Lexbase Avocats n°188 du 19 février 2015 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Condamnation de la Roumanie pour transcription de conversations téléphoniques entre un avocat et son client

Réf. : CEDH, 3 février 2015, Req. n° 30181/05 (N° Lexbase : A7713NAW)

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par Kaltoum Gachi, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II

le 17 Mars 2015

La Cour européenne des droits de l'Homme vient réaffirmer, par cette décision du 3 février 2015, l'importance de préserver la confidentialité des échanges entre un avocat et son client. Fidèles à leur jurisprudence, les juges strasbourgeois sanctionnent la Roumanie qui n'avait pas organisé de contrôle efficace pour permettre à l'avocat, non partie au procès, de contester utilement les écoutes téléphoniques. Le constat de violation intervient sur le terrain de l'article 8 de la Convention européenne (N° Lexbase : L4798AQR), lequel avait également permis au législateur français, à la suite de la condamnation de la France en 1991, d'adopter des règles spécifiques en matière d'écoutes téléphoniques. L'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme prévoit que : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance [...] 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". C'est sur le fondement de cette disposition qu'en avril 1991, la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme avait été prononcée, faute de dispositions régissant spécifiquement les écoutes téléphoniques (CEDH, 24 avril 1990, Req. 4/1989/164/220 N° Lexbase : A6324AW7, série A, nos 176-A et 176-B ). Dès le 24 octobre 1990, une proposition de loi, "tendant à renforcer la protection de la vie privée", avait été enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale (présentée par M. Toubon et les membres de son groupe parlementaire, doc. AN n° 1672). Puis, le 29 mai 1991, un projet de loi, "relatif au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications", avait conduit à l'adoption de la loi n° 91 -646 du 10 juillet 1991, relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques (N° Lexbase : L7789H3U).

Cette loi a intégré, dans le Code de procédure pénale, les articles 100 (N° Lexbase : L4316AZU) et suivants qui posent le cadre juridique des écoutes téléphoniques, indispensable pour une telle ingérence dans la vie privée. Ces écoutes, lorsqu'elles impliquent un avocat, doivent être encore plus encadrées en ce qu'elles mettent en jeu le principe fondamental de la confidentialité des échanges sans lequel les droits de la défense ne peuvent être efficacement assurés. Le principe est, en effet, que ces échanges sont couverts par un principe essentiel et général de confidentialité, intimement lié à l'exercice des droits de la défense, et dont la violation est sanctionnée par l'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG). A cet égard, l'article 100-5, alinéa 3, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3498IGN) dispose qu'"à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense". La protection est essentielle tant "la mise sur écoute d'un avocat apparaît [...] comme particulièrement attentatoire à la légitime et indispensable confiance et confidentialité qui existent entre l'avocat et son client" (Ph. Bonfils, Secret des correspondances, Rép. dr. pén. pr. pén., n° 169). Le principe n'est toutefois pas absolu. Mais il ne reçoit exception que s'il apparaît que le contenu de ces correspondances est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction.

Le Code de procédure pénale roumain prévoit également une protection particulière en matière d'écoutes téléphoniques, laquelle n'a toutefois pas été jugée suffisante par la Cour européenne des droits de l'Homme, comme le révèle le présent arrêt rendu le 3 février 2015. En l'espèce, le requérant, avocat, avait été placé sur écoutes téléphoniques. Sa soeur, son compagnon et une tierce personne étaient associés d'une société commerciale qui faisait l'objet de diverses plaintes. Des poursuites étaient diligentées contre le compagnon et la tierce personne. Puis, par un jugement du 24 septembre 2004, le tribunal départemental autorisait le ministère public à intercepter et à enregistrer les conversations téléphoniques de ces trois protagonistes, pour une durée de trente jours, à partir du 27 septembre 2004. Du 27 septembre au 27 octobre 2004, les enquêteurs se fondaient sur l'autorisation du 24 septembre pour intercepter et enregistrer des conversations entre le requérant et sa soeur. Le contenu de ces enregistrements était transcrit sur un support papier, lequel comportait également le nom du requérant, sa profession d'avocat et son numéro de téléphone portable. Le 27 octobre 2004, les associés étaient placés en détention provisoire, à l'exception de la soeur du requérant. Ce requérant était désigné par le compagnon de celle-ci pour le représenter dans la procédure relative à son placement en détention provisoire et dans la procédure pénale. Le 17 mars 2005, le ministère public dressait un procès-verbal par lequel il mettait à la disposition du tribunal le support magnétique et les transcriptions des enregistrements effectués. Par un jugement rendu le 21 mars 2005, le tribunal faisait droit à la demande du Parquet de certification des enregistrements en jugeant qu'ils étaient utiles pour l'affaire et ordonna la mise sous scellés des transcriptions et du support magnétique au greffe du tribunal.

Le requérant saisissait les juridictions roumaines en soulignant notamment que les conversations professionnelles entre un avocat et son client ne pouvaient être ni mentionnées dans le procès-verbal de transcription, ni utilisées comme moyen de preuve dans la procédure pénale. Par un arrêt du 5 avril 2005, la cour d'appel déclarait le recours du requérant irrecevable, au motif que le Code de procédure pénale roumain ne prévoyait pas de voie de recours contre les jugements de certification d'enregistrements.

C'est dans ces conditions que le requérant saisissait la Cour européenne des droits de l'Homme en invoquant une violation notamment de l'article 8 de la Convention européenne. Les juges strasbourgeois ont constaté une violation de cet article en rappelant que l'interception des conversations d'un avocat avec son client porte incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre ces deux personnes (I). Ils ont alors sanctionné l'absence de tout contrôle efficace à la disposition du requérant pour faire valoir ses droits (II).

I - La réaffirmation de la confidentialité des échanges entre un avocat et son client

De manière récurrente, la Cour européenne des droits de l'Homme affirme que les communications téléphoniques se trouvent comprises dans les notions de "vie privée" et de "correspondance" au sens de l'article 8 § 1 de la Convention et que leur interception s'analyse par conséquent en une "ingérence d'une autorité publique" dans l'exercice du droit garanti par l'article 8 de la Convention (CEDH, 29 mars 2005, Req. n° 57752 /00 N° Lexbase : A6255DH7, § 27). Peu importe, à cet égard, que les écoutes litigieuses aient été opérées sur la ligne d'une tierce personne (CEDH, 24 août 1998, Req. 88/1997/872 /1084, § 21 N° Lexbase : A7236AWW, Recueil des arrêts et décisions 1998 ; CEDH, 25 juin 2013, Req. n° 18540/04, § 53, disponible en anglais ; CEDH, 19 novembre 2013, Req. 19267 /05, § 46 N° Lexbase : A6709KP8).

En tant que procédé intrusif, ces écoutes doivent évidemment faire l'objet d'un encadrement. Ainsi, en l'espèce, les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale roumain prévoyaient, en substance que, les enregistrements de communications sur bandes magnétiques ne pouvaient intervenir qu'en ultime recours, sur autorisation motivée du tribunal, à la demande du procureur, pour une durée maximum de trente jours dans les cas et conditions prévus par la loi. En particulier, il était prévu que ces enregistrements n'étaient possibles que dans le cas d'infractions contre la sûreté nationale prévues par le Code pénal et par d'autres lois spéciales, ainsi que dans les cas de trafic de stupéfiants, d'armes ou de personnes, d'actes de terrorisme, de blanchiment d'argent, de fabrication de fausse monnaie, ou d'infractions de corruption, ou bien dans le cas d'autres infractions graves qui ne peuvent pas être révélées ou dont les auteurs ne peuvent pas être identifiés par d'autres moyens, ou encore dans le cas d'infractions commises au moyen de communications téléphoniques ou par d'autres moyens de télécommunication. Il existait, par ailleurs, une procédure particulière de certification des enregistrements qui consiste dans la rédaction d'un procès-verbal qui doit comporter des informations sur le déroulement des interceptions et des enregistrements. Des dispositions spécifiques précisaient encore que la bande magnétique des enregistrements, leur transcription écrite et le procès-verbal étaient gardés au greffe du tribunal, dans des emplacements spécialement prévus, sous pli scellé. Il était enfin prévu que l'enregistrement des conversations entre un avocat et un justiciable ne pouvait pas être utilisé comme moyen de preuve.

C'est au regard de ces règles que la Cour européenne a précisé que "l'interception des conversations d'un avocat avec son client porte incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre ces deux personnes" et que "dans le contexte de l'affaire dont il s'agit, C.I. [la cliente] pourrait dénoncer le cas échéant une atteinte à ses droits en raison de l'interception de ses conversations avec son avocat. Cela étant, le requérant peut également se plaindre d'une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance en raison de l'interception de ses conversations, indépendamment de la qualité pour ester en justice de sa cliente" (§ 49). Il s'agissait donc pour la Cour d'apprécier la confidentialité des échanges du point de vue de l'avocat lui-même et non de son client.

Pour mémoire, on peut rappeler que le Code de procédure pénale français prévoit que les écoutes autorisées, par ordonnance du juge d'instruction, ne sont possibles pour les infractions punies d'une peine égale ou supérieure à 2 ans et pour une durée de quatre mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée. Certes, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), a étendu la possibilité d'autoriser l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications aux enquêtes préliminaires ou de flagrance liées à la criminalité organisée, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, mais uniquement pour une durée d'un mois renouvelable une fois et sans que cela ne soit applicable aux avocats. C'est dire que le pouvoir de prescrire, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, l'interception, l'enregistrement et la transcription de communications téléphoniques, que le juge d'instruction tient de l'article 100, trouve sa limite dans le respect des droits de la défense, qui commande, notamment, la confidentialité des correspondances téléphoniques de l'avocat désigné par la personne mise en examen. Seuls des indices de participation de cet avocat à une infraction peuvent permettre de déroger à ce principe. Cette garantie a été posée par la jurisprudence de la Chambre criminelle qui, dans un arrêt du 15 janvier 1997, a affirmé le principe selon lequel "si le juge d'instruction est, selon l'article 100 du Code de procédure pénale, investi du pouvoir de prescrire, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications, ce pouvoir trouve sa limite dans le respect des droits de la défense, qui commande notamment la confidentialité des correspondances téléphoniques de l'avocat désigné par la personne mise en examen ; qu'il ne peut être dérogé à ce principe qu'à titre exceptionnel, s'il existe contre l'avocat des indices de participation à une infraction" (Cass. crim., 15 janvier 1997, n° 96-83.753 N° Lexbase : A1274AC8, Bull. crim., n° 14). Dans cette espèce, la Chambre criminelle entre en voie de cassation en considérant qu'il ne résultait pas des motifs de la décision "que le juge d'instruction ait été, à la date où il a prescrit l'interception, en possession d'indices de participation de [l'avocat] à une activité délictueuse". De plus, du point de vue de la forme, la première garantie qui s'attache au placement sur écoute de la ligne téléphonique utilisée par un avocat est l'obligation d'aviser le bâtonnier de l'Ordre des avocats. L'article 100-7 du Code de procédure pénale, relatif aux interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications, prévoit en son deuxième alinéa qu'"aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d'instruction". Il s'agit là d'une formalité substantielle mise en oeuvre antérieurement au placement sur écoute et destinée à préserver en amont le secret des échanges entre l'avocat et son client, dès lors que le placement sur écoute concerne "une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile". Toute ligne susceptible d'être le support régulier de conversations protégées par le secret professionnel, qu'elle soit personnelle ou professionnelle, doit bénéficier d'une telle protection.

Toutefois, en l'espèce, tel n'était pas le cas, l'avocat n'étant aucunement impliqué dans une infraction n'était pas partie au procès. Pour autant, ses conversations ayant été enregistrées, il devait pouvoir bénéficier d'un contrôle efficace. C'est l'absence d'un tel contrôle qui est sanctionnée ici.

II - La sanction de l'absence de contrôle efficace

Si l'article 8 de la Convention n'est pas un droit absolu, la Cour rappelle que "les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l'article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante" (CEDH, 25 février 1993, Req. 11471/85, § 38 N° Lexbase : A6543AWA). La Cour "rappelle également qu'elle doit se convaincre de l'existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus" (CEDH, 29 mars 2005, Req. n° 57752/00 N° Lexbase : A6255DH7). Elle se montre particulièrement vigilante lorsque sont en cause des mesures attentatoires à la vie privée des avocats, jugeant que l'article 8 confère à la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients une "protection renforcée" (CEDH, 6 décembre 2012, Req. n° 12323/11, § 119 N° Lexbase : A3982IY7).

Pèse selon elle sur le magistrat en charge du contrôle des écoutes "l'obligation de ne pas méconnaître la confidentialité des relations entre l'avocat et le suspect ou inculpé" (CEDH, 24 avril 1990, Req. n° 11801/85 N° Lexbase : A6323AW4, § 34).

La Cour a ainsi pu affirmer que, "si l'article 8 protège la confidentialité de toute 'correspondance' entre individus, il accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients. Cela se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Or, un avocat ne peut mener à bien cette mission fondamentale s'il n'est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels. C'est la relation de confiance entre eux, indispensable à l'accomplissement de cette mission, qui est en jeu. En dépend en outre, indirectement mais nécessairement, le respect du droit du justiciable à un procès équitable, notamment en ce qu'il comprend le droit de tout 'accusé' de ne pas contribuer à sa propre incrimination" (CEDH, 6 décembre 2012, Req. 12323/11, § 118 précité).

De ce point de vue, le droit au respect de la vie privée doit être envisagé à la lumière des droits de la défense garantis par l'article 6 § 3 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Selon la Cour, "le droit, pour l'accusé, de communiquer avec son avocat hors de portée d'écoute d'un tiers figure parmi les exigences élémentaires du procès équitable dans une société démocratique et découle de l'article 6 § 3 c) de la Convention. Si un avocat ne pouvait s'entretenir avec son client sans surveillance et en recevoir des instructions confidentielles, son assistance perdrait beaucoup de son utilité" (CEDH, 27 novembre 2007, Req. 58295/00, § 30 N° Lexbase : A8575DZM).

Aussi l'avocat placé sur écoute doit-il, plus encore que n'importe quel citoyen, bénéficier d'un "contrôle efficace" tel que voulu par la prééminence du droit, apte à limiter l'ingérence à ce qui est "nécessaire dans une société démocratique". La Cour juge en ce sens que "si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d'un avocat, celles -ci doivent impérativement être assorties de garanties spéciales de procédure" (CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, § 37 N° Lexbase : A4497EQM). La Cour européenne a "eu l'occasion de mettre en exergue la garantie que constitue l'intervention du bâtonnier lorsque la préservation du secret professionnel des avocats est en jeu" (CEDH, Michaud c. France, préc., § 130), lorsque sont mises en oeuvre des perquisitions dans des lieux occupés par des avocats (CEDH, 16 octobre 2007, Req. 74336/01, § 63 N° Lexbase : A7516DYZ ; CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, préc., § 43).

Dans l'affaire "Xavier Da Silveira", alors que le Gouvernement arguait de ce que le requérant ne justifiait ni de son inscription auprès d'un barreau français ni d'une quelconque activité en France, la Cour insiste sur le fait que "dès le début de la perquisition, le requérant a été requis comme témoin et sa qualité d'avocat était connue, ce qui ressort expressément du procès-verbal rédigé par l'officier de police judiciaire pendant la perquisition. Il ressort également de ce procès-verbal qu'une fois dans l'appartement du requérant, ce dernier a expressément décliné sa qualité d'avocat au barreau de Porto" (CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, préc., § 40).

Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour européenne que même lorsqu'il existe un doute quant à la qualité d'avocat de la personne lors de la prescription de la mesure, le fait de la constater au début de son exécution commande de prendre des garanties particulières.

En ce sens, la Cour affirme dans cette affaire qu'"à supposer même que les juges aient pu avoir un doute sur sa qualité d'avocat, l'ensemble des circonstances de la cause devait, à tout le moins, les conduire à une certaine prudence et les inciter à contrôler sans délai ses allégations, et ce avant de procéder à la perquisition et aux saisies dans son domicile" (CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, préc., § 42).

Il convient encore de noter qu'elle tient compte du fait que la mesure litigieuse "concernait des faits totalement étrangers [à l'avocat], ce dernier n'ayant à aucun moment été accusé ou soupçonné d'avoir commis une infraction ou participé à une fraude quelconque en lien avec l'instruction" (CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05, § 43).

Or, tel était bien le cas en l'espèce. La solution rendue s'inscrit dans le droit fil de ces précédents.

En particulier, le requérant soulignait que le droit roumain ne réglementait pas expressément la situation de mise sur écoute des personnes qui ne faisaient pas l 'objet d'une enquête judiciaire, ni celle de mise sur écoute décidée après la date de commission de l'infraction ou alors que les prévenus et les faits étaient connus des autorités par d'autres moyens de preuve. A cet égard, la Cour européenne a noté qu'il n'avait pas fait lui-même l'objet d'une autorisation de mise sur écoute en raison de sa qualité d'avocat ou de sa relation avec sa soeur. Toutefois, elle a souligné que, lorsque les conversations d'une personne sont enregistrées et lorsqu'elles sont utilisées dans le cadre d'une affaire pénale, l'intéressé doit bénéficier d'un "contrôle efficace" pour pouvoir contester les écoutes téléphoniques en cause (§ 49).

En outre, si selon le Gouvernement, le requérant aurait pu contester la légalité des enregistrements dans le cadre de la procédure pénale au fond engagée contre les mis en cause au motif que les enregistrements litigieux avaient été versés dans ce dossier, la Cour a relevé que les articles du Code de procédure pénale mentionnés par le Gouvernement se référaient aux droits et obligations des parties dans le procès pénal. Or, le requérant n'était pas partie à la procédure, n'étant ni inculpé ni procureur. Et même s'il est vrai qu'il avait représenté l'un des inculpés dans le cadre de cette procédure pénale, sa qualité de représentant ne lui donnait pas le pouvoir d'intervenir dans la procédure en son nom propre. Il ne disposait donc pas directement de ce droit, celui-ci étant conditionné par le renvoi en jugement de ses clients et par les intérêts de ces derniers dans la procédure. Aussi, la Cour a-t-elle estimé que l'accessibilité de ce recours au requérant était nécessairement rendue incertaine et que l'ingérence litigieuse était, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnée par rapport au but visé et que, par conséquent, l'intéressé n'a pas bénéficié du "contrôle efficace" requis par la prééminence du droit et apte à limiter l'ingérence à ce qui était "nécessaire dans une société démocratique".

La question se posait également de savoir si un autre recours, civil en particulier, pouvait permettre de compenser l'absence de règles spécifiques prévues dans le Code de procédure pénale roumain. Il faut signaler que sur ce point, le Gouvernement avait invoqué la possibilité pour le requérant d'user de l'action civile en dédommagement. Néanmoins, la Cour européenne n'a pas été convaincue par cette voie, le Gouvernement n'ayant fourni aucun exemple de jurisprudence qui démontrerait l'effectivité de cette voie de recours. Elle a clairement précisé qu'un recours devant le juge civil pour une mise en cause de la responsabilité de l'Etat, de nature indemnitaire, ne serait pas de nature à permettre la réalisation d'un contrôle de la légalité des enregistrements litigieux et à aboutir, le cas échéant, à une décision ordonnant la destruction de ceux-ci -résultat recherché par le requérant-, de sorte que l'on ne peut y voir un "contrôle efficace" aux fins de l'article 8 de la Convention.

Cette précision est importante lorsque l'on sait qu'il a été jugé que le juge d 'instruction qui porte atteinte aux droits de la défense et au droit au respect de la vie privée dans le cadre d'écoutes judiciaires visant un avocat engage la responsabilité de l'Etat pour faute lourde (TGI Paris, 11 juillet 2001, n° RG 00/1241 N° Lexbase : A5440ECH, D., 2001, IR, 2806). Cette voie ne saurait donc suffire à assurer l'efficacité du contrôle au sens de la jurisprudence européenne.

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