La lettre juridique n°115 du 8 avril 2004

La lettre juridique - Édition n°115

Éditorial

Le partenariat public privé, nouvel instrument de privatisation du secteur public ?

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N1202AB7

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 27 Mars 2014


"L'autorité publique en France, dès le XVIème siècle, a envisagé de recourir à des prestataires privés pour assurer pour son compte, et sous son contrôle, une activité économique, qui procure un service collectif aux citoyens ou à l'économie. C'est ainsi que la première concession en France fût accordée à Adam de Craponne, en 1554, pour la réalisation d'un canal" (Financement des infrastructures et des services collectifs : le recours au partenariat public-privé, sous la direction de Jean-Yves Perrot et Gautier Chatelus, direction des affaires économiques et internationales/ministère de l'Equipement - 2000). Aujourd'hui, le développement des partenariats public privé (PPP) est un phénomène mondial. Il concerne non seulement les pays développés, et tout particulièrement les pays européens, mais aussi les pays en voie de développement, puisque les contrats de partenariat sont des outils que la Banque Mondiale cherche à promouvoir pour y créer les conditions de la croissance de manière plus efficace et plus fructueuse que par le recours à des structures publiques. En France, l'association du public et du privé est une pratique déjà ancienne, si l'on s'en réfère aux infrastructures, notamment ferroviaires, construites au XIXème siècle. Cette pratique n'avait, pour autant, jamais été encadrée. Cela semble en passe de l'être aujourd'hui, puisque le projet de texte présenté par Bercy, en décembre dernier, est en cours d'examen par les sages du Palais-Royal. A cet égard, nous vous proposons cette semaine, grâce à Jacques Bouillon, avocat à la Cour, de revenir sur ces futurs nouveaux contrats et d'appréhender leur situation par rapport au panel des contrats administratifs. En effet, Claude Martinand, vice-président du CGPC, président de l'Institut de la gestion déléguée, nous rappelait que "la différence entre le PPP et la délégation de service public, c'est qu'on ne délègue pas le service public lui-même, mais des missions qui ne sont pas au coeur du service public. La différence entre le PPP et l'économie mixte, c'est qu'il n'y a pas de symétrie entre public et privé, ni l'ambiguïté de l'économie mixte critiquée par Bruxelles selon qui on risque d'être juge et partie" (Stratégies du développement local - juin/juillet 2003)... coupant court à toute idée de globalisation d'une privatisation du secteur public.

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Social général

[Textes] Le contrat d'insertion-revenu minimum d'activité entre en vigueur (à propos des décrets d'application du 29 mars 2004)

Réf. : décret n° 2004-299 (N° Lexbase : L4463DPY) ; décret n° 2004-300 (N° Lexbase : L4464DPZ) ; décret n° 2004-301 (N° Lexbase : L4465DP3) ; décret n° 2004-302 (N° Lexbase : L4466DP4)

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N1144ABY

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par Christophe Willmann, Maître de conférences à l'Université de Picardie

Le 07 Octobre 2010

Le régime juridique du Cirma (contrat insertion-revenu minimum d'activité), issu de la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (N° Lexbase : L9700DLT) est désormais complet, depuis que le pouvoir réglementaire a complété les dispositions légales, comme le législateur l'avait prévu. Ces quatre décrets sont relatifs au régime du contrat de travail Cirma (décrets n° 2004-299 N° Lexbase : L4463DPY et n° 2004-300 N° Lexbase : L4464DPZ du 29 mars 2004), à la gestion de l'allocation de RMI et à la convention département/employeur (décret n° 2004-301 du 29 mars 2004 N° Lexbase : L4465DP3) et enfin à la nature des informations transmises par les départements et les organismes associés à la gestion du RMI et du Cirma aux fins d'établissement de statistiques et aux modalités de leur transmission (décret n° 2004-302 du 29 mars 2004 N° Lexbase : L4466DP4). Ces décrets -et essentiellement ceux portant sur le régime juridique du Cirma- devraient pouvoir nuancer les critiques, dans l'ensemble négatives, formulées par la doctrine (M. Dollé, La décentralisation du RMI et la création d'un revenu minimum d'activité, le RMA : une réforme problématique, Dr. soc. 2003, p. 691 ; E. Alfandari, Revenu minimum, insertion, activité : logique économique et/ou sociale ?, Rev. dr. sanit. soc. 2004, p. 3 ; J. Damon et F. Marinnace, Le RMA : genèse, contenu et enjeux, Rev. dr. sanit. soc. 2004, p. 30). Parmi les nombreux aspects du Cirma abordés par ces quatre décrets, seuls doivent être retenus, comme étant les plus emblématiques de la ligne directrice générale qui semble avoir été suivie par le pouvoir réglementaire, les dispositions du Cirma mises en oeuvre par l'employeur (1) et le bénéficiaire (2). 1. L'employeur et le régime juridique du Cirma

Les quatre décrets complètent le régime législatif du contenu et de la durée de la convention département/employeur, déterminent les conditions pesant sur l'employeur et fixent le régime de remboursement des aides.

  • Contenu et durée de la convention département/employeur

Le décret précité n° 2004-300 du 29 mars 2004 (N° Lexbase : L4464DPZ) a introduit de nouvelles dispositions codifiées au Code du travail, relatives au contrat de travail Cirma. Parmi celles-ci, une mention particulière doit être faite à l'article D. 322-22-3 du Code du travail, portant sur la convention liant l'employeur au département.

La convention de contrat insertion-revenu minimum d'activité comporte notamment les mentions suivantes : l'identité et la qualité de l'employeur ; la durée, la date d'effet et les modalités de modification et de renouvellement de la convention ; le nom et l'adresse du bénéficiaire de la convention de Cirma ; son âge, son niveau de formation, sa situation au regard du RMI, de l'emploi et de l'indemnisation du chômage au moment de l'embauche ; les nom, fonctions et qualifications de la personne désignée comme tuteur au sein de l'établissement ; les objectifs poursuivis en matière d'orientation professionnelle, de suivi individualisé, d'accompagnement dans l'emploi, de formation professionnelle et de validation des acquis de l'expérience et les actions projetées par l'employeur au titre de la mise en oeuvre du parcours d'insertion ; les caractéristiques de l'emploi proposé ; la date d'embauche et du terme du contrat ; la durée du contrat de travail ; la durée hebdomadaire du travail ; le montant du revenu minimum d'activité correspondant ; les modalités de cumul d'activité (au sens de l'article L. 322-4-15-5 du Code du travail N° Lexbase : L8957DN3) ; le montant et les modalités de versement de l'aide du département à l'employeur ; l'organisme chargé du versement de l'allocation de RMI dont relève le bénéficiaire du Cirma ; l'organisme de recouvrement des cotisations et contributions sociales compétent (visé aux articles L. 213-1 N° Lexbase : L4862ADG et L. 752-4 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5666AD9 ou à l'article L. 723-2 du Code rural N° Lexbase : L1425AN4) et, enfin, les modalités de contrôle et d'évaluation de la convention par le département.

  • Conditions pesant sur l'employeur

Pour éviter les effets dits d'aubaine (E. Alfandari, art. prec., p. 9) et de substitution (J. Damon et F. Mari-nacce, art. prec., p. 40), l'employeur ne peut recourir au Cirma que s'il remplit certaines conditions, expression de sa "probité" et d'une saine gestion des ressources humaines. L'efficacité même du dispositif d'insertion du bénéficiaire du Cirma appelle de telles conditions à la charge de l'employeur.

Le législateur a posé ce principe général. Il appartenait au pouvoir réglementaire de le préciser. Selon les nouvelles dispositions réglementaires (C. trav., art. D. 322-22-3), l'employeur établit, lors de la signature de la convention de Cirma et à chaque avenant de renouvellement, une déclaration sur l'honneur qui atteste du respect des dispositions prévues aux a, b et c du deuxième alinéa de l'article L. 322-4-15-1 (N° Lexbase : L1526DP9) et du non-cumul, pour un même poste de travail, de l'aide du département avec une aide de l'Etat à l'emploi.

D'autre part, l'Urssaf (plus précisément, l'organisme de recouvrement des cotisations et contributions sociales compétent) est destinataire d'un exemplaire de la demande de convention et de ses avenants de renouvellement dès sa réception par le président du conseil général. L'Urssaf dispose d'un délai de 15 jours à compter de la date de réception de la convention ou de l'avenant de renouvellement pour apprécier l'obligation (prévue au c de l'article L. 322-4-15-1 N° Lexbase : L1526DP9) qu'a l'employeur d'être à jour du versement de ses cotisations et de ses contributions sociales. Si cette condition n'est pas remplie, l'Urssaf adresse une notification au président du conseil général. Dans le cas où cette notification intervient après la conclusion de la convention ou de l'avenant de renouvellement, le président du conseil général peut dénoncer la convention ou suspendre son application et celle de l'avenant dans l'attente que cette condition (prévue au c de l'article L. 322-4-15-1 du Code du travail N° Lexbase : L1526DP9) soit remplie par l'employeur.

Pour l'application de cette condition, sont prises en compte les cotisations de Sécurité sociale et contributions sociales à la charge de l'employeur et du salarié, les cotisations et contributions au Fnal ainsi que le versement de transport. Cette condition est appréciée compte tenu des cotisations et contributions sociales dues à la date de conclusion de la convention de contrat d'insertion-revenu minimum d'activité. En cas de contestation de cette dette par l'employeur, cette condition n'est réputée remplie qu'à compter du paiement intégral de ladite dette ou après décision de sursis à poursuite ou délais de paiement accordés selon les modalités prévues à l'article R. 243-21 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6543ADP) (ou, pour les salariés agricoles, selon les modalités prévues à l'article 21 du décret n° 76-1282 du 29 décembre 1976 N° Lexbase : L1850A4B).

  • Remboursement des aides

Enfin, le pouvoir réglementaire a complété les dispositions générales retenues par loi du 18 décembre 2003 portant sur la création du Cirma. Selon l'article R. 322-15-1 du Code du travail, dont la rédaction résulte du décret 2004-299 du 29 mars 2004 (N° Lexbase : L4463DPY), en cas de rupture du Cirma avant le terme initialement fixé dans la convention (mentionnée à l'article L. 322-4-15-1 du Code du travail N° Lexbase : L1526DP9), la convention est résiliée de plein droit. De même, l'employeur est tenu de reverser au département l'intégralité des sommes déjà perçues au titre de l'aide versée par le département (définie au troisième alinéa du I de l'article L. 322-4-15-6 N° Lexbase : L8958DN4) pour les heures de travail non effectuées à compter de la date d'effet de la rupture du Cirma en cas de faute grave du salarié, de force majeure, de rupture pendant la période d'essai, de démission du salarié ou de rupture négociée, sous réserve que cet accord résulte d'une manifestation non équivoque de la volonté commune des parties ; de la rupture du Cirma en cas de résiliation de la convention par le président du conseil général (en application des dispositions prévues au troisième alinéa de l'article L. 322-4-15-5 N° Lexbase : L8957DN3) ou enfin de la suspension du Cirma à la demande du salarié pour lui permettre d'effectuer une période d'essai afférente à une offre d'emploi.

Enfin, le décret précité n° 2004-299 (N° Lexbase : L4463DPY) précise qu'en cas de rupture du Cirma à la suite de la dénonciation de la convention par le président du conseil général, pour non-respect des dispositions du b du 2° de l'article L. 322-4-15-1 (N° Lexbase : L1526DP9), l'employeur est tenu de reverser au département l'intégralité des sommes déjà perçues au titre de l'aide versée par le département (définie au troisième alinéa du I de l'article L. 322-4-15-6 N° Lexbase : L8958DN4).

2. Le bénéficiaire du Cirma

  • Conditions d'accès au Cirma

La loi du 18 décembre 2003 (N° Lexbase : L9700DLT) avait laissé au pouvoir réglementaire le soin de fixer le régime des conditions de durée d'ouverture des droits au versement du RMI requises pour bénéficier d'un Cirma (C. trav., art. L. 322-4-15-3 N° Lexbase : L8955DNY, réd. loi 18 décembre 2003). La question est très sensible, car elle risque d'apporter, une fois de plus, une illustration de l'effet Matthieu d'une mesure pour l'emploi (J. Damon et F. Marinnace, art. prec., p. 46). Le décret n° 2004-300 (N° Lexbase : L4464DPZ) a ainsi retenu la règle selon laquelle bénéficient d'un Cirma les personnes (mentionnées au premier alinéa de l'article L. 322-4-15-3 N° Lexbase : L8955DNY) qui ont bénéficié du RMI pendant au moins 12 mois au cours des 24 derniers mois précédant la date de conclusion de la convention employeur/département relative au Cirma (prévue à l'article L. 322-4-15-1 N° Lexbase : L1526DP9) (C. trav., art. D. 322-22-1). Mais peuvent également bénéficier d'un Cirma les personnes (mentionnées au premier alinéa de l'article L. 322-4-15-3 N° Lexbase : L8955DNY) qui ont épuisé leurs droits au bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique (régime de solidarité du chômage). Pour accéder à un Cirma, les durées au cours desquelles l'allocation de solidarité spécifique a été servie sont assimilées à celles exigées pour les autres bénéficiaires du Cirma (C. trav., art. D. 322-22-1). Enfin, les textes réglementaires rappellent qu'à titre exceptionnel, les bénéficiaires du RMI ne remplissant pas les conditions de durée (mentionnées supra) et qui, du fait de leur situation personnelle ou sociale, rencontrent de graves difficultés d'accès à l'emploi, peuvent bénéficier d'un Cirma. Le nombre de conventions de contrats insertion-revenu minimum d'activité conclues à ce titre dans chaque département ne peut toutefois excéder 10 % du nombre total de conventions conclues annuellement (C. trav., art. D. 322-22-1).

  • Régime juridique du contrat de travail Cirma

- Durée du Cirma

La loi du 18 décembre 2003 (N° Lexbase : L9700DLT) précisait que la durée du Cirma et les conditions de sa suspension et de son renouvellement sont fixées par décret. Cette durée ne peut excéder 18 mois, renouvellement compris. Le décret n° 2004-300 (N° Lexbase : L4464DPZ) complète utilement la rédaction de l'article L. 322-4-15-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8956DNZ), dont la rédaction est issue de la loi du 18 décembre 2003. En application de la convention liant l'employeur au département (mentionnée à l'article L. 322-4-15-1 N° Lexbase : L1526DP9), le Cirma est conclu pour une durée initiale de 6 mois. En cas de renouvellement du contrat dans les conditions définies à l'article L. 322-4-15-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8956DNZ), un avenant fixe sa durée. Celle-ci ne peut être inférieure à 3 mois (C. trav., art. D. 322-22-9).

- Cumul d'activités

La question du cumul d'activité, pour le bénéficiaire du Cirma, est d'importance car elle peut favoriser son insertion professionnelle et rendre plausibles les perspectives d'un retour vers l'emploi. La loi du 18 décembre 2003 traitait en des termes assez contradictoires cette question pourtant très sensible, en prévoyant que le Cirma ne peut se cumuler avec une autre activité professionnelle rémunérée que si la convention liant l'employeur au département (mentionnée à l'article L. 322-4-15-1 N° Lexbase : L1526DP9) le prévoit et à l'issue d'une période de 4 mois à compter de la date d'effet du contrat initial. A défaut, le cumul peut donner lieu à la résiliation de la convention par le président du conseil général (C. trav., art. L 322-4-15-5, réd. loi 18 décembre 2003 N° Lexbase : L8957DN3). Le décret n° 2004-300 (N° Lexbase : L4464DPZ) lève ces ambiguïtés : le Cirma peut se cumuler avec une activité complémentaire rémunérée, à l'issue d'une période de 4 mois à compter de la date d'effet du contrat initial (en application des dispositions prévues au troisième alinéa de l'article L. 322-4-15-5 du Code du travail) dès lors que ces deux conditions sont réunies : l'activité doit s'exercer dans le cadre d'un contrat de travail ou d'une formation professionnelle rémunérée ; dans le cas d'un contrat de travail, l'activité complémentaire n'est pas exercée auprès du même employeur (l'employeur du Cirma) ou dans le cadre d'un autre Cirma (C. trav., art. D. 322-22-11). Ce dispositif permet de nuancer les critiques violentes exprimées sur ce point (J.M. Belorgey, art. prec., p. 49-50, selon lequel le Cirma "fonctionne comme une nasse : ceux qui l'occupent se voient interdire (...) tout cumul avec une autre activité, au prétexte, fallacieux, que, s'ils étaient capables d'accéder par leurs propres moyens au marché du travail, ils n'auraient pas besoin d'émarger au RMA").

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Droit public des affaires

[Questions à...] Questions à ... Jacques Bouillon, avocat à la Cour, sur les nouveaux contrats de partenariats public privé

Lecture: 10 min

N1139ABS

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par Propos recueillis par Anne-Laure Blouet-Patin, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition Affaires

Le 07 Octobre 2010

L'année 2004 semble être l'année du droit public des affaires ! Après la réforme du Code des marchés publics, entrée en vigueur le 10 janvier dernier, le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie prépare une ordonnance relative aux contrats de partenariats public privé. Qu'en est-il de ces futurs contrats ? Quelles sont leurs différences avec le panel existant en matière de commande publique ? Pour en savoir plus, Lexbase a rencontré un spécialiste en la matière : Jacques Bouillon. Jacques Bouillon, associé du cabinet d'avocats White & Case LLP, s'occupe depuis près de six ans, avec Paule Biensan, autre associée du cabinet, du département financement de projet. Il a bien voulu répondre à nos questions.

LEXBASE : Dans quel contexte arrivent aujourd'hui ces nouveaux contrats de partenariats public privé ? Comment se situent-ils parmi les différents contrats administratifs existants ?

Jacques Bouillon : Pour remplir ses missions de service public, une personne publique peut choisir de "faire" - le service est assuré en régie - ou de "faire faire" et c'est alors le cas des délégations de service public.

Mais, que la personne publique assure elle-même l'exécution du service public ou qu'elle la délègue à une personne privée, cela nécessite de réaliser des investissements souvent onéreux. Dans le premier cas, la personne de droit public doit satisfaire ses besoins en matière d'équipements ou d'ouvrages publics, par le biais de marchés publics, alors que dans le cas des délégations de service public, c'est le délégataire qui finance ces investissements.

Dans le cas d'un marché public, l'administration est client du cocontractant : elle acquiert les biens pour exécuter elle-même le service public. Par exemple, si une municipalité souhaite gérer elle-même le service de restauration scolaire de premier degré, elle devra, en passant des marchés publics de travaux, faire construire une cuisine centrale et réaliser des travaux dans des écoles pour aménager des points de distribution. C'est la commune qui devra payer, sur une très courte durée (celle du marché de travaux) au titulaire du ou des marchés, le montant des travaux tandis que le personnel municipal exécutera le service public.

Dans le cas d'une délégation de service public, l'administration demande à une entreprise de concevoir, construire, financer et exploiter un service. Le délégataire se rémunère (substantiellement) en percevant des tarifs sur les usagers de ce service public. Concrètement, si l'on reprend l'exemple de la cantine scolaire, la municipalité va confier l'intégralité du projet à une entreprise, qui sera rémunérée, substantiellement, par le prix des repas payés par les parents des élèves. En outre et au cas particulier, le délégataire percevra également de la commune, dans la plupart des cas, un complément de rémunération sous forme de compensation de tarifs sociaux.

Ainsi, deux critères différencient le marché public de la délégation de service public : celui tiré de la personne en charge de l'exploitation du service, et celui lié au mode de rémunération du cocontractant. Dans le cas d'une délégation de service public sa rémunération est, selon la jurisprudence et la loi, liée substantiellement aux résultats d'exploitation du service (Code général des collectivités territoriales, article L. 1411-1 N° Lexbase : L8315AA9).

Cependant, quelques cas existent où il n'est possible de recourir, ni aux marchés publics, (coûts trop élevés, impossibilité d'insérer des clauses de paiements différés dans les marchés) ni à la délégation de service public (absence d'usagers payants, impossibilité de déléguer le service).

C'est pourquoi la pratique développa une forme intermédiaire de contrat, hybride des marchés publics et de la délégation de service public : les marchés d'entreprise de travaux publics. La notion de METP fût dégagée, une première fois, par la jurisprudence Ville de Colombes, en 1963, (CE, 11 décembre 1963, Ville de Colombes, Recueil p. 612), définition affinée en 1971 (CE, 26 novembre 1971, n° 75710, SIMA N° Lexbase : A8143B84) et selon laquelle, un METP est "un contrat de longue durée ayant pour objet la réalisation et l'exploitation d'ouvrages nécessitant des investissements importants dont l'amortissement doit être effectué pendant toute la durée de l'exploitation, et comportant pour le cocontractant de l'administration des garanties analogues à celles accordées aux concessionnaires de services publics ou de travaux publics".

Les avantages (avouables) de cette formule, pour les personnes publiques, tenaient donc à la réalisation immédiate d'un ouvrage sans avoir recours ni à l'emprunt ni à l'impôt, à l'étalement des paiements sur une longue période et à la garantie d'avoir un ouvrage correctement réalisé, puisque l'entreprise chargée d'exécuter les travaux était la même que celle qui devait assurer la maintenance et l'exploitation de l'ouvrage.

Malheureusement, d'autres desseins, moins avouables, étaient parfois poursuivis par les personnes publiques, comme celui de vouloir contourner les règles de publicité et de mise en concurrence nationales et européennes ou de déguiser leur endettement réel. Ainsi quelques affaires ont défrayé la chronique telles que celles des ascenseurs des HLM de Paris ou encore celles des rénovations des lycées d'Ile de France.

Le problème principal soulevé à l'époque relevait de la qualification de ces marchés (marchés publics ou délégation de service public) et surtout de la rémunération qui était étalée dans le temps. Ainsi, le Conseil d'Etat, dans son rapport annuel pour 1993, avait condamné cette forme de contrat. Une instruction du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie avait relevé que "les formules de METP avec paiement différé présentaient de nombreux inconvénients : endettement indirect de la collectivité locale, coût élevé, opacité dans la répartition du marché entre la construction, le financement et l'exploitation ou la maintenance, frein pour l'accès direct des petites et moyennes entreprises à la commande publique, réduction de la concurrence" (Revue des marchés publics, n° 3/2001, page 56, § 10.8).

C'est pourquoi le Conseil d'Etat condamna ce type de contrat (cf. notamment, CE, contentieux, 8 février 1999, n° 150931, Préfet des Bouches du Rhône c/ Commune de la Ciotat N° Lexbase : A4367AXZ et CE, contentieux, 30 juin 1999, n° 169336, Département de L'Orne, Société Gespace France N° Lexbase : A4669AX9) avant que le nouveau Code des marchés publics ne confirme cette sanction en obligeant la dissociation des lots conception/construction et maintenance (article 10) et en interdisant l'insertion dans un marché public de clause de paiement différé (article 94).

Néanmoins, la problématique est demeurée inchangée : il reste toujours des cas où les personnes publiques ne veulent, ni ne peuvent déléguer, alors que leurs capacités financières ne peuvent leur permettre de financer des ouvrages ou des équipements publics dont la nécessité est incontestable.

C'est dans ce contexte qu'ont émergé les contrats de partenariat, d'abord sous la forme d'approches sectorielles - lois n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure ("LOPSI") (N° Lexbase : L6285A4K), n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice ("LOPJ") (N° Lexbase : L6903A4G) et ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003 portant simplification de l'organisation administrative et du fonctionnement du système de santé (N° Lexbase : L4482DIT) - puis sous la forme générale qui sera mise en place par l'ordonnance à venir.

LEXBASE : Comment se présente ce futur contrat ? Quelles sont ses conditions d'utilisation ?

Jacques Bouillon : Les contrats de partenariat sont, selon la définition donnée par l'ordonnance du ministère "[...] des contrats globaux par lequel une personne publique ou une personne privée chargée d'une mission de service public, associe un tiers soit au financement, à la conception, la réalisation ou la transformation et l'exploitation ou la maintenance d'équipements publics, soit au financement, à la conception et à la mise en oeuvre d'une opération de prestation de services". Il s'agit donc d'une définition très large qui englobe notamment ce que les praticiens ont appelé les vrais et les faux METP (ceux dans lesquels aucune exploitation du service n'était prévue mais qui comprenaient une mission d'entretien ou de maintenance des ouvrages).

Comme dans les ex-METP, la rémunération, définie et répartie sur l'ensemble du contrat, sera assurée par la personne publique mais, première particularité du contrat de partenariat, cette rémunération pourra être assurée par tout moyen sans toutefois pouvoir être liée substantiellement aux résultats de l'exploitation (qui caractérise les délégations de service public) ; par ailleurs cette rémunération sera liée à des objectifs de performance.

Sans être exhaustif les innovations majeures de ce type de contrats sont nombreuses et l'on peut notamment souligner :
- l'abandon de l'allotissement prévu par les articles 7 et 18 la loi MOP (loi n° 85-704, 12 juillet 1985, relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée N° Lexbase : L7908AGY) qui posent le principe de la dissociation entre la mission de maîtrise d'oeuvre et celle de l'entrepreneur, sauf lorsque des motifs d'ordre technique rendent nécessaire la réunion de ces missions au sein d'un seul lot ;
- la possibilité pour le titulaire d'un contrat de partenariat passé avec l'Etat de recourir au crédit-bail.

Comme ces contrats auront un régime de passation et d'exécution qui leur est propre et qu'ils ne constituent pas des marchés mais bien une nouvelle catégorie de contrat administratif, le nouveau Code des marchés publics ne leur sera pas applicable et le paiement effectué par la personne publique pourra être étalé dans le temps.

Pour autant ces contrats seront strictement encadrés, ce qui n'étaient pas le cas des METP, tant dans leur régime de publicité et de mise en concurrence que dans leur contenu puisque nombreuses seront des clauses qui seront obligatoires (durée adaptée à l'objet et au financement, calcul de la rémunération du cocontractant distinguant investissement, fonctionnement et coûts financiers, etc...).

Par ailleurs, les réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel à l'occasion de l'examen de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : L6771BHA), ont imposé que l'ordonnance, prise sur le fondement de la loi d'habilitation précitée, prescrive que les contrats de partenariats répondent "[...] à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence, qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé" (décision du Conseil constitutionnel n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 N° Lexbase : A9631C89).

Là résidera probablement l'une des clés du succès de cette formule : les contrats qui porteront sur la conception et la construction d'ouvrages situés sur le domaine public devront, en effet, être précédés d'une évaluation du projet en termes économiques, financiers et d'intérêt pour le service qui sera une véritable analyse comparative entre la réalisation du projet sous la forme d'un contrat de partenariat et sous les formes classiques de marchés séparés.

La validité des contrats de partenariat dépendra donc du sérieux et de l'impartialité avec lequel cette évaluation sera menée et du respect par les personnes publiques du résultat donné par ces études.

Gageons que l'organisme expert (qui sera créé par décret en Conseil d'Etat) à qui seront systématiquement confiées les évaluations de projets de contrats de partenariat de l'Etat ou de ses établissements publics, sera également sollicité par les collectivités locales pour réaliser les mêmes évaluations, compte tenu de la complexité et de l'importance de ces dernières sur la validité desdits contrats.

Cependant, s'il sera facile à "l'organisme expert" de conduire une analyse comparative des avantages et inconvénients économiques et financiers entre les marchés "classiques" et la formule "contrat de partenariat", comment et sur quels critères non subjectifs, appréciera-t-il "l'intérêt pour le service" que pourront présenter l'une et l'autre solution ? Surtout, qu'en sera-t-il de la liberté de la personne publique d'apprécier "l'intérêt du service" de manière différente de l'organisme expert?

Autant de questions, dont les réponses pourront affecter la sécurité juridique du projet et qui susciteront, à n'en pas douter, l'intérêt de la communauté financière.

Enfin, autre originalité du mode de passation des contrats de partenariat : la phase possible, mais non obligatoire, d'un "dialogue". En effet, certains cas de projet sont si complexes, que seul un dialogue entre la collectivité et ses partenaires privés permettra de définir précisément les modalités techniques, juridiques et financières qui devront être transcrites dans le contrat de partenariat, avant même de décider à qui sera attribué ce même contrat.

Cette procédure (qui se rapproche de la procédure de dialogue compétitif introduite par le nouveau code des marchés publics) devra permettre de répondre à l'impossibilité pour la personne publique de définir objectivement les moyens techniques et/ou les montages juridiques et financiers à mêmes de répondre à ses attentes.

LEXBASE : Comment se place ce futur texte par rapport au droit communautaire ?

Jacques Bouillon : C'est l'une des zones d'ombres du projet d'ordonnance. En effet, à ce jour, aucune directive communautaire n'encadre les contrats de partenariats public-privé. Aujourd'hui les directives européennes consacrées qui s'imposent aux personnes publiques sont nombreuses (directive "fournitures", directive "travaux", directives "services" et directive "services spéciaux"), et, en fonction du type de contrat de partenariat qui sera conclu, des difficultés pourront naître de l'impossibilité de rattacher, avec certitude, tel ou tel type de contrat de partenariat, par essence, hybride d'un marché de travaux et d'une délégation de service, à telle ou telle directive.

Comme nous l'avons souligné à propos de la phase d'évaluation, la sécurité juridique de ces projets restera la clé du succès de la formule et c'est pourquoi la communauté juridique et financière est impatiente de pouvoir s'appuyer sur une directive spécifique, adaptée aux contrats de partenariat, travail auquel s'est attelée la Commission européenne, puisqu'un livre vert sur ce sujet devrait voir le jour avant la fin de l'année, sans pour autant que l'on connaisse la date de parution de la directive.

LEXBASE : Quels sont les secteurs qui sont les plus en attente de ce nouveau contrat ?

Jacques Bouillon : Si l'on exclut les prisons, les hôpitaux, les bâtiments de la police et de la gendarmerie qui font l'objet des textes spécifiques susmentionnés, de nombreuses applications devraient pouvoir voir le jour dans les domaines aussi variés que ceux du transport (transport en site propre, liaisons ferroviaires à grande vitesse), d'infrastructures routières particulières (shadow toll-road) mais également dans le domaine de traitement des déchets, de rénovation de musées ou encore de l'éclairage public.

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Fiscalité internationale

[Evénement] Optimisation fiscale internationale de la gestion du patrimoine : investissements immobiliers en France par des non-résidents

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N1192ABR

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par S. D.

Le 07 Octobre 2010

Depuis l'ouverture des frontières et la libération des mouvements de capitaux, les personnes physiques n'hésitent plus à gérer leur patrimoine dans une perspective internationale, à l'instar des sociétés. Les montages fiscaux destinés à faire profiter leurs auteurs des opportunités offertes par certaines fiscalités étrangères se sont tellement multipliés au cours de ces dernières années qu'ils sont parvenus à inquiéter sérieusement les pouvoirs publics. Ainsi, le Parlement s'efforce d'adopter différents textes de nature à rendre plus difficile les stratégies d'optimisation fiscale en matière de gestion du patrimoine, tels que l'assujettissement aux droits de mutation à titre gratuit et à l'impôt sur la fortune des biens immobiliers situés sur le territoire français et détenus indirectement par des non-résidents ou bien l'imposition des revenus accumulés dans certaines sociétés étrangères de gestion de portefeuille bénéficiant d'un régime fiscal privilégié . Mais, la CJCE veille et n'hésite pas à condamner la France pour des dispositions fiscales qu'elle estime contraire aux principes communautaires. Deux arrêts récents illustrent parfaitement cette situation : celui du 4 mars 2004 (CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334 /02, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A4317DBI), dans lequel la CJCE a considéré que les articles 125-0 A et 125 A du CGI, concernant le prélèvement libératoire sur les revenus financiers, étaient contraires aux principes de libre prestation de services et de capitaux (cf. Prélèvement libératoire sur les revenus financiers et opérations transfrontalières : les articles 125-0 A et 125 A du CGI déclarés contraires aux principes de libre prestation de services et de capitaux, Lexbase Hebdo n° 111 du 10 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0838ABN) ; et surtout l'arrêt du 11 mars 2004, "Lasteyrie du Saillant" (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de Lasteyrie du Saillan c/ Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5001DBT), qui vient de déclarer l'"exit tax" prévue à l'article 167 bis du CGI contraire au principe communautaire de la liberté d'établissement (cf. Liberté d'établissement et présomption d'évasion ou de fraude fiscale, Lexbase Hebdo n° 113 du 24 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1015AB9).

Cette actualité brûlante conduit, tout naturellement, les professionnels de l'optimisation du patrimoine à s'interroger sur les conséquences fiscales des principaux supports d'investissement internationaux. Ainsi, le 25 mars dernier, la Lettre des Juristes d'Affaires (LJA) organisait une matinée-débat sur la "gestion fiscale du patrimoine : schémas d'optimisation à l'international", animée par Guillaume Hublot (Docteur en droit, étude Oudot & Associés). A cette occasion, trois schémas d'optimisation internationale de gestion du patrimoine ont été analysés :

1. des investissements immobiliers en France effectués par des non-résidents (par Bertrand Savouré, notaire, étude Monassier) ;

2. de l'utilisation des holdings étrangères dans un schéma d'optimisation fiscale (par Jean-Marc Tirard, avocat au Barreau de Paris et président de STEP France N° Lexbase : N1194ABT) ;

3. des aspects civils et fiscaux de l'assurance-vie en droit international (par Guillaume Hublot N° Lexbase : N1195ABU).


Le charme de la campagne française est certes particulièrement attirant, mais c'est surtout le taux des devises avantageux qui incite de plus en plus d'étrangers à investir dans des biens immobiliers situés en France Lorsqu'une décision d'investissement étranger en France est prise, il est parfois possible de le structurer de façon cohérente, afin d'alléger la charge fiscale au moment de l'acquisition du bien et de sa cession.  Nous n'envisagerons, dans ce compte rendu, que les aspects fiscaux de la possession d'un bien immobilier en France par un non-résident.

1. Conséquences fiscales de la possession d'un bien immobilier situé en France par un non-résident

1.1. L'acquisition

Le premier impôt auquel est soumis un non-résident lors de l'acquisition d'un bien immobilier en France est le paiement de droits d'enregistrement. En effet, toutes les ventes d'immeubles situés en France, et seulement ceux-ci, sont imposables au taux de droit commun de 4,80 %

Lorsque la vente est constatée par un acte passé à l'étranger, elle doit être déclarée à la recette des impôts de la situation des biens dans le mois de l'entrée en possession et donne ouverture au droit d'enregistrement dans les conditions de droit commun .

1.2. La détention

  • Les revenus immobiliers

Aux termes de l'article 164 B du CGI, si le non-résident acquiert des revenus tirés de l'exploitation d'un immeuble qu'il possède en France, ceux-ci sont imposables en France.

Cette règle est confirmée par toutes les conventions fiscales signées par la France. Afin de mieux optimiser son investissement, le non-résident peut décider d'acquérir l'immeuble par l'intermédiaire d'une société française ou étrangère. Là encore, si la société est française, l'impôt est dû en France. En outre, si la société est étrangère, il faut d'abord la qualifier correctement pour déterminer son régime d'imposition. Pour cela, il convient de comparer cette société avec les sociétés étrangères existantes en France, puisque l'article 8 du CGI ne vise que les personnes morales françaises et non étrangères. L'article 206-1 du CGI concernant les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés ne donne pas plus de renseignements.

Par une instruction du 14 janvier 2004 concernant le nouveau régime d'imposition des plus-values immobilières (BOI n° 8 M-1-04 N° Lexbase : X9110ABZ), l'administration fiscale reconnaît la notion de transparence fiscale. Les sociétés étrangères peuvent donc être assimilées à des sociétés de personnes. Pour cela, il suffit d'étudier leur structure et la manière dont elles fonctionnent (responsabilité, cession des parts). Mais, la plupart des partnership anglo-saxonnes sont assimilées à des sociétés de personnes.

En l'état actuel du droit, si la société étrangère est de capitaux, l'impôt sur les sociétés (IS) est dû en France sous réserve de l'application des conventions internationales.

En ce qui concerne les sociétés de personnes étrangères (partnership), l'impôt est également dû en France à hauteur des droits qui reviennent aux associés de la partnership, en fonctions de leurs caractéristiques : impôt sur le revenu (IR) s'il s'agit d'une personne physique ; IS s'il s'agit d'une société de capitaux. Enfin, concernant les sociétés à prépondérance immobilière, la plupart des conventions prévoient leur imposition en France.

Remarque : il convient de souligner le cas particulier de la convention franco-luxembourgeoise de 1958. Etant très ancienne, elle recèle de véritables pépites, notamment concernant les revenus immobiliers. En effet, cette convention n'envisage pas ces revenus, qui sont alors considérés comme des bénéfices industriels et commerciaux. Par conséquent, les revenus de biens immobiliers de source française d'une société de capitaux luxembourgeoise sont imposés au Luxembourg en l'absence d'établissement stable en France. Or, le Luxembourg s'est déclaré incompétent pour imposer ces revenus à raison de la détention d'immeubles situés en France (arrêt "La Coasta" du 23 avril 2002) ; dans ces conditions, il y a donc double exonération ! Bien évidemment, ce système sera revu. Toute la question est d'en savoir la date de révision. Actuellement, la convention est en cours de renégociation.

Une fois le problème de territorialité réglé, l'impôt est calculé de la même façon que pour un résident, sous réserve toutefois de l'application d'un taux minimum de 25 %. Il résulte en effet de l'article 197 A du CGI que l'imposition exigible des non-résidents qui disposent de revenus de source française ne peut être inférieure à 25 % du revenu net imposable, à moins qu'il ne justifie que le taux de l'impôt français sur l'ensemble de ses revenus de source française et étrangère serait inférieur à 25 %.

Enfin, même en l'absence de revenus de source française, un impôt sur le revenu est dû, au titre de la détention d'un immeuble en France, égal à trois fois la valeur locative de la résidence située en France . La rigueur de ce principe est tempérée par de nombreuses exceptions, ce qui a pour conséquence de rendre applicable cette disposition que pour les résidents de pays non conventionné avec la France (cf. L'article 164 C à l'épreuve des clauses de non-discriminations dans les conventions fiscales, Lexbase Hebdo n° 99 du 17 décembre 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N9807AAH).

  • La taxe patrimoniale de 3 %

Les articles 990 D à G du CGI prévoient l'application d'une taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés par certaines personnes morales. Cette taxe est très pénalisante. Cependant, les exonérations sont tellement nombreuses qu'il est très rare d'y être assujetti. En fait, elle n'est appliquée qu'aux sociétés situées dans des pays n'ayant pas conclu avec la France de convention fiscale ou aux sociétés pour lesquelles l'anonymat des associés est préservé (cf. Taxe de 3 % : compatibilité avec le droit communautaire, Lexbase Hebdo n° 33 du 24 juillet 2002 - édition fiscale N° Lexbase : N3585AAZ).

  • L'impôt de solidarité sur la fortune

En raison des règles de territorialité, les personnes physiques non-résidentes de France sont assujetties à l'ISF à raison des biens immobiliers qu'elles possèdent sur le territoire français, dès lors que la valeur nette de leur patrimoine dépasse le seuil de d'imposition (720 000 euros). Son champ d'application est le même qu'en matière de droits de mutation à titre gratuit.

2. Conséquences fiscales de la cession d'un bien immobilier situé en France par un non-résident

La cession d'un bien immobilier peut consister soit en sa vente soit en sa transmission à titre gratuit.

2.1. Conséquences fiscales de la vente du bien immobilier par le non-résident

La fiscalité des plus-values de cession d'un bien immobilier situé en France a fait l'objet d'importantes modifications en janvier 2004 .

Il résulte de l'article 244 bis A du CGI que, sous réserve des conventions fiscales, les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France et les personnes morales dont le siège est situé hors de France sont imposées en France. Ce prélèvement, qui est d'un tiers (33, 1/3 %) pour les non-résident non ressortissant de l'Union européenne. En revanche, il n'est que de 16 %pour les seules personnes physiques et les associés personnes physiques de sociétés de personnes résidents d'un Etat membre de la Communauté européenne.

Quant au résident français, celui-ci est imposé, pour la même opération, à un taux effectif de 26 % . Une exonération particulière est prévue pour les plus-values réalisées lors de la cession d'immeubles ou droits relatifs à ces biens qui constituent l'habitation en France des personnes physiques, non-résidentes en France, mais ressortissantes d'un Etat membre de la Communauté européenne, dans la limite d'une résidence par contribuable et à condition que le cédant ait été fiscalement domicilié en France de manière continue au moins deux ans à un moment quelconque antérieurement à la cession .

Enfin, les plus-values sur les titres de sociétés civiles à prépondérance immobilière sont également imposables en France ; les modalités d'appréciation de la prépondérance immobilière de la société dont les titres sont cédés, ayant été alignées sur celles applicables en droit interne aux cessions de titre intervenues à compter du 1er janvier 2004. Ainsi, sont considérées comme à prépondérance immobilière, les sociétés dont l'actif, à la clôture des trois exercices qui précèdent la cession, est constitué pour plus de 50 % de sa valeur par des immeubles ou des droits portant sur des immeubles, non affectés à leur propre exploitation industrielle, commerciale, agricole ou à l'exercice d'une profession non commerciale .

2.2. Conséquences fiscales de la transmission à titre gratuit du bien immobilier par le non-résident

En matière de droits de mutation à titre gratuit, il résulte des règles de territorialité, telles qu'elles sont organisées par l'article 750 ter du CGI, que l'impôt est dû en France à raison seulement des biens situés en France.

Mais, depuis l'entrée en vigueur, au 1er janvier 1999, du 3° de l'article 750 ter du CGI, les biens situés hors de France sont également imposables en France lorsque l'héritier, le donataire ou le légataire a eu son domicile fiscal en France pendant au moins 6 ans au cours des dix dernières années précédant celle au cours de laquelle il reçoit les biens. Ce système est inspiré de régimes analogues existant dans quelques pays voisins tels que l'Allemagne ou la Finlande.

Il résulte aussi de la loi de 1999 que les immeubles situés en France sont également imposables en cas de possession indirecte (CGI, art. 750 ter, 2°, al. 2). Il est donc très difficile d'échapper à l'impôt en France, sous réserve de l'application d'une convention fiscale (il existe une trentaine de conventions en matières de droits sur les successions : Espagne, USA, Suisse, Arabie Saoudite... ; ou de donation : Italie, Suède, Autriche, USA...).

Enfin, concernant les sociétés à prépondérance immobilière, l'article 750 ter du CGI prévoit que sont également considérées comme françaises les actions et parts de sociétés ou personnes morales non cotées en Bourse dont le siège est situé hors de France et dont l'actif est principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés sur le territoire français, à proportion de la valeur de ces biens par rapport à l'actif total de la société. L'administration française considère que la prépondérance immobilière est établie lorsque l'actif français de la personne morale est composé principalement d'immeubles ou de droits immobiliers portant sur ces biens ou de titres de personnes morales elles-mêmes à prépondérance immobilière. Elle s'intéresse donc à la proportion des immeubles français par rapport aux seuls actifs français. Or, la loi ne dit pas cela puisqu'elle se réfère à la valeur des biens immobiliers situés sur le territoire français par rapport à l'actif de la société, ce qui devrait inclure l'actif français et l'actif étranger.

Toute cette législation n'est bien sûr valable qu'en l'absence de convention fiscale. Cependant, en général, lorsqu'il existe une convention fiscale, la France conserve son droit d'imposer les biens situés en France. Il convient de souligner qu'aucune convention ne permet actuellement l'application de l'article 750 ter-2°, al. 2 du CGI, dans la mesure où aucune n'envisage expressément la détention indirecte d'un bien immobilier (à l'exception de la convention fiscale signée entre la France et les Etats-Unis). Dès lors, en présence d'une convention fiscale, il peut être habile de structurer l'investissement par l'intermédiaire d'une chaîne de sociétés puisque dans ces conditions, il est parfois possible d'éviter légalement les droits de mutation à titre gratuit. Une dernière précision concernant les donations : celles-ci sont datées du jour de leur révélation. Par conséquent, lorsque, par exemple, un résident belge fait une donation en Belgique, celle-ci ne sera pas taxée. Mais, si cette personne vient s'installer en France et y meurt, ce don sera révélé le jour de sa succession et sera taxé. Pour éviter cette imposition, il convient de donné date certaine à la donation le jour où elle s'effectue.

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Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Les limites de l'ingénierie fiscale (l'abus de droit) et de la prise de risque (l'acte anormal de gestion)

Réf. : CE 3° et 8° s-s, 18 février 2004, n° 247729, Société Pléiades (N° Lexbase : A3599DBW) et CAA Douai, 26 mars 2003, n° 99DA01303, Société Deudon (N° Lexbase : A8437C8Y)

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N1196ABW

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

Le 07 Octobre 2010


Il est des décisions stratégiques d'optimisation fiscale ou d'amélioration des résultats qui, prises parfois d'une manière inconsidérée ou hasardeuse, se trouvent sanctionnées par l'administration ou le juge de l'impôt au nom de l'abus de droit ou l'acte anormal de gestion. On en veut pour preuve deux récents arrêts rendus par le juge fiscal. En effet, aux termes d'un arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 18 février, il est rappelé que relève de l'abus de droit, la création et le fonctionnement d'une holding de participation financière établie au Luxembourg, dépourvue de toute rentabilité et compétence de gestion, sous l'entière dépendance de la banque à l'origine de sa création (CE 3° et 8° s-s, 18 février 2004, n° 247729, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Pléiades). En outre, par un arrêt du 26 mars 2003, la cour administrative d'appel de Douai rappelle que la déductibilité des provisions est subordonnée, notamment, à la condition que les pertes ou charges tenues pour probables se rattachent à des opérations relevant d'une gestion financière et commerciale normale. Or, un prêt consenti à une entreprise ne disposant que d'un actif immobilisé limité et sans constituer les garanties contractuellement prévues constitue un acte anormal de gestion. Par conséquent, la créance y afférente ne peut être portée en provision (CAA Douai, 26 mars 2003, n° 99DA01303, Société Deudon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie).

1. Abus de droit - sanction par delà les frontières, des montages à effet de levier sans substance (à propos de l'arrêt du CE 3° et 8° s-s, 18 février 2004, n° 247729, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Pléiades)

En quoi la constitution d'une société holding, au Luxembourg, par une société de droit français peut-elle avoir pour but exclusif d'échapper au paiement d'impôts français ? C'est toute la question de la compatibilité des schémas "à effet de levier" par le choix de d'une localisation et d'une structure juridique appropriées, mais sans aucune "substance", avec l'esprit des textes fiscaux qui se trouve posée dans cette affaire, mais, aussi, bien que non évoquée, la compatibilité des investissements avec la liberté d'établissement et de circulation des capitaux .

L'administration a considéré que l'entreprise française avait fait une utilisation abusive du régime d'imposition des sociétés mères et filles, visés aux articles 145 et 216 du CGI, en détenant dans le capital de la société ainsi créée au Luxembourg une participation de 16,66 % lui permettant par ailleurs d'éviter de tomber sous le coup des dispositions de l'article 209 B du CGI , applicables dans leur rédaction de l'époque.

L'administration, ce faisant, mettait en avant l'existence d'une série d'actes lui permettant de faire application de la procédure de répression des abus de droit en vertu des dispositions de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L3908ALC).

Il est rappelé qu'aux termes dudit article "ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : b) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus", l'administration se trouvant en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse.

Ainsi, l'élément intentionnel se trouvait caractérisé selon l'administration par la mise en place d'un montage spécifique avec pour objectif "l'usage anormal et excessif d'un régime de faveur prévu par le législateur ayant pour effet de diminuer d'un niveau proche de zéro la charge fiscale que l'entreprise aurait dû normalement acquitter"

L'élément matériel se trouvait également caractérisé par le fait que l'un des principaux actionnaires de la société holding, une banque internationale aurait "outrepassé sa fonction d'intermédiaire en ne plaçant pas en SICAV les fonds investis par la Société française" et se serait par ailleurs comportée en véritable maître de l'affaire au niveau de la gestion.

Toutefois, la Cour d'appel de Nancy (CAA Nancy, 2e ch., 4 avril 2002, n° 98NC00451, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Maximo N° Lexbase : A3706AZB), a considéré que les allégations de l'administration ne révélaient aucunement un abus de droit.

La cour rappelant que la preuve de l'abus de droit incombe à l'administration, lorsque le Comité pour la répression des abus de droit n'a pas été saisi pour avis, observait qu'elle ne rapportait pas cette preuve dès lors qu'elle n'établissait pas que "les actes de création et du fonctionnement de la société holding" avaient un but exclusivement fiscal, dans la mesure où cette dernière n'aurait pas fonctionné selon les règles prévues par le droit commercial (notamment en ce qui concerne la distribution des dividendes et leur comptabilisation régulière).

En effet, l'abus de droit n'existe au sens de l'article L. 64 du LPF que, si l'administration usant "des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe", elle se trouve en mesure soit "d'écarter certains actes passés par le contribuable" en établissant que "les actes ont eu un caractère fictif" (premier critère : CE 8° et 9° s-s, 11 octobre 1978, n° 06744, Sieur X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A8161B7E ; CE 9° et 8° s- s, 17 janvier 1979, n° 05118, Sieur X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1551B8X) "ou, à défaut, qu'ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles" (second critère : CE Contentieux, 10 juin 1981, n° 19079, Ministre du Budget c/ xxxxx N° Lexbase : A7572AKN ; CE Contentieux, 10 mai 1993, n° 95128, SARL Elite Model Management  c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9469AMN ; cf. Transfert de bénéfices, prise en charge de pertes par une société en participation : abus de droit ou acte anormal de gestion ?, Lexbase Hebdo n° 38 du 11 septembre 2002 - édition fiscale N° Lexbase : N3915AAA).

A cet endroit, il convient de noter que le caractère fictif comme la démonstration que les actes n'ont été passés que pour éluder l'impôt supposent en toute hypothèse une réelle appréciation des faits (CE Contentieux, 4 décembre 1981, n° 29742, M. X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4559AK3 ; CE Contentieux, 21 mars 1983, n° 29742, M. X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9023ALR ; CE Contentieux, 27 juin 1984, n° 35030, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget c/ SA Courtaulds N° Lexbase : A2849AL4).

C'est ainsi que par exemple l'administration porte une telle appréciation lorsqu'elle entend écarter un montage juridique fondé sur l'interposition d'un employeur fictif entre le contribuable et son client en considérant que le contrat de société qui avait crée cet employeur et le contrat de prestations de services qui le liait au client étaient fictifs (TA Rouen, 3e ch., 20 juin 2002, req. n° 97 809, Cordier ; voir également, CE Contentieux, 21 décembre 1983, n° 31934, Mme xxxxx Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0368AML).

Au cas d'espèce de l'affaire "Société Pléiade", le Conseil d'Etat a considéré qu'en jugeant que l'administration n'apportait pas la preuve qui lui incombait de l'existence d'un abus de droit dès lors "qu'elle n'établissait pas le fonctionnement irrégulier de la société Holding luxembourgeoise", la cour avait commis une erreur de droit.

En effet, l'administration faisait valoir que la participation prise par la société française dans le capital de la holding luxembourgeoise ne relevait "d'aucune justification économique" dans la mesure où cette dernière "dépourvue de toute substance", ne disposait "d'aucune compétence technique en matière de placements financiers" et se trouvait "sous l'entière dépendance d'un des actionnaires" établissement bancaire.

Le Conseil d'Etat a considéré contrairement à la cour administrative d'appel de Nancy que dans cette situation l'administration avait réellement apprécié les faits établissant l'existence d'un abus de droit.

En effet, en ce qui concerne en premier lieu, l'absence de justification économique, la Haute cour observe que le recours à une société holding établie au Luxembourg n'avait pas permis à la Société française "de réaliser des placements financiers à un moindre coût en l'absence de frais de courtage, avec un taux de rentabilité élevé et dans des conditions de gestion plus souples qu'en France". Par ailleurs, la société française n'exerçait aucune influence sur la gestion des actifs de la société luxembourgeoise.

En second lieu, en ce qui concerne l'absence de substance de la société luxembourgeoise, elle résulte directement selon toujours la Haute Cour du fait notamment de son absence de compétence technique en matière de placements financiers, et de ce qu'elle se trouvait "pour sa gestion et ses investissements, sous l'entière dépendance de l'établissement bancaire à l'origine de sa création et de sa filiale établie aux Iles Caïman et que les autres actionnaires ne prenaient aucune part aux assemblées statutaires".

Il est intéressant de rapprocher cette décision de jurisprudence française de celle de la CJCE, prise à l'occasion de l'examen du respect des libertés fondamentales du Traité communautaire par les Etats et validant "pour des raisons impérieuses d'intérêt général" les législations de ces derniers qui "ont pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels" des contribuables "dont le but serait de contourner" les lois fiscales nationales (CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (Her Majesty' s Inspector of Taxes), point 26 N° Lexbase : A0410AW4 ; CJCE, 9 mars 1999, aff. C-212/97, Centros Ltd c/ Erhvervs - og Selskabsstyrelsen N° Lexbase : A7324AHQ).

2. Acte anormal de gestion - sanction de la prise de risques inconsidérée (à propos de l'arrêt de la CAA Douai, 26 mars 2003, n° 99DA01303, Société Deudon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie)

Si l'abus de droit a pour objet de permettre à l'administration de sanctionner l'existence d'un montage juridique visant à éluder une imposition, en revanche, le recours à l'acte anormal de gestion a pour objet de sanctionner l'absence d'intérêt ou l'intérêt contraire pour l'entreprise d'une décision ou d'un acte pris en son nom. Dans cette dernière hypothèse, le problème se pose de savoir jusqu'où l'administration peut aller dans l'appréciation de l'anormalité de cet acte ou de cette décision de gestion. Peut-elle, en effet, aller jusqu'à sanctionner le risque excessif ou exagéré pris par le contribuable dans la gestion de son affaire !

La notion "de risque manifestement excessif" ou exagéré, avancée par l'administration dans la gestion hasardeuse des contribuables, n'a été analysée par la jurisprudence que dans deux arrêts déjà anciens (CE Contentieux, 14 février 1979, n° 10812, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0260AKT ; CE Contentieux, 28 septembre 1983, n° 34626, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1280AMD) qui ont fait état pour la première fois de ce que cette notion de risque n'était pas absente de la définition de l'acte anormal de gestion et précisé dans quelle mesure ce critère pouvait être apprécié dans le cadre de l'examen de la normalité des actes de gestion.

Ainsi, en effet face aux tentatives de redressements menés par l'administration sur ce terrain extrême, ces jurisprudences avaient déjà eu l'occasion de cerner cette notion en notant d'une manière à la fois fine et prudente qu'il ne pouvait y avoir "de gestion anormale dès lors que le risque encouru serait seulement important" dans la mesure où le risque est inhérent à la vie de l'entreprise.

Toutefois, ces jurisprudences ajoutaient d'une manière prétorienne que lorsque "le risque est tellement important qu'il excède manifestement celui qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre",il doit être considéré comme "devenant étranger à l'intérêt même de l'entreprise".

On ne pouvait qu'être interpellé par l'éventualité de l'application d'une jurisprudence de cette portée compte tenu de sa contrariété avec le principe de la non-immixtion de l'administration et du juge dans la gestion de l'entreprise

Ce sont néanmoins ces fondements qui ont été finalement repris et appliqués par la jurisprudence, certes peu développée, à une dizaine d'années d'intervalle, en premier et pour la première fois par le Conseil d'Etat dans l'arrêt "Loiseau", puis récemment par la cour administrative d'appel de Douai dans l'arrêt "SA Deudon", arrêts objets du présent commentaire, alors qu'il avait semblé que la Haute-Cour dans un arrêt intermédiaire (CE 8° et 9° s-s, 7 janvier 2000, n° 186108, M. et Mme Philippe c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9277AGP) était revenue sur cette interprétation évitant ainsi le risque d'une généralisation et d'une dérive jugée dangereuse par l'ensemble de la doctrine.

Il est rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article 39 du CGI applicables en matière d'impôt sur les sociétés : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant [...] Notamment : [...] 5° les provisions constituées en vertu de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables".

Dans la première affaire ("SA Deudon"), la cour a jugé que la constitution d'une provision, par la société contribuable ayant pour objet le commerce de fruits et légumes, pour faire face au risque de non-recouvrement d'un prêt consenti sur sa trésorerie largement suffisante moyennant un bon taux, à une société exerçant une activité de conseil et d'assistance aux entreprises, procédait d'une opération étrangère à la gestion normale de l'entreprise.

En effet, la cour a considéré que l'administration avait établi au cas d'espèce l'acte anormal de gestion eu égard "aux circonstances dans lesquelles ce prêt a été consenti à une entreprise ne disposant que d'un actif immobilisé limité et sans constituer les garanties contractuellement prévues [notamment sans utiliser la faculté de prendre une garantie hypothécaire un immeuble appartenant au dirigeant de l'entreprise], la Société a excédé manifestement les risques qu'une entreprise peut être conduite à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation".

Ce faisant cette décision de la cour administrative d'appel de Douai ne fait que reprendre la jurisprudence ancienne du Conseil d'Etat (CE Contentieux, 17 octobre 1990, n° 83310, M. Loiseau c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4669AQY) dans laquelle la Haute Cour avait eu à connaître la situation d'un contribuable remisier en bourse qui avait versé à ses clients, sans y être tenu par contrat, puis déduit de ses résultats et d'une manière récurrente, des sommes (indemnités, intérêts, primes d'assurance vie) plusieurs fois supérieures aux recettes professionnelles perçues, pour garantir les pertes résultant de la gestion de leur portefeuille.

Dans son arrêt rendu aux conclusions de M. Fouquet, Commissaire du gouvernement, le Haut conseil a considéré que si le contribuable au cas d'espèce "avait pu dans l'intérêt de son entreprise, accorder cette garantie pendant les années 1977 et 1978, en revanche, et eu égard tant à l'expérience qu'il avait progressivement acquise dans l'exercice de son activité qu'à l'importance des pertes déjà effectuées, il a, en persistant à offrir cette garantie de bonne fin, au cours des deux années suivantes, excédé manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation".

Ce sont là, les seuls arrêts connus à ce jour sur la notion "de risque excessif " dont la mise en oeuvre implique une certaine subjectivité dans l'appréciation de la gestion de l'entreprise par l'administration et le juge de l'impôt, contraire au principe de non-immixtion de ces derniers dans les affaires du contribuable, qui appelleront nécessairement un recadrage à la plus prochaine jurisprudence qui interviendra sur le sujet.

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