La lettre juridique n°229 du 28 septembre 2006

La lettre juridique - Édition n°229

Éditorial

Compétitivité et droit du travail : des oeillères aux oeillets

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N3215ALN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Assurément, le Congrès mondial de droit du travail, organisé cette année à Paris, au début du mois de septembre, marque, à échéance régulière, le pas des réflexions sur l'évolution du droit social face à la mondialisation économique et, de facto, juridique. Riches furent les heures consacrées à la libéralisation des échanges, à la décentralisation productive et aux risques professionnels (lire les trois comptes-rendus réalisés par notre rédaction, et publiés dernièrement dans Lexbase Hebdo - édition sociale ; cf. cette semaine, Risques professionnels : protection sociale et responsabilité de l'employeur). L'analyse comparée de ces trois thématiques, loin de porter dogmatiquement à l'index la flexibilité du travail, a taché de "dédiaboliser" ces notions et de montrer combien l'externalisation du travail, l'entreprise "réseau" se substituant à l'entreprise "fordiste" sous l'effet d'outils juridiques tels que la franchise, la sous-traitance, le travail temporaire ou encore le prêt de main d'oeuvre, comme l'externalisation des responsabilités sociales professionnelles (partage des assurances et de la protection sociale entre les sphères privées et publiques), devaient "simplement" être normées et harmonisées localement (au sein de Communauté, en pour ce qui nous concerne). En outre, participant de cette dédiabolisation, était préconisé un renforcement de la représentativité et des groupes de défense des salariés, à l'image des "class actions" en matière civile. Ce rendez-vous a permis de comprendre combien les solutions locales et isolées ne pouvaient guère répondre au défi de la mondialisation et du libre échange, à la faveur de la protection des salariés ; c'est l'art du compromis qui y est ainsi dessiné pour faire émule auprès des législateurs. Le compromis, respectueux des droits des salariés et des droits à la "survie" commerciale des entreprises, c'est le but à atteindre afin de régler, notamment, l'Arlésienne question du maintien du repos dominical. Le législateur semble, aujourd'hui, décidé à modifier la loi en élargissant la possibilité pour les magasins de commerce de détail de donner le repos hebdomadaire un autre jour que le dimanche, en fonction de leur taille. Il était temps ; la cour administrative d'appel de Paris ayant, dernièrement, fortement accru son contrôle et son refus d'étendre les dérogations au repos dominical, faute texte pragmatique (cf. la fermeture dominicale du service d'accueil téléphonique "10 14" n'étant pas préjudiciable au public, le travail le dimanche des salariés de France Télécom ne se justifie pas - CAA Paris, 3ème ch., 5 juillet 2006, n° 04PA00128, Ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité ; la délivrance dans l'heure de lunettes correctrices de vue ne correspond pas à un besoin devant nécessairement être satisfait le dimanche - CAA Paris, 3ème ch., 5 juillet 2006, n° 04PA00176, Société Grand Optical ; la cour administrative d'appel de Paris prononce le sursis à l'exécution du jugement qui a annulé l'autorisation donnée à la société Louis Vuitton d'accorder à l'ensemble des salariés de l'enseigne des Champs-Elysées le repos hebdomadaire par roulement - CAA Paris, 3ème ch., 29 juin 2006, n° 06PA02060, SA Louis Vuitton Malletier). Toutefois, en l'état actuel du texte de proposition de loi, des lacunes semblent rendre cette extension des dérogations inégalitaire ; et surtout, le volontariat des salariés concernés ne semble pas en constituer la pierre angulaire ; lire Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV, Repos hebdomadaire le dimanche : et si ses jours étaient comptés ? Le juste équilibre reste donc à trouver. Sur une autre gamme, mais dans le même esprit, deux décisions rendues le 13 septembre dernier par la Chambre sociale de la Cour de cassation démontrent, une nouvelle fois, que la Haute cour n'entend pas délivrer un "blanc-seing pour les licenciements préventifs" à la suite des arrêts "Pages jaunes". Là encore, un compromis doit être trouvé entre le nécessaire maintien de la compétitivité des entreprises et les licenciements "boursiers" ; lire Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Licenciements économiques fondés sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises : la Cour de cassation rassure. Rappelons que sans dialogue social, ni compromis communautaire, la Cour de justice des Communautés européennes décide, comme ce fut le cas dernièrement, d'appliquer a maxima les régimes de protection des salariés (cf. la Directive 75/129 /CEE du Conseil, du 17 février 1975, est applicable en cas de licenciements collectifs résultant de la cessation définitive du fonctionnement d'une entreprise ou d'une exploitation, décidée à la seule initiative de l'employeur, en l'absence d'une décision de justice préalable - CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-187/05 à C-190/05, Georgios Agorastoudis e.a. c/ Goodyear Hellas ABEE ; lire, dans votre Lettre juridique n° 228, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, Précisions sur le champ d'application de la législation communautaire en matière de licenciement pour motif économique). Aussi, à qui profite le statu quo et l'absence de dialogue social ? Certainement pas à la compétitivité des entreprises et, donc, à l'emploi.

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Social général

[Jurisprudence] L'ordonnance nº 2005-892 serait contraire au droit communautaire (à propos des conclusions de l'avocat général, CJCE aff. C-385/05)

Réf. : Conclusions de l'avocat général, aff. C-385/05, 12 septembre 2006

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N3175AL8

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Le 07 Octobre 2010

Dans l'affaire C-385/05 opposant la CGT, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et la CGT-FO au Premier ministre et au ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement à propos de la conformité de l'ordonnance n° 2005-892 (ordonnance du 2 août 2005, n° 2005-892, relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises N° Lexbase : L0757HBN) au droit communautaire, M. P. Mengozzi, avocat général, vient de rendre ses conclusions. La question est de savoir si les Directives 98/59/CE (N° Lexbase : L9997AUS) et 2002/14/CE (N° Lexbase : L7543A8U) relatives aux licenciements collectifs et à l'information et consultation des travailleurs autorisent les autorités nationales à aménager un mode de calcul des seuils de travailleurs employés, plus précisément, exclure les travailleurs appartenant à une certaine catégorie d'âge (jeunes de moins de vingt-six ans).
Décision (non rendue)

CJCE, affaire C-385/05, CGT, CFDT, CFE-CGC, CFTC et CGT-FO c/ Premier ministre et ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement.

Textes applicables : Directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (N° Lexbase : L7543A8U) ; Déclaration conjointe du Parlement européen, du Conseil et de la Commission sur la représentation des travailleurs (JO L 080, p. 29) ; Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs (N° Lexbase : L9997AUS ; JO L 225, p. 16).

Faits

Par un arrêt du 19 octobre 2005 (CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283892, Confédération générale du travail et autres N° Lexbase : A9978DKR), le Conseil d'Etat prononce un sursis à statuer sur les requêtes déposées par les principaux syndicats de salaires demandant l'annulation de l'ordonnance n° 2005-892, jusqu'à ce que la CJCE se soit prononcée sur des difficultés sérieuses d'interprétations.

Problème juridique

Le Conseil d'Etat demande à la Cour de justice de statuer sur les questions suivantes :

1. Compte tenu de l'objet de la Directive 2002/14/CE du 11 mars 2002, le renvoi aux Etats membres du soin de déterminer le mode de calcul des seuils de travailleurs employés que cette Directive énonce, doit-il être regardé comme permettant à ces Etats de procéder à la prise en compte différée de certaines catégories de travailleurs pour l'application de ces seuils ?

2. Dans quelle mesure la Directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 peut-elle être interprétée comme autorisant un dispositif ayant pour effet que certains établissements occupant habituellement plus de vingt travailleurs se trouvent dispensés, fût-ce temporairement, de l'obligation de créer une structure de représentation des travailleurs en raison de règles de décompte des effectifs excluant la prise en compte de certaines catégories de salariés pour l'application des dispositions organisant cette représentation ?

Solution

1- Eu égard à la finalité de la Directive 2002/14, le renvoi aux Etats membres du soin de déterminer le mode de calcul des seuils de travailleurs employés, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, second alinéa, de la Directive 2002/14, ne saurait être interprété en ce sens qu'il permet à ces Etats de procéder à l'exclusion temporaire de certaines catégories de travailleurs pour l'application de ces seuils.

2- La Directive 98/59 CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une mesure nationale ayant pour effet que certains établissements occupant habituellement plus de vingt travailleurs se trouvent dispensés, ne fût-ce que temporairement, de l'obligation d'assurer la représentation des travailleurs en raison de règles de décompte des effectifs excluant la prise en compte de certaines catégories de travailleurs pour l'application des dispositions organisant cette représentation.

Commentaire

On se souvient que l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 permet aux employeurs de ne pas prendre en compte le salarié embauché depuis le 22 juin 2005 et âgé de moins de vingt-six ans, jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de vingt-six ans, dans le calcul de l'effectif du personnel de l'entreprise, quelle que soit la nature du contrat qui le lie à l'entreprise. Cette disposition est applicable jusqu'au 31 décembre 2007 (1). La CGT, la CFDT, la CGC, la CFTC et la CGT-FO avaient introduit des recours en annulation de l'article 1 de l'ordonnance nº 2005-892. A l'appui de ces recours devant le Conseil d'Etat, les parties requérantes avaient, notamment, soulevé un moyen tiré de ce que l'aménagement des règles de décompte des effectifs, tel que prévu par l'ordonnance nº 2005-892, méconnaîtrait les objectifs des Directives 98/59 et 2002/14. Le Conseil d'Etat s'est prononcé à deux reprises sur ce dispositif : par un premier arrêt, rendu le 19 octobre 2005 (2) (le Conseil d'Etat avait prononcé un sursis à statuer sur les requêtes déposées par les principaux syndicats de salaires demandant l'annulation de cette ordonnance, jusqu'a ce que la CJCE se soient prononcées sur des difficultés sérieuses d'interprétations) ; par un second arrêt, rendu le 23 novembre 2005 (3) : le Conseil d'Etat avait prononcé la suspension de l'ordonnance n° 2005-892 et sursit à statuer jusqu'à ce que la CJCE se soit prononcée sur deux questions. La CJCE, saisie d'une question préjudicielle du Conseil d'Etat, a décidé dans un premier temps, que l'annulation de l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 ne relève pas de la procédure d'urgence (CJCE, ordonnance du président de la Cour du 21 novembre 2005). Sur le fond, dans cette affaire C-385/05, l'avocat général se prononce dans le sens des organisations syndicales et conclut que, s'agissant de la mise en place des institutions représentatives du personnel, la conformité de l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 à la Directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 lui paraît douteuse (I) ; de même, s'agissant du droit de la consultation des représentants du personnel au titre de la réglementation communautaire sur le licenciement, l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 ne lui paraît pas non plus conforme à la Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 (II).

I - Mise en place des institutions représentatives du personnel : conformité douteuse de l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 à la Directive 2002/14/CE du 11 mars 2002

A - Jurisprudence du Conseil constitutionnel

L'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005, en modifiant les règles de décompte des effectifs, influence directement la mise en place des institutions représentatives du personnel ou du CHSCT, laquelle est fonction des effectifs de l'entreprise. En effet, l'ordonnance n° 2005-892 permet une absence de prise en compte des jeunes de moins de vingt-six ans du calcul des effectifs. Dans sa décision DC 2005/521 rendue le 22 juillet 2005 (Cons. const., décision n° 2005-521 DC N° Lexbase : A1642DKZ), le Conseil constitutionnel n'a pas émis de critiques ni de réserves : l'article 1er-5ème de la loi d'habilitation n° 2005-846 (loi n° 2005-846, 26 juillet 2005, habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi N° Lexbase : L8804G9X) n'autorise qu'un aménagement des règles de décompte des effectifs utilisées pour la mise en oeuvre de dispositions relatives au droit du travail ou d'obligations financières imposées par d'autres législations, et non du contenu desdites dispositions ou obligations. Le motif principal tient à ce qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes rencontrant des difficultés particulières : il pouvait donc, en vue de favoriser le recrutement des jeunes âgés de moins de vingt-six ans, autoriser le Gouvernement à prendre des dispositions spécifiques en ce qui concerne les règles de décompte des effectifs.

B - Jurisprudence du Conseil d'Etat

Devant le Conseil d'Etat, les syndicats invoquaient le même moyen tiré de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail. Le Conseil d'Etat, par son arrêt du 19 octobre, apportait la même réponse que celle du Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 22 juillet 2005. L'ordonnance du 2 août 2005 ne procède qu'à un aménagement des règles de décompte des effectifs utilisées pour la mise en oeuvre de dispositions relatives au droit du travail. Elle ne modifie pas le contenu de ces dispositions.

Mais dans son arrêt rendu le 23 novembre 2005, le Conseil d'Etat décidait qu'au nombre des dispositions dont l'application peut ainsi se trouver écartée ou différée, figurent celles qui imposent aux entreprises la mise en place d'institutions représentatives du personnel appelées, notamment, à intervenir dans les procédures de licenciement collectif pour motif économique. L'application de cette mesure porte une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts de syndicats de salariés, selon le Conseil d'Etat. Même si le ministre de l'Emploi faisait valoir que l'ordonnance n° 2005-892 a été inspirée par l'objectif de favoriser l'emploi, le Conseil d'Etat concluait que la condition tenant à l'urgence devait être regardée comme remplie.

C - Jurisprudence en cours de la CJCE (conclusions de l'avocat général dans l'aff. C-385/05)

L'article 3 § 1, alinéa 1, de la Directive 2002/14 dispose que la Directive s'applique selon le choix fait par les Etats membres aux entreprises employant dans un Etat membre au moins 50 travailleurs ou aux établissements employant dans un Etat membre au moins 20 travailleurs. L'article 3 § 1, alinéa 1, de la Directive 2002/14 dispose également que les Etats membres déterminent le mode de calcul des seuils de travailleurs employés. Le Conseil d'Etat a demandé à la CJCE de vérifier si le second alinéa de l'article 3 § 1 de la Directive 2002/14 accorderait aux Etats membres la possibilité, telle que celle prévue par l'ordonnance n° 2005-892, d'exclure une catégorie entière de travailleurs du décompte des effectifs des établissements, aux fins de l'application du seuil pertinent de travailleurs prévu par ladite Directive.

Selon l'avocat général (conclusions préc., point 55), reconnaître aux Etats membres la compétence d'établir les modalités d'application d'un seuil de travailleurs est une chose bien différente que de les autoriser à déterminer ceux des travailleurs qui peuvent entrer dans l'assiette du calcul du seuil de travailleurs, en excluant de cette assiette une catégorie entière d'entre eux. L'article 3 § 1, alinéa 2, de la Directive 2002/14 ne saurait être interprété, selon l'avocat général, en ce sens qu'il permet à un Etat membre d'exclure l'application des dispositions de cette même Directive, en soustrayant une catégorie entière de travailleurs du calcul des travailleurs employés des établissements relevant du champ d'application de ladite Directive, aux fins de l'application du seuil de vingt travailleurs prévu par cette dernière.

II - Droit de la consultation des représentants du personnel au titre de la réglementation communautaire sur le licenciement : ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 non conforme à la Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998

A - Jurisprudence du Conseil d'Etat

La non-conformité de l'ordonnance n° 2005-892 avec le droit communautaire a été soulevée par la CGT, la CFDT, la CGC, la CFTC et la CGT-FO, motif pris que l'aménagement des règles de décompte des effectifs conduirait à méconnaître les objectifs des Directives 98/59/CE du 20 juillet 1998 et 2002/14/CE du 11 mars 2002 (4). L'argument a été recueilli favorablement : le Conseil d'Etat, dans son arrêt rendu le 23 novembre 2005 (5), a prononcé la suspension de l'ordonnance et a sursis à statuer jusqu'à ce que la CJCE se soit prononcée sur deux questions (déjà mentionnées).

B - Jurisprudence de la CJCE

  • CJCE, Ordonnance du président, 21 novembre 2005

La CJCE, saisie d'une question préjudicielle du Conseil d'Etat, a décidé que l'annulation de l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 ne relève pas de la procédure d'urgence (CJCE, Ordonnance du président de la Cour, 21 novembre 2005). Sur le fond (aff. C-385/05), la CJCE ne s'est pas encore prononcée, mais l'avocat général a rendu ses conclusions.

  • CJCE, aff. C 385/05, conclusions de l'avocat général

La Directive 98/59 prévoit que lorsqu'un employeur envisage d'effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d'aboutir à un accord. L'article 1er § 1 de la Directive 98/59 dispose que l'on entend par "licenciements collectifs", les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les Etats membres : soit, pour une période de trente jours au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs ou au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs ou enfin, au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs ; soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés.

Par sa seconde question, le Conseil d'Etat demandait à la CJCE d'indiquer si, et dans quelle mesure, la Directive 98/59 autorise l'adoption d'une mesure nationale ayant pour effet que certaines entreprises occupant habituellement plus de vingt travailleurs se trouvent dispensés, même temporairement, de l'obligation de créer une instance de représentation des travailleurs en raison de règles de décompte des effectifs excluant la prise en compte de certaines catégories de salariés pour l'application des dispositions organisant cette représentation.

L'avocat général relève que le résultat auquel est susceptible d'aboutir l'ordonnance nº 2005-892 serait de priver les travailleurs des droits qu'ils tirent de la Directive 98/59 dès lors qu'une entreprise emploie plus de vingt travailleurs (et franchit donc le seuil de vingt travailleurs, prévu par la Directive 2002/14, indépendamment de l'âge de ces travailleurs) mais compte moins de onze travailleurs de plus de vingt-six ans, en application des règles prévues par le Code du travail français et par l'article 1 de l'ordonnance nº 2005-892 (conclusions aff. C-385/05, prec., point n° 73 et 74). Dans cette situation, l'entreprise étant exonérée de l'obligation d'organiser la désignation de représentants du personnel, il n'existerait alors aucun représentant des travailleurs à informer et à consulter, préalablement au licenciement collectif envisagé, contrairement à la protection accordée aux travailleurs par la Directive 98/59.

L'ordonnance n° 2005-892 est contraire à la Directive 98/59, selon l'avocat général, car en soustrayant une catégorie entière de travailleurs du calcul du seuil de vingt travailleurs, l'ordonnance permettrait de faire échapper certaines entreprises à l'obligation de respecter les procédures protectrices des travailleurs que la Directive 98/59 impose. Une telle législation serait donc susceptible de dénier à des groupes de travailleurs le droit d'être informés et entendus, qui leur revient normalement en vertu de cet acte, alors même que la Directive 98/59 n'admet aucune exception sur la base de laquelle les Etats membres pourraient porter atteinte à l'obligation d'information et de consultation des représentants des travailleurs qu'elle garantit.

Christophe Willmann
Professeur à l'université de Rouen


(1) B. Gauriau, Commentaire de l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises, JCP éd. S, 6 septembre 2005, étude n° 1121, p. 41 ; Droit du travail : sur quelques ordonnances récentes (article 38 de la Constitution), Dr. soc. 2006, p. 615 ; S. Martin-Cuenot, Ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises, Lexbase Hebdo n° 179 du 1er septembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : L0757HBN) ; C. Willmann, Les aides juridiques au titre des politiques publiques de l'emploi, RDSS 2006 p. 624 ; L'exclusion du calcul des effectifs des jeunes de moins de 26 ans (Ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005), Dr. soc. 2005, p. 1145.
(2) CE, 19 octobre 2005, n° 283892 ; JCP éd. S, 8 novembre 2005, p. 27, note R. Vatinet ; et nos observations, Seuils d'effectifs : un arrêt du Conseil d'Etat en demi-teinte, Lexbase Hebdo n° 187 du 27 octobre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0047AKX) ; B. Gauriau, Droit du travail : sur quelques ordonnances récentes (article 38 de la Constitution), précité.
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 286440, Confédération générale du travail - Force ouvrière (N° Lexbase : A7291DLM) et nos observations, La mise en oeuvre de l'ordonnance n° 2005-892 relative aux seuils d'effectifs fortement compromise, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1713AKN) ; B. Gauriau, article précité. Le Conseil d'Etat, saisi en tant que juridiction de référé, ordonne la suspension de l'ordonnance n° 2005-892 parce que l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
(4) G. Couturier, Quel avenir pour le droit de licenciement ? Perspectives d'une régulation européenne, Dr. soc. 1997, p. 75 ; F. Favennec-Héry, La Directive 92/1956 du 24 juin 1992 ou les espoirs déçus, Dr. soc. 1993, p. 29 ; F. Gaudu, L'influence du droit communautaire sur la politique de l'emploi, Dr. soc. 1993, p. 801 ; P. Morvan, Le rôle des représentants du personnel dans les restructurations d'entreprises de dimension communautaire, dans Le salarié, l'entreprise, le juge et l'emploi, Cahier travail et emploi, Doc. Fr. - ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 2001 p. 179 ; P. Rodière, Le comité d'entreprise à l'heure européenne, Dr. ouvrier 1995, p. 61 ; Le 'cadre général' relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans l'entreprise, Semaine sociale Lamy, 18 novembre 2002, n° 1098, p. 6 ; B. Teyssié, Le comité d'entreprise européen, Economica 1997 ; Le comité d'entreprise européen (Directive 94/45 du 22 septembre 1994), JCP éd. E, 1995. I. 416.
(5) cf. note (3).

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Social général

[Textes] Repos hebdomadaire le dimanche : et si ses jours étaient comptés ?

Réf. : Proposition de loi du 6 juillet 2006, visant à autoriser le repos hebdomadaire par roulement pour les établissements de commerce de détail

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N3206ALC

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Interrogés sur le point de savoir si un centre commercial pouvait ouvrir ses portes le dimanche, les juges du second degré sont, récemment, venus donner une réponse si peu ordinaire qu'elle ne pouvait que susciter la réaction du législateur (CA Versailles, 14ème ch., 14 juin 2006, n° 05/06501, Fédération nationale des détaillants en Chaussures en France et autres c/ Syndicats Fédération des syndicats CFDT Commerces, Services et Force de vente N° Lexbase : A9560DPR). Au lieu de simplement appliquer la loi et d'imposer la fermeture des magasins le jour du repos dominical, les juges du second degré étaient venus affirmer qu'il ne leur appartenait pas de légiférer en adaptant leur jurisprudence à l'évolution inexorable qui serait apparue en matière commerciale en ce qui concerne le repos dominical et partant condamner les contrevenants. Il fallait donc comprendre que bien qu'ils trouvent cette interdiction complètement obsolète, ils ne pouvaient rien faire, à bon entendeur... Il faut dire que le texte en question ne leur laissait aucune marge de manoeuvre. Comment adapter les dispositions de l'article L. 221-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5878ACP) qui dispose que le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche ? S'il existe des dérogations à ce principe, celles-ci restent d'acception limitative ce qui empêche les magasins ne remplissant pas les conditions posées par le législateur de donner à leurs salariés leur jour de repos un autre jour que le dimanche. Les juges ne pouvaient donc qu'initier la réforme en piquant le législateur. L'appel a été entendu puisque le législateur a décidé de venir modifier la loi en élargissant la possibilité pour les magasins de commerce de détail de donner le repos hebdomadaire un autre jour que le dimanche, en fonction de leur taille. Plus le commerce est petit, plus il pourra ouvrir en théorie. La proposition de loi, puisqu'il ne s'agit pour l'instant que d'une proposition, n'a toutefois pas l'ampleur qui aurait pu/dû être la sienne. On regrettera, en effet, le manque de souplesse du législateur et plus gravement les lacunes de cette proposition qui la rendent inégalitaire.

I. Objet de la proposition

Le principe ne change pas, il reste et demeure celui du repos dominical. La proposition ne fait qu'ajouter de nouvelles dérogations à celles déjà applicables aux commerces de détails. Trois dérogations existent, en effet, déjà dans ce domaine.

La première est celle liée aux zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente (C. trav., art. L. 221-8-1N° Lexbase : L5881ACS). La seconde concerne les prestations qui doivent pouvoir être accessibles le dimanche, comme les matières périssables, la culture, les services publics (C. trav., art. L. 221-9 N° Lexbase : L5884ACW). La troisième enfin, permet au maire ou au préfet d'autoriser l'ouverture des magasins le dimanche au maximum cinq dimanches par an (C. trav., art. L. 221-19 N° Lexbase : L5894ACB).

L'objet de cette proposition de loi est d'élargir l'ouverture le dimanche en procédant à une distinction nouvelle entre les commerces de détails selon leur taille.

A. Les plus petits

La première dérogation concerne exclusivement les commerces de détail dont la surface de vente est inférieure à 1 000 m2 ou 300 m2 lorsque l'activité est à prédominance alimentaire.

La proposition vient ajouter au Code du travail un nouvel article L. 221-10-1. Ce texte subordonne, pour ces petits commerces, l'ouverture dominicale à deux conditions.

En premier lieu, le maire doit prendre un arrêté autorisant l'ouverture le dimanche pour des raisons économiques ou de service public, pris après avis des organisations d'employeurs et de salariés intéressés, qui autorise les magasins de détails à donner le repos hebdomadaire par roulement sur la semaine.

Le texte impose, en second lieu, qu'il existe une convention ou un accord collectif étendu ou un accord d'entreprise qui prévoit le travail continu et précise ses compensations. La proposition laisse, en effet, aux partenaires sociaux le soin de décider du repos compensateur et de la majoration de salaire dont devront bénéficier les salariés. Le législateur se contente de mettre un plancher en matière salariale, le salarié qui travaillera le dimanche ne pourra se voir allouer moins d'un trentième de salaire s'il est payé au mois ou moins de la valeur d'une journée s'il est payé à la journée.

Il faut donc comprendre que s'il n'y a pas d'accord, il n'y aura pas de dérogation. Il convient, en outre, de souligner la latitude laissée aux partenaires sociaux, non seulement dans la décision prise de recourir au travail continu, mais encore s'agissant de sa compensation. Des disparités risquent d'exister entre les commerces autorisés à ouvrir...

Ne vaudrait-il pas mieux, que le législateur, au lieu de poser un minimum de compensation pécuniaire, s'exprime plus clairement et impose à tous les employeurs la même compensation ?

B. Les moyens

Ceux-ci font l'objet d'un nouvel article L. 221-19, alinéa 1er, du Code du travail. Par ce texte, les établissements de commerce de détail et les magasins collectifs de commerçants indépendants dont la surface de vente est supérieure à 1 000 m2 ou 300 m2 lorsque l'activité est à prédominance alimentaire et inférieure à 5 000 m2, se voient autorisés à ouvrir 10 dimanches par an au lieu des 5 traditionnels (C. trav., art. L. 221-19).

L'alinéa prévoit, en effet, pour ces surfaces moyennes, la possibilité pour le maire, par arrêté après avis des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressés, de désigner, dans la limite de 10 par an, certains dimanches d'ouverture.

C. Les plus gros

Un nouvel article L. 221-19-1 du Code du travail leur serait entièrement consacré. Ce texte permettrait aux établissements de détails et magasins collectifs de commerçants indépendants dont la surface de vente est supérieure à 5 000 m2, d'ouvrir cinq dimanches par an.

Cette ouverture serait, toutefois, subordonnée à un arrêté du préfet après avis du conseil municipal de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre des métiers et de l'artisanat et des organisations d'employeurs et de salariés intéressés. Pour eux donc, peu de changement, puisque sur le principe, l'ouverture 5 dimanches par an est déjà rendue possible par l'article L. 221-19 du Code du travail. Seul l'ordonnateur de cette ouverture change. Ce n'est, en effet, plus le maire mais le préfet qui rend l'arrêté.

La proposition précise encore que les salariés "candidats" au travail le dimanche bénéficieront de compensations qui seront prévues par l'arrêté préfectoral. Comme pour les petits commerces, le législateur impose une compensation pécuniaire minimale. Les salariés travaillant le dimanche ne pourront se voir payer moins du double de leur rémunération habituelle (un trentième de mois pour les salariés payés au mois, ou la valeur d'une journée de travail pour les salariés payés à la journée).

Ici, contrairement aux commerces de détails des petits et moyens commerces, le législateur vient partiellement régir le repos hebdomadaire ; la proposition prévoit en effet que le repos compensateur ne peut intervenir plus de 15 jours avant ou après que le salarié ait travaillé le dimanche.

Il est encore précisé que, lorsque le repos du dimanche est supprimé la veille d'une fête légale, le repos doit avoir lieu le jour de cette fête.

Malgré la pertinence de leur objet, toutes ces nouvelles dispositions ne sont à notre sens pas satisfaisantes pour plusieurs raisons.

II. Une proposition lacunaire

Plusieurs défaillances sont ici à souligner.

Pour justifier le choix, fondé sur la taille des commerces, la proposition vient, dans ses motifs, souligner que son adoption ne ferait qu'aligner la France sur le modèle européen. Si l'on en croit la proposition, l'expérience de nos voisins, semble suffisante à expliquer et justifier la distinction proposée. Une question se pose alors : peut-on importer telles quelles des règles venues de pays où l'accent n'est pas forcément mis sur les mêmes valeurs ? Cette distinction selon la taille tient-elle compte des réalités du commerce de détail sur notre territoire? Plus loin, la distinction a-t-elle un intérêt en France ?

Certes, elle permet aux commerçants des centres villes ou des villages d'ouvrir si cela leur parait opportun financièrement, sans risquer de voir leur clientèle partir vers les centres commerciaux. Mais quid des indépendants, des "traditionnels" comme les qualifie la proposition, qui, pour des raisons financières, se sont placés dans une zone commerciale ? Ils n'auront pas le droit d'ouvrir le dimanche...que faut-il en penser ? Si effectivement cette hypothèse reste négligeable, le fait qu'elle existe montre la première limite de cette proposition de loi. Il semble à notre sens difficile de fonder une distinction exclusivement sur la superficie. L'artisanat s'étend de plus en plus aux centres commerciaux parce que c'est là que se trouve le marché. N'y a-t-il pas alors une rupture d'égalité entre ceux que le législateur entend pourtant protèger ?

Que dire, en deuxième lieu, de ce maire tout puissant, sur qui pèse désormais l'entière responsabilité de l'ouverture dominicale des magasins de sa ville ou de son village ? Plus particulièrement que va-t-il advenir des maires qui refuseront, soit parce qu'ils ne jugent pas l'ouverture économiquement justifiée, soit parce que les partenaires sociaux les auront dissuadés, ou soit tout simplement pour des raisons de croyances religieuses, aux commerçants de travailler de dimanche ?

Leur décision est sans appel. Aucun contre pouvoir n'est, en effet, prévu. Les commerçants qui ne pourront pas ouvrir le dimanche parce que l'élu en aura décidé ainsi ne pourront donc en déférer à personne. L'ouverture, pour les petites et moyennes structures, dépend de l'existence d'un arrêté municipal pris après avis des organisations employeurs et salariés intéressés. Le maire aura donc seul le dernier mot. Si le maire ne veut pas, les commerçants ne travailleront pas, et ce même si dans la ville à coté, ils y seront autorisés.

Dans la mesure où, il n'existe aucune règle ni aucun critère pertinent et objectif permettant de déterminer si l'ouverture est ou non opportune, mais qu'elle dépend d'une appréciation de l'opportunité économique d'une telle ouverture, il serait peut-être nécessaire qu'une autorité supérieure vienne réduire le risque d'inégalités. Ne devrait-on pas faire du préfet un arbitre à ces situations délicates ?

En troisième lieu, les droits des salariés sont loin d'être préservés. Ils sont, d'une part, expressément différents selon la taille de l'entreprise. La source de ces droits n'est, en outre, pas la même. Pour les petites surfaces, ce sont les partenaires sociaux qui organisent le repos et décident d'augmenter ou de ne pas augmenter la compensation financière minimale. Pour les plus grosses, c'est l'arrêté (qui peut encore être municipal ou préfectoral) qui autorise l'ouverture du dimanche et organise sa compensation.

Il nous semble, d'autre part, que le premier droit du salarié devrait être celui de pouvoir choisir si, oui ou non, il souhaite travailler le dimanche. Cette faculté de choix qui apparaît dans les motifs de la proposition, a été oubliée en chemin. Elle n'est à aucun moment reprise par le législateur. Pourquoi ce dernier ne pose-t-il pas le principe du libre choix par le salarié du jour de son repos ? Ce principe pourrait, d'ailleurs, être un critère d'ouverture des magasins le dimanche.

Tous les salariés ne sont, en effet, pas prêts à abandonner leur repos du dimanche, même contre une compensation financière. Le repos est peut-être attractif mais pour un père ou une mère de famille, quel intérêt de ne pas travailler le lundi alors que ses enfants sont à l'école et son compagnon est au travail ?

Cette proposition n'est, enfin, qu'une avancée minuscule par rapport à ce que sous entendaient les juges du fonds dans la décision "initiatrice" (CA Versailles, 14ème ch., 14 juin 2006, n° 05/06501, Fédération nationale des détaillants en Chaussures en France et autres c/ Syndicats Fédération des syndicats CFDT Commerces, Services, et force de vente). Dans l'arrêt en question, les contrevenants étaient les commerçants d'un centre commercial, or ce n'est pas à eux que la proposition de loi s'adresse, loin s'en faut. Ce sont donc d'eux que vient la réforme, mais ils n'en profiteront pas...quel paradoxe !

Tout ceci prouve que contrairement à ce que pouvait sous-entendre cette proposition, la France n'est pas prête à céder son repos dominical. Mais pourquoi ce blocage du législateur ? Une loi de 1906, dit le rapport, prise principalement en considération de motifs religieux. Le repos dominical est-il commun à toutes les religions ? Il ne nous le semble pas. Nombre de salariés, mais également de chefs d'entreprises, pourraient, pour des considérations religieuses, souhaiter prendre leur repos un autre jour de la semaine.

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Collectivités territoriales

[Textes] La réforme des fonds structurels européens (2007-2013) : quelles opportunités pour les collectivités territoriales françaises ?

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N2806ALI

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La politique de cohésion économique et sociale représentera pour la période 2007-2013 plus de 308 milliards d'euros. A moyen terme, elle dépassera probablement la politique agricole commune qui est pourtant le premier poste de dépense de la Communauté depuis les origines. Les collectivités territoriales françaises ne vont, toutefois, que relativement peu bénéficier de cette manne. En effet, les élargissements de l'Union européenne au pays d'Europe centrale et orientale ont conduit logiquement à concentrer l'essentiel des fonds structurels à leur profit (v. N. Jazra Bandarra, La politique de cohésion dans l'Union européenne et l'élargissement : nouvelles orientations pour la période 2007-2013, Revue du marché commun et de l'Union européenne 2006, p. 117). Les fonds structurels européens demeurent, néanmoins, une source intéressante de financement pour les projets des collectivités territoriales. La politique structurelle agricole a entièrement été repensée par le Règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil du 20 septembre 2005 concernant le soutien au développement rural par le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (N° Lexbase : L0808HDB JOUE n° L 277 du 21 octobre 2005, p. 1). Cette politique est désormais totalement autonome alors que dans la période précédente, elle s'articulait avec les autres fonds structurels. Il en va de même pour la politique de la pêche (Règlement (CE) n° 1198/2006 du Conseil du 27 juillet 2006 relatif au Fonds européen pour la pêche N° Lexbase : L6679HKL, JOUE n° L 223 du 15 août 2006, p. 1). Subsiste un objectif de coordination.

La politique de cohésion économique et sociale a fait l'objet de six Règlements publiés au Journal officiel de l'Union européenne le 31 juillet dernier (Règlement (CE) n° 1080/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relatif au Fonds européen de développement régional et abrogeant le Règlement (CE) n° 1783/1999 N° Lexbase : L4524HKR ; Règlement (CE) n° 1081/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, relatif au Fonds social européen et abrogeant le Règlement (CE) n° 1784/1999 N° Lexbase : L4525HKS ; Règlement (CE) n° 1082/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, relatif à un groupement européen de coopération territoriale (GECT) N° Lexbase : L4526HKT ; Règlement (CE) n° 1083/2006 du Conseil du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion et abrogeant le Règlement (CE) n° 1260/1999 N° Lexbase : L4527HKU ; Règlement (CE) n° 1084/2006 du Conseil du 11 juillet 2006 instituant le Fonds de cohésion et abrogeant le Règlement (CE) n° 1164/94 N° Lexbase : L4528HKW ; Règlement (CE) n° 1085/2006 du Conseil du 17 juillet 2006 établissant un instrument d'aide de préadhésion (IAP) N° Lexbase : L4529HKX, JOUE n° L 210 du 31 juillet 2006, p. 1 et s.). La structure globale n'a pas été véritablement modifiée. La politique de l'Union se fonde toujours sur le Fonds européen de développement régional (FEDER), sur le Fonds social européen (FSE) et sur le Fonds de cohésion. Pour ce dernier, sont seuls éligibles les Etats dont le revenu national brut est inférieur à 90 % du RNB moyen de l'Union européenne ; la France n'est donc pas concernée.

Au titre de l'article 158 CE , l'objectif global des fonds structurels est de renforcer la cohésion économique et sociale afin de promouvoir un développement harmonieux, équilibré et durable de la Communauté. Cette politique communautaire "intègre, au niveau national et régional, les priorités de la Communauté en faveur du développement durable en renforçant la croissance, la compétitivité, l'emploi, et l'inclusion sociale, ainsi qu'en protégeant et en améliorant la qualité de l'environnement" (article 3, paragraphe 2 du Règlement (CE) n° 1083/2006).

Comme dans la précédente programmation (2000-2006), cet ensemble est subdivisé en trois objectifs, mais leur contenu a bien évidemment été révisé. Le premier objectif "convergence" (251 milliards d'euros) doit permettre d'"accélérer la convergence des Etats membres et régions les moins développés en améliorant les conditions de croissance et d'emploi par l'augmentation et l'amélioration de la qualité des investissements dans le capital physique et humain, le développement de l'innovation et de la société de la connaissance, l'adaptabilité aux changements économiques et sociaux, la protection et l'amélioration de la qualité de l'environnement ainsi que l'efficacité administrative". Le deuxième objectif "compétitivité régionale et emploi" (49 milliards d'euros) doit conduire "en dehors des régions les moins développées, à renforcer la compétitivité et l'attractivité des régions ainsi que l'emploi en anticipant les changements économiques et sociaux, y compris ceux liés à l'ouverture commerciale, par l'augmentation et l'amélioration de la qualité des investissements dans le capital humain, l'innovation et la promotion de la société de la connaissance, l'esprit d'entreprise, la protection et l'amélioration de l'environnement, l'amélioration de l'accessibilité, l'adaptabilité des travailleurs et des entreprises ainsi que le développement de marchés du travail inclusifs". Le troisième objectif "coopération territoriale européenne" (7,7 milliards d'euros) vise "à renforcer la coopération au niveau transfrontalier par des initiatives conjointes locales et régionales, à renforcer la coopération transnationale par des actions favorables au développement territorial intégré en liaison avec les priorités de la Communauté, et à renforcer la coopération interrégionale et l'échange d'expérience au niveau territorial approprié" (article 3, paragraphe 2 du Règlement (CE) n° 1083/2006, préc.).

En France, l'objectif "convergence" concerne les seules régions d'outre-mer (2,4 milliards d'euros pour la Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion, v. décision de la Commission du 4 août 2006 fixant une répartition indicative par Etats membres des crédits d'engagement au titre de l'objectif de convergence N° Lexbase : L3609HPD et décision de la Commission du 4 août 2006 établissant la liste des régions éligibles à un financement par les Fonds structurels au titre de l'objectif de convergence N° Lexbase : L3610HPE, JOUE n° L 243 du 6 septembre 2006, p. 37 et s.). L'objectif "compétitivité régionale et emploi" s'adresse, en revanche, aux vingt-deux régions métropolitaines françaises. Quant à l'objectif "coopération territoriale européenne", il s'inscrit dans la continuité des programmes Interreg. Avant d'examiner ces deux derniers objectifs qui concernent l'ensemble des collectivités françaises (II), il convient de préciser le cadre dans lequel ils s'inscrivent (I).

I. Le cadre

Le Règlement (CE) n° 1083/2006 fixe le cadre dans lequel s'inscrit l'action des fonds à finalité structurelle. Il détermine ainsi le processus de programmation des actions (A) et définit le rôle de chacun des acteurs des programmes (B).

A. Le processus de programmation

La programmation 2007-2013 s'inscrit dans une approche stratégique définie à la fois au niveau communautaire (1) et au niveau national (2).

1. L'article 25 du Règlement n° 1083/2006 prévoit au niveau communautaire la définition d'orientations stratégiques de la Communauté pour la cohésion. Ce cadre indicatif pour l'intervention des Fonds est adopté par le Conseil, sur proposition de la Commission européenne (COM (2005) 299, une politique de cohésion pour soutenir la croissance et l'emploi, Orientations stratégiques communautaires 2007-2013). Ces orientations transposent, notamment, les priorités de la Communauté afin de promouvoir son développement harmonieux, équilibré et durable. Ainsi, afin de promouvoir dans le cadre des programmes 2007-2013 le développement national et régional un cheminement de développement durable et renforcer la compétitivité dans le contexte d'une économie de la connaissance, il est essentiel de concentrer les ressources sur des infrastructures de base, sur le capital humain et la recherche et l'innovation, y compris l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC) et leur utilisation stratégique. Ceci suppose des investissements matériels comme immatériels.

Les programmes cofinancés doivent cibler trois priorités : améliorer l'attractivité des régions et des villes des Etats membres en améliorant l'accessibilité, en garantissant une qualité et un niveau de services adéquats, et en préservant leur potentiel environnemental ; encourager l'innovation, l'esprit d'entreprise et la croissance de l'économie de la connaissance en favorisant la recherche et l'innovation ; créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité. La politique de cohésion doit par ailleurs prendre en compte la dimension territoriale, que ce soit dans les zones urbaines ou rurales.

2. C'est en cohérence avec ces orientations que les Etats membres adoptent un cadre de référence stratégique national (article 27 du Règlement n° 1083/2006). Chaque cadre de référence stratégique national constitue un instrument de référence pour préparer la programmation des Fonds (cf. infra II).

Le Gouvernement français a d'ores et déjà transmis le 25 avril 2006 à la Commission européenne le cadre de référence stratégique national élaboré par la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (héritière de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale). Ce document constitue la référence dans laquelle devront s'inscrire tous les projets français.

L'action des Fonds dans les Etats membres prend la forme de programmes opérationnels s'inscrivant dans le cadre de référence stratégique national. Les Etats membres présentent les propositions de programmes opérationnels à la Commission qui en évalue la contribution aux objectifs et priorités définis plus haut et l'adopte. Les programmes bénéficient du financement d'un seul Fonds. Le champ géographique retenu pour l'établissement du programme opérationnel est le niveau NUTS 1 ou 2 pour l'objectif compétitivité régionale et emploi, et NUTS 3 pour la coopération transfrontalière, la zone de coopération transnationale pour la coopération du même nom, et l'ensemble du territoire pour la coopération interrégionale. On rappellera qu'il n'y a pas en France de collectivité de niveau NUTS 1, les régions correspondent au niveau NUTS 2 et les départements au niveau NUTS 3 (v. Règlement (CE) n° 1059/2003 du Parlement européen et du Conseil du 26 mai 2003, relatif à l'établissement d'une nomenclature commune des unités territoriales statistiques (NUTS) N° Lexbase : L6885BHH, JOCE n° L 154 du 21 juin 2003, p. 1).

Les programmes opérationnels pour les deux premiers objectifs comportent, notamment, une analyse de la zone ou du secteur éligible en termes de forces et faiblesses et la stratégie retenue pour y répondre, une justification des priorités retenues, des informations sur les axes prioritaires et leurs objectifs spécifiques, un plan de financement, les informations relatives à la complémentarité avec les actions financées par le FEADER et celles financées par le FEP, les dispositions de mise en oeuvre, et éventuellement s'il y a lieu des informations sur le traitement de la question du développement urbain durable (article 37 du Règlement (CE) n° 1083/2006). Pour l'objectif de compétitivité régionale et emploi, le programme opérationnel comporte, en outre, la justification de la concentration thématique, géographique et financière sur les priorités. Les programmes opérationnels relevant de l'objectif de coopération territoriale européenne contiennent le même type d'éléments et également une liste des zones éligibles se trouvant sur le territoire couvert par le programme, et une liste indicative de grands projets (article 12 du Règlement n° 1080/2006).

Le FEDER peut, par ailleurs, financer, dans le cadre d'un programme opérationnel, des dépenses liées à une opération comportant un ensemble de travaux, d'activités ou de services destinée à remplir par elle-même une fonction individuelle à caractère économique ou technique précis, qui vise des objectifs clairement identifiés et dont le coût total excède 25 millions d'euros pour l'environnement et 50 millions d'euros pour les autres domaines (grands projets).

La définition et la mise en oeuvre de cette nouvelle programmation fait appel à un ensemble d'acteurs.

B. Les acteurs des programmes

Le Règlement (CE) n° 1083/2006 définit certaines fonctions (1) qu'il appartient aux Etats d'attribuer à différents organismes (2).

1. Pour chaque programme opérationnel, l'Etat membre devra désigner une autorité de gestion, une autorité de certification et une autorité d'audit.

L'autorité de gestion peut être une autorité publique ou un organisme privé. Elle "est chargée de la gestion et de la mise en oeuvre du programme opérationnel conformément au principe de bonne gestion financière" (article 60, paragraphe 1, a)). Elle a, notamment, pour mission de veiller à ce que les opérations soient sélectionnées conformément aux critères du programme opérationnel et de s'assurer que les opérations ont été menées à bien.

L'autorité de certification est une autorité publique qui doit "certifier les états des dépenses et les demandes de paiement avant leur envoi à la Commission" (article 60, paragraphe 1, b)). Il s'agit ainsi de vérifier l'exactitude de l'état des dépenses, notamment grâce à l'existence de pièces justificatives. En outre, l'autorité doit s'assurer que les dépenses sont conformes aux règles de comptabilité nationale et communautaire et correspondent aux opérations sélectionnées pour le financement. Elle doit enfin prendre en considération les résultats de l'ensemble des audits.

L'autorité d'audit est, en effet, une innovation du Règlement n° 1083/2006. Elle est fonctionnellement indépendante de l'autorité de gestion et de l'autorité de certification. Il s'agit d'un organisme public. Elle est chargée, pour chaque programme opérationnel, "de la vérification du fonctionnement efficace et de contrôle" (article 60, paragraphe 1, c)). Elle doit donc présenter à la Commission dans les neufs mois suivant l'approbation du programme opérationnel une stratégie d'audit comprenant la méthodologie à utiliser. A la fin de chaque année, à compter de 2008, elle doit présenter à la Commission un rapport annuel exposant les résultats des audits et formuler un avis.

Reste alors à déterminer qui, en France, exercera ces différentes fonctions.

2. L'enjeu est fondamental. On sait en effet que "l'administration qui a surtout bénéficié des fonds européens en termes structurels n'est ni la région ni le département mais c'est par contre le SGAR c'est-à-dire à l'échelon régional, les services du préfet chargés de la politique régionale [...]. Ainsi via la gestion des fonds européens, les autorités déconcentrées et non pas décentralisées ont récupéré un surcroît de pouvoir" (P. Delfaud, L'Union européenne, vecteur d'approfondissement de la décentralisation ? Table ronde, in Gestion et droit des collectivités locales, nouveaux horizons, vingt ans après la loi du 2 mars 1982, sous la direction de J.-F. Brisson, Gazette des Communes, 5 mai 2003, p. 213, spéc. p. 214). Ainsi en Aquitaine, avec la gestion des fonds européens, le SGAR est passé d'une quinzaine d'agents à près d'une centaine aujourd'hui.

Toutefois, l'article 44 de loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4) permet, à titre expérimental, le transfert aux collectivités locales et principalement à la Région de la compétence en matière de fonds structurels. Le législateur est toutefois resté fort circonspect, voire pusillanime, puisque ce n'est qu'à "titre expérimental" qu'une telle compétence est confiée par l'Etat aux collectivités qui en font la demande. Toutefois, ce dispositif ne s'appliquait qu'au programme relevant de la période 2000-2006.

Selon le cadre de référence stratégique national (p. 91), le Gouvernement a décidé, lors du comité interministériel à l'aménagement et à la compétitivité des territoires du 6 mars 2006 de maintenir le système précédent. Dès lors "les Préfets de région seront ainsi les autorités de gestion des programmes opérationnels FEDER pour la métropole et les DOM et FSE pour les DOM. Le ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement demeurera autorité de gestion des programmes opérationnels FSE en métropole. Par ailleurs, les expérimentations de décentralisation en cours seront poursuivies tant pour le programme opérationnel FEDER en Alsace que pour les futurs programmes de coopération européenne". Il est possible de regretter que le Gouvernement n'ait pas eu le courage de saisir l'opportunité de la réforme communautaire des fonds structurels pour approfondir la décentralisation. Il appartient donc aux régions de faire preuve de dynamisme afin de demander à bénéficier de l'expérimentation afin d'exploiter les opportunités offertes par les nouveaux objectifs du FEDER et du FSE.

II. Les objectifs

Si l'on excepte l'objectif "convergence" qui ne concerne que les collectivités ultra-marines, les collectivités françaises pourront bénéficier de l'objectif "compétitivité régionale et emploi" (A) et l'objectif "coopération territoriale européenne" (B).

A. L'objectif "compétitivité régionale et emploi"

Cet objectif est couvert, à la fois, par le FEDER (1) et par le FSE (2) (article 4, paragraphe 1, c) du Règlement (CE) n° 1083/2006) (9 milliards d'euros pour la France, décision de la Commission du 4 août 2006 fixant une répartition indicative par Etats membres des crédits d'engagement au titre de l'objectif compétitivité régionale et emploi pour la période 2007-2013 N° Lexbase : L3608HPC, JOUE n° L 243, 6 septembre 2006, p. 32).

1. Pour l'objectif "compétitivité régionale et emploi", trois priorités concentrent l'intervention du FEDER : l'innovation et l'économie de la connaissance, l'environnement et la prévention des risques et l'accès aux services de transport et de télécommunications d'intérêt économique général (article 5 du Règlement (CE) n° 1080/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006).

Dans le cadre de référence stratégique national élaboré par la DIACT, ces trois axes doivent, d'une part, permettre "d'agir sur les acteurs régionaux (PME et TPE, notamment) pour stimuler la recherche/développement et l'entreprenariat, encourager les démarches innovantes et promouvoir l'usage des TIC. L'innovation et l'économie de la connaissance constituent des axes d'intervention centraux de ces priorités". D'autre part, "il est essentiel de constituer un environnement propice à la croissance et à la compétitivité des acteurs et des territoires. Cet objectif passe par la promotion des démarches partenariales (entreprises, recherche, formation, associations) et la mise en oeuvre de stratégies de développement durable, que ce soit par l'exploitation de nouvelles filières économiques (énergies propres, biotechnologies...), la protection de l'environnement, la gestion des risques, ou la promotion de modes de déplacements durables (multimodalité, transports collectifs...)". La DIACT a donc défini cinq priorités : promouvoir l'innovation, développer les TIC au service de l'économie et de la société de l'information, soutenir les entreprises dans une démarche de développement territorial, protéger l'environnement et prévenir les risques dans une perspective de développement durable et enfin développer les transports alternatifs à la route pour les particuliers et les activités économiques.

2. Pour le Fonds social européen, les priorités de l'objectif "compétitivité régionale et emploi" sont l'augmentation de la capacité d'adaptation des travailleurs, des entreprises et chefs d'entreprises, l'amélioration de l'accès à l'emploi et de l'insertion durable sur le marché du travail, le renforcement de l'inclusion sociale des personnes défavorisées en vue de leur intégration durable dans l'emploi et la lutte contre toutes les formes de discrimination sur le marché du travail, le renforcement du capital humain par l'éducation et la formation et enfin la promotion des partenariats grâce au "réseautage" (sic !).

Le cadre de référence stratégique national reprend ces cinq priorités et prévoit, en outre, un soutien des actions innovantes transnationales ou interrégionales pour l'emploi et l'inclusion sociale. Ce type d'action est fondé sur l'article 3, paragraphe 6, du Règlement (CE) n° 1081/2006.

B. L'objectif "coopération territoriale européenne"

La coopération territoriale se décline en trois axes (article 3-2 c) du Règlement n° 1083/2006) : une coopération transfrontalière (1), une coopération transnationale (2) et enfin une coopération interrégionale (3). Cet objectif est financé par le FEDER (article 4-1 du Règlement (CE) n° 1083/2006.

1. Des initiatives conjointes locales et régionales doivent viser à renforcer la coopération au niveau transfrontalier. L'article 6-1 du Règlement n° 1080/2006 prévoit de concentrer son aide sur "le développement d'activités économiques, sociales et environnementales transfrontalières au moyen de stratégies conjointes en faveur du développement territorial durable", essentiellement en encourageant l'esprit d'entreprise, en encourageant et en améliorant la protection et la gestion conjointes des ressources naturelles et culturelles, ainsi que la prévention des risques environnementaux et technologiques, en soutenant les liens entre les zones urbaines et les zones rurales, en réduisant l'isolement, en développant la collaboration, les capacités et l'utilisation conjointe des infrastructures.

Le projet de CRSN inclut un volet relatif aux coopérations territoriales européennes (simple opportunité ouverte par les Règlements européens). Il prévoit qu'il est impératif "d'optimiser les conditions d'un développement économique, social et environnemental transfrontalier équilibré au bénéfice du marché du travail et des populations considérées" et privilégiera la recherche d'actions ayant un impact significatif et de long terme (p. 84 du CRSN).

2. La coopération transnationale permet le financement de réseaux et d'actions propices au développement territorial intégré et doit permettre l'établissement et le développement de la coopération transnationale, y compris de la coopération bilatérale entre régions maritimes non couverte par la coopération transfrontalière. Les actions seront principalement centrées sur les priorités suivantes : l'innovation, l'environnement, l'accessibilité, le développement urbain durable.

Dans ce cadre, le CRSN envisage un effort accru de ciblage des priorités et la capacité du partenariat à s'étendre sur un petit nombre de projets à impact structurant et fédérateur. Les thèmes prioritaires sont l'innovation et la compétitivité, l'environnement et la gestion/prévention des risques naturels et technologiques, l'accessibilité et les transports, la poursuite et l'approfondissement des coopérations territoriales en réseau.

3. Pour la coopération interrégionale, l'article 6-3 du Règlement n° 1080/2006 prévoit "le renforcement de l'efficacité de la politique régionale par la promotion" de la coopération interrégionale axée sur l'innovation et l'économie de la connaissance ainsi que sur l'environnement et la prévention des risques, des échanges d'expériences, des actions liées aux études, à la collecte de données ainsi qu'à l'observation et à l'analyse des tendances de développement dans la Communauté.

Cette coopération répond, selon le CRSN, à une demande forte des partenaires régionaux et locaux, tous thèmes confondus, en lien avec le développement et la compétitivité territoriale. Elle est conçue et envisagée pour enrichir les démarches et politiques territoriales, notamment en relation avec les pays de l'élargissement. Cette coopération devrait beaucoup plus que par le passé jouer la capitalisation des résultats, les échanges d'expériences, l'élargissement des réseaux à l'oeuvre, la pérennisation et le suivi des actions pour renforcer la diffusion et l'appropriation des bonnes pratiques (p. 86 du CRSN).

newsid:92806

Droit international privé

[Jurisprudence] De la compétence des tribunaux étrangers

Réf. : Cass. civ. 1, 23 mai 2006, n° 04-12.777, M. Jean-Michel Prieur c/ Mme Anne Danielle de Montenach, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6654DP7)

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N3203AL9

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Le 07 Octobre 2010

L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 23 mai 2006 doit particulièrement retenir l'attention pour qui pratique le droit international privé. Il constitue, en effet, un important revirement de jurisprudence quant au caractère exclusif de l'article 15 du Code civil (N° Lexbase : L3310AB9) (1). Tout est parti d'une décision du Tribunal de première instance de la République et canton de Genève, qui a annulé un mariage pour vice du consentement. La femme a alors cherché à obtenir l'exequatur de la décision en France. Pour s'opposer à l'exequatur, le mari, de nationalité française, a invoqué l'article 15 du Code civil. Celui-ci prévoit qu'"un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger". L'argumentation du mari était des plus classique. Elle reposait sur le caractère exclusif de l'article 15 qui conférait au mari le privilège d'être jugé par des juridictions françaises. Aucune décision étrangère rendue contre un Français ne pourrait être exéquaturée en France, sauf à démontrer que la partie de nationalité française avait renoncé à son privilège. On signalera au passage que cette solution classique ne valait qu'en droit commun, puisque les Règlements communautaires régissant la compétence internationale excluent tous les privilèges de juridictions, et notamment les articles 14 (N° Lexbase : L3308AB7) et 15 du Code civil, au moins en tant qu'ils instituent un privilège à raison de la nationalité des parties (2). Au cas d'espèce, les Règlements communautaires n'étant pas applicables, le mari soutenait que, dès lors qu'il n'avait pas renoncé à son privilège de juridiction, les tribunaux français étaient exclusivement compétents pour se prononcer sur la validité de son mariage, compétence exclusive qui faisait obstacle à l'exequatur du jugement suisse.

La cour d'appel n'a pas suivi ce raisonnement pourtant irréprochable au regard de la jurisprudence antérieure, dont l'origine remonte au début du XIXème siècle (Req. 17 mars 1830, S. 1830.1.95). Elle a exequaturé le jugement suisse en relevant de nombreux éléments factuels (lieu de célébration du mariage, lieu de naissance des époux, loi régissant le contrat de mariage, résidence habituelle des époux) qui rattachaient le litige à la Suisse, de telle sorte que la compétence des juridictions suisses ne pouvait être contestée. Le mari français a alors formé un pourvoi contre cette décision contraire à la jurisprudence la plus classique. La Cour de cassation a, en opérant ainsi un spectaculaire revirement de jurisprudence, rejeté le pourvoi. Elle affirme, formule qui doit retenir toute l'attention, que "l'article 15 du Code civil ne consacre qu'une compétence facultative de la juridiction française, impropre à exclure la compétence indirecte d'un tribunal étranger, dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée à l'Etat dont la juridiction est saisie et que le choix de la juridiction n'est pas frauduleux".

La Cour de cassation remet donc en cause sa jurisprudence antérieure qui affirmait de manière constante que l'article 15 du Code civil présentait un caractère exclusif. Elle considérait, jusqu'à l'arrêt du 23 mai 2006, que ce caractère exclusif permettait au défendeur français, qui n'avait pas renoncé au privilège, de s'opposer à la reconnaissance d'un jugement étranger rendu contre lui (par exemple, Cass. civ. 1, 21 janvier 1992, n° 90-10.628, M X c/ Mme Y N° Lexbase : A4220AGE, D. 1993. som. 351, obs. B. Audit ; Cass. civ. 1, 18 mai 1994, n° 92-11.429, Mme X c/ M. Y N° Lexbase : A3860ACX, D. 1994, som. 355, obs. B. Audit).

Sur un plan de politique juridique, ce revirement doit être approuvé. Comme il avait été à juste titre souligné, le caractère exclusif de l'article 15 conférait à cet article sa "mauvaise réputation" (B. Ancel et Y. Lequette, note sous Cass. civ. 1, 4 octobre 1967, n° 66-10.294, Bachir N° Lexbase : A3124DR7, GA, n° 45, Dalloz, 2001, spéc. n° 11). Il ne s'agit nullement de remettre en cause l'idée que la nationalité puisse être un chef de compétence des tribunaux français. On sait qu'à peu près tous les Etats connaissent des fors exorbitants qui permettent à leurs nationaux de plaider devant leurs juridictions. Mais admettre que la nationalité française fonde la compétence des juridictions françaises ne légitime pas l'idée qu'un plaideur français puisse systématiquement s'opposer à un jugement étranger rendu contre lui et par ailleurs parfaitement régulier. La suppression du jeu de l'article 15 au stade de l'exequatur des jugements étrangers était réclamée par la doctrine depuis longtemps (v, G.A.L. Droz, Réflexions pour une réforme des articles 14 et 15 du Code civil français, Rev. crit. 1975.1, spéc. p. 18 et s. ; A. Ponsard, Le contrôle de la compétence des juridictions étrangères, Trav. Com. fr. dr. int. pr. 1985-1986, p. 47 et s., spéc. p. 52 et s.). Il y avait là la manifestation d'un certain nationalisme judiciaire peu conforme à l'esprit de confiance entre juridictions qui anime aujourd'hui le droit international privé. On comprenait mal qu'un plaideur français puisse empêcher l'efficacité en France d'une décision étrangère prononcée contre lui au seul motif qu'il aurait dû être jugé, du fait de sa nationalité, en France. Plus encore, il pouvait se prévaloir ou non de l'article 15 selon que la décision prononcée à l'étranger lui était ou non favorable. L'avantage judiciaire qui était octroyé aux Français ne reposait sur aucune justification rationnelle. D'ailleurs, comme il a été justement relevé, "si les autres pays adoptaient la même attitude, l'inconvénient que l'on cherche à éviter à nos nationaux serait renforcé : ils ne pourraient plus invoquer les jugements obtenus en France, contre des étrangers, dans le pays de la nationalité de ceux-ci, et devraient donc porter leurs litiges devant les tribunaux étrangers" (P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Montchrestien, 8ème éd., 2004, n° 376).

Sur un plan plus technique, ce revirement doit également être approuvé. Le caractère exclusif de l'article 15 n'était aucunement imposé par la lettre du texte qui prévoit seulement, on le rappelle, qu'"un Français pourra [et non devra] être traduit devant un tribunal de France" (P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., n° 376). Littéralement, la saisine des tribunaux français est une possibilité offerte au demandeur étranger. En lui attribuant un caractère exclusif, la Cour de cassation avait transformé cette possibilité en une obligation. Les plaideurs étrangers se retrouvaient obligés d'assigner devant les tribunaux français s'ils entendaient exécuter la décision en France.

Désormais, la Cour de cassation l'affirme : l'article 15 du Code civil est impropre à exclure la compétence indirecte d'un tribunal étranger dès lors que le litige se rattache d'une manière caractérisée à l'Etat dont la juridiction a été saisie et que le choix de la juridiction n'est pas frauduleux. On pourra noter la référence expresse aux conditions classiques de reconnaissance des décisions étrangères issues de la jurisprudence "Simitch" (Cass. civ. 1, 6 février 1985, n° 83-11.241 N° Lexbase : A0251AHR, Rev. crit. 1985.369 ; JDI 1985.460, note A. Huet ; D. 1985, juris. p. 469, note J. Massip ; D. 1985, I.R. p. 497, obs. B. Audit ; GA, n° 70, Dalloz, 4ème éd., 2001, note B. Ancel et Y. Lequette). La seule présence d'un défendeur de nationalité française ne suffit plus à exclure la compétence des juridictions étrangères.

Cette évolution présentera, en outre, l'avantage de supprimer tout débat quant à la renonciation à l'article 15. On sait à quel point les décisions étaient difficiles à systématiser, sans qu'il faille voir dans cette remarque une critique de la jurisprudence étant donné le caractère subjectif que revêt la volonté de renoncer. La difficulté est désormais levée. Dès lors que l'article 15 ne pose plus une règle de compétence exclusive, il importe peu de savoir si le défendeur français a ou non renoncé au privilège. L'article 15 n'est plus instauré au bénéfice du défendeur français, mais au seul bénéfice du demandeur, qu'il soit d'ailleurs français ou étranger. C'est, désormais, le demandeur qui bénéficie du privilège et qui peut, s'il le souhaite, assigner le défendeur français devant un tribunal français. Si on adopte le vocabulaire des internationalistes, on dira que l'article 15 du Code civil n'édicte plus qu'une règle de compétence directe des tribunaux français, sans influence sur la compétence indirecte des juridictions étrangères. L'article 15 devient pour les demandeurs étrangers la réciproque de l'article 14 pour les demandeurs français (article 14 du Code civil : "L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français").

Certes, il sera désormais évidemment plus difficile de s'opposer à la reconnaissance d'un jugement émanant d'un Etat étranger dont la justice n'inspire qu'une confiance très limitée. Bien sûr, il sera toujours possible, et cela sera probablement la voie à emprunter, de relever le caractère contraire à l'ordre public international français, d'un jugement rendu dans des conditions inégalitaires. Mais, il faut reconnaître que l'exclusivité de la compétence issue de l'article 15 constituait un moyen efficace pour refuser de reconnaître un jugement rendu dans des conditions discutables, sans porter pour autant un jugement de valeur sur la qualité de la justice et du personnel qui la rend. Désormais, seule l'invocation d'une exception d'ordre public, notamment procédural, permettra de s'opposer à la reconnaissance en France de jugements rendus dans de telles conditions. A bien y réfléchir, cela n'est pas forcément un mal. Affirmer solennellement la contrariété à notre ordre public des décisions les plus choquantes présentera peut-être une vertu d'exemple.

De même, quelques esprits chagrins relèveront que l'ancienne interprétation de l'article 15 du Code civil était tout de même un bon argument de négociation pour la France dans les conventions internationales. Comme toute convention repose sur des concessions réciproques, l'abandon du caractère exclusif de l'article 15 était une concession que la France pouvait proposer, ce qu'elle ne pourra désormais plus faire. Gageons que les diplomates français auront d'autres arguments à faire valoir que l'invocation de l'interprétation d'un texte, dont le caractère archaïque était incontestable.

Pierre Callé
Professeur à l'Université du Maine
Groupe de recherche en droit des affaires


(1) Sur cet arrêt, v. déjà JCP éd. G, 2006, II, 10134 et la note.
(2) V. sur ce point, par exemple T. Vignal, Droit international privé, Armand Colin, 2005, n° 493.

newsid:93203

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Licenciements économiques fondés sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises : la Cour de cassation rassure

Réf. : Cass. soc., 13 septembre 2006, n° 05-41.665, Société E. et M. Lamort c/ Mme Véronique Tridat, F-D (N° Lexbase : A0358DRP) et n° 04-45.915, Association L'Opéra National de Lyon c/ M. Laurent Nutchey, F-D (N° Lexbase : A0248DRM)

Lecture: 8 min

N3200AL4

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

On se souvient de l'émoi qu'avaient pu susciter, dans une partie de l'opinion, les fameux arrêts "Pages jaunes" rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 11 janvier 2006 (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-46.201, M. Joël Ains c/ Société Les Pages jaunes N° Lexbase : A3500DML et n° 05-40.977, Société Pages jaunes c/ M. Philippe Delporte N° Lexbase : A3522DME). Alors même que la Cour de cassation avait pris la peine d'accompagner ces deux décisions d'un communiqué destiné à rassurer les justiciables sur ses intentions, certains n'avaient pas manqué d'évoquer un revirement de jurisprudence et avançaient l'idée qu'en résultait un "blanc-seing pour les licenciements préventifs". Joignant en quelque sorte le geste à la parole, la Cour de cassation a toutefois démontré, dans plusieurs arrêts postérieurs, qu'une telle conclusion s'avérait pour le moins hâtive et qu'elle n'entendait pas, loin s'en faut, modifier son regard sur les licenciements économiques procédant du souci de sauvegarder la compétitivité des entreprises. Deux décisions rendues le 13 septembre dernier par la Chambre sociale s'inscrivent dans cette perspective rassurante.
Résumé

Pourvoi n° 05-41.665

Une réorganisation ne peut être une cause économique de licenciement que si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Par suite, une réorganisation visant à une amélioration des marges qui étaient positives, ne participe pas d'une telle nécessité.

Pourvoi n° 04-45.915

L'harmonisation des statuts des personnels d'une association conduisant à la suppression de l'emploi d'un salarié visait à réaliser des économies et à lui laisser une plus grande marge de manoeuvre à l'égard des salariés sous contrat. Elle n'a donc pas pour objet la sauvegarde de la compétitivité de l'association.

Décisions

Cass. soc., 13 septembre 2006, n° 05-41.665, Société E. et M. Lamort c/ Mme Véronique Tridat, F-D (N° Lexbase : A0358DRP)

Cass. soc., 13 septembre 2006, n° 04-45.915, Association L'Opéra National de Lyon c/ M. Laurent Nutchey, F-D (N° Lexbase : A0248DRM)

Textes concernés : C. trav., art. L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K)

Mots-clés : Licenciement pour motif économique (définition), sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise (notion).

Liens base :

Faits

Pourvoi n° 05-41.665

Mme Leblanc, employée dans l'entreprise en qualité de responsable administratif et financier, a été licenciée par la société E. et M. Lamort le 26 juin 2000, en raison de la suppression de son poste consécutive à une réorganisation.

L'employeur reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer à la salariée une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le pourvoi fait notamment valoir que la cour d'appel aurait violé l'article L. 321-1 du Code du travail en décidant, pour déclarer le licenciement dépourvu de motif économique, que la sauvegarde de la compétitivité suppose que l'entreprise soit menacée dans ses marchés au point de compromettre sa pérennité.

Pourvoi n° 04-45.915

M. Nutchey, engagé comme machiniste par l'association Opéra de Lyon le 1er septembre 1986, a été licencié le 27 novembre 1999 pour motif économique.

Condamnée à payer une somme à titre de dommages-intérêts et à rembourser des indemnités de chômage, l'association employeur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Solution

Pourvoi n° 05-41.665

Rejet du pourvoi

"Mais attendu que la cour d'appel, qui a exactement énoncé qu'une réorganisation ne peut être une cause économique de licenciement que si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et qui a constaté que les éléments produits dont il résultait que la réorganisation visait à une amélioration des marges qui étaient positives, ne justifiaient pas d'une telle nécessité, a, par ce seul motif, pu décider que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause économique".

Pourvoi n° 04-45.915

Rejet du pourvoi

"Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel, appréciant souverainement les pièces et éléments de preuve soumis à son examen, a estimé que l'harmonisation des statuts des personnels de l'association conduisant à la suppression de l'emploi de M. Nutchey visait à réaliser des économies et à lui laisser une plus grande liberté à l'égard des salariés sous contrat ; qu'elle a pu en déduire que le licenciement n'avait pas pour objet la sauvegarde de la compétitivité de l'association sans avoir à s'expliquer sur des difficultés économiques qui n'étaient pas invoquées dans la lettre de licenciement ; qu'abstraction faite de motifs erronés mais surabondants relatifs à la motivation de la lettre de licenciement, elle a ainsi légalement justifiée sa décision".

Observations

1 - La sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise comme motif de licenciement

  • Genèse

L'article L. 321-1 du Code du travail définit le licenciement pour motif économique comme "le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques".

Mettant à profit la marge de liberté octroyée par le législateur au travers de l'emploi de l'adverbe "notamment", la Cour de cassation a admis, au fil du temps, d'autres causes de suppression ou transformation d'emplois ou de modifications de contrat de travail que les seules difficultés économiques et mutations technologiques. C'est ainsi qu'en 1995 elle affirmait, dans un arrêt resté fameux, que "lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3, D. 1995, p. 503, note M. Keller, Dr. ouvrier 1995, p. 281, note A. Lyon-Caen ; Dr. soc. 1995, p. 489, note G. Lyon-Caen).

Si la Cour de cassation venait, ainsi, admettre les licenciements préventifs, elle a, par la suite, fait preuve d'une certaine sévérité quant à la mise en oeuvre de ce nouveau motif de licenciement économique, n'hésitant pas à censurer les décisions de juges du fond opérant une interprétation trop large de celui-ci (V., sur ce point, la chron. de Ch. Radé, Un nouveau pas en avant pour le licenciement économique fondé sur la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 198 du 19 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3341AKX et la jurisprudence citée). En d'autres termes, les décisions de la Chambre sociale postérieures à l'arrêt de 1995 révélaient, peu ou prou, une certaine réticence de cette dernière à l'égard de la possibilité laissée à l'employeur de prononcer des licenciements économiques pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

Au-delà, on pouvait reprocher à la Cour de cassation l'absence d'indications utiles sur ce qui doit permettre de distinguer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise des difficultés économiques. C'est au regard de cette carence que les arrêts "Pages jaunes" revêtent toute leur importance.

  • Les arrêts "Pages jaunes"

On s'accordera avec d'autres pour affirmer que les arrêts "Pages jaunes" n'ont nullement constitué une innovation ou une inflexion de la jurisprudence de la Cour de cassation et encore moins un revirement (V. notamment, J.-E. Ray, Revirement ? Quel revirement ? Dix ans après l'arrêt "Vidéocolor", les arrêts "Pages jaunes" du 11 janvier 2006, Dr. soc. 2006, p. 138). Peut-être la crainte irraisonnée suscitée par ces arrêts découlait-elle du fait, qu'une fois n'est pas coutume, la Chambre sociale admettait la validité de licenciements économiques consécutifs à la réorganisation de l'entreprise effectuée pour en sauvegarder la compétitivité.

Car, pour le reste, la Cour de cassation s'est tout d'abord bornée à rappeler que la réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient. Elle a, ensuite, précisé, plus fondamentalement, que répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement.

En résumé, et ainsi que l'a souligné à juste titre un auteur autorisé, "ces arrêts disent, d'une manière finaliste, ce qui peut autoriser des licenciements hors toute difficulté économique ou mutation technologique : des difficultés économiques prévisibles et qu'il s'agit de prévenir, par une mesure d'anticipation, en limitant leurs conséquences futures sur l'emploi. [...] Mais ces arrêts disent aussi clairement que cette cause de licenciement n'est pas subordonnée à l'existence de difficultés économiques au jour du licenciement, comme certaines juridictions du fond avaient tendance à le juger" (P. Bailly, Actualité des licenciements économiques, Sem. soc. Lamy, 17 juillet 2006, n° 1270, p. 6).

Rien de bien nouveau donc, si ce n'est une certaine insistance sur la possibilité de privilégier la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, au demeurant dans l'air du temps (V., sur cette question, l'art. préc. de J.-E. Ray. V. aussi, F. Favennec-Héry, obs. ss. les arrêts "Pages jaunes", JCP éd. S 2006, n° 1076). En tout état de cause, des arrêts postérieurs ont démontré qu'il était toujours nécessaire de caractériser une menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève. Les deux décisions sous examen s'inscrivent dans cette perspective et sont de nature à rassurer ceux qui, au lendemain des arrêts "Pages jaunes", envisageaient le pire (V. aussi, pour d'autres arrêts de cette nature, Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-47.376, F-P sur 1er moyen N° Lexbase : A7525DPE ; Cass. soc., 4 juillet 2006, n° 04-46.261, M. Olivier Majeune, N° Lexbase : A3702DQ8).

2 - Le contrôle des licenciements économiques fondés sur la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise

  • Les éléments que doit produire l'employeur

Il est désormais très clair que l'employeur n'a en aucune façon à démontrer l'existence de difficultés économiques au jour du licenciement. Mais ce dernier doit produire des éléments tendant à établir que, s'il n'avait pas pris des mesures de réorganisation impliquant des licenciements, la situation de l'entreprise se serait dégradée ou, à tout le moins, aurait pu se dégrader, au point d'imposer des mesures plus graves, en termes d'emploi (P. Bailly, art. préc., p. 6). C'est bien de gestion prévisionnelle des emplois dont il est ici question. La réorganisation doit viser à prévenir des difficultés économiques futures pouvant avoir un effet sur l'emploi. En d'autres termes, l'employeur a le droit (pour ne pas dire le devoir) pour sauver l'entreprise, de procéder, à l'occasion d'une réorganisation, à des licenciements nécessaires à son maintien en bonne santé.

Se trouvent ainsi bannis les licenciements qualifiés de "boursiers", destinés à maximiser le profit de l'entreprise, ou plus exactement celui des actionnaires. Par suite, et pour en revenir aux arrêts rendus le 13 septembre 2006, ne relèvent pas de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, la réorganisation visant à améliorer les marges déjà positives de l'entreprise (pourvoi n° 05-41.665) ou encore l'harmonisation des statuts des personnels d'une association visant à réaliser des économies et à lui laisser une plus grande liberté à l'égard des salariés sous contrat (pourvoi n° 04-45.915). Deux solutions parfaitement justifiées, qui démontrent que les juges du fond, dont les décisions sont dans les deux cas approuvées par la Cour de cassation, savent se mettre au diapason de sa jurisprudence.

  • Limites du contrôle des juges du fond

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'un des deux arrêts commentés (pourvoi n° 04-45.915), les juges du fond ont uniquement pour mission d'apprécier si la réorganisation et les licenciements économiques qui en découlent étaient nécessaires à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Ils n'ont donc pas à s'expliquer sur des difficultés économiques, dès lors à tout le moins qu'elles ne sont pas invoquées dans la lettre du licenciement, dont on doit rappeler qu'elle fixe les limites du litige.

Ensuite, la vérification de ce motif de licenciement économique et de ses conséquences sur l'emploi ne doit pas conduire le juge à se prononcer sur la valeur des choix de gestion effectués par l'employeur. Affirmée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans le fameux arrêt "SAT" en date du 8 décembre 2000 (Cass. Ass. plén., 8 décembre 2000, n° 97-44.219, Société anonyme de télécommunications (SAT) c/ M. Coudière et autres N° Lexbase : A0328AUP, D. 2001, p. 1125, note critique J. Pélissier), cette directive n'est sans doute pas toujours facile à mettre en oeuvre. En outre, et pour être conforme à la liberté d'entreprendre, elle tend à laisser de côté le principe selon lequel le licenciement doit être la mesure ultime.

En conclusion, et au regard des deux arrêts commentés, il y a tout lieu d'affirmer que les arrêts "Pages jaunes" n'auront nullement provoqué les bouleversements que certains avaient pu un peu trop rapidement prédire. On ne peut que s'en féliciter, tout en soulignant que l'on avait toutefois peu de craintes à cet égard.

newsid:93200

Marchés publics

[Jurisprudence] L'arrêt du Conseil d'Etat du 9 août 2006 : motifs de rejet et pondération des critères de jugement des offres

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 9 août 2006, n° 284577, Société Hairis SAS (N° Lexbase : A8767DQR)

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N2860ALI

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par Chrystel Farnoux, conseiller juridique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne

Le 07 Octobre 2010

Dans l'affaire ci-dessous analysée, la Haute juridiction est saisie, par la société requérante en vue de l'annulation d'une ordonnance du tribunal administratif ayant statué en application de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6369G9R). Cette procédure, d'origine européenne est celle du référé précontractuel. Elle peut être mise en oeuvre par toute personne ayant un intérêt à conclure le contrat et donc susceptible d'être lésée par un manquement, de la personne publique, à ses obligations de mise en concurrence et de publicité lors de la passation d'une procédure de marchés publics ou de délégations de service public. Dans le cadre de ladite procédure, le président du tribunal administratif statuant en référé, peut prendre l'une ou plusieurs des décisions suivantes :
- ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations ;
- suspendre la procédure de passation du marché ou l'exécution de toute décision s'y rapportant ;
- annuler les décisions prises par la personne publique ;
- supprimer les clauses litigieuses. Il convient, préalablement à l'exposé et à l'analyse des problématiques juridiques, de rappeler les faits ayant conduit le juge à se prononcer. La commune de Boulogne-sur-Mer a lancé un appel d'offres ouvert, alloti en sept lots et concernant la réalisation de travaux de réhabilitation de la Basilique Notre-Dame. L'offre de la société Hairis n'a pas été retenue. Celle-ci a donc demandé les motifs de rejet de son offre et n'ayant pas obtenu de réponse, elle a saisi le juge des référés aux fins d'annulation de la procédure conduite, selon cette dernière, de manière irrégulière.

Plusieurs problématiques juridiques sont soulevées par le Conseil d'Etat, à savoir :

- l'obligation posée par l'article 77 du Code des marchés publics 2004 (N° Lexbase : L6448DYH) (article 83 du nouveau code (N° Lexbase : L2743HPB) concernant la communication des motifs de rejet ;
- le caractère obligatoire de la pondération des critères de jugement des offres ;
- le respect, par la personne publique, des règles que cette dernière a inscrites dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans toute autre pièce du dossier de consultation.

Il est précisé que les règles posées par le Conseil d'Etat ici analysées sont pleinement applicables sous l'égide de la nouvelle réglementation issue du décret du 1er août 2006 portant Code des marchés publics (n° 2006-975 N° Lexbase : L4612HKZ). Seules certaines modifications de détail ou précisions ont été apportées par le nouveau code, modifications sur lesquelles, nous nous arrêterons au fur et à mesure de cette étude.

I. La communication des motifs de rejet

L'article 77 du Code des marchés publics 2004 (article 83 du nouveau code) prescrit à la personne publique l'obligation de communiquer à toute entreprise en faisant la demande, les motifs de rejet de sa candidature ou de son offre. Ces mêmes dispositions précisent qu'alors même que l'entreprise demanderesse n'en ferait pas expressément la demande, il convient, sauf à ce que son offre ait été jugée non conforme (désormais inappropriée, irrégulière ou inacceptable), de lui communiquer :

- les caractéristiques et les avantages relatifs à l'offre retenue ;
- le nom de l'attributaire ;
- le montant du marché.

Arrêtons-nous quelques instants sur les modifications apportées par les nouvelles dispositions issues du décret du 1er août 2006. Ces modifications sont relatives au terme d'"offres non conformes" aujourd'hui remplacé par celui "d'offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables". La recherche de ces différents termes dans le dictionnaire et, notamment, celle de synonymes, nous permet de considérer que plus qu'une modification, le nouveau code est venu apporter une précision au terme de non-conformité jusqu'alors utilisé. Cette précision, nous paraît importante dans la mesure où le terme de "non-conformité" était relativement vague et donnait lieu, de ce fait, à des interprétations souvent divergentes.

En tout état de cause, les dispositions précitées relatives à la communication des motifs de rejet, ont pour objectif, comme le rappelle la Haute juridiction, de permettre à l'intéressé de contester le rejet, notamment par la voie du référé précontractuel. Ainsi, la non-communication, par la personne publique, de ces motifs constitue pleinement une atteinte aux obligations de mise en concurrence auxquelles cette dernière est astreinte. Contrairement à la décision prise par le juge des référés, le non-respect de l'article 77 (83 du nouveau code) entre pleinement dans le cadre des manquements dont peut se prévaloir l'entreprise évincée pour demander, au titre de l'article L. 551-1 précité, l'annulation de la procédure. Le Conseil d'Etat conclue donc que le juge des référés a commis une erreur de droit en rejetant la demande de la société requérante, sur ce seul motif.

II. La pondération des critères, une obligation pour la personne publique

Après avoir rappelé le principe selon lequel le marché est attribué à l'offre économiquement la plus avantageuse dans son article 53-I (N° Lexbase : L8486G7G), le Code des marchés publics 2004 posait le principe de la pondération ou à défaut, de la hiérarchisation des critères de jugement des offres. Ces dispositions ont connu une application difficile, un grand nombre d'acheteurs publics ayant considéré avoir le choix entre ces deux systèmes (pondération ou hiérarchisation). Ainsi, la jurisprudence est venue, à plusieurs reprises, rappeler que la personne publique ne pouvait échapper à la pondération des critères que si elle était en mesure de justifier de l'impossibilité de la mettre en oeuvre. Ce n'est donc que dans cette stricte hypothèse, que la personne publique pouvait se contenter de hiérarchiser les critères de jugement. La pondération était donc le principe, la hiérarchisation, l'exception.

Cette règle a été rappelée à maintes reprises par la Haute juridiction. Il conviendra, notamment, de se reporter aux arrêts suivants : Conseil d'Etat n° 288441 du 5 avril 2006, Ministre de la Défense (N° Lexbase : A9563DNI) ; Conseil d'Etat n° 276867 du 7 octobre 2005, Société Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (N° Lexbase : A6992DK8) ; Conseil d'Etat n° 267992 du 29 juin 2005, Commune de la Seyne-sur-Mer (N° Lexbase : A8669DIW) ; sur ces arrêts, lire M-H. Sanson, Le Conseil d'Etat rend obligatoire la pondération des critères de jugement des offres, Revue Lexbase de Droit Public n° 2, du 16 novembre 2005 (N° Lexbase : N0817AKH).

Mais qu'en est-il au regard des dispositions du code 2006 ? Celui-ci précise, dans son article 53-II (N° Lexbase : L2713HP8), alinéa 4, "les critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation sont indiqués dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation". Nous pouvons constater la disparition de la mention "à défaut". A première lecture, nous pourrions donc penser que le choix est désormais totalement libre pour la personne publique. En effet, le terme "à défaut" donnait la priorité d'un système (celui de la pondération) sur un autre (celui de la hiérarchisation). Aujourd'hui, à la seule lecture de l'article 53-II précité, les deux méthodes semblent être mises sur un pied d'égalité.

Cependant, était-ce bien la volonté des rédacteurs du code 2006 que de revenir sur la nature des obligations précédentes, dont la rédaction avait, comme nous l'avons vu, nécessité l'intervention des juridictions administratives aux fins d'éclaircissement ?

La réponse à cette question est négative. Elle nous est apportée, par la circulaire du 3 août 2006, prise pour l'application du nouveau code et plus précisément par son chapitre 12 (circulaire portant manuel d'application du Code des marchés publics N° Lexbase : L4613HK3). En effet, les rédacteurs de ladite circulaire, après avoir rappelé que les critères de choix étaient librement pondérés (sans aucune allusion à la hiérarchisation éventuelle desdits critères), confirme, quelques lignes plus loin, le principe posé antérieurement par le code 2004 et précisé, comme rappelé ci-dessus, par la jurisprudence : l'obligation de pondération des critères de jugement des offres ou en cas d'impossibilité, la hiérarchisation, de ces derniers. Celle-ci indique, en effet : "c'est seulement lorsque le pouvoir adjudicateur estime pouvoir démontrer que la pondération n'est pas possible, notamment du fait de la complexité du marché, qu'il indique les critères par ordre décroissant d'importance".

Enfin, pour terminer sur la règle de la pondération, nous pouvons constater que la circulaire du 3 août 2006 précitée, vient justifier l'obligation posée par la réglementation en rappelant l'intérêt d'un tel système. En effet, celle-ci précise que "contrairement à la hiérarchisation où les différents critères sont analysés indépendamment les uns des autres, la pondération permet une meilleure prise en compte de l'ensemble des critères choisis, mis en balance les uns par rapport aux autres". L'analyse des offres est donc affinée. Ainsi, la pondération au-delà de son caractère obligatoire, permet d'optimiser la procédure d'achat mise en oeuvre.

Le principe à retenir est donc, encore aujourd'hui, celui-ci : sauf à pouvoir justifier de l'impossibilité de pondérer les critères de jugement des offres (le cas échéant, dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation), la personne publique est dans l'obligation de pondérer, dans les documents précités, lesdits critères. Cependant, si cette dernière peut justifier ne pas y avoir recours, elle devra, a minima, les hiérarchiser.

III. L'impossibilité, pour la personne publique, de déroger à ses propres règles

La Haute juridiction, rappelle que si la pondération n'est pas indiquée (ce qui ne devrait, encore une fois, être le cas que si cela peut être justifié), la personne publique ne pourra, bien entendu, en faire usage lors de l'analyse des offres. En effet, dans notre cas d'espèce, alors même que la pondération n'avait pas été affichée, la commune de Boulogne-sur-Mer avait procédé à une telle pondération lors de l'analyse. Précisons d'ailleurs qu'il paraît difficilement soutenable d'arguer de l'impossibilité de pondérer les critères et donc d'afficher la pondération dans l'avis d'appel public à la concurrence (ou dans les documents de consultation) et, parallèlement, d'utiliser un tel système, lors de l'analyse.

Plus généralement, nous profitons du principe ainsi posé par le Conseil d'Etat pour rappeler que la personne publique est tenue de respecter les règles (ou l'absence de règles) qu'elle a elle-même inscrites dans les éléments portés à la connaissance des entreprises. Ainsi, elle ne pourra, sans méconnaître ses obligations, changer les règles du jeu en cours de procédure.

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Sécurité sociale

[Evénement] Risques professionnels : protection sociale et responsabilité de l'entreprise

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N3110ALR

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Le 07 Octobre 2010

Troisième et dernier volet abordé au Congrès mondial de droit du travail qui s'est déroulé à Paris au début du mois de septembre, le thème "Risques professionnels : protection sociale et responsabilité de l'entreprise" a fait l'objet d'un rapport général scindé en deux parties. La première porte sur les pays industrialisés dans lesquels le passage d'une logique de responsabilité (de l'employeur) à une logique d'assurance (qu'elle soit publique et/ou privée) n'est pas sans conséquence (défaut de prévention, négligence...). L'analyse comparée des différents régimes de protection sociale appliquée aux risques particuliers que sont les accidents du travail et les maladies professionnelles permet de mieux en comprendre les failles et de proposer des alternatives. Si le modèle allemand de prise en charge des risques professionnels apparaît comme efficace, il n'est, néanmoins, pas envisageable de mettre en oeuvre un modèle unique. La seconde partie du rapport est consacrée aux pays en voie de développement qui souffrent de problèmes spécifiques (financement, effectivité du droit...). Ce troisième compte-rendu est aussi l'occasion de dresser un bilan du congrès à travers la façon dont il a été perçu par les entreprises (pour le premier compte-rendu voir, Libéralisation des échanges et droit du travail, Lexbase Hebdo n° 227 du 14 septembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N2662AL8 ; pour le deuxième voir, Décentralisation productive et droit du travail, Lexbase Hebdo n° 228 du 20 septembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N2917ALM). Enfin, notons que rendez-vous est donné aux professionnels du droit du travail et de la Sécurité sociale en septembre 2009 à Sydney pour le prochain Congrès mondial.

I Les pays industrialisés occidentaux

Ann Numhauser-Henning, professeur de droit privé à l'Université de Lund (Suède), rappelle que c'est à la suite de l'industrialisation du XIXème siècle que s'est construite la première législation du travail et qu'elle portait sur les accidents de travail. Depuis, on est passé d'une logique de responsabilité à une logique d'assurance.

A Présentation des régimes de protection sociale

  • Règles de protection et de prévention

Après une brève présentation des instruments internationaux applicables en la matière, le professeur Ann Numhauser-Henning indique que si certains pays font des listes des pathologies liées au travail (c'est le cas, notamment, de la France, de l'Allemagne, de la Hongrie...), d'autres en ont une conception plus ouverte (Australie, Suède, Nouvelle -Zélande...). S'agissant des accidents de trajets, les définitions diffèrent beaucoup selon les pays et dans certains ils ne sont même pas pris en charge par la Sécurité sociale et relèvent donc d'assurances spécifiques. Dans les pays concernés, même si les règles de prévention diffèrent, il existe une inspection du travail.

  • Responsabilité de l'employeur

Non seulement le principe de responsabilité individuelle tend à s'effacer sous l'effet des assurances publiques ou privées, mais il est également défini de façon de plus en plus stricte. Les employeurs ont l'obligation de s'assurer contre le risque. En Suède, une assurance publique obligatoire vise à soulager les employeurs de leur responsabilité. Dans certains pays, cette assurance la remplace complètement. L'employeur a aussi une responsabilité préventive de laquelle découle la justification du maintien du salaire et l'autorisation d'absence du travailleur victime d'un accident du travail. Cependant, les situations sont très variables en fonction des pays. En République Tchèque, l'employeur a l'obligation de retrouver un emploi au salarié, aux Etats-Unis le salarié victime d'un accident du travail absent de l'entreprise peut être licencié sans autre forme de procès.

B Nouveaux risques professionnels

  • Mutation du risque

Les changements technologiques ont fait évoluer le risque. De naturel, objectif et instantané, il est devenu sanitaire, subjectif et pouvant révéler ses effets sur la santé du travailleur longtemps après l'exposition. Il faut, également, noter le passage du risque bactériologique au risque immunologique et relever que des négligences sont souvent en cause.

  • Emergence de nouveaux risques

Si de nouveaux risques professionnels sont apparus (stress, harcèlement, tabagisme...), la flexibilisation du travail est également une source nouvelle de risques car elle entraîne un éloignement du lieu de travail et du domicile, un accroissement du travail temporaire, et un recours massif au contrat de travail à durée déterminée (CDD). Force est de constater que les travailleurs employés sous CDD sont souvent mal formés et occupent des postes plus dangereux que leurs collègues embauchés en contrat à durée indéterminée (CDI). Ils changent plus souvent d'employeur et de statut (deviennent indépendants puis redeviennent salariés). Or, très souvent les maladies apparaissent longtemps après l'exposition au risque et sont dues à des multitudes de causes. Pour ces salariés, dont la couverture sociale est aussi précaire que leur contrat, la protection doit reposer sur une assurance publique et non sur la responsabilité individuelle de l'employeur. L'incapacité (partielle) de travail engendre des problèmes similaires. Dans la mesure où l'on ne conserve pas le même emploi ni le même employeur toute sa vie, quel peut être le salaire garanti en cas d'incapacité ?

  • Risques "féminins" versus risques "masculins"

Les hommes sont plus souvent victimes d'accident du travail que les femmes. Celles-ci sont, en revanche, plus touchées par le stress. La protection des travailleurs est donc inégale en fonction du sexe, le stress n'étant pas reconnu comme une pathologie professionnelle. Il en est de même pour la question du harcèlement au travail. Ann Numhauser-Henning attire, en outre, l'attention sur le fait que réformer la législation sur les accidents de trajet en décidant de ne plus les indemniser serait ainsi préjudiciable en premier lieu aux femmes. En effet, celles-ci vont souvent travailler en vélo ou à pied et ne bénéficieraient donc plus d'aucune protection tandis que les hommes plus enclins à utiliser leur voiture bénéficieront de toute façon de l'indemnisation de leur assurance qui est obligatoire.

C Synthèse

Il n'est pas possible de tirer des conclusions très générales à vocation universelle et pouvant tenir lieu de modèle. Néanmoins, trois tendances se dégagent :

- les régimes d'assurance publique sont sources de négligences et de déclin de la responsabilité individuelle de l'employeur. Cette tendance est accrue par la flexibilisation du travail ;

- lorsque les assurances publiques sont couplées avec la responsabilité individuelle de l'employeur, les deux servent de fondement à la prévention et à la réparation des accidents du travail ;

- certains pays continuent quant à eux à accepter les réclamations d'ordre civil.

Il est, par ailleurs, très difficile aujourd'hui de donner une définition de ce qu'est une blessure ou une maladie professionnelle et encore plus d'identifier clairement un responsable. La compensation du risque est devenue inefficace et représente une charge énorme pour la collectivité. Face à des dépenses de Sécurité sociale en constante augmentation, certains pays ont fait le choix d'indexer les primes versées aux salariés sur le niveau de risque professionnel encouru. Une autre solution envisageable pour réduire les coûts est la diminution du risque notamment par la réorganisation des entreprises, du temps et des procédés de travail, autant dire l'adaptation de l'entreprise aux capacités physiques et mentales des travailleurs.

D Le modèle allemand

Selon Steve Adler, professeur à l'Université de Jérusalem, la faiblesse des systèmes de protection contre les risques professionnels est le manque de coordination entre trois éléments distincts :

- la prévention (qui relève du ministère du Travail et des agences de contrôle) ;

- l'indemnisation (mise en oeuvre par les caisses spécialisées dont les responsables n'ont pas leur mot à dire et qui cherchent à limiter le montant des indemnisations) ;

- la réhabilitation ou la rééducation du travailleur (réalisée par le personnel médical, psychologique et par les travailleurs sociaux).

A l'heure actuelle, le seul système coordonné est le "HVBG" ("hauptverband der gewerblichen berufsgenossenschaften" : fédération principale des caisses de prévoyance contre les accidents industriels) en Allemagne. Il s'agit d'une organisation par branches qui réunit les trois facteurs évoqués ci-dessus. Le premier avantage qui en découle, c'est une meilleure répartition des fonds en vue d'atteindre un objectif essentiel : le retour du travailleur blessé ou malade sur son lieu de travail. Or, dans les autres pays c'est l'indemnisation qui est privilégiée. Le deuxième avantage du système allemand est qu'il permet d'atténuer l'impact des groupes de pression. Troisième avantage : il diminue le coût des indemnisations et améliore la situation des salariés qui ne peuvent aller que mieux en allant travailler, d'autant plus que le personnel médical est chargé de tout mettre en oeuvre pour le leur permettre. Il est donc indispensable, non seulement de réorganiser la répartition du financement entre prévention, rééducation et indemnisation, mais encore de redéfinir l'ordre des priorités dans ce sens.

II Les pays en voie de développement

Aminata Cissé, professeur à l'Université de Dakar (Sénégal), concentre quant à elle son exposé sur les pays en voie de développement. Son rapport est basé sur les réponses apportées par le Maroc, les pays d'Amérique latine et Israël. Au-delà de la présentation du système de prise en charge des risques professionnels, la question de la prise en compte des risques nouveaux ou identifiés comme tels (VIH, stress, conséquences de l'utilisation de l'amiante...), l'aggravation des problèmes de sécurité en raison des nouveaux modes de production ou d'organisation de l'entreprise (externalisation de certains emplois, sous-traitance, emplois de personnels précaires) constituent les préoccupations essentielles.

A - Présentation des systèmes de protection sociale

  • De l'assurance à la Sécurité sociale

Certains pays ont adopté de véritables lois de Sécurité sociale avec la création d'un service public (Brésil, Israël, Mexique, Pérou et Venezuela). Les autres n'ont pas intégré la couverture des risques professionnels à un régime de Sécurité sociale (Maroc, Argentine, Uruguay), leur choix ayant porté sur l'assurance (obligatoire ou facultative). L'accent est mis sur la responsabilité personnelle et objective de l'employeur. En vue d'améliorer la prise en charge des risques professionnels, des réformes ont, dans certains pays, permis de passer d'un système de prévoyance collective à un système national de Sécurité sociale. Le Chili se distingue par une prise en charge originale alliant un caractère à la fois privé et public. Dans la plupart des pays, c'est un organisme à caractère public qui récupère les cotisations, principale source de financement. Elles émanent généralement de l'employeur. Seuls certains systèmes obligent les salariés (Brésil, Venezuela) et parfois l'Etat (Mexique, Pérou) à contribuer au financement.

  • Etendue de la protection sociale

Sont couverts : les salariés (en priorité), les travailleurs du secteur public, les travailleurs indépendants (parfois). Dans certains pays, la protection est étendue à d'autres catégories professionnelles, notamment les gens de maison (Maroc, Argentine, Brésil, Chili), même si le bénéfice de la couverture sociale demeure alors purement théorique. L'hétérogénéité des choix quant aux bénéficiaires a ainsi engendré des systèmes juxtaposés, se présentant comme de véritables régimes spéciaux qui offrent des prestations différentes de celles du régime général. Les risques couverts comprennent généralement les accidents du travail et les maladies professionnelles. La classification de ces dernières pose problème pour la prise en charge de celles qui sont nouvellement reconnues, les textes étant souvent en retard par rapport aux faits. L'insistance particulière des rapports nationaux concernant l'accident de trajet justifie que l'on reproduise la définition qui en est retenue : c'est l'accident survenant sur le trajet le plus direct entre le domicile du travailleur et son lieu de travail. Le trajet ne doit pas être interrompu pour des raisons étrangères au travail ou qui ne sont pas jugées légitimes. L'accident de trajet ainsi défini est assimilé à l'accident de travail et couvert par le système de prise en charge des risques professionnels, à l'exception du Pérou. S'agissant du sort du contrat de travail du salarié accidenté ou malade, la quasi-totalité des pays ont adopté le principe de la suspension pendant la période d'indisponibilité du salarié. L'Argentine constitue la seule exception, sa législation admettant le licenciement sans aucune procédure spéciale.

B Détermination des responsabilités

La question de la détermination des responsabilités, centrale dans l'entreprise, est abordée en corrélation avec les différentes obligations à la charge de l'employeur en matière de prévention, d'hygiène et de sécurité des travailleurs.

  • Prévention

L'obligation de prévention mise à la charge de l'employeur, plus ou moins précise et rigoureuse selon les pays, implique l'évaluation des risques et la prise de dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des travailleurs. Seul le Maroc exprime des réserves sur l'existence d'une véritable politique de prévention. Les autres pays évoquent une obligation sanctionnée par une responsabilité pénale, sous forme de condamnation à une amende et parfois à une peine d'emprisonnement (Pérou, Chili, Mexique).

  • Protection

La question de la protection de la vie et de la santé des travailleurs a permis de dégager plusieurs obligations : le maintien de la salubrité de l'environnement de travail, l'isolement par un dispositif spécial des machines dangereuses, l'information du personnel sur les risques liés à l'utilisation des instruments de travail dangereux. Les modalités d'application de ces mesures n'ont pas été très clairement définies. Un contrôle de nature administrative est généralement prévu, qu'il soit resté théorique, comme au Maroc, ou plus réel dans les autres pays. S'agissant de la délégation de pouvoir, les divers rapports nationaux n'excluent pas cette possibilité mais insistent sur la responsabilité personnelle et directe de l'employeur.

C Risques et travailleurs particuliers

  • Risques particuliers

Le stress n'est généralement pas pris en compte dans la définition des maladies professionnelles. Les situations sont variables : refus explicite (Israël), obligation de s'abstenir de toute conduite (agressivité, intimidation, harcèlement, isolement du travailleur) susceptible de provoquer des troubles chez les salariés (Venezuela), prise en charge de la névrose professionnelle (Chili). Concernant le tabac, bien que dans la plupart des pays il existe une interdiction de fumer dans les lieux publics, seul le rapport du Mexique mentionne clairement l'interdiction de fumer dans les lieux de travail avec une prise en charge du problème par l'employeur. S'agissant des conséquences de l'utilisation de l'amiante, seul le rapport d'Israël fait état de la responsabilité de l'employeur pour imprévoyance. Par ailleurs, il résulte de l'ensemble des rapports que le test du VIH ne saurait être imposé au travailleur et que l'employeur doit garantir la confidentialité du résultat. Celui-ci ne peut justifier une quelconque discrimination.

  • Travailleurs particuliers

La question de la protection de certains travailleurs fait l'unanimité sur deux points : la femme enceinte et les jeunes travailleurs. Cette protection passe par des interdictions (travail de nuit dans les mines et dans les emplois pénibles), la limitation de la durée du travail et surtout la reconnaissance à la femme enceinte d'un droit au congé de maternité et à des allocations.

D Réparation

  • De la réparation forfaitaire à la réparation intégrale

Les prestations servies aux salariés consistent, d'une part, en allocations et, d'autre part, en une assistance médicale, chirurgicale et pharmaceutique. Les allocations sont fixées selon un barème. Toutefois, il est admis que le salarié puisse exercer des recours fondés sur le droit commun en cas de négligence, de faute inexcusable ou intentionnelle de l'employeur. En Argentine, la Cour suprême a récemment déclaré inconstitutionnel le refus de la réparation intégrale. Des voix s'élèvent aujourd'hui pour remettre en cause la réparation forfaitaire et des décisions de justice allant dans ce sens ne peuvent que susciter le débat.

  • Organisme payeur

Les prestations sont versées, selon les systèmes nationaux, soit par une institution publique, soit par un organisme privé, notamment un assureur. Il n'existe pas, dans la plupart des pays, de fonds spéciaux pour la prise en charge de dommages consécutifs à des produits dont la nocivité n'était pas certaine.

E Rôle des représentants du personnel

Chargés de veiller au respect par l'employeur des dispositions du droit social, les représentants du personnel (délégués du personnel et comités d'hygiène et de sécurité) ont un rôle naturel de prévention des risques professionnels. De rares pays, notamment l'Argentine, ne connaissent pas l'institution des comités d'hygiène et de sécurité. En Uruguay, l'intervention des représentants du personnel est cantonnée aux chantiers d'une certaine importance. Leur mission nécessite des moyens que l'employeur doit leur procurer. Le rapport du Venezuela met en évidence l'obligation à la charge de l'employeur de donner les informations nécessaires, de leur accorder des congés et de supporter le coût de leur formation.

F Ineffectivité des systèmes de protection sociale

Aminata Cissé, faisant part de ses observations personnelles, constate l'ineffectivité de la législation sociale dans les pays concernés. Les salariés, de plus en plus atteint par la précarité, montrent pourtant de l'indifférence face aux risques qui les guettent, comme une sorte de fatalisme. En effet, lorsqu'ils ont un emploi, ils sont plus soucieux de le conserver que d'exiger le respect des règles de sécurité ou de songer à s'organiser pour revendiquer. Quand ils sont membres de grandes firmes internationales, ils ne savent même pas qui est leur employeur (à qui adresser les revendications dans ce cas ?). Les jeunes travailleurs sont les plus touchés par ces phénomènes imputables en partie aux difficultés économiques que connaissent ces pays.

III Le bilan

A Qu'en pensent les entreprises ?

Les thèmes retenus par le Congrès sont les sujets qui intéressent le plus les entreprises à l'heure actuelle, indique la société Air France. Qu'il s'agisse de la mondialisation, de l'éclatement des formes juridiques de l'entreprise ou encore du progrès technologique, ces phénomènes, certes préoccupants, ne doivent pas être envisagés comme des obstacles. Le droit du travail a été indispensable pour les réguler et offrir aux entreprises un champ d'action stabilisé. Dans l'avenir, il est appelé à jouer, encore et pour longtemps, un rôle primordial.

  • Une mondialisation maîtrisée par des normes juridiques

La mondialisation est la condition même de l'expansion économique des entreprises. Lorsqu'elle est maîtrisée par des règles techniques, économiques et sociales, elle constitue une chance. En revanche, si on néglige la mise en place de ces garde-fous des catastrophes surviennent. Dans le secteur de l'aviation, par exemple, en l'absence de règles techniques, la sécurité des vols n'est pas assurée. A défaut de règles économiques, c'est la stabilité des entreprises qui est menacée pouvant conduire à leur disparition. Enfin, si les règles sociales ne sont pas respectées, ce sont des milliers d'emplois qui disparaissent.

  • Un progrès technologique accompagné par la formation des travailleurs

S'agissant du progrès technologique, il ne faut pas le concevoir comme un risque dont a peur. S'agissant avant tout d'un "progrès", il peut être maîtrisé grâce à la formation des salariés.

  • L'éclatement de la forme juridique des entreprises et le dialogue social

Dans la mesure où il existe un dialogue avec les salariés, la déstructuration de l'entreprise ne constituent pas un problème. Il est pour cela nécessaire de concevoir des outils de dialogue à tous les niveaux : du comité central d'entreprise aux codes de conduite qui s'appliquent sur le terrain à tous les salariés qui travaillent pour une société quel que soit l'endroit du monde et quelle que soit la forme juridique utilisée.

La présence massive des participants au Congrès démontre qu'aujourd'hui les entreprises ne sont pas seulement préoccupées par les moyens d'obtenir la meilleure performance économique et qu'elles recherchent également la meilleure performance sociale. Les deux objectifs sont fortement liés.

B Rendez-vous dans trois ans

D'autres thèmes seront abordés lors du prochain Congrès mondial de droit du travail qui se tiendra à Sydney du 1er au 4 septembre 2009. Les sessions plénières traiteront des questions suivantes :

- cadre réglementaire et application du droit dans les nouvelles formes d'emploi ;

- dialogue sur le lieu de travail ;

- nouvelles formes de protection sociale sous l'effet des changements structurels tels que le vieillissement.

Une table ronde sera consacrée au thème : "famille et vie professionnelle".

Compte-rendu réalisé par Lydia Laga
SGR - Droit social

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