La lettre juridique n°251 du 8 mars 2007

La lettre juridique - Édition n°251

Éditorial

Protection de l'assuré : attention à ce qu'il ne devienne pas, malgré lui, l'arroseur arrosé !

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N3021BA7

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Les hommes veulent se prémunir contre les aléas de la vie, aux fins d'assurer leur tranquillité d'esprit et pécuniaire, depuis des millénaires ; et plus précisément depuis les temps babyloniens (toutes nos excuses pour cette antinomie), où le Code d'Hammourabi prévoyait, déjà, que, si un marchand contractait un prêt pour effectuer un transport, il pouvait payer une somme supplémentaire au prêteur, pour que le prêt ne soit pas remboursé, lorsque la marchandise se faisait voler. Inutile de dire que le droit des assurances a fait son chemin depuis, et que la volonté de transférer les risques que l'on peut encourir intéresse, désormais, tous les pans de la vie.

En France, par la loi du 19 février 2007, le législateur s'est ému du sort de l'assurabilité du risque en matière de protection juridique, la complexité et le développement de notre législation, conjugués à la judiciarisation de la société moderne, imposant que l'accès au droit et à la justice ne soit pas limité par un manque de moyens (dixit le rapport parlementaire afférent à la présentation de la loi). Pourtant, à l'heure des comparaisons européennes servant à justifier telle ou telle nécessité de réformer, on peut signaler que la France, avec 11 % des cotisations d'assurance de protection juridique pour l'ensemble de l'Europe, se situe au deuxième rang du marché européen, devant le Royaume-Uni (6 %), mais loin derrière l'Allemagne (56 %). Le pourcentage n'est pas satisfaisant, mais le rang marque le développement effréné de ce type de police depuis les années 90. La loi nouvelle apporte donc des aménagements limités au régime de l'assurance de protection juridique, et le principal axe de la réforme a pour but, en réalité, de clarifier les relations entre les assureurs et les avocats. En effet, en dépit des efforts accomplis par les assureurs, la position des avocats, acteurs essentiels de l'accès au droit et à la justice, dans le fonctionnement de l'assurance de protection juridique n'est pas jugé satisfaisante. Soucieux de remédier à cette situation, les représentants de la profession d'avocat et ceux des sociétés d'assurance et des mutuelles, sous l'égide du ministère de la Justice, ont, depuis 2003, tenté sans succès de rapprocher leurs points de vue. La loi impose donc que l'avocat soit un acteur incontournable de la phase amiable ; en outre, la loi emporte plusieurs dispositions tendant à ce que ce marché ne soit plus capté par quelques professionnels aux tarifs prédéterminés liés aux réseaux des assureurs. La libéralisation du marché de l'assurance de protection juridique est donc de mise. Mais à bien y penser, le renforcement de la présence d'un avocat à tous les stades de la protection juridique de l'assuré, et la fin des tarifs négociés ne vont-ils pas entraîner une hausse importante du montant des primes afférentes ? C'est tout le paradoxe avec l'objectif asséné en préambule de loi, que relève, notamment, Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, et membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé), dans ses observations publiées cette semaine.

Et, si sur le terrain des cotisations, la loi peut jouer contre l'esprit qui l'anime, la jurisprudence n'est pas en reste. Le formalisme grandissant des contrats d'assurance et, notamment, des questionnaires les accompagnant pourrait bien décourager les acteurs de ce marché ; soit que l'inassurabilité ne gagne, soit que le montant des primes ne devienne par trop excessif -il est bien loin le temps où l'on assurait sa cargaison maritime, sur le coin d'une table du café Lloyd, dans le Londres du XVIIème siècle-. En effet, Véronique Nicolas, Professeur à la Faculté de droit de Nantes, relève, cette semaine, que l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 février 2007, en énonçant que l'assuré "est obligé de répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge", dissimule, a contrario, une disposition rigoureuse vis-à-vis de l'assureur. Il incombe à ce dernier de poser les questions qui lui semblent fondamentales pour apprécier le risque qu'il envisage d'assumer. S'il ne le fait pas, il ne peut, ensuite, se plaindre de quoi que ce soit. Cette décision incitera-t-elle les assureurs à constituer des questionnaires d'une longueur infinie afin d'être certains de n'omettre aucune donnée ?

Aussi, gare à l'effet boomerang des mesures par trop protectrices de l'assuré (si elles sont poussées à un niveau paroxystique) qui, comme un paratonnerre, verra la foudre lui tomber dessus ! Métaphore des plus amusantes, lorsqu'on se souvient que Benjamin Franklin fût le premier, aux Etats-Unis, à créer, en 1732, une compagnie d'assurance (la Philadelphia Contributionship for the Insurance of Houses from Loss by Fire), instaurant un système de prévention, en refusant d'assurer les maisons pour lesquelles le risque d'incendie était trop fort.

newsid:273021

Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Evaluation de titres de sociétés non cotées : absence de prise en compte de l'intérêt du donataire

Réf. : Cass. com., 6 février 2007, n° 05-12.939, Directeur général des impôts, F-P+B (N° Lexbase : A9488DTL)

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N2952BAL

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Alors que, pour déterminer la valeur de titres d'une société holding, la cour d'appel avait retenu que cette valeur s'apprécie du point de vue de l'intérêt qu'en tire le donataire, la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 6 février 2007, censure l'arrêt rendu au motif que la limite apportée par le donateur à la liberté de disposer des titres donnés n'affecte pas leur valeur vénale réelle. On sait que, comme pour les biens immobiliers, la valeur de titres de sociétés non cotées se détermine en tenant compte de tous les éléments permettant d'obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu de l'offre et de la demande. Cependant, à la différence des immeubles, où il est déduit de ce principe que c'est une étude du marché effectif qui permet de cerner la valeur, en l'absence de mutations antérieures portant sur les mêmes titres que ceux à évaluer, l'administration considère que la recherche de la valeur vénale implique le recours à la combinaison de méthodes. Ainsi, la valeur des parts d'une société doit être établie en tenant compte, non seulement de la valeur mathématique obtenue par actualisation de la valeur de l'actif comptable de la société, mais également de la valeur de productivité tirée de l'importance du bénéfice et de la valeur de rendement établie par capitalisation du dividende (QE n° 06616, de P.-C. Taittinger, réponse publiée au JO Sénat du 19 août 1982, p. 3858 ; QE n° 26720 de J.-P. Balligand, réponse publiée au JOAN du 28 janvier 1991, p. 299 N° Lexbase : L5940HUK).

1. La valeur vénale de titres s'entend d'une valeur objective...

La valeur, au jour de la transmission à titre gratuit, de titres non cotés en bourse doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu'aurait déterminé le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel à cette date (Cass. com., 19 avril 2005, n° 03-19.890, F-D N° Lexbase : A9624DHW). Ainsi, lorsque sont constatées des transactions antérieures sur les titres de la même société, le prix auquel ces transactions ont été conclues est un critère prépondérant. Mais, c'est à la condition qu'elles soient contemporaines, environ moins de deux ans, et qu'elles aient été conclues dans des conditions équivalentes. Une distinction doit être opérée, par exemple, selon que l'opération permet ou non au cessionnaire de prendre le contrôle de la société. En l'absence de comparaison avec des titres similaires, il convient de combiner plusieurs méthodes financières, sans s'en tenir à la seule valeur mathématique. Ainsi, quand bien même l'activité de la société consistait en la gestion de son patrimoine, la valeur des actions ne se réduit pas à la valeur du patrimoine social traduite par la valeur mathématique (Cass. com., 23 avril 2003, n° 99-19.901, F-D N° Lexbase : A7618BSX). Les méthodes financières tiennent compte de la valeur de rendement, comme par exemple, la méthode du "cash flow" ou la marge brute d'autofinancement. Par ailleurs, doivent être prises en considération les perspectives d'avenir de l'entreprise dans la mesure où il s'agit d'éléments connus à la date de la transmission (Cass. com., 21 mai 1996, n° 94-20.517, M. Roland Bracoud c/ M. le directeur général des Impôts, inédit au bulletin N° Lexbase : A1231CYA).

2. ...qui interdit la prise en compte de l'intérêt du donataire

En décidant que les droits de succession ne pouvaient porter que sur les biens tels qu'ils étaient reçus par les bénéficiaires de la transmission, la Cour de cassation avait ouvert une brèche dans la doctrine administrative selon laquelle l'article 761 du CGI (N° Lexbase : L8122HLE), qui précise que, pour la liquidation des droits de succession, les immeubles sont estimés d'après leur valeur vénale réelle à la date du décès, devait s'interpréter comme imposant une évaluation juste avant cette transmission, puisque c'est le décès qui constitue le fait générateur de l'impôt (Cass. com., 19 octobre 1999, n° 97-15.255, M Laurent c/ Direction générale des Impôts N° Lexbase : A3424AUD). De cette décision, les auteurs en avaient déduit qu'il pouvait être considéré que, l'évaluation d'un bien s'effectuant compte tenu de son état dans le patrimoine de l'héritier ou du donataire, la valeur à retenir pour l'assiette des droits devait prendre en considération la situation créée par la transmission. Cependant, l'administration, considère, s'agissant, par exemple, d'une indivision résultant d'une transmission entre vifs à titre gratuit, que la situation indivise des donataires résultant de la transmission est sans incidence sur la valeur (instruction du 9 septembre 2004, BOI n° 7 G-6-04 N° Lexbase : X3818ACE). Ce qui a été confirmé par le juge (Cass. com., 7 juin 2006, n° 03-20.228, F-D N° Lexbase : A9374DPU). Autrement dit, il y aurait lieu de distinguer selon que la transmission est ou non subie. Lorsque la transmission est subie, ce qui est le cas d'un décès, il serait permis de prendre en considération la situation qui résulte involontairement de ce décès. En revanche, il découle tant de la doctrine que de la jurisprudence, que lorsque la transmission est volontaire, comme c'est le cas des donations, mutations entre vifs, les atteintes créées par le donateur ne seraient pas prise en compte. Ainsi, la limite apportée à la liberté de les aliéner n'affecte pas la valeur d'actions de sociétés cotées (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 00-16.786, FS-P N° Lexbase : A6877DAX). Il est vrai que, dans ce cas particulier, c'est l'article 885 T bis du CGI (N° Lexbase : L8850HLD) qui s'applique, le litige portant sur l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune. Or, cette disposition stipule que les valeurs mobilières cotées sur un marché sont évaluées selon le dernier cours connu ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition.

Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision du 6 février, le litige portait sur la valeur d'actions d'une société holding ayant fait l'objet d'une donation entre époux. Dans l'acte, le donataire s'interdisait formellement d'aliéner et de nantir les droits sociaux donnés, à peine de nullité des aliénations et des nantissements et de révocation de la présente donation. Après avoir énoncé que "la valeur d'un titre d'une société non cotée s'apprécie du point de vue de l'intérêt qu'en tire l'acquéreur ou le donataire" la cour d'appel avait validé l'évaluation retenue par les parties en prenant en compte le fait, d'une part, que le donataire était actionnaire minoritaire, d'autre part, que les actions ne rapportaient aucun dividende et n'avaient pratiquement pas vocation à en rapporter (CA Poitiers, 30 décembre 2004, n° 03/04024). En décidant ainsi, la cour d'appel a, selon la Haute juridiction, entaché son arrêt de défaut de base légale au regard de l'article L. 17 du LPF (N° Lexbase : L5557G4L), selon lequel l'administration a le pouvoir de rectifier l'évaluation d'un bien lorsque cette évaluation paraît inférieure à la valeur vénale réelle. Selon le pourvoi, cette valeur s'entend d'une valeur objective du bien à la date de la mutation, correspondant à une valeur de marché, du point de vue d'un acheteur quelconque et exclusive de toute prise en compte des considérations intéressant la personne du bénéficiaire de la mutation. Il convient, donc, de distinguer la valeur subjective du bien, dépendante de la situation et de l'intérêt du donataire des contraintes juridiques, non dépendantes de ce dernier, comme l'existence d'une clause d'agrément en cas de cession des actions données et la libre révocabilité des donations entre époux qui avaient été effectivement prise en compte par le service lors de son évaluation. Tout comme le fait que la valeur de rendement de société était considérée comme nulle.

Cette décision s'inscrit dans la droite ligne de celles qui tirent comme conséquence de la définition de la valeur vénale réelle, comme une valeur objective, l'absence de prise en compte d'éléments subjectifs. Ainsi, il a déjà été jugé que la charge fiscale, pesant sur le donataire en raison de la donation, ne pouvait affecter la valeur des actions données, cette charge étant personnelle à l'acquéreur (Cass. com., 14 février 2006, n° 03-18.742, F-D N° Lexbase : A9791DML).

newsid:272952

Marchés publics

[Jurisprudence] La convention par laquelle un premier pouvoir adjudicateur confie à un second la réalisation d'un ouvrage constitue un marché public de travaux au regard du droit communautaire

Réf. : CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05, Jean Auroux e.a. c/ Commune de Roanne (N° Lexbase : A5723DT7)

Lecture: 3 min

N0488BAC

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Le 07 Octobre 2010

En 2002, la ville de Roanne a décidé, de créer un pôle de loisirs. Pour parvenir à cet objectif le conseil municipal, après délibération, a chargé une société d'économie mixte d'aménagement, la Société d'équipement du département de la Loire (SEDL) de procéder à la coordination globale du projet (acquisitions foncières, recherche des fonds, organisation d'un concours d'ingénierie, construction des bâtiments et également commercialisation de l'ouvrage). Considérant que cette convention aurait dû faire l'objet d'une publicité et d'un appel d'offres préalables, des conseillers municipaux de l'opposition ont alors demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la délibération du conseil municipal. Avant de dire droit, la juridiction administrative a alors interrogé la Cour de justice des Communautés européennes sur l'interprétation de la Directive portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (Directive (CE) 93/37 du 14 juin 1993 N° Lexbase : L7740AU9) et, principalement sur la question de savoir, si "une convention par laquelle un premier pouvoir adjudicateur confie à un second pouvoir adjudicateur la réalisation, dans un but d'intérêt général, d'une opération d'aménagement, dans le cadre de laquelle ce second pouvoir adjudicateur remet au premier des ouvrages destinés à servir à ses besoins, et à l'expiration de laquelle le premier pouvoir adjudicateur devient automatiquement propriétaire de ceux des autres terrains et ouvrages qui n'ont pas été cédés à des tiers, constitue-t-elle un marché public de travaux au sens des dispositions de l'article 1er de la Directive ?".
  • Cette convention est bien un marché au sens de la Directive

Dans ses conclusions l'avocat général avait déjà relevé que, bien que cette convention soit un contrat de droit public, rien ne faisait obstacle à sa qualification au regard de la Directive 93/37 modifiée. Pour Madame Kokott, point [56], qui propose une qualification juridique de la convention, "on peut de même exclure immédiatement qu'il s'agit d'un marché in-house ou d'un marché quasi in-house [...] au sens de la jurisprudence "Teckal" (1), du fait que la SEDL est une société d'économie mixte et que, dès lors, les collectivités territoriales participant à son capital social ne peuvent exercer à son égard un contrôle analogue à celui qu'elles exercent sur leurs propres services".

Les parties dans leurs observations ont souligné, par ailleurs, le fait que la convention signée entre la Ville de Roanne et la SEDL contenait des éléments comme la commercialisation des locaux qui ont les traits d'une convention de service et qu'en conséquence, se pose la question de la délimitation entre ce qui concerne les marchés publics de travaux et les marchés publics de service en vue de leur appréciation au regard du droit communautaire.

Après avoir analysé juridiquement [points 38 à 46] le contenu de la convention, la Cour constate que, même si le contrat d'engagement de la SEDL comporte un élément prévoyant la prestation de services, à savoir l'administration et l'organisation des opérations de travaux, l'objet principal de ce contrat consiste en la réalisation du pôle de loisirs, à savoir un ouvrage au sens de la Directive.

En conséquence, la Cour parvient [point 47] à la conclusion que la "convention telle que celle conclue entre la ville de Roanne et la SEDL est à qualifier, quant à son objet, de marché public de travaux et relève du champ d'application rationae materiae de la Directive 93/37".

  • S'agissant des seuils, il convient de prendre en compte la valeur totale du marché de travaux du point de vue du soumissionnaire potentiel

Cette première réponse apportée il appartenait, ensuite, subsidiairement, à la Cour de s'interroger sur les modalités à mettre en oeuvre afin de déterminer la valeur du marché en question, aux fins de juger si le seuil prévu à l'article 6 de la Directive est atteint.

Appliquant à la fois le texte et l'esprit dans lequel doit être appliqué l'article 6 de la Directive 93/37, la Cour considère que si la valeur d'un marché est constituée de recettes provenant à la fois du pouvoir adjudicateur et de tiers, l'intérêt d'un soumissionnaire potentiel dans un tel marché s'attache à la valeur globale de celui-ci, ce qui comprend [point 57] "non seulement l'ensemble des montants que le pouvoir adjudicateur aura à payer, mais aussi toutes les recettes qui proviendront de tiers".

Le seuil communautaire étant atteint, une procédure de passation de marché public de travaux se révèle obligatoire

Enfin, et c'était la dernière question posée à la Cour, le fait que la SEDL soit une société d'économie mixte exclut de facto que la ville de Roanne puisse être considérée comme exerçant sur elle un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services. Reprenant sa jurisprudence "Stadt Halle" (2) la Cour énonce que son raisonnement, retenu au regard des marchés publics de services, s'applique également au regard des marchés publics de travaux. En conséquence, une procédure de passation de marché public de travaux est ici obligatoire.

Jean-Pierre Lehman
Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence


(1) CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia (N° Lexbase : A0591AWS).
(2) CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle (N° Lexbase : A9511DEY), et lire nos observations, Le recours à une filiale ne permet pas de s'affranchir des directives relatives aux marchés publics, Lexbase Hebdo n° 156 du 24 février 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4752ABM).

newsid:270488

Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

Lecture: 9 min

N1153BAX

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Le 30 Septembre 2011


Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose cette semaine de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Seront abordés, au sein de cette chronique, la sanction du défaut d'impartialité, la question du pourvoi en cassation contre un arrêt de renvoi dont la décision était conforme au premier arrêt de cassation, l'effet suspensif d'une demande d'aide juridictionnelle ou encore la question de l'intervention d'un tiers en appel.





I - Impartialité du juge au-delà des cas de récusation

  • La Cour de cassation revient sur la sanction du défaut d'impartialité en dehors des cas de récusation de l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2573ADN) et précise le régime des sanctions consécutives au rejet d'une demande en récusation : Cass. civ. 2, 8 février 2007, n° 05-22.113, Mme Clotilde Quéru, FS-P+B (N° Lexbase : A9550DTU)

Dans cet arrêt, une partie au procès avait sollicité la récusation d'un juge chargé du contrôle des missions d'expertises sans, pour autant, avoir invoqué une cause particulière de récusation prévue par l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile. La cour d'appel avait rejeté sa demande et le pourvoi invoquait le fait que l'article 341 précité -qui prévoit limitativement huit cas de récusation- n'épuise pas l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (N° Lexbase : L7558AIR).

Effectivement, la Cour de cassation affirme, depuis un arrêt du 28 avril 1998 (1) que les causes de récusation n'épuisent pas l'exigence d'impartialité. La formule demeure floue et la Cour de cassation ne l'a pas précisée. On peut en déduire qu'en dehors des cas prévus à l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile, une partie peut alléguer le défaut d'impartialité d'un juge. Ce dernier peut alors choisir de s'abstenir en vertu de l'article 339 (N° Lexbase : L2571ADL) du même code. S'il persiste à exercer sa fonction, sa partialité deviendra alors une cause de nullité procédurale.

Encore faut-il que celui qui invoque la nullité démontre que le magistrat est effectivement partial. C'est ce que rappelle logiquement la Cour de cassation dans son arrêt du 8 janvier 2007. Selon la Haute juridiction : "Mme X n'invoquait non seulement aucune des causes visées à l'article 341 du Nouveau Code de procédure civile, mais aussi aucune autre de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité".

Le défaut d'impartialité n'est donc pas retenu, faute de preuve. La solution est conforme, non seulement à l'article 9 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW), mais encore à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui considère que l'impartialité du juge se présume (2).

II - Pourvoi en cassation contre un arrêt de renvoi qui s'est plié à l'arrêt de cassation

  • Statuant dans une espèce atypique, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a déclaré irrecevable un moyen de cassation contre un arrêt de renvoi dont la décision était conforme au premier arrêt de cassation : Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 05-11.966, P+B+R+I (N° Lexbase : A0884DTW) et n° 05-17.690, Société La Briocherie c/ Mme Henriette Mestre, veuve Frey, P+B+R+I (N° Lexbase : A0967DTY)

Au fond, dans la première espèce, l'affaire portait sur la validité d'un prêt. La première cour d'appel avait rejeté la demande de nullité du prêt, mais l'arrêt fut cassé par la Chambre commerciale (Cass. com., 28 février 2006, n° 05-11.966, F-D N° Lexbase : A4306DNS). La cour d'appel de renvoi plia et prononça la nullité du prêt en question. Toutefois, entre le premier arrêt de cassation et celui de la cour de renvoi, une décision rendue par l'Assemblée plénière dans une autre affaire était venue contredire la jurisprudence de la Chambre commerciale. Forte d'un arrêt de principe rendu par l'Assemblée plénière, l'une des parties saisissait, une nouvelle fois la Cour de cassation, estimant que dans sa composition la plus solennelle, la Haute juridiction confirmerait la validité du prêt.

L'Assemblée plénière rejette pourtant le pourvoi au motif que "le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d'avoir statué conformément à l'arrêt de cassation qui la saisissait, est irrecevable".

Bien qu'elle paraisse évidente, cette règle n'est énoncée par aucun article du code et la doctrine l'affirme généralement sous la forme d'une évidence (3). Cet arrêt est donc salutaire, car il pose clairement la solution et indique, de façon indirecte, qu'un revirement de jurisprudence ne peut avoir d'incidence sur le cheminement procédural d'une autre affaire.

III - Effet suspensif d'une demande d'aide juridictionnelle

  • La Cour de cassation reproche à une cour d'appel d'avoir statué au fond sans attendre la décision relative à l'aide juridictionnelle : Cass. civ. 2, 18 janvier 2007, n° 06-10.294, M. Jean-Louis Malglaive, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6271DTG)

Un justiciable a relevé appel d'une décision rendue en première instance et a formulé, parallèlement, une demande d'aide juridictionnelle. L'audience devant la cour d'appel étant fixée, le justiciable a sollicité un renvoi dans l'attente de la décision sur sa demande d'aide juridictionnelle. La cour d'appel, considérant que cette demande était dilatoire, a statué sur l'appel.

La Cour de cassation censure cette décision en affirmant : "Qu'en statuant sur l'appel dont elle était saisie, alors que M. X avait sollicité, avant la date de l'audience, l'attribution de l'aide juridictionnelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés". Dans cette espèce, la cour d'appel aurait dû renvoyer l'affaire dans l'attente de la décision du bureau d'aide juridictionnelle, dès lors que la demande d'aide avait été formulée avant la date de l'audience.

La cassation est rendue au visa des articles 2 et 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE). Ces deux dispositions n'indiquent pas que la demande d'aide juridictionnelle a un effet suspensif. Elles prévoient, d'une part, le droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, d'autre part, le droit à l'assistance d'un avocat. C'est donc bien le principe des droits de la défense qui se dissimule derrière cette décision, tel qu'il avait pu être affirmé solennellement par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (4).

Reste à savoir quelle doit être la décision du juge lorsqu'il attend la décision du bureau de l'aide juridictionnelle. Un simple renvoi d'audience apparaît comme une mesure adéquate, mais destinée à être renouvelée. A l'inverse, on peut imaginer que le juge ordonne le sursis à statuer (NCPC, art. 378 N° Lexbase : L2608ADX) dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (5). La mesure présente l'avantage de suspendre l'instance dans l'attente de la décision sur l'aide juridictionnelle.

IV - Intervention d'un tiers en appel : les circonstances de fait ou de droit modifiant les données juridiques du litige

  • Après l'arrêt d'Assemblée plénière du 11 mars 2005 (Ass. plén., 11 mars 2005, n° 03-20.484, Société Seritel c/ Caisse générale d'assurances mutuelles (CGAM) N° Lexbase : A2721DHA), une décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation donne une illustration des conditions strictes qui permettent de faire intervenir un tiers dans le procès pour la première fois en appel : Cass. civ. 2, 23 novembre 2006, n° 06-10.942, Société Bombardier transports France, FS-P+B (N° Lexbase : A5420DSK)

L'intervention d'un tiers pour la première fois en appel pose un problème au regard, tant du principe du double degré de juridiction, que de l'immutabilité du litige. Ainsi, l'article 555 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2805ADA) précise que les tiers ne peuvent être appelés devant la cour d'appel qu'à la condition que "l'évolution du litige implique leur mise en cause". Cette notion d'évolution du litige, pour le moins confuse, a été précisée par l'Assemblée plénière dans un arrêt du 11 mars 2005 (pourvoi n° 03-20.484, Procédures 2005, com. 118). Selon cet arrêt, "l'évolution du litige impliquant la mise en cause d'un tiers devant la cour d'appel, au sens de l'article 555 du Nouveau Code de procédure civile, n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige".

La notion ayant été précisée, il reste à savoir quelles sont les circonstances de fait et de droit qui modifient les données du litige. L'arrêt du 23 novembre 2006 fournit une illustration intéressante.

En l'espèce, une société avait acquis des wagons construits par un entrepreneur principal et dont le revêtement avait été réalisé par un sous-traitant. Ce revêtement s'est détérioré et l'acquéreur a agi contre l'entrepreneur principal. Le tribunal l'a débouté de sa demande, mais la cour d'appel a infirmé ce jugement et ordonné une nouvelle expertise. Après le dépôt du rapport d'expertise, l'acquéreur a assigné le sous-traitant, mais aussi le fabricant du revêtement en intervention forcée pour la première fois en appel. La cour d'appel a déclaré ces interventions irrecevables.

La question se posait de savoir si l'expertise sollicitée par la cour d'appel avait fait apparaître de nouvelles circonstances susceptibles de justifier une intervention forcée pour la première fois en appel. La Cour de cassation répond par la négative en considérant que "dès le début du litige, l'acquéreur des wagons avait invoqué des malfaçons du revêtement intérieur et mis en cause la qualité des produits utilisés et la pose de ces produits, la cour d'appel a retenu à bon droit que, dès cette époque, la responsabilité des sociétés Julien et Max Perles était susceptible d'être mise en cause et que la seconde expertise ne pouvait donc justifier leur intervention forcée pour la première fois en cause d'appel".

La solution est assez stricte. Selon la Cour de cassation, la responsabilité éventuelle du sous-traitant et du fabricant aurait dû conduire l'acquéreur à assigner devant le juge de première instance tous les auteurs potentiels du dommage sans attendre le résultat d'une expertise établissant avec plus de certitude les responsabilités.

Cette conception stricte de l'évolution du litige permet de limiter l'atteinte au double degré de juridiction, mais elle contraint le demandeur à ouvrir une nouvelle procédure contre ceux qui n'ont pu être appelés dans la première.

V - Nullité pour vice de forme d'un commandement d'avoir à libérer les locaux

  • Le défaut d'indication, dans le commandement, de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés constitue un vice de forme au sens de l'article 114 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L1950ADL) : Cass. civ. 2, 8 février 2007, n° 05-20.936, M. Jean-Louis Collin, FS-P+B (N° Lexbase : A9532DT9)

Dans cet arrêt d'espèce, un juge des référés avait ordonné l'expulsion de deux occupants sans titre d'un local à usage d'habitation. Conformément à l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L4664AH9), le délai de deux mois traditionnellement accordé aux occupants avant de quitter les lieux avait été supprimé par le juge. Un huissier avait alors signifié cette ordonnance aux occupants en délivrant commandement d'avoir à libérer les locaux "immédiatement et sans délai". Les occupants ont alors demandé au juge de l'exécution la nullité de l'acte d'huissier au motif que le commandement d'avoir à libérer des locaux doit contenir, à peine de nullité, l'indication de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés (article 194 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L9125AG3).

La cause de nullité textuelle était ici incontournable. Par la mention "immédiatement et sans délai", l'huissier avait entaché son acte d'un vice. Encore fallait-il savoir quelle était la nature de la nullité encourue.

La Cour de cassation répond clairement à cette question en affirmant que "le défaut d'indication, dans le commandement, de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés constitue un vice de forme". Cette précision est essentielle puisque les occupants qui sollicitaient la nullité du commandement devaient alors démontrer que le vice frappant l'acte leur avait causé un grief (NCPC, art. 114, al. 2). La Cour de cassation relève, au contraire, que les occupants sans titre "n'avaient été effectivement expulsés que plus de quinze jours après la signification du commandement d'avoir à libérer les locaux " et elle en déduit que " l'irrégularité n'avait pas causé de grief aux occupants".

Cet arrêt donne le sentiment que la mention du délai d'expulsion dans le commandement n'a pas pour finalité d'informer les occupants (en l'espèce, le délai de quinze jours n'était pas indiqué dans l'acte) mais plutôt de contraindre le propriétaire des lieux à accorder le délai qui a été précédemment retiré par le juge. L'article 194 du décret du 31 juillet 1992 contredirait ainsi la lettre de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991. Solution étrange pour un texte réglementaire qui est censé appliquer la loi et non la contredire.

Etienne Vergès,
Agrégé des facultés de droit,
Professeur à l'Université de Grenoble II


(1) Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 96-11.637, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A2196ACC), JCP éd. G, 1999, II, 10102.
(2) CEDH, 23 juin 1981, Req. 00006878/75, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique (N° Lexbase : A3823AU7), série A, n° 43.
(3) Cf. toutefois, J. Heron, Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, 3ème éd. Montchrestien, 2006, p. 696, note 138.
(4) Ass. plén. 30 juin 1995, n° 94-20.302, M. X c/ Conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (N° Lexbase : A5729CKE), Dalloz 1995, juris., p. 513.
(5) Par ex. Cass. civ. 1, 16 juin 1987, n° 85-17.200, Société de caution mutuelle des professions immobilières et foncières (SOCAF) c/ Société anonyme G et J Saulais, syndic des copropriétaires de l'immeuble sis à Paris, 104, boulevard Arago (N° Lexbase : A8301AAP), Bull. Civ. I, n° 196.

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, à compter de cette semaine, un nouveau rendez-vous en droit des assurances. Ainsi, chaque mois retrouvez une sélection de l'actualité en la matière effectuée par Véronique Nicolas, Professeur à la Faculté de droit de Nantes, et Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé). Au sommaire de ce panorama, seront ici abordés, dans une première partie, la loi du 19 février dernier, portant réforme de l'assurance de protection juridique et la sanction d'un assuré n'ayant pas satisfait à son obligation de déclaration du risque, et, enfin, l'étendue de l'obligation d'information à la charge de l'assureur ou du souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe. I - L'assurabilité du risque en matière de protection juridique : loi n° 2007-210, 19 février 2007, portant réforme de l'assurance de protection juridique (N° Lexbase : L4510HUL) ; Cass. civ. 2, 7 décembre 2006, n° 05-19.306, M. Lothar Meissner, FS-P+B (N° Lexbase : A8396DSR)

L'assurance de protection juridique a les honneurs de l'actualité législative. La loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l'assurance de protection juridique poursuit un triple objectif :

- En premier lieu, elle vient corriger certaines règles jugées défavorables aux assurés et comme telles "épinglées" par la Commission des clauses abusives (1). Il est, ainsi, créé un nouvel article L. 127-2-1 du Code des assurances, posant la définition d'un sinistre de protection juridique comme "le refus qui est opposé à une réclamation dont l'assuré est l'auteur ou le destinataire". Cette définition va permettre de lever toute ambiguïté quant au point de départ du délai de déclaration du sinistre, donc quant au moment où est acquise la déchéance conventionnelle du droit à garantie pour cause de déclaration tardive, régie par l'article L. 113-2 (N° Lexbase : L0061AAI) du même code. Dans le prolongement de cette idée, un nouvel article L. 127-2-2 est créé pour réputer non écrite toute clause de déchéance liée à des "consultations ou [...] actes de procédure réalisés avant la déclaration du sinistre". L'alinéa 2 précise, toutefois, que "ces consultations et ces actes ne sont pas pris en charge par l'assureur, sauf si l'assuré peut justifier d'une urgence à les avoir demandés". Les travaux parlementaires éclairent l'esprit de ce texte voulant sauvegarder la liberté pour l'assuré de s'adresser, s'il le souhaite, à un avocat ou à un huissier avant toute déclaration de sinistre à son assureur, à ses frais sauf à justifier d'une situation d'urgence (que le rapport de M. le député Etienne Blanc au nom de la commission des lois (2) illustre par l'hypothèse où l'assuré se constituerait partie civile dans une procédure de comparution immédiate), auquel cas ces frais seraient pris en charge par l'assureur.

- En deuxième lieu, elle entend mettre fin à certaines pratiques des assureurs dans la gestion "interne" des sinistres de protection juridique (c'est-à-dire par leurs juristes salariés), en accordant une place accrue aux avocats dont la présence est imposée, au nom d'un principe d'égalité (intellectuelle ?) des armes, dès la phase amiable lorsque l'adversaire de l'assuré est lui-même conseillé à ce stade liminaire par un avocat. Il n'est donc plus question de se satisfaire de la présence d'un avocat dans la seule phase contentieuse. Le rapport précité de M. Blanc justifie cette nouvelle règle, consignée dans un article L. 127-2-3, outre par ce principe d'égalité des armes, par les exigences déontologiques applicables aux avocats mais non aux juristes des sociétés d'assurance protection juridique et en soulignant que la mesure répond au souci d'apporter à l'assuré "la garantie d'un conseil impartial, indépendant des intérêts de l'assureur, là où le recours au juriste risque de protéger avant tout les intérêts de la société d'assurances ou de l'entreprise mutualiste qui l'emploie". Le Code des assurances comportait pourtant déjà des règles destinées à prévenir ou régler tout conflit d'intérêts (C. assur., art. L. 127-2 et s. N° Lexbase : L0117AAL et art. L. 322-2-3N° Lexbase : L0362AAN) : contrat distinct ou séparé (du reste des garanties d'un contrat multirisques) ; service distinct au sein de la compagnie d'assurance multibranches ou société spécialisée distincte de son éventuelle "société mère" ; recours à l'arbitrage en cas de divergence de vues entre l'assuré et l'assureur sur la suite à donner à un dossier. Toutes ces règles n'ont visiblement pas été jugées suffisantes... En outre, malgré l'affirmation d'un libre choix de son avocat par l'assuré (C. assur., art. L. 127-3 N° Lexbase : L0118AAM), les parlementaires ont entendu contrecarrer les pratiques des assureurs considérées comme contournant, dans les faits, le principe énoncé. Chacun sait que les assureurs de protection juridique ont constitué des "réseaux" d'avocats auprès desquels les honoraires sont négociés. Les assurés n'ayant pas de conseil attitré sont invités à solliciter un avocat "partenaire" pour assurer leur défense. Cette situation sert, a priori, l'intérêt de l'assuré en ce que la négociation des honoraires permet sans doute d'atteindre moins facilement le "plafond" de garantie. Cependant, cette pratique instaure une distinction entre avocats "dans le réseau" et ceux "hors réseau", qui peut être jugée attentatoire au principe de libre concurrence et à celui d'indépendance de l'avocat, pivot de la déontologie de cet auxiliaire de justice. La réforme consiste à insérer à l'article L. 127-3 un nouvel alinéa ainsi rédigé : "L'assureur ne peut proposer le nom d'un avocat à l'assuré sans demande écrite de sa part". Finies les démarches incitatives... Finies, également, les négociations d'honoraires entre assureur et avocat. Un nouvel article L. 127-5-1 dispose que "les honoraires de l'avocat sont déterminés entre ce dernier et son client, sans pouvoir faire l'objet d'un accord avec l'assureur de protection juridique".

- En troisième lieu, le législateur entend solliciter davantage l'assurance de protection juridique. En termes économiques, et pour une bonne gestion des deniers publics, rien n'est pire qu'une garantie d'assurance dont l'assuré s'ignore titulaire (en raison de son inclusion dans un contrat multirisques) et qui obtient une aide juridictionnelle (totale ou partielle). La loi du 19 février 2007 consacre donc un principe de subsidiarité de l'aide juridictionnelle, l'article 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE) étant modifié par ajout d'un alinéa aux termes duquel "l'aide juridictionnelle n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique ou d'un système de protection".

L'ensemble de ces mesures a provoqué une très vive réaction des assureurs qui, dans un communiqué de presse commun de la FFSA (Fédération française des sociétés d'assurance) et du GEMA (Groupement des mutuelles d'assurance) (3), estiment que la remise en cause de leur gestion de ces assurances, notamment par la présence de l'avocat dès la phase amiable et par la condamnation des interventions négociées des avocats, va se traduire nécessairement par une substantielle augmentation des primes d'assurance de protection juridique, "à des niveaux de prix inabordables pour une grande partie des assurés ; progressivement un engorgement des tribunaux avec des affaires de faibles montants, que les assureurs ne pourront plus régler eux-mêmes ; à plus long terme, la disparition de l'assurance de protection juridique dans notre pays et par conséquent un recul de la possibilité offerte au plus grand nombre d'accéder au droit à des conditions peu onéreuses". Le message est clair : la réforme servirait davantage les intérêts des avocats que ceux des consommateurs (et professionnels), le souci de promouvoir une meilleure protection des assurés serait contre-productif sur un plan économique. Bel exercice d'analyse économique du droit... Reste à apprécier si la présence d'un avocat dès la phase amiable, jugée plus coûteuse que le règlement du dossier par un salarié de la compagnie d'assurance, ne sera pas d'une plus grande efficacité. La réforme aurait un coût, mais ce serait le prix à payer pour un accès au droit plus qualitatif. La FFSA et le GEMA dénient implicitement cet argument en vantant l'efficacité de leurs services dans le règlement amiable des dossiers : "les assureurs de protection juridique reçoivent chaque année 300 000 dossiers, leurs services réussissent à en régler 70 % à l'amiable, et prennent en charge financièrement plus de 80 000 procédures devant les tribunaux pour lesquelles des avocats sont sollicités". Dans ce contexte, quel sera l'avenir de l'assurance de protection juridique ?

Les travaux parlementaires, s'appuyant sur un ouvrage de référence (4), ont souligné l'importance croissante de cette assurance. Les statistiques sont à cet égard révélatrices : "Avec une progression annuelle des cotisations de plus de 8 % depuis cinq ans, l'assurance de protection juridique connaît un développement important. Elle couvre plus d'un milliard d'euros, dont 95 % sont gérés par des sociétés d'assurances, et 5 % par des entreprises mutualistes. 45 % des ménages français ont souscrit un contrat, contre 35 % en 1995" (5). La progression ne va-t-elle être stoppée nette par la réforme ? A notre sens, les fruits de la réforme dépendront de l'attitude des avocats. S'ils font "exploser" les coûts pour les assureurs, ceux-ci réagiront en augmentant les primes et/ou en abaissant les plafonds de garantie, d'où un surcoût pour l'assuré devant régler (s'il est en capacité de le faire...) le surplus à son avocat (qui trop embrasse, mal étreint !). Si le transfert s'opère à un coût raisonnable, les seules "victimes" seront les juristes salariés des compagnies d'assurance, qui devront se "reclasser" en postulant dans les cabinets d'avocats...

Ce contexte législatif mouvementé ne doit pas occulter le travail jurisprudentiel qui oeuvre à préciser les règles qui régissent le contrat d'assurance de protection juridique. A cet égard, l'arrêt du 7 décembre 2006 souligne le rôle des délais de carence, filtres utiles pour maintenir au contrat son caractère aléatoire, donc l'assurabilité du risque. Cette technique est utilisée par le législateur lui-même qui, en matière d'assurance en cas de décès, prévoit l'inassurabilité temporaire du suicide de l'assuré (cf. délai d'un an mentionné à l'article L. 132-7, al. 1er N° Lexbase : L9842HEA ; toutefois, les alinéas 3 et 4 de ce même article impliquent la couverture du risque dès la souscription du contrat pour les contrats groupe "emprunteurs" souscrits par les établissements de crédit et destinés à financer l'acquisition du logement principal de l'assuré dans la limite d'un plafond légal). Les assureurs usent également de ce procédé, en complément des franchises "pécuniaires". Le délai de carence, délai conventionnel de non-assurance en cas de survenance du risque au cours dudit délai, joue ainsi le rôle d'une "franchise temporelle". Ce type de clauses est particulièrement nécessaire en matière de protection juridique. Il faut, ici, prévenir l'hypothèse où un assuré (malhonnête) s'assurerait pour un risque qu'il sait déjà réalisé, hypothèse qu'on ne confondra pas avec celle du risque dit "putatif", risque "en l'aléa duquel les parties ont cru de bonne foi" alors qu'objectivement il était déjà réalisé, qui demeure "assurable", encore qu'on ait vu des juges du fond user du pouvoir que leur a octroyé la Cour de cassation d'analyser souverainement l'aléa du contrat d'assurance pour s'y opposer... (6). En l'espèce, le contrat litigieux stipulait que, "en protection exploitation, l'existence du différend porté en justice, ne doit pas avoir été connue par l'assuré avant la date d'effet de l'adhésion de l'entreprise, et la première convocation en justice y afférent doit avoir été reçue au moins soixante jours après la souscription du contrat". Les conditions particulières de cette garantie spécifique au sein du contrat d'assurance de protection juridique litigieux reposent donc sur une double condition : outre l'ignorance de l'existence d'un différent antérieur à la conclusion du contrat, est insérée une condition en forme de délai de carence : pour constituer un sinistre couvert, il faut vérifier que le fait générateur du sinistre, consistant en "la remise d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire révélant l'engagement des poursuites [ne soit pas] intervenu moins de soixante jours après la souscription du contrat". Or, le tribunal de commerce saisi en premier et dernier ressort avait hâtivement conclu à l'absence d'assurance, retenant "que le litige opposant M. X... et la société Ost est antérieur à la date de signature du contrat avec la société Judicial ; qu'en matière d'assurance, il ne peut être pris en charge un sinistre antérieur à la prise d'effet du contrat". Passons brièvement sur l'affirmation selon laquelle "en matière d'assurance, il ne peut être pris en charge un sinistre antérieur à la prise d'effet du contrat", formule qui se veut la traduction de "l'aléa est l'essence du contrat d'assurance" impliquant la nullité d'un contrat d'assurance dépourvu d'aléa. Mais on n'oubliera pas que c'est une nullité relative qui s'est imposée ici en jurisprudence (7), donc que rien n'empêche, le cas échéant, l'assureur de ne pas soulever le bénéfice d'une telle nullité, ce qui peut avoir des conséquences pour des tiers responsables de dommages causés antérieurement à la conclusion du contrat mais couverts en conscience par l'assureur (une sorte de clause de reprise du passé connu !) contre lesquels l'assureur agirait par voie subrogatoire, ces tiers ne pouvant exciper de la nullité du contrat (8) !

L'essentiel réside ici dans l'énoncé de l'antériorité du sinistre par rapport à la conclusion du contrat avec l'assureur. Mais la solution n'est en rien motivée, le tribunal de commerce ne prenant la peine de démontrer ni la connaissance par l'assuré du litige avant "la date d'effet de l'adhésion au contrat" ni l'existence d'un acte introductif d'instance délivré pendant le délai de carence ou, a fortiori, antérieur à la formation du contrat... La cassation pour manque de base légale semblait toute offerte, mais les Hauts magistrats y voient plus, censurant aux motifs d'une violation des articles L. 127-1 du Code des assurances et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). C'est vraisemblablement parce qu'une assignation avait été délivrée postérieurement au délai de carence... Et c'est donc bien juger qu'opérer par censure, car dès lors que ce trouve remplie cette condition liée au respect du délai de carence, elle renforce la présomption d'ignorance par l'assuré de tout litige antérieur à la conclusion du contrat, supposant, pour renverser cette présomption, la démonstration d'une véritable collusion entre l'assuré et le tiers, qui se seraient entendus pour retarder le déclenchement de toute procédure à la prise d'effet de la garantie. La carence n'était donc pas que dans le délai, elle gisait ici dans la motivation des juges du fond, impropre à satisfaire aux exigences des conditions particulières du contrat non plus qu'à celles de la logique !

Sébastien Beaugendre,
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes,
membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)

II - Pas de pitié pour l'assureur n'ayant pas élaboré un questionnaire complet et précis : Cass. civ. 2, 15 février 2007, n° 05-20.865, M. Gérald Attia, FS-P+B (N° Lexbase : A2138DUQ)

Les arrêts sanctionnant l'assuré pour ne pas avoir satisfait son obligation de déclaration du risque sont, hélas, légion devant les premiers juges. Le constat atteste de la véracité des statistiques, notamment de celles de l'agence ALFA (Agence de Lutte contre la Fraude à l'Assurance), démontrant que la fraude à l'assurance n'est pas en voie de régression, loin sans faut. Mais s'agissant de questions de faits relevant du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, il est logique que la Cour de cassation ait moins l'occasion d'avoir à connaître de ce type de contentieux. De plus, cette situation pourrait provenir du fait que les assureurs ne sollicitent plus autant qu'autrefois -tout au moins dans certaines branches d'assurance- que l'assuré remplisse un questionnaire détaillé. Pourtant, la Cour suprême demeure, assez souvent, conduite à trancher ce type de litige et contrainte à répéter des principes et règles acquises, ce qui explique qu'elle ne juge pas bon de publier cette masse de décisions répétitives.

Dernièrement, elle a, cependant, décidé d'assurer une publicité à un arrêt sans concession vis-à-vis de l'assureur, conformément à la lettre et l'esprit de la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1009 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D) sur ce point : l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 février 2007. Celui-ci présente un double intérêt : il est l'occasion de réaffirmer ce que la Cour de cassation a décidé depuis longtemps sans qu'elle le réitère sans cesse ; mais il se situe aussi dans un contexte peu fréquent. En effet, les sanctions ou absence de sanctions pour fausse déclaration intentionnelle sont nombreuses en assurances de dommages, avec les "oublis" de déclarer que le fils jeune conducteur n'est pas un conducteur occasionnel, mais en réalité principal, ou pire, que le véhicule assuré n'est pas une vieille guimbarde de quatre chevaux, mais une superbe automobile rutilante dont le nombre de chevaux dépassent amplement le nombre de doigts des deux mains... Il ne s'agissait pas non plus, en assurances de personnes, de ces déclarations où l'assuré ne se souvient plus qu'il est atteint, depuis des années, d'une pathologie lourde...

Le cadre de l'arrêt concernait un contrat de placement de sommes d'argent, dans le cadre de l'un de ces contrats d'assurance vie tels qu'ils fourmillent aujourd'hui. En effet, en mars 2000, deux personnes physiques, messieurs A. et S. donnent à une société de gestion de portefeuilles mandat de gérer une partie de leur patrimoine. Constatant, par recoupement, que les relevés de compte qu'ils recevaient présentaient des anomalies, ils demandent à leur mandataire des explications qu'il est incapable de leur fournir. Ils exigent alors de cette société de gestion de portefeuille qu'elle leur restitue les sommes versées, ce qu'elle ne peut faire. Elle reconnaît même, par courrier d'octobre 2002, que les sommes correspondantes ne sont pas disponibles sur les comptes ouverts par les dépositaires. Assignée en paiement, la société est placée en redressement judiciaire en mars 2003. Or, entre temps, elle avait conclu un contrat d'assurance de responsabilité professionnelle avec Axa. Par conséquent, n'ayant visiblement pas récupéré l'intégralité de leurs créances, messieurs A. et S. assignent Axa en paiement.

La cour d'appel, non seulement, ne fait pas droit à leur requête, mais elle prononce la nullité du contrat d'assurance souscrit par la société de gestion de portefeuille. Elle constate que la conclusion du contrat d'assurance est intervenue en avril 2001, avec effet d'ailleurs rétroactif en mars 2001, alors que la société avait déjà été informée de l'action engagée à son encontre par le conseil de discipline de la Commission des opérations de bourse. Or, l'entreprise s'était bien gardée d'informer l'assureur de cette situation. La cour d'appel de Paris en déduit qu'en s'abstenant de communiquer une information aussi capitale, la société avait agi de manière délibérée, dans le but de tromper l'assureur. En droit civil, son attitude se serait analysée en un dol par réticence sanctionné par la jurisprudence au moyen de la nullité. En droit des assurances, l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM) permet de parvenir à la même solution. Utilisé par la cour d'appel, la Cour de cassation reprend le texte du Code des assurances dans son visa, mais pour en faire une autre utilisation, c'est-à-dire pour en démontrer les limites.

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel parce que l'assureur ne peut pas prétendre à la mise en oeuvre de ce texte, corollaire de la règle énoncée par l'article L. 113-2, 2° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI). Ce dernier énonce que l'assuré "est obligé de répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge". Mais, derrière cette formulation qui apparaît stricte à l'égard de l'assuré, est à peine dissimulée, si l'on raisonne a contrario, une disposition rigoureuse vis-à-vis de l'assureur. En effet, il incombe à ce dernier de poser les questions qui lui semblent fondamentales pour apprécier le risque qu'il envisage d'accepter d'assumer. S'il ne le fait pas, il ne peut ensuite se plaindre de quoi que ce soit. Telle est la leçon à retirer de cet arrêt.

La solution peut apparaître drastique ; elle s'inscrit pourtant dans l'objectif poursuivi par la réforme de la loi du 31 décembre 1989. Chacun sait que ce texte a voulu substituer aux déclarations spontanées des assurés qui étaient exigées des assureurs, un système dit de déclaration encadrée. Avant cette réforme, il appartenait à l'assuré d'estimer quelles informations pouvaient être utiles à l'assureur. Il devait deviner, en quelque sorte, les éléments qui seraient importants pour l'assureur de connaître. Or, l'assuré n'étant pas, le plus souvent, un juriste et encore moins un spécialiste de la matière dans ses enjeux techniques, il lui était difficile de remplir son obligation de manière satisfaisante. Chacun se souvient aussi que le législateur avait effectué ce constat qu'il était tout aussi délicat de déceler l'assuré de bonne foi, ignorant ces considérations, de celui qui, au contraire, avait volontairement caché une donnée essentielle. Par conséquent, la loi avait imposé et impose toujours à l'assureur d'élaborer, en termes clairs et précis, le questionnaire auquel l'assureur soumet l'assuré.

L'inconvénient du système, tout le monde l'a bien compris, est qu'appliqué à la lettre, il peut interdire à l'assureur de soulever une dissimulation quelconque de la part de son assuré s'il a omis de lui poser une question directe sur le point faisant débat. En l'espèce, il n'avait pas demandé à la société de gestion si elle avait déjà fait l'objet d'une action quelconque par la Commission des opérations de bourse. Là où le bât blesse aussi, c'est que de telles décisions ne peuvent qu'inciter les assureurs à constituer des questionnaires d'une longueur infinie afin d'être certains de n'omettre aucune donnée. Les assurés se plaindront, ensuite, de devoir remplir des pages et des pages de questions plus indiscrètes ou tout au moins introspectives les unes que les autres, encore que des limites légales existent.

L'objectif, ici aussi, fut sans doute de protéger ainsi les véritables victimes des circonstances de fait, à savoir les deux dépositaires de primes élevées en vue de leur placement. Mais, il constitue l'occasion, pour la Cour de cassation, de rappeler les rigueurs de la règle de l'article L. 113-2, 2° du Code des assurances à l'égard de l'assureur lui-même. Le droit spécial disposant de sa règle spéciale avec la sanction correspondante, n'est pas le droit commun où il suffit de démontrer l'existence de manoeuvres, d'une réticence dolosive, bref d'un dol. Pour autant, il est des informations dont l'importance pour l'assureur ne peut échapper à quiconque. En l'espèce, qu'une entreprise puisse taire la situation dans laquelle est se trouvait laisse quelque peu songeur, pour employer un euphémisme. Nul doute que dans d'autres circonstances que celles de la disparition de l'entreprise dans le cas présent, l'assureur, après avoir été tenu du sinistre considéré, aurait procédé à la résiliation du contrat d'assurance dans les plus brefs délais.

Véronique Nicolas,
Professeur à la Faculté de droit de Nantes

III - Nouveaux refus de sanctionner la prétendue absence d'obligation d'information de l'assureur envers l'assuré : Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 05-19.700, M. Liberto Lopez, FS-P+B (N° Lexbase : A6827DTZ)

L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 janvier 2007, s'il n'est pas en lui-même juridiquement complexe, présente l'intérêt de s'inscrire dans le sens d'un infléchissement -que l'on semble pouvoir détecter- vers moins de sévérité à l'égard de l'étendue de l'obligation d'information à la charge de l'assureur ou du souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe.

L'évolution est trop récente et timide pour qu'il puisse en être tiré des conclusions définitives. Toutefois, il est permis de se demander si la Cour de cassation ne commence pas à être confrontée à des pratiques de plus en plus fréquentes de la part des assurés qui se prétendent mal informés alors qu'ils disposaient des moyens ou éléments pour l'être. En d'autres termes, le prononcé de sanction pour non-respect de l'obligation d'information de l'assureur envers l'assuré n'est pas sans limites.

Dans cet arrêt les faits ne sont pas en eux-mêmes originaux. Un chef d'entreprise a souscrit plusieurs contrats d'assurance de groupe décès-invalidité pour garantir trois prêts. Mais, comme très souvent également, les contrats d'assurance ne sont pas identiques : deux comportent une garantie de base, le troisième comprend, lui, en plus, une assurance incapacité de travail. Postérieurement à la conclusion de ces contrats, le chef d'entreprise est placé en invalidité de deuxième catégorie. L'assureur accepte alors de prendre en charge l'un des prêts accordés, mais non les deux autres. L'assuré conteste la décision.

Les arguments développés, pour classiques qu'ils étaient, n'en paraissaient pas moins a priori justes et fondés. Ainsi, l'assuré rappelait que la banque, souscripteur du contrat d'assurance de groupe, est tenue d'une obligation d'information et de conseil qui ne s'achève pas avec la remise de la notice. Les décisions rappelant cette règle sont nombreuses. Parmi les dernières figure l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 5 juillet 2006 (9). L'assuré prétendait aussi que la banque avait créé une apparence trompeuse de garantie plus étendue qu'elle ne l'était en réalité, formule jurisprudentielle bien connue également (10). Il convient d'ajouter que le montant des cotisations d'assurance sollicitées par la banque, souscripteur du contrat d'assurance de groupe, étaient plus élevés que ceux indiqués dans la notice explicative d'assurance. Néanmoins, le tort de l'assuré fut de n'effectuer une déclaration de sinistre que pour le prêt faisant l'objet de la garantie la plus étendue, sans viser les autres contrats.

La Cour de cassation refuse, tout d'abord, de considérer que l'existence de contrats d'assurance dont l'étendue des garanties n'était pas le même résultait d'une erreur de la banque. En effet, il faut reconnaître qu'il n'est pas rare, en pratique, de rencontrer de telles hypothèses, voulues par les assurés eux-mêmes, surtout pour des prêts de plus modestes montants, et ce dans le but de payer un montant de cotisations moins élevé. Ensuite, la Cour suprême relève que les garanties apparaissaient toutes clairement l'une après l'autre, et que notamment figurait en gros caractères la mention claire et précise que l'assurance emprunteur comprenait une garantie de base et des garanties complémentaires. Or, ces éléments d'information étaient mentionnés dans l'extrait des conditions générales dont l'assuré reconnaissait avoir eu connaissance. Surtout, la Cour de cassation déduit de l'unique déclaration de sinistre de l'assuré qu'il avait parfaitement compris que seul l'un des contrats comportait la garantie complémentaire.

Pour conclure, deux remarques s'imposent.

D'une part, la Cour de cassation semble moins favorable au prononcé systématique de sanctions pour mauvaise information ou conseil de la part de l'assureur ou du souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe. Une évolution semble s'amorcer depuis quelques arrêts en droit des assurances de personnes tout au moins. Ainsi, dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 5 juillet 2006 (11), la Cour de cassation refuse de faire droit à une femme qui, après s'être fait verser, par son employeur, 8 millions de francs (environ 1 219 592 euros) sur un contrat d'assurance vie ayant été requalifié de donation indirecte, prétendait ne pas avoir reçu une information suffisante de la part de l'assureur sur les conséquences fiscales du contrat. Selon la Cour suprême, l'obligation de l'assureur ne peut pas s'étendre à des circonstances qui excèdent le cadre de l'opération d'assurance qu'il propose. Une solution proche vient également d'être adoptée dans un arrêt en date du 21 décembre 2006 (Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 05-13.634, F-D N° Lexbase : A0897DTE).

D'autre part, et quoique l'on en puisse en penser, on ne peut que constater combien la Cour de cassation demeure attachée au respect d'un certain formalisme. Tant que les exigences formelles d'information de l'assuré ont été respectées, aucune sanction n'a lieu d'être. Pour autant, on ne prétendra pas non plus que celle-ci n'est pas sensible aux caractéristiques de la personne de l'assuré. Ce dernier, chef d'entreprise est peut-être moins l'objet d'attention, fut-elle modeste et réduite, de la part des magistrats. Loin d'être le profane absolu, incapable de lire et comprendre un contrat, il dispose des moyens intellectuels pour mesurer la portée et les limites des engagements pris par son cocontractant. L'examen d'autres arrêts ultérieurs pourra confirmer ou infirmer cette impression peut-être excessive.

Véronique Nicolas,
Professeur à la Faculté de droit de Nantes


(1) Cf. recommandation n° 02-03 du 21 février 2002 relative aux contrats d'assurance de protection juridique, BOCCRF du 30 mai 2002.
(2)Rapport n° 3661.
(3) Là-dessus, cf. les divers documents mis en ligne sur le site internet de la FFSA.
(4) Bernard Cerveau, L'assurance de protection juridique, Eyrolles, 2006.
(5) Rapport de M. Etienne Blanc, précité.
(6) Là-dessus, cf. J. Kullmann, obs. sous Cass. civ. 1, 7 juin 2001, n° 98-21.477, M. Marc Plotton c/ Compagnie Rhin et Moselle assurances françaises (N° Lexbase : A5321ATA), RGDA 2001, p. 675 ; cf. toutefois, pour la "reprise en main" du contrôle notionnel de l'aléa, cf. Cass. civ. 1, 4 novembre 2003, n° 01-14.942, Société Azur assurances c/ syndicat des copropriétaires l'Acropole I - II, F-P+B (N° Lexbase : A0644DA4), Bull. Civ. I, n° 175 ; JCP éd. G, 2004, I, 137.
(7) Depuis Cass. civ. 1, 9 novembre 1999, n° 97-16.306, Groupement français d'assurances et autre c/ compagnie Auxiliaire et autres (N° Lexbase : A5219AW9), Resp. civ. et ass. 2000, Chronique n° 2, obs. H. Groutel.
(8) C'était rigoureusement la situation jugée dans l'arrêt précité du 9 novembre 1999.
(9) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-12.603, n° 05-12.603, M. Gilbert Amour, FS-P+B (N° Lexbase : A3749DQW), Bull. civ. II, n° 184, p. 176 ; voir également : Cass. civ. 2, 15 décembre 2005, n° 04-13.896, n° 04-13.896, M. Alain Prechal c/ Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), FS-P+B (N° Lexbase : A9983DLC), Bull. civ. II, n° 325, p. 286 ; Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, n° 03-17.199, Société générale c/ Mme Denise Lebouchard, épouse Flauraud, FS-P+B (N° Lexbase : A0232DGP), Bull. civ. II, n° 4, p. 3 ; Cass. civ. 2, 3 juin 2004, n° 03-13.896 (N° Lexbase : A4405DUP), Bull. civ. II, n° 261, p. 221 ; Cass. civ. 1 19 décembre 2000, n° 98-15.101, Epoux X c/ Banque nationale de Paris (N° Lexbase : A2100AIM), Bull. civ. I, n° 325, p. 211 ; Cass. civ. 1, 2 février 1994, n° 91-12.251, Banque populaire du Nord c/ Consorts Baudet et autre (N° Lexbase : A5722AHE), Bull. civ. I, n° 39, p. 31.
(10) Voir, notamment, Cass. civ. 2, 13 janvier 2005, précité.
(11) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-13.580, Mme Bernadette Pajak, FS-P+B (N° Lexbase : A3757DQ9), Bull. civ. II, n° 183, p.175.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] La perte d'un profit illicite ne constitue pas un préjudice réparable

Réf. : Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 06-10.131, Société Le Casino de Trouville-sur-Mer, F-P+B (N° Lexbase : A3018DUC)

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N2990BAY

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Le 07 Octobre 2010

Quel que soit le fait générateur de responsabilité, la faute, le fait de la chose, le fait d'autrui..., il existe un certain nombre de conditions communes aux différents types de responsabilité, conditions qui doivent être satisfaites pour que la responsabilité puisse être mise en oeuvre. Ainsi exige-t-on que la victime ait souffert d'un dommage, et que ce dommage ait été causé par un fait générateur de responsabilité. A supposer qu'on laisse, ici, de côté la condition tenant au lien de causalité entre le fait générateur et le dommage, et que l'on s'en tienne à la seule exigence du dommage, il faut tout de même préciser que tous les dommages ne sont pas réparables. D'abord, en effet, il existe un certain nombre de dommages qui ne sont pas considérés comme des dommages juridiquement réparables : ainsi en est-il, par exemple, du dommage causé par une concurrence loyale ou du trouble normal causé du voisinage. Et l'on n'ignore pas, sur ce terrain toujours, que la jurisprudence a eu l'occasion de décider que l'existence de l'enfant qu'elle a conçu ne peut, à elle seule, constituer pour sa mère un préjudice juridiquement réparable, même si la naissance est survenue après une intervention pratiquée sans succès en vue de l'interruption de la grossesse (1). A ces considérations s'ajoute, ensuite, le fait que, quand bien même le dommage serait juridiquement réparable, il faut tout de même, pour qu'il puisse être effectivement réparé, qu'il présente certains caractères : le dommage doit, en effet, être certain, direct et légitime (2). A s'en tenir ici au caractère légitime du dommage, on s'est ainsi demandé si la victime en situation indigne ou en situation illicite peut prétendre à l'indemnisation de son dommage ? C'est à cette interrogation (3) que vient, à nouveau, répondre un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 février 2007, à paraître au Bulletin, confirmant un important arrêt de la même deuxième chambre civile du 24 janvier 2002, que la Haute juridiction avait alors entendu très largement diffusé (publié au Bulletin, reproduit sur son site internet, et figurant dans son Rapport annuel pour l'année 2002), et que l'on avait, pour notre part, signalé ici même en son temps (4).

En l'espèce, un joueur interdit de jeux avait, tout de même, continué à fréquenter les casinos, en l'occurrence spécialement le casino de Trouville-sur-mer, et avait gagné une somme importante en jouant aux machines à sous. Or, alors qu'il tentait d'encaisser cette somme par l'intermédiaire d'un tiers, le casino, s'apercevant de cette manoeuvre, avait refusé de lui payer ses gains. Ainsi avait-il assigné la société du Casino de Trouville-sur-mer en paiement d'une certaine somme à titre de dommages et intérêts, demande qui avait été accueillie par une juridiction de proximité au motif que le casino, en ne faisant pas respecter l'obligation d'interdiction de jeux qui pesait sur l'intéressé, avait commis une faute. C'est cette décision que casse la deuxième chambre civile par l'arrêt du 22 février dernier, affirmant, sous le visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), "qu'une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci sont licites" : selon la Cour de cassation, "le contrat de jeu liant le [demandeur] à la société de casino étant nul", celui-ci devait être débouté de sa demande de paiement de son gain. Si l'on suppose, en effet, que le contrat de jeu entre les parties était nul, notamment pour cause illicite, la question était directement posée à la Cour de cassation de savoir si la perte d'un profit illicite pouvait donner lieu à une action en responsabilité et ainsi ouvrir droit à réparation.

On sait que la notion d'"intérêt juridiquement protégé" a parfois été utilisée pour limiter le domaine du droit à réparation en opposant une fin de non-recevoir à certaines victimes dont l'indemnisation apparaissait indésirable. L'article 31 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2514ADH), aux termes duquel "l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention", a paru conforter cette logique. En ce sens, l'arrêt pourrait paraître bien classique.

Il prend tout de même un certain relief une fois observé que la jurisprudence a paru progressivement assouplir cette exigence, au point d'ailleurs qu'on enseigne généralement qu'il est désormais rare que l'illégitimité de l'intérêt auquel il est porté atteinte fasse échouer l'action en responsabilité civile (5°). C'est dire que l'affirmation selon laquelle "une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci sont licites" est importante. Elle l'est d'autant plus que, en dehors de la seule question de l'abandon d'une jurisprudence ancienne et exagérément rigoureuse et conservatrice refusant à la concubine le droit à réparation du préjudice par ricochet souffert du fait du décès de son concubin, la jurisprudence a semblé très prudente dans le maniement de cette cause d'irrecevabilité de la demande en réparation que constitue l'indignité de la victime ou l'illicéité de la situation dans laquelle elle se trouve. Ainsi, le fait qu'un passager victime d'un accident de transport ne dispose pas d'un titre de transport régulier ne lui retire pas, a-t-il été jugé, le droit d'agir en réparation de son dommage corporel (6), mais influe seulement sur la nature de la responsabilité recherchée, délictuelle et non plus contractuelle en l'occurrence. De même a-t-on considéré que la victime d'un accident de la circulation n'est pas privée de son droit indemnisation parce qu'elle a volé le véhicule qu'elle pilotait au moment de l'accident (7). Du reste, c'est par cet arrêt que la Haute juridiction a affirmé que l'adage Nemo auditur propriam turpitudinum allegans était étranger aux règles de la responsabilité délictuelle, consacrant ainsi la thèse soutenue par M. Ph. Le Tourneau selon qui "cet adage n'a aucun rôle à jouer en matière de responsabilité civile" et "n'entre pas en ligne de compte pour permettre ou refuser à une partie d'agir en responsabilité", la participation de la victime à l'activité illicite devant être traitée comme une simple faute de sa part, c'est-à-dire comme une cause d'exonération partielle ou éventuellement totale, mais non comme une cause d'irrecevabilité de la demande (8).

Faut-il, dans ces conditions, voir dans l'arrêt commenté, et dans celui qu'elle confirme nettement, en l'occurrence celui du 24 janvier 2002, le signe d'un revirement ?

Une telle interprétation nous paraît devoir être écartée dans la mesure où, à bien examiner la jurisprudence, il semble qu'il faille distinguer selon qu'est en cause la réparation d'un préjudice matériel ou économique ou la réparation d'un préjudice corporel. S'agissant, en effet, de la réparation du premier, contrairement au second, la jurisprudence paraît, depuis longtemps, sévère : alors, en effet, qu'elle semble globalement se montrer assez indifférente à l'indignité de la victime lorsqu'il s'agit de réparer son dommage corporel, elle a tout de même paru en tenir compte pour écarter les demandes tendant à la réparation d'un préjudice matériel (9). C'est à ce courant que se rattachent les arrêts du 24 janvier 2002 et du 22 février 2007. Il resterait alors, si cette analyse est effectivement la bonne, à se demander s'il est véritablement cohérent et justifié de distinguer selon le type de dommage...

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 1, 25 juin 1991, n° 89-18.617, Mlle X c/ M. Picard (N° Lexbase : A4630ACH), D. 1991, p. 566, note Ph. Le Tourneau, RTDCiv. 1991, p. 753, obs. P. Jourdain. Sur la question de la naissance avec un handicap dû à une faute médicale, voir désormais la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, art. 1er (N° Lexbase : L1457AXA).
(2) Voir not., pour une présentation générale, F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd. 2005, n° 698 et s..
(3) Sur laquelle voir not. P. Jourdain, La victime indigne ou ne situation illicite peut-elle encore prétendre à l'indemnisation de son dommage ?, RTDCiv. 1994, p. 115.
(4) Cass. civ. 2, 24 janvier 2002, n° 99-16.576, Mutuelle assurance artisanale de France c/ Mlle Léonore Lima, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A8202AX3), Bull. civ. II, n°5, D. 2002, p. 2559, note D. Mazeaud, Rép. Defrénois 2002, p. 786, obs. R. Libchaber, et nos observations, La victime indigne ou en situation illicite peut-elle prétendre à l'indemnisation de son dommage ?, Lexbase Hebdo n° 36 du 29 août 2002 - édition affaires (N° Lexbase : N3797AAU).
(5) Voir, sous la direction de J. Ghestin, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, 2ème éd., par G. Viney et P. Jourdain, LGDJ, 1998, n° 271.
(6) Cass. civ. 2, 19 février 1992, n° 90-19.237, M. Ounnoughi c/ SNCF (N° Lexbase : A5544AHS), Bull. civ. II, n° 54, JCP éd. G, 1993, II, n° 22170, note G. Casile-Hugues.
(7) Cass. civ. 1, 17 novembre 1993, n° 91-15.867, Compagnie Groupe Drouot c/ Monsieur Rumeau et autres (N° Lexbase : A5283ABB), Bull. civ. I, n° 326, RTD civ. 1994, p. 115.
(8) Ph. Le Tourneau, La règle Nemo auditur..., LGDJ, 1970, n° 47.
(9) Voir notamment, Cass. civ. 2, 30 janvier 1959, Bull. civ. II, n° 116 ; Cass. civ. 2, 11 novembre 1959, Bull. civ. II, n° 754 ; CA Aix-en-Provence, 24 octobre 1974 et Cass. com., 22 juin 1976, n° 75-11.706, Pelletier c/ Boucher (N° Lexbase : A7136AGE), JCP éd. G, 1977, II, n° 18700, note J.-J. Burst ; Cass. civ. 2ème, 27 mai 1999, n° 97-19.234, Société Janca c/ Union des assurances de Paris (UAP)et autre (N° Lexbase : A3483AUK), Bull. civ. II, n° 105, JCP éd. G, 2000, I, n° 197, n° 4, obs. G. Viney, RTD civ. 1999, p. 637, obs. P. Jourdain.

newsid:272990

Sécurité sociale

[Jurisprudence] Le régime des accidents du travail - maladies professionnelles exclut l'action en réparation de droit commun

Réf. : Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-11.811, Mutuelle assurance des instituteurs de France (Maif), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2841DUR)

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N2991BAZ

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Le 07 Octobre 2010

Par son arrêt rendu le 22 février 2007, la Cour de cassation confirme la force et l'étendue du principe posé par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4467ADS), selon lequel aucune action en réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun. L'interdiction recouvre les actions fondées sur les articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil, ainsi que sur l'article 1384, alinéa 1er (N° Lexbase : L1490ABS). Le domaine de la réparation fondée sur le droit commun est, ainsi, étroitement délimité et défini par les textes : l'action en réparation peut être fondée sur le droit commun lorsque l'accident est la conséquence d'une faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés (CSS, art. L. 452-5 N° Lexbase : L5304ADS), de la faute d'un tiers (CSS, art. L. 454-1 N° Lexbase : L9367HEN) ; mais, également, lorsque l'accident est un accident de trajet causé par une personne appartenant à la même entreprise que la victime (CSS, art. L. 455-1 N° Lexbase : L5305ADT) ou un accident de la circulation causé par une personne appartenant à la même entreprise que la victime sur une voie ouverte à la circulation publique (CSS, art. L. 455-1-1 N° Lexbase : L5306ADU). Cette stricte délimitation entre régime spécial de réparation (au titre de la législation sur les accidents de la circulation), qui constitue le droit commun, et application résiduelle du droit des obligations (C. civ., art. 1382 et s.) a fondé ce que l'on a désigné sous le vocable de "compromis historique". L'arrêt rapporté pose à nouveau la question de la pertinence et de l'actualité du compromis issu de la loi du 9 avril 1898, instituant un régime de réparation des accidents du travail dérogatoire au droit commun, alors que, désormais, la responsabilité civile de droit commun est plus aisée à établir et la réparation, plus avantageuse (1).
Résumé

Aucune action en réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun contre l'employeur par la victime ou ses ayants droit.

Décision

Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-11.811, Mutuelle assurance des instituteurs de France (Maif), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2841DUR)

Cassation (CA Rouen, 1ère chambre, 8 décembre 2004)

Textes visés : CSS, art. L. 451-1 (N° Lexbase : L4467ADS) ; CSS, art. L. 454-1 (N° Lexbase : L9367HEN).

Mots-clefs : accident du travail ; maladie professionnelle ; réparation de droit commun.

Liens bases : (N° Lexbase : E5443ACL) ; .

Faits

1. Mme Poilly, salariée de l'association "Les Papillons blancs", a été victime d'un accident du travail causé par l'un des pensionnaires de celle-ci.

2. La caisse primaire d'assurance maladie, ayant pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle, a assigné l'association devant un tribunal d'instance en remboursement des sommes par elle versées, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; Mme Poilly a sollicité devant la même juridiction l'indemnisation de son préjudice moral.

3. Pour accueillir ces demandes, la cour d'appel de Rouen (8 décembre 2004, 1ère chambre) retient que l'accident a été causé par un tiers, et que l'association n'est pas assignée en qualité d'employeur, mais en qualité de civilement responsable du pensionnaire qu'elle avait sous sa surveillance.

4. Pourvoi formé par la Mutuelle assurance des instituteurs de France (Maif) et l'association "Les Papillons blancs".

5. Cassation.

Solution

La caisse primaire d'assurance maladie, ayant pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle, ne peut assigner l'association devant un tribunal d'instance en remboursement des sommes par elle versées, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, pas plus que Mme Poilly ne peut solliciter, devant la même juridiction, l'indemnisation de son préjudice moral, parce qu'aucune action en réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles ne peut être exercée, conformément au droit commun, contre l'employeur par la victime ou ses ayants droit.

Observations

1. Rejet de l'action de la victime contre son employeur sur le fondement de la responsabilité civile

1.1. Rejet mis en oeuvre par les juridictions civiles

  • Responsabilité du fait des choses

Lorsque la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles s'applique, la Cour de cassation rejette l'action de la victime contre son employeur sur le fondement de la responsabilité du fait des choses (2). En effet, la reconnaissance de la qualité d'employeur prime sur toutes les autres, notamment sur celle de gardien : le régime de la réparation des accidents du travail s'applique de plein droit et à titre exclusif. De nombreux accidents du travail trouvent leur origine dans l'intervention d'une chose et pourraient, ainsi, conduire à l'application de la responsabilité du fait des choses, issue de l'article 1384, alinéa 1er, au détriment de l'interdiction posée par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale.

  • Responsabilité civile de droit commun (C. civ., art. 1382)

Par plusieurs arrêts, la Chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé et renforcé le principe selon lequel, selon les dispositions de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, aucune action en réparation des accidents du travail ou maladies professionnelles ne peut être exercée, conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droit. Les stratégies mises en place par les victimes d'un accident du travail, pour obtenir réparation auprès de leur employeur sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, sont variables et invalidées par la Cour de cassation.

Ainsi, dans une espèce récente, la Cour de cassation a relevé que, sous couvert d'une action en responsabilité délictuelle à l'encontre de son employeur auquel il reprochait des fautes l'ayant privé d'une chance de faire valoir ses droits à la suite de l'accident dont il avait été victime, le salarié demandait, en réalité, la réparation du préjudice résultant de cet accident, lequel avait été pris en charge et indemnisé au titre de la législation professionnelle (Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-44.233, F-D N° Lexbase : A6905DTW).

De même, par l'arrêt rapporté, Mme Poilly, salariée d'une association "Les Papillons blancs", a été victime d'un accident du travail causé par l'un des pensionnaires de celle-ci ; Mme Poilly a sollicité devant un tribunal d'instance l'indemnisation de son préjudice moral. Pour accueillir cette demande, les juges du fond retenaient que l'accident avait été causé par un tiers, et que l'association n'était pas assignée en qualité d'employeur, mais en qualité de civilement responsable du pensionnaire qu'elle avait sous sa surveillance.

La censure de la Cour de cassation est prononcée très logiquement, conformément au principe d'incompatibilité entre une réparation prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail et une demande en réparation fondée sur le droit commun de la responsabilité civile.

1.2. Rejet, par les juridictions pénales, de l'action de la victime contre son employeur sur le fondement de la responsabilité civile

La Chambre criminelle a mis en place une jurisprudence exactement conforme à la jurisprudence retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation (supra). La cour d'appel, saisie par un salarié d'une action en réparation du préjudice causé par un accident du travail, ne peut statuer sur le principe de la responsabilité civile de l'employeur (Cass. crim., 13 septembre 2005, n° 04-85.736, F-P+F N° Lexbase : A5280DKR).

En effet, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas prévus par ce texte, être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l'employeur ou ses préposés. En l'espèce, les juges, après avoir constaté que la réparation des préjudices de la partie civile relevait du régime des accidents du travail et de la connaissance exclusive de la juridiction de Sécurité sociale, ont déclaré l'appelant entièrement responsable des préjudices subis par la victime. Selon la Cour de cassation, en statuant ainsi, sur le principe même de la responsabilité civile de l'employeur, les juges ont méconnu les dispositions de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale. Encourt, dès lors, la censure l'arrêt qui, après avoir dit les faits établis et jugé à bon droit la constitution de partie civile recevable, déclare, néanmoins, l'employeur responsable des préjudices subis par la victime d'un accident du travail.

La Chambre criminelle en tire la conclusion, logique mais nécessaire, qu'une caisse de sécurité sociale, qui a servi les prestations prévues par le livre IV du Code de la Sécurité sociale, n'ayant pas de recours subrogatoire, ne peut intervenir à l'instance pour en demander le remboursement, y compris dans le cas où la victime accomplissait un travail clandestin (Cass. crim., 11 février 2003, n° 02-81.729, F-P+F+I N° Lexbase : A2945A79 ; Bull. crim. 2003, n° 30, p. 116).

Déjà, en 1993, la Chambre criminelle de la Cour de cassation se prononçait sur la recevabilité d'une action civile dans le cas d'un accident du travail (Cass. crim., 10 mars 1993, n° 92-81.893, Delong Alain, publié N° Lexbase : A4049ACX ; Bull. crim. 1993, n° 105, p. 249). Selon l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas prévus par ce texte, être exercée conformément au droit commun contre l'employeur ou ses préposés par la victime ou ses ayants droit. Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt d'une cour d'appel qui, après avoir constaté le caractère professionnel d'un accident, et dit recevable la constitution de partie civile de la victime de cet accident contre son employeur, a accueilli la demande de la partie civile en ce qu'elle tendait à la réparation de son préjudice.

Le principe vaut pour les juges eux-mêmes. Une cour d'appel, après avoir déclaré bien fondée, dans le seul intérêt de la manifestation de la vérité, la constitution de partie civile de la victime d'un accident du travail contre son employeur du chef de blessures involontaires, ne saurait, sans violer les dispositions de l'article L. 466 du Code de la Sécurité sociale, se prononcer sur la responsabilité du prévenu à l'égard de la victime (Cass. crim., 10 mai 1984, n° 83-90.554, Magnier, SA Dessaint-Finaud et Cie, publié N° Lexbase : A8039AAY ; Bull. crim. 1984, n° 165, p. 429).

2. Préjudices professionnels : domaine résiduel de l'action en réparation fondée sur le droit commun

2.1. Réparation d'un préjudice par le droit commun : la faute inexcusable

Il est connu que l'action en réparation peut être fondée sur le droit commun lorsque l'accident est la conséquence d'une faute inexcusable ou intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés (CSS, art. L. 452-5), de la faute d'un tiers (CSS, art. L. 454-1) ; lorsque l'accident est un accident de trajet causé par une personne appartenant à la même entreprise que la victime (CSS, art. L. 455-1) ou un accident de la circulation causé par une personne appartenant à la même entreprise que la victime sur une voie ouverte à la circulation publique (CSS., art. L. 455-1-1). Mais, en dehors de ces hypothèses, quelle est la place du droit commun ?

Le domaine de la responsabilité civile s'est considérablement élargi, par effet de ricochet de l'admission beaucoup plus large de la faute inexcusable, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation mise en place en 2002 (Cass. soc., 28 février 2002, 7 espèces concernant la maladie professionnelle, dont Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ Société Ascométal, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0806AYI ; concernant les accidents du travail, Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, Mme Dounya Edrissi, épouse Hachadi c/ Société Camus industrie, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4836AYR).

L'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Dans la mesure où l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat, la conséquence sera facilement tirée : l'admission beaucoup plus large de la faute inexcusable élargit considérablement le domaine d'application du droit commun de la responsabilité civile. Le débat sur la place de la réparation sur le fondement du droit civil en matière d'accident du travail, tel qu'il inspire la Cour de cassation par l'arrêt rapporté, doit donc être remis dans cette perspective ouverte par les arrêts du 28 février 2002.

2.2. Réparation d'un préjudice lié au travail : que reste-t-il du droit commun ?

  • Prise en charge par une assurance de la responsabilité pour faute inexcusable

La loi du 27 janvier 1987 (loi n° 87-39, portant diverses mesures d'ordre social N° Lexbase : L2134DYP) a accordé à l'employeur une possibilité qu'il n'avait pas antérieurement en ce qui concerne l'assurance de sa propre faute inexcusable. Cependant, cette disposition créatrice de droits nouveaux ne peut s'appliquer à des fautes antérieures à l'entrée en vigueur de ce texte qui ne contient aucune dérogation expresse au principe de non-rétroactivité de la loi posé par l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4) (Cass. civ. 2, 14 juin 2006, n° 05-13.090, FS-P+B N° Lexbase : A9493DPB ; lire nos obs., Prise en charge par une assurance de la responsabilité pour faute inexcusable, Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0189ALL).

  • Indemnisation des victimes d'infractions et réparation des accidents du travail

La Cour de cassation avait admis que les victimes d'accidents du travail pouvaient bénéficier de la réparation de leur préjudice par les Civi, au motif que l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI) ne leur interdit pas de présenter une demande d'indemnisation du préjudice résultant de faits présentant le caractère matériel d'une infraction (Cass. civ. 2, 18 juin 1997, n° 95-11.223, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions c/ M. Sorribes et autres, publié N° Lexbase : A0301AC7 ; Bull. civ. II, n° 191, p. 112).

Mais, en 2003, elle est revenue sur cette jurisprudence (Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-00.815, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGVAT) c/ M. Nicolas Brevot, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8229BSL ; Bull. civ. II, n° 138). En 2006, la Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence (Cass. civ. 2, 3 mai 2006, n° 04-19.080, FS-P+B+R N° Lexbase : A2497DP8 ; lire nos obs., Indemnisation des victimes d'infractions et réparation des accidents du travail, Lexbase Hebdo n° 216 du 25 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N8733AKN ; dans le même sens, Cass. civ. 2, 29 mars 2006, n° 04-30.444, F-D N° Lexbase : A8604DNY ; dans le même sens et les mêmes termes, Cass. civ. 2, 8 février 2006, n° 04-30.445, Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGVAT) c/ M. Jean-Marie Hamelin, F-D N° Lexbase : A8494DMK).

La Cour de cassation retient le principe selon lequel les dispositions légales d'ordre public sur la réparation des accidents du travail excluent les dispositions propres à l'indemnisation des victimes d'infractions (Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-00.815, préc.). Alors qu'elle avait antérieurement admis que, faute d'une exclusion explicite du législateur, un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle pouvait saisir une commission d'indemnisation des victimes d'infractions et obtenir l'indemnisation de la totalité du préjudice subi (Cass. civ. 2, 18 juin 1997, n° 96-06.001, M. X c/ Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH, publié N° Lexbase : A0985ACH).

2.2. Enjeux d'une réparation selon la technique du droit commun

L'enjeu d'une réparation selon la technique du droit commun se mesure essentiellement pour la victime, même si la situation de la CPAM, voire de l'employeur, ne devrait pas être négligée.

Pour obtenir une meilleure indemnisation des préjudices subis, les victimes peuvent être tentées d'utiliser des voies de recours juridictionnels. L'objectif poursuivi n'est pas difficile à énoncer ni à comprendre : obtenir une réparation complémentaire à celle obtenue en application de la législation sur les accidents du travail. S'agissant plus particulièrement des victimes de l'amiante, celles-ci ont exploré plusieurs voies de recours de type juridictionnel pour compléter l'indemnisation forfaitaire de droit commun des maladies professionnelles du régime de Sécurité sociale : les recours devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale ; les recours devant les juridictions pénales ; enfin, les recours devant les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi), près les TGI.

Mais, ces trois types de recours juridictionnels présentaient l'inconvénient d'exposer les victimes à des délais de procédures souvent très longs. C'est pourquoi, le législateur s'est orienté vers de nouvelles formes de prise en charge des victimes de l'amiante, qui reposent sur deux piliers principaux : les dispositifs de préretraite pour les travailleurs de l'amiante et la réparation intégrale des préjudices subis par l'ensemble des victimes de l'amiante, par l'intermédiaire du Fiva.

Cette volonté des victimes d'accidents du travail de tenter une action en réparation devant les juges civils, en application du droit commun de la responsabilité civile, n'a pas été encouragée par la Cour de cassation. Au contraire. La Cour de cassation s'est attachée à faire respecter le compromis issu de la loi du 9 avril 1898 (l'arrêt rapporté en est une nouvelle preuve), instituant un régime de réparation des accidents du travail dérogatoire au droit commun. Pourtant, la doctrine relève que, désormais, la responsabilité civile de droit commun est plus aisée à établir et la réparation serait plus avantageuse.

En effet, la loi de 1898, dont l'équilibre est toujours d'actualité, permettait une indemnisation plus facile des victimes d'accident du travail, mais retenait, dans le même temps, un principe de réparation forfaitaire. Les évolutions du droit de la responsabilité civile, notamment en matière de responsabilité du fait des choses que l'on a sous sa garde, remettent en cause le caractère plus favorable du droit spécial, tant en ce qui concerne l'établissement de la responsabilité que le montant de la réparation du dommage. Destinée à faciliter la réparation des préjudices à une époque où le droit commun de la responsabilité civile retenait des conditions assez restrictives, la législation professionnelle est, aujourd'hui, souvent moins favorable aux victimes en ne leur accordant qu'une réparation forfaitaire, alors qu'elles obtiendraient assez facilement une réparation intégrale sur le fondement d'un des régimes de responsabilité de droit commun.

Sur un plan strictement financier, cette jurisprudence de la Cour de cassation pourrait évoluer, dans le sens d'une plus grande admission des recours en responsabilité civile, qui pourraient, peut être, alléger le déficit de la branche accident du travail de la Sécurité sociale. Dans son rapport 2006, la Cour des comptes relevait, en effet, que le déficit de la branche AT-MP du régime général s'élève à 438,1 millions d'euros (contre 183,8 millions d'euros en 2004). Le principe légal d'équilibre des recettes et des dépenses de cette branche n'est pas respecté, alors même que l'Etat augmente, chaque année, les contributions du régime général aux fonds amiante (FIVA et FCAATA).

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Rouen


(1) Cass. civ. 2, 19 avril 2005, n° 04-30.121, Société Everite c/ M. Henri Rudzinski, FS-P+B (N° Lexbase : A9750DHL) ; lire nos obs., L'étendue de la réparation de la maladie professionnelle, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4118AID) ; D. Jonin, F. Kessler, S. Topaloff et J.-P. Teissonnière, La faute inexcusable, deux ans après les arrêts "amiante", Semaine sociale Lamy 2004, n° 1159, p. 5.
(2) Cass. civ. 2, 16 novembre 2004, n° 02-21.013, Société Sud Diesel Service c/ M. Patrick Vedrines, FS-P+B (N° Lexbase : A9420DDA) ; et les obs. d'O. Pujolar, Réparation des accidents du travail : le rejet de l'action de la victime contre son employeur sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, Lexbase Hebdo n° 145 du 2 décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3698ABL).

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Aménagement du territoire

[Evénement] Le nouveau programme ORATE 2007-2013 de l'observatoire en réseau de l'aménagement du territoire européen

Lecture: 6 min

N0353BAC

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par Compte-rendu réalisé par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public

Le 07 Octobre 2010

L'Observatoire en réseau de l'aménagement du territoire européen (ORATE) (ou ESPON : European spatail planning observation network) a pour mission d'aider à l'élaboration de politiques et d'édifier une communauté scientifique européenne dans le domaine du développement territorial. Le but principal est d'enrichir le volume global de connaissances sur les structures et les tendances territoriales, et sur l'incidence de la politique dans une Union européenne élargie. Le programme ESPON I (2002-2006) qui vient de s'achever, était conçu pour faciliter le développement de politiques par l'étude des dynamiques et déséquilibres liés à la fois aux tendances territoriales et aux politiques, et des incidences territoriales d'autres politiques. Au cours de la nouvelle période de programmation 2007-2013, l'objectif principal de la politique de cohésion sera d'aider davantage les régions à ouvrir la voie de la modernisation économique et sociale. Pour cette période, les équipes et instituts de recherche européens et nationaux sont invités à travailler sur des thématiques ayant une dimension territoriale ainsi que sur des études de cas. Certaines d'entre elles prolongent les travaux du programme précédent, comme le polycentrisme, les transports et l'accessibilité, la gestion des risques, les relations urbain/rural ou l'énergie. D'autres thématiques ouvrent des champs nouveaux, tels que la dynamique territoriale des petites et moyennes entreprises, l'innovation et la recherche-développement dans les territoires... Autant les praticiens, aménageurs, ou les personnels des collectivités territoriales n'étaient pas vraiment associés au programme 2002-2006, sauf à être sollicités par les chercheurs dans le cadre d'études de cas, ou à entrer dans un consortium en tant "qu'expert" sur un aspect très précis, autant dans la deuxième phase du programme qui débute aujourd'hui (2007-2013), les règles du jeu évoluent, dans la mesure où les collectivités territoriales seront beaucoup plus étroitement associées. Les régions, par exemple, pourront exprimer des attentes, suggérer des études au comité directeur ESPON via un processus ad hoc, et participer à ce programme à travers la commande d'études de cas. A l'occasion d'un séminaire qui s'est tenu le 25 janvier 2006, intitulé "La recherche en aménagement du territoire en Europe : vers une nouvelle étape ?", organisé par la DIACT et l'unité mixte de service RIATE à La Sorbonne, Magali Bayssière, Unité de coordination, programme ESPON, présentait le contenu du nouveau programme ESPON.

Au niveau global, les objectifs du programme ESPON II (2007-2013) sont de contribuer à la cohésion territoriale, au développement harmonieux de l'espace européen, de fournir des informations, analyses, scénariis pour l'évolution de l'espace européen, et de contribuer à la compétitivité de l'UE et à son développement harmonieux.

Plus spécifiquement, la réalisation de ces objectifs passera par la mise en oeuvre de différents types d'actions.

1. Des actions pour des thématiques de recherche appliquée centrées sur le développement territorial, la compétitivité et la cohésion

En termes d'objectifs opérationnels, ces actions visent à construire de l'information pour alimenter la réflexion sur la politique régionale de l'UE, à produire des informations permettant de déterminer comment accentuer les effets positifs et contrebalancer les effets négatifs, à produire des informations permettant d'appuyer les évaluations ex ante et d'accompagner l'appréciation des effets des politiques de l'UE, à contribuer à l'identification des structures spatiales accentuant les synergies, à améliorer la prise en compte des temporalités, ou encore à améliorer les connaissances théoriques, méthodologiques, la construction des bases de données et des outils sur le développement régional.

On peut regrouper les actions en trois catégories : les analyses thématiques et multisectorielles incluant des études temporelles et prospectives, les études d'impact, et un corpus de connaissances sur le développement territorial.

Les thématiques des projets peuvent déjà être annoncées comme touchant à l'entreprenariat dans les petites et moyennes entreprises, la culture, le tourisme et le commerce ; la prévention des risques et des ressources naturelles et culturelles ; les relations urbain/rural ; la réduction de l'inaccessibilité ; l'innovation ; l'utilisation multiple des infrastructures ; l'environnement ; l'accessibilité (transport et télécom) ; le développement urbain durable ; les enjeux démographiques ; la mobilité ; les services d'intérêt général ; l'attractivité régionale ; l'innovation et économie de la connaissance ; la santé et l'infrastructure sociale ; l'énergie ; l'éducation....

Toutes ces thématiques devront être explorées sous l'égide de consortium réunissant des consultants et des chercheurs.

Les études devront porter sur tous les pays prenant part à ESPON 2007-2013, avec toutefois la possibilité de zoomer sur certains espaces pertinents. La plate-forme de connaissance sera composée d'experts et agira comme une équipe transversale.

Les résultats obtenus doivent être construits pour être appropriés par des autorités publiques, des administrations territoriales : l'UE, les Etats-membres mais aussi les pays participants, les autorités régionales... Une vingtaine d'actions de ce type est attendue.

2. Des actions pour des recherches spécifiques, des études de cas répondant aux demandes des praticiens

Les résultats obtenus dans le cadre du programme 2002-2006 ont été perçus comme étant trop théoriques et de nombreuses questions de praticiens sont trop souvent restées sans réponses. L'impact attendu, ici, est alors celui d'une plus grande proximité avec la réalité locale.

Les objectifs opérationnels dans le cadre du nouveau programme se définissent à travers une évaluation de la position de régions spécifiques et de leur potentiel de développement dans le contexte actuel, des analyses de thématiques proposées par des régions, des analyses de terrain, une construction de cadres méthodologiques pour traduire des objectifs de développement et des objectifs politiques en actions concrètes, et l'identification de priorité thématique pour les fonds structurels.

Les actions principales consisteront en des études transversales et thématiques, en un appui à l'expérimentation, et en des actions conjointes reliées aux autres programmes des fonds structurels. Les études seront concentrées sur des portions de territoire de l'UE et devront utiliser les résultats produits dans le cadre d'ESPON I et II.

Ces actions pourront être mises en oeuvre aussi bien à l'initiative des consortiums de recherche, qu'à celle des régions. Deux ou trois appels d'offre seront lancés au cours de la période. Les groupes cibles sont, donc, les concepteurs des politiques publiques et praticiens, autorités territoriales, mais aussi les participants à Interreg IV, Interact II et Urbact II.

Les résultats attendus se situent entre 15 et 25 études de ce type. Les cartes et illustrations devront être nombreuses dans les rapports.

3. Des actions pour la construction d'une plate-forme scientifique comprenant des bases de données comparables sur l'espace européen, des outils d'analyse, des indicateurs de développement et de dynamique...

Il convient d'insister sur la nécessité de construire une information fiable et comparable à l'échelle européenne, à des niveaux aussi détaillés que possible, et sur la nécessité de construire des indicateurs clés permettant un suivi du développement de l'espace européen.

Il s'agit d'un élément fondamental du programme ESPON. En effet, la cohérence interne des résultats dépend en grande partie de l'accès pour l'ensemble des chercheurs du programme à cette base de donnée et aux méthodologies de travail. Les groupes cibles et bénéficiaires de ces actions sont donc les praticiens et les contractants du programme.

Les objectifs opérationnels sont alors de contribuer à la capacité de formulation d'une politique et de ses applications, de construire une plateforme à l'usage des praticiens du développement territorial dans l'UE ainsi qu'une plateforme à usage public, d'offrir un accès à une base de données comparables, et de construire des indicateurs de suivis et des données chronologiques et prospectives.

Les actions principales se répartissent entre une base de données territorialisée et évaluée, des outils de développement, notamment cartographique, et d'entretien de la base, un système d'indicateurs territoriaux et d'études, et une mise à jour régulière.

Le fonctionnement probable de ces actions sera formalisé par une contractualisation pour toute la période, avec possibilité de prolongation.

Concrètement, les résultats attendus sont l'élargissement de la base actuelle aux Etats accédants, et aux périodes antérieures, la construction de nouveaux outils et modèles d'analyse, l'établissement de deux ou trois rapports au cours de la période, et la mise en place d'une base de donnée à différents niveaux.

4. Des actions pour la mise en réseau des travaux d'ESPON II et la diffusion des savoirs

L'attention est, ici, portée au développement territorial, à sa mise en oeuvre, à l'implication des acteurs, par la construction d'une capacité de dialogue et de mise en réseau.

L'analyse swot sur les résultats d'ESPON 2006 a montré que les résultats n'ont pas été suffisamment utilisés. En conséquence, un effort sera consacré dans le cadre d'ESPON 2007-2013 aux relations avec les praticiens.

Dans cette optique, les actions conduites consisteront en des séminaires et rencontres avec les institutions européennes, l'OCDE et la CEMAT (Conférence européenne des ministres responsables de l'Aménagement du territoire), Urbact, Interact et Interreg IV C, les différentes DG de la Commission (Recherche, EUROSTAT, EEA..., observatoires des territoires des pays membres), en des activités de mise en réseau transnationale (coopérations et séminaires entre les points de contacts (ECP)), en des rapports de synthèse et des publications (une dizaine de rapports envisagés)...

Seront visés par ce type d'actions les praticiens de l'aménagement, mais aussi les scientifiques et étudiants.

5. Des actions de communication et d'assistance technique : séminaires internes, séminaires avec des DG de la Commission...

Face à un besoin important de transposition des résultats scientifiques en recommandations opérationnelles, différentes actions devront être menées en termes de stratégie de communication, de séminaires internes entre le comité de suivi, les ECP et les consortiums de recherches pour les priorités thématiques, de séminaires ECP, d'activités d'analyse et production de synthèse.

newsid:270353

Sécurité sociale

[Jurisprudence] Accident du travail : où va-t-on ?

Réf. : Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-13.771, M. Gérard Gruner, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2849DU3)

Lecture: 9 min

N2896BAI

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Peut-on imaginer des entretiens d'embauche conduits avec la présence d'un médecin psychiatre ? Cette question, incongrue il y a quelques jours, devient pertinente eu égard à la jurisprudence rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 22 février 2007. Le contexte de cette affaire illustre parfaitement la large publicité à laquelle est destinée cette décision. Dans cette affaire, un salarié en maladie pour dépression avait tenté de mettre fin à ses jours à son domicile. La caisse avait accepté de prendre en charge cet acte au titre de la législation sur les accidents du travail. Contestant l'opposabilité de cette décision, l'employeur avait saisi le juge. Il aurait certainement dû s'abstenir car, non seulement, la Cour de cassation vient confirmer le caractère professionnel du suicide dans ce cas mais, encore, vient mettre à la charge de l'employeur une faute inexcusable. Une telle solution surprenante s'expose à la critique à plus d'un titre.


Résumé

Un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu par le fait du travail. L'employeur étant tenu d'une obligation de sécurité de résultat, toute violation de cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable.

Le suicide d'un salarié est un accident du travail dû à une faute inexcusable de l'employeur dans la mesure où il est établi que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures pour l'en préserver.

Décision

Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-13.771, M. Gérard Gruner, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2849DU3)

Rejet (CA Angers, chambre sociale, 8 février 2005)

Textes concernés : CSS, art. L. 411-1 (N° Lexbase : L5211ADD) ; CSS, art. L. 452-1 (N° Lexbase : L5300ADN).

Mots-clefs : accident du travail ; qualification ; suicide ; reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ; accident survenu par le fait du travail ; faute inexcusable de l'employeur.

Liens bases :  ; .

Faits

Un salarié a tenté de mettre fin à ses jours à son domicile alors qu'il se trouvait en maladie depuis un mois pour syndrome anxio-dépressif.

La caisse de Sécurité sociale a qualifié son geste d'accident professionnel et a retenu la faute inexcusable de l'employeur. La cour d'appel a déclaré opposable à l'employeur la décision de la caisse relative à la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle. Elle a, en outre, retenu la faute inexcusable de l'employeur et l'a condamné à réparer les préjudices subis par le salarié.

Solution

1. Rejet

2. "Mais attendu qu'un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu par le fait du travail".

3. "Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat, et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l'employeur avait, ou aurait dû avoir, conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver".

4. "Et attendu que les énonciations de l'arrêt selon lesquelles l'équilibre psychologique de M. Alain avait été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de M. Gruner, caractérisant le fait que l'employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire que M. Gruner avait commis une faute inexcusable".

Observations

1. Qualification d'accident du travail du suicide survenu par le "fait du travail"

  • Définition de l'accident du travail

L'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale institue une présomption d'imputabilité de l'accident au travail qui permet au salarié accidenté, victime d'un accident remplissant les critères prévus par le législateur, d'être dispensé de la preuve du caractère professionnel de l'accident. Ce texte dispose qu'"est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeur ou chefs d'entreprise".

Traditionnellement, la jurisprudence exigeait qu'une lésion soit apparue de manière soudaine sur le lieu et pendant le temps de travail. Originairement stricte, les critères et leur réunion ont été assouplis par la jurisprudence au fil des décisions.

  • Assouplissement des critères

D'un côté, la Cour de cassation est venue supprimer l'exigence de soudaineté de la lésion corporelle privilégiant, ici, l'existence d'une lésion indépendamment du moment de son apparition.

Elle considère, en effet, que "constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci" (Cass. soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, M. Albert X c/ Caisse primaire d'assurance maladie CPAM du Gard et autres, publié N° Lexbase : A6375A7A ; lire les obs. de Ch. d'Artigue, La nouvelle définition de l'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 66 du 10 avril 2003 - édition sociale N° Lexbase : N6867AAL).

D'un autre côté, les juges sont venus assouplir la seconde exigence de lieu et de temps de travail, à laquelle ils ont substitué la notion de subordination et, singulièrement, le fait pour le salarié de se trouver à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles.

Cet assouplissement a permis de qualifier d'accident de travail, l'accident survenu à un salarié en mission (Cass. soc., 19 juillet 2001, n° 99-20.603, Mme Monique Salomon c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Lyon, publié N° Lexbase : A2490AUR ; Dr. soc. 2001, 1022, obs. Prétot ; Cass. soc., 12 décembre 2002, n° 01-20.516, Société Etablissements J. Verger et Delporte c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine et Marne, FS-P N° Lexbase : A4275A44) comme celui survenu à un salarié sous astreinte (Cass. civ. 2, 2 novembre 2004, n° 02-31.098, Electricité de France (EDF), service national c/ M. Jean-Marc Sposito, FS-P+B N° Lexbase : A7604DDY ; lire nos obs., L'union consacrée de l'astreinte et de la présomption d'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 143 du 18 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3568ABR). C'est ce critère de subordination, traditionnellement déterminant de l'application de la présomption, qui se trouve écarté dans la décision commentée.

  • Espèce

Le salarié n'était pas, en effet, au moment de sa tentative de suicide, sur son lieu de travail puisqu'il était chez lui, arrêté depuis un mois pour maladie. Il était donc difficile de considérer que le salarié se trouvait dans ce cas sous la subordination de son employeur.

Ce n'est d'ailleurs pas ce qui a déterminé la solution de la Cour de cassation confirmant le caractère professionnel de cet accident. Pour cette dernière, en effet, un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu "par le fait du travail". En retenant ce critère, elle vient encore élargir le champ des accidents du travail qui englobe, cette fois, tout accident ayant une origine même partiellement professionnelle.

Cette partie de la solution, bien qu'a priori surprenante, n'en demeure pas moins une application littérale de l'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale. Même si, en pratique, elle semble difficilement concevable, elle trouve des fondements théoriques. Plus contestable, en revanche, est la seconde partie de la solution qui vient mettre, dans ce cas, une faute inexcusable à la charge de l'employeur

2. Une solution hautement critiquable

  • Reconnaissance logique du suicide comme accident du travail

Le fait de reconnaître le suicide comme accident du travail n'est pas totalement nouveau. Un tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) avait eu l'occasion de se prononcer sur cette question (Tass Epinal, n° 218/99, 28 février 2000, Madame Chantal Rousseaux c/ CPAM des Vosges N° Lexbase : A4423DUD). Dans cette affaire, les juges avaient considéré que, lorsqu'il est établi que c'est "à l'occasion du travail" que la tentative de suicide a eu lieu, l'accident est qualifié d'accident du travail.

La différence entre cette affaire et celle commentée est, cependant, de taille. Certes, dans les deux espèces, les conditions de travail infligées au salarié l'avaient amené à tenter de se suicider mais, dans la première affaire (celle jugée par le Tass des Vosges), la tentative de suicide avait eu lieu alors que la salariée était au travail. L'emploi par les juges du Tass des termes "accident survenu à l'occasion du travail", aurait pu laisser croire que, là encore, le critère de subordination avait été déterminant de la solution.

Ce n'est toutefois pas l'élément qui avait justifié la qualification d'accident du travail du suicide. Si on lit la décision, c'est, en effet, le fait que le geste de la salariée ait été en relation directe avec son travail, dans lequel elle était harcelée psychologiquement, qui avait emporté cette qualification. Singulièrement, et comme le souligne le Tass, le fait que ces conditions de travail "déplorables" l'aient poussée à passer à l'acte. Le rattachement de la qualification d'accident du travail au lien entre l'accident et le travail, plus qu'à son lieu, trouve ici sa confirmation.

Il trouve d'ailleurs son fondement directement dans l'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale. Ce texte qualifie, en effet, d'accident du travail tout accident survenu "à l'occasion ou par le fait du travail", laissant un champ large à la qualification d'accident du travail permettant d'y faire entrer toutes les lésions trouvant une origine même non exclusivement professionnelle.

Il est admis que le suicidaire commet l'irréparable "dans le but d'échapper à une situation psychologique qu'il considère intolérable" (Olivia Gulli, Reconnaissance jurisprudentielle du harcèlement moral au travail, Jurisprudence sociale Lamy, n° 66, 19 octobre 2000), situation qui peut effectivement avoir une origine professionnelle.

Il suffira donc désormais que le salarié démontre que son accident est survenu par le fait de son travail, en l'absence de subordination, pour bénéficier de sa prise en charge au titre de la législation des accidents du travail et maladies professionnelles. Malgré ses inconvénients pratiques (puisque l'employeur ne pourra jamais montrer le contraire), cette partie de la solution s'expose moins à la critique que la seconde partie qui vient confirmer que cet accident du travail résulte d'une faute inexcusable de l'employeur.

  • Caractère inexpliqué de la qualification de faute inexcusable de la faute de l'employeur

Depuis 2002, la Cour de cassation donne une nouvelle définition de la notion de faute inexcusable (Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0773AYB). Elle met, ainsi, à la charge de l'employeur une obligation de sécurité de résultat et elle considère que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable "lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver". Cette obligation de sécurité de résultat, originairement dégagée en matière de maladie professionnelle (Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, préc.), a rapidement été étendue aux accidents (Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4836AYR). Jusqu'alors, cette obligation de sécurité semblait limitée au cercle professionnel et, singulièrement, était destinée à protéger les salariés "dans l'exécution de leur prestation de travail".

Or, ici, quelle obligation de sécurité l'employeur a-t-il violé ?

On craint de voir arriver, dans cette décision, l'automaticité de la qualification de faute inexcusable en cas d'accident professionnel. Qualification qui n'a pas lieu d'être dans toutes les hypothèses, notamment lorsque le salarié ne se trouve pas, au moment de l'accident, sur son lieu de travail.

Si, en effet, l'employeur peut prendre des mesures lorsque ses salariés sont sur leur lieu de travail, il semble difficile de le rendre débiteur de la même obligation de résultat, qui plus est, s'agissant de ses salariés qui se trouvent à leur domicile.

C'est pourtant ce que vient dire la Cour de cassation lorsqu'elle décide que, dans la mesure où l'employeur savait que l'état de son salarié résultait d'une dégradation de leurs relations professionnelles, il y a lieu de considérer que l'employeur avait connaissance du danger auquel le salarié était exposé et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver... Mais, comment pouvait-il éviter que le salarié commette son acte ? En engageant une garde malade ? En le faisant "hospitaliser" ? Ou en s'occupant de lui personnellement ? Il semble difficile de voir, ici, une faute inexcusable puisque l'employeur pouvait difficilement préserver son salarié de ce qui aller lui arriver, à moins d'avoir été personnellement averti par le salarié de son intention de mettre fin à ses jours. Mais, là, le problème ne se situe plus sur le terrain professionnel.

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