La lettre juridique n°500 du 4 octobre 2012 : Éditorial

Topless or not topless : le droit à la vie privée est-il dénudé ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Ah, Perfide Albion ! Empêtrée dans l'enquête Leveson, lancée après l'explosion du scandale des écoutes illégales pratiquées par le tabloïd News of the World, l'Angleterre se devait de faire vaciller, outre-Manche, la presse française, pour montrer qu'elle n'est pas la seule à devoir réformer sa législation sur le droit à la vie privée et le droit à l'image, la seule à devoir instaurer un semblant de déontologie pour la presse même dite people. Et, qui de mieux, comme appât, que le couple princier le plus célèbre de la planète, pour attiser le feu, enclencher la tempête voyeuriste et susciter le regard réprobateur, et néanmoins amusé, de la nomenklatura républicaine, nécessaire à une prise de conscience gauloise de l'obsolescence de son droit.

En 1954, Maria Vargas, danseuse de night-club à Madrid, s'était contentée de devenir comtesse aux pieds nus. En 2012, une jeune fille née à Reading, dans le Berkshire, elle aussi habituée aux accessoires de fête, fera mieux : elle deviendra duchesse aux seins nus. Changement d'époque, changement de moeurs, le droit français est-il armé pour combattre réellement l'atteinte à la vie privée des célébrités ? Rien n'est moins sûr...

Car, si les photos volées de la duchesse de Cambridge dans sa villa provençale ont révélé quelque chose, c'est bien que le respect de la vie privée des personnes publiques est, au regard des mesures judiciaires ordonnées, une vaine utopie. Oh, certes, chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée. Et, ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. Et, une fois n'est pas coutume, Napoléon aura eu du bon pour leurs altesses britanniques : l'article 9 du Code civil ayant permis au juge de Nanterre d'ordonner au magazine incriminé de restituer, "dans les 24 heures", les photos de Kate à la famille royale, avec une pénalité de 10 000 euros par jour de retard, et l'interdiction de rééditer les photos sur papier ou sur internet ; la belle affaire... Le mal est fait, et le journal people, se défendant même d'être le propriétaire des photos de la discorde, aurait toutes les peines du monde à éviter la rediffusion des icônes trash, dans les pages de ses homologues européens. L'Italie, habituée à déboulonner les "stars" en les montrant dans leur plus simple appareil, se devait d'emboîter le pas ; et les pays nordiques, traditionnellement à l'aise avec le corps et la nudité, au regard des pages centrales de la presse dite "sérieuse", n'y ont certainement pas vu à mal.

Soyons clair, si les personnes célèbres ont une "espérance légitime" de protection et de respect de leur vie privée, nous enseigne la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 24 juin 2004), l'on sait que les événements concernant des personnages publics exerçant leurs fonctions officielles ou des personnes notoirement connues dans l'accomplissement des activités les ayant rendues célèbres relèvent de l'information légitime (TGI Paris, 17 juin 1987). Et, le juge de Nanterre n'a pas hésité à affirmer que sont régulières les révélations sur l'évolution capillaire d'un célèbre présentateur de télévision (TGI Nanterre, 15 juillet 1999).

Mais, même en faisant de leur mariage un évènement planétaire, les rendant mondialement connus et, depuis lors, sous les feux de la rampe, on considérera, toutefois, que les "photos de vacances" de la famille Wales ne relèvent pas de l'information légitime, et que les images topless et bottomless de la duchesse aux yeux verts relèvent bien de la sphère privée des intéressés.

Pour autant, on se souviendra que le juge parisien avait condamné, à seulement un euro de dommages et intérêts, la société de presse ayant publié en fac-similé d'une double page, les images extraites d'une vidéo montrant les ébats intimes de deux participants à un jeu de télé-réalité (TGI Paris, 1er juin 2011). "Suivant que vous serez puissant ou misérable"... Et, l'on était bien loin de quelques photographies floues et mal cadrées au téléobjectif 1 000 mm.

Alors, puisque leurs altesses royales ont déposé plainte contre X pour atteinte à la vie privée, sur le fondement des articles 226-1 et 226-8 du Code pénal, et qu'à cette occasion des dommages et intérêts sont ainsi réclamés, c'est bien la question de l'évaluation de la réparation du préjudice qui risque d'être particulièrement difficile à déterminer.

En effet, ce préjudice est pétri de contradictions. Car, si le préjudice est fondé sur une traditionnelle atteinte à la vie privée, c'est pourtant la stature publique de la future reine d'Angleterre qui est écornée. Paradoxalement, et concernant plus particulièrement les membres des familles royales, l'atteinte à leur stricte intimité viole plus leur fonction sociale que leur vie privée. C'est du moins la raison pour laquelle la presse anglaise d'ordinaire si peu complaisante, ayant publié quelques semaines auparavant des photos du cadet dénudé de la famille en fâcheuse compagnie, crie presque au blasphème devant l'incorrection de la presse française.

Et, bien entendu, dans un pays qui n'a pas peur d'accrocher les aristocrates à la lanterne, la qualité (nouvellement) nobiliaire de la baronne Carrickfergus sera difficile à prendre en considération. Le droit au respect de la vie privée signifie que chaque individu a le droit de garder secret l'intimité de son existence, d'être protégé contre les divulgations et investigations illégitimes. Ce droit profite à toute personne physique, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes et à venir, livre la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 23 octobre 1990). Après la "veuve Capet", ce sera donc seulement Miss Wales qui comparaîtra, elle, sur les bancs de la partie civile. Et, elle devra certainement se contenter de subsides, déjà provisionnés par le magazine en cause, qui ne répareront en rien sa désacralisation ainsi orchestrée. Elle n'aura plus qu'à attendre la prochaine salve médiatique révélant sa probable grossesse, qu'un juge français légitimera, dans la mesure où il s'agit d'un fait public, objet d'un débat d'intérêt général (Cass. civ. 2, 19 février 2004).

Revers de la médaille, la starification médiatique de leurs altesses royales leur dénie, en fait et dans les faits, toute vie privée. La jeunesse des protagonistes leur servira sans doute d'excuse. Mais, il est heureux que, depuis un arrêt d'Assemblée plénière du 17 juillet 2000, les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Car l'on sait, qu'en droit commun, la faute de la victime exclut totalement son droit à indemnisation lorsqu'elle est la cause exclusive du dommage (Cass. crim., 8 février 1973). La faute de la victime susceptible de limiter ou d'exclure le droit à indemnisation n'a pas à être concomitante de la commission de l'infraction dès lors qu'elle a contribué à causer le préjudice (Cass. civ. 2, 11 juin 2009). Et, chacun des co-auteurs d'un dommage doit supporter, dans ses rapports avec les autres co-auteurs, et dans la mesure à déterminer par les juges, les conséquences de sa propre faute (Cass. civ. 1, 14 décembre 1982). A n'en pas douter, si la comtesse de Strathearn n'a certainement pas souhaité que son intimité soit étalée dans la presse mondiale, encore a-t-elle prêté le flan à la chasse médiatique, en permettant matériellement la chose. Quand la grande-tante de la famille s'exhibait nue, sous l'emprise de stupéfiants, sur l'île Moustique, les nouvelles technologies et l'appétence pour la peopolisation des têtes couronnées n'étaient pas à leur paroxysme, comme aujourd'hui.

"Parti d'azur et de gueules, au chevron d'or coticé d'argent, accompagné de trois glands renversés d'or, tigés et feuillés du même" : pour représenter son Altesse royale, l'héraldique ne suffit plus ! La presse se nourrit de scandales ; au droit de savoir la temporiser.

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