La lettre juridique n°192 du 1 décembre 2005

La lettre juridique - Édition n°192

Éditorial

Il y a quelque chose de nouveau au royaume du droit des sociétés...

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N1482AK4

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Le fait est assez rare pour être signalé dans nos colonnes ; et voici qu'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 30 septembre dernier, laisse espérer une révolution -asseyons nous et pesons nos mots- sémantique en droit des sociétés... En effet, en décidant que "tout mandat syndical exercé dans l'entreprise [est] susceptible de créer des conflits d'intérêts avec les fonctions de membre du conseil d'administration", sur le fondement d'un texte ayant trait au droit des sociétés, la Cour introduit dans cette matière, une notion, pourtant inhérente, mais jamais évoquée : celle de conflit d'intérêt. Car, qu'on se le dise, jusqu'à présent, cette dernière notion si étroitement liée aux dissensions de la communauté d'intérêts entre les associés ou aux opérations intra-groupe, n'avait jamais été soulevée, notamment à titre de prévention, pour écarter l'application d'une mesure interne à une société ou d'un montage financier... Les faits concernent l'administration de la société et la représentation syndicale, mais rien interdit, comme le souligne Dominique Schmidt, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université de Strasbourg et Avocat à la Cour, dans ses observations publiées cette semaine dans Lexbase Hebdo - édition affaires, que le recours à la notion fonctionnelle de "conflit d'intérêts" ne se décline à d'autres cas propres au droit des sociétés. Sur le registre machiavélique d'"un changement en prépare un autre", le 27 septembre 2005, la Chambre commerciale réaffirme très nettement la validité sans conditions de la clause de prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines, alors qu'un doute avait pu surgir au lendemain d'un arrêt que la Haute juridiction avait rendu le 22 février 2005. La Cour semblait soumettre la validité de la clause de prix plancher insérée dans une promesse unilatérale d'achat à une condition tenant au maintien de la vocation du bénéficiaire à contribuer aux pertes, en dehors du délai d'option. Ce doute est levé et la jurisprudence traditionnelle confirmée. Mais attention, au travers de cette décision, on pourrait bien voir l'ébauche d'une distinction en fonction du montage dont la promesse est un élément. C'est du moins ce que relève Renee Kaddouch, Docteur en droit, Centre de droit financier de l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne et Avocat à la Cour, JeantetAssociés, dans un article consacré au capital investissement et publié, cette semaine, dans notre revue affaires. "Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir" charriait Pierre Dac ; mais "une foi est coutume" et gageons comme Prévert que le droit des sociétés nous soit riche, chaque semaine, d'avancées juridiques pour une plus simple et meilleure application pragmatique (cf. notre éditorial de la semaine dernière).

newsid:81482

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié prime sur la convocation à l'entretien préalable en vue de son licenciement

Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-45.392, M. Serge Jaly, FS-P+B (N° Lexbase : A7466DL4)

Lecture: 7 min

N1398AKY

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié est devenue, au fil des arrêts, un véritable mode de rupture du contrat de travail. Même si cette "technique" singulière n'est dotée d'aucun régime propre, puisqu'elle n'est soumise à aucun formalisme et produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit ceux d'une démission, selon que les griefs que le salarié formule à l'encontre de son employeur sont ou non fondés, elle constitue un moyen de rompre le contrat de travail rapide et efficace, dès lors qu'on le compare à la procédure du licenciement, plus rigide. Cette souplesse trouve de nouveau à s'illustrer dans cet arrêt rendu le 16 novembre 2005 par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Dans cette affaire, l'employeur avait convoqué le salarié à un entretien préalable, en vue de son licenciement, et le même jour le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail. Selon la Haute juridiction, c'est bien la prise d'acte qui a rompu le contrat de travail, et non le licenciement intervenu quelques jours plus tard. La solution est logique (1) et place le salarié dans une position extrêmement favorable (2).
Décision

Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-45.392, M. Serge Jaly, FS-P+B (N° Lexbase : A7466DL4)

Cassation partielle (cour d'appel de Versailles, 11ème chambre sociale, 4 juin 2003)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9).

Mots-clefs : prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; convocation à l'entretien préalable au licenciement ; concomitance ; priorité donnée à la prise d'acte.

Lien bases :

Résumé

Le juge, saisi par un salarié d'une demande tendant à l'attribution de dommages-intérêts en raison de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur, doit déterminer si les griefs allégués dans la lettre de rupture de ce dernier étaient fondés ou non, peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Faits

1. M. Jaly, salarié de la société Dunois Kart, a pris acte par lettre du 22 novembre 1999 de la rupture du contrat de travail du fait du non-respect par l'employeur de ses obligations contractuelles.

La société Dunois Kart l'a, de son côté, convoqué par courrier du 22 novembre 1999, reçu le 23, à un entretien préalable fixé au 3 décembre 1999, puis l'a licencié le 7 décembre 1999.

2. M. Jaly a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes indemnitaires et salariales.

Pour débouter le salarié de ses demandes liées à la rupture du contrat de travail, l'arrêt attaqué retient, d'abord, que la convocation à l'entretien préalable au licenciement étant antérieure ou concomitante à la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée à la société, les relations contractuelles ont cessé du fait du licenciement ; ensuite, que les reproches énoncés dans la lettre de licenciement, faisant suite à deux avertissements non contestés en justice, sont avérés et caractérisent une faute grave privative d'indemnités de rupture.

Solution

1. "Vu les articles L. 122-4, L. 122-13 et L. 122-14-3 du Code du travail"

2. "Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission".

"En statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si, peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement, les griefs allégués dans la lettre de rupture de ce dernier étaient fondés ou non, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

3. Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que les relations contractuelles ont été rompues par le licenciement et en ce qu'il a débouté M. Jaly de ses demandes liées à la rupture de son contrat de travail, l'arrêt rendu le 4 juin 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Commentaire

1. Un cas de figure particulier

  • Le régime de la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail

La jurisprudence a progressivement dessiné le régime de la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail à partir des arrêts fondateurs rendus le 25 juin 2003 (Cass. soc., 25 juin 2003 N° Lexbase : A8977C8Y ; N° Lexbase : A8976C8X ; N° Lexbase : A8978C8Z ; N° Lexbase : A8975C8W ; N° Lexbase : A8974C8U, lire nos obs., Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK).

On sait ainsi que c'est bien la lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail qui rompt ce dernier (Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen N° Lexbase : A6513DI3, lire nos obs., Prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail et renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5494AIC), rendant ainsi sans objet le licenciement qui aurait pu être prononcé ultérieurement par l'employeur.

  • Concomitance des modes de rupture du contrat de travail

Mais, qu'en est-il lorsque c'est l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail en convoquant le salarié à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement et que, concomitamment, ce dernier prend acte de la rupture de son contrat ?

C'est bien ce qui s'était passé dans cette affaire où le même jour, l'employeur avait adressé au salarié une lettre de convocation à l'entretien préalable à son licenciement, et le salarié une lettre par laquelle il déclarait prendre acte, à ses torts, de la rupture de son contrat.

Les juges du fond avaient fait prévaloir la procédure de licenciement, après avoir relevé que "la convocation à l'entretien préalable au licenciement était antérieure ou concomitante à la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée à la société".

Or, telle n'est pas l'analyse retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui balaye d'un revers de manche l'argument, "peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement".

2. Une solution logique et particulièrement favorable au salarié

  • Une solution justifiée au regard des faits

Au regard des faits, tout d'abord, tels qu'ils sont rapidement relatés dans l'arrêt, la solution semble doublement se justifier.

Il semble, en effet, que le salarié avait remis à son employeur la lettre de prise d'acte et que ce dernier ait tenté de le prendre de vitesse en le convoquant, par courrier daté du même jour mais reçu seulement le lendemain, en vue de son licenciement. Dans ce cas de figure, la primauté donnée à la prise d'acte se justifie à la fois par un critère chronologique, le salarié ayant, en quelque sorte, "tiré le premier", et par la nécessité de s'opposer à ce que la manoeuvre de l'employeur qui apparaissait frauduleuse ou, à tout le moins, non sincère, puisse produire effet.

Par ailleurs, seule la lettre de licenciement adressée au salarié rompt le contrat de travail, et non la convocation en vue de l'entretien préalable qui ne constitue qu'une étape préparatoire de la décision. Or, nous avons rappelé que la lettre de prise d'acte rompt directement le contrat de travail. Dans ces conditions, c'est bien le salarié qui avait rompu le premier le contrat, imposant au juge de se conformer aux directives prétoriennes dégagées en 2003 et de vérifier si les griefs formulés contre l'employeur étaient de nature à justifier la rupture à ses torts, avant de lui faire produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou, dans l'hypothèse contraire, de traiter le salarié comme démissionnaire.

  • Une solution large

Si on considère la solution au regard du principe dégagé par la Cour, la solution se justifie toujours et pourrait d'ailleurs s'étendre à d'autres situations voisines. La Haute juridiction retient, en effet, pour justifier la cassation au regard des articles L. 122-4, L. 122-13 et L. 122-14-3 du Code du travail, une formule très large qui ne semble faire nullement référence à la chronologie des événements, "peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement".

La généralité de l'affirmation pourrait alors suggérer que la chronologie des événements importe peu. Il sera alors indifférent à l'analyse de déterminer qui des deux parties a engagé la procédure le premier, seul comptant, en définitive, l'acte rompant le contrat, c'est-à-dire la date à laquelle le licenciement a été prononcé ou celle à laquelle la prise d'acte est intervenue pour fixer le régime applicable à la rupture.

  • Les avantages de la décision

Ce refus de prendre en considération le déroulement de la phase préparatoire à la rupture du contrat de travail présente un indéniable avantage, notamment dans cette affaire où il semblait difficile de déterminer si l'employeur avait riposté à la lettre de prise d'acte par une convocation en vue d'un licenciement ou si, au contraire, le salarié ayant pris conscience qu'il s'exposait à un licenciement pour faute grave, privatif du droit au préavis et de l'indemnité de licenciement, avait tenté sa chance en invoquant contre son employeur des griefs qu'il avait, jusqu'à lors, laissés de côté.

Sur un plan pratique, cette décision permet au salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur jusqu'à la première présentation de lettre recommandée, avec demande d'avis de réception, lui notifiant son licenciement (Cass. soc., 30 octobre 2000, n° 98-43.619, Société Supermarchés Match-Est, société anonyme c/ M. Jérôme Georges, inédit N° Lexbase : A9868ATN). Passé ce moment, la rupture notifiée produit effet et le salarié perd logiquement cette possibilité, puisqu'il n'y a plus rien à rompre.

Le salarié se trouve alors en position de force puisqu'il peut attendre l'entretien préalable pour mesurer la détermination de son employeur et déterminer si les faits qui lui sont reprochés l'exposent à un licenciement pour faute grave. Il peut alors sortir de cet entretien et remettre, avant l'expiration du délai d'un jour franc imposé par le Code du travail avant de notifier la rupture, sa lettre de prise d'acte qui fixera donc le cadre d'analyse du litige.

Le salarié doit toutefois se méfier. Si les griefs à l'encontre de son employeur sont fondés, alors il aura tout intérêt à agir ainsi ; il évitera un licenciement pour faute grave et obtiendra, au contraire, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais, si ces griefs ne le sont pas, alors la prise d'acte produira les effets d'une démission et il risquera de perdre le bénéfice des indemnités de chômage, indemnités dont il aurait pu bénéficier dans le cadre d'un licenciement pour faute grave.

newsid:81398

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Procédure de saisie des rémunérations : les pouvoirs limités du juge

Réf. : Cass. civ. 2, 20 octobre 2005, n° 03-18.700, M. Alain Berthomieu c/ Société Entenial, FS-P+B (N° Lexbase : A0211DLE)

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N1399AKZ

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par Franck Janin, Avocat au sein du cabinet Fromont, Briens & associés

Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation rappelle que le juge d'instance, lorsqu'il intervient dans le cadre d'une procédure de saisie des rémunérations, exerce les pouvoirs du juge de l'exécution (C. trav., art. L. 145-5 N° Lexbase : L5785ACA). A ce titre, le juge d'instance n'a pas le pouvoir de prononcer une condamnation, fût-elle directement liée à la créance objet de la saisie.



Décision

Cass. civ. 2, 20 octobre 2005, n° 03-18.700, M. Alain Berthomieu c/ Société Entenial, FS-P+B (N° Lexbase : A0211DLE)

Cassation (CA Aix-en-Provence, 11e, 17 juin 2003, n° 02/08914, Monsieur Alain Berthomieu c/ SA Entenial N° Lexbase : A7675DLT)

Textes visés : C. trav., art. L. 145-5 (N° Lexbase : L5785ACA) ; C. trav., art. R. 145-5 (N° Lexbase : L9117ACN) ; décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, article 8 (N° Lexbase : L9125AG3).

Mots-clés : saisie des rémunérations ; pouvoir du juge.

Lien bases :

Résumé

Un juge d'instance, investi des pouvoirs du juge de l'exécution au titre d'une procédure de saisie des rémunérations, ne peut prononcer la condamnation du débiteur à la somme encourue.

Faits

1. Monsieur Berthomieu s'est trouvé engagé, aux termes d'actes notariés du 28 décembre 1989, à l'égard de la SA Comptoir des entrepreneurs, devenue société Entenial, aux droits de laquelle vient le Crédit Foncier de France.

2. Alors que les actes notariés faisaient l'objet de contestations devant le tribunal de grande instance de Basse Terre, la société Entenial faisait procéder à l'exécution forcée du titre exécutoire dont elle se prévalait par voie de saisie des rémunérations.

3. Un premier jugement du tribunal d'instance, rendu le 28 août 2000, autorisait la saisie des rémunérations de Monsieur Berthomieu et ordonnait une expertise afin de déterminer le montant de la créance.

A la suite de cette expertise, un second jugement intervenait le 7 mars 2002, jugement aux termes duquel le tribunal d'instance de Cannes condamnait Monsieur Berthomieu à payer à la SA Comptoir des entrepreneurs, la somme de 185 611,76 euros.

4. Monsieur Berthomieu interjetait appel du jugement rendu le 7 mars 2002 et contestait la validité et l'opposabilité de l'acte de prêt, remettant ainsi en cause l'existence même d'un titre exécutoire qui fondait la saisie des rémunérations.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence rejetait l'appel, considérant que le cadre procédural de la saisie des rémunérations ne permettait pas de remettre en cause le titre exécutoire fondant les poursuites et que le montant de la créance n'était pas contesté.

Monsieur Berthomieu formait un pourvoi en cassation et soutenait deux moyens :
- le premier relatif à la question procédurale du rabat de l'ordonnance de clôture (non analysée) ;
- le second relatif au pouvoir dévolu au juge d'instance dans le cadre de la procédure des saisies des rémunérations (non développé dans le cadre de la première instance).

Solution

1. Cassation

2. "Attendu que l'arrêt confirme le jugement qui avait condamné Monsieur Alain Berthomieu à payer à la société une certaine somme correspondant au montant de sa créance ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'appartient pas au juge d'instance, investi des pouvoirs du juge de l'exécution à l'occasion de la procédure de saisie des rémunérations, de condamner le débiteur aux causes de la saisie, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Commentaire

L'analyse des arrêts de la cour d'appel et de la Cour de cassation démontre la complexité d'une affaire dans laquelle le juge d'instance a été amené à prononcer deux jugements ; le premier ordonnant la mise en place d'une saisie des rémunérations et d'une mesure d'expertise dont l'objet était de fixer le montant exact de la créance (on peut s'interroger, à ce titre, sur le caractère certain et liquide de la créance à cette date), le second, intervenant 2 ans plus tard, sur les résultats de l'expertise et ce, alors même que des procédures étaient menées pour contester l'acte notarié constituant le titre exécutoire fondant la poursuite.

La procédure de saisie des rémunérations a été intégrée à la réforme des procédures civiles d'exécution (loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L9124AGZ ; décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L9125AG3) et codifiée sous les articles L. 145-1 (N° Lexbase : L5781AC4) et R. 145-1 et suivants (N° Lexbase : L9113ACI) du Code du travail.

Cette procédure spécifique, dont l'objet est d'opérer une saisie sur les rémunérations du travail, instaure une phase judiciaire confiée au juge d'instance (C. trav., art. L. 145-5 N° Lexbase : L5785ACA), par dérogation à la compétence exclusive et d'ordre public du juge de l'exécution, telle qu'elle résulte de la rédaction de l'article L. 311-12-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L2580AMI), s'agissant des contentieux liés à l'exécution des titres exécutoires.

Cependant, le juge d'instance, saisi d'une procédure de saisie des rémunérations, exerce les pouvoirs du juge de l'exécution et non ceux du tribunal d'instance.

La phase judiciaire de la saisie des rémunérations se caractérise essentiellement par la comparution des parties devant le juge d'instance qui doit tenter de concilier les parties (C. trav., art. R. 145-14 N° Lexbase : L9155AC3) et, faute de conciliation, vérifier le montant des créances en principal, intérêts et frais (C. trav., art. R. 145-15 N° Lexbase : L9156AC4).

En cas de contestation de la créance, un débat judiciaire s'installe, instruit et jugé selon les règles de la procédure ordinaire devant le juge d'instance (C. trav., art. R. 145-6 N° Lexbase : L9118ACP).

La Cour de cassation a été amenée à préciser les pouvoirs du juge d'instance dans le cadre de la saisie des rémunérations à l'occasion de deux avis du 16 juin 1995 et 17 février 1997. Le juge d'instance dispose donc d'un pouvoir lui permettant d'accorder des délais ou de suspendre le cours des intérêts. Toutefois, le juge d'instance ne dispose pas du pouvoir de remettre en cause le titre exécutoire. A de multiples occasions, les juridictions d'appel ont été amenées à rappeler que le juge d'instance ne peut apprécier la validité de l'acte notarié fondant les poursuites.

La Cour de cassation s'est prononcée à plusieurs reprises dans le courant de l'année 2005 pour rappeler le cadre dans lequel le juge d'instance intervient à l'occasion de la procédure de saisie des rémunérations.

Elle a rappelé, tout d'abord, que le juge ne pouvait se substituer aux parties pour remédier à une éventuelle défaillance de leur part. En cas d'erreur ou d'imprécision dans l'énoncé du titre fondant les poursuites visées dans la requête introductive d'instance, le juge d'instance ne peut substituer un titre durant la procédure (Cass. civ. 2, 24 mars 2005, n° 03-14.378, FS-D N° Lexbase : A4140DHS).

La Cour de cassation a également rappelé que le juge d'instance est tenu de trancher les questions soulevées par les parties et relatives à l'insaisissabilité (Cass. civ. 2, 14 avril 2005, n° 03-14.574, F-D N° Lexbase : A8676DHS).

Par cette décision du 20 octobre 2005, la Cour rappelle une solution classique et relevant de l'ordre public en matière de pouvoirs du juge de l'exécution, lequel ne peut modifier le dispositif de la décision qui sert de fondement aux poursuites (décret 31 juillet 1992, article 8).

Appliqué à la situation particulière de la contestation de créance soulevée devant le juge d'instance dans le cadre de la procédure de saisie des rémunérations (C. trav. , art. R. 145-6 N° Lexbase : L9118ACP), la Cour de Cassation confirme le caractère intangible du titre exécutoire et sanctionne la décision des juges du fond par laquelle ces derniers ont prononcé une condamnation au montant de la créance.

Au-delà des faits de l'espèce, cette décision, qui ne saurait surprendre au regard des textes et de la position antérieure de la Cour, devra conduire les parties à être vigilantes dans la définition de leurs demandes et les juges d'instance à faire preuve de prudence dans la rédaction de leurs jugements puisque, tout en tranchant une contestation liée au montant de la créance, le juge ne pourra pas prononcer de condamnation au paiement de celle-ci.

newsid:81399

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Pendant la suspension de son contrat de travail, le salarié reste soumis au pouvoir disciplinaire de son employeur

Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-45.000, Société Boulangerie tradition biotechnologie BTB c/ M. Michel Martin, FS-P+B (N° Lexbase : A5517DLW)

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N1332AKK

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Le 07 Octobre 2010

Ainsi que l'affirme avec constance la Cour de cassation, c'est la visite médicale de reprise qui marque la fin de la période de suspension du contrat de travail provoquée par l'état de santé du salarié. Si cette solution brille par sa clarté et son apparente simplicité, elle n'est guère satisfaisante dans la mesure où elle entraîne une conséquence qui ne cesse d'étonner : le salarié qui reprend son travail avant que la visite de reprise ait eu lieu sera considéré comme étant dans une période de suspension du contrat de travail, alors qu'il exécute les prestations de son contrat de travail. Par suite, et ainsi que l'affirme la Chambre sociale dans un arrêt rendu le 16 novembre 2005, le salarié est soumis, durant cette période, au pouvoir disciplinaire de l'employeur qui pourra le licencier pour un acte d'insubordination.


Décision

Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-45.000, Société Boulangerie tradition biotechnologie BTB c/ M. Michel Martin, FS-P+B (N° Lexbase : A5517DLW)

Cassation (CA Aix-en-Provence, 9e chambre A, 10 avril 2003)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) ; C. trav., art. L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL).

Mots-clefs : maladie ; arrêt de travail ; reprise du travail ; suspension du contrat de travail ; visite médicale de reprise ; pouvoir disciplinaire de l'employeur (oui) ; licenciement.

Liens bases : ;

Résumé

Le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour maladie et qui reprend son travail avant d'avoir fait l'objet de la visite médicale de reprise est soumis au pouvoir disciplinaire de l'employeur. Ce dernier est donc en mesure de venir sanctionner les fautes que le salarié viendrait à commettre pendant cette période.

Faits

M. Martin, engagé le 28 octobre 1995 en qualité de chauffeur-livreur par la société française de boulangerie, aux droits de laquelle est venue la société Boulangerie tradition biotechnologie, s'est trouvé en arrêt de travail pour maladie à compter du 5 août 1999. Le salarié a repris son travail le 11 janvier 2000 et a été déclaré apte par le médecin du travail le 12 janvier 2000. Il a été licencié pour faute grave le 31 janvier 2000, motif pris notamment d'un acte d'insubordination commis le 11 janvier 2000. Le salarié a alors saisi la juridiction prud'homale afin de contester son licenciement.

Pour déclarer que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu qu'avant la visite de reprise, l'employeur était privé de l'exercice de son pouvoir disciplinaire.

Solution

Cassation au visa des articles L. 122-14-4 et L. 122-40 du Code du travail :

"Le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour maladie et qui reprend son travail avant d'avoir fait l'objet de la visite médicale de reprise est soumis au pouvoir disciplinaire de l'employeur".

"En statuant comme elle l'a fait, alors qu'il lui appartenait de statuer sur le motif de licenciement invoqué, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Commentaire

1. La suspension du contrat de travail pour maladie

  • Régime juridique

Il n'est guère besoin de s'étendre sur la règle selon laquelle la maladie, qu'elle ait ou non une origine professionnelle, ne rompt pas le contrat de travail mais entraîne seulement la suspension de celui-ci (1). Toutefois, et ainsi que le soulignent certains auteurs, "il convient de faire une distinction entre les obligations principales et les obligations secondaires ; seules les premières font l'objet de suspension ; l'obligation de discrétion à la charge de nombreux salariés garde toute sa force pendant les congés, la maladie ou la grève des salariés" (J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 22ème éd., 2004, § 347).

On ajoutera que le salarié reste également tenu de son obligation de loyauté pendant toute la durée de la suspension. De même, et s'agissant des obligations principales -l'obligation de fournir une prestation de travail et son corollaire, l'obligation de rémunérer ce travail-, elles sont diversement affectées par la suspension. Ainsi, dans de nombreuses hypothèses, l'obligation de payer le salaire est maintenue.

Par ailleurs, et pour se rapprocher de l'espèce commentée, on ne saurait considérer que la suspension du contrat de travail a pour effet de priver l'employeur de son pouvoir disciplinaire. Sans doute, celui-ci ne peut-il s'exercer de la même façon au cours d'une période de suspension qu'au cours des périodes de pleine exécution. Il n'en reste pas moins vivace (2). C'est, au demeurant, ce qui ressort de certains textes du Code du travail et, notamment, de l'article L. 122-32-2 (N° Lexbase : L5519ACE), qui autorise expressément l'employeur à rompre le contrat de travail d'un salarié pendant les périodes de suspension dues à une maladie professionnelle ou un accident du travail, s'il justifie d'une faute grave du salarié (3).

  • Date de la fin de la suspension

Si le pouvoir disciplinaire de l'employeur ne disparaît pas pendant les périodes de suspension du contrat de travail, il est assez évident qu'il ne trouvera concrètement à s'appliquer que de manière limitée, pour la bonne et simple raison que les fautes que le salarié est habituellement amené à commettre ont trait à l'accomplissement de la prestation de travail qui est, précisément, suspendue. Il est cependant une hypothèse où, de façon curieuse, le salarié peut reprendre le travail alors même que son contrat de travail est suspendu. Tel est précisément le cas en matière de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie ou un accident.

Il convient, en effet, de rappeler que, tirant parti des dispositions de l'alinéa 1er de l'article R. 241-51 du Code du travail (N° Lexbase : L9928ACP) (4), la Cour de cassation considère avec constance que c'est la visite médicale de reprise assurée par le médecin du travail qui met fin à la période de suspension (v., par ex., Cass. soc., 22 mars 1989, n° 86-43.655, Société Provens Télécommunications c/ M. Delrieu, publié N° Lexbase : A3999AG9 ; Cass. soc., 26 octobre 1999, n° 97-41.314, Mme Sarfati c/ Société Gervais Danone France, publié N° Lexbase : A6668AHG, Dr. soc. 2000, p. 116, obs. J. Savatier) (5).

Or, ainsi que l'indique l'alinéa 3 de ce même article, "cet examen doit avoir lieu lors de la reprise du travail et au plus tard dans un délai de huit jours". Par conséquent, et à supposer que ces règles soient respectées, il peut s'écouler, en toute légalité, un délai de 8 jours pendant lequel le salarié aura repris son travail alors même que son contrat reste suspendu.

2. Suspension du contrat et reprise du travail

  • Conséquences

Voilà donc le cas d'un salarié dont, faute de visite médicale de reprise, on doit considérer qu'il est dans une période de suspension du contrat de travail alors même qu'il exécute les prestations du contrat de travail ! (6) Une telle situation ne peut manquer d'entraîner un certain nombre de conséquences, tout aussi curieuses que la situation dont elles découlent, au premier rang desquelles figure l'obligation pour l'employeur de verser la rémunération contractuelle au salarié, dont on doit rappeler qu'il est malade (7).

Au-delà, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'espèce commentée, "le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour maladie et qui reprend son travail avant d'avoir fait l'objet de la visite médicale de reprise est soumis au pouvoir disciplinaire de l'employeur".

Cette solution ne surprend pas car, nous l'avons démontré précédemment, les périodes de suspension du contrat de travail ne sont nullement exclusives du pouvoir disciplinaire de l'employeur. On admettra qu'il est pour le moins étrange qu'un salarié dont le contrat de travail est suspendu soit sanctionné pour acte d'insubordination. Mais, ce serait oublier qu'il avait matériellement repris son travail, donnant par-là même au pouvoir disciplinaire de l'employeur sinon sa plénitude, à tout le moins une grande partie de sa portée.

  • Validité du licenciement

Parce que l'employeur n'est pas privé de son pouvoir disciplinaire durant la suspension du contrat de travail du salarié, il va pouvoir en faire usage pour sanctionner les fautes du salarié. Il pourra, par suite, et l'arrêt commenté le démontre, licencier le salarié pour motif disciplinaire. Cela étant, et c'est en ce sens que l'on peut avancer que l'employeur ne recouvre pas son pouvoir disciplinaire dans toute sa plénitude, le licenciement ne pourra pas être prononcé pour une simple faute sérieuse, à tout le moins lorsque la suspension du contrat de travail est consécutive à une maladie professionnelle ou un accident du travail.

Il convient, en effet, de rappeler qu'en application de l'article L. 122-32-2 du Code du travail, "au cours des périodes de suspension, l'employeur ne peut résilier le contrat de travail à durée indéterminée que s'il justifie [...] d'une faute grave de l'intéressé".

Or, rappelons que tant que le salarié n'a pas passé la visite médicale de reprise, il est considéré comme étant toujours en période de suspension de son contrat de travail, alors même qu'il est à son poste de travail ! En d'autres termes, le salarié reste couvert par le régime de protection attaché à la période de suspension (8). Protection dont on sait toutefois qu'elle est plus lâche lorsque la suspension est consécutive à une maladie d'origine non professionnelle ou un accident de droit commun. Dans cette hypothèse, en effet, les causes du licenciement ne sont pas limitées par la loi et le salarié peut donc être licencié pour toute cause réelle et sérieuse issue du droit commun du licenciement.

L'arrêt commenté ne permet pas de déterminer si la maladie du salarié avait ou non une origine professionnelle. En tout état de cause, et ainsi que le signifie la Cour de cassation aux juges du fond, ils leur appartenaient, et il leur appartiendra, à la suite de la censure de la décision déférée, de statuer sur le motif de licenciement invoqué.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Sur l'ensemble de la question, on se reportera avec profit à l'ouvrage de S. Bourgeot et M. Blatman, L'état de santé du salarié, Ed. Liaisons, 2005.

(2) V., en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., § 348, in fine. Ces auteurs évoquent à juste titre "l'affaiblissement" du pouvoir disciplinaire, qui ne fait que traduire le relâchement du lien de subordination qui unit le salarié ou chef d'entreprise.

(3) V., aussi, Cass. soc., 12 mars 2002, n° 99-42.934, Association Fondation retraite Dosne c/ Mme Marina Konde, publié (N° Lexbase : A2222AYX). Un fait commis par un accidenté du travail au cours de la période de suspension du contrat de travail qui ne prend fin qu'avec la visite de reprise du médecin du travail, ne peut justifier un licenciement disciplinaire que si ce fait constitue une faute grave, même si ce licenciement est prononcé à l'issue de la période de suspension.

(4) Cette disposition prévoit que "les salariés doivent bénéficier d'un examen par le médecin du travail après une absence pour cause de maladie professionnelle, après un congé de maternité, après une absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail, après une absence d'au moins vingt et un jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel et en cas d'absences répétées pour raisons de santé".

(5) La Cour de cassation a, en outre, précisé que c'est la date du premier examen de reprise qui met fin à la suspension du contrat de travail (Cass. soc., 16 février 1999, n° 96-45.394, Société Thivat meunerie c/ M. Tèche, publié N° Lexbase : A6637AHB).

(6) Il en ira évidemment différemment lorsque le salarié ne sera pas en mesure d'exécuter sa prestation de travail, compte tenu d'une inaptitude qui reste encore à constater...

(7) Ce qui fait dire à certains auteurs que cette solution n'est guère satisfaisante (J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., § 364). Ainsi que le soulignent, en outre, ces mêmes auteurs, elle ne donne pas de réponse pour tous les arrêts de travail de moins de 21 jours qui ne résultent pas d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail : la loi n'impose pas, dans ces situations, de visite médicale de reprise.

(8) Ainsi que le soulignent Madame Bourgeot et M. Blatman (ouvrage préc., p. 245), "on peut cependant y voir une protection essentielle de l'intéressé, car comment savoir en l'absence d'une telle visite si le salarié était apte ou non à reprendre son emploi et si l'insuffisance professionnelle retenue [...] comme motif du licenciement, prononcé un mois et demi après la reprise du travail, n'est pas la conséquence d'un état de santé altéré ?". Les auteurs se réfèrent ici à une décision de la Cour de cassation en date du 10 novembre 1998 (Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-43.811, Société Chapin matériel c/ M Cantarel, publié N° Lexbase : A4569AGC).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le logiciel, bien ou service au regard de la TVA ?

Réf. : CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04, Levob Verzekeringen BV c/ Staatssecretaris van Financiën (N° Lexbase : A0986DL4)

Lecture: 8 min

N1371AKY

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

La qualification d'un échange économique revêt une grande importance en matière de TVA. En dépendent l'éventuelle exonération, le taux applicable, la date d'exigibilité et, ainsi que l'illustre l'arrêt "Levob", l'assiette et la territorialité de la TVA. Le 2 octobre 1997, Levob, société établie aux Pays-Bas, a conclu avec l'entreprise étasunienne FDP un contrat de cession d'un logiciel destiné à gérer des contrats d'assurance. Levob a, ainsi, obtenu une licence adaptée à ses besoins, d'une durée illimitée, non cessible et sans droit d'accorder des sous-licences. FDP devait installer le logiciel et former le personnel de Levob aux Pays-Bas. En outre, une adaptation du logiciel avait été convenue : traduction en néerlandais et intégration des fonctions nécessaires à l'intervention. Chaque prestation avait fait l'objet d'une évaluation et d'une facturation distincte, notamment le logiciel standard importé aux Pays-Bas et les supports informatiques. Une fraction du prix global avait donné lieu à paiement immédiat, le solde étant payable par mensualités. FDP a, apparemment, remis aux salariés de Levob le logiciel standard et ces derniers l'ont rapporté aux Pays-Bas. FDP a, ensuite, installé le programme de base en 1997, 1998 et 1999 sur les appareils de traitement des données de Levob, mené à bien les adaptations convenues et formé les membres de son personnel. La complexité de ce contrat devait retentir sur son régime fiscal. Levob et l'administration fiscale néerlandaise divergeaient sur l'étendue de l'assiette de la TVA. Levob considérait ne devoir la TVA aux Pays-Bas que pour les adaptations. L'administration fiscale soutenait que FDP avait concédé à Levob une licence globale sur le progiciel adapté incluant la cession du logiciel standard. Il s'ensuivait qu'une prestation globale de services était taxable aux Pays-Bas.

Ayant échoué devant les juges du fond, Levob s'est pourvu en cassation devant Le Hoge Raad der Nederlanden. Cette juridiction a, par arrêt du 30 janvier 2004, saisi la CJCE, conformément à l'article 234 CE , des questions suivantes en vue d'une décision à titre préjudiciel :

"1) a) Faut-il interpréter les dispositions combinées des articles 2, paragraphe 1, 5, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, de la sixième directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9), en ce sens que la fourniture d'un logiciel du type visé en l'espèce et selon les mêmes modalités, dans le cadre de laquelle, d'une part, le logiciel standard développé et commercialisé par le fournisseur, enregistré sur un support, et, d'autre part, l'adaptation ultérieure aux besoins de l'acheteur font l'objet de prix distincts, doit être considérée comme l'exécution d'une seule prestation ?

b) En cas de réponse affirmative, faut-il interpréter ces dispositions en ce sens que cette prestation doit être considérée comme un service (dont la livraison du bien, à savoir du support, fait partie intégrante) ?

c) En cas de réponse affirmative à cette dernière question, faut-il, dès lors, interpréter l'article 9 de la sixième directive-TVA (dans sa version du 6 mai 2002) en ce sens que ce service est réputé avoir été effectué au lieu mentionné au paragraphe 1 de cet article ?

d) En cas de réponse négative à la question qui précède, quelle partie de l'article 9, paragraphe 2, de la sixième directive-TVA est-elle d'application ?

2) a) En cas de réponse négative à la [première question, sous a)] au point ci-dessus, faut-il interpréter les dispositions qui y sont mentionnées en ce sens que la fourniture d'un logiciel non adapté sur le support doit être considérée comme la livraison d'un bien corporel, pour laquelle le prix distinct qui a été convenu constitue la contrepartie prévue à l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive-TVA ?

b) En cas de réponse négative à cette question, faut-il, dès lors, interpréter l'article 9 de la sixième directive-TVA en ce sens que la prestation de services est réputée accomplie au lieu mentionné au paragraphe 1 de cet article ou alors à un des lieux mentionnés au paragraphe 2 du même article ?

c) La situation est-elle la même pour le service consistant dans l'adaptation du logiciel que pour la fourniture du logiciel standard ?"

En réponse, la CJCE dit pour droit :

"1) L'article 2, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que, lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par un assujetti à un consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment objectivement, sur un plan économique, un tout dont la dissociation revêtirait un caractère artificiel, l'ensemble de ces éléments ou de ces actes constitue une prestation unique aux fins de l'application de la taxe sur la valeur ajoutée.

2) Tel est le cas d'une opération par laquelle un assujetti fournit à un consommateur un logiciel standard précédemment développé et commercialisé, enregistré sur un support, ainsi que l'adaptation subséquente de ce logiciel aux besoins spécifiques de cet acquéreur, même moyennant paiement de prix distincts.

3) L'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens qu'une prestation unique telle que celle visée au point 2 du présent dispositif doit être qualifiée de "prestation de services" lorsqu'il apparaît que l'adaptation en cause n'est ni mineure ni accessoire, mais qu'elle revêt au contraire un caractère prédominant ; il en est notamment ainsi lorsque, au vu d'éléments tels que son ampleur, son coût ou sa durée, cette adaptation revêt une importance décisive aux fins de permettre l'utilisation d'un logiciel sur mesure par l'acquéreur.

4) L'article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à une prestation de services unique telle que celle visée au point 3 du présent dispositif, rendue à un assujetti établi dans la Communauté, mais en dehors du pays du prestataire".

Un logiciel standard peut devenir un logiciel spécifique (1). Cette transformation retentit sur la désignation du pays d'imposition (2).

1. Du logiciel standard au logiciel spécifique

Si la remise d'un logiciel standard dans un pays se distingue matériellement de son adaptation aux besoins de l'acquéreur dans un autre pays, l'exécution en des moments différents et en des lieux différents ne doit pas faire perdre de vue l'unité économique des différentes tâches successivement exécutées. La CJCE rejette toute distinction artificielle entre les différentes phases d'une seule opération. Elle s'attache à vérifier "si l'assujetti livre au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique" (CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96, Card Protection Plan Ltd (CPP) c/ Commissioners of Customs & Excise, § 29 N° Lexbase : A7318AHI).

Au point 30 du même arrêt, la CJCE affirmait que "Il convient de souligner qu'il s'agit d'une prestation unique notamment dans l'occurrence où un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale alors que, à l'inverse, un ou des éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale. Une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu'elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire".

En résumé, constitue une prestation autonome soumise au régime prévu par la sixième directive-TVA toute prestation indépendante dont l'existence et la consommation ne nécessitent pas, dans l'intention des parties, un autre élément constitutif. Seule importe la volonté contractuelle. Inversement, si les parties sont convenues que la satisfaction du client et partant, l'exécution de ses engagements par le fournisseur ne seraient atteintes qu'après réalisation de plusieurs tâches dépendantes les unes des autres, ces dernières ne constituent que les différents éléments d'une prestation unique. Comme en droit civil français, le juge communautaire considère qu'il faut rechercher la volonté réelle des parties.

En l'espèce, certes, le logiciel acquis aux USA par Levob pouvait, in abstracto, être utilisé. Cependant, in concreto, il ne présentait aucune utilité sans les adaptations stipulées. Il ne semble guère contestable que les cocontractants aient entendu conclure à propos d'une prestation unique de fourniture d'un logiciel spécialement adapté aux activités professionnelles du client. Le fait que le prix soit distingué par élément composant la prestation demeure indifférent (§ 25 ; CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96, Card Protection Plan Ltd (CPP) c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 21).

L'unité de l'opération étant admise, il reste à qualifier l'obligation principale. Se traduit-elle par la livraison d'un bien ou la fourniture d'un service ? De nouveau, il faut rechercher la volonté des parties. Ont-elles entendu stipuler à propos d'une chose déterminée à l'avance ou d'un travail spécifique, destiné à répondre aux besoins particuliers du donneur d'ordre (C. cass., civ. 1ère, 14 décembre 1999 : Bull. civ. I, n° 340 ; Gaz. Pal. 2000, 2, somm. 1655, obs. Peisse) ? La CJCE adopte la même démarche que notre Cour de cassation en préconisant d'"identifier les éléments prédominants de ladite prestation" (§ 27 ; CJCE, 2 mai 1996, aff. C-231/94, Faaborg-Gelting Linien A/S c/ Finanzamt Flensburg, § 14 N° Lexbase : A9401AUQ). En l'espèce, le contrat d'entreprise l'emporte sur la vente car "outre l'importance des adaptations du logiciel de base afin de lui conférer une utilité pour des activités professionnelles exercées par l'acquéreur, l'ampleur, la durée et le coût desdites adaptations constituent également des éléments pertinents à cet égard" (§ 28). Le juge communautaire approuve l'administration fiscale et les juges du fond néerlandais car "loin de présenter un caractère mineur ou accessoire, de telles adaptations revêtent un caractère prédominant en raison de leur importance décisive pour permettre à l'acquéreur d'utiliser le logiciel adapté à ses besoins spécifiques dont il fait l'acquisition" (§ 29).

La nature fiscale de l'opération étant précisée, il devient possible de désigner le pays d'imposition de la prestation de services en cause.

2. Du logiciel spécifique au pays d'imposition

Le titre VI de la sixième directive-TVA s'intitule "Lieu des opérations imposables". Il prévoit des règles différentes selon qu'il s'agit de livraisons de biens ou de prestations de services. L'article 9-1 de cette directive désigne le pays d'établissement du prestataire de services, autrement dit le pays de départ. Toutefois, le paragraphe 2 du même article déroge à cette règle générale de localisation des services à propos de certaines prestations matériellement localisables et des prestations immatérielles limitativement énumérées. L'article 9-2, e, tiret 3 renvoie, ainsi, les "prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d'études, avocats, experts-comptables et autres prestations similaires, ainsi que le traitement de données et la fourniture d'informations" à la souveraineté fiscale du pays d'arrivée, celui du preneur.

En l'espèce, la question se posait de savoir si les prestations d'adaptation effectuées par le fournisseur de logiciels constituaient un traitement de données. La CJCE répond positivement en constatant que "les sciences de l'informatique, dont la programmation et le développement de logiciels, occupent une place importante dans la formation dispensée aux futurs ingénieurs et qu'elles constituent même souvent l'une des diverses filières de spécialisations offertes à ceux-ci au cours de cette formation" (§ 38). Il en résulte que "l'adaptation d'un logiciel informatique aux besoins spécifiques d'un consommateur est, donc, susceptible d'être effectuée tantôt par des ingénieurs, tantôt par d'autres personnes disposant d'une formation leur permettant de répondre à la même finalité" (§ 39). En sorte que l'ensemble des prestations de fourniture et d'adaptation d'un logiciel de gestion de contrats d'assurance aux Pays-Bas relève de la TVA néerlandaise.

Sans l'assimilation des différentes phases de l'échange économique entre FDP et Levob à une prestation de service, la CJCE aurait eu à dire en droit si la cession d'un logiciel standard contribue à l'évolution technique et économique. L'article 11 B § 1 de la sixième directive-TVA fixe la base d'imposition à la TVA des importations de biens par renvoi au droit communautaire relatif aux droits de douane. Or, à l'époque des faits litigieux, le droit communautaire excluait la valeur du logiciel enregistré sur un support informatique (Règlement (CE) n° 2454/93 de la Commission, 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d'application du Règlement (CEE) n° 2913/92 Conseil établissant le Code des douanes communautaire, art. 167, § 1 N° Lexbase : L5879AUB). Cette règle a été abrogée en 2002 en vue de réduire à zéro les droits de douane sur les produits des technologies de l'information (Règlement (CE) n° 444/2002 de la Commission, 11 mars 2002, modifiant le règlement (CEE) n° 2454/93 fixant certaines dispositions d'application du Règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le Code des douanes communautaire et modifiant les règlements (CE) n° 2787/2000 et (CE) n° 993/2001N° Lexbase : L2900A3S). Cependant, dans la mesure où les règles douanières spécifiques ont pour objectif de faciliter l'évolution technique et économique, il n'est pas sûr que le commerce international de logiciel standard en bénéficie.

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[Jurisprudence] Du nouveau sur le sort du cautionnement en cas de fusion-absorption

Réf. : Cass. com., 8 novembre 2005, n° 01-12.896, Société Selectibail SA, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A4830DLH) ; n° 02-18.449, SCI du 75, Champs-Elysées c/ Société Réaumur participations SA, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A4831DLI)

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Le 07 Octobre 2010

La Chambre commerciale de la Cour de cassation témoigne d'un changement de cap dans l'une de ses deux décisions rendues le 8 novembre 2005. Lors de la fusion-absorption de la société créancière, le cautionnement est, sauf clause contraire, transmis de plein droit à la société absorbante. Voici l'expression d'une position respectant le principe de la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée vers la société absorbante (C. com., art. L. 236-3 N° Lexbase : L6353AI7), principe constituant, d'ailleurs, le visa de cette décision. Celle-ci nous donne l'occasion de revenir sur le sort du cautionnement en présence d'une modification de la structure sociétaire. En principe, le cautionnement, contrat intuitu personnae, subsiste seulement dans la mesure où les parties, qui y ont consenti, restent les mêmes (V. M.-L Coquelet, La transmission universelle du patrimoine en droit des sociétés à l'épreuve du principe d'intransmissibilité des contrats intuitu personnae, Dr. sociétés, act. prat., 49/2000, p. 20) et le sort du cautionnement dépendra, alors, de la survie ou de l'extinction de la personne morale. Le cautionnement ne devrait donc pas être affecté par la transformation de la forme sociétaire (I), alors qu'il le serait s'agissant d'une scission ou d'une fusion-absorption (II).

I - Le sort de la caution face à une transformation de la forme sociétaire

La transformation de la structure sociétaire n'entraîne pas toujours la dissolution de la société initiale et donc, corrélativement, la création d'une personne morale nouvelle (C. civ., art. 1844-3 N° Lexbase : L2023ABK). Par conséquent, lorsque la personnalité morale de la société n'est pas altérée par cette transformation, il y a continuation des contrats en cours et les engagements des tiers et de ou des caution(s) sont maintenus.

Sur ce principe, la jurisprudence est immuable : l'engagement de la caution demeure en cas de transformation d'une SARL en SA (Cass. com., 3 janvier 1995, Bull. Joly 1995, p. 237 ; Cass. com., 2 octobre 1979, n° 78-10.114, Cotte c/ Banque Internationale de Commerce N° Lexbase : A3431AG8, Bull. civ., IV, n° 240), d'une SNC en SA (Cass. com., 9 avril 1973, n° 72-11027, Société financière Sofal SA c/ Dame Vaccarod N° Lexbase : A7304CEA) ou d'une SNC en SARL (Cass. civ. 1, 18 juin 1991, n° 87-15.537, Amiot c/ SA CCF N° Lexbase : A9506ATA, RJDA 6/92, n° 592). La solution est identique si la modification de la structure aggrave le sort de la caution, position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, certes, quelque peu sévère pour celle-ci (V. H. Le Nabasque, note sous Cass. com., 20 février 2001, Union pour le financement d'immeubles de sociétés (UIS) c/ M Bobichon et autres N° Lexbase : A3278ART, Bull. Joly 2001, p.611).

Certains auteurs plaidaient, cependant, pour une autre solution : le maintien du cautionnement, lorsque son objet constitue des dettes déterminées et, pareillement, son extinction pour les dettes indéterminées (Ch. Mouly, Les causes d'extinction du cautionnement, Litec, 1979, n° 327 et s.). Une telle solution n'a pas, à ce jour, été consacrée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Mais, la caution peut toujours, par une clause contractuelle, étendre ou restreindre la portée de son engagement. Elle prévoit, alors, expressément, qu'elle cessera d'être tenue en cas de transformation de la société (V. Cass. com., 8 juillet 1970, n° 69-13.855, Oznobichine c/ Beck N° Lexbase : A9701AGE, RTD com. 1970, p. 160).

II - Le sort de la caution face à une fusion-absorption

Deux hypothèses sont à distinguer : la fusion absorption de la société créancière (A) et celle de la société cautionnée et débitrice (B).

A - La fusion absorption de la société créancière

Jusqu'à la décision "Selectibail" du 8 novembre 2005 (Cass. com., 8 novembre 2005, n° 01-12.896, Société Selectibail SA, FS-P+B+I+R) et, en cas de dissolution d'une société par voie de fusion, l'engagement de la caution demeurait pour les obligations nées avant la dissolution de celle-ci (Cass. com., 21 janvier 2003, n° 97-13.027, FS-P N° Lexbase : A7242A4Y, Bull. Joly 2003, p. 414).

Cette solution était retenue en cas d'apport partiel d'actif (CA Paris, 24 octobre 1992, BRDA 1992, n° 22, p.13), de scission soumise au régime des fusions (CA Paris, 24 septembre 1992, 3ème ch., sect. B, 24 septembre 1992, n° 91-003960, Banque populaire c/ Monsieur Rouselle N° Lexbase : A3169A47, Bull. Joly 1992, p. 1283), d'une dissolution par fusion de la société cautionnée (Cass. com., 25 mars 1997, n° 95-12.018, Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) du Sud-Est c/ M. Serge Didier et autres N° Lexbase : A0015AU4), Bull. Joly 1997, p. 643), d'une liquidation sans dissolution d'une société unipersonnelle (Cass. com., 19 novembre 2002, n° 00-13.662, Caisse fédérale de Crédit mutuel du Nord de la France c/ Société Ediscan N° Lexbase : A0423A4G, D. 2002, p. 3344), de réunion des droits sociaux en une seule main (Cass. com., 19 novembre 2002, précité, D. 2002, p. 3344 ; Contra : CA Douai, 20 janvier 2000, D. 2000, act. jur., p. 139) ou d'une fusion par voie de création d'une personne morale nouvelle (Cass. com., 20 janvier 1987, n° 85-14.035, Consorts Descamps c/ Banque nationale de Paris N° Lexbase : A6495AAS, JCP éd. G, 1987, II, 20844).

Par conséquent et en cas de dissolution de la société cautionnée, l'engagement de la caution prenait fin, mais seulement pour l'avenir. La dichotomie entre obligation de couverture et de règlement était ainsi révélée. Il y avait survie de l'obligation de règlement et extinction de l'obligation de couverture. Et, c'est en ces termes que se prononçait la jurisprudence (Cass. com., 23 mars 1999, n° 96-20.555, Société l'Etoile commerciale c/ Société Fideicomi N° Lexbase : A8037AGR, D. 1999, jur., p. 699).

Le principe semblait acquis : les dettes contractées par la société cautionnée et donc nées avant sa disparition, étaient à la charge de la caution, nonobstant leur date d'exigibilité. Une dette non échue n'est effectivement pas une dette future, c'est-à-dire postérieure à la dissolution et dont la caution pouvait s'exonérer (Cass. com., 21 janvier 2003, précité ; Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-21.786, Société Allium, venant aux droits des sociétés Agena Méditerranée et c/ Société E et B N° Lexbase : A6951AHW, Joly 1999, p. 531 ; Cass. civ. 3, 12 juin 1999, n° 96-14.047, Epoux Escafit c/ Compagnie générale de crédit-bail N° Lexbase : A0064AYZ, RJDA 3/99, n°342).

La situation était donc la suivante :

- les créances, nées postérieurement à la réalisation de la fusion, n'engageaient pas la caution sauf si elle avait manifesté, expressément, sa volonté de s'engager à l'égard de la société absorbante ;
- les créances, nées antérieurement à la réalisation de la fusion, étaient toujours garanties même après la fusion : survivait donc l'obligation de règlement alors que s'éteignait l'obligation de couverture.

Pourtant, certains juges du fond se faisaient entendre autrement en invoquant la transmission universelle du patrimoine (CA Paris, 19 mars 1996, RD bancaire et bourse 1996, p.104). Celle-ci emporte transmission, suivant l'article L. 236-3 du Code de commerce, du patrimoine dans l'état où il se trouve le jour de l'opération. Dès lors, le cautionnement, en tant qu'accessoire de la créance, devait être transmis. L'absorbante pouvait bénéficier, de plein droit, des obligations de couverture et de règlement (En ce sens, Y. Guyon, note sous Cass. com., 19 mars 1996, n° 93-16.721, Mme Anne-Marie Pena Ruiz, née Dolfini c/ Société Le Comptoir des entrepreneurs N° Lexbase : A8736CWH, Rev. sociétés 1996, p. 357).

Puis, une tendance était amorcée par un arrêt du 6 décembre 2004 de l'Assemblée plénière (Ass. plén., 6 décembre 2004, n° 03-10.713, Société WHBL 7 N° Lexbase : A3249DE3) se prononçant sur le sort du cautionnement en cas de cession de contrat, revenant sur une position fortement critiquée de la Chambre commerciale.

Celle-ci libérait la caution de son engagement de garantie des loyers en cas de vente de l'immeuble loué, "à défaut de volonté de la part de la caution de s'engager envers le nouveau bailleur, le cautionnement souscrit auprès du précédent bailleur ne peut être étendu en faveur du nouveau" (Cass. com., 3 décembre 2003, n° 01-10.755, Société CDR Créances consortium de réalisation c/ Société Groupe Courtaud N° Lexbase : A3580DAT ; Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-12.487, BNP Lease c/ M. François Turpault N° Lexbase : A6153C9R). Le cautionnement n'était donc plus, lors d'une cession de contrat, un accessoire de la créance.

Puis, par une décision de principe, l'Assemblée plénière décidait que l'engagement de la caution survivait à la vente de l'immeuble loué.

Dès lors et en cas de cession de bail, la caution, en tant qu'accessoire de la créance des loyers, suivait alors de plein droit le sort du bail ainsi transmis au nouveau propriétaire. Peu importait donc le changement de créancier : une caution semblait s'engager d'abord en considération de la situation économique du locataire débiteur.

La décision "Selectibail" reprend, aujourd'hui, ces principes en fondant sa décision sur l'étendue du cautionnement (C. civ., art. 2015 N° Lexbase : L2250ABX) et la transmission universelle du patrimoine (C. com., art. L. 236-3) : "en cas de fusion-absorption d'une société propriétaire d'un immeuble donné à bail, le cautionnement garantissant le paiement des loyers est, sauf stipulation contraire, transmis de plein droit à la société absorbante".

Le principe est clair. Lorsque la société bénéficiaire du cautionnement est absorbée, la caution est tenue de plein droit par son engagement, sauf volonté contraire exprimée lors de la conclusion du contrat de cautionnement.

La personne du créancier est, il est vrai, moins déterminante -et peu susceptible d'aggraver le sort de la caution- dans l'engagement de la caution que celle du débiteur et c'est en ce sens que le cautionnement est intuitu personnae. D'ailleurs, s'agissant de la fusion-absorption de la société débitrice, la Chambre commerciale n'a pas modifié sa position.

B - La fusion-absorption de la société débitrice et cautionnée

Le sort de la caution peut être aggravé par une modification de la société cautionnée. Il existe un risque de voir s'amoindrir la solvabilité du débiteur et de s'intégrer dans son obligation de règlement des dettes contractées par la société absorbée, non encore échues et qu'elle aurait pu acquitter si elle n'avait pas été absorbée (V. en ce sens, J. Honorat, note sous Cass. com., 19 novembre 2002, précité). Bien entendu, c'est aussi aux cautions d'être prudentes et, semble-t-il, de veiller à ce que le repreneur apure le passif de la société débitrice absorbée (V. J. Honorat, Defrénois, 2003, art. 37739).

Conscient de ce risque, la Chambre commerciale confirme, dans sa deuxième décision du 8 novembre 2005 (Cass. com., 8 novembre 2005, n° 02-18.449, SCI du 75, Champs-Elysées c/ Société Réaumur participations SA, FS-P+B+I+R), sa jurisprudence antérieure : la caution reste tenue des dettes nées avant l'absorption et ce même si elles sont exigibles après, mais son engagement s'arrête là. L'obligation de couverture ne survit pas à la fusion-absorption du débiteur. Seule l'obligation de règlement demeure.

Cette décision est des plus classiques au regard des incidences d'une telle opération sur la personne morale cautionnée. Ce qui l'est moins, c'est l'orthodoxie juridique qui se faisait attendre concernant le sort de la caution en présence d'une fusion-absorption d'une société créancière. A suivre...

Marie-Elisabeth Mathieu
Maître de conférences à l'Université d'Evry - Val d'Essonne
Membre du Centre de formation professionnelle notariale de Paris
Jeantet Associés

newsid:81477

Sociétés

[Jurisprudence] La portée d'une incompatibilité appréciée au regard du risque de conflit d'intérêts

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-10.490, Crédit lyonnais c/ Fédération française des syndicats CFDT des banques et sociétés financières, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5879DKX

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N1333AKL

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Le 07 Octobre 2010

Un arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2005 retient l'attention. Pour déterminer le champ d'application d'une incompatibilité édictée par la loi sur les sociétés, la Chambre sociale de la Cour de cassation se réfère à la notion de conflit d'intérêts (1). Dans cette espèce, une fédération de syndicats avait proposé à une société la nomination d'un membre de son conseil d'administration comme permanent syndical. La société ayant refusé cette nomination, l'affaire avait été portée devant les tribunaux. Selon la cour d'appel saisie du litige, la nomination était valable dès lors que "les fonctions de permanent syndical [...] n'emportent par elles-mêmes aucun pouvoir de représentation des salariés ou de négociation collective [et] ne sont pas au nombre de celles, limitativement énumérées, déclarées incompatibles avec le mandat d'administrateur élu par les salariés par l'article L. 225-30 du Code de commerce". La Haute juridiction rejette ces arguments et casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 2 de l'accord du 27 juin 2001 sur la rénovation des relations sociales au Crédit lyonnais et de l'article L. 225-30 du Code de commerce (N° Lexbase : L5901AIE), et, considère, ainsi, que "tout mandat syndical exercé dans l'entreprise susceptible de créer des conflits d'intérêts avec les fonctions de membre du conseil d'administration" est incompatible avec le mandat d'administrateur élu par les salariés.

L'incompatibilité en cause est celle édictée par l'article L. 225-30 du Code de commerce, "le mandat d'administrateur élu par les salariés est incompatible avec tout mandat de délégué syndical, de membre du comité d'entreprise, de délégué du personnel ou de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société". A la lecture du texte on observe, d'une part, qu'il procède à une énumération des mandats incompatibles et d'autre part, qu'il n'emploie pas les mots "conflit d'intérêts". La cour d'appel a estimé que l'énumération est limitative, qu'elle ne "souffre aucune interprétation" et que l'incompatibilité ne s'applique pas à des fonctions qui "n'emportent par elles-mêmes aucun pouvoir de représentation des salariés ou de négociation collective". Cette motivation en trois points tend à légitimer, au regard du texte cité, la désignation comme permanent syndical d'une personne déjà élue administrateur en application de l'article L. 225-27 du Code de commerce (N° Lexbase : L5898AIB).

Cette motivation n'est pas exempte de contradiction : affirmer que l'énumération est limitative et que le champ d'application du texte se limite aux mandats emportant un pouvoir de représentation ou de négociation, c'est interpréter l'énoncé du texte.

Interprétant à son tour ce texte, la Cour de cassation lui donne la signification qui lui permet de remplir sa fonction ; elle décide "qu'entre dans les prévisions du texte tout mandat syndical exercé dans l'entreprise susceptible de créer des conflits d'intérêts avec les fonctions de membre du conseil d'administration". C'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour suprême (2) énonce en termes exprès qu'un texte de droit des sociétés édictant une incompatibilité a pour finalité la prévention des conflits d'intérêts et qu'elle détermine le champ d'application de ce texte au regard de cette finalité-là.

Deux repères permettent de mesurer l'importance de cette décision. Premier repère : le droit des sociétés, à la différence de maints autres corps de règles, n'emploie jamais les mots "conflit d'intérêts". Pourtant, le contrat de société postule la communauté d'intérêts entre les associés (C. civ., art. 1833 N° Lexbase : L2004ABT) et constitue, de ce fait, une terre propice à la survenance de tels conflits. On salue donc l'apparition de ces mots dans cet important arrêt. Second repère : la potentialité d'un conflit d'intérêts n'a jamais conduit la Cour suprême à faire application d'une mesure de prévention : ainsi, statuant en la matière voisine de la prohibition du vote intéressé, elle a admis que la filiale d'une société apporteuse vote l'approbation de l'apport par l'assemblée de la société bénéficiaire dont elle est actionnaire (3), et que les trois filiales d'une compagnie financière, qui détient plus de 10 % du capital d'une société émettrice d'obligations, votent à l'assemblée de la masse des obligataires (4). Dans ces cas caractéristiques d'un conflit d'intérêts, l'interprétation sémiotique prévalait. On aperçoit l'apport considérable de l'arrêt rapporté qui adopte une interprétation fonctionnelle.

L'arrêt ne se prononce que sur le champ d'application d'une incompatibilité légale ; mais il n'est pas interdit d'espérer qu'il ouvre la voie à la prévention des conflits d'intérêts susceptibles de surgir dans l'ensemble des relations internes à la société.

Dominique Schmidt
Agrégé des Facultés de droit
Avocat à la Cour


(1) Nous proposons de définir le conflit d'intérêts comme "toute situation dans laquelle un actionnaire ou un dirigeant choisit d'exercer ses droits et pouvoirs en violation de l'intérêt commun soit pour satisfaire un intérêt personnel extérieur à la société, soit pour s'octroyer dans la société un avantage au préjudice des autres actionnaires" : voir notre ouvrage, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Joly Editions, Paris 2004, n° 19, p. 30 ;
(2) La cour d'appel de Paris (CA Paris, 18ème ch., sect. E, 29 juin 2001, n° 01/30113, M. Gérard Feder c/ SA Ardent Electronique N° Lexbase : A9305A7R ; JCP éd. E 2002, n° 680, p. 720, note C. Puigelier), statuant sur l'application de l'article 107 de la loi du 24 juillet 1966 [devenu l'article L. 225-44 du Code de commerce N° Lexbase : L5915AIW] a justement souligné que ce texte, qui interdit à un administrateur de se faire consentir un contrat de travail, a pour "finalité [...] de limiter strictement les situations génératrices de confusion des intérêts et des rôles contractuels" ;
(3) Cass. req., 5 novembre 1895 : Journ. sociétés 1896, p. 65, note C. Houpin ;
(4) Cass. com., 13 juin 1995, n° 94-21.003, Monsieur Carava et autre c/ Association de Défense des Porteurs d'Obligations Remboursables en Actions Métrologie International et autre N° Lexbase : A1448ABA ; JCP éd. G 1995, II, 22522, note Y. Guyon.

newsid:81333

Sociétés

[Jurisprudence] Capital investissement : encore les clauses de prix plancher

Réf. : Cass. com., 27 septembre 2005, n° 02-14.009, Société BSA Bourgoin c/ Société CDR Participations, F-D N° Lexbase : A5749DK7

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Le 07 Octobre 2010

Les questions posées à la Cour de cassation sont récurrentes ces derniers temps. Ainsi, la question, très controversée, de la répartition du droit de vote entre l'usufruitier et le nu-propriétaire d'actions (1), a donné lieu à trois décisions en une année. De la même manière, la question de la validité de la clause dite de prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines, édictée à l'article 1844-1 du Code civil (N° Lexbase : L2021ABH), a été abordée à quatre reprises au cours de la même période. La Chambre commerciale vient ainsi de rendre un arrêt très intéressant sur cette matière, le 27 septembre 2005. Les faits de l'espèce étaient on ne peut plus classiques. Un fonds d'investissement accepte de prendre une participation minoritaire, via une augmentation de capital. Parallèlement, l'actionnaire majoritaire de la société s'engage, par une promesse unilatérale d'achat, à lui racheter les titres acquis, au prix de souscription majoré d'un intérêt. La promesse pouvait être exercée à l'intérieur d'un certain délai, conventionnellement fixé entre le 1er janvier et le 31 mars 1998. La stipulation d'un prix minimum contrevient-elle à la prohibition des clauses léonines, dans la mesure où, entre la souscription et l'exercice de la promesse, le bénéficiaire de la promesse, associé, se voit garanti contre un risque de perte ?

La Cour de cassation répond par la négative, en ces termes : "la promesse litigieuse tendait à assurer [au fonds d'investissement] qui est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l'investissement auquel [il] n'aurait pas consenti sans ce désengagement déterminant [...] ; cette promesse avait ainsi pour objet d'assurer l'équilibre des conventions conclues entre les parties, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la fixation au jour de la promesse d'un prix minimum de cession ne contrevenait pas aux dispositions de l'article 1844-1 du Code civil, peu important à cet égard qu'il s'agisse d'un engagement unilatéral de rachat" (2).

La Chambre commerciale réaffirme ainsi très nettement la validité sans conditions de la clause de prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines (3). Un doute avait pu surgir au lendemain d'un arrêt que la Haute juridiction avait rendu le 22 février 2005 (4) dans lequel il était affirmé, sous le visa de l'article 1844-1 du Code civil (N° Lexbase : L2021ABH), qu'"en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que M. Z ne pouvait lever l'option qu'à l'expiration d'un certain délai et pendant un temps limité, ce dont il résulte qu'il restait en dehors de cette période, soumis au risque de disparition et de dépréciation des actions, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations". La Chambre commerciale semblait soumettre la validité de la clause de prix plancher insérée dans une promesse unilatérale d'achat à une condition tenant au maintien de la vocation du bénéficiaire à contribuer aux pertes, en dehors du délai d'option. Ce doute est levé au lendemain de l'arrêt commenté et la jurisprudence traditionnelle confirmée (I).

Cependant, il apparaît que le bénéficiaire de la promesse, dans l'arrêt rendu le 22 février 2005, était un associé actif de la société, par ailleurs président de son conseil de surveillance. En revanche, dans l'arrêt du 27 septembre 2005, comme dans celui du 16 novembre 2004, il s'agissait d'un investisseur professionnel, tiers à la société avant une opération de capital investissement. On pourrait dès lors voir l'ébauche d'une distinction en fonction du montage dont la promesse est un élément (II).

I - La confirmation de la jurisprudence traditionnelle

Depuis 1986, la Chambre commerciale affirme sans ambages la validité de la clause de prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines. Ainsi, dans un arrêt "Bowater", rendu le 20 mai 1986 (5), les Hauts magistrats considèrent-ils "qu'en effet est prohibée par l'article 1844-1 du Code civil la seule clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ; qu'il ne pouvait en être ainsi s'agissant d'une convention, même entre associés, dont l'objet n'était autre, sauf fraude, que d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux". Pour la Haute juridiction, dans sa formation commerciale tout du moins (6), du moment que la clause litigieuse n'a pas pour objet d'organiser les rapports sociaux, domaine d'élection de la répartition des bénéfices et des pertes, mais uniquement d'assurer la transmission des actions, elle échappe à la prohibition des clauses léonines. Cette solution a été confirmée plusieurs fois (7). L'arrêt commenté n'est donc pas particulièrement novateur sur ce point.

En revanche, il réaffirme, après l'arrêt rendu le 16 novembre 2004, l'indifférence de l'existence de promesses croisées sur la validité de la clause de prix plancher. Le doute avait été introduit par la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 24 mai 1994 (8), au sujet d'une convention de portage. En l'espèce, on s'en souvient, la Chambre commerciale avait estimé, sous le visa de l'article 1844-1, "qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux, la cour d'appel a violé le texte susvisé" (souligné par nous). Certains auteurs en avaient déduit que seules les promesses croisées d'achat et de vente échappaient à la prohibition des clauses léonines posée à l'article 1844-1 du Code civil (9). Le doute est désormais levé, après les arrêts du 16 novembre 2004 et du 27 septembre 2005. Le caractère croisé des promesses n'est en aucune façon une condition de validité de la clause de prix plancher. Il y a lieu de se féliciter de la solution adoptée par la Cour de cassation. En effet, l'objet de la convention est toujours d'assurer une liquidité suffisante des actions détenues par l'associé bénéficiaire de la promesse d'achat. Dans ces conditions, l'existence d'une promesse de vente doit demeurer sans effet sur l'appréciation du caractère léonin de la clause de prix plancher.

Le caractère temporaire de l'option de rachat est également indifférent. En effet, en l'espèce, celle-ci ne pouvait être levée qu'entre le 1er janvier et le 31 mars 1998. En dehors de cette période, le fonds d'investissement ne pouvait plus exiger le rachat de ses actions au prix de leur souscription. Pourtant, comme dans l'arrêt rendu le 16 novembre 2004, la Cour de cassation ne relève pas l'argument tiré du constat que l'engagement de rachat ne pouvait être mis en oeuvre qu'à l'intérieur d'un certain délai. Bien au contraire, elle affirme la validité de la clause de prix plancher, sans distinguer en fonction de la faculté du bénéficiaire de lever l'option à tout moment ou, à l'inverse, uniquement à l'intérieur d'un certain délai. Il y a lieu d'en conclure que la solution serait similaire même si la promesse n'était assortie d'aucun délai d'option.

Pourtant, cet argument avait été retenu par la Cour de cassation dans son arrêt "Z" du 22 février 2005 (10). En l'occurrence, on l'a vu, la Chambre commerciale semble adopter une conception plus restrictive et subordonner la validité de la clause de prix plancher contenue dans une promesse unilatérale d'achat à l'existence d'un délai d'option, en dehors duquel le bénéficiaire voit sa vocation à contribuer aux pertes maintenue.

Faut-il en conclure que la solution rendue dans l'arrêt "Z" n'est qu'un banal "accident de parcours" jurisprudentiel ? Ce serait faire montre de peu de respect pour les décisions de la Cour de cassation, publiées au Bulletin civil de surcroît... Ne faut-il pas plutôt voir dans la réaffirmation du principe posé par l'arrêt du 16 novembre 2004 l'ébauche d'une distinction selon l'objet du montage, que certains auteurs avaient suggérée (11) ?

II - Vers une distinction selon l'objet du montage ?

Les contextes factuels à l'origine des arrêts du 22 février 2005 et du 27 septembre 2005 étaient bien différents.

En effet, dans un cas, l'actionnaire ayant souscrit à l'augmentation de capital avait déjà cette qualité avant l'opération. Il était, par ailleurs, membre du conseil de surveillance de la société. Il était véritablement animé de l'affectio societatis (12). Dans ces conditions, il était logique que la validité de la clause, ayant pour effet de le soustraire à son obligation fondamentale de contribution aux pertes, soit subordonnée au respect de certaines conditions, tenant à l'existence d'un délai d'exercice limité de l'option de rachat.

En revanche, dans l'autre cas (ainsi que dans l'arrêt du 16 novembre 2004), il s'agit d'une opération classique de capital développement. Un fonds d'investissement avait souscrit à une augmentation de capital, à un prix de souscription de 100 francs (15,24 euros) par action, majoré d'une prime d'émission de 183 francs (27,90 euros) par action afin de ne pas provoquer une trop forte dilution des actionnaires en place. En contrepartie, l'un d'entre eux s'engageait à lui racheter ses titres, au prix de souscription, s'il levait l'option d'achat dans un certain délai. On le voit, même si en apparence, les faits sont similaires à ceux de l'arrêt "Z", la logique du montage est profondément différente. Dans un cas, la société fait appel à ses actionnaires, afin de renforcer ses fonds propres, conformément à la logique classique du droit des sociétés. Dans l'autre, il est fait appel à un fonds, professionnel de l'investissement, étranger à la société et non animé de l'affectio societatis. Le montage est empreint d'une logique financière, et non sociétaire. L'esprit du bénéficiaire de la clause de rachat est celui d'un investisseur, et non d'un véritable associé. La Cour de cassation ne s'y trompe pas, qui souligne dans l'arrêt commenté, à l'appui de sa motivation, que le bénéficiaire de la promesse est "avant tout un bailleur de fonds" (13).

De surcroît, la solution issue de l'arrêt du 22 février 2005 nous semble peu au fait de la réalité du capital investissement. Si l'on considère que la promesse unilatérale n'est valable uniquement parce qu'à l'extérieur du délai d'option, le fonds de capital risque serait exposé au risque de pertes (arrêt du 22 février 2005), il suffira au fonds, professionnel de l'investissement, de lever l'option si la société rencontre des difficultés pour faire échapper la clause de prix à la qualification de clause léonine, même si le fonds est de ce fait exonéré de toute contribution aux pertes. Dans ces conditions, il est plus simple, en matière de montage de capital investissement, de considérer que la clause de prix plancher est en tout état de cause valable au regard de la prohibition des pactes léonins posée à l'article 1844-1 du Code civil.

En définitive, il résulte selon nous de la jurisprudence de la Cour de cassation que :

- la clause de prix plancher contenue dans une promesse unilatérale est toujours valable au regard de la prohibition des clauses léonines dès lors que ladite promesse s'insère dans un montage de capital investissement (arrêts du 16 novembre 2004 et du 27 septembre 2005) ;

- la même clause contenue dans une promesse unilatérale est valable, uniquement, si un délai d'exercice de l'option de rachat est prévu, dès lors que la promesse s'insère dans une opération de renforcement des fonds propres auprès des actionnaires de la société (arrêt du 22 février 2005).

Renee Kaddouch
Docteur en droit
Centre de droit financier de l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne
Avocat à la Cour, JeantetAssociés


(1) R. Kaddouch, De la répartition du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire : suite et fin ?, Lexbase Hebdo n° 186 du 20 octobre 2005 - édition affaires N° Lexbase : N9721AIU  ;
(2) La Chambre commerciale décide, également, en l'espèce que la stipulation d'un intérêt dans la promesse de rachat ne contrevient pas à la prohibition des clauses d'intérêt fixe, posée à l'article L. 232-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L6295AIY) ;
(3) V. en dernier lieu, Cass. com., 16 novembre 2004, n° 00-22.713, M. Jean-Claude Belkhelfa c/ M. Max Rossler, F-P+B N° Lexbase : A9264DDH ; Bull. IV n° 197 ; Rev. Sociétés 2005 p. 593, note H. Le Nabasque ; RD bancaire et financier janv. févr. 2005 p. 32, obs. A. Couret ; Bull. Joly 2005 p. 270, note H. Mathey ; adde, F.-X. Lucas, Du contrat de société au contrat d'investissement, RD bancaire et financier, mars-avril 2005 p. 50 ;
(4) Cass. com., 22 février 2005, n° 02-14.392, M. Jacques Gontard c/ M. Jean Papelier, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7487DGE ; Bull. IV n° 37 ; D. 2005 p. 973, note G. Kessler ; Rev. Sociétés 2005 p. 593, note H. Le Nabasque ; Dr. Sociétés 2005 n° 107 ; Bull. Joly 2005 p. 961, note F.-X. Lucas ;
(5) Cass. com., 20 mai 1986, n° 85-16.716, Société Bowater corporation limited c/ du Vivier, publié N° Lexbase : A5091AAS ; Bull. IV n° 95 ;
(6) La première chambre civile retient, en effet, une solution contraire (Cass. civ. 1, 7 avril 1987, n° 85 -11.774, M. Levêque-Houist N° Lexbase : A1662AGN ; Rev. Sociétés 1987 p. 395, note D. Randoux ; Cass. civ. 1, 29 octobre 1990, n° 87-16.605, Consorts Merenda et autre c/ Mme Léonelli, publié N° Lexbase : A1674ABM Bull. I n° 125 ; Bull. Joly 1990 p. 1052, note P. Le Cannu). Cette opposition au sein de la Cour de cassation nous paraît, cependant, plus académique qu'autre chose. En effet, comme le fait remarquer à juste titre un auteur (H. Le Nabasque, note sous Cass. com. 16 novembre 2004, précité, spéc. n° 1), les pourvois sont systématiquement portés devant la Chambre commerciale, même si les arrêts attaqués ont été rendus par les chambres civiles des cours d'appel ;
(7) Cass. com., 24 mai 1994, n° 92-14.380, Société de Banque occidentale c/ Consorts Chicot, publié N° Lexbase : A6947ABW ; Bull. IV n° 189 ; D. 1994 p. 503, note A. Couret (à propos d'une convention de portage) ; Cass. com., 19 octobre 1999, n° 97-12.705, M. de Fontagalland c/ Consorts Hale et autre N° Lexbase : A8109AGG ; JCP éd. E. 1999 p. 2066, note Y. Guyon ;
(8) Précité ;
(9) F.-X. Lucas, Promesses d'achat de droits sociaux à prix garanti et prohibition des clauses léonines. A la recherche de la cohérence perdue..., JCP éd. E. 2000 p. 168 ; E. Claudel, Clauses léonines extra-statutaires, les voies d'un compromis, in Mélanges Michel Jeantin, 1999, p. 183 ;
(10) Précité ;
(11) H. Le Nabasque, note sous Cass. com. 22 février 2005, précité, spéc. n° 4 ;
(12) Rappelons que l'affectio societatis est défini par la jurisprudence comme une collaboration effective à l'exploitation dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité avec ses associés, pour participer aux bénéfices comme aux pertes : Cass. com., 3 juin 1986, n° 85-12.118, Epoux Roth c/ M. Reynaud N° Lexbase : A5073AA7 ; Rev. Sociétés 1986 p. 585, note Y. Guyon ; sur l'ensemble de la question, V. not. R. Kaddouch, Au coeur du contrat de société : l'affectio societatis, Journ. Sociétés mai 2004 p. 10 et les réf. citées ;
(13) Monsieur le Professeur Lucas voit dans l'arrêt du 16 novembre 2004 la consécration de la distinction entre actionnaires : associés, animés de l'affectio societatis, et bailleurs de fonds, qui en sont dépourvus (F.-X. Lucas, Du contrat de société au contrat d'investissement, précité). Selon nous, cette distinction, qui repose sur les mobiles, est pratiquement impossibles à mettre en oeuvre (V. sur ce point, R. Kaddouch, Le droit de vote de l'associé, thèse Aix en Provence, 2001, éd. de l'ANRT, 2003, p. 401 et s.).

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