La lettre juridique n°964 du 16 novembre 2023

La lettre juridique - Édition n°964

Assurances

[Brèves] Assurance mutuelle : l’adhérent valablement informé de la modification de ses garanties via le magazine mutualiste ?

Réf. : Cass. civ. 2, 9 novembre 2023, n° 21-25.515, F-B N° Lexbase : A14301XA

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N7408BZE

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 16 Novembre 2023

► Les modifications de garanties par les mutuelles doivent faire l'objet d'une notification individuelle préalable à l'adhérent dans un délai raisonnable pour lui permettre, le cas échéant, de résilier le contrat avec effet immédiat ; cette notification ne peut résulter de l'envoi du magazine mutualiste.

Selon l’article L. 221-4 du Code de la mutualité N° Lexbase : L4091LKQ, en matière d'opération individuelle, les statuts et règlements précisent les modalités de modification des contrats.

Si, selon l’article L. 221-5 du même code N° Lexbase : L2163LET, toute modification des statuts et règlements décidée par l'assemblée générale d'une mutuelle doit être portée à la connaissance des membres participants et des membres honoraires par la mutuelle, il résulte de ce même article, ainsi que de l’article L. 114-7 (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 4 mai 2017 N° Lexbase : L8781I3M applicable en l’espèce), que les modifications des garanties ou prestations ne sont applicables que lorsqu'elles ont été notifiées aux adhérents.

Peut-on alors considérer que l’envoi du magazine mutualiste aux adhérents vaut notification des modifications de garanties ?

La cour d’appel de Paris l’avait admis en l’espèce (CA Paris, 4, 8, 19 octobre 2021, n° 19/22028 N° Lexbase : A498449H). Pour débouter l’intéressé de sa demande, dirigée contre la MGEN, en paiement du solde du capital décès qui lui était dû du chef de sa défunte mère qui avait souscrit la garantie, la cour avait énoncé que les statuts en vigueur lors de l'adhésion prévoyaient que l'assemblée générale était compétente pour modifier les statuts, y inclus les dispositions relatives aux prestations. Elle avait ajouté que les modifications des statuts adoptées par l'assemblée générale de la mutuelle en juillet 2015, avec effet au 1er janvier 2016, et notamment les nouvelles modalités de calcul du montant de la prestation « décès » s'appliquaient dès lors que les adhérents avaient été informés de ces modifications par le magazine « Valeurs Mutualistes » de septembre-octobre 2015.

Mais la Cour suprême ne l’entend pas ainsi. Après avoir rappelé en détail la teneur des textes précités, elle en déduit que les modifications de garanties par les mutuelles doivent faire l'objet d'une notification individuelle préalable à l'adhérent dans un délai raisonnable pour lui permettre, le cas échéant, de résilier le contrat avec effet immédiat. Et d’ajouter clairement que cette notification ne peut résulter de l'envoi du magazine mutualiste.

L’arrêt est donc censuré par la Cour régulatrice qui relève qu’en l’espèce la modification portant sur le calcul du capital décès n'avait pas été notifiée individuellement à l’adhérent.

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Congés

[Brèves] Délai de report des congés payés non pris : enfin une réponse de la CJUE ?

Réf. : CJUE, 9 novembre 2023, aff. C-271/22 N° Lexbase : A69451UR

Lecture: 6 min

N7343BZY

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par Lisa Poinsot

Le 19 Novembre 2023

La Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 9 novembre 2023 ne répond pas à la question de la durée de report applicable aux congés payés, mais présente des éléments de réponse concernant l'application d'un délai de report illimité des congés payés prévue par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 septembre 2023.

Faits et procédure. Des salariés en CDI saisissent la juridiction prud'homale française en raison du refus de leur employeur de bénéficier de jours de congés acquis, mais non pris en raison d’arrêts de travail pour maladie. En outre, leur employeur a refusé de leur verser l’indemnité financière pour congé non pris après la fin de leur relation de travail. Dans le cadre de ce litige, le conseil de prud’hommes d’Agen s’interroge sur :

  • le point de savoir si les salariés peuvent se prévaloir du droit au congé annuel payé, visé à l’article 7, § 1 de la Directive n° 2003/88, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail N° Lexbase : L5806DLM, à l’égard de leur employeur ;
  • la durée de report raisonnable pouvant être retenue ;
  • le point de savoir si, en l’absence de disposition nationale délimitant ladite durée, l'application d'un délai de report illimité serait éventuellement conforme au droit de l’Union européenne.

Autrement dit, la juridiction prud’homale demande :

  • quelle est la durée de report raisonnable des congés payés ?
  • en l’absence de dispositions spécifiques réglementant ce droit au report, l’application d’un délai de report illimité, prévue par la Cour de cassation, est-elle contraire à la Directive ?

Rappel. Par trois arrêts en date du 13 septembre 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation a écarté le droit du travail français au profit du droit de l’Union européenne, en matière de congés payés :

  • Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340, FP-B+R N° Lexbase : A47891GH : les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnels ou non-professionnels) ont le droit de réclamer des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler ;
  • Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638, FP-B+R N° Lexbase : A47951GP : en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut être limitée à un an ;
  • Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-10.529, FP-B+R N° Lexbase : A47921GL : le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congé payé doit être fixé à l'expiration de la période déterminée au cours de laquelle le salarié doit prendre ses congés payés dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement.

    La CJUE relève que le Conseil d’État considère que le droit aux congés payés non pris expire 15 mois après la fin de l’année de référence. Au contraire, la Cour de cassation estime qu’il n’y a pas à limiter le report dans cette hypothèse.

    Les solutions.

    • Sur la question de la durée de report raisonnable des congés payés :

    Quelle doit être la durée de report applicable aux congés payés en cas de période de référence égale à 1 an ? La CJUE ne répond pas expressément à cette question. Elle se déclare incompétente pour définir la durée raisonnable de report du droit aux congés payés annuels. Selon elle, cette décision est du ressort de chaque État membre. Le rôle de la CJUE se limite en effet à s’assurer que les décisions prises au niveau national respectent les droits conférés par les normes européennes. Autrement dit, dès que le législateur national aura fixé la durée du report des congés payés, la CJUE pourra l'examiner afin de vérifier qu'elle n'est pas de nature à porter atteinte à ce droit au congé payé annuel.

    • Sur la question de l'application d'un délai de report illimité, prévue par la Cour de cassation, en l'absence de dispositions spécifiques réglementant ce droit de report :

    En l’absence de dispositions spécifiques limitant expressément au sein du Code du travail ce droit au report, est-ce que l'application d'un droit de report illimité, prévue par la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 septembre 2023, à défaut de dispositions conventionnelles sur le report, est conforme au droit de l'Union européenne ? La CJUE indique que les limites du droit de report doivent être prévues par la législation propre à chaque État membre. Elle rappelle néanmoins qu'une logique de cumul illimité de droits à congés payés ne répond pas à la finalité du droit à congés payés annuels. 

    En outre, la CJUE précise que le droit de l'Union européenne ne s'oppose pas, en l'absence de dispositions conventionnelles, à ce que le législateur ou le juge national permette au salarié de demander pour deux périodes de référence consécutives, le bénéfice des congés payés acquis mais non pris en raison d'un arrêt maladie longue durée, si cette demande est réalisée dans un délai de 15 mois qui suit la fin de la période de référence. 

    Pour aller plus loin :

     

    newsid:487343

    Contrats et obligations

    [Jurisprudence] Une dose d’unilatéralisme supplémentaire dans l’application de la résolution par notification

    Réf. : Cass. com., 18 octobre 2023, n° 20-21.579, FP-B+R N° Lexbase : A08341N9

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    N7386BZL

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    par Aurélie Dardenne, Docteur en droit

    Le 15 Novembre 2023

    Mots-clés : contrat • résolution par notification • inexécution contractuelle • mise en demeure

    Le créancier mettant en œuvre la résolution par voie de notification, prévue à l’article 1226 du Code civil, est dispensé de mettre en demeure le débiteur défaillant lorsque toute chance d’exécution de la prestation serait vouée à l’échec.


     

    La résolution du contrat ne cesse de bousculer l’actualité jurisprudentielle de l’année de 2023. Après avoir, en janvier 2023, placé la résolution au premier plan en considérant que la mise en œuvre judiciaire de celle-ci est détachée de toute faute du débiteur [1], la Cour de cassation apporte, par cet arrêt, des précisions sur la résolution du contrat par voie de notification. Promis à une publication élargie, et notamment aux honneurs du rapport annuel de la Cour de cassation, cette décision considère que le créancier, agissant en résolution du contrat sur le fondement de l’article 1226 du Code civil N° Lexbase : L0937KZQ, est dispensé de mettre en demeure son débiteur lorsque celle-ci s’avérerait vaine.

    En l’espèce, deux sociétés avaient conclu un contrat portant sur l’entretien de machines et équipements mécaniques. Alors qu’elles étaient en relation d’affaires depuis plusieurs années, en décembre 2016, le client a accepté un devis du prestataire portant sur la maintenance d’un équipement capital à son activité. Le prestataire a effectué plusieurs réparations, mais ces dernières sont toutes avérées insatisfaisantes, entraînant une détérioration des relations entre les deux parties. Le 22 mars 2017, le prestataire a informé le client de son intention de mettre un terme à la relation et invoquant le comportement insultant et méprisant du dirigeant de son cocontractant. Il l’a, par ailleurs assigné en paiement de diverses factures.

    Le 22 septembre 2020, la cour d’appel de Poitiers fait droit à cette demande, un pourvoi en cassation est formé à l’initiative du débiteur des factures impayées. Ce dernier conteste la résolution du contrat en raison de l’absence de mise en demeure. Dès lors, la question posée à la Haute juridiction est la suivante : la résolution du contrat par voie de notification implique-t-elle nécessairement une mise en demeure lorsqu’il apparaît que cette dernière est vouée à l’échec ?

    Au visa des articles 1224 N° Lexbase : L0939KZS et 1226 N° Lexbase : L0937KZQ du Code civil, la Cour de cassation répond par la négative et rejette le pourvoi. Elle indique ainsi qu’une « telle mise en demeure n’a cependant pas à être délivrée lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine ». Par cette formule, les Hauts magistrats semblent ajouter une nouvelle exception à l’exigence de mise en demeure posée à l’article 1226 du Code civil (I), ce qui n’est pas exempt de toute interrogation (II).

    I. L’intégration d’une nouvelle exception à la nécessaire mise en demeure dans le cadre de la résolution

    La résolution par notification, telle que consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, exige une mise en demeure du débiteur défaillant (A). Toutefois, ce principe souffre d’une exception légale dans le cadre de l’urgence. L’arrêt commenté semble introduire une nouvelle dérogation, d’origine prétorienne, lorsque les effets de la mise en demeure seraient vains (B).

    A. Le principe : l’exigence d’une mise en demeure du débiteur défaillant

    L’article 1224 du Code civil N° Lexbase : L0939KZS vise les trois formes de résolution admises par le Code civil. L’application de cette institution suppose soit une la mise en œuvre d’une clause résolutoire insérée dans le contrat litigieux, soit une décision de justice, soit une inexécution suffisamment grave.

    Cette dernière hypothèse, introduite par l’ordonnance du 10 février 2016, faisait suite à une longue évolution jurisprudence qui admettait progressivement la possibilité de mettre fin aux contrats sans avoir à passer par le juge dans des cas bien déterminés où la poursuite du contrat, même de façon temporaire, aurait conduit à un préjudice irréparable ou à un péril imminent. L’arrêt « Tocqueville » avait franchi un pas supplémentaire en estimant que « la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls » [2]. Qualifiée parfois d’unilatérale [3], l’intégration de cette forme de résolution au sein du Code civil ne s’est pas faite sans soulever son lot d’hésitations. La crainte sous-jacente était d’accorder un pouvoir trop important au créancier, à savoir celui de mettre le contrat à néant sans véritable contrôle a priori [4]. Il pourrait en résulter des comportements opportunistes où le créancier aurait plus facilement la possibilité de sortir d’un contrat qui ne lui est plus profitable sans pour autant que l’inexécution de son débiteur soit flagrante voire existante, le possible contrôle du juge s’effectuant a posteriori [5].

    L’un des garde-fous face à ces risques d’utilisation abusive de ce mécanisme se trouve dans la procédure à mettre en œuvre afin de parvenir à l’anéantissement du contrat. L’article 1226 du Code civil N° Lexbase : L0937KZQ, reprenant les solutions jurisprudentielles antérieures, a conditionné la réalisation de la résolution par voie de notification à l’établissement d’une mise en demeure préalable du débiteur défaillant. Cette dernière, outre le fait qu’elle accorde un dernier délai d’exécution au débiteur, tend à informer celui-ci de l’intention du créancier de procéder à la résolution contrat [6]. Elle a également une fonction probatoire indéniable dans la mesure où elle permet de caractériser la gravité de l’inexécution, condition nécessaire à l’application de la résolution unilatérale.

    B. L’ajout d’une exception prétorienne à la mise en demeure au côté de l’exception légale

    Une exception légale est admise quant à cette exigence de mise en demeure, il s’agit de l’hypothèse d’urgence [7]. En d’autres termes, si la poursuite du contrat s’avérerait trop néfaste pour le créancier ou lui fait craindre un péril irrémédiable, il peut directement procéder à l’anéantissement du contrat sans avoir à se conformer à la nécessité de notifier une mise en demeure.

    En l’espèce, en l’absence de clause contractuelle, seules les résolutions judiciaire et par notification étaient envisageables. Par lettre en date du 22 mars 2017, le prestataire a manifesté à son client son intention de rompre le contrat sans l’avoir préalablement mis en demeure de régler les factures impayées. À l’appui de sa décision de résoudre le contrat, ce dernier invoquait deux éléments : d’une part, un manquement à l’obligation de paiement incombant au client et, d’autre part, le comportement insultant de celui-ci empêchant tout dialogue entre les parties. Les juges ont été séduits par cette argumentation en considérant que la résolution avait pris effet en dépit de l’absence de mise en demeure préalable. La raison en est simple : ce formalisme se trouvait inutile dès lors que le climat conflictuel entre les deux sociétés laissait penser que le délai qui aurait pu être octroyé au débiteur pour exécuter ses obligations aurait été sans effet. En d’autres termes, la situation avait atteint un point de non-retour retirant toute utilité à la mise en demeure. Dès lors, les juges introduisent une nouvelle exception à l’exigence de mise en demeure posée à l’article 1226 du Code civil. Celle-ci n’est plus exigée lorsqu’elle s’avérerait vaine en pratique.

    Si la solution est souhaitable dans la perspective de la protection des droits du créancier, le fondement retenu par les juges à l’appui de leur décision pose question. À aucun moment, ces derniers ne se réfèrent à l’exception légalement posée à l’article 1226 du Code civil, à savoir la situation d’urgence. Ils invoquent le fait que la mise en demeure serait vaine et semblent ainsi consacrer une nouvelle exception à la mise en demeure non prévue dans le texte légal.

    Concernant les conséquences de cette exception, il convient de se référer à ce qui est appliqué en matière d’urgence, à savoir que la simple notification de la résolution du débiteur suffit à provoquer la fin du contrat [8]. Dès lors, à compter de cette dernière, l’anéantissement du contrat prend effet et les éventuelles restitutions doivent être mises en œuvre, conformément à l’article 1229 du Code civil N° Lexbase : L0934KZM et aux articles 1352 N° Lexbase : L1003KZ8 et suivants du Code civil. En l’espèce, c’est donc à compter de la lettre du 22 mars 2017 qu’il fallait considérer le contrat comme résolu.

    II. Une nouvelle exclusion aux contours flous et aux applications potentiellement dangereuses

    L’insertion d’une nouvelle exception à la mise en demeure prévue à l’article 1226 du Code civil interroge à deux égards. D’une part, elle n’est que la manifestation d’un renforcement de l’unilatéralisme dans le processus d’anéantissement du contrat, pourtant fortement décrié en doctrine (A). D’autre part, cette nouvelle exception semble difficile à détacher de la situation d’urgence au point où son utilité peut paraître contestable (B).

    A. Une solution tendant à accroître les pouvoirs unilatéraux des contractants

    Du point de vue de la politique juridique, cette solution ne conduit-elle pas à renforcer les incertitudes et les critiques à l’égard de la résolution par notification jugée comme conférant un pouvoir unilatéral contestable au créancier  ? En effet, la résolution unilatérale constitue une exception au principe de se faire justice à soi-même [9] et en ce sens, il est impératif qu’elle soit encadrée pour éviter toute dérive. Comme indiqué précédemment, l’exigence de mise en demeure jouait comme une forme de garde-fou face aux risques d’abus des créanciers, tentés de provoquer la résolution davantage dans le but de se sortir d’un courant d’affaires qui ne leur est plus profitable que de sanctionner une inexécution flagrante et grave du contrat. Cette assertion est d’autant plus vraie qu’il peut être difficile de déterminer les éléments permettant d’affirmer avec certitude que l’exécution du contrat ne sera pas réalisée par le débiteur après mise en demeure. L’établissement de critères relève éminemment de la sphère subjective et d’une appréciation in concreto de chaque situation.

    Certes, on peut comprendre la volonté des juges de poursuivre l’œuvre du législateur en restaurant l’efficacité du droit des contrats [10]. La résolution par notification du contrat a été pensée comme un instrument permettant de « garantir la célérité nécessaire à la bonne marche des affaires sans sacrifier les intérêts légitimes du débiteur » [11]. Il paraît nécessaire de permettre à un créancier raisonnablement insatisfait de ne pas rester emprisonné dans des liens contractuels qui ne lui apportent pas les bénéfices escomptés. La limite reste toutefois mince entre la protection accrue et nécessaire du créancier face à l’inexécution du débiteur et le basculement vers une vision beaucoup plus libérale du contrat, dictée par l’analyse économique du droit [12]. L’introduction d’une dose supplémentaire d’unilatéralisme par la suppression de la mise en demeure dans la résolution par notification, lorsque celle-ci serait vouée à l’échec, peut être interprétée comme un glissement progressif vers ce second système, dont les vertus peinent à être percées à jour. En effet, alors que l’introduction de la résolution unilatérale est censée permettre un désengorgement des tribunaux, cette conséquence reste peu visible dans la mesure où le débiteur conserve la possibilité de contester l’application de la résolution unilatérale [13] ou refuse de tirer les conséquences de l’anéantissement du contrat. Si on ajoute à ce contentieux, déjà bien fourni, toute une série de litiges relatifs à la nécessite d’une mise en demeure préalable à la résolution, les avantages de la déjudiciarisation semblent se réduire comme une peau de chagrin.

    Certes, l’arrêt mentionne que la mise en demeure n’est pas nécessaire lorsqu’il « résulte des circonstances qu’elle est vaine » et non qu’elle serait vaine. Selon un auteur, l’utilisation du présent de l’indicatif permet d’insister sur l’exigence de certitude de l’inutilité de la mise en demeure pour se passer de celle-ci [14]. Pour autant, dans le cas d’espèce, il est possible de douter que la discourtoisie du dirigeant de la société contractant soit réellement un obstacle à l’exécution d’une obligation de paiement. En d’autres termes, il paraît excessif d’affirmer que le client ne procédera pas au paiement des sommes mises à charge à partir de son seul comportement méprisant et insultant.

    B. Une distinction complexe entre mise en demeure vaine et situation d’urgence

    D’un point de vue plus technique, il est possible de se demander si l’insertion d’une nouvelle exception était véritablement souhaitable. L’exécution vaine de l’obligation contractuelle ne constitue-t-elle pas en soi une forme d’urgence, justifiant l’absence de mise en demeure préalable conformément à l’article 1126 du Code civil [15] ? Cette position est conforme à la jurisprudence antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. Dans un arrêt en date du 22 septembre 1996, la Cour de cassation avait retenu un cas de dispense à l’établissement d’une mise en demeure dans l’hypothèse où le débiteur s’était montré agressif voire harcelant [16]. Les juges avaient rattaché ce comportement à une situation d’urgence, solution qui paraît cohérente dans la mesure où l’on peut facilement imaginer qu’un tel comportement puisse être à l’origine d’un préjudice imminent pour le créancier. La doctrine est également en ce sens, en rattachant l’exécution vaine de l’obligation à une forme d’urgence, dans la mesure où maintenir ce formalisme conduirait seulement à poursuivre un contrat dont on sait qu’il ne sera pas exécuté [17]. Il convient, dès lors, de permettre au créancier d’en sortir rapidement pour éviter que cette situation d’attente ne conduise à un dommage.

    En l’espèce, les juges relèvent que le comportement du client est tout à fait « inacceptable » compte tenu « des propos tenus, ou du fait d’imposer des dates d’intervention non convenues ». Dans le contexte de relation d’affaires entre deux sociétés, il est bien évident qu’une telle situation ne peut persister et doit être contenue dans les plus brefs délais. Il apparaît que la volonté des juges est de permettre à un créancier dans une situation intenable, en raison du comportement de son débiteur, de s’échapper de la relation d’affaires. Cela est d’autant plus vrai que, comme indiqué précédemment, un comportement incorrect sur le plan social n’empêche pas en tant que tel l’exécution d’une obligation monétaire. L’idée d’urgence est donc bien prégnante et il apparaît difficile de se figurer une situation où il y aurait une déconnexion entre exécution vaine de l’obligation et urgence.

     

    [1] Cass. com., 18 janvier 2023, n° 21-16.812, F-B N° Lexbase : A6065887 : D. Houtcieff, Lexbase Droit privé, 27 avril 2023, n° 944 N° Lexbase : N5226BZL ; Dalloz actualité, 24 janvier 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023, p.587 , note M. Garnier-Zaffagnini ; RTD civ. 2023, p.99, obs. H. Barbier.

    [2] Cass. civ. 1, 13 octobre 1998, n° 96-21.485 N° Lexbase : A9121ARA, D.1999, p.197, note C. Jamin ; D.1999, p.115, obs. P. Delebecque ; R.T.D. civ. 1999, p.394, obs. J. Mestre ; J.C.P. G. 1999. II. 10133, note N. Rzepecki ; Defrénois 1999, p.374, obs. D. Mazeaud. La solution a, par la suite, été reprise plusieurs fois : Cass. civ. 1, 28 octobre 2003, n° 01-03.662, F-P N° Lexbase : A9913C9Z, JCP G 2004, II, 10108, note C. Lachieze, Contrats, conc. consom. 2004, comm. 4, note L. Leveneur, ; Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 06-10.229, F-D N° Lexbase : A6947DUT. Elle a également été étendue aux contrats à durée indéterminée : Cass. civ. 1, 20 février 2001, no 99-15.170, publié au bulletin N° Lexbase : A3376ARH ; D. 2001, p.1568, note C. Jamin ; D.2001, p. 3239, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2001, p. 363, obs. J. Mestre et B. Fages ; Cass. civ. 1, 28 octobre 2003, no 01-03.662, F-P N° Lexbase : A9913C9Z. Plus récemment, voir également : Cass. com., 6 décembre 2016, no 15-12.981, F-D N° Lexbase : A3931SPB.

    [3] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 604, n° 653. De manière plus générale sur l’unilatéralisme en droit des obligations : C. Jamin et D. Mazeaud, L’unilatéralisme et le droit des obligations, éd. Economica, Coll. Etudes juridiques, n°9, 1999.

    [4] De manière générale est redouté un glissement vers la théorie anglo-saxonne de l’efficient breach of contract. Voir sur cette question, v. : C. Popineau-Dehaullon, Les remèdes de justice privée à l’inexécution du contrat. Etude comparative, Thèse LGDJ, T.408.

    [5] T. Genicon, Point d’étape sur la rupture unilatérale du contrats aux risques et périls du créancier, R.D.C. 2010, p. 44.

    [6] X. Lagarde, Remarques sur l’actualité de la mise en demeure, JCP G. 1996, n°46, I, 3974.

    [7] Pour une application pratique, v. : Cass. civ. 1, 20 mars 2014, no 12-27.943, F-D N° Lexbase : A7442MH4.

    [8] D. Houtcieff, Droit des contrats, 8ème éd., Coll. Paradigme, p.763, n°990.

    [9] D. Houtcieff, ouvr. préc., p.759, n° 986.

    [10] C. Hélaine, Résolution par voie de notification : pas de nécessité de mise en demeure si celle-ci est vaine, Dalloz actu 24 octobre 2023.

    [11] F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 902 et 903, n° 804.

    [12] A. Brès, La résolution du contrat par dénonciation unilatérale, Th. Litec, p.15, n° 17.

    [13] T. Genicon, La résolution du contrat pour inexécution, th., L.G.D.J., Bibl. dr. privé, 2007, n°605 ; S. Amrani-Mekki, La résiliation unilatérale des contrats à durée déterminée, Defrénois 2003, art. 37688.

    [14] C. Hélaine, art. préc.

    [15] C. Hélaine, art. préc.

    [16] Cass. civ. 1, 22 septembre 1996, no 15-20.614, F-D N° Lexbase : A0061R4Z.

    [17] O. Deshayes, La mise en demeure préalable aux sanctions de l'inexécution contractuelle : état des lieux critique après la réforme de 2016, RDC 2019, p.29.

    newsid:487386

    Cotisations sociales

    [Jurisprudence] Supplément de participation et d’intéressement : la Cour de cassation exige la conclusion d'un accord

    Réf. : Cass. civ. 2, 19 octobre 2023, n° 21-10.221, F-B N° Lexbase : A65121NI

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    par Charlotte Debiemme, Avocate, cabinet ærige avocats

    Le 16 Novembre 2023

    Mots-clés : intéressement • participation • supplément • cotisations sociales • formalisme • redressement URSSAF

    La Cour de cassation valide dans cet arrêt la réintégration dans l’assiette des cotisations de Sécurité sociale du supplément de participation et d’intéressement qui n’a pas fait l’objet d’un accord spécifique. Pourtant, il résulte des textes que la conclusion d’un tel accord est facultative, et limitée au cas dans lequel le supplément est réparti selon des modalités distinctes de celles prévues par l’accord initial. Retour sur le contexte spécifique de cette décision qui n’a pas manqué de surprendre.


    Le supplément est une enveloppe destinée à compléter les sommes versées conformément à l’accord de participation ou d’intéressement, et bénéficiant du même régime social et fiscal [1].

    Il a été institué afin de permettre aux entreprises d’augmenter ponctuellement le montant des sommes versées aux salariés à ce titre, lorsque les profits constatés sur l’année le permettent [2]. Il s’agit ainsi de corriger le décalage qui peut exister entre les bons résultats de l’entreprise et un montant de participation ou d’intéressement qui ne reflèterait pas cette performance [3].

    Dans cette affaire, l’Urssaf avait considéré que les suppléments de participation et d’intéressement ne pouvaient bénéficier du régime social de faveur que s’ils avaient été formalisés par avenants, régulièrement déposés par l’entreprise [4].

    L’entreprise se prévalait par conséquent de l’existence de protocoles d'accord de négociation annuelle, qui avaient fait l’objet d’un dépôt et comportaient des dispositions relatives au supplément.

    Cet argument n’a prospéré ni devant la cour d’appel d’Amiens [5] ni devant la Cour de cassation, qui ont toutes deux validé le redressement.

    La Haute juridiction a ainsi jugé que le supplément de participation ou d’intéressement aurait en l’espèce dû faire l’objet d’un accord spécifique prévoyant ses modalités de répartition, et être régulièrement déposé auprès de l’administration du travail.

    I. Singularité du supplément de participation ou d’intéressement

    Les règles de négociation et d’élaboration de la formule de calcul de la participation et de l’intéressement sont particulièrement strictes. Dans cet environnement juridique encadré, le supplément se distingue par son caractère unilatéral, et la liberté dont disposent les organes décisionnaires pour en fixer le montant [6]. Il est de ce fait régi par des règles propres, qui dérogent aux principes applicables en la matière.

    A. Absence de négociations

    La décision de verser le supplément de participation ou d’intéressement appartient au conseil d’administration ou au directoire ou, à défaut, à l’employeur [7].

    Il s’agit donc d’une décision unilatérale [8] des organes décisionnaires de l’entreprise. Le montant du supplément est par ailleurs déconnecté de toute formule de calcul préétablie.

    Cette dérogation au caractère négocié de la participation et l’intéressement a une origine historique. En effet, lorsque le supplément a été institué en 2006, il s’agissait d’une solution « pragmatique », destinée à compenser l’insuffisante flexibilité de la formule de calcul de la participation, et à encourager le développement de l’intéressement [9]. Cela explique que l’exigence d’aléa, qui conditionne le bénéfice du traitement social de faveur de l'intéressement, ne s’applique pas au mécanisme ainsi créé. 

    Les suppléments de participation et d’intéressement ont été pensés comme un « dividende du travail » [10]. Bien qu’ils puissent être considérés comme inadaptés [11], ces termes éclairent les raisons qui ont présidées à leur création.

    Il s’agissait de permettre aux entreprises de redistribuer une partie de leurs bénéfices aux salariés, selon des modalités calquées sur celles prévues pour la distribution des dividendes aux actionnaires. Le législateur avait en effet relevé que le montant des dividendes versés aux actionnaires était proposé par le conseil d’administration, et que la partie du bénéfice non versée en dividendes était réinvestie dans l’entreprise sans pouvoir être versée aux salariés [12].

    Les suppléments de participation et d’intéressement ont ainsi été conçus comme le pendant, au bénéfice des salariés, des dividendes versés aux actionnaires. Cela explique qu’ils soient décidés par les organes de direction [13], en dehors de toute négociation.

    Cette compétence des instances dirigeantes a pour corollaire l’absence de dépôt auprès de l’administration du travail de la décision relative au supplément.

    En effet, les textes [14] imposent uniquement le dépôt des accords de participation et d’intéressement.

    La décision de verser le supplément, qui n’est pas un accord, n’a donc pas à être déposée, ce que l’administration a confirmé dans une circulaire régulièrement publiée de 2007. Si dépôt il y a, l’administration en accuse réception sans procéder à l’examen de ses termes [15].

    B. Inapplicabilité des règles relatives à la révision des accords

    Dans cette affaire, l’Urssaf avait considéré que l’absence de dépôt d’avenants formalisant les suppléments de participation et d’intéressement entraînait la perte du bénéfice du régime social de faveur [16].

    Pourtant, ses caractéristiques excluent que la décision de verser le supplément puisse être qualifiée d’avenant à l’accord initial.

    En effet, on l’a vu, cette décision est prise unilatéralement par les organes de direction de l’entreprise.

    À l’inverse, l’intéressement et la participation ne peuvent par principe être mis en place [17] et révisés que par la voie collective. Les avenants aux accords de participation ne peuvent en effet être conclus que selon l'une des formes prévues pour la signature des accords [18], tandis que les avenants aux accords d’intéressement doivent être signés par l’ensemble des signataires de l’accord initial [19].

    Il en résulte que la décision de verser le supplément, qui est prise discrétionnairement par les organes décisionnaires de l’entreprise, ne peut juridiquement pas constituer un avenant à l’accord initial.

    En outre, afin de garantir leur caractère aléatoire, les avenants aux accords d’intéressement doivent être conclus au cours de la première moitié de l’exercice [20].

    Le versement du supplément d’intéressement, quant à lui, ne peut être décidé que postérieurement à la clôture de l’exercice [21], une fois connu le montant de l’enveloppe dégagée conformément à la formule de calcul prévue par l’accord [22].

    La décision de verser le supplément est donc nécessairement trop tardive pour pouvoir prendre la forme d’un avenant à l’accord d’intéressement.

    La cour d’appel d’Amiens n’a d’ailleurs pas exigé que le supplément d’intéressement soit formalisé par avenant, mais qu’il fasse l’objet d’un accord spécifique. Elle a en revanche jugé que le supplément de participation devait donner lieu à la conclusion d’un accord spécifique ou d’un avenant à l’accord initial.

    La Cour de cassation, quant à elle, n’a repris à son compte que l’exigence de conclusion d’un accord spécifique.

    II. Imbroglio autour de l’accord spécifique de répartition

    Bien que la décision de verser le supplément se situe hors champ de la négociation collective, le législateur a consacré la faculté de conclure un accord spécifique. Cette faculté est réservée par les textes au cas dans lequel la répartition du supplément diffère de celle prévue par l’accord initial. Dès lors, comment expliquer que la Cour de cassation ait exigé dans l’affaire commentée la conclusion d’un tel accord, alors même que la répartition n’était pas modifiée ?

    A. Caractère facultatif de l’accord spécifique tel que prévu par les textes

    Il résulte des textes que le supplément de participation ou d’intéressement peut être réparti selon deux modalités alternatives [23].

    Il s’agit soit des modalités de répartition prévues par l'accord initial, soit de modalités distinctes prévues par un accord spécifique conclu selon les modalités prévues pour la conclusion des accords de participation ou d’intéressement [24].

    Ainsi, la conclusion d’un accord spécifique ne s’impose que si l’entreprise souhaite que le supplément d’intéressement ou de participation soit réparti selon des modalités distinctes de celles prévues par l’accord initial. Dans le cas contraire, l’adoption de la décision unilatérale des organes décisionnaires de l’entreprise prévoyant le montant du supplément suffit.

    L’administration a confirmé le caractère facultatif de l’accord de répartition dans le Guide de l’épargne salariale, qui est certes dépourvu de caractère opposable, mais ne fait sur ce point qu’expliciter le texte. Ainsi, l’administration envisage expressément le cas dans lequel la décision unilatérale n’est pas complétée par un accord spécifique [25].

    En outre, les textes cantonnent le champ de l’accord spécifique à la répartition du supplément, les partenaires sociaux n’ayant aucune prérogative s’agissant de la détermination de l’enveloppe distribuée.

    L’accord ne peut donc porter que sur les modalités de répartition du supplément, ce que l’administration a confirmé dans la circulaire de 2007 [26].

    Le Guide de l’épargne salariale rappelle également, pour l’intéressement, qu’il s’agit d’un « accord spécifique de répartition facultatif », dont « le champ est strictement limité à la répartition du supplément si, et seulement si, cette répartition est différente de celle de l’accord d’intéressement » [27].

    Pour la participation, il souligne qu’en cas de conclusion d’un accord spécifique, « seules les règles de répartition dudit supplément sont susceptibles d’être négociées » [28].

    B. Généralisation de l’exigence de conclusion d’un accord spécifique ?

    En l’espèce, il ressort des termes de l’arrêt que les suppléments d’intéressement et de participation avaient été répartis dans les conditions prévues par les accords en vigueur. La répartition initiale n’étant pas modifiée, la conclusion d’un accord spécifique n’avait en principe pas lieu d’être.

    Pourtant, l’Urssaf a exigé que le supplément soit formalisé par avenant, régulièrement déposé. L’entreprise a par conséquent fait valoir que les suppléments de participation et d’intéressement avaient été mentionnés dans les accords relatifs à la négociation annuelle sur les salaires [29].

    La cour d’appel d’Amiens a alors jugé que le fait que les accords de négociation annuelle incluent des dispositions relatives au supplément ne suffisait pas à établir qu'un accord spécifique [30] avait été conclu. Cette décision pouvait surprendre, dans la mesure où la conclusion d’un tel accord ne s’imposait pas au cas particulier puisque la répartition n’était pas modifiée. On comprend toutefois à la lecture de l’arrêt que cet argument n’avait pas été soulevé.

    À nouveau, devant la Cour de cassation, l’entreprise a fait valoir que « l'avenant prévoyant un supplément » pouvait être institué par accord collectif, et que le protocole d'accord de négociation annuelle, qui avait été régulièrement déposé, remplissait cette condition.

    La Cour a alors jugé que « lorsque l'augmentation de la réserve spéciale de participation est négociée par la voie collective, le supplément de participation doit faire l'objet d'un accord spécifique prévoyant les modalités de répartition entre les salariés ».

    La Haute juridiction se prononce ainsi sur un cas non prévu par les textes, celui de la mise en place négociée du supplément de participation. Il pourrait donc être considéré que la portée de cet arrêt devrait être limitée au cas dans lequel le supplément de participation a fait l’objet de négociations alors que les textes ne le permettent pas.

    Alors que l’adoption d’un attendu identique pour le supplément d’intéressement aurait semblé cohérente, la Cour a jugé que « lorsqu'un accord d'intéressement a été négocié dans l'entreprise, l'employeur ne peut mettre en œuvre un supplément d'intéressement qu'en application d'un accord spécifique dont l'objet est de prévoir les modalités de répartition du supplément d'intéressement ».

    Elle vient ainsi imposer qu’un accord spécifique relatif à la répartition soit conclu et déposé dès qu’un supplément d’intéressement est prévu, sans préciser, comme elle l’a fait pour la participation, que cette obligation s’impose lorsque le supplément a été négocié par la voie collective.

    La solution ne peut qu’étonner, et est source d’insécurité juridique pour les entreprises. Peut-être pourrait-on imaginer qu’elle aurait été différente si les suppléments de participation et d’intéressement n’avaient pas été intégrés à la négociation annuelle. En effet, la détermination de l’enveloppe du supplément relève des prérogatives de la direction. L’engagement d’une négociation sur ce point pourrait donc conduire à considérer que les sommes versées ne répondent pas à la définition du supplément, et constituent donc du salaire.

    Ce n’est néanmoins pas ainsi que la Cour justifie sa décision, celle-ci imposant expressément la conclusion d’un accord spécifique régulièrement déposé lorsque le versement d’un supplément est décidé, par la voie négociée pour la participation, et en tout état de cause pour l’intéressement.

    La prudence doit donc être de mise, et ce d’autant plus que le projet de loi transposant l’ANI relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise [31] prévoit de nouvelles obligations pour les entreprises en la matière. En effet, dans les entreprises de cinquante salariés et plus [32], les accords de participation et d’intéressement devront désormais prévoir la mise en œuvre d’un dispositif de partage de la valeur en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice. Ce dispositif pourra notamment prendre la forme d’un supplément de participation ou d’intéressement, mais l’arrêt commenté pourrait inciter les entreprises à privilégier le versement d’une prime de partage de la valeur, ou d’un abondement sur un plan d’épargne.


    [1] Sous réserve notamment que le résultat de la formule de calcul soit positif, et que les plafonds légaux soient respectés.

    [2] Guide de l’épargne salariale [en ligne], p. 41.

    [3] Guide de l’épargne salariale, p. 97.

    [4] Selon les termes de l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens.

    [5] CA Amiens, 3 décembre 2020, RG n° 19/06145 N° Lexbase : A923038D.

    [6] Dans la limite des plafonds individuel et collectif applicables.

    [7] C. trav., art. L. 3324-9 N° Lexbase : L5785IAI et L. 3314-10 N° Lexbase : L4958LR3.

    [8] Circ. DSS/DGT n° 2007/199, du 15 mai 2007 N° Lexbase : L6346HXC, publiée au Bulletin officiel du ministère du Travail, des Relations sociales, et la famille et de la solidarité du 30 mai 2008, question n° 5 ; Guide de l’épargne salariale, p. 42-43, p. 98.

    [9] Rapport n° 3339 de M. Jean-Michel Dubernard au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié, p. 68.

    [10] Loi n° 2006-1770, du 30 décembre 2006, pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social N° Lexbase : L9268HTG, art. 1er : afin de favoriser le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, est créé un dividende du travail reposant notamment sur le supplément d'intéressement ou de participation.

    [11] Voir notam. Rapport n° 46 de Mme Isabelle Debré au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 25 octobre 2006 : « ce supplément est parfois qualifié de « dividende du travail », bien que cette formule soit impropre, le dividende désignant la rémunération du capital ».

    [12] Rapport n° 3339 de M. Jean-Michel Dubernard au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié, p. 68.

    [13] Sans faire, contrairement aux dividendes, l’objet d’un vote de l’Assemblée générale.

    [14] C. trav., art. L. 3323-3 N° Lexbase : L7669LQ4 et L. 3313-4 N° Lexbase : L7706LQH.

    [15] Circ. DSS/DGT n° 2007/199, du 15 mai 2007, préc., publiée au Bulletin officiel du Ministère du travail, des relations sociales, et la famille et de la solidarité du 30 mai 2008, question n° 5.

    [16] Selon les termes de l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens.

    [17] La mise en place unilatérale de la participation est réservée aux entreprises de moins de cinquante salariés dont les négociations sur le sujet ont échoué (C. trav., art. L. 3326-6 N° Lexbase : L7712LQP). L’intéressement peut désormais être mis en place unilatéralement dans les entreprises de moins de cinquante salariés non couvertes par un accord de branche, soit qu’elles n’aient ni CSE ni délégués syndicaux, soit que les négociations aient échoué (C. trav., art L. 3312-5, II N° Lexbase : L7456MDI), ce qui n’était pas possible à l’époque des faits.

    [18] Circ. du 14 septembre 2005, relative à l’épargne salariale N° Lexbase : L1463HDK, Dossier participation, Fiche 2, III. A ; Guide de l’épargne salariale, p. 69.

    [19] C. trav., art. D. 3313-5 N° Lexbase : L2787MGC.

    [20] Ou la première moitié de la période de calcul si celle-ci ne correspond pas à l’exercice (C. trav., art. D. 3313-6 N° Lexbase : L7832L8L, qui impose que l’avenant soit déposé selon les mêmes formalités et délais que l’accord).

    [21] C. trav., art. L. 3314-10 N° Lexbase : L4958LR3.

    [22] Cass. civ. 2, 11 juillet 2019, n° 18-16.412, F-D N° Lexbase : A3248ZKI : le supplément d’intéressement ne peut être versé avant que le montant de la prime d’intéressement allouée à chaque bénéficiaire ait été déterminée.

    [23] C. trav., art. L. 3324-9 et L. 3314-10. Les modalités de répartition prévues par l’accord spécifique doivent être conformes aux articles L. 3314-5 N° Lexbase : L7459MDM et L. 3324-5 N° Lexbase : L6535LQ4.

    [24] Accord collectif, accord conclu avec les représentants d'organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ou avec le CSE, ou ratification, sous conditions, par la majorité des deux tiers du personnel, et désormais décision unilatérale pour l’intéressement, sous conditions.

    [25] Guide de l’épargne salariale, p. 43.

    [26] Circ. DSS/DGT n° 2007/199, du 15 mai 2007, publiée au Bulletin officiel du Ministère du travail, des relations sociales, et la famille et de la solidarité du 30 mai 2008, questions n° 2 et 3.

    [27] Guide de l’épargne salariale, p. 42.

    [28] Guide de l’épargne salariale, p. 98.

    [29] Les termes des arrêts ne permettent en revanche pas de déterminer si la décision des organes de direction relative aux suppléments avait été formalisée.

    [30] Ou d'un avenant à l'accord initial pour la participation.

    [31] Le projet de loi va être examiné par la commission mixte paritaire après adoption en première lecture par l’Assemblée nationale le 29 juin et par le Sénat le 17 octobre 2023.

    [32] Ayant des délégués syndicaux.

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    Fiscalité des entreprises

    [Jurisprudence] Rémunération des associés de société d’exercice libéral : les dividendes versés aux SPFPL doivent être soumises à cotisations sociales

    Réf. : Cass. civ. 2, 19 octobre 2023, n° 21-20.366, F-B N° Lexbase : A65071NC

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    par Sarah Maubert-Mendez et Alex Ajroud, Avocats associés, Ceno Avocats

    Le 15 Novembre 2023

    Mots-clés : société d’exercice libéral • bénéfice • revenus d’activité non salariée • dividendes • société de participations financières de profession libérale • cotisations sociales

    Le 19 octobre dernier, la Cour de cassation a délivré une analyse surprenante en matière de dividendes versés à une société de participations financières de profession libérale, appelée plus communément « SPFPL ».  


     

    Ce type de société à objet spécial, institué par la loi « Murcef » du 11 décembre 2001 [1] constituait à l’époque une innovation puisqu’elle dotait les professionnels libéraux de la possibilité de se constituer des « holdings ». Toutefois, la pratique et l’usage de ces sociétés ne tarderait pas à démontrer, et une fois de plus avec cette jurisprudence, les limites de ce véhicule.

    Dans l’affaire en cause, et rejetant le pourvoi formé par le justiciable, la Cour de cassation juge, sur le fondement de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L6945LNK, que « les bénéfices de la société d’exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral ».

    La publication de cet arrêt a suscité de nombreuses réactions et critiques, notamment parmi les professionnels libéraux, directement concernés par la portée de cet arrêt.

    Au préalable, délivrons quelques éléments de contexte : un chirurgien-dentiste exerce son activité professionnelle au sein d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée, détenue par deux associés, le chirurgien-dentiste lui-même, pour 10 parts sociales, et une SPFPL détenant le solde des participations, soit 990 parts sociales, dont le propre capital est réparti à parts égales entre le chirurgien-dentiste et son épouse.

    De manière très classique, les associés de la société d’exercice libérale prennent la décision de distribuer des dividendes. Toutefois, ces dividendes sont réintégrés par la Caisse autonome des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (la CARCDSF) dans l’assiette des cotisations vieillesse dues par le chirurgien-dentiste à titre de travailleur indépendant. Le praticien porte le contentieux devant les juridictions civiles et il est débouté en appel.

    Pour justifier de sa décision, la cour d’appel d’Aix-en-Provence se fonde sur l’article L.131-6, III du Code de la sécurité sociale, qui dispose qu’ « est également prise en compte, dans les conditions prévues par le deuxième alinéa, la part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du Code général des Impôts perçus par le travailleur indépendant non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés […] qui est supérieure à 10% du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant […] ».

    La cour d’appel considère que les dividendes versés par la société d’exercice libéral à la SPFPL ont un caractère professionnel dès lors que le chirurgien-dentiste était seul associé professionnel de la société d’exercice libéral et qu’il était le seul à générer des revenus permettant de constituer les dividendes ensuite versés à la SPFPL. La cour considère qu’il bénéficie ainsi indirectement de la distribution de dividendes qui constitue la rémunération de son travail et non un revenu du capital.

    Contestant cette analyse, le chirurgien-dentiste se pourvoit en cassation, au moyen notamment que l’article L. 131-6 précité ne concerne que des dividendes distribués au travailleur indépendant et aux personnes qui lui sont liées, et non les dividendes versés à une société holding soumise à l’impôt sur les sociétés et non appréhendés par le travailleur, conséquence logique et implacable de l’indépendance entre personne physique et personne morale.

    Malgré les moyens soulevés par le justiciable, la Cour de cassation finit par rejeter le pourvoi le 19 octobre dernier.
    Elle rappelle dans un premier temps la lettre de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale, et en tire la conclusion que « le bénéfice de la société d’exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle, et doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral ».

    La Cour de cassation va donc plus loin que la juridiction d’appel en affirmant que c’est en réalité le bénéfice global réalisé par la société d’exercice libéral qui constitue le produit de l’activité professionnelle du travailleur indépendant et non uniquement les dividendes versés. Le fait que les dividendes aient été distribués à la SPFPL ne serait donc qu’un élément d’espèce sans influence sur l’assujettissement du bénéfice réalisé par la société d’exercice libéral aux cotisations sociales. La simple réalisation d’un bénéfice rendrait donc celui-ci soumis aux cotisations sociales et ce peu important que ce bénéfice soit mis en réserve ou réellement distribué.

    La décision de la juridiction suprême doit être commentée sur plusieurs points.

    En premier lieu, en considérant que le bénéfice réalisé par la société d’exercice libéral doit être regardé comme un produit de l’activité professionnelle du travailleur indépendant, la Cour ajoute à la loi, et à la lettre de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale. En effet, celui-ci réserve l’assujettissement aux cotisations sociales aux revenus mentionnés aux articles 108 N° Lexbase : L2059HLT à 115 N° Lexbase : L4106MG8 du Code général des impôts. Or, l’article 108 précité mentionne expressément les revenus distribués, définis par l’article 109 du même Code N° Lexbase : L2060HLU comme les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital, et comme toutes les sommes mises à disposition des sociétés et non prélevées sur les bénéfices.

    Dès lors, en l’absence de distribution effective, les bénéfices mis en réserve ne devraient donc pas être assujettis aux cotisations sociales, contrairement à ce que semble suggérer la cour qui considère que « les bénéfices de la société d'exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l'assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués ».

    La fiscalité des dividendes des sociétés d’exercice libéral a été largement discutée en jurisprudence. Le Conseil d’État lui-même estimait un temps que les dividendes versés aux associés d’une société de capitaux constituant des revenus du patrimoine imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, les dividendes versés aux associés de sociétés d’exercice libéral ne pouvaient être regardés comme des revenus professionnels assujettis aux cotisations vieillesse [2]. À la suite de cette jurisprudence, de nombreux recours avaient été initiés par nombre de caisses professionnelles, ce qui a entraîné un revirement, porté par la décision de la Cour de cassation, considérant alors que les dividendes perçus directement par l’associé d’une société d’exercice libéral constituaient le produit de son activité professionnelle et que les sommes distribuées devaient être prises en compte dans l’assiette de ses cotisations sociales [3]. Le législateur est intervenu [4] pour donner suite à cette jurisprudence en requalifiant, pour partie, une fraction des dividendes des associés de société d’exercice libéral. Cette fraction correspond au montant des dividendes et des revenus des comptes courants excédant 10% du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte-courant. L’application de cotisations sociales aux revenus distribués directement aux associés de société d’exercice libéral a également été validé par le Conseil constitutionnel [5]. L’intégralité des décisions précitées et des modifications législatives précitées concerne toutefois les distributions intervenant directement au profit des associés-personne physique. Aucun élément ne permet à la Cour de cassation de tirer des conclusions plus larges en intégrant dans l’assiette des cotisations sociales les bénéfices versés à une société intermédiaire et non réellement appréhendées par l’associé de la SPFPL.

    Ensuite, il semble que la Cour méconnaisse ici le principe élémentaire de séparation des personnes physiques et des personnes morales en précisant qu’il « importe peu qu'au regard de la réglementation applicable, la société de participations financières soit dotée d'une personnalité morale distincte et soit soumise à l'impôt sur les sociétés et non à l'impôt sur le revenu ». Toutefois, il ressort de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale que les revenus, pour être assujettis aux cotisations sociales, doivent être perçus par le travailleur indépendant, son conjoint, son partenaire civil, ou leurs enfants mineurs non émancipés. La liste est donc limitative. Or, une SPFPL est une structure d’exercice détenant la personnalité morale, acquise dès lors qu’elle obtient son immatriculation [6]. Elle est alors soumise à l’impôt sur les sociétés et reste exclue de la liste de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale, quand bien même le travailleur indépendant y serait associé, égalitaire ou majoritaire.

    La question des cotisations sociales appliquée sur les distributions de dividendes issues de SPFPL a été posée par la pratique. Durant un certain temps, l’usage des SPFPL a permis à certains professionnels de se distribuer des dividendes sans cotisations sociales. Une modification du texte est intervenue [7] afin que les rémunérations versées par les SPFPL aux associés-personne physique soient, quelles que soient leurs formes, soumises aux cotisations sociales. L’analyse de la Cour de cassation dans l’arrêt du 19 octobre dernier semble mélanger les différentes règlementations appliquées aux distributions des sociétés d’exercice libéral et des SPFPL au bénéfice exclusif de personnes physiques et soumet aux cotisations sociales les distributions intermédiaires réalisées aux bénéfices des SPFPL, quand bien même ces dernières n’auraient pas procédé à une redistribution au bénéfice des associés-personne physique.

    Enfin, la décision de la Cour de cassation est également largement discutable dans la mesure où elle remet en cause la notion même de bénéfice dans une société d’exercice libéral, ce qui pourrait amener à une différence de traitement entre le bénéfice issu de l’activité libérale et le bénéfice issu d’une activité commerciale ou industrielle, qui ne serait, quant à lui, jamais soumis à cotisations sociales, qu’il soit distribué ou non.

    À la lecture de cette décision, les professionnels libéraux sont en droit de s’interroger sur plusieurs points.

    Dans un premier temps, cette décision est-elle applicable à toutes les sociétés d’exercice libéral ou doit-elle se limiter aux seules sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée, sujet du cas d’espèce. Au vu de la mise à jour de la doctrine administrative [8] en vigueur en matière de revenus des associés de sociétés d’exercice libéral exerçant leurs fonctions au sein de la structure, ce qui inclue notamment les sociétés d’exercice libéral par actions simplifiée, traitant les rémunérations techniques exclusivement comme du BNC, il nous semble que cette décision soit transposable à toutes les sociétés d’exercice libéral.

    Dans un deuxième temps, doit-on considérer que la décision de la Cour est motivée par la présence d’un associé professionnel unique, et qu’il en serait différemment si plusieurs associés exerçaient leurs fonctions dans la société. Il semble, à la lecture de l’arrêt, que chacun serait assujetti aux cotisations sociales pour la part du bénéfice correspondant à son pourcentage de détention capitalistique.

    Dans un troisième temps, en serait-il de même si plusieurs associés professionnels étaient associés de la SPFPL, de sorte qu’aucun d’eux ne soit majoritaire. Il peut être considéré également que cela n’aurait pas d’impact sur la décision, la Cour traitant du bénéfice réalisé dans la société d’exercice libéral seulement, sans que la décision de distribution ne modifie l’analyse.

    Chacun devra désormais s’interroger encore davantage sur son mode de rémunération et rester attentif à une éventuelle réaction du législateur. Dans l’attente, il semblerait que les praticiens doivent aujourd’hui se méfier et adopter deux comportements préventifs :

    • dans un premier temps, en opérant un temps d’arrêt sur les créations de SPFPL, qui n’ont aujourd’hui plus aucun intérêt pratique pour les professionnels libéraux à la suite de l’analyse de la Cour, alors même que leur intérêt était déjà plus que limité comparé aux holdings traditionnelles utilisées chez les professionnels non libéraux ;
    • dans un second temps, envisager le versement, comme rémunérations au cours de l’exercice, des sommes correspondantes au bénéfice qui aurait été réalisé en fin d’exercice, pour éviter une double taxation de ce bénéfice, à l’impôt sur les sociétés et aux cotisations sociales.

      [1] Loi n° 2001-1168, du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (MURCEF) N° Lexbase : L0256AWE.

      [2] CE 1° et 6° ssr., 14 novembre 2007, n° 293642, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5808DZ7.

      [3] Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, FS-P+B+R N° Lexbase : A5228D87.

      [4] Loi n° 2008-1330, du 17 décembre 2008, de financement de la sécurité sociale pour 2009, art. 22 N° Lexbase : L2678IC8.  

      [5] Cons. const., décision n° 2010-24 QPC, du 6 août 2010 N° Lexbase : A9232E73.

      [6] Loi n° 90-1258, du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales N° Lexbase : L3046AIN.

      [7] Loi n° 2013-1203, du 23 décembre 2013, de financement de la sécurité sociale pour 2014, art. 11 N° Lexbase : L6939IYN.

      [8] BOI-BNC-DECLA-10-10, en date du 5 janvier 2023.

      newsid:487381

      Fiscalité internationale

      [Brèves] Rulings fiscaux adoptés par l’Irlande en faveur d’Apple : l’avocat général demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’UE

      Réf. : CJUE, communiqué de presse, 9 novembre 2023

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      N7344BZZ

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      par Marie-Claire Sgarra

      Le 15 Novembre 2023

      Dans l’affaire opposant la Commission européenne à l’Irlande, l’avocat général propose l’annulation de l’arrêt du Tribunal sur les rulings fiscaux adoptés par l’Irlande en faveur d’Apple.

      Pour rappel, la Commission européenne a par une décision du 30 août 2016 conclu que l’Irlande avait accordé à Apple des avantages fiscaux indus pour un montant de 13 milliards d’euros [en ligne].

      La Commission européenne a conclu que deux rulings fiscaux émis par l'Irlande en faveur d'Apple avaient substantiellement et artificiellement réduit le montant de l'impôt payé par l'entreprise en Irlande depuis 1991. Pratiquement tous les bénéfices de vente enregistrés par les deux sociétés étaient affectés en interne à un « siège ». L'appréciation de la Commission a montré que ces « sièges » n'existaient que sur le papier et n'auraient pas pu générer de tels bénéfices. Conséquence, le taux d'imposition effectif sur les sociétés appliqué à Apple sur les bénéfices d'Apple Sales International n'était que de 1 % en 2003 et est passé à 0,005 % en 2014.

      Dans sa décision du 15 juillet 2020, le Tribunal de l’Union européenne a censuré la décision de la Commission européenne de retenir d’une part qu’une décision fiscale anticipative prise par l’administration irlandaise au profit d’Apple était une aide d’État, et d’autre part que cette aide d’État était illégale au regard du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et devait donc être remboursée (Trib. UE, 15 juillet 2020, aff. T-778/16, Irlande c/ Commission européenne N° Lexbase : A18323RB). La décision fiscale anticipative portait sur une définition de l’assiette d’imposition sur les bénéfices, au regard de prix de transfert pratiqués par le groupe Apple. La Commission a fait appel de cette décision et l’affaire est pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne (aff. C-465/20 P).

      Lire en ce sens :

      • I. Aubert, Affaire « Apple » : comment la jurisprudence européenne a goûté au fruit interdit de la probatio diabolica en matière d’aides d’État, Lexbase Fiscal, avril 2021, n° 860 N° Lexbase : N7004BY3 ;
      • L. Lombard, Tax ruling et aides d’État : le contentieux se poursuit devant le Tribunal de l’Union européenne, Lexbase Fiscal, octobre 2021, n° 881 N° Lexbase : N9078BYU.

      Dans ses conclusions [en ligne], l’avocat général propose à la Cour d’annuler l’arrêt et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci se prononce à nouveau sur le fond.

      Selon l’avocat général, le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit lorsqu’il a jugé que la Commission n’avait pas suffisamment prouvé que les licences de propriété intellectuelle détenues par ASI et AOE et les bénéfices y afférents, générés par les ventes des produits Apple en dehors des États-Unis, devaient être attribués à des fins fiscales aux succursales irlandaises. L’avocat général considère également que le Tribunal n’a pas apprécié correctement l’existence et les conséquences de certaines erreurs méthodologiques qui, selon la décision de la Commission, entachaient les rulings fiscaux. Pour l’avocat général, il est nécessaire que le Tribunal effectue une nouvelle appréciation.

      newsid:487344

      Internet

      [Jurisprudence] (Ancien) référé-internet : absence de subsidiarité

      Réf. : Cass. civ. 1, 18 octobre 2023, n° 22-18.926, FS-B N° Lexbase : A08221NR

      Lecture: 10 min

      N7347BZ7

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      par Caroline Le Goffic, Professeur à l’Université de Lille, Membre du CRDP – Équipe LERADP

      Le 16 Novembre 2023

      Mots-clés :  référé • internet • contenu illicite • FAI • hébergeur • injonction • subsidiarité

      Il résulte de l'article 6, I, 8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, que la recevabilité d'une demande contre les fournisseurs d'accès à internet aux fins de prescription de mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage causé par le contenu de tels services de communication, n'est pas subordonnée à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux.


       

      L’arrêt rendu le 18 octobre 2023 par la première chambre civile de la Cour de cassation vient trancher utilement une question d’une grande importance pratique qui était fort débattue : faut-il, dans le cadre de la procédure de « référé-internet » instituée par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 N° Lexbase : L2600DZC), imposer au requérant d’une demande de blocage d’un contenu auprès d’un fournisseur d’accès à internet (FAI) la démonstration préalable de l’action, ou du moins de la tentative d’action, auprès du fournisseur d’hébergement, éditeur ou auteur du contenu en cause ?

      Les faits étaient les suivants. Deux associations de protection de l'enfance, les associations « e-Enfance » et « La Voix de l'Enfant », avaient assigné, les 2, 3 et 4 août 2021, plusieurs FAI (les sociétés SFR fibre, Orange, Orange Caraïbe, Free, Bouygues Télécom, Colt Technologyservices et Outremer Télécom ainsi que la Société française du radiotéléphone (SFR) et la Société réunionnaise du radiotéléphone) devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris. Ces associations sollicitaient du tribunal qu'il ordonne à ces fournisseurs une mesure de blocage, à partir du territoire français, de neuf sites internet pornographiques accessibles sans restriction d'âge, sur le fondement de la violation de l'article 227-24 du Code pénal N° Lexbase : L7492L9D. En effet, cet article punit de trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité́ humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, [...] lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».

      Par ordonnance de référé́ en date du 8 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Paris avait rejeté́ ces demandes, au motif que les associations requérantes ne prouvaient pas qu'elles auraient cherché́ à établir l'identité́ des hébergeurs, auteurs ou éditeurs, conformément aux exigences de l'article 6 I, 8 de la « LCEN ».

      Selon ce texte, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, ou, à défaut, à toute personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un tel service de communication.

      Cette procédure, dite « référé-internet », semble, du moins selon la lettre de la disposition, reposer sur un principe de subsidiarité. C’est en ce sens que la cour d’appel [1] avait confirmé l’ordonnance de référé, estimant irrecevables les demandes des associations au motif que « les requérants à une mesure de blocage auprès des fournisseurs d'accès à l'Internet doivent établir l'impossibilité d'agir efficacement et rapidement contre l'hébergeur, l'éditeur ou l'auteur ». Or, en l’espèce, les associations ne rapportaient pas la preuve d’une telle action.

      Saisie d’un pourvoi formé par les associations, la Cour de cassation casse l’arrêt pour violation de la loi en les termes suivants : « la recevabilité d'une demande contre les fournisseurs d'accès à l'Internet aux fins de prescription de ces mesures n'est subordonnée ni à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux ».

      Cette décision importante condamne ainsi toute application d’un principe de subsidiarité (I). En cela, la Cour de cassation aligne le régime de l’action sur celui, postérieur, institué par la réforme issue de la loi du 24 août 2021 (II).

      I. L’absence de toute subsidiarité

      Faut-il poursuivre l’hébergeur d’un contenu illicite avant de poursuivre le FAI ? La lettre de l’article 6 I, 8 de la « LCEN » semble aller en ce sens, en ce qu’elle vise d’abord l’hébergeur, puis, « à défaut », le FAI. Il semble donc bien que, dans la volonté du législateur, la mise en cause des FAI soit subsidiaire, c’est-à-dire conditionnée à la preuve d’une vaine poursuite préalable des hébergeurs, plus directement concernés par la présence en ligne des contenus illicites [2].

      Dans leur commentaire de l’arrêt ici cassé par la Cour de cassation [3], des auteurs relèvent également que « les débats parlementaires relatifs à [la LCEN] allaient également dans ce sens, et les sénateurs Pierre Hérisson et Bruno Sido indiquaient ainsi, dans leur rapport sur le projet de loi, que les pouvoirs du juge des référés de faire cesser un dommage occasionné par un service de communication au public en ligne « consistent à ordonner prioritairement des mesures visant les hébergeurs, l'ordre n'étant donné aux fournisseurs d'accès de tout faire pour empêcher l'accès à un contenu mis en ligne qu'en l'absence d'autre solution permettant de faire cesser le dommage » (Rapport n° 345 fait au nom de la commission des affaires économiques et du plan sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique, p. 16) ».

      Les juges du fond ont, à de multiples reprises, fait application de ce principe de subsidiarité [4], estimant que, dès lors qu'un trouble manifestement illicite était causé par un service de communication au public en ligne, et notamment par un site internet, les requérants qui souhaitent mobiliser le référé-internet de l'article 6 I, 8 de la LCEN devaient prioritairement agir contre l'hébergeur du site litigieux.

      Toutefois, dans un arrêt du 19 juin 2008 [5], la Cour de cassation avait fortement limité la portée de cette règle de subsidiarité, considérant que les fournisseurs d'accès peuvent directement être attraits, sans poursuite préalable des hébergeurs : « la prescription de ces mesures n'est pas subordonnée à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement ». Les juges du fond avaient cependant interprété cette solution comme signifiant que « « s'il n'est pas exigé́ des requérantes qu'elles mettent dans la cause les hébergeurs, éditeurs et auteurs de contenus, il leur appartient à tout le moins d'établir qu'ils ne peuvent agir contre ces derniers de manière efficace et rapide »[6]. Dans l’affaire ici en cause, la  cour d’appel s’était fondée sur ce motif pour prononcer l’irrecevabilité des associations à agir contre les FAI. Les requérantes avaient en effet fait valoir que les sites internet litigieux étant hébergés à l'étranger, le tribunal ne pouvait dès lors valablement leur opposer l'obligation de réclamer prioritairement le blocage aux hébergeurs. La cour d’appel avait considéré, en sens contraire, qu’une action aurait été́ possible devant les hébergeurs, qui pouvaient, même s'ils étaient étrangers, être identifiés par l'intermédiaire des services gratuits de « Who Host This ? » (WHOIS). Les juges en avaient même fait la démonstration, allant jusqu’à identifier eux-mêmes les hébergeurs de certains des sites internet pornographiques litigieux, dont, notamment, l'hébergeur français OVH. Ainsi avaient-ils soumis la recevabilité de l'action en référé à la condition, sinon d'une mise en cause ou d'une tentative de mise en cause de l’hébergeur du contenu illicite, du moins d'une démonstration de l'impossibilité d'agir contre ce dernier.

      En censurant cette décision, la Cour de cassation condamne clairement toute application du principe de subsidiarité. Elle pose la règle suivante, dépourvue de toute ambiguïté : il résulte de l’article 6 I, 8, de la LCEN, dans sa rédaction applicable aux faits, antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 N° Lexbase : L6128L74, que « la recevabilité d'une demande contre les fournisseurs d'accès à l'Internet aux fins de prescription de ces mesures n'est subordonnée ni à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux ». En d’autres termes, le référé-internet n’est soumis à aucune règle de subsidiarité, et les requérants peuvent agir directement contre les FAI, sans avoir préalablement mis en cause – ou tenté de le faire – les hébergeurs, pas davantage que les fournisseurs de contenus (éditeurs ou auteurs), que l’article 6, I, 8, de la LCEN ne mentionne d’ailleurs nullement.

      Cette solution, qui semble aller à l’encontre de la lettre de l’article 6, I, 8, de la LCEN, se justifie sans doute par la volonté de la Cour de cassation de permettre au juge d’ordonner sans obstacle, directement, les mesures les plus rapides et efficaces pour lutter contre la présence de contenus illicites sur internet.

      Par ailleurs, par cette position, la Cour de cassation aligne la jurisprudence sur la solution imposée postérieurement par la loi.

      II. Un alignement sur la suppression légale du principe de subsidiarité

      L’arrêt de la Cour de cassation présente l’avantage de mettre la jurisprudence au diapason du régime applicable ultérieurement à la procédure instaurée par l’article 6, I, 8 de la LCEN. En effet, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a modifié cette disposition, réformant profondément la nature du référé-internet. La rédaction du texte, issue de cette réforme, est désormais la suivante : « le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d'y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ».

      En application de cette réforme, la procédure n’est désormais plus une procédure de référé, mais bien une procédure accélérée au fond, soumise aux règles posées par l'article 839 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8609LYI. Par ailleurs, la loi de 2021 a supprimé toute référence au principe de subsidiarité. Désormais, plus aucune ambiguïté n’existe : il n’est nullement requis de démontrer que des tentatives d'actions ont été́ réalisées auprès de l'hébergeur dans le cadre de la procédure de l'article 6 I, 8 de la LCEN. Cette procédure peut désormais être initiée directement à l'encontre des FAI, ou plus généralement de toute personne susceptible de contribuer à la prévention ou la cessation d'un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne, par exemple un moteur de recherche à l’encontre duquel on peut requérir une injonction de déréférencement.

      En ce sens, bien que la loi du 24 août 2021 ne soit pas, temporellement, applicable aux faits en cause dans l’affaire, la Cour de cassation a vraisemblablement entendu aligner sa jurisprudence sur le nouveau régime désormais applicable. La cohérence des solutions mérite de ce point de vue l’approbation.

       

      [1] CA Paris, 19 mai 2022, n° 21/18159.

      [2] En ce sens, W. Duhen, Le principe de subsidiarité dans la résolution de litiges sur Internet, RLDI, juillet 2013, n° 95, p. 81.

      [3] CA Paris, 19 mai 2022, préc., Dalloz IP/IT, 2022, p. 654, obs. C. Coutelier et E. Daoud.

      [4] V. notam. TGI Paris, référé, 10 février 2012, n° 12/51224 N° Lexbase : A9328IDT – TGI Paris, référé, 22 septembre 2014, n° 14/55415 N° Lexbase : A1062NE3 – TJ Paris, référé, 8 janvier 2020, n° 19/58624 N° Lexbase : A27783GY, RLDI, février 2020, n° 167, p. 21.

      [5] Cass. civ. 1, 19 juin 2008, n° 07-12.244, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2184D9R, CCE, 2008, comm. 99, obs. Ch. Caron ; JCP G, 2008, II, 10171, note C. Hugon ; D., 2008, 1894, obs. C. Manara.

      [6] V. notam., en ce sens, CA Paris, 1-2, 28 mai 2015, n° 13/15570 N° Lexbase : A0981SBX.

      newsid:487347

      Licenciement

      [Brèves] Périmètre de l'obligation de reclassement dans un groupe de sociétés n'ayant pas exactement le même secteur d'activité

      Réf. : Cass. soc., 8 novembre 2023, n° 22-18.784, F-B N° Lexbase : A48321UI

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      N7377BZA

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      par Charlotte Moronval

      Le 17 Novembre 2023

      ► Le périmètre à prendre en considération pour l'exécution de l'obligation de reclassement se comprend de l'ensemble des entreprises du groupe dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, peu important qu'elles appartiennent ou non à un même secteur d'activité.

      Faits et procédure. Un salarié, exerçant les fonctions de magasinier vendeur, est licencié pour motif économique.

      Il conteste son licenciement devant la juridiction prud'homale. La cour d’appel considère que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Elle retient que les sociétés du groupe, qui ont pour objet la réalisation de travaux, n'ont pas le même secteur d'activité que l’entreprise à laquelle appartenait le salarié, qui a pour objet le négoce. Elle en déduit que la permutabilité entre les membres du personnel de ces sociétés n'est pas établie et que le périmètre de la recherche d'un poste de reclassement ne comprenait donc pas ces sociétés.

      Le salarié forme un pourvoi en cassation.

      La solution. La Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond.

      Rappel. le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel (C. trav., art. L. 1233-4 N° Lexbase : L7298LHR).

      En se déterminant comme elle l’a fait, par des motifs insuffisants à caractériser que les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation des différentes entreprises du groupe auquel la société appartient ne leur permettaient pas d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

      Pour aller plus loin : 

      • confirmation de jurisprudence : v. déjà Cass. soc., 13 décembre 2011, n° 10-21.745, F-D N° Lexbase : A4940H8H : le reclassement doit être recherché dans les entreprises du groupe entre lesquelles une permutation du personnel est possible, peu important qu'elles n'aient pas exactement le même secteur d'activité ;
      • v. aussi ÉTUDE : L’obligation de reclassement et d’adaptation du salarié, Les activités, l'organisation ou le lieu de travail permettant la permutation de tout ou partie du personnel, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E4777EX9.

      newsid:487377

      Marchés publics

      [Jurisprudence] La fourniture de biens spécifiquement destinés à répondre aux exigences d’un marché déterminé relève d’un contrat de sous-traitance

      Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 17 octobre 2023, n° 465913, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A17861NH

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      par Ana Gonzalez, Avocat associé et Sarah Moussous, Avocat, ARISTEE AVOCATS

      Le 15 Novembre 2023

      Mots clés : sous-traitance • CCTP • caractéristiques techniques • paiement direct • silence du titulaire

      Dans cette affaire, le Conseil d’État a considéré que la fourniture de biens présentant des caractéristiques techniques particulières répondant spécifiquement aux exigences du CCTP du marché doit faire l’objet en l’espèce d’un contrat de sous-traitance.


       

      La commune de Viry-Chatillon a conclu un marché public de travaux avec la société S3C Construction, ayant notamment pour objet la réhabilitation de trois écoles maternelles. Par un acte spécial, signé par la commune, le titulaire a confié à un tiers -  la société Maugin -  la « fabrication » de menuiseries.

      Le contentieux porte sur une demande de paiement direct au maître d’ouvrage. Pour déterminer le régime du paiement demandé par la société Maugin, le juge qualifie la relation contractuelle en contrat de sous-traitance, retenant que de par la spécificité des biens qu’elle avait fournis et son intervention dans la pose de ses biens, elle ne pouvait être considérée comme un « simple » fournisseur. Le contrat liant la société Maugin avec le titulaire du marché présentait donc bien le caractère d’un contrat de sous-traitance lui permettant de bénéficier du paiement direct par le maître d’ouvrage.

      En ce qui concerne le paiement, le refus opposé par le titulaire à la demande en paiement du sous-traitant n’étant pas motivé, et intervenu en dehors du délai légal, il ne saurait faire obstacle au paiement du sous-traitant.

      Cet arrêt clarifie la distinction entre le contrat de sous-traitance et les contrats voisins (I.), et il précise le régime du paiement direct du sous-traitant (II.).

      I. La clarification de la distinction entre le contrat de sous-traitance et les contrats voisins

      A. Un contrat de fourniture n’est pas un contrat de sous-traitance

      La sous-traitance est définie par l’article L. 2193-2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4572LRR [1] comme :

      « l'opération par laquelle un opérateur économique confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l'exécution d'une partie des prestations du marché conclu avec l'acheteur. Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur principal à l'égard de ses propres sous-traitants. »

      Le contrat de sous-traitance suppose que l’entreprise exécute une partie du marché public, ce qui n’est pas le cas en présence d’un contrat de fourniture.

      Comme le rappelle Monsieur Nicolas Labrune dans ses conclusions sur cet arrêt :

      « Pour qualifier une entreprise de sous- traitant, la seule question est donc de savoir si cette entreprise est bien impliquée dans l’exécution même du marché. C’est là ce qui distingue le sous-traitant du fournisseur : le fournisseur intervient dans le cadre de l’exécution des marchés de travaux ou de services, en apportant les biens nécessaires à l’exécution des travaux ou des services, mais il n’exécute pas lui-même le marché. Dans les termes du droit privé, que vous avez repris dans votre décision Département du Gard, le contrat de fournitures n’est pas un contrat d’entreprise. Le critère, pour qualifier une entreprise de sous-traitant ou de fournisseur est donc l’objet du contrat qui la lie au titulaire du marché : ce contrat est-il de même nature ou pas que le marché ? L’entreprise est elle chargée d’exécuter des prestations de travaux ou de service ou seulement de fournir des biens ? ».

      Dans l’arrêt « Département du Gard » [2], le Conseil d’État avait déjà retenu :

      « qu'en jugeant, alors même qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui étaient soumis que les prestations fournies par la société Unibéton relevaient de simples fournitures et non d'un contrat d'entreprise conclu par elle avec la société titulaire du marché, que cette société Unibéton avait droit au paiement direct de ses prestations par le maître d'ouvrage délégué dans la mesure où ce dernier l'avait agréée en qualité de sous-traitante et avait accepté ses conditions de paiement, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; qu'en effet, de telles décisions n'étaient susceptibles d'ouvrir des droits à la société requérante que pour autant que les prestations fournies relevaient du champ d'application de la loi du 31 décembre 1975, lequel ne concerne que les prestations relatives à l'exécution d'une part du marché et non de simples fournitures au cocontractant du maître de l'ouvrage ; (…) Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société Unibéton, dont le contrat conclu avec la société Roure en vue de l'approvisionnement du chantier en béton prêt à l'emploi n'a pas les caractéristiques d'un contrat d'entreprise, n'a pas droit au paiement direct de ses prestations de fournitures par le maître d'ouvrage délégué nonobstant la circonstance qu'elle ait été agréée par ce dernier en qualité de sous-traitante et que celui-ci avait accepté ses conditions de paiement ; que, par suite, la société Unibéton n'est pas fondée à demander la condamnation solidaire du Département du Gard et de la société d'aménagement et d'équipement du Département du Gard à lui payer la somme de 56 267,27 euros avec intérêts de droit à compter du 1er décembre 1998 ».

      Cet arrêt permet également de rappeler que l’agrément du sous-traitant ne préjuge pas de sa qualité puisque si les prestations fournies ne participent pas à l’exécution du marché public mais se cantonnent à de la fourniture de matériaux standards, l’entreprise ne pourra bénéficier des avantages du régime de la sous-traitance (même arrêt).

      D’autres arrêts illustrent cette distinction :

      • si l’entreprise répond à une exigence du CCTP et fournit un produit qui est spécifique au marché, « sur mesure », alors la qualification de contrat de sous-traitance est retenue [3],
      • si au contraire l’entreprise fournit des produits « prêts à l’emploi » ou de « production courante » [4], la relation sera regardée comme un contrat de fourniture [5].

      La question peut également se poser s’agissant d’autres contrats proches de la sous-traitance, notamment dans les opérations de travaux, qu’il conviendra également de distinguer : tels que les contrats de transport, les contrats de location d’engins, ou même parfois un contrat de travail.

      B. Les conséquences de la qualification du contrat

      Comme le rappelle Nicolas Labrune dans ses conclusions sur l’arrêt commenté :

      « ne peut bénéficier du régime juridique de la sous-traitance, notamment du droit au paiement direct par le maître d’ouvrage, que celui qui répond à cette définition légale »

      Mais dès lors que la qualification de contrat de sous-traitance est retenue, le sous-traitant bénéficie de son régime de « protection » s’agissant du paiement de ses prestations, notamment. En effet, il est éligible au paiement direct [6] par le maître d’ouvrage, à condition toutefois d’avoir été agréé par le maître d’ouvrage et ses conditions de paiement acceptées par ce dernier [7].

      Les modalités de paiement du sous-traitant sont toutefois complexes. L’arrêt commenté apporte une précision utile.

      II. Le régime du paiement direct du sous-traitant.

      Le « circuit de paiement » du sous-traitant est précis, l’arrêt commenté précise la portée des règles du paiement direct.

      Dans un marché public, le régime des paiements du sous-traitant peut être schématisé comme suit 

      A. Le circuit de paiement en marché public

                                                                                              

      B. La portée du silence du titulaire

       

      Le sous-traitant adresse une demande de paiement direct au titulaire et au maître d’ouvrage. Le titulaire dispose de 15 jours pour accepter ou s’opposer à cette demande [8].

      Cette opposition doit intervenir dans un délai de quinze jours mais doit être motivée comme l’indique le Conseil d’État dans la décision commentée : 

      « Dès lors, le refus qu’il exprimerait après l'expiration du délai de quinze jours ne saurait constituer un refus motivé, au sens de ces dispositions ».

      Un refus non motivé équivaut donc à une acceptation tacite [9].

      La décision commentée rappelle d’ailleurs que l’acheteur peut, en absence d’opposition du titulaire au paiement direct, contrôler l’exécution effective des travaux ayant fait l’objet du contrat de sous-traitance [10].

      Par ce contrôle, l’acheteur peut aussi s’assurer que les travaux effectués par le sous-traitant correspondent réellement aux prescriptions du marché.

      On le voit, la jurisprudence « prolonge le caractère protecteur de la loi du 31 décembre 1975, car à défaut de manifestation motivée dans le délai de quinze jours, la facture du sous-traitant est réputée « validée » par l’entreprise.

       

      [1] Ce libellé est issu de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance N° Lexbase : L5127A8E, dont on rappelle qu’elle est d’ordre public (voir CCP, art. L. 2193-3 N° Lexbase : L4569LRN : « Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions du présent chapitre »).

      [2] CE, 2°-7° s.-s-r., 26 septembre 2007, n° 255993 N° Lexbase : A5992DYL.

      [3] CAA Nantes, 7 octobre 2011, n° 10NT02052 N° Lexbase : A8566HYW: « Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Tuvaco a pour activité le négoce d'appareils et d'équipements de ventilation, de chauffage, de régulation et de traitement de l'air, la conception et la fabrication de ces appareils et équipements ; qu'il ressort d'une facture du 6 décembre 2005 adressée à la société Atlan VDI que la société Tuvaco a fourni un ensemble de ventilation conforme au cahier des clauses techniques particulières applicable au marché en cause, dont les paragraphes 14.3.34.1 et 14.3.34.1 comportaient des clauses particulièrement précises quant aux caractéristiques techniques auxquelles devaient correspondre les gaines de ventilation et les gaines de soufflage et de reprises ; qu'en particulier, les gaines rectangulaires et les accessoires fournis par la société Tuvaco ont été fabriqués sur mesure pour répondre aux spécificités imposées par le cahier des clauses techniques particulières ; que, dans ces conditions, la société Tuvaco ne peut être regardée comme s'étant bornée à fournir des équipements de production courante ; qu'ayant participé à l'exécution d'une partie du marché en cause, cette société avait dès lors la qualité de sous-traitant au sens des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 » ; ou encore : CAA Lyon, 11 mai 2006, n° 01LY00279 N° Lexbase : A5852DQS : « Considérant que le devis quantitatif estimatif annexé à l'acte d'engagement du marché du lot 1 attribué à la société YC Pose rémunère, en son chapitre 1-5 « la fourniture, la pose et le déplacement d'un échafaudage pour la durée du chantier sur toutes les façades et pignons » à rénover ; que la convention du 6 octobre 1997 par laquelle la société YC Pose a délégué cette prestation à la société Poujaud a eu pour effet de lui confier l'exécution d'une partie du marché de travaux du lot 1 au sens des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975

      [4] CAA Nantes, 30 décembre 1999, n° 96NT02356 N° Lexbase : A6289BMU.

      [5] CE, 21 octobre 2015, n° 385779 N° Lexbase : A8633NTW : « Considérant qu'après avoir relevé, par une motivation suffisante, que la société Esportec était un fournisseur et non un sous-traitant, et estimé que cette société avait livré un stabilisant de sols, simple matériau qui ne pouvait être qualifié d'ouvrage, de partie d'ouvrage, ou d'élément d'équipement au sens des dispositions de l'article 1792-4 du Code civil N° Lexbase : L5934LTX, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant que la responsabilité de la société Esportec ne pouvait être solidairement recherchée devant le juge administratif sur le fondement de l'article 1792-4 du Code civil ».

      [6] CCP, art. R. 2193-10 N° Lexbase : L4279LRW.

      [7] CCP, art L. 2193-4 N° Lexbase : L3912LRC.

      [8] CCP, art. R. 2193-12 N° Lexbase : L4278LRU.

      [9] CE, 2°-7° ch. réunies, 17 octobre 2023, n° 465913 N° Lexbase : A17861NH ; voir aussi CE, 21 février 2011, n° 318364 N° Lexbase : A6973GZB.

      [10] CE, 28 avril 2000, n° 181604 N° Lexbase : A9254AGT, Rec. p. 162 ; CE, 9 juin 2017, n° 396358 N° Lexbase : A3913WHE.

      newsid:487367

      Procédure administrative

      [Brèves] Pas d’application immédiate de l’arrêt « Czabaj » aux instances en cours selon la CEDH

      Réf. : CEDH, 9 novembre 2023, Req. 72173/17, Legros et Autres c/ France N° Lexbase : A12331XX

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      par Yann Le Foll

      Le 15 Novembre 2023

      L’application immédiate aux instances en cours de la jurisprudence relative au délai raisonnable de recours méconnaît le principe de droit d’accès à un tribunal (CESDH, art. 6, § 1).

      Rappel. Faute de respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose le destinataire de la décision pour exercer le recours juridictionnel est le délai raisonnable d’un an fixé par la jurisprudence « Czabaj » (CE, ass., 13 juillet 2016, n° 387763 N° Lexbase : A2114RXL).

      Position CEDH. La définition, par voie prétorienne, d’une nouvelle condition de recevabilité, fondée sur des motifs justifiant l’évolution de jurisprudence ayant conduit à la création d’un « délai raisonnable » de recours, ne porte pas, alors même qu’elle est susceptible d’affecter la substance du droit de recours, une atteinte excessive au droit d’accès à un tribunal tel que protégé par l’article 6, § 1 de la Convention N° Lexbase : L7558AIR.

      Toutefois, la nouvelle cause d’irrecevabilité issue du revirement de jurisprudence provoqué par l’arrêt « Czabaj » a été consacrée à une date postérieure à celle à laquelle les requêtes de première instance de chacun des requérants ont été introduites. Il s’ensuit que l’application immédiate, en cours d’instance, de la nouvelle règle de délai de recours revient à ce que la cause d’irrecevabilité a été opposée rétroactivement à l’ensemble des requérants.

      En outre, aucune erreur procédurale ne pouvait être imputée aux requérants concernant le délai de recours contentieux à la date d’introduction de leur requête. En effet, à la date à laquelle ils ont saisi les tribunaux administratifs, les requérants ne pouvaient raisonnablement anticiper le contenu et les effets de la décision « Czabaj » sur la recevabilité de leurs recours respectifs.

      La Cour conclut que le rejet pour tardiveté, par application rétroactive du nouveau délai issu de la décision « Czabaj », des recours des requérants, introduits antérieurement à ce revirement jurisprudentiel, était imprévisible. En outre, elle rappelle que les observations qu’ils ont, le cas échéant, pu présenter, n’ont pas été susceptibles d’allonger la durée du « délai raisonnable » fixé en règle générale à une année par cette nouvelle décision.

      Dans ces conditions, la Cour considère que l’application aux instances en cours de la nouvelle règle de délai de recours contentieux, qui était pour les requérants à la fois imprévisible, dans son principe, et imparable, en pratique, a restreint leur droit d’accès à un tribunal à un point tel que l’essence même de ce droit s’en est trouvée altérée.

      Décision. Du fait de la violation de l’article 6, § 1 de la CESDH dont le requérant a été victime, la Cour estime que le juste équilibre requis par l’article 1 du Protocole n° 1 a été rompu et qu’il y a eu, en conséquence, violation de cet article.

      À ce sujet. Lire C. De Bernardinis, Le point sur l'action en contentieux administratif, Lexbase Public, octobre 2017, n° 475 N° Lexbase : N0444BXQ.

      newsid:487348

      Sociétés

      [Brèves] Décisions collectives : l’unanimité empêche l’abus de majorité

      Réf. : Cass. com., 8 novembre 2023, n° 22-13.851, F-B N° Lexbase : A48421UU

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      N7345BZ3

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      par Perrine Cathalo

      Le 15 Novembre 2023

      Une décision prise à l'unanimité des associés ne peut être constitutive d'un abus de majorité.

      Faits et procédure. Le 21 juillet 2014, l’associé majoritaire et l’associé minoritaire d’une SAS ont consenti une promesse de cession de l’intégralité des parts de cette société à un cessionnaire.

      Le 29 octobre 2014, l’assemblée générale de la société a décidé d’octroyer à l’associé majoritaire, au titre de ses fonctions de dirigeant, une prime d’une certaine somme, puis, le 24 novembre, une autre prime au titre d’un rappel de salaire.

      Par acte sous seing privé du 4 décembre 2014, les parties ont réitéré la promesse de cession, en précisant dans l’acte qu’aux termes de l’assemblée générale du 29 octobre 2014, il avait été accordé à l’associé majoritaire une prime exceptionnelle.

      La SAS, dont le cessionnaire était devenu le dirigeant, a refusé de verser les sommes allouées à l’actionnaire majoritaire par les assemblées générales des 29 octobre et 24 novembre 2014.

      L’actionnaire majoritaire a assigné la SAS en paiement d’une somme totale de 84 623,05 euros. Le nouveau dirigeant de la société est intervenu volontairement à l’instance et a demandé l’annulation des résolutions des assemblées générales des 29 octobre et 14 novembre 2014 comme procédant d’un abus de majorité.

      Par décision du 10 mars 2022, la cour d’appel (CA Orléans, 10 mars 2022, n° 21/01803 N° Lexbase : A06247Q8) a rejeté les demandes d’annulation des résolutions des assemblées générales et confirmé le jugement de la cour d’appel en ce qu'il a condamné la SAS à payer à son actionnaire majoritaire certaines sommes au titre des salaires des mois d'octobre et novembre 2014 et pour solde de la prime exceptionnelle.

      La société et son dirigeant ont formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

      Décision. La Haute juridiction affirme qu’une décision prise à l’unanimité des associés ne peut être constitutive d’un abus de majorité et rejette le pourvoi.  

      L’abus de majorité est en effet caractérisé lorsqu’une décision sociale adoptée est contraire à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les majoritaires au détriment des autres associés. Or, la Cour constate que les décisions critiquées ont été prises à l’unanimité, de sorte que les conditions de l’abus de majorité ne sont pas remplies.

      Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : La situation de l'associé à l'égard de la société, La définition de l'abus de majorité, in Droit des sociétés (dir. B. Saintourens), Lexbase N° Lexbase : E6993ADD.

      newsid:487345

      Vente d'immeubles

      [Brèves] Quid lorsque la DIA omet de mentionner que la cession est soumise à la condition suspensive de non-préemption ?

      Réf. : Cass. civ. 3, 26 octobre 2023, n° 21-26.018, FS-D N° Lexbase : A70861QI

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      N7413BZL

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      par Anne-Lise Lonné-Clément

      Le 22 Novembre 2023

      ► Une déclaration d'intention d'aliéner affectée d'une erreur portant sur un élément qui a pour conséquence que l'offre ne corresponde pas à la volonté du vendeur (en l’espèce, omission de la mention que la cession est soumise à la condition suspensive de la renonciation de tout organisme titulaire à l'exercice de son droit de préemption) ne peut valoir pollicitation.

      En l’espèce, le 15 mars 2016, l’associé d’une SCI avait procédé à une augmentation de capital par voie d'apport de parcelles agricoles. Le 24 mars 2016, le notaire instrumentaire avait notifié l'opération à la SAFER sans préciser que l'apport était soumis à la condition suspensive de la renonciation de tout organisme titulaire à l'exercice de son droit de préemption. Le 23 mai 2016, la SAFER avait fait connaître son intention d'exercer son droit de préemption. Le 16 juillet suivant, le notaire lui avait opposé le défaut de réalisation de la condition suspensive. Le 16 décembre 2016, l’associé et la SCI avaient assigné la SAFER en annulation de la décision de préemption.

      Ils obtiendront gain de cause.

      La Cour suprême approuve la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 2 novembre 2021, n° 19/00277 N° Lexbase : A01677BS) ayant retenu, à bon droit, qu'une déclaration d'intention d'aliéner affectée d'une erreur portant sur un élément qui a pour conséquence que l'offre ne corresponde pas à la volonté du vendeur ne peut valoir pollicitation.

      Ayant constaté que le notaire avait attesté avoir rédigé le 15 mars 2016 le procès-verbal d'apport comportant une condition suspensive de non-préemption et que l'opération avait pour but de transmettre les parts de cet associé à ses enfants afin de maintenir le bien dans la famille, elle en avait souverainement déduit que cette condition procédait de la volonté de l'apporteur, de sorte que la notification à la SAFER était entachée d'une erreur.

      Abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième à sixième branches, la cour d’appel avait pu retenir qu'il était indifférent que l'information donnée sur cette condition par le notaire à la SAFER ait été postérieure à l'exercice du droit de préemption et, que la condition n'ait pas été publiée antérieurement et, en déduire qu'en l'absence de rencontre de volonté concordante de céder et d'acquérir, la décision de préemption devait être annulée.

      Pour aller plus loin : à noter que le présent arrêt fera l'objet d'un commentaire approfondi par Guillaume Maire, Maître de conférences en droit privé, Responsable du Master 2 Droit notarial (UFR DSEG Nancy), Directeur adjoint de l'IEJ (UFR DEA Metz), Responsable de l'axe « Droit civil » de l'Institut François Gény (EA 7301), à paraître prochainement dans la revue Lexbase Droit privé.

      newsid:487413

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