La lettre juridique n°602 du 19 février 2015

La lettre juridique - Édition n°602

Actes administratifs

[Jurisprudence] Le délai de prescription instauré par une loi nouvelle à l'égard d'un droit créé par une loi antérieure : applicabilité et computation

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 21 janvier 2015, n° 382902, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6826M9P)

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par Pierre Bourdon, Maître de conférences, Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Le 17 Mars 2015

La décision n° 382902 du 21 janvier 2015 rendue par le Conseil d'Etat apporte des précisions utiles sur l'applicabilité et la computation du délai de prescription extinctive d'un droit. Ainsi, le délai de prescription instauré par une loi nouvelle est immédiatement applicable, quand bien même le droit susceptible d'être prescrit a été créé par une loi antérieure. L'applicabilité de ce délai à une date ultérieure à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle est possible, mais elle doit être prévue par cette loi. En revanche, le délai de prescription créé par une loi nouvelle est décompté à partir de la date d'entrée en vigueur de cette loi. D'ailleurs, il n'est pas certain que ce délai puisse être décompté à une date antérieure à l'entrée en vigueur de la loi, quand bien même cette dernière l'aurait prévu. En principe, une règle juridique prescrit, non pas ce qui "est" ou ce qui "a été", mais ce qui "doit être". Son caractère essentiel est donc de créer des droits et des devoirs pour l'avenir, mais pas dès le passé. C'est la raison pour laquelle une règle juridique n'est pas rétroactive en l'absence de disposition en ce sens. La rétroactivité est, en effet, l'état d'un acte juridique qui trouve à s'appliquer dès le passé. Il arrive, toutefois, que le législateur adopte une loi susceptible d'avoir des conséquences dès le passé.

La décision rapportée illustre une telle hypothèse.

A l'origine du litige, l'on trouve la destruction par une tempête (en 1996) et un incendie (en 1998) d'un bâtiment d'une entreprise situé sur le territoire de la commune d'Aigremont dans le département des Yvelines. En vue de reconstruire ce bâtiment à l'identique, l'entreprise a formulé une demande de permis de construire auprès du maire de la commune par un courrier du 11 février 2009.

Au soutien de sa demande, l'entreprise a invoqué les dispositions de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7227ACN). Ces dispositions sont issues de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains ([LXB=L9087ARY)]), également appelée loi "SRU" (1). A leur entrée en vigueur, ces dispositions prévoyaient que "la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire [...]". L'article L. 111-3 contient ainsi un droit d'obtenir un permis de construire pour le propriétaire d'un bâtiment détruit par sinistre. Cependant, trois mois presque jour pour jour après la demande de permis de l'entreprise, la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG), a modifié les dispositions de l'article L. 111-3 en ajoutant un délai de prescription extinctive du droit à permis. Depuis leur entrée en vigueur, ces dispositions prévoient désormais que "la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de dix ans est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire [...]".

Le maire de la commune a rejeté la demande de permis de l'entreprise par une décision du 22 juillet 2009. Le maire a mis en avant le délai de prescription, le bâtiment de l'entreprise ayant été détruit depuis plus de dix ans. Un recours gracieux de l'entreprise a également été rejeté le 2 octobre 2009.

L'entreprise s'est alors tournée vers le tribunal administratif de Versailles qui a rejeté son recours pour excès de pouvoir par un jugement du 16 janvier 2012. La cour administrative d'appel, devant laquelle l'entreprise a interjeté appel, n'a pas été plus favorable à son égard dans son arrêt du 29 avril 2014. L'entreprise s'est alors pourvue en cassation devant le Conseil d'Etat par un pourvoi enregistré le 21 juillet 2014 et complété par un mémoire enregistré le 22 octobre 2014.

Signalons au passage que le Conseil d'Etat a rendu sa décision exactement six mois après la date d'enregistrement du pourvoi. Cette rapidité s'explique notamment par le dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité dont on sait qu'elle oblige le juge saisi à se prononcer dans un délai, relativement court, de trois mois (2). A défaut, la question est transmise au Conseil constitutionnel (3). Il semble que la question avait été déposée par l'entreprise dans son mémoire du 22 octobre 2014. La décision du Conseil d'Etat sur la question prioritaire de constitutionnalité était donc attendue pour le 22 janvier 2015. Comme la réponse du Conseil à cette question permettait de trancher en même temps l'ensemble du litige qui lui était soumis, celui-ci a statué par une seule décision sur la question de constitutionnalité et, plus généralement, sur l'ensemble du pourvoi.

Dans la présente affaire, outre la question de constitutionnalité d'une loi (en l'occurrence, la loi de 2009), une question de légalité d'un acte administratif (en l'occurrence, la décision de refus du permis de construire) était soulevée par l'entreprise. Ainsi, du point de vue du droit constitutionnel, le Conseil d'Etat devait répondre à la question suivante : un délai de prescription d'un droit créé par une loi peut-il être applicable à une situation née à une date antérieure à la date d'entrée vigueur de cette loi ? Par ailleurs, du point de vue du droit administratif, un tel délai de prescription peut-il être décompté dès une date antérieure à la date d'entrée en vigueur de cette loi ?

Les première et sixième sous-sections réunies du Conseil d'Etat ont répondu positivement à la première question, mais négativement à la seconde.

En l'espèce, le Conseil d'Etat a estimé que le délai de prescription de la loi de 2009 était applicable à la demande de l'entreprise, quand bien même le bâtiment objet de la demande a été détruit à une date antérieure à la date d'entrée en vigueur de cette loi. Cependant, le Conseil a considéré que le délai de prescription devait être décompté à partir de la date d'entrée en vigueur de la loi de 2009. En conséquence, le Conseil d'Etat a rejeté la question prioritaire de constitutionnalité, mais a tout de même annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles à laquelle il a renvoyé l'affaire pour que la cour statue à nouveau sur cette dernière.

Ainsi, la décision du 21 janvier 2015, qui sera publiée au recueil Lebon, apporte des précisions utiles sur l'applicabilité (I) et la computation (II) du délai de prescription instauré par une loi nouvelle à l'égard d'un droit créé par une loi antérieure.

I - L'applicabilité du délai de prescription instauré par une loi nouvelle à l'égard d'un droit créé par une loi antérieure

Le délai de prescription instauré par une loi nouvelle est immédiatement applicable au droit créé par une loi antérieure (A). L'applicabilité de ce délai à une date ultérieure à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle doit être prévue par cette dernière (B).

A - Le principe : l'applicabilité immédiate du délai de prescription

Dans son pourvoi, la société requérante critiquait la constitutionnalité de la loi de 2009, qui a créé le délai de prescription du droit à permis, en raison de l'interprétation donnée aux dispositions de cette loi par le tribunal administratif et la cour administrative d'appel. L'on sait, en effet, que l'interprétation d'une loi par un juge est susceptible d'être critiquée à l'appui d'une question de constitutionnalité de la loi concernée (4).

D'après l'entreprise requérante, les juges du fond avaient estimé que le délai de prescription s'applique "quelle que soit la date du sinistre" qui avait entraîné la destruction du bâtiment objet de la demande de permis. Au contraire, la requérante prétendait que le délai de prescription ne pouvait pas être appliqué aux sinistres antérieurs à la date d'entrée en vigueur de la loi de 2009. Autrement, l'entreprise estimait qu'était méconnu "le principe de sécurité juridique" garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D) et le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de ladite Déclaration (N° Lexbase : L1370A9M) (5).

En creux, l'entreprise critiquait la rétroactivité, à son préjudice, de l'applicabilité des dispositions de la loi de 2009. Cependant, l'on comprend que l'entreprise se soit gardée d'invoquer le principe de non rétroactivité de la loi. Ce principe ne peut être invoqué que si la loi concerne une peine ou une sanction. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1372A9P) dispose en effet que "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée".

La jurisprudence du Conseil constitutionnel a confirmé à plusieurs reprises cette interprétation du champ d'application du principe de non rétroactivité de la loi. Dès sa décision "Validation d'actes administratifs" du 22 juillet 1980, le Conseil a clairement dit pour droit que, "sauf en matière pénale, la loi peut comporter des dispositions rétroactives". Cette jurisprudence est désormais bien établie (6). C'est la raison pour laquelle, dans la décision rendue en 1980, le Conseil constitutionnel a admis la technique des lois de validation (7). Ces lois ont pour objet de valider rétroactivement des actes administratifs antérieurs à la loi de validation en vue de régulariser l'illégalité dont ils sont affectés (8).

Dans la décision rapportée, le Conseil d'Etat n'a pas eu besoin de s'appuyer sur la jurisprudence constitutionnelle. En effet, le Conseil a énoncé clairement le principe d'après lequel "lorsqu'une loi nouvelle institue [...] un délai de prescription d'un droit précédemment ouvert sans condition de délai, ce délai est immédiatement applicable". Ainsi, le juge administratif n'a pas exclu l'applicabilité du délai de prescription d'un droit prévu par une loi nouvelle aux situations antérieures à cette loi. Cependant, le juge n'a pas ici estimé que cette applicabilité aurait par elle-même un effet rétroactif.

Finalement, le Conseil d'Etat a ici étendu une jurisprudence ancienne en matière de délai de prescription. Dans une décision "SCI L'Orée du Bois" rendue en 1979, le Conseil a jugé "que, lorsqu'une loi nouvelle modifiant, le délai de prescription d'un droit, abrège ce délai, le délai nouveau est immédiatement applicable" (9). Cependant, dans la décision de 1979, le Conseil d'Etat statuait comme juge de la légalité d'un acte administratif. Dans la décision rapportée, le Conseil statuait sur une question de constitutionnalité de la loi. Le Conseil d'Etat a donc appliqué une jurisprudence sur une question de légalité administrative dans un litige concernant une question de constitutionnalité législative.

D'après le juge administratif, il n'appartient qu'au législateur de prévoir éventuellement l'applicabilité du délai de prescription créé par une loi aux seules situations ultérieures à cette loi.

B - L'exception prévue par la loi : l'applicabilité pour l'avenir du délai de prescription

Selon l'entreprise requérante, l'applicabilité du délai de prescription valait nécessairement pour l'avenir. Mais dans la décision rapportée, le Conseil d'Etat a précisé que la loi devait "comporter" une "disposition spécifique relative à son entrée en vigueur" pour que le délai de prescription ne soit applicable qu'aux situations ultérieures à cette loi.

Cette précision n'est pas nouvelle dans la jurisprudence en matière de délai de prescription. Dans une décision "Société Westco" rendue en 2001, le Conseil avait déjà eu l'occasion d'énoncer que le principe de l'applicabilité immédiate du délai de prescription pouvait être écarté par le législateur (10). Il faut donc ici encore remarquer que la décision rapportée étend une jurisprudence rendue sur une question de légalité administrative à une affaire concernant une question de constitutionnalité législative. Le Conseil vient donc confirmer, de façon assez solennelle, le pouvoir du législateur pour aménager les effets dans le temps du délai de prescription.

Il faut dire aussi que le Conseil d'Etat pouvait être mal à l'aise par rapport à une décision récemment rendue à propos de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme. Une affaire "Commune de Tomino", jugée en 2012, concernait ces dispositions dans leur version en vigueur avant la création du délai de prescription par la loi de 2009. Mais le Conseil avait jugé "que le législateur n'a pas entendu instituer un droit illimité dans le temps pour tout type de construction". Avec insistance même, le juge administratif avait conclu que "le droit reconnu n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de permettre aux propriétaires d'un bâtiment détruit de le reconstruire au-delà d'un délai raisonnable" (11).

Dans ces conditions, il était difficile pour le Conseil d'Etat de juger que le délai de prescription institué par la loi de 2009 était applicable pour l'avenir, sans qu'une disposition législative spécifique soit nécessaire. Dans la décision rapportée, le juge administratif a rappelé le précédent issu de la décision "Commune de Tomino". Le Conseil a ajouté que les dispositions de la loi de 2009 "ont notamment eu pour objet de créer expressément un délai ayant pour effet d'instituer une prescription extinctive".

Ainsi, le délai de prescription créé par une loi est applicable aux situations antérieures à cette loi, sauf à ce que le législateur en ait décidé autrement. Il n'en va pas de même de la computation du délai de prescription qui ne commence à courir qu'à partir de la date d'entrée en vigueur de la loi. C'est de cette façon que sont garantis le respect de la sécurité juridique et l'égalité des citoyens devant la loi, ainsi que l'on va maintenant l'observer.

II - La computation du délai de prescription instauré par une loi nouvelle à l'égard d'un droit créé par une loi antérieure

Le délai de prescription créé par une loi nouvelle est décompté dès la date d'entrée en vigueur de cette loi (A). D'ailleurs, il n'est pas certain que ce délai puisse être décompté à une date antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi quand bien même cette dernière l'aurait prévu (B).

A - Le principe : la computation du délai de prescription à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle

Si le délai de prescription est applicable dès le passé, il n'en va pas de même pour le décompte de ce délai. Comme dans ses décisions "SCI L'Orée du Bois" de 1979 et "Société Westco" de 2001, le Conseil d'Etat a énoncé que le délai "ne peut, à peine de rétroactivité, courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle".

L'on peut regretter que le juge administratif ait repris cette formule un peu malheureuse "à peine de rétroactivité" que l'on trouvait déjà dans les deux décisions de 1979 et 2001. En effet, la rétroactivité n'est pas vraiment une "peine". Elle est plus exactement un état de l'acte juridique qui trouve à s'appliquer dès le passé. En réalité, la conséquence d'un décompte par l'administration antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n'est pas une simple "peine de rétroactivité". Le décompte dès le passé donne à la loi un effet rétroactif qu'elle n'a pas en l'absence de disposition en ce sens. En conséquence, un tel décompte méconnaît le champ d'application de la loi et constitue une illégalité de l'acte administratif pris dans ces conditions.

En l'espèce, le principe de computation pour l'avenir du délai de prescription a été déterminant dans la solution rendue par le Conseil d'Etat. Ce principe lui a permis d'écarter la question de constitutionnalité présentée par l'entreprise requérante. Car, dès lors que le délai de prescription démarre à partir de la date d'entrée en vigueur de la loi qui l'instaure, la sécurité juridique et l'égalité devant la loi sont préservées. Dans la présente affaire, la loi étant entrée en vigueur en 2009, la prescription n'interviendra pas avant 2019 (cf. point 5 de la décision). En conséquence, ce principe a aussi conduit le Conseil d'Etat à annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles. Car, en considérant que le droit à permis de construire de l'entreprise requérante était prescrit en 2009, le maire de la commune, le tribunal administratif, puis la cour administrative d'appel, ont commis une erreur de droit (cf. point 7 de la décision).

D'après la décision rapportée, il n'appartient a priori qu'au législateur de prévoir éventuellement la computation du délai de prescription dès le passé. Toutefois, le juge administratif ne s'est pas clairement prononcé sur ce point.

B - L'exception prévue par la loi : la computation du délai de prescription avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle

A partir du moment où les règles du délai de prescription sont fixées par le législateur, l'on peut estimer que ce dernier peut faire démarrer la computation du délai dès le passé à titre exceptionnel. La décision rapportée ne prévoit toutefois pas explicitement cette exception. Le silence du Conseil d'Etat sur ce point est suspicieux.

D'autant plus suspicieux que dans la jurisprudence sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen invoqué dans la présente affaire, le Conseil constitutionnel est beaucoup plus explicite sur les possibilités de rétroactivité de la loi. Ainsi, les décisions du Conseil constitutionnel les plus récentes disent pour droit que "le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé [...] à la condition" :

- de poursuivre un but d'intérêt général suffisant ;
- de respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée ;
- de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle et, notamment, le principe de non rétroactivité des peines et des sanctions ;
- et, enfin, que la portée de la modification ou de la validation soit strictement définie (12).

Dans la présente affaire, le Conseil d'Etat s'en est tenu à écarter le grief d'inconstitutionnalité en estimant "que les dispositions de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme issues [de la loi de 2009] n'ont pas d'effet rétroactif". Est-ce à dire qu'à l'inverse, si la computation du délai de prescription démarre dès le passé, de telles dispositions méconnaissent le principe de sécurité juridique et, peut-être aussi, le principe d'égalité devant la loi ? La décision rapportée ne permet pas d'affirmer ce point avec certitude. Elle n'exclut, toutefois, pas une telle hypothèse.

Comme le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat semble ne pas oser reconnaître que le principe de non rétroactivité de la loi a un champ d'application en réalité plus étendu que les seules peines et sanctions. Pourtant, le juge administratif n'a pas eu de difficulté à admettre un champ d'application large au principe de non rétroactivité de l'acte administratif. La reconnaissance de ce principe date d'une décision "Société du Journal L'Aurore" rendue par le Conseil d'Etat en 1948. Dans cette affaire, le Conseil a consacré "le principe en vertu duquel les règlements ne disposent que pour l'avenir" (13). Ce principe est désormais bien établi. Il vaut pour les actes administratifs réglementaires, mais aussi pour les actes administratifs individuels (14). Or, la loi et le règlement ont une caractéristique en commun : leur portée est générale et impersonnelle. N'existerait-il pas un principe en vertu duquel les lois ne disposent que pour l'avenir en matière répressive, mais aussi dans d'autres matières ?

Finalement, la décision rapportée donne un éclaircissement que la loi du 12 mai 2009, pourtant relative à la "simplification" et à la "clarification du droit", avait manqué. Cependant, la décision appelle également un autre éclairage du juge sur la constitutionnalité de la rétroactivité du décompte du délai de prescription. Peut-être la décision invite-t-elle aussi, plus généralement, à éclaircir le champ d'application exact du principe de non rétroactivité de la loi ?


(1) JORF, 14 décembre 2000, p. 19777.
(2) Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), art. 23-5, JORF, 9 novembre 1958, p. 10129.
(3) Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 préc., art. 23-7.
(4) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR), Rec. CC, p. 264 ; Cons. const., décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 (N° Lexbase : A7696GBN), Rec. CC, p. 283.
(5) Si le Conseil d'Etat a consacré le principe de sécurité juridique dans sa jurisprudence en matière de contrôle de légalité des actes administratifs (cf. CE Ass., 24 mars 2006, n° 288460, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7837DNL, p. 154), ce principe n'a pas pour le moment connu pareille fortune dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité des lois.
(6) Cf. not. Cons. const., décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996 (N° Lexbase : A8342ACX), Rec. CC, p. 60 ; Cons. const., décision n° 97-391 DC du 7 novembre 1997 (N° Lexbase : A8442ACN), Rec. CC, p. 232.
(7) La technique est toutefois soumise à plusieurs conditions (cf. infra, note 12).
(8) Cons. const., décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 (N° Lexbase : A8015ACT), Rec. CC, p. 46.
(9) CE 9° et 7° s-s-r., 7 novembre 1979, n° 12844, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1038AKN), p. 401.
(10) CE 9° et 10° s-s-r., 9 février 2001, n° 214564 (N° Lexbase : A8903AQS), Rec., p. 53.
(11) CE 1° et 6° s-s-r., 9 mai 2012, n° 341259, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1829ILC), p. 1016.
(12) Cf. not. Cons. const., décision n° 2010-78 QPC du 10 décembre 2010 (N° Lexbase : A7113GME), Rec. CC, p. 387, GDCC, p. 626.
(13) CE, Ass., 25 juin 1948, n° 94511, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7255B89), p. 289, GAJA, p. 387.
(14) CE 1° et 4° s-s-r., 19 juin 1985, n° 49062, 49063, mentionné aux tables du recueil Lebon ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 946411, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CE Contentieux, 22-11-1985, n\u00b0 49062", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A3643AMU"}}), Rec., p. 191.

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Condamnation de la Roumanie pour transcription de conversations téléphoniques entre un avocat et son client

Réf. : CEDH, 3 février 2015, Req. n° 30181/05 (N° Lexbase : A7713NAW)

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N6119BU8

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par Kaltoum Gachi, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II

Le 17 Mars 2015

La Cour européenne des droits de l'Homme vient réaffirmer, par cette décision du 3 février 2015, l'importance de préserver la confidentialité des échanges entre un avocat et son client. Fidèles à leur jurisprudence, les juges strasbourgeois sanctionnent la Roumanie qui n'avait pas organisé de contrôle efficace pour permettre à l'avocat, non partie au procès, de contester utilement les écoutes téléphoniques. Le constat de violation intervient sur le terrain de l'article 8 de la Convention européenne (N° Lexbase : L4798AQR), lequel avait également permis au législateur français, à la suite de la condamnation de la France en 1991, d'adopter des règles spécifiques en matière d'écoutes téléphoniques. L'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme prévoit que : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance [...] 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". C'est sur le fondement de cette disposition qu'en avril 1991, la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme avait été prononcée, faute de dispositions régissant spécifiquement les écoutes téléphoniques (CEDH, 24 avril 1990, Req. 4/1989/164/220 N° Lexbase : A6324AW7, série A, nos 176-A et 176-B ). Dès le 24 octobre 1990, une proposition de loi, "tendant à renforcer la protection de la vie privée", avait été enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale (présentée par M. Toubon et les membres de son groupe parlementaire, doc. AN n° 1672). Puis, le 29 mai 1991, un projet de loi, "relatif au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications", avait conduit à l'adoption de la loi n° 91 -646 du 10 juillet 1991, relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques (N° Lexbase : L7789H3U).

Cette loi a intégré, dans le Code de procédure pénale, les articles 100 (N° Lexbase : L4316AZU) et suivants qui posent le cadre juridique des écoutes téléphoniques, indispensable pour une telle ingérence dans la vie privée. Ces écoutes, lorsqu'elles impliquent un avocat, doivent être encore plus encadrées en ce qu'elles mettent en jeu le principe fondamental de la confidentialité des échanges sans lequel les droits de la défense ne peuvent être efficacement assurés. Le principe est, en effet, que ces échanges sont couverts par un principe essentiel et général de confidentialité, intimement lié à l'exercice des droits de la défense, et dont la violation est sanctionnée par l'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG). A cet égard, l'article 100-5, alinéa 3, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3498IGN) dispose qu'"à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense". La protection est essentielle tant "la mise sur écoute d'un avocat apparaît [...] comme particulièrement attentatoire à la légitime et indispensable confiance et confidentialité qui existent entre l'avocat et son client" (Ph. Bonfils, Secret des correspondances, Rép. dr. pén. pr. pén., n° 169). Le principe n'est toutefois pas absolu. Mais il ne reçoit exception que s'il apparaît que le contenu de ces correspondances est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction.

Le Code de procédure pénale roumain prévoit également une protection particulière en matière d'écoutes téléphoniques, laquelle n'a toutefois pas été jugée suffisante par la Cour européenne des droits de l'Homme, comme le révèle le présent arrêt rendu le 3 février 2015. En l'espèce, le requérant, avocat, avait été placé sur écoutes téléphoniques. Sa soeur, son compagnon et une tierce personne étaient associés d'une société commerciale qui faisait l'objet de diverses plaintes. Des poursuites étaient diligentées contre le compagnon et la tierce personne. Puis, par un jugement du 24 septembre 2004, le tribunal départemental autorisait le ministère public à intercepter et à enregistrer les conversations téléphoniques de ces trois protagonistes, pour une durée de trente jours, à partir du 27 septembre 2004. Du 27 septembre au 27 octobre 2004, les enquêteurs se fondaient sur l'autorisation du 24 septembre pour intercepter et enregistrer des conversations entre le requérant et sa soeur. Le contenu de ces enregistrements était transcrit sur un support papier, lequel comportait également le nom du requérant, sa profession d'avocat et son numéro de téléphone portable. Le 27 octobre 2004, les associés étaient placés en détention provisoire, à l'exception de la soeur du requérant. Ce requérant était désigné par le compagnon de celle-ci pour le représenter dans la procédure relative à son placement en détention provisoire et dans la procédure pénale. Le 17 mars 2005, le ministère public dressait un procès-verbal par lequel il mettait à la disposition du tribunal le support magnétique et les transcriptions des enregistrements effectués. Par un jugement rendu le 21 mars 2005, le tribunal faisait droit à la demande du Parquet de certification des enregistrements en jugeant qu'ils étaient utiles pour l'affaire et ordonna la mise sous scellés des transcriptions et du support magnétique au greffe du tribunal.

Le requérant saisissait les juridictions roumaines en soulignant notamment que les conversations professionnelles entre un avocat et son client ne pouvaient être ni mentionnées dans le procès-verbal de transcription, ni utilisées comme moyen de preuve dans la procédure pénale. Par un arrêt du 5 avril 2005, la cour d'appel déclarait le recours du requérant irrecevable, au motif que le Code de procédure pénale roumain ne prévoyait pas de voie de recours contre les jugements de certification d'enregistrements.

C'est dans ces conditions que le requérant saisissait la Cour européenne des droits de l'Homme en invoquant une violation notamment de l'article 8 de la Convention européenne. Les juges strasbourgeois ont constaté une violation de cet article en rappelant que l'interception des conversations d'un avocat avec son client porte incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre ces deux personnes (I). Ils ont alors sanctionné l'absence de tout contrôle efficace à la disposition du requérant pour faire valoir ses droits (II).

I - La réaffirmation de la confidentialité des échanges entre un avocat et son client

De manière récurrente, la Cour européenne des droits de l'Homme affirme que les communications téléphoniques se trouvent comprises dans les notions de "vie privée" et de "correspondance" au sens de l'article 8 § 1 de la Convention et que leur interception s'analyse par conséquent en une "ingérence d'une autorité publique" dans l'exercice du droit garanti par l'article 8 de la Convention (CEDH, 29 mars 2005, Req. n° 57752 /00 N° Lexbase : A6255DH7, § 27). Peu importe, à cet égard, que les écoutes litigieuses aient été opérées sur la ligne d'une tierce personne (CEDH, 24 août 1998, Req. 88/1997/872 /1084, § 21 N° Lexbase : A7236AWW, Recueil des arrêts et décisions 1998 ; CEDH, 25 juin 2013, Req. n° 18540/04, § 53, disponible en anglais ; CEDH, 19 novembre 2013, Req. 19267 /05, § 46 N° Lexbase : A6709KP8).

En tant que procédé intrusif, ces écoutes doivent évidemment faire l'objet d'un encadrement. Ainsi, en l'espèce, les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale roumain prévoyaient, en substance que, les enregistrements de communications sur bandes magnétiques ne pouvaient intervenir qu'en ultime recours, sur autorisation motivée du tribunal, à la demande du procureur, pour une durée maximum de trente jours dans les cas et conditions prévus par la loi. En particulier, il était prévu que ces enregistrements n'étaient possibles que dans le cas d'infractions contre la sûreté nationale prévues par le Code pénal et par d'autres lois spéciales, ainsi que dans les cas de trafic de stupéfiants, d'armes ou de personnes, d'actes de terrorisme, de blanchiment d'argent, de fabrication de fausse monnaie, ou d'infractions de corruption, ou bien dans le cas d'autres infractions graves qui ne peuvent pas être révélées ou dont les auteurs ne peuvent pas être identifiés par d'autres moyens, ou encore dans le cas d'infractions commises au moyen de communications téléphoniques ou par d'autres moyens de télécommunication. Il existait, par ailleurs, une procédure particulière de certification des enregistrements qui consiste dans la rédaction d'un procès-verbal qui doit comporter des informations sur le déroulement des interceptions et des enregistrements. Des dispositions spécifiques précisaient encore que la bande magnétique des enregistrements, leur transcription écrite et le procès-verbal étaient gardés au greffe du tribunal, dans des emplacements spécialement prévus, sous pli scellé. Il était enfin prévu que l'enregistrement des conversations entre un avocat et un justiciable ne pouvait pas être utilisé comme moyen de preuve.

C'est au regard de ces règles que la Cour européenne a précisé que "l'interception des conversations d'un avocat avec son client porte incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre ces deux personnes" et que "dans le contexte de l'affaire dont il s'agit, C.I. [la cliente] pourrait dénoncer le cas échéant une atteinte à ses droits en raison de l'interception de ses conversations avec son avocat. Cela étant, le requérant peut également se plaindre d'une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance en raison de l'interception de ses conversations, indépendamment de la qualité pour ester en justice de sa cliente" (§ 49). Il s'agissait donc pour la Cour d'apprécier la confidentialité des échanges du point de vue de l'avocat lui-même et non de son client.

Pour mémoire, on peut rappeler que le Code de procédure pénale français prévoit que les écoutes autorisées, par ordonnance du juge d'instruction, ne sont possibles pour les infractions punies d'une peine égale ou supérieure à 2 ans et pour une durée de quatre mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée. Certes, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), a étendu la possibilité d'autoriser l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications aux enquêtes préliminaires ou de flagrance liées à la criminalité organisée, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, mais uniquement pour une durée d'un mois renouvelable une fois et sans que cela ne soit applicable aux avocats. C'est dire que le pouvoir de prescrire, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, l'interception, l'enregistrement et la transcription de communications téléphoniques, que le juge d'instruction tient de l'article 100, trouve sa limite dans le respect des droits de la défense, qui commande, notamment, la confidentialité des correspondances téléphoniques de l'avocat désigné par la personne mise en examen. Seuls des indices de participation de cet avocat à une infraction peuvent permettre de déroger à ce principe. Cette garantie a été posée par la jurisprudence de la Chambre criminelle qui, dans un arrêt du 15 janvier 1997, a affirmé le principe selon lequel "si le juge d'instruction est, selon l'article 100 du Code de procédure pénale, investi du pouvoir de prescrire, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications, ce pouvoir trouve sa limite dans le respect des droits de la défense, qui commande notamment la confidentialité des correspondances téléphoniques de l'avocat désigné par la personne mise en examen ; qu'il ne peut être dérogé à ce principe qu'à titre exceptionnel, s'il existe contre l'avocat des indices de participation à une infraction" (Cass. crim., 15 janvier 1997, n° 96-83.753 N° Lexbase : A1274AC8, Bull. crim., n° 14). Dans cette espèce, la Chambre criminelle entre en voie de cassation en considérant qu'il ne résultait pas des motifs de la décision "que le juge d'instruction ait été, à la date où il a prescrit l'interception, en possession d'indices de participation de [l'avocat] à une activité délictueuse". De plus, du point de vue de la forme, la première garantie qui s'attache au placement sur écoute de la ligne téléphonique utilisée par un avocat est l'obligation d'aviser le bâtonnier de l'Ordre des avocats. L'article 100-7 du Code de procédure pénale, relatif aux interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications, prévoit en son deuxième alinéa qu'"aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d'instruction". Il s'agit là d'une formalité substantielle mise en oeuvre antérieurement au placement sur écoute et destinée à préserver en amont le secret des échanges entre l'avocat et son client, dès lors que le placement sur écoute concerne "une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile". Toute ligne susceptible d'être le support régulier de conversations protégées par le secret professionnel, qu'elle soit personnelle ou professionnelle, doit bénéficier d'une telle protection.

Toutefois, en l'espèce, tel n'était pas le cas, l'avocat n'étant aucunement impliqué dans une infraction n'était pas partie au procès. Pour autant, ses conversations ayant été enregistrées, il devait pouvoir bénéficier d'un contrôle efficace. C'est l'absence d'un tel contrôle qui est sanctionnée ici.

II - La sanction de l'absence de contrôle efficace

Si l'article 8 de la Convention n'est pas un droit absolu, la Cour rappelle que "les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l'article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante" (CEDH, 25 février 1993, Req. 11471/85, § 38 N° Lexbase : A6543AWA). La Cour "rappelle également qu'elle doit se convaincre de l'existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus" (CEDH, 29 mars 2005, Req. n° 57752/00 N° Lexbase : A6255DH7). Elle se montre particulièrement vigilante lorsque sont en cause des mesures attentatoires à la vie privée des avocats, jugeant que l'article 8 confère à la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients une "protection renforcée" (CEDH, 6 décembre 2012, Req. n° 12323/11, § 119 N° Lexbase : A3982IY7).

Pèse selon elle sur le magistrat en charge du contrôle des écoutes "l'obligation de ne pas méconnaître la confidentialité des relations entre l'avocat et le suspect ou inculpé" (CEDH, 24 avril 1990, Req. n° 11801/85 N° Lexbase : A6323AW4, § 34).

La Cour a ainsi pu affirmer que, "si l'article 8 protège la confidentialité de toute 'correspondance' entre individus, il accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients. Cela se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Or, un avocat ne peut mener à bien cette mission fondamentale s'il n'est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels. C'est la relation de confiance entre eux, indispensable à l'accomplissement de cette mission, qui est en jeu. En dépend en outre, indirectement mais nécessairement, le respect du droit du justiciable à un procès équitable, notamment en ce qu'il comprend le droit de tout 'accusé' de ne pas contribuer à sa propre incrimination" (CEDH, 6 décembre 2012, Req. 12323/11, § 118 précité).

De ce point de vue, le droit au respect de la vie privée doit être envisagé à la lumière des droits de la défense garantis par l'article 6 § 3 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Selon la Cour, "le droit, pour l'accusé, de communiquer avec son avocat hors de portée d'écoute d'un tiers figure parmi les exigences élémentaires du procès équitable dans une société démocratique et découle de l'article 6 § 3 c) de la Convention. Si un avocat ne pouvait s'entretenir avec son client sans surveillance et en recevoir des instructions confidentielles, son assistance perdrait beaucoup de son utilité" (CEDH, 27 novembre 2007, Req. 58295/00, § 30 N° Lexbase : A8575DZM).

Aussi l'avocat placé sur écoute doit-il, plus encore que n'importe quel citoyen, bénéficier d'un "contrôle efficace" tel que voulu par la prééminence du droit, apte à limiter l'ingérence à ce qui est "nécessaire dans une société démocratique". La Cour juge en ce sens que "si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d'un avocat, celles -ci doivent impérativement être assorties de garanties spéciales de procédure" (CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, § 37 N° Lexbase : A4497EQM). La Cour européenne a "eu l'occasion de mettre en exergue la garantie que constitue l'intervention du bâtonnier lorsque la préservation du secret professionnel des avocats est en jeu" (CEDH, Michaud c. France, préc., § 130), lorsque sont mises en oeuvre des perquisitions dans des lieux occupés par des avocats (CEDH, 16 octobre 2007, Req. 74336/01, § 63 N° Lexbase : A7516DYZ ; CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, préc., § 43).

Dans l'affaire "Xavier Da Silveira", alors que le Gouvernement arguait de ce que le requérant ne justifiait ni de son inscription auprès d'un barreau français ni d'une quelconque activité en France, la Cour insiste sur le fait que "dès le début de la perquisition, le requérant a été requis comme témoin et sa qualité d'avocat était connue, ce qui ressort expressément du procès-verbal rédigé par l'officier de police judiciaire pendant la perquisition. Il ressort également de ce procès-verbal qu'une fois dans l'appartement du requérant, ce dernier a expressément décliné sa qualité d'avocat au barreau de Porto" (CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, préc., § 40).

Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour européenne que même lorsqu'il existe un doute quant à la qualité d'avocat de la personne lors de la prescription de la mesure, le fait de la constater au début de son exécution commande de prendre des garanties particulières.

En ce sens, la Cour affirme dans cette affaire qu'"à supposer même que les juges aient pu avoir un doute sur sa qualité d'avocat, l'ensemble des circonstances de la cause devait, à tout le moins, les conduire à une certaine prudence et les inciter à contrôler sans délai ses allégations, et ce avant de procéder à la perquisition et aux saisies dans son domicile" (CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, préc., § 42).

Il convient encore de noter qu'elle tient compte du fait que la mesure litigieuse "concernait des faits totalement étrangers [à l'avocat], ce dernier n'ayant à aucun moment été accusé ou soupçonné d'avoir commis une infraction ou participé à une fraude quelconque en lien avec l'instruction" (CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, § 43).

Or, tel était bien le cas en l'espèce. La solution rendue s'inscrit dans le droit fil de ces précédents.

En particulier, le requérant soulignait que le droit roumain ne réglementait pas expressément la situation de mise sur écoute des personnes qui ne faisaient pas l 'objet d'une enquête judiciaire, ni celle de mise sur écoute décidée après la date de commission de l'infraction ou alors que les prévenus et les faits étaient connus des autorités par d'autres moyens de preuve. A cet égard, la Cour européenne a noté qu'il n'avait pas fait lui-même l'objet d'une autorisation de mise sur écoute en raison de sa qualité d'avocat ou de sa relation avec sa soeur. Toutefois, elle a souligné que, lorsque les conversations d'une personne sont enregistrées et lorsqu'elles sont utilisées dans le cadre d'une affaire pénale, l'intéressé doit bénéficier d'un "contrôle efficace" pour pouvoir contester les écoutes téléphoniques en cause (§ 49).

En outre, si selon le Gouvernement, le requérant aurait pu contester la légalité des enregistrements dans le cadre de la procédure pénale au fond engagée contre les mis en cause au motif que les enregistrements litigieux avaient été versés dans ce dossier, la Cour a relevé que les articles du Code de procédure pénale mentionnés par le Gouvernement se référaient aux droits et obligations des parties dans le procès pénal. Or, le requérant n'était pas partie à la procédure, n'étant ni inculpé ni procureur. Et même s'il est vrai qu'il avait représenté l'un des inculpés dans le cadre de cette procédure pénale, sa qualité de représentant ne lui donnait pas le pouvoir d'intervenir dans la procédure en son nom propre. Il ne disposait donc pas directement de ce droit, celui-ci étant conditionné par le renvoi en jugement de ses clients et par les intérêts de ces derniers dans la procédure. Aussi, la Cour a-t-elle estimé que l'accessibilité de ce recours au requérant était nécessairement rendue incertaine et que l'ingérence litigieuse était, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnée par rapport au but visé et que, par conséquent, l'intéressé n'a pas bénéficié du "contrôle efficace" requis par la prééminence du droit et apte à limiter l'ingérence à ce qui était "nécessaire dans une société démocratique".

La question se posait également de savoir si un autre recours, civil en particulier, pouvait permettre de compenser l'absence de règles spécifiques prévues dans le Code de procédure pénale roumain. Il faut signaler que sur ce point, le Gouvernement avait invoqué la possibilité pour le requérant d'user de l'action civile en dédommagement. Néanmoins, la Cour européenne n'a pas été convaincue par cette voie, le Gouvernement n'ayant fourni aucun exemple de jurisprudence qui démontrerait l'effectivité de cette voie de recours. Elle a clairement précisé qu'un recours devant le juge civil pour une mise en cause de la responsabilité de l'Etat, de nature indemnitaire, ne serait pas de nature à permettre la réalisation d'un contrôle de la légalité des enregistrements litigieux et à aboutir, le cas échéant, à une décision ordonnant la destruction de ceux-ci -résultat recherché par le requérant-, de sorte que l'on ne peut y voir un "contrôle efficace" aux fins de l'article 8 de la Convention.

Cette précision est importante lorsque l'on sait qu'il a été jugé que le juge d 'instruction qui porte atteinte aux droits de la défense et au droit au respect de la vie privée dans le cadre d'écoutes judiciaires visant un avocat engage la responsabilité de l'Etat pour faute lourde (TGI Paris, 11 juillet 2001, n° RG 00/1241 N° Lexbase : A5440ECH, D., 2001, IR, 2806). Cette voie ne saurait donc suffire à assurer l'efficacité du contrôle au sens de la jurisprudence européenne.

newsid:446119

Avocats/Déontologie

[Brèves] Election du Bâtonnier : indifférence d'un mouvement de protestation le jour de l'élection

Réf. : CA Aix-en-Provence, 5 février 2015, deux arrêts, n° 2015/03D (N° Lexbase : A0196NBU) et n° 14/22476 (N° Lexbase : A9605NAY)

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N6127BUH

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Le 17 Mars 2015

Est validée l'élection intervenue le 18 novembre 2014 désignant Me Fabrice Giletta, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Marseille à compter du 1er janvier 2015, même si les circonstances politiques ont voulu que, par la suite, en raison d'un mouvement de contestation d'un projet de loi susceptible d'affecter la profession d'avocat, le conseil de l'Ordre invite les avocats de ce barreau à manifester leur opposition à ce projet par un mouvement dit de "grève" ou en tout cas de suspension de leurs activités professionnelles ce jour là, notamment en demandant le renvoi systématique des dossiers aux audiences. Rien ne permet de dire que la concomitance fortuite de cette journée de protestation avec la date de l'élection du Bâtonnier aurait eu une influence sur le taux de participation. Telle est la solution de deux arrêts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, rendus le 5 février 2015 (CA Aix-en-Provence, 5 février 2015, deux arrêts, n° 2015/03D N° Lexbase : A0196NBU et n° 14/22476 N° Lexbase : A9605NAY). La cour précise que le taux de participation à l'élection du Bâtonnier en 2012 n'était que de 46,47 %, contre 46,22 % le 18 novembre 2014, soit pratiquement le même taux de participation en 2012 et 2014, alors pourtant qu'en 2012, il n'y avait pas eu de mouvement de protestation le jour de l'élection. Aussi, rien ne permet non plus d'affirmer que les résultats du vote auraient été affectés par l'effet de cette journée de protestation. L'écart de voix est tellement significatif (un écart de 877 voix sur 939 suffrages exprimés), que la sincérité du vote ne peut être contestée. La cour ajoute qu'aucun texte n'impose un quorum, un taux de participation minimum à ces élections. Le pourcentage important d'abstention est habituel et n'affecte en aucune façon la validité du scrutin. Il n'est pas établi non plus que la circonstance que la veille du jour du vote se soit tenue une assemblée générale des avocats du barreau de Marseille au sujet du mouvement de protestation contre un projet de loi et au cours de laquelle Me Giletta était présent comme successeur pressenti du Bâtonnier aurait eu la moindre influence ni sur le taux de participation, ni sur le résultat du vote (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9355ETN).

newsid:446127

Avocats/Gestion de cabinet

[Brèves] Transaction entre associés pour quitter la société : point de départ de la prescription

Réf. : Cass. civ. 1, 4 février 2015, n° 13-28.524, F-D (N° Lexbase : A2362NB4)

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N6122BUB

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Le 17 Mars 2015

La prescription quinquennale commence à courir du jour où la transaction entre associés pour que l'un d'eux quitte la société a été signée et c'est à cette date que la demanderesse aurait dû connaître le vice allégué. Tel est l'un des enseignements tiré d'un arrêt rendu le 4 février 2015 par la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 4 février 2015, n° 13-28.524, F-D N° Lexbase : A2362NB4). En l'espèce, Me L. et Me G., avocats associés au sein de la société A. ont conclu, le 18 juin 2003, une transaction permettant à Me L. de quitter ladite société. Par décision irrévocable de la cour d'appel de Poitiers, l'avocate a été condamnée, sur le fondement de la transaction, à rembourser à la société A. une certaine somme qu'elle avait encaissée postérieurement au 31 mai 2003, au titre d'honoraires et frais facturés antérieurement à cette date par la société. Me L. a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Tours en rescision de la transaction et dommages-intérêts. La cour d'appel d'Orléans a rejeté sa demande aux termes d'un arrêt rendu le 28 octobre 2013 (CA Orléans, 28 octobre 2013, n° 13/01095 N° Lexbase : A5073KN9). Saisie d'un pourvoi la Cour de cassation va approuver la solution retenue par les juges du fond. En effet, dès lors que la transaction était dépourvue de toute ambiguïté et que la cour d'appel de Poitiers, en condamnant Me L., n'avait fait que confirmer ce qui était clairement convenu entre les parties et qui avait toujours été soutenu par l'ancien associé depuis 2003, la cour d'appel a décidé, à bon droit, que la prescription quinquennale avait commencé à courir du jour où la transaction avait été signée et que c'est à cette date que l'avocate aurait dû connaître le vice allégué. Ensuite, une transaction ne pouvant être rescindée pour cause de lésion (C. civ., art. 2052 N° Lexbase : L2297ABP), même résultant d'une erreur, la cour d'appel n'avait pas à effectuer l'examen prétendument omis.

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Conflit collectif

[Brèves] Atteinte au droit de grève : rappel de certaines règles par la Cour de cassation au profit des grévistes

Réf. : Cass. soc., 11 février 2015, n° 13-14.607, FS-P+B (N° Lexbase : A4350NBQ)

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N6078BUN

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Le 17 Mars 2015

L'employeur ne peut, dans la période définie par un préavis de grève, déduire de l'absence de tout salarié gréviste au cours des trois premiers jours de la période visée par le préavis que celui-ci était devenu sans effet. Est illicite, et doit être retirée des panneaux d'affichage, la note interne à l'entreprise qui laisse craindre aux salariés qu'ils peuvent faire l'objet de sanctions en cas d'arrêt de travail, et porte ainsi atteinte à leur droit. Sont valables les déclarations d'intention individuelle de grève et les feuilles de service précisant les horaires et la durée des arrêts de travail de certains salariés grévistes dès lors qu'elles n'établissent pas la volonté de détourner les prescriptions de l'article L. 2512-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0241H9S) ni de désorganiser le fonctionnement de l'entreprise. Telles sont les solutions dégagées par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 février 2015 (Cass. soc., 11 février 2015, n° 13-14.607, FS-P+B N° Lexbase : A4350NBQ).
En l'espèce, le 27 juin 2011, le syndicat CGT de la Régie des transports de Marseille a déposé un préavis de grève à compter du 3 juillet 2011 à 0 heure jusqu'au 31 décembre 2011 à minuit, concernant tous les agents de la Régie et la totalité de leur service. Différentes déclarations individuelles d'intention de grève ont été adressées avant le début annoncé de la grève à l'employeur. Le 6 juillet 2011, la Régie a affiché une note d'information indiquant : "Le 27 juin dernier, la CGT a déposé un préavis de grève du 3 juillet à 0 heure 00 au 31 décembre 24 heures 00. Or, depuis le 3 juillet aucun salarié ne s'est mis en grève, le mouvement n'ayant pas débuté à la date initialement prévue, le préavis ne peut plus produire d'effet. Aucun arrêt de travail ne peut donc avoir lieu dans le cadre de ce préavis. La Direction tenait à porter cette information à la connaissance des salariés notamment de ceux ayant déposé une déclaration individuelle d'intention de grève". Le syndicat a saisi le tribunal de grande instance d'une requête tendant à la condamnation de l'employeur à retirer cette note et à lui payer des dommages-intérêts.
La cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 22 janvier 2013, n° 12/04174 N° Lexbase : A5904I33) ayant jugé que la note du 6 juillet 2011 portait atteinte au droit de grève, ordonné son retrait sous astreinte et rejeté la demande reconventionnelle en illicéité du mouvement de grève fondé sur le préavis du 27 juin 2011 de l'employeur, ce dernier s'est pourvu en cassation.
En énonçant les règles susvisées, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E2493ETI et N° Lexbase : E2484ET8).

newsid:446078

Domaine public

[Brèves] L'occupant sans droit ni titre occupant un emplacement sur lequel tout stationnement est interdit peut se voir soumis au paiement d'indemnités d'occupation

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 13 février 2015, n° 366036, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4173NB8)

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N6105BUN

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Le 26 Avril 2018

Conformément aux principes applicables au domaine public, toute occupation du domaine public donne lieu au paiement d'une redevance ; sans préjudice de la répression éventuelle des contraventions de grande voirie, le gestionnaire de ce domaine est fondé à réclamer à un occupant sans titre une indemnité compensant les revenus qu'il aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période ; ce principe s'applique que l'emplacement irrégulièrement occupé soit interdit ou non (CE 3° et 8° s-s-r., 13 février 2015, n° 366036, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4173NB8). Le bateau de Mme X occupait à Meudon, le long de la rive gauche de la Seine, un emplacement sur lequel tout stationnement était interdit. VNF pouvait donc assujettir cette occupante irrégulière du domaine public fluvial au paiement d'une indemnité pour stationnement irrégulier. La circonstance que l'emplacement en cause fît l'objet d'une interdiction de tout stationnement pour des raisons de sécurité n'empêchait pas le gestionnaire du domaine de fixer le montant de l'indemnité due par l'occupante irrégulière par référence au montant de la redevance due pour un emplacement similaire. Dès lors, en jugeant qu'il résulte nécessairement de l'économie générale et des termes des articles L. 28 du Code du domaine de l'Etat, alors en vigueur (N° Lexbase : L2097AAW), et L. 2125-8 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4545IQE), que des indemnités d'occupation du domaine public ne peuvent être mises à la charge de l'occupant sans droit ni titre lorsque ce dernier occupe un emplacement sur lequel tout stationnement est interdit pour des raisons impérieuses de sécurité, la cour administrative d'appel (CAA Versailles, 2ème ch., 8 novembre 2012, n° 11VE03360 N° Lexbase : A6409IZE) a commis une erreur de droit.

newsid:446105

Droit des biens

[Brèves] Nature immobilière de l'action en suppression de l'empiètement par appropriation du sous-sol

Réf. : Cass. civ. 3, 11 février 2015, n° 13-26.023, FS-P+B (N° Lexbase : A4378NBR)

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Le 17 Mars 2015

Lorsqu'un empiètement est réalisé en sous-sol d'une parcelle, l'action en suppression de l'ouvrage est une action immobilière se prescrivant par trente ans. Telle est la solution de l'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 11 février 2015 (Cass. civ. 3, 11 février 2015, n° 13-26.023, FS-P+B N° Lexbase : A4378NBR). En l'espèce, M. et Mme A., propriétaires d'un fonds jouxtant une carrière de calcaire exploitée par la société C., ont assigné celle-ci en suppression de l'empiètement qu'elle a réalisé en sous-sol de leur parcelle, dans le cadre de cette exploitation. Condamnés par la Cour d'appel de Pau dans un arrêt du 1er octobre 2013 (CA Pau, 1er octobre 2013, n° 13/3698 N° Lexbase : A0658KMC), la société C. se pourvoit en cassation aux motifs que l'extraction réalisée sur une petite parcelle appartenant aux époux C. ne serait pas constitutive d'un empiètement dans la mesure où celui-ci consiste dans l'aliénation de la propriété d'autrui et emporte, par l'auteur de l'empiètement incorporation de la partie empiétée. En considérant que l'action immobilière entreprise aux fins de faire cesser l'empiètement était non prescrite, la cour d'appel aurait violé les articles 544 (N° Lexbase : L3118AB4) et 545 (N° Lexbase : L3119AB7) du Code civil. En outre, en déclarant non prescrite l'action en suppression en raison de son caractère immobilier, alors qu'en tant qu'action personnelle, le délai de prescription était de dix ans, la cour d'appel aurait violé les articles 2262 (N° Lexbase : L2548ABY) et 2270-1 du Code civil dans leurs rédactions antérieures à la loi du 17 juin 2008. Reprenant sa jurisprudence en vertu de laquelle tout empiètement, même minime, doit pouvoir faire l'objet d'une action en remise en état, la Cour de cassation se prononce sur la nature de l'action de la victime d'un empiètement causé par une activité industrielle. Elle en déduit que lorsque le front de carrière déborde sur une propriété et que l'activité d'extraction industrielle s'étend au-delà de la limite séparative d'une propriété, un empiètement par appropriation du sous-sol est caractérisée. Il en résulte que l'action en remise en état des lieux par la suppression de l'empiètement est bien une action immobilière non soumise à la prescription décennale.

newsid:446030

Électoral

[Brèves] Absence d'inéligibilité au poste de conseiller municipal du directeur d'un centre de gestion départemental et du chef d'un groupement territorial du SDIS

Réf. : CE, Sect., 4 février 2015, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 382969 (N° Lexbase : A1787NBS) et n° 383019 (N° Lexbase : A1788NBT)

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N6107BUQ

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Le 17 Mars 2015

Le directeur d'un centre de gestion départemental et le chef d'un groupement territorial du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) ne sont pas inéligibles au poste de conseiller municipal, énonce le Conseil d'Etat dans deux arrêts rendus le 4 février 2015 (CE, Sect., 4 février 2015, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 382969 N° Lexbase : A1787NBS et n° 383019 N° Lexbase : A1788NBT). Il résulte des articles 13, 14 et 15 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX), d'une part, que les centres de gestion comprennent à titre obligatoire les communes et leurs établissements publics qui emploient moins de trois cent cinquante fonctionnaires et, d'autre part, que l'adhésion des départements à ces centres n'est que facultative. Dès lors, les centres de gestion ne peuvent être regardés comme des établissements publics du département au sens et pour l'application des dispositions du 8° de l'article L. 231 du Code électoral (N° Lexbase : L7914IYR). Or, les agents de l'Etat, dont les dispositions du premier alinéa et des 1° à 7° et 9° de l'article L. 231 fixent les conditions d'inéligibilité aux conseils municipaux, ne sont pas inéligibles en application des dispositions du 8e de cet article lorsqu'ils ont été nommés par l'acte d'un représentant de l'Etat aux fonctions qu'elles mentionnent dans un établissement public dépendant des collectivités territoriales ou établissements qu'elles citent. Dès lors, le directeur du centre de gestion départemental n'est pas inéligible au poste de conseiller municipal en application de ces dispositions (n° 382969). Au nom du même principe, dès lors que les SDIS ne sont pas créés par le département ou à sa demande mais par la loi, dans chaque département, et ne peuvent donc être regardés comme des établissements publics du département au sens et pour l'application du 8° de l'article L. 231, le chef d'un groupement territorial de SDIS n'est pas non plus concerné par le principe d'inéligibilité au poste de conseiller municipal (cf. l’Ouvrage "Droit électoral" N° Lexbase : E1534A8C).

newsid:446107

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Février 2015

Lecture: 12 min

N6009BU4

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis

Le 17 Mars 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Le Professeur Le Corre commente un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 27 janvier 2015 qui apporte une précision importante en présence d'une mention d'insertion au Boddac comportant une date de cessation des paiements erronée et ses effets sur la tierce-opposition du créancier (Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-24.619, FS-P+B). Emmanuelle Le Corre-Broly a sélectionné, pour sa part, un jugement rendu par le TGI de Paris le 20 janvier 2015 qui revient sur deux questions d'un intérêt de tout premier plan en présence d'un bail commercial (TGI Paris, 18ème ch., 1ère sect., 20 janvier 2015, n° 14/15133). D'une part, le dépôt de garantie qui a été versé entre les mains du bailleur par le locataire lors de la signature du contrat de bail peut-il se compenser avec une créance de loyer en sens inverse ? D'autre part, dans ses relations avec le cessionnaire du bail, le repreneur est-il tenu de reconstituer entre les mains du bailleur le dépôt de garantie ?
  • Mention d'insertion au Boddac comportant une date de cessation des paiements erronée et tierce-opposition (Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-24.619, FS-P+B N° Lexbase : A7049NAC ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E8618ETD)

Le jugement d'ouverture d'une procédure collective fait l'objet d'un avis d'insertion au Bodacc. Le contenu de cet avis est précisément réglementé par l'article R. 621-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L6104I3H), pour la procédure de sauvegarde. L'article R. 631-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L0990HZP, anciennement décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, art. 176 N° Lexbase : L3297HET) rend applicable ce texte en redressement judiciaire et l'article R. 641-7 (N° Lexbase : L6311I37, anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 220) procède identiquement pour la liquidation judiciaire.

Selon l'article R. 621-8 du Code de commerce, la publicité du jugement d'ouverture au Bodacc doit d'abord contenir des mentions intéressant la détermination du débiteur : indication de son nom, du siège de l'entreprise ou de l'adresse professionnelle du débiteur, de son numéro unique d'immatriculation. Cet avis comporte également l'activité exercée et la date du jugement ouvrant la procédure collective. L'insertion doit encore comporter des mentions relatives aux organes de la procédure : nom et adresse du mandataire judiciaire et de l'administrateur judiciaire, s'il en a été nommé un, et l'indication de ses pouvoirs, ainsi que du liquidateur, en cas de liquidation judiciaire. Enfin, l'insertion au Bodacc comporte l'avis aux créanciers d'avoir à déclarer leur créance entre les mains du mandataire judiciaire ou du liquidateur.

Toutes irrégularités affectant les mentions de la publicité au Bodacc, dès lors qu'elles empêchent l'identification du débiteur ou qu'elles ne permettent pas aux créanciers d'effectuer les démarches obligatoires qui leur incombent, par exemple la déclaration de leurs créances, emporteront inefficacité de la publicité, qui est une formalité d'ordre public constitutive. Les délais courant à compter de cette insertion seront réputés ne pas avoir commencé à courir. La solution a été spécialement appliquée en matière de déclaration de créance. Il a ainsi été jugé que l'irrégularité restait sans conséquence, si le créancier, quelle que soit sa qualité, pouvait, au vu de la publicité, identifier le débiteur par des éléments essentiels (1). Il importe donc, dans la publicité du jugement d'ouverture, de faire le tri entre les éléments essentiels et ceux qui ne le sont pas. Ainsi, la Cour de cassation approuve-t-elle une cour d'appel d'avoir jugé que l'erreur sur l'activité exercée par le débiteur est indifférente (2). Au contraire, toute irrégularité atteignant la publicité susceptible de rendre impossible la détermination du débiteur, par exemple celle portant sur sa dénomination, entraînera inefficacité de la publicité, de sorte que le délai de déclaration de créance, qui court par principe à compter de l'avis d'insertion au Bodacc, ne pourra courir (3).

Par principe, seules des erreurs dans la publicité sur des mentions non obligatoires, par exemple celle relative à la date de cessation des paiements, doivent rester sans conséquence. Comme le rappelle ici la Cour de cassation, l'indication de la date de cessation des paiements n'est pas au rang des mentions exigées dans l'avis d'insertion au Bodacc relatif à l'intervention du jugement d'ouverture. Son absence ne peut donc, comme l'avait exactement jugé la cour d'appel de Douai, dans la présente espèce, constituer une irrégularité empêchant le cours des délais, notamment celui de la tierce-opposition à l'encontre du jugement d'ouverture (4).

Mais il en va différemment s'il est question pour un plaideur de tirer des conséquences de la fixation de la date de cessation des paiements. On comprend, dans ces conditions, qu'une mention erronée de la date de cessation des paiements dans l'avis d'insertion au Bodacc puisse alors avoir une importance déterminante. Telle était précisément la situation.

En l'espèce, la publication au Bodacc du jugement d'ouverture du redressement judiciaire intervenu le 16 août 2010 comportait une mention inexacte relative à la date de cessation des paiements. Au lieu d'indiquer la date du 1er avril 2010, l'avis d'insertion faisait curieusement état de la date du 11 octobre 2010, c'est-à-dire une date postérieure à l'ouverture du redressement judiciaire. Cette solution était radicalement impossible puisque cela aurait signifié que le jugement de redressement judiciaire avait été ouvert sans cessation des paiements.

Après conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire, le liquidateur a cherché à annuler un nantissement inscrit par une banque en garantie d'un arrêt antérieur, l'inscription ayant été prise le 21 avril 2010. Ainsi, il y avait bien place à nullité de la période suspecte pour inscription d'une garantie en garantie d'une créance antérieure et cela pendant la période suspecte, laquelle était comprise entre le 1er avril 2010, date de cessation des paiements remontée et le 16 août 2010, date du jugement d'ouverture.

La banque ne pouvait résister à la demande en nullité sauf en contestant la date de cessation des paiements. Pour ce faire, elle devait impérativement initier une tierce-opposition à l'encontre de la partie du jugement d'ouverture ayant fixé antérieurement à son intervention la date de cessation des paiements. Le problème tenait à l'écoulement du délai de tierce-opposition. En effet, ce recours doit impérativement être exercé dans le délai de 10 jours qui court à compter de l'avis d'insertion au Bodacc du jugement d'ouverture, datant en l'occurrence du 29 août 2010. Le 22 décembre 2010, lorsque la banque a déclaré sa tierce-opposition, elle était donc largement hors délai. A moins de considérer que le délai de tierce-opposition n'était pas expiré, tout simplement parce qu'il n'avait pas commencé à courir. Prend alors toute son importance l'erreur commise par le greffe sur la date de cessation des paiements mentionnée dans l'avis d'insertion au Boddac.

En effet, le banquier, qui savait avoir garanti un prêt par une garantie prise ultérieurement tombait, à ce titre, sous le coup des nullités de droit de la période suspecte. Mais, pour qu'il en soit ainsi, il fallait évidemment que la constitution de la sûreté ait été effectuée pendant la période suspecte, donc entre la date de cessation des paiements et le jugement d'ouverture. La publication au Bodacc était de nature à le rassurer complètement puisque, à sa lecture, il pouvait estimer comme ne relevant pas des nullités de la période suspecte la constitution après coup de la sûreté. Il pouvait donc "dormir sur ses deux oreilles". Si cette mention est erronée, sa belle sécurité s'effondre et lorsqu'il apprend la réalité, il est logique qu'il tente de remettre en cause cette date de cessation des paiements, par la seule voie de recours adéquate : une tierce-opposition. Il ne peut alors lui être reproché de ne pas l'avoir introduite auparavant puisqu'il était légalement dans l'ignorance que l'acte accompli pouvait tomber sous le coup des nullités de la période suspecte et qu'il lui incombait donc de remettre en cause cette date de cessation des paiements. Au regard des mentions de la publicité, il n'avait pas d'intérêt né et actuel à agir. Logiquement donc, la Cour de cassation estime que l'indication erronée de la date de cessation des paiements dans l'insertion au Bodacc a été de nature à lui interdire d'assurer sa défense. Pour utiliser l'expression procédurale consacrée, elle était de nature à lui faire grief.

Il faut donc approuver la Cour de cassation d'avoir cassé la décision des premiers juges considérant comme sans conséquence cette mention erronée au motif qu'elle n'était pas obligatoire, et de juger, au contraire, que le banquier a pu estimer que cette erreur rend sans intérêt, compte tenu de la date d'inscription du nantissement litigieux, l'existence à ce moment de la tierce-opposition par la banque pour critiquer la date de cessation des paiements, puisque l'inscription de la sûreté, compte tenu de cette erreur, ne pouvait être considérée comme prise en période suspecte. Il en résulte que le délai de recours n'a pu courir contre cette banque (5).

Le banquier peut ici dire merci au greffe de l'erreur commise et pour sa part le greffe retiendra que le mieux est l'ennemi du bien : quand une insertion ne suppose pas la mention de telle ou telle indication, il est préférable de s'en dispenser plutôt que de commettre une erreur sur cette mention superfétatoire ! Pour autant, la partie est encore loin d'être gagnée pour le banquier qui devra maintenant, dans le cadre de sa tierce-opposition, convaincre le tribunal de fixer autrement, et en tout cas après le 21 avril 2010, la date de cessation des paiements. Mais c'est une autre histoire...

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, membre du CERD (EA 1201)

  • Dépôt de garantie, compensation et cession judiciaire du contrat de bail (TGI Paris, 18ème ch, 1ère sect., 20 janvier 2015, n° 14/15133 N° Lexbase : A4229NBA ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté N° Lexbase : E5152EUD)

Le bail des locaux professionnels est un contrat particulièrement important pour l'entreprise en difficulté, de sorte que sa cession judiciaire est souvent envisagée dans le cadre de l'adoption d'un plan de cession. Des questions intéressantes sont alors susceptibles de se poser pour le bailleur tant à l'égard du débiteur en difficulté qu'à l'égard du cessionnaire. Dans ses relations avec le premier, le bailleur s'interroge souvent sur le point de savoir si le dépôt de garantie qui a été versé entre ses mains par le locataire lors de la signature du contrat de bail doit être restitué à ce dernier ou compensé avec une créance de loyer en sens inverse. Dans ses relations avec le cessionnaire, la question se pose de savoir si le repreneur est tenu de reconstituer entre les mains du bailleur le dépôt de garantie. Un récent arrêt rendu par le tribunal de grande instance de Paris statue sur ces questions d'un intérêt de tout premier plan.

En l'espèce, plusieurs contrats de bail de locaux professionnels avaient été accordés à des sociétés exploitant des fonds de commerce de salles de sport et de fitness. Conformément aux dispositions contractuelles, les locataires avaient, lors de la conclusion des baux, versé entre les mains des bailleurs des dépôts de garantie. Les sociétés exploitantes des fonds de commerce avaient fait l'objet d'une procédure collective dans le cadre de laquelle un plan de cession, assorti d'une cession judiciaire des contrats de bail, avait été adopté.

Certains bailleurs, à l'égard desquels certains loyers étaient restés impayés, avaient alors invoqué la compensation de leur dette de restitution du dépôt de garantie avec leurs créances de loyer arriéré et demandé qu'une restitution du dépôt de garantie soit effectuée par le cessionnaire entre leurs mains. Les organes de la procédure ne l'entendaient pas ainsi et soutenaient, d'une part, que la compensation était impossible entre bailleurs et preneurs, en cas d'adoption d'un plan de cession, au motif que les créances de dépôt de garantie ne seraient pas devenues exigibles puisque les baux n'avaient pas été résiliés mais cédés à un repreneur. Les organes de la procédure soutenaient également que la reconstitution du dépôt de garantie devait être versée entre leurs mains et non entre celles des bailleurs. Ces prétentions n'ont pas été favorablement accueillies par le tribunal de grande instance de Paris qui, par un jugement parfaitement motivé, vient clairement statuer sur la question de la compensation en matière de du dépôt de garantie (I) ainsi que sur celle de la reconstitution de ce dépôt en cas d'adoption d'un plan de cession (II).

I - La compensation du dépôt de garantie

Des contrats de bail des locaux professionnels comportent généralement une clause prévoyant l'obligation pour le preneur, lors de l'entrée dans les lieux, de verser au bailleur un dépôt de garantie qui a vocation, en fin de bail, et si le locataire a rempli toutes ses obligations, à être restitué à ce dernier.

Est-ce que ce dépôt de garantie peut se compenser avec des créances de loyer impayées antérieures à l'ouverture de la procédure collective et alors que le bail n'a pas été résilié ? En l'espèce, les organes de la procédure soutenaient que la compensation entre les créances de loyers impayés et celles de restitution du dépôt de garantie serait impossible entre le bailleur et le preneur, en cas de plan de cession, au motif que la créance de dépôt de garantie ne serait pas devenue exigible puisque le bail n'aurait pas été résilié mais cédé à un repreneur. Cette position, à juste titre non suivie par le tribunal de grande instance de Paris, ne résiste cependant pas aux règles régissant la compensation pour dettes connexes.

Rappelons d'abord que, dès lors qu'elle a été déclarée au passif, la créance de loyer détenue à l'encontre d'un locataire sous procédure collective peut, dès lors qu'elle a été déclarée au passif (6), être compensée après jugement d'ouverture avec la créance de restitution du dépôt de garantie en sens inverse.

Il s'agit là du jeu de la compensation pour dettes connexes après jugement d'ouverture.

Cette compensation suppose une connexité entre les dettes, laquelle existe incontestablement lorsque les dettes et créances réciproques résultent d'un même contrat. Tel est le cas entre la créance de loyer et la dette de restitution du dépôt de garantie issue du même contrat de bail (7).

Contrairement à la compensation légale, qui intervient automatiquement, et qui nécessite que les créances et dettes réciproques soient certaines liquides et exigibles, la compensation pour dettes connexes après jugement d'ouverture ne suppose pas la réunion de ces trois conditions (8). Le fait que la condition d'exigibilité fasse défaut n'a pas pour effet d'écarter le jeu de la compensation pour dettes connexes.

Ainsi, c'est à bon droit, que la tribunal de grande instance de Paris considère que "si la créance de dépôt de garantie n'est pas devenue exigible du fait de la cession judiciaire des baux, intervenue dans le cadre du plan de cession, toutefois le tribunal relève que s'agissant d'une compensation pour dettes connexes et non d'une compensation légale, il n'est pas nécessaire que toutes les conditions prévues à l'article 1291 du Code civil (N° Lexbase : L1401ABI) soient réunies, de sorte que le défaut d'exigibilité de la créance de restitution du dépôt de garantie ne constitue pas un obstacle à la compensation pour dettes connexes".

Il en résulte que le bailleur, qui a déclaré sa créance de loyers antérieurs au jugement d'ouverture impayée pourra se prévaloir d'une compensation, à hauteur de la plus faible des créances réciproques, entre les créances de loyer et de restitution du dépôt de garantie.

Si la créance de loyer impayé est d'un montant inférieur à celle de restitution du dépôt de garantie, il appartiendra alors au bailleur de restituer le surplus à la procédure collective (9).

Se pose alors une seconde question touchant à la reconstitution du dépôt de garantie par le cessionnaire, en cas de cession judiciaire du contrat de bail.

II - la reconstitution du dépôt de garantie

L'article L. 642-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L7333IZM) permet au tribunal d'ordonner la cession des contrats de bail nécessaires au maintien de l'activité. Le bailleur se voit ainsi imposer un nouveau cocontractant. Cependant, le contrat judiciairement cédé l'est tel que conclu, le tribunal n'ayant pas la possibilité d'écarter l'application des dispositions contractuelles. Or, parmi les dispositions contractuelles insérées dans le contrat de bail, se trouve celle exigeant du preneur la constitution d'un dépôt de garantie.

Ainsi, puisque le dépôt de garantie doit être restitué au preneur initial ou qu'il est compensé avec des créances de loyer en sens inverse, il appartient au cessionnaire de reconstituer le dépôt de garantie, afin de respecter les dispositions du contrat qui le lie maintenant au bailleur. C'est ainsi que s'est fixée la jurisprudence de la Cour de cassation qui a jugé que la clause du bail prévoyant la constitution d'un dépôt de garantie devait être respectée, le contrat cédé devant être exécuté aux conditions en vigueur lors de l'ouverture de la procédure. Le cessionnaire doit ainsi reconstituer le dépôt de garantie. A défaut il se rendrait responsable d'une inexécution contractuelle pouvant justifier la résiliation ultérieure du contrat (10). Faisant une parfaite application de ces principes dégagés en jurisprudence, le tribunal de grande instance de Paris considère à juste titre que le dépôt de garantie doit être reconstitué par le repreneur, nouveau cocontractant, entre les mains du bailleur et non pas entre les mains des organes de la procédure ... ce qui se serait alors analysé en un complément de prix de cession !

Ces solutions relatives au dépôt de garantie méritaient d'être rappelées en ce qu'elles ont vocation à être régulièrement appliquées, non seulement en matière de bail des locaux professionnels mais aussi, de façon plus large, pour tout contrat de location ou de crédit-bail.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis,Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise de la Faculté de droit de Nice, Membre du CERDP (EA 1201),


(1) Cass. com., 31 janvier 2012, n° 11-11.940, F-P+B (N° Lexbase : A8786IBZ), Bull. civ. IV, n° 20 ; D., 2012. Actu. 432, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., 28 avril 2012, n° 118, p. 29, note P.-M. Le Corre ; RTDCom., 2012. 400, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; E. Le Corre-Broly, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Février 2012 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 284 du 16 février 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N0220BTC).
(2) Cass com., 31 janvier 2012, n° 11-11.940, préc. et les commentaires préc..
(3) Cass. com., 5 février 2002, n° 99-10427, F-D (N° Lexbase : A9192AXQ), Rev. proc. coll., 2003/1, p. 25, n° 7, obs. M.-N. Legrand.
(4) CA Douai, 2ème ch., 2ème sect., 28 mai 2013, n° 12/03784 (N° Lexbase : A0199KE4), Act. proc. coll., 2013/15, comm. 215.
(5) Cf. arrêt commenté, Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-24.619, FS-P+B.
(6) Cass. com., 5 juin 2007, n° 06-14.151, F-D (N° Lexbase : A5589DWW), Gaz. proc. coll., 2007/4, p. 41, note L.-C. Henry ; nos obs. in Chronique de droit des entreprises en difficulté - juin 2007, Lexbase Hebdo n° 265 du 20 juin 2007 - édition privée (N° Lexbase : N5621BBS).
(7) Cass. com., 29 février 2000, n° 97-16.969, inédit (N° Lexbase : A8917C4Z) ; CA Paris, 16ème ch., sect. B, 24 novembre 2000, n° 1999/07166 (N° Lexbase : A9365A7Y), Gaz. Pal., 8-9 août 2001, Somm. 41, note Ph-H. Brault.
(8) Cass. com., 28 septembre 2004, no 02-21.446, F-D (N° Lexbase : A5620DDI), RD banc. fin., 2005/2, p. 28, n° 58, note F.-X. Lucas ; Cass. com., 28 avril 2009, n° 08-14.756, F-D (N° Lexbase : A6530EGX), D., 2009, AJ 1353, obs. A. Lienhard, Gaz. proc. coll., 2009/3, p. 28, n° 1, note Ph. Roussel Galle, Dr. sociétés, juin 2009, p. 31, n° 124, note J.-P. Legros, RTDCiv., 2009. 721, n° 6, obs. B. Fages, RTDCom., 2009, 809, n° 5, obs. A. Martin-Serf.
(9) Cass. com., 5 février 2008, n° 07-11.010, F-D ; nos obs. in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Février 2008, Lexbase Hebdo n° 293 du 21 février 2008 - édition privée (N° Lexbase : N2049BEM), note Le Corre-Broly.
(10) Cass. com., 16 septembre 2008, n° 06-17.809, FS-P+B (N° Lexbase : A3943EAB), Bull. civ. IV, n° 155, D., 2008, AJ 2345, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2008/4, p. 49, note Voinot ; JCP éd. E, 2008, 2465, note Ph.-H. Brault ; Act. proc. coll., 2008/17, no° 261, no sobs. ; JCP éd. E, 2009. 1008, n° 6, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll., 2009/1, p. 29, n° 15, note Fraimout ; no sobs. in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Octobre 2008, Lexbase Hebdo n° 323 du 21 octobre 2008 - édition privée (N° Lexbase : N4819BHX).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Régime mère-fille et partnership : le Conseil d'Etat a donné son avis

Réf. : CE 3°, 8°, 9°, et 10° s-s-r., 24 novembre 2014, n° 363556, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5450M4M)

Lecture: 11 min

N6089BU3

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par Guillaume Massé, Avocat à la Cour et Danièle Cohen, Avocat, Marvell

Le 17 Mars 2015

Par un arrêt du 24 novembre 2014 (1), le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur de l'inapplicabilité du régime mère-fille pour une société de capitaux française détenant une partnership de droit américain et percevant des dividendes de sa (sous) filiale également américaine. I - Rappel des faits

Les faits de la cause étaient les suivants.

Une société de capitaux française détenait 98,82 % des parts d'une société de droit américain et était constituée sous la forme d'une partnership de droit américain.

Cette dernière détenait 10 % d'une autre société de droit américain.

L'organigramme se présentait donc avec trois sociétés interposées, la société française détenant des parts de la partnership américaine, lui-même détenant des parts d'une autre société américaine.

En 2002, cette autre société américaine met en paiement des dividendes qui sont appréhendés par la partnership à hauteur de sa participation de 10 % dans l'autre société de droit américain.

A la suite de cette distribution de dividendes, la société française estime pouvoir bénéficier du régime mère-fille et retranche de son bénéfice fiscal au titre de l'exercice 2002 les sommes versées par la partnership, résultant elles-même de la distribution de dividendes de la société américaine à la partnership.

Lors d'une vérification de comptabilité, cette exonération a été remise en cause : les sommes correspondant aux dividendes exonérés par la société française au titre de ses dividendes reçus de la partnership sont réintégrées dans son bénéfice fiscal, et corrélativement le déficit reportable de la société française est diminué à due concurrence.

Cette dernière a introduit un recours devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui rejette sa demande par un jugement du 24 juin 2010 (TA Cergy-Pontoise, 24 juin 2010, n° 0708886). L'affaire est ensuite portée devant la cour administrative d'appel de Versailles, qui confirme le jugement par un arrêt du 16 juillet 2012 (2).

L'affaire a ensuite été portée devant le Conseil d'Etat où les trois moyens invoqués se basaient sur les éléments suivants :

- le régime mère-fille et son application aux participations indirectes (CGI, art. 145 N° Lexbase : L9522ITT et C. com., art. L. 233-2 N° Lexbase : L6305AID et L. 233-4 N° Lexbase : L6307AIG) ;

- la qualification en droit interne d'un véhicule de droit étranger ;

- les dispositions de l'article 238 bis K du CGI (N° Lexbase : L4886HLK).

Avant d'analyser ces trois moyens, il faut rappeler le concept de partnership en droit américain, et étudier ses conséquences en droit interne.

II - La notion de partnership en droit américain et son traitement fiscal

La partnership en cause était un véhicule de droit américain permettant la mise en commun de moyens personnels en vue de la réalisation d'un projet. Il s'agissait de l'équivalent d'une société de personne, forme sociétale qu'on oppose traditionnellement à la société de capitaux (corporation).

Il existe en droit américain trois grands types de partnership : limited partnership, general partnership et limited liability partnership. Si des divergences existent d'un point de vue de la responsabilité, ils ont tous la personnalité morale.

D'un point de vue fiscal, ce sont des entités transparentes (régies par le droit fédéral) comme l'indique l'article 701 de l'IRC (3) qui stipule: "a partnership as such, shall not be subject to the income tax imposed by this chapter. Persons carrying on business as partners shall be liable for income tax only in their separate or individual capacities".

Cette disposition met en exergue le fait qu'il n'est pas tenu compte de la personnalité morale de la partnership pour la taxation de ses flux : ses flux sont considérés, par fiction, comme appréhendés directement par les associés de la partnership. Cela signifie que la partnership, qui a bien une personnalité juridique (cette précision sera utile dans les suites de cet article en ce qui concerne la comparaison avec un arrêt en date du 13 octobre 1999), n'a, en revanche, pas de personnalité fiscale.

La partnership pouvait ici être qualifiée de véhicule fiscalement transparent dès lors qu'en droit fiscal américain l'existence de la partnership est, en principe, purement et simplement ignorée pour l'établissement de l'impôt fédéral. Ce principe ne connait qu'une exception, laquelle concerne les revenus provenant d'une activité industrielle et commerciale où il y a une compensation entre les charges et les produits au niveau de la société. En l'espèce, cette exception n'était toutefois pas applicable car les revenus litigieux étaient des revenus passifs (dividendes) qui étaient appréhendés directement par les associés de la partnership.

En droit français, la situation est différente car les sociétés de personnes sont considérées comme des véhicules translucides : leur résultat fiscal est d'abord déterminé au niveau de la société (assiette). C'est ensuite, seulement, qu'ils vont faire l'objet d'une attribution aux différents associés à hauteur de leur quote-part respective (CGI, art. 8 N° Lexbase : L2685HNR) et donner lieu à un impôt dont le recouvrement se fait entre les mains de ses associés. Ces sociétés de personnes ont donc bien et une personnalité juridique et une personnalité fiscale (véhicule translucide), contrairement aux partnerhship de droit américain qui n'ont que la personnalité juridique (véhicule transparent).

III - Régime mère-fille et détention directe des participations

La requérante soutenait que la cour administrative d'appel de Versailles ajoutait une condition au régime mère-fille en rejetant son applicabilité en cas interposition d'une société, c'est-à-dire dans le cas où il s'agissait d'une participation indirecte. En l'espèce, les dividendes avaient été appréhendés après avoir été préalablement encaissés par la partnerhship.

L'article 145 du CGI prévoit trois conditions cumulatives qui, si elles sont remplies, permettent de bénéficier du régime mère-fille prévu par l'article 216 du CGI (N° Lexbase : L0666IPD). Ces trois conditions concernent les "participations" des sociétés mères dans les sociétés filles, sans autre précision textuelle.

Dans le chapitre du Code de commerce relatif aux définitions, l'article L 233-2 précise que : "lorsqu'une société possède dans une autre société une fraction du capital comprise entre 10 et 50 %, la première est considérée, pour l'application du présent chapitre, comme ayant une participation dans la seconde". Il n'est donc pas expressément exigé par ce texte que la participation soit directe.

Toutefois, l'exigence supposée d'une participation directe nous semble cohérente avec la notion de personnalité morale. En effet, exiger que soit expressément mentionnée une participation directe au sens de détention directe aurait implicitement pour conséquence de retirer au véhicule interposé sa personnalité morale.

Sur ce point, le Rapporteur public de l'arrêt commenté rappelle d'ailleurs que le Conseil d'Etat s'était déjà prononcé en 1983 dans une affaire où une société avait reçu des dividendes par l'intermédiaire d'un GIE (4).

En l'espèce, le tribunal administratif (TA Dijon, 3 février 1981) avait fait droit à la prétention de la société requérante au motif que "celle-ci devait être regardée comme détenant des participations dans le capital de la société Y sans qu'il y ait lieu de s'arrêter à la circonstance que ces participations étaient détenues par l'intermédiaire d'un groupement d'intérêt économique, celui-ci n'ayant aucune personnalité fiscale [...]".

Au contraire, dans ses conclusions sous l'arrêt de 1983, le Commissaire du Gouvernement indiquait qu'il était "abusif de dire que cette disposition révèle une absence de personnalité fiscale [...] que le groupement d'intérêt économique jouit de la personnalité morale et de la pleine capacité à dater de son immatriculation au registre du commerce [...] et que la pleine capacité et le fait que le groupement peut être doté d'un capital conduisent nécessairement à admettre qu'il peut disposer d'un patrimoine propre".

Le Conseil d'Etat avait suivi ces conclusions et décidé que la société ne pouvait pas prétendre au régime mère-fille, au motif que le GIE ayant une personnalité propre, ses membres ne pouvant donc pas être réputés détenir directement les titres de sociétés dans lesquelles le groupement avait lui-même une participation.

Au final, dans la mesure où la lettre de l'article 145 du CGI vise le terme "participations" sans autre précision, il pourrait être utilement précisé que la détention de participations doive être directe pour lever toute équivoque.

IV - Qualification en droit français d'un véhicule de droit étranger et incidence sur le régime mère-fille

La requérante soutient ensuite que parce qu'en droit fiscal interne américain la société est transparente, le juge aurait dû en tenir compte dans son analyse pour l'applicabilité du régime mère-fille. A défaut, la requérante en déduit que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que le régime mère-fille devait être rejeté du fait de l'interposition de la partnerhship, alors qu'elle était une société de personnes.

Le Rapporteur public conteste cet argument en soutenant que les lois fiscales étrangères ne peuvent pas être appliquées par les juridictions nationales. Il va d'ailleurs plus loin dans le raisonnement puisqu'il affirme qu'un Etat ne peut ni appliquer ni même tenir compte de la loi fiscale étrangère. Il nuance seulement sa position en admettant la prise en compte du droit étranger pour les branches non fiscales (par exemple branches juridiques, patrimoniales, etc.).

Or, selon la requérante, le Conseil d'Etat aurait déjà tenu compte du droit étranger dans deux jurisprudences précédentes.

D'abord dans un arrêt du 13 octobre 1999 (5), où la question portait sur le point de savoir si une exonération de retenue à la source bénéficiait aux associés d'une société en commandite néerlandaise encaissant des redevances de source française. Le Conseil d'Etat y juge que la société en cause était "dépourvue de personnalité juridique et fiscalement transparente en droit néerlandais", et que c'était donc les associés (résidents néerlandais) qui étaient réellement payés, et non la société en commandite.

Toutefois, la situation, dans ce cas, diffère de notre espèce. En effet, dans l'arrêt de 1999, la société néerlandaise était transparente juridiquement et fiscalement. Or, ici, au contraire, la partnership américaine est transparente uniquement en matière fiscale, car elle a, par ailleurs, une personnalité juridique à part entière dès lors qu'il est relevé qu'il s'agit d'une partnership doté d'une personnalité distincte de celle de ses membres (associés).

Le Rapporteur, lui, écarte l'analogie avec cette jurisprudence au motif que le Conseil d'Etat y faisait d'abord application du droit des sociétés puisqu'il a d'abord déterminé à qui avaient été payées les redevances litigieuses.

Le juge rejette également aussi ce moyen du contribuable.

Le rejet de ce raisonnement par analogie avec l'arrêt de 1999 est logique dès lors que le droit fiscal français se limite à considérer comme transparentes les seules sociétés visées par l'article 1655 ter du CGI (6). Pour mémoire, il s'agit des sociétés qui ont pour objet social exclusif soit la construction d'immeubles en vue de leur division par lots, soit la gestion ou la location de ces immeubles.

Deuxièmement, la requérante invoquait un arrêt de 2009 (7) par lequel le Conseil d'Etat annule l'arrêt d'appel au motif que la cour avait exclu de prendre en compte le droit étranger (CAA Marseille, 11 janvier 2007, n° 02MA02451 N° Lexbase : A8959DTY).

Le Rapporteur public y précisait qu'"il apparaitrait absurde de faire litière d'un droit étranger qui qualifie expressément de fonds propres une certaine catégorie de versements quand il s'agit de déterminer si, pour l'application de la loi fiscale française, il faut regarder ces versements comme des avances ou comme des fonds propres".

Toutefois, dans cet arrêt, il s'agissait simplement pour le Conseil d'Etat de censurer une cour administrative d'appel ayant refusé de tirer les conséquences de l'interdiction du droit portugais de procéder à la rémunération des apports en compte courant, et ainsi de juger qu'il ne pouvait pas y avoir d'acte anormal de gestion. Cette solution, si elle faisait donc bien application du droit étranger, n'était donc pas non plus transposable.

En ce qui concerne la méthode utilisée par le Conseil d'Etat dans l'arrêt commenté, il a été fait application du droit fiscal français à un concept américain, pour considérer que la partnership était une société qui répondait bien aux dispositions de l'article 8 du CGI. Dans ses précédentes décisions, le Conseil d'Etat faisait application de la méthode dite d'assimilation, laquelle méthode consiste à analyser le droit étranger, puis ensuite à identifier le concept de droit français qui s'en rapproche le plus.

Or, comme souligné à juste titre par le Rapporteur public, la lettre de l'article 8 du CGI ne vise que des formes sociétales limitativement énumérées et précises de sociétés de droit français. En effet, l'énumération de l'article 8 vise des formes franco-françaises de telle sorte qu'il semble s'agir d'une "liste fermée" pouvant conduire à considérer que le système de translucidité de l'article 8 du CGI (et non de transparence) serait applicable exclusivement à des sociétés de droit français.

Dans l'affirmative, l'applicabilité d'une telle méthode d'assimilation serait très critiquable dès lors que cette disposition du droit interne (l'article 8) restreindrait alors son champ d'application à des sociétés de nationalité française.

V - L'application de l'article 238 bis K du CGI

La requérante invoque un autre argument en considérant qu'elle aurait eu le droit d'appliquer, en tout état de cause, le régime mère-fille, en vertu de l'article 238 bis K du CGI.

Cet article prévoit que lorsque des droits d'une société régie par les dispositions de l'article 8 du CGI, sont inscrits à l'actif d'une personne morale soumise à l'impôt des sociétés, la part quote-part de bénéfice qui correspond à ces droits est déterminée selon les règles applicables aux bénéfices soumis à l'impôt des sociétés.

Par suite, les modalités de détermination de la quote-part de chaque associé de la société de personnes peuvent différer quand le régime fiscal de ses associés n'est pas le même.

Selon la requérante, appliqué au cas d'espèce, une bonne exégèse de cet article 238 bis K devrait conduire à considérer que, quand une société de l'article 8 du CGI (ici la partnership) a un associé à l'impôt des sociétés (ici la société française) et qu'elle perçoit des dividendes d'une filiale (ici l'autre société de droit américain), elle (la société française) peut faire application du régime mère -fille directement sur les dividendes de l'autre société américaine reçus par la partnership.

Si l'assiette d'une société de personne est effectivement arrêtée au niveau de la société de personne elle-même, en revanche, il résulte de cet article 238 bis K du CGI que la quote-part d'un associé soumis à l'impôt des sociétés est déterminée en appliquant pour l'associé concerné les règles de détermination de l'impôt des sociétés.

Tirant toutes les conséquences de cette modalité de détermination pour un associé soumis à l'impôt sur les sociétés, le requérant en déduit, de façon probablement extensive, que le régime mère-fille s'applique puisque l'associé (ici la société française) remplit toutes les conditions de l'article 145 et 216 du CGI.

Le Conseil d'Etat rejette cet argument en considérant qu'il convient de considérer que les dispositions de l'article 238 bis K ont pour objet de poser une règle de détermination du bénéfice correspondant aux droits d'un associé dans une société de personnes, et non une règle de détermination du régime fiscal, lequel est déterminé au niveau de la société de personnes. Ainsi, l'article 145 du CGI exclut du champ d'application du régime mère-fille les dividendes perçus par une société de personne, quand bien même son associé est soumis à l'impôt sur les sociétés (considérant 6 de l'arrêt).


(1) CE 3°, 8°, 9°, et 10° s-s-r., 24 novembre 2014, n° 363556, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5450M4M).
(2) CAA Versailles, 16 juillet 2012, n° 10VE02621 (N° Lexbase : A2533IRA).
(3) Internal Revenue Code (Code fiscal américain).
(4) CE, 7° et 8° s-s-r., 19 octobre 1983, n° 33816, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1283AMH) : RJF, 12/1983, n° 1506, conclusions J.-F. Verny, p. 661.
(5) CE, 8° et 9° s-s-r., 13 octobre 1999, n° 191191, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3307AXR) : RJF, 12/1999, n° 1492, conclusions G. Bachelier.
(6) CGI, art. 1655 ter (N° Lexbase : L1910HMP) : "[...] les sociétés qui ont, en fait, pour unique objet soit la construction ou l'acquisition d'immeubles ou de groupes d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance, soit la gestion de ces immeubles ou groupes d'immeubles ainsi divisés, soit la location pour le compte d'un ou plusieurs des membres de la société de tout ou partie des immeubles ou fractions d'immeubles appartenant à chacun de ces membres, sont réputées, quelle que soit leur forme juridique, ne pas avoir de personnalité distincte de celle de leurs membres pour l'application des impôts directs, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière exigible sur les actes qui donnent lieu à la formalité fusionnée en application de l'article 647 (N° Lexbase : L7679HLY), ainsi que des taxes assimilées".
(7) CE, 3° et 8° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 303560, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8912EKB) : RJF, 12/2009 n° 1068, conclusions L. Olléon, note P. Fumenier.

newsid:446089

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Conditions pour l'ouverture du droit à déduction des investissements productifs réalisés dans les départements d'outre-mer

Réf. : CE 10° s-s., 11 février 2015, n° 366636, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4176NBB)

Lecture: 2 min

N6059BUX

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Le 17 Mars 2015

Le droit à déduction du montant des investissements que peut exercer une entreprise est constitué soit par la création de l'immobilisation au titre de laquelle l'investissement productif a été réalisé, soit par la livraison effective de l'immobilisation dans un département d'outre-mer. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 février 2015 (CE 10° s-s., 11 février 2015, n° 366636, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4176NBB). En l'espèce, une société anonyme, dont le siège est en Guadeloupe, s'est vu concéder à titre onéreux, par un contrat conclu le 29 septembre 1993 avec une autre société, pour une période de cinq ans renouvelable, le droit d'exploitation exclusive d'une licence de fabrication et de commercialisation d'un véhicule. La société intéressée a entendu bénéficier, pour ce motif et au titre de l'exercice clos le 30 septembre 1993, du régime fiscal de faveur prévu par l'article 238 bis HA du CGI (N° Lexbase : L4829HLG), applicable au moment des faits, ouvrant droit à déduire des bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés le montant de certains investissements productifs réalisés dans les départements d'outre-mer. Cependant, l'administration fiscale a remis en cause le bénéfice du régime fiscal de faveur au titre de l'exercice clos en 1993, ainsi que le caractère déductible de dotations aux amortissements consenties au titre des exercices clos en 1994 et 1995, et de la dette inscrite au passif de la société au cours de l'exercice clos en 1994. Le Conseil d'Etat a donné raison à l'administration en précisant que dans le cas de la création de l'immobilisation dans un département d'outre-mer, la date à retenir est celle à laquelle l'entreprise dispose matériellement de l'investissement productif et peut commencer son exploitation effective. Lorsque l'immobilisation a un caractère incorporel, la date à retenir est celle de sa mise en oeuvre effective au sein du processus de production et non celle de son acquisition. Au cas présent, pour refuser que la SA déduise de son résultat imposable, au titre de l'exercice clos le 30 septembre 1993 et sur le fondement de l'article 238 bis HA, le coût des éléments incorporels qu'elle avait acquis par le contrat de licence conclu le 29 septembre de la même année, la cour administrative d'appel (CAA Bordeaux, 6 décembre 2012, n° 12BX00064 N° Lexbase : A7641IYN) a justement jugé que, la licence en cause ayant pour objet la production et la commercialisation d'un modèle de véhicule, le droit à déduction prévu par le régime fiscal de faveur ne pouvait naître qu'à compter de l'exercice au cours duquel ce véhicule serait produit et vendu .

newsid:446059

Procédure civile

[Brèves] Date de signification de l'arrêt comme point de départ du cours des intérêts relatifs aux condamnations

Réf. : Cass. civ. 1, 11 février 2015, n° 13-21.478, F-P+B (N° Lexbase : A4309NB9)

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N6053BUQ

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Le 17 Mars 2015

La date de signification de l'arrêt constitue le point de départ du cours des intérêts au taux légal portant sur les condamnations prononcées à l'encontre d'une partie, même si la décision est rendue en amiable composition. Telle est la substance de l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 11 février 2015 (Cass. civ. 1, 11 février 2015, n° 13-21.478, F-P+B N° Lexbase : A4309NB9). Dans la présente affaire, par actes du 9 janvier 1997, les parts des sociétés B., et D., détenues notamment par les consorts A., ont été cédées à la société C.. Par actes du même jour, comprenant une clause compromissoire confiant aux arbitres la mission de statuer en amiable composition, les cédants ont consenti à la société cessionnaire une "garantie de bilan". Un différend étant survenu entre les parties à la suite de l'appel en garantie formé par la société A., celle-ci a mis en oeuvre la procédure d'arbitrage qui a donné lieu au prononcé d'une sentence arbitrale le 25 octobre 2005, annulée par un arrêt de cour d'appel qui a statué au fond en amiable composition par un premier arrêt puis par un second arrêt, à la suite du dépôt du rapport d'expertise ordonné par le précédent, devenu irrévocable. La société A. a alors fait grief à l'arrêt de la cour d'appel (CA Paris, 21 mai 2013, n° 05/21993 N° Lexbase : A5971KDI), d'une part, de rejeter sa demande en garantie d'accroissement de passif au titre d'un redressement fiscal et, d'autre part, de dire que les condamnations prononcées contre les cédants, au titre de la "garantie de bilan", porteront intérêts au taux légal à compter de la signification de celui-ci, alors que le juge, même statuant en amiable composition, doit respecter les règles tenant à l'ordre public de protection. Selon elle, en estimant pouvoir n'accorder d'intérêts au taux légal qu'à compter de la signification de l'arrêt, en se fondant sur l'équité, la cour d'appel a violé les articles 1485 (ancien) (N° Lexbase : L6450H7Z) du Code de procédure civile et 1153 du Code civil (N° Lexbase : L1254AB3). A tort, selon la Haute juridiction, qui ne retient aucune violation des articles susvisés (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E6781ETC).

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Responsabilité

[Chronique] Chronique de droit de la responsabilité - Février 2015

Lecture: 12 min

N5904BU9

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI), Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la responsabilité"

Le 17 Mars 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique de droit de la responsabilité de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI), Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit de la responsabilité". A l'honneur de cette chronique, en premier lieu, un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 15 janvier 2015, relatif à la caractérisation du préjudice d'établissement (Cass. civ. 2, 15 janvier 2015, n° 13-27.761, F-P+B) ; en second lieu, l'auteur a relevé un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 28 janvier 2015 portant sur la réparation du préjudice causé par le mesurage erroné de la superficie d'un bien (Cass. civ. 3, 28 janvier 2015, n° 13-27.397, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4119NAS).
  • La caractérisation du préjudice d'établissement devant la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 15 janvier 2015, n° 13-27.761, FS-P+B N° Lexbase : A4658M9E ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E4111EUS)

Contrairement à ce qui a parfois été dit et écrit, le préjudice, loin de n'être qu'une question mineure du droit de la responsabilité, par comparaison au fait générateur et au lien de causalité, en constitue sans doute "l'alpha et l'oméga : alpha, parce que sans préjudice, il n'y aurait pas de victime, donc pas d'action en réparation et donc pas lieu à rechercher ni fait générateur ni lien de causalité ; oméga, parce que l'octroi de dommages-intérêts à la victime est l'objectif final de toute action en responsabilité" (1). Mais encore faut-il s'entendre sur la détermination des préjudices réparables et préciser les conditions de la réparation. L'entreprise n'est pas simple compte tenu de la grande diversité des chefs de préjudice susceptibles d'être invoqués par la victime d'un dommage corporel -disons des préjudices qui sont la suite d'un dommage corporel-, diversité qui suppose un véritable effort de rationalisation afin d'éviter tout risque de "télescopage" (2) ou de "double emploi" (3). Un récent arrêt deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 janvier 2015, à paraître au Bulletin, permet en tout cas d'apporter quelques précisions utiles à la caractérisation du préjudice d'établissement.

En l'espèce, à l'approche de son dix-huitième anniversaire, un jeune homme avait fait l'acquisition d'un véhicule qu'il avait entreposé dans le garage de son père. Ayant décidé d'en prendre le volant, manifestement avant d'y être légalement autorisé, il avait occasionné un accident de la circulation au cours duquel le passager, âgé de 33 ans, avait été gravement blessé puisqu'il avait subi une section de la moelle épinière qui avait entraîné une tétraplégie. Un tribunal pour enfants a déclaré le conducteur coupable du délit de blessures involontaires avec circonstances aggravantes de défaut d'assurance et de défaut de permis de conduire et, déclaré ses parents civilement responsables des conséquences dommageables de l'accident. C'est dans ce triste contexte que le passager victime, assisté de son père et curateur, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs, ainsi que ses parents, ont assigné le conducteur, devenu majeur, en indemnisation de leurs préjudices en présence de la Caisse primaire d'assurance maladie des Deux-Sèvres (la CPAM) et du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages. Parmi ces préjudices, la victime demandait la réparation de son préjudice dit "d'établissement", consistant dans "la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap". Mais la cour d'appel de Poitiers, pour la débouter, avait fait valoir que "ce préjudice n'existe pas en l'espèce, puisque préalablement à l'accident, M. X. [la victime] avait fondé un foyer et qu'il a eu trois enfants, lesquels, selon l'expertise, continuent à lui rendre visite régulièrement en dépit de la rupture du couple parental". En clair, selon les juges du fond, la victime n'aurait rien perdu puisqu'elle avait déjà fondé une famille avant l'accident. Leur décision est cependant cassée, sous le visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, au motif "qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice d'établissement recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés".

La Cour de cassation, qui s'était assez tôt employée à distinguer le préjudice d'établissement, entendu comme la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap, du préjudice d'agrément (4), avait ensuite admis son émancipation du préjudice sexuel (5). Plus récemment, elle a fait du préjudice d'établissement un chef de préjudice distinct du déficit fonctionnel permanent, qui est un poste de préjudice hétérogène mêlant des aspects objectifs, tels que les atteintes aux fonctions physiologiques, et des aspects subjectifs, tels que les douleurs, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence. Elle a, en effet, décidé que "le préjudice d'établissement constitue un poste de préjudice distinct du poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent dans sa dimension intégrant les troubles ressentis dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales" (6). Cette clarification est loin d'être anecdotique pour les victimes, qui peuvent prétendre à des indemnités distinctes pour ces deux chefs de préjudice, et qui, surtout, se trouvent à l'abri, s'agissant du préjudice d'établissement, d'un éventuel recours des tiers payeurs en cas de "rente accident du travail", contrairement à ce qui se passe s'agissant du déficit fonctionnel permanent.

Mais tout cela suppose évidemment de caractériser le préjudice d'établissement en tant que tel. Sans doute ce préjudice, subjectif, permet-il, comme on l'a d'ailleurs déjà rappelé, d'indemniser la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap. Mais toute la question est de savoir ce que recouvre exactement cette situation. On considère en général, sous cet aspect, la perte de chance de se marier, de fonder une famille, d'élever des enfants, etc. A ce titre, le préjudice d'établissement paraît essentiellement concerner les victimes qui n'ont pas encore fondé une famille, autrement dit les plus jeunes. C'est d'ailleurs semble-t-il ainsi que les premiers juges, dans notre affaire, concevaient le préjudice qui, selon eux, n'existait pas en l'espèce au motif que, préalablement à l'accident, la victime avait fondé un foyer et avait eu trois enfants, lesquels continuaient à lui rendre visite régulièrement malgré la rupture de couple parental. Mais une telle approche, excessivement restrictive, est injustifiée.

Si l'on comprend que, statistiquement, le préjudice d'établissement se rencontre souvent chez des victimes jeunes qui n'ont pas déjà fondé une famille, il n'en reste pas moins que ce poste de préjudice ne saurait être limité à ces hypothèses. On peut, en effet, y inclure l'indemnisation d'un divorce à la suite de l'accident (7), ou bien encore, comme le démontre l'arrêt du 15 janvier 2015, "en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale". En clair, de "refaire" sa vie. Si l'on en croit les sociologues, selon lesquels on n'a plus une, mais successivement plusieurs vies personnelles ou affectives, la précision apportée par l'arrêt du 15 janvier, qui doit évidemment être approuvée, est sans doute pratiquement importante.

  • La réparation du préjudice causé par le mesurage erroné de la superficie d'un bien (Cass. civ. 3, 28 janvier 2015, n° 13-27.397, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4119NAS ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E5932ETU)

L'article 46 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété (N° Lexbase : L5536AG7), dans sa rédaction issue de la loi n° 96-1107 du 18 décembre 1996 (N° Lexbase : O9765BQQ), dite "loi Carrez", exige, s'agissant des cessions de lots de copropriété, que l'acte de vente indique la superficie du bien immobilier. Le texte précise ensuite les conséquences des erreurs dans le calcul de la superficie de la partie privative du bien vendu. Contrairement à l'hypothèse dans laquelle la surface réelle serait supérieure à celle mentionnée dans l'acte de vente, où l'excédent ne donne lieu à aucun supplément de prix (art. 46, al. 6), il est prévu que lorsque cette superficie est inférieure de plus d'un vingtième à celle figurant dans l'acte, le vendeur doit supporter la diminution du prix proportionnelle à la moindre mesure (art. 46, al. 7). Mais cette obligation de remboursement d'une fraction du prix n'a pas nécessairement à être uniquement supportée par le vendeur, qui peut se retourner contre le professionnel qui a réalisé le mesurage avant la vente, et auquel une faute peut être imputée, pour demander la réparation de son préjudice. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, rendu le 28 janvier 2015, permet précisément d'y revenir.

En l'espèce, l'acquéreur d'un bien immobilier, ayant contesté la superficie du bien telle que mentionnée dans l'attestation établie par une société spécialisée annexée à l'acte authentique, avait obtenu, après vérification de ladite superficie, la restitution par le vendeur d'une somme au titre de la réduction de prix correspondant à la différence de surface. Le vendeur avait alors réclamé à la société qui avait procédé au mesurage de l'indemniser à hauteur de la somme versée à l'acquéreur. A la suite du refus du mesureur, le vendeur l'a assigné ainsi que son assureur en réparation de son préjudice. Les premiers juges ayant accueilli sa demande, le mesureur s'est pourvu en cassation, faisant essentiellement valoir que le vendeur d'un immeuble qui agit en responsabilité civile contre la société qui a commis une faute dans le mesurage de la surface du bien acquis ne peut obtenir, sous couvert d'indemnisation d'un préjudice, le remboursement de la diminution du prix de vente, la perte de chance de vendre le bien au prix initial ne constituant pas un préjudice indemnisable. Son pourvoi est cependant rejeté, la Haute juridiction décidant "qu'ayant retenu, à bon droit, que, si la restitution, à laquelle le vendeur est tenu en vertu de la loi à la suite de la diminution du prix résultant d'une moindre mesure par rapport à la superficie convenue, ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable permettant une action en garantie, le vendeur peut se prévaloir à l'encontre du mesureur ayant réalisé un mesurage erroné, d'une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre, la cour d'appel a souverainement apprécié l'étendue du préjudice subi par Mme X [le vendeur]". De cette affirmation se déduisent deux séries de propositions, qui méritent d'être examinées successivement : d'une part, la restitution à laquelle le vendeur est légalement tenu du fait de la réduction du prix résultant d'une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable (1) ; d'autre part, le vendeur peut cependant se prévaloir à l'encontre du mesureur ayant commis une faute d'une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre (2).

1. - Contrairement à une affaire qui avait donné lieu à un arrêt de la même troisième chambre civile de la Cour de cassation du 11 septembre 2013 (8), il ne s'agissait pas, dans celle ayant donné lieu à l'arrêt du 28 janvier 2015, d'une action de l'acquéreur contre la société qui avait effectué le mesurage précédent la vente, mais d'une action du vendeur contre cette société.

L'hypothèse est, somme toute, assez classique. Ainsi par exemple, dans une affaire qui avait donné lieu à un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 8 novembre 2006, le vendeur d'un immeuble en l'état futur d'achèvement s'était engagé à livrer à l'acquéreur une certaine superficie, mais il était apparu, après coup, qu'en raison d'une erreur dans les plans de l'architecte, la surface annoncée n'était pas celle qui avait été effectivement livrée et pour laquelle l'acquéreur avait payé le prix. Celui-ci avait, dans ces conditions, demandé la restitution de la fraction correspondante du prix qu'il avait versé, comme le permet l'article 1619 du Code civil (N° Lexbase : L1719ABB). Le vendeur avait alors appelé l'architecte qu'avaient condamné les juges du fond, en garantie. Mais la Cour de cassation avait cassé l'arrêt de la cour d'appel, sous le double visa des articles 1619 et 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) du Code civil, au motif que "la restitution de partie du prix à laquelle un contractant est condamné ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable permettant une action en garantie" (9). C'est cette formule que reprend, quasiment littéralement, la Cour de cassation à présent.

La solution mérite d'être rapprochée de celles qui décident que "la restitution à laquelle un contractant est condamné à la suite de l'annulation d'un contrat ne constitue pas, par elle-même, un préjudice indemnisable" (10) ; ou que "le remboursement à l'acquéreur de la valeur de la partie dont il se trouve évincé, prévu par l'article 1637 du Code civil (N° Lexbase : L1739ABZ) en cas d'éviction partielle du fonds vendu, ne constitue, par lui-même, un préjudice indemnisable" (11) ; ou bien encore, en cas d'action estimatoire, que "la restitution à laquelle un contractant est condamné à la suite de la réduction du prix de vente prévue à l'article 1644 (N° Lexbase : L1747ABC) ne constitue pas par elle-même un préjudice indemnisable" (12). Et, procédant de la même logique, il a également été jugé, à propos de la résolution d'une vente d'automobile pour vices cachés, que la venderesse, "par ailleurs dite créancière de la restitution du véhicule", ne pouvait faire condamner un tiers fautif à lui verser le montant du prix qu'elle devait rendre, ce qui aurait conduit à réparer plus qu'elle n'avait perdu, alors que "la restitution ne peut excéder le montant du dommage" (13). Comme l'a justement fait observer notre collègue Philippe Stoffel-Munck, toutes ces solutions se justifient, fondamentalement, par le fait que "le vendeur ne perd rien qu'il ait eu, en justice, vocation à recevoir. Il détenait cet excédent de prix en contravention à l'idée de justice commutative, qui innerve tous les rapports d'échange" (14). C'est bien au demeurant la justification qui est avancée par la Cour de cassation dans certains arrêts, notamment lorsque, pour juger qu'en cas d'annulation d'une convention, la charge de la remise des patrimoines en leur état antérieur ne caractérise pas un préjudice réparable : "les demandes de remboursement" engendrées par la nullité n'ont pas un caractère indemnitaire dès lors qu'elles procèdent de la nécessité, consécutive à cette annulation, de rétablir le patrimoine des parties à l'acte dans l'état où il se trouvait avant la conclusion de celui-ci" (15). La restitution d'une partie du prix est un effet de la loi, de telle sorte que "la perte de cet avantage n'est pas contraire mais, bien plutôt, conforme au droit ; elle ne peut donc, par elle-même, être un préjudice" (16). Voilà pourquoi le paiement d'une dette contractuelle ne constitue pas un préjudice réparable pour le solvens (17).

2. - A supposer qu'il ne dispose plus d'une action en réduction du prix contre le vendeur, qui serait par exemple devenu insolvable (18), l'acquéreur qui exerce une action en réparation de son préjudice contre le professionnel qui a effectué le mesurage du bien, et auquel une faute peut être imputée, doit démontrer subir un préjudice consistant, concrètement, dans la perte de la chance de négocier son acquisition à la baisse (19). Il est, en effet, évident que le préjudice de l'acquéreur ne peut pas consister dans un remboursement du trop payé, mais qu'il résulte plus sûrement de la perte d'une chance de conclure la vente à moindre prix (20). En bonne logique, la preuve de la perte de chance devrait se déduire de la différence entre la superficie annoncée et la superficie réelle, tant il est manifeste que le prix d'un bien immobilier est en partie déterminé par sa superficie et que la diminution de celle-ci entraîne mécaniquement celle du prix. Autrement dit, il paraîtrait excessif d'exiger de l'acquéreur qu'il rapporte la preuve que le vendeur aurait baissé le prix si la superficie avait été plus faible.

Tout cela est transposable au cas dans lequel ce n'est pas l'acquéreur qui demande la réparation d'un préjudice mais, comme dans notre affaire, le vendeur. Symétriquement en effet, le succès de son action contre le professionnel qui a procédé au mesurage erroné, dès lors qu'il ne lui demande pas le paiement d'une somme qui correspondrait au trop-perçu du prix, suppose cette fois qu'il établisse avoir perdu une chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre (21). Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, et du lien qui existe naturellement dans la plupart des hypothèses entre le prix du bien et sa superficie, cette preuve risque d'être, pratiquement, difficile à rapporter. Différemment, on pourrait imaginer qu'il demande au professionnel fautif la réparation d'un préjudice moral qui consisterait dans les soucis et les tracas occasionnés par l'action en réduction du prix elle-même (22).


(1) G. Durry, Rapport de synthèse, in Le préjudice. Regards croisés privatistes et publicistes, RCA 2010, 14.
(2) Ph. Brun, D., 2012, p. 47.
(3) O. Gout, D., 2013, p. 40.
(4) Cass. civ. 2, 6 janvier 1993, n° 91-15.391, P+B (N° Lexbase : A5272ABU), Bull. civ. II, n° 6.
(5) Cass. civ. 2, 12 mai 2011, n° 10-17.148, F-P+B (N° Lexbase : A1195HRP), D., 2011, p. 1411 ; Gaz. Pal., 2011, 13-16, p. 34, obs. C. Bernfeld.
(6) Cass. civ. 2, 13 janvier 2012, n° 11-10.224, F-P+B (N° Lexbase : A5292IAA), D., 2012, p. 281, obs. V. Da Silva ; D., 2013, p. 40, obs. O. Gout ; RTDCiv., 2012, p. 316, obs. P. Jourdain.
(7) C. Bernfeld, obs. préc..
(8) Cass. civ. 3, 11 septembre 2013, n° 12-23.772, FS-P+B (N° Lexbase : A1655KLU).
(9) Cass. civ. 3, 8 novembre 2006, n° 05-16.948, FS-P+B (N° Lexbase : A3051DSS), JCP éd. G, 2007, I, 115, obs. Ph. Stoffel-Munck.
(10) Cass. civ. 1, 13 octobre 1999, n° 97-14.295 (N° Lexbase : A7225CSE), RTDCiv., 2000, p. 124, obs. P. Jourdain.
(11) Cass. civ. 1, 14 juin 2005, n° 02-17.792, FS-D (N° Lexbase : A7450DIR).
(12) Cass. civ. 1, 16 janvier 2001, n° 98-15.048 (N° Lexbase : A3192ARN), Bull. civ. I, n° 4, Rép. Defrénois, 2001, p. 772, obs. J.-L. Aubert.
(13) Cass. civ. 1, 16 janvier 2001, n° 98-15.048 (N° Lexbase : A3192ARN), Bull. civ. I, n° 4, Rép. Defrénois, 2001, p. 772, obs. J.-L. Aubert.
(14) JCP éd. G, 2005, I, 115.
(15) Cass. civ. 1, 10 mai 2005, n° 03-12.496, FS-P+B (N° Lexbase : A2249DI7), Bull. civ. I, n° 203.
(16) Ph. Stoffel-Munck, JCP éd. G, 2006, I, 111.
(17) Rappr., paraissant considérer que l'exécution d'une charge légale est incompatible avec la qualification de préjudice, Cass. crim., 29 juin 2005, n° 04-84.623, F-P+F (N° Lexbase : A9435DIB), Bull. crim., n° 197.
(18) Tant que l'acquéreur dispose effectivement d'une telle action, son préjudice n'est pas certain, et ne peut donc pas être indemnisé. Sur ce point, v. not. Y. Dagorne-Labbé, JCP éd. G, 2013, 1237.
(19) Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-22.511, F-D (N° Lexbase : A8595KI8), jugeant que "le préjudice allégué, qui s'analyse en une diminution du prix de vente, proportionnelle au déficit de surface, ne constituant pas, en lui-même, un préjudice indemnisable, le notaire [auteur d'une faute dans la rédaction de l'acte] pouvait seulement être tenu de garantir le remboursement du trop-payé, en cas d'insolvabilité des vendeurs" - Rappr. TGI Paris, 2e ch., 28 janvier 2014, n° 09/11296 (N° Lexbase : A8301M49).
(20) Cass. civ. 3, 11 septembre 2013, préc..
(21) TGI Nanterre, 16 octobre 2008, n° 06/12559, D., 2008, p. 2940, obs. Y. Rouqet.
(22) CA Nancy, 14 juin 2011, n° 09/02764 (N° Lexbase : A7970HTD), AJDI 2012, p. 867.

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Protection sociale

[Brèves] Impossibilité pour le juge de subordonner la validité d'une clause de désignation à une mise en concurrence préalable par les partenaires sociaux, de plusieurs opérateurs économiques

Réf. : Cass. soc., 11 février 2015, n° 14-11.409, FS-P+B (N° Lexbase : A4340NBD)

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N6084BUU

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Le 17 Mars 2015

Le juge ne peut subordonner la validité d'une clause de désignation à une mise en concurrence préalable par les partenaires sociaux, de plusieurs opérateurs économiques. Telle est la solution dégagé par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 février 2015 (Cass. soc., 11 février 2015, n° 14-11.409, FS-P+B N° Lexbase : A4340NBD).
En l'espèce, les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la Convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette Convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en oeuvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés entrant dans le champ d'application de ce secteur. Ag2r prévoyance a été désignée aux termes de l'article 13 de cet avenant pour gérer ce régime et l'article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ d'application de l'avenant n° 83 de souscrire les garanties qu'il prévoit à compter du 1er janvier 2007. L'accord a été étendu au plan national à toute la branche de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie. M. L., artisan boulanger ayant contracté en 2006 auprès d'un autre organisme d'assurance complémentaire, a refusé de s'affilier au régime géré par Ag2r prévoyance. Cette dernière, soutenant que l'adhésion était obligatoire, a obtenu une ordonnance enjoignant à M. L. de lui payer un rappel de cotisations. Celui-ci a formé opposition et a saisi un tribunal de grande instance aux fins de voir prononcer la nullité de la clause de désignation contenue dans l'avenant n° 83 comme contraire aux articles 9 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
La cour d'appel (CA Douai, 18 décembre2013, n° 12/07538 N° Lexbase : A5775KRC) aillant accueilli cette demande et débouter Ag2r prévoyance de ses prétentions, cette dernière s'est pourvue en cassation.
Après avoir rappelé la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt rendu le 3 mars 2011 (CJUE, 3 mars 2011, aff. C-437/09 N° Lexbase : A8049G3I), la Haute juridiction, en énonçant la règle susvisée, casse l'arrêt d'appel au visa des articles 101 (N° Lexbase : L2398IPI), 102 (N° Lexbase : L2399IPK) et 106 (N° Lexbase : L2403IPP) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige (N° Lexbase : L5837ADK) et l'avenant n° 83 du 24 avril 2006 à la Convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976 (N° Lexbase : X0661AE9).

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Sociétés

[Brèves] Impossibilité pour le bureau de l'AG de priver des actionnaires de leurs droits de vote pour défaut de notification d'un franchissement d'un seuil, en présence d'une contestation de l'existence de l'action de concert

Réf. : Cass. com., 10 février 2015, n° 13-14.778, F-P+B (N° Lexbase : A4468NB4)

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N6092BU8

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Le 17 Mars 2015

Aucun texte n'attribue au bureau de l'assemblée des actionnaires le pouvoir de priver certains d'entre eux de leurs droits de vote au motif qu'ils n'auraient pas satisfait à l'obligation de notifier le franchissement d'un seuil de participation dés lors que l'existence de l'action de concert d'où résulterait cette obligation est contestée. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 février 2015 (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-14.778, F-P+B N° Lexbase : A4468NB4). En l'espèce, l'assemblée générale des actionnaires d'une SA dont les titres sont admis aux négociations sur le marché libre a autorisé l'augmentation différée du capital par voie d'émission d'obligations à bons de souscription et/ou d'acquisition d'actions remboursables (OBSAAR). Le conseil d'administration a décidé de procéder à l'émission d'un emprunt obligataire auquel étaient attachés des bons de souscription (les BSAAR). Les obligations ont été intégralement souscrites par deux établissements de crédit qui ont ensuite vendu les BSAAR à trois dirigeants de la SA. Ces derniers, agissant de concert avec une société ont exercé une partie des BSAAR, ce qui leur a permis de contrôler la société. Lors d'une AG, le bureau, après avoir retenu que d'autres actionnaires avaient franchi à la hausse, sans le déclarer à la société, le seuil de 5 %, a limité les droits de vote de ces actionnaires à 5 % du capital de la société. Le bureau a ajouté que le même groupe d'actionnaires, agissant de concert, avait franchi à la hausse d'autres seuils sans les déclarer à la société. Lors d'une AG postérieure, la même limitation des droits de vote a été appliquée à ces actionnaires. Ils ont donc assigné la société aux fins d'annulation de l'émission d'OBSAAR et des décisions de privation de droits de vote prises par le bureau de l'assemblée générale. C'est dans ces conditions que la cour d'appel a retenu que le bureau de l'assemblée générale avait pu constater l'action de concert sans excéder ses pouvoirs. La Haute juridiction approuve la cour d'appel d'avoir retenu que l'obligation de déclaration en cas de franchissement de certains seuils était applicable en l'espèce, dès lors que les titres de capital émis par la société étaient admis aux opérations d'Euroclear France, dépositaire central, et que les statuts prévoyaient leur inscription en compte chez un intermédiaire habilité. Mais énonçant le principe précité, elle censure l'arrêt d'appel au visa des articles L. 233-7 (N° Lexbase : L5799ISL), L. 233-10 (N° Lexbase : L2305INP) et L. 233-14 (N° Lexbase : L5801ISN) du Code de commerce : en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'existence de l'action de concert d'où serait résultée l'obligation de déclarer le franchissement d'un ou plusieurs seuils de participation n'avait pas été contestée lors de l'assemblée générale du 29 février 2008, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision (cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E7672D3K et N° Lexbase : E5754A3I).

newsid:446092

Sociétés

[Brèves] Personnes pouvant demander le relèvement des fonctions de commissaires aux comptes : exclusion de la société dont les comptes sont contrôlés

Réf. : Cass. com., 10 février 2015, n° 13-24.312, FS-P+B (N° Lexbase : A4362NB8)

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N6094BUA

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Le 17 Mars 2015

La société dont les comptes sont contrôlés ne figure pas au nombre des personnes ou entités ayant qualité pour demander le relèvement des fonctions de son commissaire aux comptes. Tel est l'enseignement issu d'un arrêt rendu le 10 février 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-24.312, FS-P+B N° Lexbase : A4362NB8). En l'espèce, une société "prise en la personne de son directeur général et président, M. [X]", a assigné son commissaire aux comptes en relèvement de ses fonctions. Celui-ci a soulevé l'irrecevabilité de l'action pour défaut de qualité de la société. La cour d'appel rejette la fin de non-recevoir, constatant que l'assignation a été délivrée par la société, prise en la personne de son directeur général et président. Mais énonçant le principe précité, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 823-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L6267IC4 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E6176AD4).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] TVA : présomption de livraison intra-communautaire exonérée pour un assujetti disposant de justificatifs

Réf. : Cass. com., 10 février 2015, n° 12-28.770, F-P+B (N° Lexbase : A4342NBG)

Lecture: 2 min

N6061BUZ

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Le 17 Mars 2015

Un assujetti à la TVA disposant de justificatifs de l'expédition de biens à destination d'un autre Etat membre et du numéro d'identification à la TVA de l'acquéreur est présumé avoir effectué une livraison intra-communautaire exonérée, à moins que l'administration n'établisse que la livraison en cause n'a pas eu lieu. Tel est le principe dégagé par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 février 2015 (Cass. com., 10 février 2015, n° 12-28.770, F-P+B N° Lexbase : A4342NBG). En l'espèce, une société commissionnaire en douanes, a procédé, pour le compte d'une société suisse dont elle était le représentant fiscal en France, à des importations effectuées sous le régime douanier dit "régime 42", qui permet de dédouaner des marchandises en exonération de TVA dès lors qu'elles font l'objet d'une mise en libre pratique immédiatement suivie d'une livraison dans un autre Etat membre de l'Union européenne. L'administration des douanes lui a alors notifié sur le fondement des articles 291-III, 4 du CGI (N° Lexbase : L1682IPY) et 411 du Code des douanes (N° Lexbase : L5659H9H), une infraction ayant eu pour effet d'éluder le recouvrement d'une taxe relative à l'importation de marchandises sur le territoire national, puis a émis à son encontre, le 17 mars 2009, un avis de mise en recouvrement du montant de la taxe éludée. Cependant, la Cour de cassation a confirmé l'annulation de cet AMR par les juges du fond (CA Paris, 25 septembre 2012, n° 2011/04746 N° Lexbase : A6346IT9) car, au cas présent, les marchandises ayant été importées pour le compte de la société commissionnaire en douanes qui les a vendues à une société espagnole, laquelle est immatriculée à la TVA et a réglé la taxe correspondant aux expéditions en cause, la société commissionnaire a justifié de l'expédition des marchandises à destination d'un autre Etat membre et de l'identification à la TVA de l'acquéreur des marchandises. Dès lors, les marchandises avaient fait l'objet d'une livraison intra-communautaire et la société commissionnaire n'avait pas commis de manoeuvre répréhensible au regard de l'article 411 du Code des douanes en mentionnant "régime douanier 42" sur les déclarations d'importation des marchandises en cause, peu important qu'elle ait également constaté que les lettres de voiture mentionnaient comme destinataire des marchandises une société établie en Grande-Bretagne, qui en avait pour partie assuré le transport .

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