La lettre juridique n°500 du 4 octobre 2012 : Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de fiscalité des entreprises - Octobre 2012

Réf. : Loi n° 2012-958, 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 14 et 15 (N° Lexbase : L9357ITQ)

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par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris-Dauphine, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 04 Octobre 2012

1 - La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, vient de renforcer le dispositif de lutte à la fois contre les transferts de bénéfices vers les pays à fiscalité privilégiée et contre l'utilisation abusive des déficits. Selon le travail réalisé par le Conseil des prélèvements obligatoires, le montant de l'évasion fiscale se situerait entre 30 milliards d'euros et 80 milliards d'euros, soit le montant de l'intérêt de la dette. Les transferts de bénéfices et le prix de ces opérations y représentent une part importante. Pour lutter contre ce phénomène, la commission d'enquête sur l'évasion fiscale, présidée Philippe Dominati (rapport sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, Sénat n° 673 du 17 juillet 2012), proposait différentes mesures reprises dans la loi de finances rectificative pour 2012. L'article 14 de la loi vise, en particulier, à opérer un renversement de la charge de la preuve pour les transferts de bénéfices vers les pays à fiscalité privilégiée, alors que l'article 15 a pour objet de limiter les possibilités d'exploitation des déficits à des fins d'optimisation fiscale.
On notera que ces différentes modifications sont applicables aux exercices clos à compter du 31 décembre 2012. Elles produiront des recettes dès 2012, essentiellement du fait du "cinquième acompte" qui sera versé le 15 décembre 2012 par les grandes entreprises. Un surplus budgétaire de 40 millions d'euros est donc attendu dès cette année. En 2013 (année pleine), ce chiffre s'élèvera à 200 millions d'euros. I - L'article 14 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 : renversement de la charge de la preuve dans le cadre de l'article 209 B du CGI

2 - L'article 14 opère un remaniement de l'article 209 B (N° Lexbase : L9422IT7). Cette disposition permet de déroger au principe de territorialité de l'impôt et d'imposer en France, même lorsqu'ils ne sont pas distribués, les résultats réalisés par des entreprises contrôlées par des sociétés françaises dans des pays à fiscalité privilégiée. Les bénéfices d'une filiale soumise à un régime fiscal privilégié sont ainsi réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne morale établie en France. L'article 209 B instaure ainsi une sorte de présomption de fraude que le contribuable peut toutefois combattre de plusieurs manières, selon que la filiale est implantée dans un Etat membre de l'Union européenne, hors Union européenne, ou dans un ETNC.

A - Filiales établies dans un Etat de l'Union européenne

3 - Lorsque la société française peut arguer que sa filiale est établie ou constituée dans un Etat membre de l'Union européenne, elle bénéficie du II de l'article 209 B, qui précise que la présomption n'est applicable qu'aux montages artificiels dont le but est de contourner la législation fiscale française. Lorsque les bénéfices sont localisés dans un Etat de l'Union, il appartient ainsi à l'administration fiscale de démontrer que le montage est artificiel et n'a pour but que de contourner la législation fiscale française. Une telle preuve est difficile à établir, si bien que les bénéfices localisés dans un Etat de l'Union échappent en quasi-totalité à l'application du I de l'article 209 B. D'ailleurs, dans son rapport n° 2132 sur le dernier projet de loi de finances rectificative pour 2009 (n° 2070), le Rapporteur général relevait qu'un redressement avait, pour la première fois, été opéré en 2009, sur le fondement de ce dispositif. Cet assouplissement est cependant nécessaire pour que la législation française soit conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Rappelons que dans l'arrêt "Cadbury Schweppes" du 12 septembre 2006 (CJUE, 12 septembre 2006, aff. C-196/04 N° Lexbase : A9641DQ7), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'un dispositif existant dans la législation du Royaume-Uni, équivalent à celui prévu à l'article 209 B du CGI, était contraire au droit de l'Union européenne. Il a été considéré que la liberté d'établissement s'opposait à l'incorporation, dans l'assiette imposable d'une société établie dans un Etat membre de l'Union européenne, des bénéfices réalisés par une société étrangère qu'elle contrôle par un autre Etat membre, lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d'imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat. Néanmoins, la Cour de justice a admis une telle incorporation lorsqu'elle concerne des montages purement artificiels destinés à éluder l'impôt national normalement dû. Mais elle a également posé le principe selon lequel la seule circonstance qu'une société résidente crée une filiale dans un autre Etat membre ne saurait fonder une présomption générale de fraude fiscale et justifier une mesure portant atteinte à l'exercice d'une liberté garantie par les textes fondamentaux de l'Union européenne (CJUE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96 N° Lexbase : A0410AW4). Par voie de conséquence, le caractère artificiel d'un schéma fiscal ne peut être présumé et il revient à l'administration de le démontrer.

4 - Dans ces conditions, les marges de manoeuvre du législateur français étaient particulièrement réduites, même si certains pays membres de l'Union européenne peuvent être qualifiés de pays à fiscalité privilégiée. La deuxième loi de finances rectificative pour 2012 n'apporte d'ailleurs aucune modification au II de l'article 209 B.

B - Filiales situées hors Union européenne

5 - Lorsque la filiale est située hors Union européenne, en vertu du III de l'article 209 B, la société mère pouvait bénéficier d'une "clause de sauvegarde" pour les bénéfices ou revenus de l'entreprise ou de l'entité établie ou constituée hors de France qui "proviennent d'une activité industrielle ou commerciale effective". Mais cette présomption d'inapplicabilité du régime de taxation, simple dans son principe, était assortie d'exceptions qui l'étaient nettement moins. En effet, elle ne valait pas si les bénéfices ou revenus de l'entreprise ou de l'entité proviennent pour plus de 20 % de revenus dits "passifs", c'est-à-dire provenant schématiquement d'opérations sur actifs financiers ou incorporels, ou pour plus de 50 % de revenus "passifs" et de prestations de services intragroupe. Il appartenait à l'administration fiscale de prouver que les bénéfices ou revenus ne provenaient pas d'une activité industrielle ou commerciale effective ou que, si tel était le cas, les seuils de revenus passifs (20 %) ou intragroupe (50 %) étaient dépassés. La charge de la preuve de l'administration était d'autant plus lourde que, même en cas de franchissement des seuils de 20 % et 50 %, la société redevable de l'IS en France pouvait échapper au dispositif de taxation en établissant que les opérations de l'entreprise ou de l'entité établie ou constituée hors de France avaient "principalement un effet autre que de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire" à fiscalité privilégiée. La charge de la preuve incombait, dans ce cas, au contribuable, et non à l'administration fiscale.

6 - Ce mécanisme complexe nuisait incontestablement à l'efficacité des pouvoirs de contrôle de l'administration. Selon le rapport parlementaire (AN, n° 79 du 12 juillet 2012), seuls quatre redressements ont pu être opérés hors Union européenne en 2011, pour un montant de 35 millions d'euros en base d'imposition.

7 - Pour remédier à cette situation, le législateur a d'abord simplifié le dispositif. Les ratios de revenus passifs qui déclenchent l'application du dispositif sont ainsi supprimés.

8 - Le législateur a ensuite opéré un renversement de la charge de la preuve sur le contribuable, en subordonnant la non-application du dispositif à la démonstration, par la personne morale établie en France, que "les opérations de l'entreprise ou de l'entité juridique établie ou constituée hors de France ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié". Dans le projet initial, le législateur n'évoquait que l'effet principalement fiscal, mais un amendement a été déposé par Christian Eckert, rapporteur général du budget, pour renforcer le critère d'intentionnalité et durcir ainsi les conditions qui permettent de lutter contre les abus. Le contribuable doit, dorénavant, prouver que cette présence à l'étranger n'est principalement fiscale ni dans ses conséquences, ni dans l'intention qui a conduit à sa mise en place. En effet, il n'est pas exclu que certains montages aient un objet principalement fiscal sans pour autant que leurs conséquences soient aisément appréhendées par l'administration.

9 - Le fardeau de la preuve n'est toutefois nullement alourdi pour les entreprises françaises, car la condition est "réputée remplie notamment lorsque l'entreprise ou l'entité juridique établie ou constituée hors de France a principalement une activité industrielle ou commerciale effective exercée sur le territoire de l'Etat de son établissement ou de son siège".
L'emploi de l'adverbe "notamment" laissera la possibilité à la société redevable de l'IS de prouver à l'administration que les bénéfices et revenus tirés de l'entreprise ou de l'entité établie ou constituée hors de l'Union européenne, alors même qu'ils ne proviennent pas d'une activité industrielle ou commerciale, ne sont pas localisés à l'étranger à seules fins d'optimisation fiscale.
Le mécanisme nouveau n'est toutefois pas si favorable aux entreprises françaises, car, si la condition permettant d'écarter l'application du dispositif de taxation devient réputée remplie en cas d'activité industrielle ou commerciale, encore faut-il que l'entreprise ou l'entité juridique exerce "principalement" ce type d'activité.
L'introduction de cet adverbe s'explique par la suppression des seuils de 20 % et 50 %. Le législateur prétend que "leur suppression rendra donc le dispositif plus clair, et permettra à l'administration d'apprécier, au moyen des informations fournies par la société redevable de l'IS, le caractère principal des activités à l'origine des bénéfices ou revenus potentiellement taxables au titre du I de l'article 209 B". Elle génère, à notre avis, une insécurité juridique dont on peut se demander si elle est aujourd'hui compatible avec les exigences de sécurité juridique. On rappellera que la CJUE a pu estimer qu'une loi fiscale qui s'applique lorsque le régime de taxation d'un prestataire étranger est "notablement plus avantageux" que le régime national ne satisfait pas aux exigences de la sécurité juridique, qui impose que "les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu'elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables" (CJUE, 5 juillet 2012, aff. C-318/10 N° Lexbase : A3542IQA ; voir également CJUE, 7 juin 2005, aff. C-17/03 N° Lexbase : A5588DIS, Rec. p. I 4983, point 80, ainsi que CJUE, 16 février 2012, aff. C-72/10 et C-77/10 N° Lexbase : A5819ICI, point 74). L'ancien mécanisme de l'article 209 B avait l'inconvénient de sa lourdeur, mais n'engendrait qu'un faible arbitraire, ce qui ne sera pas le cas de la règle nouvelle.

C - Filiales implantées dans un ETNC

10 - Lorsque la filiale est implantée dans un Etat ou territoire non coopératif, la charge de la preuve reposait, depuis le 1er janvier 2010, sur l'entreprise française. Le III bis de l'article 209 B prévoyait un régime contraignant, puisque le dispositif de taxation prévu par le I de l'article 209 B était alors, par principe, applicable. La société redevable de l'IS pouvait cependant établir par tous moyens -la charge de la preuve lui incombant- que les bénéfices ou revenus provenant de l'entreprise ou de l'entité établie ou constituée hors de France répondaient aux critères du II de l'article 209 B, à savoir, une activité industrielle et commerciale effective exercée sur le territoire concerné, et le respect des seuils de 20 % et 50 %. Le dernier alinéa du III bis comportait également une "clause de sauvegarde" permettant à la société française d'échapper au dispositif. La société assujettie à l'IS en France devait alors établir que les opérations de sa filiale avaient un objet et un effet principalement autres que fiscal, et devait transmettre "tous éléments nécessaires à l'appréciation de l'activité et des proportions" de revenus passifs et intragroupes.

11 - Pour renforcer l'efficacité du dispositif, le législateur aurait pu supprimer cette dernière clause de sauvegarde applicable aux Etats et territoires non coopératifs. En réalité, le législateur a préféré abroger purement et simplement le III bis de l'article 209 B. Il n'y a, dès lors, plus de règles spécifiques pour les ETNC. Même si cette abrogation n'entraîne pas un allégement des règles applicables aux ETNC, elle ne constitue pas, à l'évidence, un renforcement de l'efficacité de la lutte contre les transferts de bénéfices dans les pays à fiscalité privilégiée non coopératifs. La liste réduite des ETNC explique certainement ce désintérêt relatif du législateur.

12 - Au final, il faut retenir que le nouvel article 209 B a étendu le régime de la preuve applicable aux filiales localisées dans les ETNC à l'ensemble des entités bénéficiant d'un régime fiscal privilégié, quelle que soit leur localisation hors de l'Union européenne. Dès lors, une fois que l'administration fiscale a établi l'existence d'un régime fiscal privilégié, il est imposé une présomption simple d'évasion fiscale aux sociétés établies en France et détenant des filiales bénéficiant d'un tel régime dans un pays non européen, coopératif ou non. Cette présomption peut être aisément écartée par les entreprises exerçant une activité économique réelle dans les Etats à fiscalité privilégiée où elles sont implantées. Pour les autres entreprises, il sera nécessaire de démontrer que l'implantation de la filiale avait principalement un objet et un effet autres que fiscaux.

II - L'article 15 : lutte contre les transferts abusifs de déficits

13 - L'article 15 de la deuxième loi de finances rectificative vise à limiter les possibilités d'exploitation des déficits à des fins d'optimisation fiscale. Il s'agit, plus précisément, de lutter contre les montages qui permettent, par une utilisation optimisante de certaines dispositions du CGI, de conserver ou d'échanger des déficits reportables d'un exercice sur l'autre et qui, une fois imputés sur les bénéfices, ont pour effet de minorer l'assiette taxable.

14 - Rappelons brièvement les règles applicables à l'exploitation des déficits. Alors que l'article 220 quinquies du CGI (N° Lexbase : L5701IRL) instaure un mécanisme de "report en arrière" (ou "carry-back") des déficits permettant d'imputer le déficit constaté au cours d'un exercice sur le résultat de l'exercice antérieur (sous un plafond de un million d'euros), l'article 209 (N° Lexbase : L9518ITP) prévoit, en son troisième alinéa, une procédure du "report en avant" des déficits. Ce mécanisme autorise les redevables de l'impôt sur les sociétés ayant enregistré un déficit au cours d'un exercice de considérer ce déficit comme une charge déductible du résultat de l'exercice suivant, dans la limite d'un million d'euros + 60 % de la fraction du bénéfice de l'exercice sur lequel le déficit est reporté qui excède un million d'euros. Si le résultat en question ne permet pas d'imputer l'intégralité du déficit, la fraction non imputée est reportable sur les exercices suivants, sans limitation de durée.
Comme cette procédure a pour finalité d'ajuster le rythme de l'imposition à celui de l'activité économique qui en est à l'origine, le déficit cesse d'être reportable en cas de changement d'exploitant ou d'activité. Il existe néanmoins deux exceptions notables au principe de déchéance du droit à report des déficits en cas de changement d'exploitant. D'abord, en cas de fusions et opérations assimilées placées sous le régime de faveur de l'article 210 A (N° Lexbase : L9521ITS). Le II de l'article 209 prévoit qu'en cas de fusion placée sous le régime de faveur, les déficits antérieurs non encore déduits de la société absorbée sont transférés à la société absorbante et imputables sur ses bénéfices ultérieurs. Ce transfert est toutefois soumis à un agrément du ministre chargé du Budget, qui est délivré si les conditions posées par l'article 209 sont remplies. La seconde exception concerne les restructurations de groupes fiscaux intégrés. Lorsqu'une société soumise à l'IS s'est constituée seule redevable de l'impôt des sociétés qu'elle détient à plus de 95 % (société "tête de groupe") est absorbée par une société soumise à l'IS qui devient de ce fait la nouvelle tête de groupe, ou bien fait l'objet d'une scission ayant les mêmes conséquences, les déficits de la société absorbée ou scindée, ainsi que les intérêts intragroupe déductibles sont transférés au profit de la ou des sociétés bénéficiaires. Le transfert des déficits doit cependant faire l'objet d'un agrément, délivré si les conditions de l'article 223 I (N° Lexbase : L9516ITM) sont respectées.

15 - Ce régime complexe du droit au report des déficits a permis le développement d'un "véritable marché de déficits", selon l'expression du législateur. Il s'agit, schématiquement, pour une société bénéficiaire, d'acquérir les titres d'une société déficitaire dans des conditions lui permettant d'imputer sur ses bénéfices les déficits transférables enregistrés par la société dont les titres sont acquis. Cette opération permet à la société bénéficiaire de réduire son assiette taxable alors même que la société dont les titres sont acquis a déjà abandonné tout ou partie du fonds de commerce à l'origine de ce déficit. Une étude du Trésor accrédite l'idée que les mécanismes de report des déficits sont surtout très utilisés par les grandes entreprises et expliquent en grande partie leurs faibles taux implicites d'imposition (rapport d'information sur l'application de la loi fiscale, n° 3631, juillet 2011, présenté au nom de la commission des Finances par M. Gilles Carrez, page 53).

16 - Pour lutter contre les transferts abusifs de déficits, l'article 15 de la loi de finances rectificative prévoit, non de remettre en cause les dérogations légitimes au principe de déchéance du droit au report des déficits, mais de faire en sorte que les transferts de déficits s'inscrivent dans une logique économique et non pas dans une logique exclusivement fiscale. A cette fin, les modifications tendent, selon des moyens différents, à conditionner le transfert des déficits au maintien de l'activité économique qui les a générés. Ainsi, l'article 15 de la loi de finances rectificative prévoit à la fois de durcir les conditions d'obtention des agréments autorisant le transfert de déficits en cas d'opérations de restructurations, et de définir plus précisément et largement le changement d'activité réelle, lequel changement provoque une déchéance des déficits antérieurement accumulés.

A - Changement d'exploitant : modifications des conditions d'agréments autorisant le transfert de déficits lors d'opérations de restructurations

17 - L'article 15 de la loi de finances rectificative durcit les conditions ouvrant droit au bénéfice du régime de faveur des fusions et opérations assimilées, et étend les conditions ainsi renforcées aux opérations de restructurations des groupes fiscaux.

18 - Concernant les conditions d'agrément des transferts de déficits en cas de fusion ou opération assimilée placée sous le régime de faveur de l'article 210 A, certaines sont maintenues, d'autres sont renforcées et d'autres enfin sont introduites.
En premier lieu, pour que le transfert des déficits soit possible, il conviendra toujours que l'opération soit justifiée du point de vue économique et obéisse à des motivations principales autres que fiscales.
En second lieu, comme antérieurement, l'activité à l'origine des déficits dont le transfert est demandé devra toujours être poursuivie pendant au moins trois ans par la ou les sociétés absorbantes ou bénéficiaires des apports. Mais il est ajouté que l'activité ne devra pas "faire l'objet, pendant cette période, de changement significatif notamment en termes de clientèle, d'emploi, des moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité".
En troisième lieu, deux conditions supplémentaires à l'agrément sont introduites au II de l'article 209.
D'abord, la délivrance de l'agrément sera conditionnée au fait que "l'activité à l'origine des déficits ou des intérêts dont le transfert est demandé n'a pas fait l'objet par la société absorbée ou apporteuse pendant la période au titre de laquelle ces déficits et ces intérêts ont été constatés, de changement significatif notamment en termes de clientèle, d'emploi, des moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité". Cette condition nouvelle a pour but de vérifier que le déficit n'a pas été volontairement créé par une modification de l'activité de la société, afin de pouvoir être transféré ultérieurement à une société bénéficiaire, pour lui permettre d'effacer une partie de son résultat imposable. Il convient cependant de remarquer qu'en principe, une société connaissant un changement significatif d'activité devrait logiquement subir les conséquences fiscales de la cessation d'entreprise, et, par construction, ne plus disposer de déficits éventuellement transférables, d'autant que l'article 15 de la loi de finances rectificative définit plus largement le changement d'activité réelle.
Ensuite, le nouvel article 209 prévoit que ne sont pas susceptibles d'être transférés les déficits et intérêts provenant "de la gestion d'un patrimoine mobilier par des sociétés dont l'actif est principalement composé de participations financières dans d'autres sociétés ou groupements assimilés, [ou] de la gestion d'un patrimoine immobilier". L'objectif est d'exclure de l'agrément le transfert des déficits des holdings financières ou des sociétés de gestion d'un patrimoine immobilier, car certaines de ces sociétés semblent faire partie des sociétés actives sur les marchés de déficits.

19 - Toutes ces nouvelles conditions sont étendues aux transferts de déficits réalisés dans le cadre des restructurations de groupes fiscaux. L'article 223 I est modifié en conséquence et s'applique aux opérations de fusion, scission et scission partielle du groupe. Il faudra ainsi, entre autres, que la société absorbante poursuive l'activité qui en est à l'origine du déficit.

B - Changement d'activité : objectivisation de la notion

20 - Insuffisamment définie par la loi, la notion de "changement d'activité réelle" a été interprétée souplement et extensivement par le juge administratif. Seul un changement d'activité profond est susceptible d'emporter les conséquences de la cessation d'entreprise, et donc la déchéance du droit au report des déficits. La jurisprudence du Conseil d'Etat estime que l'activité initiale ne doit pas devenir "marginale", soit que l'entreprise exerce des activités nouvelles (CE 8° et 3° s-s-r., 10 juillet 2007, n° 288484, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2853DXX), soit qu'elle décide d'abandonner certaines de ses activités initiales. De fait, la Haute juridiction examine si le changement d'activité est de nature à faire perdre "l'identité" de l'entreprise. Ainsi, une entreprise qui se recentre sur une activité minoritaire (mais la seule bénéficiaire) ne signifie pas que celle-ci est "marginale". Ainsi, une société ne change pas d'activité, selon la jurisprudence, lorsqu'elle acquiert et exploite une dizaine de supermarchés avant de les revendre pour n'y conserver qu'un point de vente de produits de boucherie, en réduisant de 80 % son chiffre d'affaires et des deux tiers le nombre de ses employés (CE 8° et 3° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 284621, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9628DZM). Face à cette situation, le législateur a préféré définir plus précisément ce qu'il convient d'entendre par changement d'activité. Ainsi l'alinéa 5 de l'article 221 (N° Lexbase : L9517ITN) comporte une nouvelle rédaction.

21 - D'abord, en plus du principe selon lequel "le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise", est ajoutée une nouvelle cause de cessation d'entreprise, "en cas de disparition des moyens de production nécessaires à la poursuite de l'exploitation pendant une durée de plus de douze mois, sauf cas de force majeure, ou lorsque cette disparition est suivie d'une cession de la majorité des droits sociaux". Cette nouvelle rédaction a pour but d'éviter qu'une entreprise déficitaire soit "mise en sommeil" pendant plusieurs mois pour être "réactivée" afin de profiter des déficits non encore reportés ; ou encore qu'une entreprise soit vidée de sa substance, de sorte qu'elle devienne déficitaire, puis cédée (schéma dit "du coquillard").

22 - Ensuite, le nouvel article 221 identifie deux causes de changement d'activité : l'adjonction d'une activité et l'abandon (ou le transfert, même partiel) d'une activité. Pour être constitutive d'un changement d'activité, chacune de ces causes doit avoir un impact significatif sur l'activité de l'entreprise, en augmentant (pour l'adjonction) ou réduisant (pour l'abandon) de plus de 50 %, au titre de l'exercice de sa survenance ou du suivant, et par rapport à l'exercice précédant sa survenance, soit le chiffre d'affaires, soit l'effectif moyen du personnel et le montant brut des éléments de l'actif immobilisé de la société.
Il convient de souligner que la variation de plus de 50 % de ces éléments objectifs n'est pas la seule cause du changement d'activité réelle, puisque le texte dispose que le changement d'activité réelle s'entend "notamment" des deux causes qui viennent d'être exposées. L'administration disposera donc d'une marge d'appréciation, au-delà des critères objectifs fixés par la loi.

23 - Afin d'éviter que ces nouveaux critères soient nuisibles aux restructurations n'ayant pas d'objet fiscal, l'article 221 prévoit une sorte de procédure de sauvegarde. Sur agrément du ministre chargé du Budget, il est prévu que ne sont pas considérés comme emportant cessation d'entreprise, soit la disparition temporaire des moyens de production pendant une durée de plus de douze mois lorsque l'interruption et la reprise d'activité sont justifiées par des motivations principales autres que fiscales, soit l'adjonction et l'abandon d'une activité, dès lors qu'ils sont indispensables à la poursuite de l'activité à l'origine des déficits et à la pérennité de l'emploi. Autrement dit, l'administration fiscale pourra se livrer à un examen au cas par cas afin de déterminer si une opération a un but économique et permet de maintenir une activité et des emplois.
Les débats parlementaires ont été âpres sur la question de cette double condition de poursuite de l'activité et du maintien des emplois. L'opposition parlementaire craignait que le cumul de critères prévu pour obtenir l'agrément soit économiquement irréaliste, car les opérations de restructurations s'accompagnent rarement du maintien de l'ensemble du personnel. Si pérenniser les emplois est essentiel, il faudrait, selon certains parlementaires, permettre à une entreprise en restructuration de bénéficier de l'agrément du seul fait de la poursuite d'activité.
Le Gouvernement s'est voulu rassurant en indiquant que le maintien de l'activité n'implique pas forcément d'une activité absolument identique, mais un outil de production "assez semblable", et que la pérennité de l'emploi ne doit pas s'entendre dans le sens du maintien de tous les emplois, des agréments pouvant être délivrés même en cas de contraction de personnel. Il serait souhaitable que l'administration retienne cette conception téléologique du texte nouveau.

24 - Au final, on retiendra que l'article 15 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 durcit les conditions d'obtention de l'agrément autorisant le transfert de déficits en cas d'opérations de restructurations. Les critères pris en compte lors de l'apport d'activités opérationnelles sont plus stricts et précis, et les déficits provenant de la gestion de titres par des sociétés dont l'actif est majoritairement composé de titres immobilisés et/ou d'un patrimoine immobilier ne peuvent être transférés à la société absorbante ou assimilée. De plus, s'agissant des opérations de restructuration concernant les groupes fiscaux, l'octroi de l'agrément à la poursuite est conditionné, par toutes les sociétés membres de l'ancien groupe qui feront partie du nouveau groupe, de l'activité à l'origine des déficits dont le transfert est demandé, et ce pendant trois ans. L'article 15 pose également des critères objectifs permettant de qualifier les changements d'activité entraînant la cessation d'entreprise et donc la perte des déficits.

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