La lettre juridique n°190 du 17 novembre 2005 : Marchés publics

[Jurisprudence] Le Conseil d'Etat rend obligatoire la pondération des critères de jugement des offres

Réf. : CE 2° et 7° s-s., 7 octobre 2005, n° 276867, Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole N° Lexbase : A6992DK8 ; CE 2° et 7° s-s., 29 juin 2005, n° 267992, Commune de la Seyne-sur-Mer N° Lexbase : A8669DIW

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par Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale

le 07 Octobre 2010

Par deux décisions des 29 juin et 7 octobre dernier, le Conseil d'Etat a rendu obligatoire la pondération des critères de jugement des offres dans les procédures de marchés publics (CE 2° et 7° s-s., 29 juin 2005, n° 267992, Commune de la Seyne-sur-Mer ; CE 2° et 7° s-s., 7 octobre 2005, n° 276867, Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole). Ces décisions ont été abondamment commentées, critiquées ou saluées. Elles constituent l'avant-dernière étape de l'intégration dans le droit des marchés publics français (2) d'une obligation d'origine communautaire (1). Les deux décisions ont été rendues dans le cadre de référés précontractuels. Dans la 1ère espèce, la Société Varoise de Construction Routière a demandé au tribunal administratif de Nice l'annulation d'une procédure de passation de marchés à bons de commande portant sur des travaux d'entretien et de grosses réparations de la voirie communale lancée par la commune de la Seyne-sur-Mer. Par une ordonnance du 11 mai 2004, le tribunal a accueilli sa demande. Dans la deuxième espèce, les sociétés Entreprise Individuelle de Travaux et Guigues ont demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation d'une procédure de passation de marchés à bons de commande portant sur des travaux d'extension, de renouvellement et de renforcement des réseaux d'adduction et de distribution d'eau potable et d'assainissement des eaux usées, lancée par la Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole. Par une ordonnance du 7 janvier 2005, le tribunal a accueilli leur demande.

Le Conseil d'Etat a confirmé les ordonnances des deux tribunaux et a reconnu le manquement des personnes publiques aux obligations de publicité et de mise en concurrence. L'argumentation retenue est quasi identique dans les deux espèces, fondée sur l'article 53-II, dernier alinéa, du Code des marchés publics (N° Lexbase : L8486G7G), qui prévoit que "ces critères [de jugement des offres] sont pondérés ou à défaut hiérarchisés". Le Conseil d'Etat indique, en effet, que "c'est seulement si la pondération des critères d'attribution est impossible que la personne publique [...] peut se borner à procéder à leur hiérarchisation" (CE, n° 267992, 29 juin 2005, Commune de la Seyne-sur-Mer, précité). Le juge administratif confirme son analyse dans la décision du 7 octobre 2005 "Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole" : "les critères doivent être pondérés, sauf si la personne publique [...] peut justifier que cette pondération n'est pas possible [...] c'est seulement dans ce cas que cette personne peut se borner à procéder à leur hiérarchisation". L'obligation des personnes publiques est donc renforcée dans ce deuxième arrêt puisqu'elles doivent justifier de leur incapacité à pondérer les critères pour les hiérarchiser.

I. Une obligation d'origine communautaire...

La pondération des critères de jugement des offres et sa primauté sur la hiérarchisation trouve son origine dans la Directive n° 2004/18/CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU). Rompant avec les dispositifs des trois Directives précédemment en vigueur (Directive n° 93/36/CEE du 14 juin 1993 relative aux marchés publics de fournitures N° Lexbase : L7739AU8, Directive n° 93/37/CEE du 14 juin 1993 relative aux marchés publics de travaux N° Lexbase : L7740AU9, Directive n° 92/50/CEE du 18 juin 1992 relative aux marchés publics de services N° Lexbase : L7532AUI), le texte évoque en effet à plusieurs reprises la pondération des critères de jugement de offres, sans ambiguïté sur la supériorité de ce système sur la hiérarchisation des critères :

  • 46ème considérant : "Afin de garantir [...] [l']égalité de traitement [...] [il] incombe [...] aux pouvoirs adjudicateurs d'indiquer les critères d'attribution ainsi que la pondération relative donnée à chacun de ces critères [...]. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent déroger à l'indication de la pondération [...] dans les cas dûment justifiés, qu'ils doivent être en mesure de motiver, lorsque cette pondération ne peut pas être établie au préalable, notamment en raison de la complexité du marché" ;
  • article 40.5.e - Invitations à présenter des offres, à participer au dialogue ou à négocier : l'invitation à présenter des offres, à participer au dialogue ou à négocier comporte notamment "la pondération relative aux critères d'attribution du marché ou, le cas échéant, l'ordre décroissant d'importance de ces critères" ;
  • article 53.2 - Critères d'attribution des marchés : "le pouvoir adjudicateur précise dans l'avis de marché ou le cahier des charges [...] la pondération relative qu'il confère à chacun des critères choisis pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse. [...] Lorsque [...] la pondération n'est pas possible pour des raisons démontrables, [le pouvoir adjudicateur] indique [...] l'ordre décroissant d'importance des critères".

Les décisions de tribunaux administratifs de Nice, Marseille et du Conseil d'Etat s'inscrivent très exactement dans ce dispositif. Il appartient, désormais, à la jurisprudence de définir au cas par cas le degré de complexité du marché qui sera suffisant pour justifier une dérogation au principe.

II. ... qui s'intègre progressivement en droit français

Le Code des marchés publics en vigueur actuellement est issu du décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 (N° Lexbase : L0537DN9). Antérieur à la Directive communautaire 2004/18/CE du 31 mars de la même année, il ne pouvait donc initialement comporter un dispositif semblable en matière de critères d'attribution des marchés. L'article 53.II du code laisse, ainsi, aux acheteurs publics le choix entre pondérer ou hiérarchiser les critères, la première démarche étant simplement marquée d'une certaine faveur : "Ces critères [de jugement des offres] sont pondérés ou à défaut hiérarchisés".

Pour autant, depuis janvier 2004, le Code des marchés publics a été modifié plusieurs fois mais aucune de ses révisions n'a remis en cause l'alternative de l'article 53. Le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a, d'ailleurs, confirmé avec force, à la suite de questions de parlementaires, son attachement à cette liberté laissée aux collectivités, l'objectif étant de permettre aux personnes publiques de se familiariser progressivement avec ce nouveau mécanisme de sélection des offres. Les termes tranchés des réponses ministérielles peuvent cependant surprendre car elles ont été rendues après l'ordonnance du tribunal administratif de Nice du 11 mai 2004. La décision du tribunal y est, en effet, qualifiée d'"interprétation plus étroite [...] qui tend à rapprocher [...] le code de la Directive [ce rapprochement étant] prématuré [la Directive n'ayant] pas de caractère obligatoire avant l'écoulement du délai de transposition prévu au début de 2006". (rép. min. n° 49995, JOANQ du 14 décembre 2004, p. 10013 N° Lexbase : L2550HDS). Le ministre ajoute que la portée de la décision du tribunal doit être relativisée, "cette décision [ayant] été rendue dans le cadre d'une procédure d'urgence [...] sur laquelle le Conseil d'Etat n'a pas eu à se prononcer en appel" (rép. min. n° 14223, JOSQ du 19 mai 2005, p. 1420 N° Lexbase : L2668HD8). C'est chose faite depuis le 29 juin dernier et, le moins que l'on puisse dire, c'est que les analyses du Conseil d'Etat et du ministre s'opposent, même si le juge administratif prend soin de fonder sa décision non sur la Directive mais sur le Code des marchés publics et la préférence, somme toute assez discrète, qu'il attribue à la pondération.

Quoi qu'il en soit, le débat est maintenant clos et la pondération des critères de jugement des offres est désormais obligatoire, sauf impossibilité à justifier par la personne publique. Les deux décisions du Conseil d'Etat clarifient la question et anticipent, par ailleurs, sur le futur Code des marchés publics annoncé pour la fin de l'année et destiné à transposer les Directives communautaires de mars 2004 (Directive (CE) n° 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services [LXB=L1896DYU ] et Directive (CE) n° 2004/17 du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux N° Lexbase : L1895DYT). Le texte du projet de code reprend alors logiquement et très largement les termes de la Directive, dans son article 66-III : "Lorsqu'il est prévu plusieurs critères, ceux-ci sont définis et pondérés dans l'avis de publicité ou dans le règlement de la consultation. [...] Lorsque le pouvoir adjudicateur estime que la pondération n'est pas possible et qu'il peut en justifier, il présente [...] les critères par ordre décroissant d'importance" (avant-projet de décret portant Code des marchés publics disponible sur le site internet du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie).

Le délai laissé aux acheteurs publics pour se familiariser avec la pondération des critères est bel et bien terminé.

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