicter les spécifications techniques auxquelles doivent répondre les appareils téléphoniques pour pouvoir être raccordés au réseau public et, d'autre part, le pouvoir de vérifier l'aptitude de ces appareils à être raccordés au réseau afin de satisfaire aux exigences impératives tenant à la protection des usagers en tant que consommateurs de services ainsi qu'à la protection et au bon fonctionnement du réseau public.

32 Il est vrai que l'exigence selon laquelle les appareils téléphoniques doivent être agréés pour pouvoir être raccordés au réseau n'exclut pas de façon absolue l'importation dans l'État membre concerné de produits originaires d'autres États membres. Il n'en reste pas moins qu'elle est de nature à rendre leur commercialisation plus difficile ou plus onéreuse. En effet, une telle obligation impose au fabricant établi dans l'État membre d'exportation de tenir compte, lors de la fabrication des produits concernés, des critères d'agrément imposés dans l'État membre d'importation. En outre, la procédure d'agrément implique nécessairement des délais et des coûts financiers, même en cas de conformité des produits importés aux critères d'agrément.

33 Or, une exception au principe de la libre circulation des marchandises fondée sur une exigence impérative n'est justifiée que si la réglementation nationale est proportionnée à l'objet visé.

34 Il résulte de l'arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, point 46 (178/84, Rec. p. 1227), qu'une absence injustifiée d'autorisation d'importation doit pouvoir être mise en cause par les opérateurs économiques dans le cadre d'un recours juridictionnel. S'agissant de décisions de refus d'agrément, la même exigence s'impose étant donné que de telles décisions peuvent aboutir en pratique à fermer l'accès du marché d'un État membre aux appareils téléphoniques importés d'un autre État membre et donc à entraver la libre circulation des marchandises.

35 En effet, à défaut de toute possibilité de recours juridictionnel, l'autorité d'agrément pourrait adopter une attitude arbitraire ou systématiquement défavorable envers les appareils importés. La probabilité de voir l'autorité d'agrément adopter une telle attitude se trouve, par ailleurs, accrue par l'absence de caractère contradictoire des procédures d'agrément et de fixation des spécifications techniques.

36 Il convient, dès lors, de répondre en second lieu à la juridiction nationale que l'article 30 du traité s'oppose à ce qu'une entreprise publique se voie accorder le pouvoir d'agréer les appareils téléphoniques destinés à être raccordés au réseau public et non fournis par elle, si les décisions de cette entreprise ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel.

Sur les dépens

37 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle posées par le vice-président du tribunal de commerce de Bruxelles, par jugement du 11 janvier 1988, dit pour droit :

1) Les articles 3, sous f), 90 et 86 du traité CEE s'opposent à ce qu'un État membre confère à la société exploitant le réseau public de télécommunications le pouvoir d'édicter des normes relatives aux appareils téléphoniques et de vérifier leur respect par les opérateurs économiques, alors qu'elle est la concurrente de ces opérateurs sur le marché de ces appareils.

2) L'article 30 du traité s'oppose à ce qu'une entreprise publique se voie accorder le pouvoir d'agréer les appareils téléphoniques destinés à être raccordés au réseau public et non fournis par elle, si les décisions de cette entreprise ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel.

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