Jurisprudence : CEDH, 24-08-1998, Req. 88/1997/872/1084, Lambert c. France

CEDH, 24-08-1998, Req. 88/1997/872/1084, Lambert c. France

A7236AWW

Référence

CEDH, 24-08-1998, Req. 88/1997/872/1084, Lambert c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064155-cedh-24081998-req-8819978721084-lambert-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

24 août 1998

Requête n°88/1997/872/1084

Lambert c. France



AFFAIRE LAMBERT c. FRANCE

CASE OF LAMBERT v. FRANCE

(88/1997/872/1084)


ARRÊT/JUDGMENT

STRASBOURG

24 août 1998

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

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A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC

La Haye/'s-Gravenhage)

SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

France – arrêt de la Cour de cassation refusant à une personne toute qualité à critiquer les écoutes téléphoniques dont elle a fait l'objet, au motif qu'elles furent effectuées sur la ligne d'un tiers

I. article 8 de la Convention

A. Existence d'une ingérence

Interception des communications téléphoniques constitue une « ingérence d'une autorité publique » au sens de l'article 8 § 2, dans l'exercice d'un droit que le paragraphe 1 garantit au requérant – peu importe, à cet égard, que les écoutes litigieuses furent opérées sur la ligne d'une tierce personne.

B. Justification de l'ingérence

1. L'ingérence était-elle « prévue par la loi » ?

a) Existence d'une base légale en droit français

Ecoutes litigieuses ordonnées sur le fondement des articles 100 et suivants du code de procédure pénale.

b) Qualité de la loi

Accessibilité : hors de doute en l'espèce.

Prévisibilité : loi du 10 juillet 1991 sur le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications pose des règles claires et détaillées et précise, a priori, avec suffisamment de clarté l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine considéré.

2. Finalité et nécessité de l'ingérence

Ingérence visait à permettre la manifestation de la vérité dans le cadre d'une procédure criminelle et tendait donc à la défense de l'ordre.

Quant à sa nécessité, la Cour de cassation a conclu que c'est à tort que la chambre d'accusation avait examiné les exceptions de nullité présentées par l'intéressé, car il n'était pas titulaire de la ligne téléphonique sous surveillance – certes, ce dernier avait bénéficié d'un recours devant la chambre d'accusation, mais la Cour de cassation a reproché à

cette dernière d'avoir examiné au fond la requête du requérant – raisonnement pouvant conduire à priver un nombre très important de personnes, à savoir toutes celles qui conversent sur une autre ligne téléphonique que la leur, de la protection de la loi fixant les modalités de contrôle judiciaire – mécanisme protecteur vidé d'une large partie de sa substance – intéressé n'a donc pas bénéficié d'un « contrôle efficace » tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter à ce qui était « nécessaire dans une société démocratique » l'ingérence litigieuse.

Conclusion : violation (unanimité).

II. article 13 de la convention

Non-lieu à examen (unanimité).

III. article 50 de la convention

A. Dommage moral : tort moral indéniable – demande accueillie en partie.

B. Frais et dépens : remboursement.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser certaines sommes au requérant (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

6.9.1978, Klass et autres c. Allemagne ; 25.3.1983, Silver et autres c. Royaume-Uni ; 2.8.1984, Malone c. Royaume-Uni ; 22.2.1989, Barfod c. Danemark ; 24.4.1990, Kruslin c. France ; 24.4.1990, Huvig c. France ; 25.6.1997, Halford c. Royaume-Uni ; 25.3.1998, Kopp c. Suisse

En l'affaire Lambert c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

L.-E. Pettiti,

A. Spielmann,

N. Valticos,

Sir John Freeland,

MM. L. Wildhaber,

K. Jungwiert,

M. Voicu,

V. Butkevych,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 avril et 27 juillet 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 22 septembre 1997 et par le gouvernement français (« le Gouvernement ») le 24 octobre 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 23618/94) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Michel Lambert, avait saisi la Commission le 8 février 1994 en vertu de l'article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46), la requête du Gouvernement à l'article 48. Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 8 de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 25 septembre 1997, en présence du greffier, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. B. Walsh, A. Spielmann, N. Valticos, L. Wildhaber, K. Jungwiert, M. Voicu et V. Butkevych (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A). Par la suite, Sir John Freeland, suppléant, a remplacé M. Walsh, décédé le 9 mars 1998 (article 22 § 1 du règlement A).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant les 23 décembre 1997 et 12 janvier 1998, et celui du Gouvernement le 20 mars 1998.

5. Le 30 mars 1998, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

6. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 20 avril 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

MM. B. Nedelec, magistrat détaché à la direction

des affaires juridiques du ministère

des Affaires étrangères, agent,

A. Buchet, magistrat, chef du bureau des droits

de l'homme au service des affaires européennes

et internationales du ministère de la Justice, conseiller ;

pour la Commission

M. J.-C. Soyer, délégué ;

pour le requérant

Me O. de Nervo, avocat au Conseil d'Etat

et à la Cour de cassation, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Soyer, Me de Nervo et M. Nedelec.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. Ressortissant français né en 1957, M. Lambert réside à Buzet-sur-Tarn.

A. Le déroulement de l'instruction et l'interception des conversations téléphoniques du requérant

8. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte des chefs de vols, vols avec effraction, recels de vols simples et aggravés, et détention sans autorisation d'armes et de munitions de la quatrième catégorie, un juge d'instruction de Riom délivra une commission rogatoire, le 11 décembre 1991, donnant mission aux services de gendarmerie de faire établir un dispositif d'écoutes téléphoniques sur une ligne attribuée à R.B., pour une durée expirant le 31 janvier 1992.

9. Par « soit transmis » des 31 janvier, 28 février et 30 mars 1992, le juge d'instruction prorogea la mise en place du dispositif jusqu'au 29 février, puis jusqu'au 31 mars, et finalement jusqu'au 31 mai 1992.

10. A la suite de ces écoutes et de l'interception de certaines de ses conversations, le requérant fut inculpé de recel de vol aggravé et détenu du 15 mai au 30 novembre 1992, date où il fut mis en liberté sous contrôle judiciaire.

B. Les procédures engagées par le requérant

1. Le recours devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Riom

11. Par une requête du 5 avril 1993, le conseil de l'intéressé souleva devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Riom la nullité des renouvellements des 31 janvier et 28 février 1992, au motif qu'ils avaient été ordonnés par un simple « soit transmis » et sans référence aux infractions motivant les écoutes, et que le délai de quatre mois qui aurait pu être prescrit par la commission rogatoire du 11 décembre 1991 était expiré depuis le 11 avril 1992.

12. Le 25 mai 1993, la cour d'appel de Riom rejeta la requête de M. Lambert, par les motifs suivants :

« (...) suivant les dispositions combinées des articles 100, 100-1 et 100-2 du code de procédure pénale [paragraphe 15 ci-dessous], la décision d'interception de correspondances émises par la voie des télécommunications doit être écrite et comporter tous les éléments d'identification de la liaison à intercepter, l'infraction qui motive un tel recours, ainsi que la durée de l'interception limitée à quatre mois, mais renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée.

Attendu qu'en l'espèce, il est constant que la commission rogatoire du 11 décembre 1991 satisfait aux prescriptions des articles susmentionnés, dans la mesure où elle comporte le numéro de la liaison à intercepter, la durée inférieure à quatre mois et les infractions qui motivent le recours, punies de peines correctionnelles supérieures à deux années d'emprisonnement.

Qu'il apparaît également d'une part, que les décisions de renouvellement prises sous la forme de 'soit transmis' sont écrites et mentionnent le numéro de l'information concernée, d'autre part qu'elles sont le prolongement de la décision initiale du 11 décembre 1991 et s'y réfèrent nécessairement, enfin que leur durée est inférieure à quatre mois, ce qui les rend conformes aux exigences de l'article 100-2 du code de procédure pénale. »

2. Le recours devant la Cour de cassation

13. Le requérant forma un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 25 mai 1993 et souleva, comme moyen unique de cassation, la violation de l'article 8 de la Convention et des articles 100 et suivants du code de procédure pénale en raison de ce que les prorogations des écoutes litigieuses, par simples « soit transmis », ne comportaient aucune motivation.

14. Par un arrêt du 27 septembre 1993, la Cour de cassation confirma la décision attaquée et considéra que l'intéressé était « sans qualité pour critiquer les conditions dans lesquelles [avait] été ordonnée la prolongation d'écoutes téléphoniques sur une ligne attribuée à un tiers », et que, dès lors, « les moyens, qui discut[aient] les motifs par lesquels la chambre d'accusation [avait] cru devoir à tort examiner, pour les rejeter, [les] exceptions de nullité, [étaient] irrecevables ».

II. Le droit interne pertinent

15. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 sur le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications) sont ainsi rédigées :

Article 100

« En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement, le juge d'instruction peut, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle.

La décision d'interception est écrite. Elle n'a pas de caractère juridictionnel et n'est susceptible d'aucun recours. »

Article 100-1

« La décision prise en application de l'article 100 doit comporter tous les éléments d'identification de la liaison à intercepter, l'infraction qui motive le recours à l'interception ainsi que la durée de celle-ci. »

Article 100-2

« Cette décision est prise pour une durée maximum de quatre mois. Elle ne peut être renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée. »

Article 100-3

« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui peut requérir tout agent qualifié d'un service ou organisme placé sous l'autorité ou la tutelle du ministre chargé des télécommunications ou tout agent qualifié d'un exploitant de réseau ou fournisseur de services de télécommunications autorisé, en vue de procéder à l'installation d'un dispositif d'interception. »

Article 100-4

« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui dresse procès-verbal de chacune des opérations d'interception et d'enregistrement. Ce procès-verbal mentionne la date et l'heure auxquelles l'opération a commencé et celles auxquelles elle s'est terminée. »

Article 100-5

« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité. Il en est dressé procès-verbal. Cette transcription est versée au dossier.

Les correspondances en langue étrangère sont transcrites en français avec l'assistance d'un interprète requis à cette fin. »

Article 100-6

« Les enregistrements sont détruits, à la diligence du procureur de la République ou du procureur général, à l'expiration du délai de prescription de l'action publique.

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