La lettre juridique n°500 du 4 octobre 2012

La lettre juridique - Édition n°500

Éditorial

Topless or not topless : le droit à la vie privée est-il dénudé ?

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N3735BTI

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Ah, Perfide Albion ! Empêtrée dans l'enquête Leveson, lancée après l'explosion du scandale des écoutes illégales pratiquées par le tabloïd News of the World, l'Angleterre se devait de faire vaciller, outre-Manche, la presse française, pour montrer qu'elle n'est pas la seule à devoir réformer sa législation sur le droit à la vie privée et le droit à l'image, la seule à devoir instaurer un semblant de déontologie pour la presse même dite people. Et, qui de mieux, comme appât, que le couple princier le plus célèbre de la planète, pour attiser le feu, enclencher la tempête voyeuriste et susciter le regard réprobateur, et néanmoins amusé, de la nomenklatura républicaine, nécessaire à une prise de conscience gauloise de l'obsolescence de son droit.

En 1954, Maria Vargas, danseuse de night-club à Madrid, s'était contentée de devenir comtesse aux pieds nus. En 2012, une jeune fille née à Reading, dans le Berkshire, elle aussi habituée aux accessoires de fête, fera mieux : elle deviendra duchesse aux seins nus. Changement d'époque, changement de moeurs, le droit français est-il armé pour combattre réellement l'atteinte à la vie privée des célébrités ? Rien n'est moins sûr...

Car, si les photos volées de la duchesse de Cambridge dans sa villa provençale ont révélé quelque chose, c'est bien que le respect de la vie privée des personnes publiques est, au regard des mesures judiciaires ordonnées, une vaine utopie. Oh, certes, chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée. Et, ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. Et, une fois n'est pas coutume, Napoléon aura eu du bon pour leurs altesses britanniques : l'article 9 du Code civil ayant permis au juge de Nanterre d'ordonner au magazine incriminé de restituer, "dans les 24 heures", les photos de Kate à la famille royale, avec une pénalité de 10 000 euros par jour de retard, et l'interdiction de rééditer les photos sur papier ou sur internet ; la belle affaire... Le mal est fait, et le journal people, se défendant même d'être le propriétaire des photos de la discorde, aurait toutes les peines du monde à éviter la rediffusion des icônes trash, dans les pages de ses homologues européens. L'Italie, habituée à déboulonner les "stars" en les montrant dans leur plus simple appareil, se devait d'emboîter le pas ; et les pays nordiques, traditionnellement à l'aise avec le corps et la nudité, au regard des pages centrales de la presse dite "sérieuse", n'y ont certainement pas vu à mal.

Soyons clair, si les personnes célèbres ont une "espérance légitime" de protection et de respect de leur vie privée, nous enseigne la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 24 juin 2004), l'on sait que les événements concernant des personnages publics exerçant leurs fonctions officielles ou des personnes notoirement connues dans l'accomplissement des activités les ayant rendues célèbres relèvent de l'information légitime (TGI Paris, 17 juin 1987). Et, le juge de Nanterre n'a pas hésité à affirmer que sont régulières les révélations sur l'évolution capillaire d'un célèbre présentateur de télévision (TGI Nanterre, 15 juillet 1999).

Mais, même en faisant de leur mariage un évènement planétaire, les rendant mondialement connus et, depuis lors, sous les feux de la rampe, on considérera, toutefois, que les "photos de vacances" de la famille Wales ne relèvent pas de l'information légitime, et que les images topless et bottomless de la duchesse aux yeux verts relèvent bien de la sphère privée des intéressés.

Pour autant, on se souviendra que le juge parisien avait condamné, à seulement un euro de dommages et intérêts, la société de presse ayant publié en fac-similé d'une double page, les images extraites d'une vidéo montrant les ébats intimes de deux participants à un jeu de télé-réalité (TGI Paris, 1er juin 2011). "Suivant que vous serez puissant ou misérable"... Et, l'on était bien loin de quelques photographies floues et mal cadrées au téléobjectif 1 000 mm.

Alors, puisque leurs altesses royales ont déposé plainte contre X pour atteinte à la vie privée, sur le fondement des articles 226-1 et 226-8 du Code pénal, et qu'à cette occasion des dommages et intérêts sont ainsi réclamés, c'est bien la question de l'évaluation de la réparation du préjudice qui risque d'être particulièrement difficile à déterminer.

En effet, ce préjudice est pétri de contradictions. Car, si le préjudice est fondé sur une traditionnelle atteinte à la vie privée, c'est pourtant la stature publique de la future reine d'Angleterre qui est écornée. Paradoxalement, et concernant plus particulièrement les membres des familles royales, l'atteinte à leur stricte intimité viole plus leur fonction sociale que leur vie privée. C'est du moins la raison pour laquelle la presse anglaise d'ordinaire si peu complaisante, ayant publié quelques semaines auparavant des photos du cadet dénudé de la famille en fâcheuse compagnie, crie presque au blasphème devant l'incorrection de la presse française.

Et, bien entendu, dans un pays qui n'a pas peur d'accrocher les aristocrates à la lanterne, la qualité (nouvellement) nobiliaire de la baronne Carrickfergus sera difficile à prendre en considération. Le droit au respect de la vie privée signifie que chaque individu a le droit de garder secret l'intimité de son existence, d'être protégé contre les divulgations et investigations illégitimes. Ce droit profite à toute personne physique, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes et à venir, livre la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 23 octobre 1990). Après la "veuve Capet", ce sera donc seulement Miss Wales qui comparaîtra, elle, sur les bancs de la partie civile. Et, elle devra certainement se contenter de subsides, déjà provisionnés par le magazine en cause, qui ne répareront en rien sa désacralisation ainsi orchestrée. Elle n'aura plus qu'à attendre la prochaine salve médiatique révélant sa probable grossesse, qu'un juge français légitimera, dans la mesure où il s'agit d'un fait public, objet d'un débat d'intérêt général (Cass. civ. 2, 19 février 2004).

Revers de la médaille, la starification médiatique de leurs altesses royales leur dénie, en fait et dans les faits, toute vie privée. La jeunesse des protagonistes leur servira sans doute d'excuse. Mais, il est heureux que, depuis un arrêt d'Assemblée plénière du 17 juillet 2000, les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Car l'on sait, qu'en droit commun, la faute de la victime exclut totalement son droit à indemnisation lorsqu'elle est la cause exclusive du dommage (Cass. crim., 8 février 1973). La faute de la victime susceptible de limiter ou d'exclure le droit à indemnisation n'a pas à être concomitante de la commission de l'infraction dès lors qu'elle a contribué à causer le préjudice (Cass. civ. 2, 11 juin 2009). Et, chacun des co-auteurs d'un dommage doit supporter, dans ses rapports avec les autres co-auteurs, et dans la mesure à déterminer par les juges, les conséquences de sa propre faute (Cass. civ. 1, 14 décembre 1982). A n'en pas douter, si la comtesse de Strathearn n'a certainement pas souhaité que son intimité soit étalée dans la presse mondiale, encore a-t-elle prêté le flan à la chasse médiatique, en permettant matériellement la chose. Quand la grande-tante de la famille s'exhibait nue, sous l'emprise de stupéfiants, sur l'île Moustique, les nouvelles technologies et l'appétence pour la peopolisation des têtes couronnées n'étaient pas à leur paroxysme, comme aujourd'hui.

"Parti d'azur et de gueules, au chevron d'or coticé d'argent, accompagné de trois glands renversés d'or, tigés et feuillés du même" : pour représenter son Altesse royale, l'héraldique ne suffit plus ! La presse se nourrit de scandales ; au droit de savoir la temporiser.

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Avocats/Institutions représentatives

[Evénement] Onzième journée nationale sensibilisation sur la situation des lieux de détention organisée par la Conférence des Bâtonniers

Lecture: 7 min

N3828BTX

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 04 Octobre 2012

Le mercredi 3 octobre 2012 s'est déroulée la onzième édition de la journée prison de la Conférence des Bâtonniers initiée par le Président Bernard Chambel. Quinze jours plus tôt, le 18 septembre 2012, a été installée par le nouveau Garde des Sceaux une "Conférence de consensus" sur les questions de récidive et de dangerosité rassemblant experts, spécialistes institutionnels et intervenants de terrain. Ce chantier est effectivement immense puisque depuis maintenant plus d'une décennie, la France donne de ses lieux de détention une image le plus souvent affligeante où la violence est partout présente... et partagée. A son tour, la Conférence des Bâtonniers, pour la onzième année consécutive, a souhaité à nouveau attirer l'attention de l'opinion publique en organisant une nouvelle journée nationale consacrée à la prison. Présentes à la conférence de presse organisée par le président Jean-Luc Forget, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de revenir sur cette journée et sur le thème choisi cette année : la violence en prison. Quelques chiffres

Au 1er septembre 2012, 66 126 personnes étaient incarcérées en France, ce qui représente une hausse de 4 % par rapport au mois de septembre 2011 (63 602). Au 1er août 2012, il y avait 66 748 personnes incarcérées, ce qui représente une baisse mensuelle de 0,9 %. Parmi le total des personnes incarcérées, le nombre de personnes prévenues s'élève à 16 266 pour 49 860 personnes condamnées, soit 24,6 % des personnes incarcérées (24,6 % au 1er août 2012). Au 1er septembre 2011, on dénombrait 16 056 prévenus, soit une hausse de 1,3 % par rapport à l'année précédente. Les mineurs détenus incarcérés sont au nombre de 680 au 1er septembre 2012, ce qui représente une baisse de 9,9 % par rapport au mois précédent (755 au 1er août 2012). Les mineurs détenus représentent 1 % des personnes incarcérées. Par ailleurs, au 1er septembre 2012, 11 549 personnes bénéficient d'un aménagement de peine sous écrou, soit 19,3 % de l'ensemble des personnes écrouées condamnées. Les aménagements de peine ont progressé de 17,8 % en un an (9 805 au 1er septembre 2011) et de 48,7 % en deux ans (7 769 au 1er septembre 2010). Il y a ainsi 964 personnes bénéficiant d'une mesure de placement à l'extérieur (973 au 1er septembre 2011), 1 813 d'une mesure de semi-liberté (1 781 au 1er septembre 2011) et 8 772 d'un placement sous surveillance électronique (7 051 au 1er septembre 2011). Par ailleurs, au 1er septembre 2012, 618 personnes sont placées sous surveillance électronique de fin de peine (SEFIP), soit une hausse de 1,8 % par rapport au mois précédent (607 au 1er août 2012) et une hausse de 20,5 % en un an. Au 1er septembre 2012, la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires est de 57 385 places (source : ministère de la Justice).

Historique de cette journée

Le Bâtonnier Philippe Joyeux, président de la Commission pénale de la Conférence, a rappelé que cette journée a été créée pour alerter l'opinion publique sur les conditions indignes des lieux de détention. Malheureusement la situation est toujours d'actualité et il faut continuer de dénoncer toute situation carcérale indigne.

La profession d'avocat a également un autre rôle parce que l'avocat a une vision absolument globale de la justice pénale, parce l'avocat est confronté à la surpopulation carcérale dans l'exercice de ses fonctions, parce que l'avocat intervient au côté des victimes. L'enfermement n'a jamais apporté la sécurité à long terme. En dénonçant les conditions d'incarcération, il s'agit d'une forme de protection des citoyens. La volonté de la Conférence des Bâtonniers est d'avoir une attitude pédagogique en direction des parlementaires, des magistrats, des citoyens.

Un thème d'actualité

Si, pour le Bâtonnier Jean-Luc Forget, Ce n'est jamais le moment de parler de la prison, et ce n'est jamais le moment de parler de la violence en prison, la Conférence des Bâtonniers souhaite qu'à un moment donné on s'oblige à parler du monde carcéral, de la prison, des conditions de sortie de la prison. La situation carcérale dans notre pays, caractérisée par la surpopulation pénale qui entraîne l'indignité des lieux de détention, est une école de la délinquance, une source de délinquance et une source de récidive. C'est ce que vivent les avocats. Et il est important que la Conférence le rappelle.

Une situation qui a du mal à évoluer

Rapporteur de la loi pénitentiaire (loi n° 2099-1436 du 24 novembre 2009 N° Lexbase : L9344IES), le sénateur Jean-René Lecerf reconnaît que la situation des prisons en France a beaucoup de mal à évoluer. Bien qu'il soit encore trop tôt pour faire un bilan de cette loi, il faut reconnaître que certains éléments ont changé -dans le bon sens!- : la réglementation des fouilles, l'appréhension du travail carcéral, etc..

Mais, la loi pénitentiaire reposait sur toute une série de paris dont le premier était de régler le problème de la surpopulation carcérale, par des aménagements de peines et des alternatives à l'incarcération. Sur ce point c'est un échec parce qu'il n'a pas été donné aux aménagements de peines la chance de réussir et de prospérer. L'étude d'impact de la loi pénitentiaire rédigée par le Gouvernement prévoyait, pour que cette loi soit opérationnelle, de créer au moins 1 000 postes de conseillers d'insertion et de probation, qui n'ont jamais pu voir le jour en raison de l'insuffisance de moyens financiers.

Il y a néanmoins des éléments positifs avec l'installation des commissions de disciplines où les avocats sont présents et ont un rôle à jouer. Pour le sénateur Lecerf, "en permettant aux avocats de rentrer dans cette commission de discipline, on a voulu "casser" l'omniprésence de l'administration pénitentiaire".

En juillet 2012, il a été à l'origine d'un rapport sur l'exécution de la loi pénitentiaire qui a mis en avant le fait que, depuis 2009, des textes d'application essentiels n'étaient toujours pas pris. Il demande à cet égard l'adoption des deux décrets d'application encore attendus : le premier sur la mise en place d'une évaluation indépendante des taux de récidive par établissement pour peine, le second sur les règlements intérieurs types par catégorie d'établissement pénitentiaire. Il demande également le respect effectif des dispositions législatives sur la rémunération au taux horaire du travail en détention, le droit à l'image des personnes détenues, la possibilité de remettre les documents personnels au greffe de l'établissement, les fouilles, la présence de l'assesseur extérieur en commission de discipline.

La violence de la prison

Pour Christine Visier-Philippe, ancien vice-président de la Conférence des Bâtonniers, ancien Bâtonniers de Chambéry, la violence de la prison, c'est déjà celle de la société qu'elle ne fait que refléter. La violence c'est aussi celle qui, pour plus de 60 % de la population pénale, est la cause de l'emprisonnement, ce qui fait des lieux de détention un "formidable réceptacle de cette violence". La violence, c'est aussi celle subie (et provoquée) par les détenus. Elle est d'abord inhérente à l'institution de la prison, l'enfermement étant une violence en lui-même alors surtout qu'il est accompagné d'un règlement strict (séparation d'avec la famille, lecture du courrier, écoute des conversations téléphoniques, fouilles à corps, promiscuité). La violence est tout à la fois symbolique par la perte de la liberté, et physique à travers les agressions entre détenus, les émeutes, les excès d'autorité de certains membres du personnel pénitentiaire tout autant que psychologique. La violence c'est également celle qui est imposée aux familles de détenus avec lesquelles l'administration pénitentiaire peine à établir des liens apaisés qui, pourtant, facilitent un enfermement serein.

La violence est également subie par le personnel pénitentiaire. En effet, le métier de surveillant souffre d'un déficit d'image qui est pesant pour celui qui l'exerce (puisque la prison c'est tout ce que sécrète et rejette la société, la maladie, la pauvreté, l'illettrisme, la marginalité, la maladie mentale, la toxicomanie) et lui donne le sentiment de travailler dans "la poubelle" de la société.

La violence subie par le personnel est, comme le souligne Christine Visier-Philippe, bien réelle :

- conditions de travail difficiles dans des établissements surpeuplés,

- peur du surveillant dans les prisons "nouvelles" de grande capacité, déshumanisées, où tout contact direct, tout dialogue, y compris de surveillant à surveillant, tend à disparaître,

- confrontation avec un détenu qui s'est donné la mort,

- agressions verbales ou physiques par un ou plusieurs détenus,

- nécessité de pratiquer des fouilles à corps qui atteignent la dignité non seulement de celui qui les subit mais de celui qui les pratique,

- obligation pour le personnel pénitentiaire et notamment les directeurs d'établissement de résider à côté de la prison dans des lieux qui s'apparentent rapidement à "des ghettos", mode de vie qui provoque des pathologies nouvelles -rejoignant la pathologie de bien des détenus condamnés à de longues peines- provoquant le départ en série de plusieurs cadres de premier plan de l'administration pénitentiaire ayant rejoint d'autres administrations.

La violence de la détention, c'est aussi celle dont les magistrats répugnent à être les témoins puisque, de l'avis général des directeurs d'établissement, l'article 10 de la loi pénitentiaire de 2009 aux termes duquel les magistrats "doivent visiter au moins une fois par an, chaque établissement pénitentiaire situé dans leur ressort territorial de compétence" n'est pas respecté ....

La violence, enfin, c'est celle à laquelle sont confrontés les avocats puisque leur rôle aujourd'hui est d'être présents tout au long de la chaîne pénale, de la garde à vue à la sortie de prison.

Une journée relayée par les barreaux

Sur l'ensemble des 160 barreaux de France, près d'un sur deux a marqué cette journée par un évènement. Il s'est agi le plus souvent d'une conférence de presse réalisée conjointement avec le directeur de l'établissement pénitentiaire. Et plus spécifiquement ont été relevées des initiatives propres à chaque barreau.

A titre d'exemple l'on peut citer :

- au barreau de Nantes, la projection du film documentaire Le déménagement suivie d'un débat à la maison de l'avocat ;

- au barreau de Saint-Denis de la Réunion, l'organisation d'un match de football entre avocats et détenus ;

- au barreau de Grenoble, la réalisation de DVD sur un certain nombre de sujets (JAF, droit des étrangers, et autres thèmes prégnants en établissement pénitentiaire) mis à disposition pour les détenus dans les maisons d'arrêts ;

- au barreau de Montpellier, l'organisation d'une conférence sur la violence en prison.

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Environnement

[Questions à...] Procès de l'"Erika" : la Cour de cassation consacre une victoire totale du droit de l'environnement - Questions à Maître Alexandre Moustardier, Avocat, Associé-gérant, Huglo Lepage & Associés Conseil

Réf. : Cass. crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3030ITE)

Lecture: 9 min

N3687BTQ

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 04 Octobre 2012

Après avoir déversé sur 400 kilomètres de côtes le pétrole qu'il transportait, c'est de l'encre que fait aujourd'hui couler l'Erika, celle de la presse généraliste, mais aussi -et surtout- celle des juristes, tant les réactions sont nombreuses face au procès éponyme. Rappelons rapidement que l'Erika, un pétrolier battant pavillon maltais (pavillon de complaisance) construit en 1975 et affrété par la société Total-Fina-Elf, a fait naufrage le 12 décembre 1999 se brisant en deux au large du Golfe de Gascogne au sud de la pointe de Penmarch (Bretagne), à environ 30 milles des côtes françaises, lors d'un transport de 37 000 tonnes de fuel lourd en provenance de Dunkerque et à destination de Messine (Sicile). Les conséquences sont sans précédent sur les côtes françaises : la marée noire, et le désastre écologique qui en résulte, émeuvent l'opinion et jettent le discrédit sur les pavillons de complaisance et les sociétés pétrolières qui font appel à leurs services. Par ordonnance du juge d'instruction du 2 février 2006, de nombreux protagonistes (la société de classification italienne, les propriétaires du navire et l'affréteur principalement) sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris du chef de pollution tel que défini par l'article 8 de la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 (aujourd'hui C. envir., art. L. 218-22 N° Lexbase : L2133IBM). Face à eux, de nombreuses parties civiles, départements, communes et associations de défense de l'environnement, réclament l'indemnisation de leurs préjudices. Le 16 janvier 2008, le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement et déclare l'affréteur, la compagnie pétrolière Total, la société de classification, l'armateur du navire et son gestionnaire coupables du délit de pollution. En appel (1), les condamnations sont confirmées et les dommages et intérêts alloués, notamment au titre du préjudice écologique pur, dont elle consacre pour la première fois, après le tribunal correctionnel, la reconnaissance judiciaire, sont même sensiblement revus à la hausse. Néanmoins, prévenus et parties civiles ne sont pas pleinement satisfaits par la lecture juridique qui est faite par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 30 mars 2010, les premiers reprochant essentiellement à la décision d'avoir absout la société Total de toute responsabilité civile. C'est donc un arrêt très attendu, et pas seulement par la communauté des juristes, qu'a rendu, le 25 septembre 2012, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans sa formation plénière. L'issue était d'autant plus incertaine que l'Avocat général préconisait une cassation de l'arrêt pour incompétence des juridictions françaises. Finalement, la position de la Cour régulatrice fut tout autre. En effet, après avoir approuvé la cour d'appel de Paris d'avoir retenu sa compétence pour statuer tant sur l'action publique que sur l'action civile, elle confirme les condamnations pénales et se prononce en faveur de la responsabilité de la société Total la condamnant à réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses co-prévenus d'ores et déjà condamnés par la cour d'appel.

Afin de décrypter cette décision, ses fondements et ses implications, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré l'un des représentants de certaines communes, parties civiles, dans ce procès, Maître Alexandre Moustardier, Avocat, Associé-gérant, Huglo Lepage & Associés Conseil, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : L'Avocat général Didier Boccon-Gibod, dans son avis, préconisait la cassation sans renvoi de l'arrêt d'appel pour incompétence des juridictions françaises dans cette affaire. Quels étaient ses arguments et pourquoi la Cour de cassation a-t-elle jugé différemment ? Cette solution est-elle, selon vous, totalement justifiée ?

Alexandre Moustardier : L'Avocat général soutenait en effet que la juridiction française n'était pas compétente car, disait-il, la tradition du droit international de la mer est privilégiée sur le critère de la compétence territoriale, la loi dite du pavillon, étant entendu que le navire battait pavillon maltais. Il soutenait ainsi, compte tenu du fait que l'accident était survenu au-delà des eaux territoriales, certes dans les eaux économiques, mais au-delà de la mer territoriale, que les tribunaux de Malte étaient compétents, et indirectement que ceux de France étaient incompétents.
Je me permettrais de relever au passage que l'idée même d'un tel procès devant les tribunaux de Malte prêtait à sourire puisque la juridiction, c'est le moins qu'on puisse dire, n'est pas très organisée dans cet Etat minuscule, mais l'argument avait pour portée d'obtenir la cassation sans renvoi de l'arrêt de la cour d'appel de Paris.

Je réponds à votre deuxième question, il est évident qu'une telle perspective aurait consisté pour la Cour de cassation en quelque sorte à nier sa propre existence en tant que juridiction suprême, ce qui est en définitive un suicide judiciaire bien organisé et qui était proposé. Reconnaître l'incompétence ab initio du tribunal correctionnel de Paris revenait pour la Cour de cassation, elle-même juridiction française, à se déclarer tout autant incompétente. Sur le plan de l'administration de la justice, cette idée apparaissait incongrue et si la Cour de cassation en a jugé différemment, c'est tout simplement que la position de l'Avocat général méconnaissait la tradition judiciaire dans l'hypothèse où l'acte initial de pollution vient d'un fait commis à l'étranger. Pourquoi traiter différemment la situation d'une pollution en mer à la situation d'une pollution dont l'origine se trouve sur le territoire d'un Etat étranger, dès lors qu'il est facile de comprendre que l'élément constitutif du délit, en l'espèce des dommages, est commis en France ? Les arrêts de la Cour de cassation, et en particulier de la Chambre criminelle sur ce point, sont trop abondants pour être cités. Il y a aussi un précédent, l'arrêt qu'avait obtenu mon associé Christian Huglo dans une longue affaire qui était l'affaire dite "des boues rouges de la Montedison". Dans une décision du 2 avril 1978, la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait ainsi jugé, s'agissant d'une pollution survenue en haute mer, que les tribunaux français dans le ressort duquel s'étaient manifestés les effets de la pollution restaient compétents pour les juger.

Il est évident, et je réponds à votre troisième question, que la solution de la Cour de cassation est totalement justifiée, non pas par référence à la tradition, mais tout simplement parce que la juridiction elle-même et son existence sont absolument indispensables pour régler des questions aussi graves que celles de l'espèce. Avez-vous songé un instant aux conséquences psychologiques d'une déclaration d'incompétence et au fait que cette situation aurait abouti à un véritable suicide juridictionnel ?

Lexbase : Sur le plan pénal justement, l'arrêt de la Cour de cassation, qui a confirmé l'arrêt d'appel en retenant la responsabilité du pollueur, est une victoire pour vous. Pouvez-vous nous expliquer le fondement de cette décision ?

Alexandre Moustardier : Sur le plan pénal, il est vrai que l'arrêt de la Cour de cassation qui a confirmé la cour d'appel en retenant la responsabilité du pollueur ne fait aucun doute des fautes successives relevées par l'arrêt de la cour d'appel.
L'initiative même du transport de déchets sous couvert des qualifications en fuel lourd n° 2 impliquait les risques considérables car des produits de ce genre ne peuvent pas être transportés s'ils ne sont pas chauffés à 60 ou 70° C, il faut des navires très résistants et de bonne qualité. En choisissant un navire dont les contrôles avaient été insuffisants et en négligeant les conséquences des premières constatations que ses agents avaient faites sur la qualité du bateau et en ordonnant effectivement le transport, Total et ses filiales ont manifestement commis une faute. La question n'est pas difficile à trancher dès lors que pratiquement tous les délits d'environnement ne sont pas simplement des délits susceptibles d'être reprochés à des personnes physiques ou à des dirigeants, mais également à la personne morale.

La décision du nouveau Code pénal de 1994 d'étendre la responsabilité de la personne morale est la résultante directe du procès de Chicago qui avait vu affirmer la responsabilité désormais des maisons mères pour les filiales dans la célèbre affaire de l'Amoco Cadiz. Elle était conduite pour les collectivités publiques et privées de la Bretagne par mes associés Corinne Lepage et Christian Huglo.

Lexbase : L'un des apports essentiel de cet arrêt, et qui marque également une victoire pour les parties civiles que vous représentiez, est la cassation de l'arrêt d'appel concernant la responsabilité civile de Total. En effet, la Cour régulatrice a, au contraire, estimé que Total, comme les autres prévenus, devait réparer les conséquences du dommage. Pouvait-il en être autrement ?

Alexandre Moustardier : Il est logique que la Cour de cassation retienne la responsabilité civile de la société Total. D'abord, je relèverais que le hiatus existant entre coupable mais non responsable pose des problèmes non seulement juridiques, mais d'ordre moral ou d'ordre éthique. A quoi sert le droit pénal dans ces conditions ? Un confrère pénaliste m'a dit avant le délibéré que le droit pénal n'était pas au service des victimes... et après le délibéré qu'il ne méritait plus le nom de droit... Au contraire, ici, la juridiction pénale française s'est réaffirmée en confirmant qu'elle était compétente et en rendant la décision forte que l'on connaît.

Il fallait aller jusqu'au bout du processus et Christian Huglo le relevait dans sa première interview à Lexbase en 2010 : l'arrêt était lapidaire sur les fautes volontaires, ou ce que l'on appelle la témérité, et l'appréciation de la cour d'appel avait été vraiment péremptoire ; on reprochait à l'arrêt un défaut de motivation. La Cour de cassation, parfaitement consciente des critères posés par la Convention de Bruxelles de 1969 sur ce qu'on appelle la "témérité", qui exonère en quelque sorte de l'exonération de responsabilité, s'est engouffrée dans ce passage et il faut saluer l'effort fait par la Cour de cassation de ressaisir complètement les faits et d'entrer en voie de condamnation.

J'avoue que pour moi, cette avancée a été une véritable et divine surprise.

Lexbase : Véritable avancée, l'obligation pour le pollueur d'assurer la réparation du dommage écologique est consacrée par la Cour de cassation. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?

Alexandre Moustardier : S'agissant du dommage écologique, la Cour de cassation le consacre, mais les tribunaux l'avaient jugé dans l'affaire de la Montedison déjà citée. La grande avancée résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, car l'arrêt de la Cour de cassation ne fait que simplement confirmer sa position : en une phrase, page 255 de l'arrêt, il est dit que la cour d'appel avait eu raison d'accorder la réparation, je n'en dis pas plus. Il faut donc se reporter à l'arrêt de la cour d'appel sur ce point qui consacre le double aspect du dommage écologique, d'une part, l'atteinte à l'image de marque des collectivités publiques ou privées et, d'autre part, la réparation liée à la remise en état de l'estran.

J'ai travaillé en détail ce dossier avec Christian Huglo et nos conclusions sont extrêmement explicites sur ce point particulier. Nous avons appliqué, comme l'avait rappelé Christian Huglo dans sa précédente interview dans ces colonnes, la théorie dite de l'unité de biodiversité. Nous avons fait établir des cartes de l'estran, nous avons fait calculer les surfaces touchées. Vous savez que l'estran, c'est la partie découverte et recouverte par la mer sur les plages, donc la partie biologiquement la plus riche ; pour prendre une image, en fin de compte, nous avons appliqué la théorie de l'occupation du milieu, c'est aussi le nombre de personnes installées dans des tentes sur des champs de blé en cours de croissance, on s'est amusé à jeter autour de ces tentes de l'eau polluée avec des produits chimiques, il faudra attendre le recouvrement pour que le champ de blé puisse remplir à nouveau son office. Les différentes juridictions appelées à statuer sur des réparations de ce type considèrent qu'il y a lieu d'indemniser la perte de récolte et le cycle de repeuplement biologique. Comme vous le voyez, c'est extrêmement simple et concret, aucun aspect métaphysique à la question, c'est ce qu'on appelle tout simplement la théorie de la réparation intégrale. Bien entendu, il est clair que le dommage écologique pur causé à la mer n'est pas réparé, mais en l'état du droit, c'est une autre question.

Il faut tout de même relever à l'avantage de Total que celui-ci a pris des dispositions pour pomper le fuel restant dans l'Erika, cela à ses frais.

J'ajouterais que la Cour de cassation confirme ici encore une fois une position sur l'environnement forte. Déjà quand, à l'initiative de mon associée Corinne Lepage, nous avions engagée une action à l'encontre de la société Total sur le fondement, cette fois-ci, de la législation déchets, la Cour de cassation nous avait suivis (2), de même que la Cour de justice des Communautés européennes (3) alors, en reconnaissant une responsabilité à cette société en qualité de détenteur actif du déchet constitué par les hydrocarbures répandus sur le littoral. Une avancée considérable pour l'environnement une fois encore.

Lexbase : Redoutez-vous un recours de Total devant la CEDH ou la CJUE ?

Alexandre Moustardier : Sur votre dernière question et le recours éventuel de Total devant une juridiction européenne, je crois que notre confrère avait parlé de la Cour européenne des droits de l'Homme, ce qui nous avait beaucoup étonné, puisque normalement les personnes morales n'y sont pas admises, sauf semble-t-il lorsque leurs droits de propriété sont en cause. Si Total avait vraiment voulu aller devant la Cour européenne des droits de l'Homme, il aurait fallu qu'il démontre que la pollution commise portait atteinte à son droit de propriété, il aurait fallu affirmer un droit de l'Homme du pollueur, très franchement tout cela n'apparait pas très sérieux, ni surtout convaincant. On peut toujours dire que l'on fait un recours, même irrecevable, mais à ce moment-là, c'est de la communication, ce n'est plus du droit.

Il n'en reste pas moins que je ne vois pas un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne, en général elle n'est pas saisie directement dans des affaires de ce type et encore il faudrait un peu plus d'explications. Traditionnellement, la Cour de justice de l'Union européenne est saisie de questions préjudicielles, la Cour de cassation n'en a pas besoin, elle avait déjà fait sa religion dans l'affaire que j'ai rappelée que nous avions traitée avec Corinne Lepage, c'est-à-dire l'affaire dite "commune de Mesquer contre Total" dans laquelle nous avons fait apprécier par la juridiction de l'Union européenne que Total avait rejeté des déchets et qu'il fallait effectivement que cette société en assure aussi la réparation (4).

Sur ce point, nous avons une longueur d'avance.


(1) CA Paris, Pôle 4, 11ème ch., 30 mars 2010, n° 08/02778 (N° Lexbase : A6306EU4) ; cf. Procès de l'Erika : la reconnaissance judiciaire du préjudice écologique - Questions à Maître Christian Huglo, Avocat à la Cour, Huglo Lepage & Associés Conseil, Docteur en droit, Spécialiste en droit de l'environnement et en droit public, Lexbase Hebdo n° 397 du 3 juin 2012 - édition privée (N° Lexbase : N2199BP7) ; Ch. Huglo, L'Erika : éclairages sur la reconnaissance et la réparation du préjudice écologique, Environnement & Technique, n° 296, mai 2010.
(2) Cass. civ. 3, 17 décembre 2008, n° 04-12.315, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8642EBP).
(3) CJCE, 24 juin 2008, aff. C-188/07 (N° Lexbase : A2899D9A).
(4) Cass. civ. 3, 17 décembre 2008, n° 04-12.315, préc. et CJCE, 24 juin 2008, aff. C-188/07, préc..

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de fiscalité des entreprises - Octobre 2012

Réf. : Loi n° 2012-958, 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 14 et 15 (N° Lexbase : L9357ITQ)

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par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris-Dauphine, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 04 Octobre 2012

1 - La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, vient de renforcer le dispositif de lutte à la fois contre les transferts de bénéfices vers les pays à fiscalité privilégiée et contre l'utilisation abusive des déficits. Selon le travail réalisé par le Conseil des prélèvements obligatoires, le montant de l'évasion fiscale se situerait entre 30 milliards d'euros et 80 milliards d'euros, soit le montant de l'intérêt de la dette. Les transferts de bénéfices et le prix de ces opérations y représentent une part importante. Pour lutter contre ce phénomène, la commission d'enquête sur l'évasion fiscale, présidée Philippe Dominati (rapport sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, Sénat n° 673 du 17 juillet 2012), proposait différentes mesures reprises dans la loi de finances rectificative pour 2012. L'article 14 de la loi vise, en particulier, à opérer un renversement de la charge de la preuve pour les transferts de bénéfices vers les pays à fiscalité privilégiée, alors que l'article 15 a pour objet de limiter les possibilités d'exploitation des déficits à des fins d'optimisation fiscale.
On notera que ces différentes modifications sont applicables aux exercices clos à compter du 31 décembre 2012. Elles produiront des recettes dès 2012, essentiellement du fait du "cinquième acompte" qui sera versé le 15 décembre 2012 par les grandes entreprises. Un surplus budgétaire de 40 millions d'euros est donc attendu dès cette année. En 2013 (année pleine), ce chiffre s'élèvera à 200 millions d'euros. I - L'article 14 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 : renversement de la charge de la preuve dans le cadre de l'article 209 B du CGI

2 - L'article 14 opère un remaniement de l'article 209 B (N° Lexbase : L9422IT7). Cette disposition permet de déroger au principe de territorialité de l'impôt et d'imposer en France, même lorsqu'ils ne sont pas distribués, les résultats réalisés par des entreprises contrôlées par des sociétés françaises dans des pays à fiscalité privilégiée. Les bénéfices d'une filiale soumise à un régime fiscal privilégié sont ainsi réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne morale établie en France. L'article 209 B instaure ainsi une sorte de présomption de fraude que le contribuable peut toutefois combattre de plusieurs manières, selon que la filiale est implantée dans un Etat membre de l'Union européenne, hors Union européenne, ou dans un ETNC.

A - Filiales établies dans un Etat de l'Union européenne

3 - Lorsque la société française peut arguer que sa filiale est établie ou constituée dans un Etat membre de l'Union européenne, elle bénéficie du II de l'article 209 B, qui précise que la présomption n'est applicable qu'aux montages artificiels dont le but est de contourner la législation fiscale française. Lorsque les bénéfices sont localisés dans un Etat de l'Union, il appartient ainsi à l'administration fiscale de démontrer que le montage est artificiel et n'a pour but que de contourner la législation fiscale française. Une telle preuve est difficile à établir, si bien que les bénéfices localisés dans un Etat de l'Union échappent en quasi-totalité à l'application du I de l'article 209 B. D'ailleurs, dans son rapport n° 2132 sur le dernier projet de loi de finances rectificative pour 2009 (n° 2070), le Rapporteur général relevait qu'un redressement avait, pour la première fois, été opéré en 2009, sur le fondement de ce dispositif. Cet assouplissement est cependant nécessaire pour que la législation française soit conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Rappelons que dans l'arrêt "Cadbury Schweppes" du 12 septembre 2006 (CJUE, 12 septembre 2006, aff. C-196/04 N° Lexbase : A9641DQ7), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'un dispositif existant dans la législation du Royaume-Uni, équivalent à celui prévu à l'article 209 B du CGI, était contraire au droit de l'Union européenne. Il a été considéré que la liberté d'établissement s'opposait à l'incorporation, dans l'assiette imposable d'une société établie dans un Etat membre de l'Union européenne, des bénéfices réalisés par une société étrangère qu'elle contrôle par un autre Etat membre, lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d'imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat. Néanmoins, la Cour de justice a admis une telle incorporation lorsqu'elle concerne des montages purement artificiels destinés à éluder l'impôt national normalement dû. Mais elle a également posé le principe selon lequel la seule circonstance qu'une société résidente crée une filiale dans un autre Etat membre ne saurait fonder une présomption générale de fraude fiscale et justifier une mesure portant atteinte à l'exercice d'une liberté garantie par les textes fondamentaux de l'Union européenne (CJUE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96 N° Lexbase : A0410AW4). Par voie de conséquence, le caractère artificiel d'un schéma fiscal ne peut être présumé et il revient à l'administration de le démontrer.

4 - Dans ces conditions, les marges de manoeuvre du législateur français étaient particulièrement réduites, même si certains pays membres de l'Union européenne peuvent être qualifiés de pays à fiscalité privilégiée. La deuxième loi de finances rectificative pour 2012 n'apporte d'ailleurs aucune modification au II de l'article 209 B.

B - Filiales situées hors Union européenne

5 - Lorsque la filiale est située hors Union européenne, en vertu du III de l'article 209 B, la société mère pouvait bénéficier d'une "clause de sauvegarde" pour les bénéfices ou revenus de l'entreprise ou de l'entité établie ou constituée hors de France qui "proviennent d'une activité industrielle ou commerciale effective". Mais cette présomption d'inapplicabilité du régime de taxation, simple dans son principe, était assortie d'exceptions qui l'étaient nettement moins. En effet, elle ne valait pas si les bénéfices ou revenus de l'entreprise ou de l'entité proviennent pour plus de 20 % de revenus dits "passifs", c'est-à-dire provenant schématiquement d'opérations sur actifs financiers ou incorporels, ou pour plus de 50 % de revenus "passifs" et de prestations de services intragroupe. Il appartenait à l'administration fiscale de prouver que les bénéfices ou revenus ne provenaient pas d'une activité industrielle ou commerciale effective ou que, si tel était le cas, les seuils de revenus passifs (20 %) ou intragroupe (50 %) étaient dépassés. La charge de la preuve de l'administration était d'autant plus lourde que, même en cas de franchissement des seuils de 20 % et 50 %, la société redevable de l'IS en France pouvait échapper au dispositif de taxation en établissant que les opérations de l'entreprise ou de l'entité établie ou constituée hors de France avaient "principalement un effet autre que de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire" à fiscalité privilégiée. La charge de la preuve incombait, dans ce cas, au contribuable, et non à l'administration fiscale.

6 - Ce mécanisme complexe nuisait incontestablement à l'efficacité des pouvoirs de contrôle de l'administration. Selon le rapport parlementaire (AN, n° 79 du 12 juillet 2012), seuls quatre redressements ont pu être opérés hors Union européenne en 2011, pour un montant de 35 millions d'euros en base d'imposition.

7 - Pour remédier à cette situation, le législateur a d'abord simplifié le dispositif. Les ratios de revenus passifs qui déclenchent l'application du dispositif sont ainsi supprimés.

8 - Le législateur a ensuite opéré un renversement de la charge de la preuve sur le contribuable, en subordonnant la non-application du dispositif à la démonstration, par la personne morale établie en France, que "les opérations de l'entreprise ou de l'entité juridique établie ou constituée hors de France ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié". Dans le projet initial, le législateur n'évoquait que l'effet principalement fiscal, mais un amendement a été déposé par Christian Eckert, rapporteur général du budget, pour renforcer le critère d'intentionnalité et durcir ainsi les conditions qui permettent de lutter contre les abus. Le contribuable doit, dorénavant, prouver que cette présence à l'étranger n'est principalement fiscale ni dans ses conséquences, ni dans l'intention qui a conduit à sa mise en place. En effet, il n'est pas exclu que certains montages aient un objet principalement fiscal sans pour autant que leurs conséquences soient aisément appréhendées par l'administration.

9 - Le fardeau de la preuve n'est toutefois nullement alourdi pour les entreprises françaises, car la condition est "réputée remplie notamment lorsque l'entreprise ou l'entité juridique établie ou constituée hors de France a principalement une activité industrielle ou commerciale effective exercée sur le territoire de l'Etat de son établissement ou de son siège".
L'emploi de l'adverbe "notamment" laissera la possibilité à la société redevable de l'IS de prouver à l'administration que les bénéfices et revenus tirés de l'entreprise ou de l'entité établie ou constituée hors de l'Union européenne, alors même qu'ils ne proviennent pas d'une activité industrielle ou commerciale, ne sont pas localisés à l'étranger à seules fins d'optimisation fiscale.
Le mécanisme nouveau n'est toutefois pas si favorable aux entreprises françaises, car, si la condition permettant d'écarter l'application du dispositif de taxation devient réputée remplie en cas d'activité industrielle ou commerciale, encore faut-il que l'entreprise ou l'entité juridique exerce "principalement" ce type d'activité.
L'introduction de cet adverbe s'explique par la suppression des seuils de 20 % et 50 %. Le législateur prétend que "leur suppression rendra donc le dispositif plus clair, et permettra à l'administration d'apprécier, au moyen des informations fournies par la société redevable de l'IS, le caractère principal des activités à l'origine des bénéfices ou revenus potentiellement taxables au titre du I de l'article 209 B". Elle génère, à notre avis, une insécurité juridique dont on peut se demander si elle est aujourd'hui compatible avec les exigences de sécurité juridique. On rappellera que la CJUE a pu estimer qu'une loi fiscale qui s'applique lorsque le régime de taxation d'un prestataire étranger est "notablement plus avantageux" que le régime national ne satisfait pas aux exigences de la sécurité juridique, qui impose que "les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu'elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables" (CJUE, 5 juillet 2012, aff. C-318/10 N° Lexbase : A3542IQA ; voir également CJUE, 7 juin 2005, aff. C-17/03 N° Lexbase : A5588DIS, Rec. p. I 4983, point 80, ainsi que CJUE, 16 février 2012, aff. C-72/10 et C-77/10 N° Lexbase : A5819ICI, point 74). L'ancien mécanisme de l'article 209 B avait l'inconvénient de sa lourdeur, mais n'engendrait qu'un faible arbitraire, ce qui ne sera pas le cas de la règle nouvelle.

C - Filiales implantées dans un ETNC

10 - Lorsque la filiale est implantée dans un Etat ou territoire non coopératif, la charge de la preuve reposait, depuis le 1er janvier 2010, sur l'entreprise française. Le III bis de l'article 209 B prévoyait un régime contraignant, puisque le dispositif de taxation prévu par le I de l'article 209 B était alors, par principe, applicable. La société redevable de l'IS pouvait cependant établir par tous moyens -la charge de la preuve lui incombant- que les bénéfices ou revenus provenant de l'entreprise ou de l'entité établie ou constituée hors de France répondaient aux critères du II de l'article 209 B, à savoir, une activité industrielle et commerciale effective exercée sur le territoire concerné, et le respect des seuils de 20 % et 50 %. Le dernier alinéa du III bis comportait également une "clause de sauvegarde" permettant à la société française d'échapper au dispositif. La société assujettie à l'IS en France devait alors établir que les opérations de sa filiale avaient un objet et un effet principalement autres que fiscal, et devait transmettre "tous éléments nécessaires à l'appréciation de l'activité et des proportions" de revenus passifs et intragroupes.

11 - Pour renforcer l'efficacité du dispositif, le législateur aurait pu supprimer cette dernière clause de sauvegarde applicable aux Etats et territoires non coopératifs. En réalité, le législateur a préféré abroger purement et simplement le III bis de l'article 209 B. Il n'y a, dès lors, plus de règles spécifiques pour les ETNC. Même si cette abrogation n'entraîne pas un allégement des règles applicables aux ETNC, elle ne constitue pas, à l'évidence, un renforcement de l'efficacité de la lutte contre les transferts de bénéfices dans les pays à fiscalité privilégiée non coopératifs. La liste réduite des ETNC explique certainement ce désintérêt relatif du législateur.

12 - Au final, il faut retenir que le nouvel article 209 B a étendu le régime de la preuve applicable aux filiales localisées dans les ETNC à l'ensemble des entités bénéficiant d'un régime fiscal privilégié, quelle que soit leur localisation hors de l'Union européenne. Dès lors, une fois que l'administration fiscale a établi l'existence d'un régime fiscal privilégié, il est imposé une présomption simple d'évasion fiscale aux sociétés établies en France et détenant des filiales bénéficiant d'un tel régime dans un pays non européen, coopératif ou non. Cette présomption peut être aisément écartée par les entreprises exerçant une activité économique réelle dans les Etats à fiscalité privilégiée où elles sont implantées. Pour les autres entreprises, il sera nécessaire de démontrer que l'implantation de la filiale avait principalement un objet et un effet autres que fiscaux.

II - L'article 15 : lutte contre les transferts abusifs de déficits

13 - L'article 15 de la deuxième loi de finances rectificative vise à limiter les possibilités d'exploitation des déficits à des fins d'optimisation fiscale. Il s'agit, plus précisément, de lutter contre les montages qui permettent, par une utilisation optimisante de certaines dispositions du CGI, de conserver ou d'échanger des déficits reportables d'un exercice sur l'autre et qui, une fois imputés sur les bénéfices, ont pour effet de minorer l'assiette taxable.

14 - Rappelons brièvement les règles applicables à l'exploitation des déficits. Alors que l'article 220 quinquies du CGI (N° Lexbase : L5701IRL) instaure un mécanisme de "report en arrière" (ou "carry-back") des déficits permettant d'imputer le déficit constaté au cours d'un exercice sur le résultat de l'exercice antérieur (sous un plafond de un million d'euros), l'article 209 (N° Lexbase : L9518ITP) prévoit, en son troisième alinéa, une procédure du "report en avant" des déficits. Ce mécanisme autorise les redevables de l'impôt sur les sociétés ayant enregistré un déficit au cours d'un exercice de considérer ce déficit comme une charge déductible du résultat de l'exercice suivant, dans la limite d'un million d'euros + 60 % de la fraction du bénéfice de l'exercice sur lequel le déficit est reporté qui excède un million d'euros. Si le résultat en question ne permet pas d'imputer l'intégralité du déficit, la fraction non imputée est reportable sur les exercices suivants, sans limitation de durée.
Comme cette procédure a pour finalité d'ajuster le rythme de l'imposition à celui de l'activité économique qui en est à l'origine, le déficit cesse d'être reportable en cas de changement d'exploitant ou d'activité. Il existe néanmoins deux exceptions notables au principe de déchéance du droit à report des déficits en cas de changement d'exploitant. D'abord, en cas de fusions et opérations assimilées placées sous le régime de faveur de l'article 210 A (N° Lexbase : L9521ITS). Le II de l'article 209 prévoit qu'en cas de fusion placée sous le régime de faveur, les déficits antérieurs non encore déduits de la société absorbée sont transférés à la société absorbante et imputables sur ses bénéfices ultérieurs. Ce transfert est toutefois soumis à un agrément du ministre chargé du Budget, qui est délivré si les conditions posées par l'article 209 sont remplies. La seconde exception concerne les restructurations de groupes fiscaux intégrés. Lorsqu'une société soumise à l'IS s'est constituée seule redevable de l'impôt des sociétés qu'elle détient à plus de 95 % (société "tête de groupe") est absorbée par une société soumise à l'IS qui devient de ce fait la nouvelle tête de groupe, ou bien fait l'objet d'une scission ayant les mêmes conséquences, les déficits de la société absorbée ou scindée, ainsi que les intérêts intragroupe déductibles sont transférés au profit de la ou des sociétés bénéficiaires. Le transfert des déficits doit cependant faire l'objet d'un agrément, délivré si les conditions de l'article 223 I (N° Lexbase : L9516ITM) sont respectées.

15 - Ce régime complexe du droit au report des déficits a permis le développement d'un "véritable marché de déficits", selon l'expression du législateur. Il s'agit, schématiquement, pour une société bénéficiaire, d'acquérir les titres d'une société déficitaire dans des conditions lui permettant d'imputer sur ses bénéfices les déficits transférables enregistrés par la société dont les titres sont acquis. Cette opération permet à la société bénéficiaire de réduire son assiette taxable alors même que la société dont les titres sont acquis a déjà abandonné tout ou partie du fonds de commerce à l'origine de ce déficit. Une étude du Trésor accrédite l'idée que les mécanismes de report des déficits sont surtout très utilisés par les grandes entreprises et expliquent en grande partie leurs faibles taux implicites d'imposition (rapport d'information sur l'application de la loi fiscale, n° 3631, juillet 2011, présenté au nom de la commission des Finances par M. Gilles Carrez, page 53).

16 - Pour lutter contre les transferts abusifs de déficits, l'article 15 de la loi de finances rectificative prévoit, non de remettre en cause les dérogations légitimes au principe de déchéance du droit au report des déficits, mais de faire en sorte que les transferts de déficits s'inscrivent dans une logique économique et non pas dans une logique exclusivement fiscale. A cette fin, les modifications tendent, selon des moyens différents, à conditionner le transfert des déficits au maintien de l'activité économique qui les a générés. Ainsi, l'article 15 de la loi de finances rectificative prévoit à la fois de durcir les conditions d'obtention des agréments autorisant le transfert de déficits en cas d'opérations de restructurations, et de définir plus précisément et largement le changement d'activité réelle, lequel changement provoque une déchéance des déficits antérieurement accumulés.

A - Changement d'exploitant : modifications des conditions d'agréments autorisant le transfert de déficits lors d'opérations de restructurations

17 - L'article 15 de la loi de finances rectificative durcit les conditions ouvrant droit au bénéfice du régime de faveur des fusions et opérations assimilées, et étend les conditions ainsi renforcées aux opérations de restructurations des groupes fiscaux.

18 - Concernant les conditions d'agrément des transferts de déficits en cas de fusion ou opération assimilée placée sous le régime de faveur de l'article 210 A, certaines sont maintenues, d'autres sont renforcées et d'autres enfin sont introduites.
En premier lieu, pour que le transfert des déficits soit possible, il conviendra toujours que l'opération soit justifiée du point de vue économique et obéisse à des motivations principales autres que fiscales.
En second lieu, comme antérieurement, l'activité à l'origine des déficits dont le transfert est demandé devra toujours être poursuivie pendant au moins trois ans par la ou les sociétés absorbantes ou bénéficiaires des apports. Mais il est ajouté que l'activité ne devra pas "faire l'objet, pendant cette période, de changement significatif notamment en termes de clientèle, d'emploi, des moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité".
En troisième lieu, deux conditions supplémentaires à l'agrément sont introduites au II de l'article 209.
D'abord, la délivrance de l'agrément sera conditionnée au fait que "l'activité à l'origine des déficits ou des intérêts dont le transfert est demandé n'a pas fait l'objet par la société absorbée ou apporteuse pendant la période au titre de laquelle ces déficits et ces intérêts ont été constatés, de changement significatif notamment en termes de clientèle, d'emploi, des moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité". Cette condition nouvelle a pour but de vérifier que le déficit n'a pas été volontairement créé par une modification de l'activité de la société, afin de pouvoir être transféré ultérieurement à une société bénéficiaire, pour lui permettre d'effacer une partie de son résultat imposable. Il convient cependant de remarquer qu'en principe, une société connaissant un changement significatif d'activité devrait logiquement subir les conséquences fiscales de la cessation d'entreprise, et, par construction, ne plus disposer de déficits éventuellement transférables, d'autant que l'article 15 de la loi de finances rectificative définit plus largement le changement d'activité réelle.
Ensuite, le nouvel article 209 prévoit que ne sont pas susceptibles d'être transférés les déficits et intérêts provenant "de la gestion d'un patrimoine mobilier par des sociétés dont l'actif est principalement composé de participations financières dans d'autres sociétés ou groupements assimilés, [ou] de la gestion d'un patrimoine immobilier". L'objectif est d'exclure de l'agrément le transfert des déficits des holdings financières ou des sociétés de gestion d'un patrimoine immobilier, car certaines de ces sociétés semblent faire partie des sociétés actives sur les marchés de déficits.

19 - Toutes ces nouvelles conditions sont étendues aux transferts de déficits réalisés dans le cadre des restructurations de groupes fiscaux. L'article 223 I est modifié en conséquence et s'applique aux opérations de fusion, scission et scission partielle du groupe. Il faudra ainsi, entre autres, que la société absorbante poursuive l'activité qui en est à l'origine du déficit.

B - Changement d'activité : objectivisation de la notion

20 - Insuffisamment définie par la loi, la notion de "changement d'activité réelle" a été interprétée souplement et extensivement par le juge administratif. Seul un changement d'activité profond est susceptible d'emporter les conséquences de la cessation d'entreprise, et donc la déchéance du droit au report des déficits. La jurisprudence du Conseil d'Etat estime que l'activité initiale ne doit pas devenir "marginale", soit que l'entreprise exerce des activités nouvelles (CE 8° et 3° s-s-r., 10 juillet 2007, n° 288484, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2853DXX), soit qu'elle décide d'abandonner certaines de ses activités initiales. De fait, la Haute juridiction examine si le changement d'activité est de nature à faire perdre "l'identité" de l'entreprise. Ainsi, une entreprise qui se recentre sur une activité minoritaire (mais la seule bénéficiaire) ne signifie pas que celle-ci est "marginale". Ainsi, une société ne change pas d'activité, selon la jurisprudence, lorsqu'elle acquiert et exploite une dizaine de supermarchés avant de les revendre pour n'y conserver qu'un point de vente de produits de boucherie, en réduisant de 80 % son chiffre d'affaires et des deux tiers le nombre de ses employés (CE 8° et 3° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 284621, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9628DZM). Face à cette situation, le législateur a préféré définir plus précisément ce qu'il convient d'entendre par changement d'activité. Ainsi l'alinéa 5 de l'article 221 (N° Lexbase : L9517ITN) comporte une nouvelle rédaction.

21 - D'abord, en plus du principe selon lequel "le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise", est ajoutée une nouvelle cause de cessation d'entreprise, "en cas de disparition des moyens de production nécessaires à la poursuite de l'exploitation pendant une durée de plus de douze mois, sauf cas de force majeure, ou lorsque cette disparition est suivie d'une cession de la majorité des droits sociaux". Cette nouvelle rédaction a pour but d'éviter qu'une entreprise déficitaire soit "mise en sommeil" pendant plusieurs mois pour être "réactivée" afin de profiter des déficits non encore reportés ; ou encore qu'une entreprise soit vidée de sa substance, de sorte qu'elle devienne déficitaire, puis cédée (schéma dit "du coquillard").

22 - Ensuite, le nouvel article 221 identifie deux causes de changement d'activité : l'adjonction d'une activité et l'abandon (ou le transfert, même partiel) d'une activité. Pour être constitutive d'un changement d'activité, chacune de ces causes doit avoir un impact significatif sur l'activité de l'entreprise, en augmentant (pour l'adjonction) ou réduisant (pour l'abandon) de plus de 50 %, au titre de l'exercice de sa survenance ou du suivant, et par rapport à l'exercice précédant sa survenance, soit le chiffre d'affaires, soit l'effectif moyen du personnel et le montant brut des éléments de l'actif immobilisé de la société.
Il convient de souligner que la variation de plus de 50 % de ces éléments objectifs n'est pas la seule cause du changement d'activité réelle, puisque le texte dispose que le changement d'activité réelle s'entend "notamment" des deux causes qui viennent d'être exposées. L'administration disposera donc d'une marge d'appréciation, au-delà des critères objectifs fixés par la loi.

23 - Afin d'éviter que ces nouveaux critères soient nuisibles aux restructurations n'ayant pas d'objet fiscal, l'article 221 prévoit une sorte de procédure de sauvegarde. Sur agrément du ministre chargé du Budget, il est prévu que ne sont pas considérés comme emportant cessation d'entreprise, soit la disparition temporaire des moyens de production pendant une durée de plus de douze mois lorsque l'interruption et la reprise d'activité sont justifiées par des motivations principales autres que fiscales, soit l'adjonction et l'abandon d'une activité, dès lors qu'ils sont indispensables à la poursuite de l'activité à l'origine des déficits et à la pérennité de l'emploi. Autrement dit, l'administration fiscale pourra se livrer à un examen au cas par cas afin de déterminer si une opération a un but économique et permet de maintenir une activité et des emplois.
Les débats parlementaires ont été âpres sur la question de cette double condition de poursuite de l'activité et du maintien des emplois. L'opposition parlementaire craignait que le cumul de critères prévu pour obtenir l'agrément soit économiquement irréaliste, car les opérations de restructurations s'accompagnent rarement du maintien de l'ensemble du personnel. Si pérenniser les emplois est essentiel, il faudrait, selon certains parlementaires, permettre à une entreprise en restructuration de bénéficier de l'agrément du seul fait de la poursuite d'activité.
Le Gouvernement s'est voulu rassurant en indiquant que le maintien de l'activité n'implique pas forcément d'une activité absolument identique, mais un outil de production "assez semblable", et que la pérennité de l'emploi ne doit pas s'entendre dans le sens du maintien de tous les emplois, des agréments pouvant être délivrés même en cas de contraction de personnel. Il serait souhaitable que l'administration retienne cette conception téléologique du texte nouveau.

24 - Au final, on retiendra que l'article 15 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 durcit les conditions d'obtention de l'agrément autorisant le transfert de déficits en cas d'opérations de restructurations. Les critères pris en compte lors de l'apport d'activités opérationnelles sont plus stricts et précis, et les déficits provenant de la gestion de titres par des sociétés dont l'actif est majoritairement composé de titres immobilisés et/ou d'un patrimoine immobilier ne peuvent être transférés à la société absorbante ou assimilée. De plus, s'agissant des opérations de restructuration concernant les groupes fiscaux, l'octroi de l'agrément à la poursuite est conditionné, par toutes les sociétés membres de l'ancien groupe qui feront partie du nouveau groupe, de l'activité à l'origine des déficits dont le transfert est demandé, et ce pendant trois ans. L'article 15 pose également des critères objectifs permettant de qualifier les changements d'activité entraînant la cessation d'entreprise et donc la perte des déficits.

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Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Octobre 2012

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N3703BTC

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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920)

Le 28 Août 2014

Au sommaire de cette chronique de procédure pénale, on peut noter deux grands phénomènes : tout d'abord, l'essor croissant de l'influence du droit de l'Union européenne sur la procédure pénale française, à travers, notamment, l'importante question de la garde à vue des étrangers (Cass. civ. 1, 5 juillet 2012, n° 11-19.250, n° 11-30.371 et n° 11-30.530, FS-P+B+R+I) ; ensuite, sans grande surprise il est vrai, la poursuite de l'épreuve de la pratique pour la nouvelle garde à vue : par exemple, question récurrente, comment interpréter l'article 64-1 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 11 juillet 2012, n° 12-82.136, F-P+B) ? Mais encore, question toujours polémique, quelle est la portée exacte du droit à l'avocat (Cass. crim., 19 septembre 2012, n° 11-88.111, FS-P+B ; CEDH, 28 août 2012, Req. n° 71407/10) ? I - La restriction de la garde à vue des étrangers
  • Impossibilité de la garde à vue du ressortissant d'un Etat tiers à l'Union européenne fondée sur le seul motif de son séjour irrégulier (Cass. civ. 1, 5 juillet 2012, trois arrêts n° 11-19.250 N° Lexbase : A4776IQX, n° 11-30.371 N° Lexbase : A4775IQW et n° 11-30.530 N° Lexbase : A5008IQK, FS-P+B+R+I ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4292EUI)

Par neuf arrêts rendus le même jour -dont trois seulement feront l'objet d'une publication au sein du rapport annuel et des présentes observations-, la première chambre civile de la Cour de cassation suit l'avis rendu, à sa demande, par la Chambre criminelle, en matière de garde à vue du ressortissant d'un Etat tiers à l'Union européenne. Sa position est désormais la suivante : il n'est pas encore possible de recourir à une telle mesure, lorsque l'on ne peut reprocher au suspect étranger que sa présence irrégulière sur le territoire national. Dès lors, sauf à se fonder sur une autre incrimination, seuls les étrangers qui se sont opposés à l'exécution d'une procédure administrative de départ forcé, ou qui sont revenus illégalement en France, paraissent s'exposer à des poursuites pénales au titre de l'article L. 624-1 (N° Lexbase : L7515IGG) -et non, comme en l'espèce, au titre de l'article L. 621-1- du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L4441AZI) et, partant, à une garde à vue.

La solution était inéluctable, car elle est consécutive, d'une part, à l'interprétation de la Directive "retour" du 16 décembre 2008 (Directive 2008/115 N° Lexbase : L3289ICS) par la Cour de justice de l'Union européenne et, d'autre part, à la réforme de la garde à vue par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 (N° Lexbase : L9584IPN). Pour autant, sa portée exacte demeure polémique.

En effet, comme le souligne la Chambre criminelle dans son avis du 5 juin 2012 (Cass. crim., 5 juin 2012, n° 11-19.250 N° Lexbase : A1793INQ), il ressort de la Directive "retour", telle qu'elle a été interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts "El Dridi" du 28 avril 2011 (CJUE, 28 avril 2011, aff. C-61/11 PPU N° Lexbase : A2779HPM et "Achughbabian" du 6 décembre 2011 (CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11 N° Lexbase : A4929H3X), que "le ressortissant d'un Etat tiers mis en cause, pour le seul délit prévu par l'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers (N° Lexbase : L5884G4P), n'encourt pas l'emprisonnement lorsqu'il n'a pas été soumis préalablement aux mesures coercitives visées à l'article 8 de ladite Directive" (nous soulignons) (mesures d'éloignement, en ce compris, en dernier ressort, des mesures coercitives). Or, comme "il résulte de l'article 62-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9627IPA) issu de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 qu'une mesure de garde à vue ne peut être décidée par un officier de police judiciaire que s'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'emprisonnement" (nous soulignons) et, "qu'en outre, la mesure doit obéir à l'un des objectifs nécessaires à la conduite de la procédure pénale engagée", ce ressortissant "ne peut donc être placé en garde à vue à l'occasion d'une procédure diligentée" du seul chef de séjour irrégulier.

Toujours selon la Chambre criminelle, il faut tenir le même raisonnement, préalablement à la réforme du 14 avril 2011, en ce qui concerne les gardes à vue diligentées dans le cadre d'une enquête de flagrance, celle-ci ne pouvant être mise en oeuvre, en vertu des articles 63 (N° Lexbase : L4383H99) et 67 (N° Lexbase : L3228AB8) du Code de procédure pénale, que pour les délits punis d'emprisonnement.

La première chambre civile reprend, pour l'essentiel, l'avis rendu par la Chambre criminelle, et fait sienne la solution qu'elle préconise, mais elle y apporte une nuance. Selon elle, si le droit de l'Union européenne "s'oppose à une réglementation nationale réprimant le séjour irrégulier d'une peine d'emprisonnement, en ce que cette réglementation est susceptible de conduire, pour ce seul motif, à l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers" (1), ce n'est que "lorsque ce dernier, non disposé à quitter le territoire national volontairement, soit n'a pas été préalablement soumis à l'une des mesures coercitives prévues à l'article 8 de cette Directive, soit, a déjà fait l'objet d'un placement en rétention, mais n'a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure" (45 jours) (nous soulignons).

Cette dernière précision est -opportunément ?- empreinte de paradoxe, puisque, soit le placement en rétention constitue l'une des mesures coercitives en question, soit, ne l'étant pas, il doit nécessairement avoir précédé l'une desdites mesures, la coercition ne pouvant être que le dernier recours.

Il faut reconnaître que l'interprétation des arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne n'est pas si évidente, celle-ci semblant admettre la pénalisation en la matière (incriminations et mesures procédurales corrélatives), mais à la seule condition qu'elle obéisse à des impératifs non pénaux, bref qu'elle soit détournée de ce qui la justifie (2)...

Au final, c'est précisément le constat d'un tel détournement qui, à travers la réaffirmation du caractère exceptionnel de la garde à vue, paraît avoir déterminé la solution rendue par la Cour de cassation : une garde à vue administrative n'est plus admissible à l'heure où l'on réaffirme la gravité de cette mesure.

Guillaume Beaussonie, MCF en droit privé, CRDP Tours (EA 2116)

II - L'obscurité opportune de l'article 64-1 du Code de procédure pénale : suite (mais pas fin)

  • Seules les gardes à vue réalisées en matière criminelle dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie doivent faire l'objet d'un enregistrement audiovisuel (Cass. crim., 11 juillet 2012, n° 12-82.136, F-P+B N° Lexbase : A8079IQB ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4322EUM)

L'article 64-1, alinéa 1er, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8170ISE) dispose que "les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisées dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel". Au sein des alinéas suivants figurent différents tempéraments à cette règle, tous se justifiant par une impossibilité matérielle de procéder à l'enregistrement. A cela s'ajoute que la Chambre criminelle de la Cour de cassation entretient une conception très compréhensive de ces impossibilités (3), ce qu'elle démontre une fois de plus dans le présent arrêt. Au final, il paraît très aisé de justifier l'absence d'enregistrement d'une garde à vue en matière criminelle, bref d'inverser le principe.

En l'espèce, après qu'une personne soupçonnée d'avoir commis un crime est placée en garde à vue, le médecin qui l'examine constate que son état de santé s'avère incompatible avec l'exécution de la mesure dans les locaux du commissariat. Le suspect fait donc l'objet d'une première audition à l'hôpital, celle-ci étant enregistrée par les enquêteurs, mais une difficulté technique en empêche la sauvegarde.

Alors que cette "impossibilité technique" -pour le coup assez indiscutable- aurait suffi à légitimer l'absence d'enregistrement de cette première partie de la garde à vue du suspect, la Chambre criminelle préfère fonder sa décision sur une considération plus générale : malgré la suspicion de crime, on ne se trouvait pas tout à fait dans le domaine de l'obligation d'enregistrement. Par une interprétation a contrario, la Cour de cassation considère, en effet, qu'il ressort de l'alinéa 1er de l'article 64-1 du Code de procédure pénale qu'il ne doit être procédé à un enregistrement que "dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire".

On aurait aussi bien pu retenir que, dans cette phrase, c'est la mission de police judiciaire qui compte, davantage que le local...

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

III - L'étendue du droit à l'avocat

  • N'est pas incompatible avec l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme l'absence de communication de l'ensemble des pièces du dossier à l'avocat d'une personne placée en garde à vue (Cass. crim., 11 juillet 2012, n° 12-82.136, F-P+B N° Lexbase : A8079IQB ; Cass. crim., 19 septembre 2012, n° 11-88.111, FS-P+B N° Lexbase : A0985ITN ; cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4317EUG)

L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 juillet 2012 (4) s'est également prononcé sur une question fondamentale : l'accès au dossier pénal, par un avocat, durant la garde à vue de son client. Toutefois, la Cour ne l'a fait qu'en précisant que le demandeur avait, en l'espèce, "bénéficié de l'assistance d'un avocat au cours de sa garde à vue dans des conditions conformes à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme" (N° Lexbase : L7558AIR). Cette conclusion s'appuyait, en réalité, sur le raisonnement de la cour d'appel, selon laquelle l'avocat avait "pu, à l'occasion des auditions du gardé à vue effectuées en sa présence le 1er mai 2011, consulter les pièces énumérées à l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale issu de la loi du 14 avril 2011, que le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution par décision n° 2011-191/194/195/196/197 du 18 novembre 2011", et pour qui "l'absence de communication de l'ensemble des pièces du dossier, à ce stade de la procédure, [n'était] pas de nature à priver la personne d'un droit effectif et concret à un procès équitable, dès lors que ces pièces [pouvaient] ensuite être communiquées devant les juridictions d'instruction ou de jugement".

Il était alors nécessaire qu'un arrêt plus solennel vienne affermir ou, au contraire, contredire cette solution aux fondements fragiles. C'est chose faite dans un arrêt du 19 septembre 2012.

A l'instar de la plupart des décisions trop attendues, l'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 19 septembre 2012 va cependant décevoir ceux qui l'ont généré par leurs recours. Dans la lignée de l'arrêt précédent, la Cour y affirme effectivement que l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale, texte dont il résulte que "l'avocat assistant une personne gardée à vue peut consulter le procès-verbal constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi à l'issue de l'examen éventuellement pratiqué, et les procès-verbaux d'audition de la personne qu'il assiste", n'est pas incompatible avec l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Pour la Cour de cassation, "l'absence de communication de l'ensemble des pièces du dossier, à ce stade de la procédure, [n'est] pas de nature à priver la personne d'un droit effectif et concret à un procès équitable, dès lors que l'accès à ces pièces est garanti devant les juridictions d'instruction et de jugement".

Par l'une des motivations concises qui la caractérisent, la Chambre criminelle "copie-colle" ainsi le raisonnement qui avait été tenu par les "Sages" de la rue de Montpensier -et par la cour d'appel dans l'arrêt précédent- pour écarter l'inconstitutionnalité de l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale (5). Il faut dire que l'idée qui sous-tendait la décision du Conseil constitutionnel était simple : le temps de la discussion est celui du procès ; or l'enquête, en ce compris la garde à vue, ce n'est pas encore le procès.

Pour autant, on est peut-être en droit de considérer que, vue l'importance du problème, cette solution est un peu courte.

D'une part, si l'enquête n'est pas le procès, pourquoi accorder des droits de la défense au suspect ? Assumer cette reconnaissance, c'est lui donner toute sa portée, notamment en conférant à celui qu'on implique l'accès au dossier pénal.

D'autre part, la Constitution n'est pas la Convention européenne des droits de l'Homme : ces deux normes fondamentales se contredisent parfois, ce qui vaut pour l'une ne valant pas nécessairement pour l'autre.

A cet égard, il est vrai que la position européenne n'est, sur le sujet, pas encore des plus claires. De plus, la portée de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est parfois difficile à apprécier. Outre que l'arrêt "Dayanan" (6), -qui dit effectivement beaucoup-, n'a jamais été confirmé dans toute son ampleur par une formation solennelle de la Cour européenne, l'arrêt "Sapan" (7), qui semble inscrire l'accès au dossier pénal dans le droit à l'assistance est effective d'un avocat, n'est qu'une décision de recevabilité rendue par un comité.

La présente affaire, qui finira sans doute à Strasbourg, sera peut-être l'occasion pour la Cour européenne de clarifier sa position, celle-ci pouvant, à cette fin, s'inspirer du droit de l'Union européenne. L'article 7 de la Directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY) précise, en effet, que "lorsqu'une personne est arrêtée et détenue à n'importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents relatifs à l'affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l'arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat" (nous soulignons).

Les personnes mises en causes doivent avoir "accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge [...], qui sont détenues par les autorités compétentes, afin de garantir le caractère équitable de la procédure et de préparer leur défense". Même si ledit article prévoit des exceptions, tel est, selon ce texte, le principe qui doit gouverner l'accès au dossier pénal au sein de l'Union européenne.

A noter, pour finir, qu'une fois de plus, c'est la cour d'appel d'Agen, sorte de "Cour européenne" du Lot-et-Garonne, qui est à l'origine de la saisine de la Cour de cassation. Le renvoi devant la cour d'appel de Toulouse, plus orthodoxe, ne devrait cependant pas provoquer la réunion ultérieure de l'Assemblée plénière. C'est bien dommage !

Guillaume Beaussonie, MCF en droit privé, CRDP Tours (EA 2116)

  • Le droit de bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de sa garde à vue relève du droit à un procès équitable (CEDH, 28 août 2012, Req. 71407/10, Simons c. Belgique)

La Cour européenne des droits de l'Homme a, dans cette affaire, été saisie d'une question intéressante : "savoir si la Convention implique un principe général' selon lequel toute personne privée de liberté doit avoir la possibilité d'être assisté d'un avocat dès le début de sa détention" (cons. 29). Il s'agissait donc, pour elle, de clarifier la position exprimée lors des arrêts "Salduz" (8) et "Dayanan" (9).

C'est chose faite au considérant 31, où la Cour précise que "de cette jurisprudence résulte incontestablement le principe suivant : d'une part, un accusé', au sens de l'article 6 de la Convention, a le droit de bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de sa garde à vue ou de sa détention provisoire et, le cas échéant, lors de ses interrogatoires par la police et le juge d'instruction ; d'autre part, si une restriction à ce droit peut dans certaines circonstances se trouver justifiée et être compatible avec les exigences de cette disposition, le fait que son exercice est impossible en raison d'une règle de droit interne systématique est inconciliable avec le droit à un procès équitable".

Au considérant suivant, elle ajoute qu'"il s'agit là d'un principe propre au droit à un procès équitable, qui trouve son fondement spécifique dans le troisième paragraphe de l'article 6 de la Convention, lequel envisage en particulier le droit de tout accusé' d'avoir l'assistance d'un défenseur de son choix. Il ne s'agit pas d'un principe général' impliqué par la Convention, les principes de cette nature étant par définition transversaux".

Ce n'est donc pas l'article 5 § 1 (N° Lexbase : L4786AQC) -seul ou combiné avec l'article 6- qu'il convient d'invoquer pour demander à la Cour de sanctionner le système juridique qui ne prévoit pas l'intervention d'un avocat au début d'une garde à vue. La précision est d'importance car, puisqu'il s'agit exclusivement de l'article 6, il faut saisir la Cour à l'issue d'un procès -pour apprécier l'équité de ce dernier, il faut qu'il soit achevé- qui, au surplus, a conduit à la déclaration de culpabilité du mis en cause -à défaut de quoi celui-ci n'a pas d'intérêt à agir-. Tel n'était pas le cas en l'espèce, l'affaire étant encore au stade de l'instruction, la Cour ayant en conséquence déclaré la requête irrecevable.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)


(1) L'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est donc inconventionnel, alors que, bien étrangement, il n'est pas, selon les "Sages" de la rue de Montpensier, inconstitutionnel : cf. Cons. const., décision n° 2011-217 QPC, du 3 février 2012 (N° Lexbase : A6684IB8).
(2) Voir S. Slama : Epilogue d'une saga judiciaire sur la garde à vue pour séjour irrégulier, D., 2012, p. 2001.
(3) Cass. crim., 4 novembre 2010, deux arrêts, n° 10-85.279, F-P+B (N° Lexbase : A4819GMG) et n° 10-85.280, F-P+B (N° Lexbase : A4820GMH) : voir Chronique de procédure pénale - Janvier 2011, Lexbase Hebdo n° 424 du 20 janvier 2011 - édition privée (N° Lexbase : N1565BRE).
(4) Voir le commentaire précédent : "II. L'obscurité opportune de l'article 64-1 du Code de procédure pénale : suite (mais pas fin)".
(5) Cons. const., décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, du 18 novembre 2011 "Garde à vue II" (N° Lexbase : A9214HZB), cons. n° 28.
(6) CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03 (N° Lexbase : A3221EPY).
(7) CEDH, 20 septembre 2011, Req. 17252/09 (texte en anglais).
(8) CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02 (N° Lexbase : A3220EPX).
(9) Voir note 6.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le contentieux du protocole d'accord préélectoral : articulation entre recours judiciaire et recours administratif

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-60.231, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4337ITS)

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N3705BTE

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 04 Octobre 2012

Si la réforme du 20 août 2008 (1) a principalement placé la représentativité syndicale sous le feu des projecteurs, d'autres modifications mineures, en apparence, perturbent pourtant des contentieux qui semblaient jusqu'alors relativement stables. Tel en est le cas, par exemple, du contentieux relatif à la validité du protocole d'accord préélectoral et des conséquences d'un recours contre cet accord. C'est du moins ce qu'illustre un important arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 26 septembre 2012 (I), par lequel la Chambre sociale adopte une interprétation extensive de la notion de syndicat participant à la négociation (II), interprétation ayant des répercussions directes sur la condition de double majorité nécessaire à la validité de l'accord. Cette décision ne se contente pas d'apporter cette précision essentielle puisqu'elle opère également un véritable revirement de jurisprudence quant aux effets d'un recours introduit devant l'autorité administrative contre le protocole d'accord, recours qui aura désormais un effet suspensif sur le processus électoral dans l'entreprise (III).
Résumé

Doivent être considérées, pour l'appréciation de la validité du protocole d'accord préélectoral, comme ayant participé à la négociation les organisations syndicales qui, invitées à celle-ci, s'y sont présentées, même si elles ont ensuite décidé de s'en retirer.

La saisine du DIRECCTE pour déterminer les établissements distincts, fixer la répartition des électeurs, ou fixer la répartition des sièges dans les collèges, suspend le processus électoral jusqu'à sa décision et entraîne la prorogation des mandats en cours jusqu'à la proclamation des résultats du premier tour du scrutin.

Commentaire

I - La condition de double majorité et le recours auprès de l'autorité administrative

  • Protocole d'accord préélectoral : généralités

Qu'il s'agisse d'élire la délégation du personnel ou les membres élus du comité d'entreprise ou des comités d'établissement, les opérations électorales dans l'entreprise doivent être encadrées par un accord collectif d'un type un peu particulier appelé protocole d'accord préélectoral (2).

Ce protocole a pour objet, notamment, d'encadrer les modalités matérielles du scrutin (date, heure, lieu, etc.), de déterminer l'existence d'établissements distincts permettant la mise en place de comités d'établissement ou, encore, de déterminer les collèges dans l'entreprise, la répartition des salariés parmi ces collèges et le nombre de sièges attribué à chacun des collèges institués (3).

La loi du 20 août 2008 a légèrement modifié la phase de négociation de ce protocole d'accord préélectoral (4). Jusqu'alors, seuls les syndicats représentatifs étaient appelés à négocier et à conclure cet accord, la validité du protocole étant soumise à un accord unanime de toutes les organisations syndicales participantes. Ces deux règles ne pouvaient être maintenues en l'état. En effet, la participation au scrutin et l'obtention d'un score suffisant est désormais une condition sine qua non à laquelle les syndicats sont soumis pour obtenir le label de représentativité. Priver les organisations syndicales de la participation au scrutin et, par extension, à la préparation du scrutin aurait alors équivalu à leur interdire tout accès à la représentativité (5). Le processus de négociation a donc été ouvert à l'intégralité des organisations syndicales disposant d'une ancienneté de deux ans, respectant les valeurs républicaines et demeurant indépendante de l'employeur (6).

Le nombre potentiel d'organisations syndicales participantes étant sensiblement accru (7), la règle de l'unanimité pouvait poser d'importants problèmes et, en particulier, un risque de blocage récurrent des négociations préélectorales. Conformément à l'esprit de la loi du 20 août 2008, c'est donc une règle de majorité qui a été adoptée, règle aménagée spécialement pour les accords préélectoraux sous la forme d'une double majorité.

  • La double majorité, condition de validité du protocole d'accord préélectoral

Ainsi, désormais, l'article L. 2314-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3783IBQ) dispose que le protocole n'est valable qu'à condition d'être signé "par la majorité des organisations syndicales ayant participé à sa négociation, dont les organisations syndicales représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles".

Si cette condition semble clairement exprimée, elle pose tout de même un certain nombre de difficultés (8) et, en particulier, on peut se demander ce qu'il convient d'entendre par les termes "participé à la négociation". Est-il attendu des organisations syndicales qu'elles participent à l'intégralité du processus de négociation ou doit-on considérer comme participant un syndicat qui, mécontent de la manière dont les négociations se déroulent, choisit de quitter les négociations avant leur terme ?

D'autres questions font régulièrement difficulté s'agissant du protocole d'accord préélectoral. Cela est en particulier le cas de la répartition des compétences entre autorité administrative et juge judiciaire. En effet, selon les éléments litigieux du protocole, l'autorité compétente pour trancher le litige n'est pas la même.

  • Conditions de validité et multiplicité des voies de recours

Lorsqu'est en cause le découpage de l'entreprise en établissements distincts (9) ou la répartition des salariés en différents collèges électoraux (10), la compétence du litige est attribuée au DIRECCTE (11), différents recours contre sa décision étant ouverts devant l'autorité hiérarchique (le ministre du Travail) ou le juge administratif. Lorsqu'en revanche est en cause une opération électorale (12), l'établissement des listes électorales, la loyauté de la négociation, les modalités de déroulement du scrutin par exemple, c'est le juge judiciaire qui est compétent pour trancher la difficulté.

Là encore, si la répartition paraît claire à première vue, elle pose parfois difficulté sur des questions qui semblent pouvoir relever de la compétence de chacune de ces instances. Tel fut le cas, par exemple, de la question de la répartition des sièges entre les différents collèges électoraux dont il fut décidé qu'elle ne relevait pas de la compétence du juge judiciaire (13). Tel fut encore le cas de la question de l'affectation d'un salarié à tel ou tel collège dont la réponse semble encore à ce jour mal assurée (14).

Outre ces litiges liés à la compétence matérielle des institutions en charge des recours, se pose également la question de l'articulation entre les différents recours mettant en cause la validité du protocole et, en particulier, le respect de la règle de double majorité. En effet, si en principe cette question est du ressort du juge d'instance, l'autorité administrative peut également en être saisie s'il s'agit de mettre en cause la désignation des établissements distincts ou l'aménagement des collèges électoraux (15). L'autorité administrative n'est pas seulement compétente pour trancher ces questions en cas d'absence de protocole d'accord mais encore lorsque le protocole n'a pas été valablement conclu. La contestation de la validité d'un protocole préélectoral devant l'autorité administrative impose-t-elle de suspendre le processus électoral jusqu'à ce qu'il ait statué ? Le juge judiciaire, saisi d'une contestation relative à la validité d'un accord préélectoral doit-il prendre en considération la saisine de l'autorité administrative antérieure au scrutin pour juger de la régularité du scrutin ?

C'est sur l'ensemble de ces questions très importantes qu'était appelée à se prononcer la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 26 septembre 2012.

  • L'espèce

En vue de la tenue des élections professionnelles est négocié dans l'entreprise un protocole d'accord préélectoral. Quatre organisations syndicales se présentent à la négociation mais deux d'entre elles quittent les négociations dès la seconde réunion. Malgré ces défections, la négociation poursuit son cours, l'accord est conclu le 22 avril 2011 et les élections se déroulent les 3 et 8 juin 2011.

Avant la tenue de l'élection, l'un des syndicats ayant quitté les négociations introduit deux recours, l'un devant l'autorité administrative contestant la validité du protocole et réclamant la détermination administrative des établissements distincts (16), l'autre devant le juge d'instance contestant la validité du protocole et des opérations électorales (régularité des listes électorales et processus de vote électronique). La validité de l'accord est mise en cause en raison de la défection des deux syndicats ayant abandonné la négociation : selon l'organisation syndicale demandeur, les syndicats ayant quitté la négociation devaient être comptés parmi les participants à la négociation si bien que les règles de calcul de la double majorité s'en trouvaient affectées et n'avaient pas été respectées.

Le tribunal d'instance rend sa décision le 6 juillet 2011 et refuse d'annuler l'élection. Il juge en effet que le départ des organisations syndicales de la table de négociation modifie le nombre de participants, seuls les syndicats demeurés jusqu'à l'issue du processus devant être comptabilisés comme tels. Ainsi, les deux syndicats ayant participé à l'intégralité des réunions étant également signataires de l'accord, la règle de la double majorité a été respectée, les opérations électorales pouvaient se poursuivre et l'intervention de l'autorité administrative ne pouvait modifier le déroulement du scrutin.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 26 septembre 2012, adopte une interprétation différente et casse la décision d'instance au visa des articles L. 2314-3-1 (N° Lexbase : L3783IBQ), L. 2314-31 (N° Lexbase : L3799IBC), L. 2322-5 (N° Lexbase : L3753IBM) et L. 2324-4-1 (N° Lexbase : L3764IBZ) du Code du travail.

Par un imposant chapeau, la Chambre sociale pose deux règles. Elle énonce, d'abord, que pour apprécier le respect de la règle de double majorité "doivent être considérées comme ayant participé à la négociation les organisations syndicales qui, invitées à celle-ci, s'y sont présentées, même si elles ont ensuite décidé de s'en retirer". Elle ajoute, ensuite, que lorsque le protocole préélectoral n'a pas été conclu à la condition de double majorité, "la saisine du DIRECCTE pour déterminer les établissements distincts, fixer la répartition des électeurs, ou fixer la répartition des sièges dans les collèges, suspend le processus électoral jusqu'à sa décision et entraîne la prorogation des mandats en cours jusqu'à la proclamation des résultats du premier tour du scrutin". Par voie de conséquence, en jugeant le protocole valable alors que la condition de double majorité n'avait pas été respectée et en acceptant que le processus électoral se soit valablement déroulé alors que l'autorité administrative avait été saisie antérieurement au scrutin, le juge d'instance a violé les textes visés.

  • Première analyse

La décision présentée apporte donc deux éléments nouveaux, l'un tenant à l'interprétation de l'article L. 2314-3-1 du Code du travail et donc, à l'appréciation du critère de double majorité, l'autre précisant l'articulation entre les effets d'un recours judiciaire et d'un recours administratif mettant en cause la validité d'un protocole d'accord préélectoral.

Sur le premier point, la Chambre sociale exige de comptabiliser les syndicats participant à la négociation comme ceux ayant au moins participé à une réunion de négociation, peu important qu'ils se soient ensuite désolidarisés du processus. Sur le second point, la Chambre sociale autorise la suspension du processus électoral et le maintien des mandats en cours lorsqu'un recours administratif est déposé et ce jusqu'à ce que l'autorité administrative se soit prononcée.

II - Les précisions apportées à la notion de "participation" à la négociation

  • L'appréciation extensive de la notion de participant à la négociation

S'agissant de la qualification de syndicat "participant" à la négociation, on peut tout d'abord remarquer que la Chambre sociale adopte une vision relativement large de la notion. En effet, elle aurait pu exiger que ne soient comptabilisés que les syndicats ayant participé à l'intégralité de la négociation.

Cette conception extensive présente au moins un inconvénient, mais on retiendra davantage ses aspects positifs.

  • Le risque d'instrumentalisation de la règle nouvelle

Au titre des inconvénients, on peut craindre que cette qualification soit instrumentalisée par les syndicats dans l'entreprise. En effet, un syndicat peut, tout en abandonnant la négociation, peser sur la validité finale de celle-ci puisque sa présence initiale aura pour effet d'accroître le nombre de syndicats signataires exigés. L'affaire est particulièrement significative : si l'on ne compte pas les deux syndicats ayant abandonné la négociation, il faut qu'une majorité des deux syndicats restant, soit deux syndicats, signe l'accord pour qu'il soit valable ; si au contraire les syndicats qui quittent la négociation sont comptabilisés, la majorité est désormais de trois syndicats et est, dans cet exemple, inatteignable sauf à ce que l'un des syndicats s'étant désisté décide finalement de signer l'accord. Le risque est d'autant plus grand que, comme nous l'avons vu, le nombre de syndicats pouvant potentiellement participer à la négociation a été sensiblement accru depuis la loi du 20 août 2008.

  • Le renforcement de la légitimité du protocole valablement conclu

Ceci étant dit, en espérant que les manoeuvres syndicales ne seront pas trop nombreuses, la règle posée présente d'autres intérêts. Elle donne d'abord plus de légitimité à l'accord préélectoral conclu puisque, si celui-ci remplit la condition de double majorité, c'est qu'un nombre suffisant d'organisations syndicales aura réussi à s'entendre sur l'intérêt de l'accord malgré les désistements dont, nous l'avons vu, les effets sur le critère majoritaire peuvent être importants.

La condition de double majorité se trouve indirectement plus difficile à remplir, mais cela n'est pas nécessairement critiquable. En effet, on se souviendra qu'avant la réforme du 20 août 2008, l'accord préélectoral devait être conclu à l'unanimité des syndicats représentatifs participants à la négociation, ce qui était une condition autrement plus difficile à atteindre. En outre, il faut se rappeler que, sauf atteinte à une règle d'ordre public, l'accord préélectoral ne peut plus être remis en cause si la règle de double majorité est atteinte. Il semble finalement judicieux d'adopter cette position extensive qui, si elle rend plus difficile la réalisation de la condition de double majorité, permet de s'assurer qu'un accord presque incontestable était véritablement souhaité par une large majorité syndicale, cela sans pour autant revenir à la délicate règle de l'unanimité.

  • La distinction claire entre déroulement de la négociation et contenu de l'accord

La décision comporte encore un autre intérêt, celui de faire une claire distinction entre la négociation de l'accord et le contenu de celui-ci. Si un syndicat quitte la table des négociations, cela n'est pas forcément parce que le contenu négocié ne lui convient pas, cela peut être parce que les modalités de la négociation, la déloyauté de l'employeur ou d'autres organisations syndicales par exemple, le poussent à cesser le dialogue. Au contraire, si les modalités de la négociation sont convenables, le syndicat aura tendance à rester jusqu'au terme de la négociation quitte à ne pas signer l'accord si, cette fois, c'est le contenu qui lui déplaît. En définitive, la décision de la Chambre sociale permet de donner aux syndicats une arme pour que soit mieux respectés les principes de transparence et de loyauté dans la négociation, cela indépendamment du contenu ultérieur de l'accord.

Si cette précision est d'une grande importance, le deuxième point traité par la décision l'est davantage encore puisqu'il constitue un véritable revirement de jurisprudence.

III - L'effet suspensif de la saisine de l'autorité administrative

  • La nouvelle faculté de suspension du processus électoral en cas de saisine de l'autorité administrative

Avant cette décision, la Chambre sociale n'acceptait pas que le processus électoral soit suspendu et que les mandats en cours soient maintenus lorsqu'un recours était formé par un syndicat devant l'autorité administrative (17). Cette position avait des conséquences redoutables puisque, si l'autorité administrative estimait que le protocole d'accord n'était pas valable, la nullité et son caractère rétroactif impliquaient la remise en cause des élections et de l'ensemble du processus électoral, lesquels devaient être renouvelés en accord avec les précisions apportées par l'administration (sur le contour des établissements distincts ou sur la détermination des collèges électoraux).

La Chambre sociale avait bien tenté d'atténuer les effets de cette annulation en décidant, par exemple, que faute d'accord, les modalités du scrutin pouvaient être décidées unilatéralement par l'employeur. L'articulation n'était cependant guère satisfaisante.

L'articulation devrait désormais être simplifiée. Les élections ne pourront plus avoir lieu tant que l'administration n'aura pas rendu sa décision. De fait, le scrutin ne pourra donc plus être annulé suite à un recours administratif antérieur à l'élection : soit le DIRECCTE jugera que le protocole opère une répartition convenable des collèges et dresse une liste valable d'établissements distincts, auxquels cas l'élection pourra avoir lieu après sa décision selon les modalités du protocole d'accord ; soit il jugera que le protocole n'est pas valable ou que les règles qu'il établit ne conviennent pas, auquel cas il fixera lui-même les règles relatives aux établissements distincts et/ou aux collèges électoraux et l'élection pourra avoir lieu selon ces modalités.

Restent bien sûr quelques questions en suspens.

  • Les interrogations quant à la portée de la règle nouvelle

En premier lieu, il sera nécessaire de s'assurer que l'employeur soit bien informé de l'existence d'un recours administratif contre le protocole d'accord, faute de quoi la règle nouvelle n'aura aucune effectivité. Le recours du syndicat étant dirigé contre l'accord préélectoral, les parties signataires devraient en principe en être informées, mais il demeure le risque que cette information soit tardive, que les élections aient rapidement lieu après conclusion du protocole. Le DIRECCTE devra donc avoir le réflexe, à l'occasion de chaque recours, d'informer l'employeur aussi rapidement que possible de la suspension du processus électoral et, dans tous les cas, de l'informer avant la date du scrutin prévue par le protocole litigieux.

La rapidité de la DIRECCTE n'a pas pour seul enjeu l'effectivité de la suspension du processus. En effet, en deuxième lieu, le maintien des mandats et la suspension du processus électoral exigeront une réaction aussi rapide que possible de l'administration afin que la situation provisoire ne dure pas trop longtemps. La décision administrative jugeant valable ou remettant en cause le protocole doit intervenir rapidement afin que les élections puissent véritablement avoir lieu. Les moyens des DIRECCTE sont tant décriés que l'on peut craindre que les délais ne soient parfois trop longs.

Cette remarque doit cependant être relativisée. En effet, quand bien même la prorogation des mandats en place constitue une anomalie, celle-ci est autrement moins inconfortable que la situation dans laquelle se trouvaient les entreprises -et les salariés- lorsque le protocole était annulé par décision administrative en application de la jurisprudence antérieure puisque, dans ce cas, l'entreprise se trouvait purement et simplement privée de représentation jusqu'à ce qu'ait lieu un nouveau scrutin.

En dernier lieu, on peut craindre que la position adoptée par la Chambre sociale ne produise pas systématiquement l'effet de simplification escompté. En effet, les décisions du DIRECCTE sont, rappelons-le, susceptibles d'un recours hiérarchique devant le ministre du travail ou d'un recours judiciaire devant le juge administratif. La procédure administrative ne déroge pas en la matière aux grandes règles procédurales si bien que ces recours n'ont pas par principe d'effet suspensif. Si la décision administrative est remise en cause par le ministre ou par le juge, le risque que les élections aient eu lieu et qu'elles soient annulées ressurgira . Pour relativiser ce risque, on notera d'abord que le désaveu hiérarchique ou judiciaire d'une décision du DIRECCTE n'est pas si courant mais aussi qu'en la matière, le juge des référés administratifs est compétent si bien qu'une réponse rapide, avant la tenue de l'élection, n'est pas à exclure.

En définitive, cette décision devrait permettre de simplifier sensiblement la procédure d'organisation des élections dans l'entreprise lorsqu'un recours administratif est formé contre celle-ci, simplification qui ne semble pas heurter les grands principes de l'articulation entre pouvoir du juge administratif et pouvoir du juge judiciaire, ce dont il faut sans doute se féliciter.


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ).
(2) A. Supiot, Les accords préélectoraux, Dr. soc., 1988, p. 115 ; G. Borenfreund, Négociation préélectorale et droit commun de la négociation collective, in Etudes offertes à J. Pélissier, Dalloz, 2004, p. 93.
(3) Sur le contenu du protocole d'accord préélectoral, v. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E1599ETE).
(4) Sur les modifications apportées, v. les obs. de S. Martin-Cuenot, Articles 3 et 4 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : élections professionnelles, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9823BGW). V. également D. Jourdan, Le protocole d'accord préélectoral, JCP éd. S, 2009, 1353.
(5) D'une manière plus générale, sur l'incidence des modifications apportées sur l'ensemble du processus électoral, v. P-Y. Verkindt, Les élections professionnelles dans l'entreprise, Dr. soc., 2009, p. 653.
(6) C. trav., art. L. 2314-3 (N° Lexbase : L3825IBB).
(7) Potentiellement, cela concerne bien sûr les organisations syndicales représentatives ou remplissant les critères d'ancienneté, de valeurs républicaines et d'indépendance dans l'entreprise. Mais cela concerne également les syndicats affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et professionnel (C. trav., art. L.2314-3, al.2 ).
(8) P.-Y. Verkindt, Les élections professionnelles dans l'entreprise, préc..
(9) C. trav., art. L. 2314-31 (N° Lexbase : L3799IBC).
(10) Pour une application récente, v. Cass. soc., 4 juillet 2012, jonction, n° 11-60.229, n° 11-60.230, n° 11-60.232, F-P+B (N° Lexbase : A4993IQY) et les obs. de G. Auzero, Contestation de la répartition des sièges entre les collèges et enchevêtrement des compétences, Lexbase Hebdo n° 494 du 19 juillet 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3003BTE).
(11) A l'origine, cette compétence était attribuée à l'inspection du travail, puis au directeur départemental du travail (ordonnance n°2005-1478 du 1er décembre 2005, de simplification du droit dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel, N° Lexbase : L4068HDZ) et, en dernier lieu, au Directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (décret n° 2009-1377 du 10 novembre 2009, relatif à l'organisation et aux missions des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi N° Lexbase : L9129IET).
(12) C. trav., art. L. 2314-25 (N° Lexbase : L2644H9S). Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.400, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7362EXX) ; Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-26.659, FS-P+B (N° Lexbase : A5923ITK).
(13) CE, 18 mars 1983, n° 29120 (N° Lexbase : A7985ALC).
(14) Cass. soc., 20 juin 2012, n° 11-19.643, FS-P+B (N° Lexbase : A4920IPW) ; CE 1° et 4° s-s-r., 1er février 1993, n° 98959 (N° Lexbase : A8358AMI).
(15) Le Conseil d'Etat ayant donné confirmation de cette faculté dans le volet administratif de l'affaire sous examen, v. CE 1° et 6° s-s-r., 31 mai 2012, n° 354186 (N° Lexbase : A5446IMN).
(16) Ibid.
(17) Cass. soc., 21 mai 2003, n° 01-60.742, publié (N° Lexbase : A1539B9U) et les obs. de S. Koleck-Dusautel, La possibilité limitée de déroger à la durée du mandat des institutions représentatives du personnel, Lexbase Hebdo n° 74 du 5 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7588AAB).
(18) Cass. soc., 16 juillet 1987, n° 86-60.461 et n° 86-60462, publié (N° Lexbase : A2575AHT).

Décision

Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-60.231, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4337ITS)

Cassation, TI Puteaux (contentieux des élections professionnelles), 6 juillet 2011

Textes visés : C. trav., art. L. 2314-3-1 (N° Lexbase : L3783IBQ), L. 2314-31 (N° Lexbase : L3799IBC), L. 2322-5 (N° Lexbase : L3753IBM) et L. 2324-4-1 (N° Lexbase : L3764IBZ)

Mots-clés : protocole d'accord préélectoral, condition de double majorité, notion de syndicat participant à la négociation, effets du recours administratif, suspension du processus électoral, maintien des mandats en cours

Liens base : (N° Lexbase : E1600ETG)

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Urbanisme

[Le point sur...] Les relations entre les permis de construire et le régime des zones d'aménagement concertées

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N3723BT3

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen

Le 04 Octobre 2012

Les relations entre les permis de construire et le régime des zones d'aménagement concertées (ZAC) donnent lieu à des questions parfois assez délicates. On rappellera, en guise d'introduction, que les ZAC ont été entièrement renouvelées par la loi "Solidarité et renouvellement urbains" du 13 décembre 2000 (loi n° 2000-1208 N° Lexbase : L9087ARY) qui a réorienté cet outil juridique vers le renouvellement urbain et la maîtrise des extensions périphériques. La ZAC relève désormais du droit commun de l'aménagement urbain et s'inscrit dans le cadre des actions d'aménagement définies par le plan local d'urbanisme qui comprend les dispositions relatives aux ZAC. La loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005, relative aux concessions d'aménagement (N° Lexbase : L8409G9C), a également apporté de profondes modifications en fusionnant, en un régime commun aux personnes publiques et privées, les règles applicables à l'ensemble des conventions d'aménagement, qu'elles soient publiques ou privées. Ces réformes n'ont cependant pas, bien entendu, résolu toutes les difficultés susceptibles de surgir dans le régime des ZAC. Parmi ces questions particulièrement pointues, on voudrait évoquer ici les relations entre les permis de construire et les ZAC et, plus précisément, l'influence de la situation du projet en zone d'aménagement sur la légalité du dossier de demande de permis de construire. I - L'obligation de rédiger un cahier des charges

Le Code de l'urbanisme impose la rédaction d'un cahier des charges lors de la construction d'un ouvrage soumis à permis de construire dans une ZAC. Deux hypothèses doivent être évoquées.

A - Le cas de la maîtrise foncière partielle

Cette première hypothèse est prévue par le quatrième alinéa de l'article L. 311-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1514IPR) selon lequel "lorsqu'une construction est édifiée sur un terrain n'ayant pas fait l'objet d'une cession, location ou concession d'usage consentie par l'aménageur de la zone, une convention conclue entre la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale et le constructeur précise les conditions dans lesquelles celui-ci participe au coût d'équipement de la zone. La convention constitue une pièce obligatoire du dossier de permis de construire ou de lotir".

Cette disposition a été adoptée afin de mettre fin à une situation incohérente. En effet, en application de l'article 1585 C-1° du Code général des impôts (N° Lexbase : L2337IEB), les constructions édifiées dans les ZAC, étaient, en principe, exemptés de la taxe locale d'équipement. Jusqu'à l'intervention de la loi "SRU", aucune disposition législative ne permettait donc d'imposer au bénéficiaire d'un permis de construire édifiant une construction sur un terrain non acquis à l'aménageur de participer au coût des équipements de la ZAC. Il fallait, pour qu'une participation soit exigible que la ZAC soit couverte par un programme d'aménagement d'ensemble (PAE).

La rédaction de l'article L. 311-4 précité, issue de la loi "SRU" vient mettre un terme à cette situation. Depuis cette loi, la participation du pétitionnaire au financement est obligatoire. La délivrance d'un permis de construire doit impérativement être précédée d'une convention précisant les conditions de sa participation au coût des équipements publics de la ZAC qui profitent à son opération.

L'objet de la convention est double. D'une part, elle détermine, en fonction du nombre de mètres carrés hors oeuvre nette dont l'édification est projetée par le pétitionnaire, le montant et les conditions de paiement de la participation au financement des équipements publics. Il faut souligner qu'elle n'a pas vocation à régir la constructibilité du terrain, qui résulte, notamment, des règles du plan local d'urbanisme. D'autre part, la convention précise les modalités de la participation du constructeur ou du lotisseur au coût du programme des équipements publics de la ZAC, dans la mesure où ceux-ci sont destinés à satisfaire les besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans la zone.

B - Le cas général

En principe, l'aménageur est propriétaire des terrains de la ZAC qu'il loue, vend ou concède à des utilisateurs privés ou publics après les avoir équipés. Dans ce cas général, la délivrance du permis de construire doit également être précédée de la conclusion d'une convention.

L'article L. 311-6 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2753IRE) prévoit, en effet, que "les cessions ou concessions d'usage de terrains à l'intérieur des zones d'aménagement concerté font l'objet d'un cahier des charges qui indique le nombre de mètres carrés de surface de plancher dont la construction est autorisée sur la parcelle cédée. Le cahier des charges peut en outre fixer des prescriptions techniques, urbanistiques et architecturales imposées pour la durée de la réalisation de la zone [...]".

Il convient, également, de souligner que le cahier des charges est approuvé lors de chaque cession ou concession d'usage par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale, lorsque la création de la zone relève de la compétence du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale, et par le préfet dans les autres cas. Ceci n'empêche pas l'organe délibérant de la commune ou de l'établissement public d'établir un cahier des charges type dont l'objet n'est pas de fixer les règles applicables à une parcelle cédée, mais de définir des modalités générales applicables à toutes cessions ou concessions de terrains inclus dans la ZAC (CAA Marseille, 1ère ch., 9 octobre 2009, n° 07MA02159, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2860ENA).

Ce texte "s'applique aux anciennes conventions publiques d'aménagement comme aux anciennes conventions simples ; mais il est propre aux ZAC, et n'a pas pour objet que les cessions de droits à des tiers. Sous ces réserves, il est désormais obligatoire" (1). Il faut préciser que le cahier des charges, qui peut comporter des dispositions de nature contractuelle, devient, cependant, un acte administratif réglementaire lorsqu'il est approuvé par l'autorité préfectorale. La cession d'un terrain situé dans une ZAC impose donc l'élaboration, lors de l'acte de cession, d'un cahier des charges. Toutefois, la portée de cette obligation varie selon les cas.

II - Dépôt de la demande de permis de construire et production de la convention

Pour diverses raisons, il peut arriver que le pétitionnaire omette de produire la convention à l'appui de sa demande de permis de construire. Quelles en sont les conséquences sur la décision prise à l'issue de l'instruction ?

A - Une jurisprudence encore imprécise

Dans le cas de la convention prévue à l'article L. 311-4 du Code de l'urbanisme, la solution est simple : le défaut de production de la convention justifie le refus de permis de construire. Le caractère impératif de l'article L. 311-4, qui prévoit que "la convention constitue une pièce obligatoire du dossier de permis de construire ou de lotir", ne laisse aucun doute sur ce point (voir, par exemple, CAA Bordeaux, 5ème ch., 7 février 2011, n° 10BX01344, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6768ITT).

En revanche, cette obligation ne semble pas s'imposer dans le cas de la convention prévue à l'article L. 311-6. La transposition pure et simple de la solution retenue dans l'hypothèse prévue à l'article L. 311-4 semble exclue : d'une part, pour une question de principe, la transposition mécanique retenue dans un cas voisin, mais différent, ne peut se justifier par elle-même. D'autre part, il est incontestable que l'article L. 311-6 ne contient pas la disposition impérative de l'article L. 311-4 au sujet de la composition du dossier de demande de permis.

Les décisions rendues en la matière apportent plusieurs éléments de réponse. Dans une affaire antérieure à la loi "SRU", dans laquelle le règlement du plan d'aménagement de zone de la ZAC prévoyait qu'en cas de divisions de propriété, les constructions à édifier sur les propriétés résultant de la division devaient rester conformes au règlement et au cahier des charges de la première réalisation, le Conseil d'Etat a affirmé que les dispositions du cahier des charges n'étaient susceptibles d'être opposables aux tiers qu'à la double condition qu'ils aient été approuvés par l'autorité préfectorale et qu'ils aient fait l'objet d'une mesure de publicité (CE 3° et 5° s-s-r., 31 mai 1995, n° 107617, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3716ANX).

Cette solution est conforme avec les principes essentiels du droit administratif. Le cahier est un acte signé entre deux personnes privées qui n'a donc pas initialement de portée juridique à l'égard des tiers. Il a donc, à l'origine, une nature contractuelle. Il ne peut avoir valeur réglementaire qu'après avoir été validé par l'autorité administrative. Comme tout acte réglementaire, il n'est opposable aux pétitionnaires et invocable que s'il a été publié. Cette jurisprudence a été confirmée à propos d'une zone à urbaniser en priorité (CE 3° et 5° s-s-r., 10 mai 1996, n° 136926, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8954ANX, CAA Bordeaux, 6ème ch., 31 octobre 2006, n° 03BX00762, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6427DT9). Toutefois, elle ne prend pas expressément parti sur le caractère obligatoire de la production du cahier des charges lors du dépôt de la demande de permis.

Un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille apporte également d'utiles précisions (CAA Marseille, 31 mars 2011, n° 09MA00638, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2642HPK). Dans cette affaire, les requérants soulevaient, contre le permis de construire, le moyen tiré de l'absence de cahier des charges lors de l'acquisition des parcelles incluses dans la ZAC par le pétitionnaire et donc l'irrégularité des cessions. Ils ne s'appuyaient pas, en revanche, sur l'absence du cahier des charges dans le dossier de demande de permis. La cour a confirmé, d'une part, que l'absence de cahier des charges ne pourrait avoir pour effet que de rendre inopposables à l'acquéreur les dispositions réglementaires propres à cette zone d'aménagement et reprises dans ce document contractuel. Elle précise, cependant, que cette circonstance serait sans incidence directe sur la légalité d'un permis de construire délivré sur les parcelles ainsi acquises, le pétitionnaire apparaissant en tout état de cause, en l'espèce, comme le propriétaire régulier lors de l'instruction de sa demande. La cour a, d'autre part, estimé que le service instructeur avait été mis en mesure de connaître les informations que la convention était censée apporter. Elle a donc écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 311-6 du Code de l'urbanisme lors de la constitution du tènement d'assiette du projet.

Malgré l'absence d'adéquation parfaite de ces circonstances avec la problématique exacte de la présente réflexion, on peut considérer que l'absence de production du cahier des charges dans le dossier de demande de permis n'entache pas ce dernier l'illégalité. On relèvera, pour conclure sur ce point, la solution retenue par le tribunal administratif de Nancy, dans une espèce relativement voisine, et selon laquelle le refus de permis de construire ne peut être fondé sur l'absence du cahier des charges dans le dossier de demande de permis, dès lors que l'administration n'a pas sollicité la production de cette pièce (TA Nancy, 7 avril 2011, n° 0901674) (2).

B - L'absence de production du cahier des charges ne justifie pas l'annulation du permis de construire

En tout état de cause, on peut considérer que la légalité du permis n'est pas tributaire de la production du cahier des charges. Trois éléments peuvent être invoqués.

Tout d'abord, aucune disposition législative ne l'impose de manière absolue et ne conditionne la légalité du permis à la production de cette pièce. L'article R. 431-23 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7633HZQ) se contente d'exiger la production de la convention, sans pour autant prévoir expressément de sanction en cas de violation de cette obligation. Cet article précise, en effet, que, "lorsque les travaux projetés portent sur une construction à édifier dans une zone d'aménagement concerté, la demande est accompagnée [...] lorsque le terrain a fait l'objet d'une cession, location ou concession d'usage consentie par l'aménageur de la zone, d'une copie de celles des dispositions du cahier des charges de cession de terrain qui indiquent le nombre de mètres carrés de surface de plancher dont la construction est autorisée sur la parcelle cédée ainsi que, si elles existent, de celles des dispositions du cahier des charges qui fixent des prescriptions techniques, urbanistiques et architecturales imposées pour la durée de la réalisation de la zone [...]".

Ensuite, le fait d'exiger la production du cahier des charges irait à l'encontre des objectifs de l'article R 423-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7483HZ8). Ce dernier n'exige pas que le pétitionnaire soit effectivement propriétaire du terrain à la date du dépôt de la demande, ni même à la date de délivrance du permis, puisqu'il permet à un autre que le propriétaire de déposer la demande de permis. Il a, ainsi, été jugé qu'une société titulaire d'une promesse de vente d'un terrain consentie par le concessionnaire d'une ZAC, sous réserve que la commune lui cède le terrain, justifie d'un titre l'habilitant à construire. (CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 262105, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7309DLB).

Si l'on admet que le pétitionnaire souhaitant construire sur un terrain situé dans une ZAC n'est pas contraint d'en devenir propriétaire avant la date à laquelle l'administration statue, il est logique d'admettre qu'il ne dispose pas nécessairement, à la date de la demande de permis, du cahier des charges définitif qui doit être annexé, selon les termes mêmes de l'article L. 311-6, à l'acte de vente. Dans le cas contraire, une personne qui n'est pas propriétaire ne pourrait déposer une demande de permis. Les dispositions de l'article R. 423-1 seraient, ainsi, privées d'effet. Enfin, on rappellera que le juge administratif contrôle le caractère substantiel des omissions des dossiers de permis de construire. L'absence d'une pièce imposée par le code ne justifie pas nécessairement l'annulation de l'autorisation, si les autres pièces du dossier contenaient les informations que cette pièce était censée apporter.

Si l'autorité compétente a été mise en mesure, grâce aux autres pièces du dossier, d'apprécier l'ensemble des critères énumérés par ces mêmes dispositions, le permis n'est pas considéré comme illégal (CAA Nantes, 2ème ch., 25 mars 2011, n° 09NT02820, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7993HPQ, CAA Bordeaux, 1ère ch., 9 décembre 2010, n° 10BX00804 N° Lexbase : A6457IM4). Il est, en effet, constant que la régularité formelle d'un dossier de demande d'autorisation d'urbanisme s'apprécie globalement, une pièce manquante pouvant être compensée par les autres pièces (CAA Paris, 1ère ch., 19 octobre 2000, n° 97PA00743 N° Lexbase : A0644BIP, CAA Bordeaux, 6ème ch., 3 janvier 2012, n° 11BX00191 N° Lexbase : A4205IBD).

Pour toutes ces raisons, on peut conclure que le défaut de production du cahier des charges visé par l'article L. 311-6 du Code de l'urbanisme ne provoque pas l'illégalité du permis de construire. En effet, les autres pièces du dossier contiennent nécessairement les informations contenues dans le cahier des charges puisque les seules mentions obligatoires concernent le nombre de mètres carrés de surface de plancher prévu par le projet. La production de ce cahier des charges ne constitue donc pas une formalité substantielle.


(1) G. Liet-Veaux, JCL Adm, fasc. n° 446-10, n° 105.
(2) AJDA, 2011, p. 1456.

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