Lexbase Affaires n°158 du 10 mars 2005 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Nantissement sur matériel et outillage et retrait contre paiement

Réf. : Cass. com., 4 janvier 2005, n° 02-10.511, CGEA d'Amiens, Centre de gestion et d'études de l'AGS, Délégation régionale AGS du Nord Est, Unité déconcentrée de l'UNEDIC, en qualité de gestionnaire de l'AGS c/ Banque Scalbert Dupont, FS-P+B (N° Lexbase : A8625DE8)

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var

le 01 Octobre 2012

La technique du retrait contre paiement est prévue, tant en période d'observation, qu'en liquidation judiciaire. Pendant cette phase, l'article L. 622-21, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L7016AIP) (anct L. 25 janv. 1985, art. 159, al. 1) prévoit que le liquidateur peut retirer le gage ou la chose retenue. Le domaine de la règle, qui semblait aller de soi, n'a guère été exploré. L'occasion nous en est donnée avec l'arrêt commenté. En l'espèce, le liquidateur d'une société est autorisé par le juge-commissaire à vendre l'actif mobilier de celle-ci. Deux banques, titulaires d'un nantissement sur matériel et outillage, ont formé opposition à cette ordonnance et ont, parallèlement, sollicité l'attribution judiciaire du matériel nanti. Ultérieurement, les banques ont accepté que le liquidateur procède au retrait, en contrepartie du paiement de 500 000 francs (soit 76 231 euros). Le juge-commissaire a autorisé le retrait contre paiement de cette somme, réserve faite des frais de justice. L'AGS, via le CGEA, a, alors, formé un recours contre cette décision, que le tribunal a rejeté. La cour d'appel a, pour sa part, déclaré l'appel irrecevable. La question procédurale qui se posait était de savoir, devant la Cour de cassation, si l'appel était irrecevable. Tel aurait été le cas d'un appel réformation, car les décisions qui statuent sur opposition aux ordonnances du juge-commissaire ne sont pas susceptibles d'appel. Il restait, alors, le recours nullité. L'appel nullité est recevable en cas de violation d'une règle fondamentale de procédure, ou en cas d'excès de pouvoir. Sur ce dernier terrain, y avait-il excès de pouvoir, rendant recevable l'appel nullité, dans le fait d'autoriser le retrait contre paiement d'un bien objet d'un nantissement sur matériel et outillage ? Oui, répond la Cour de cassation : "Le juge-commissaire ne statue pas dans la limite de ses attributions lorsque, au mépris de l'ordre des créanciers, il autorise le liquidateur à retirer le bien nanti, en payant la dette du créancier titulaire d'un nantissement sur l'outillage et le matériel qui ne confère pas de droit de rétention".

La technique du retrait contre paiement permet au liquidateur de retirer un bien gagé ou retenu. Fondamentalement, il s'agit de vaincre le "droit de gêner" que confère à son titulaire l'exercice du droit de rétention. Dans la législation des procédures collectives, il n'existe pas de voie de dégrèvement du droit de rétention autre que le paiement : continuer à retenir ou être payé, tel est le choix du rétenteur. Observons que l'accord donné par le créancier au liquidateur pour retirer le gage ne vaut pas vente par le créancier. Cet accord reste, en conséquence, sans influence sur le maintien du droit de rétention au profit du créancier (CA Paris, 25ème ch., sect. A, 15 mars 1990, Rev. proc. coll. 1991, 203, obs. B. Soinne).

Peu importe que le rétenteur soit gagiste. Mais seul le gagiste rétenteur peut retenir la chose. Il n'y a pas à distinguer selon que le droit de rétention est réel ou fictif. Le retrait est possible dans les deux cas. En pratique, cependant, le retrait supposera l'existence d'un droit de rétention réel. En effet, s'il y a simplement droit de rétention fictif, il n'y a pas place à retrait, mais à réalisation du bien avec report du droit de rétention sur le prix. Le retrait n'est donc d'aucune utilité, du fait de l'existence d'une disposition concurrente permettant de parvenir au même résultat : le paiement du rétenteur.

Logiquement, la Cour de cassation en tire la conclusion que nous avions, pour notre part, posée (V. Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, 2003/2004, n° 58.62) : le liquidateur ne peut procéder au retrait d'un bien gagé qu'autant que le gage confère à son titulaire un droit de rétention. Or, à l'évidence, le nantissement sur matériel et outillage ne confère à son titulaire aucun droit de rétention. Le retrait contre paiement est donc impossible. Observons, au demeurant, que s'il l'avait été, la technique aurait été inconciliable avec le paiement de créancier de rang prétendument préférable. En effet, le retrait contre paiement est exclusif de l'ordre des privilèges. Il n'est pas, ici, question de se demander qui passe avant qui, il est seulement question d'éteindre un droit de rétention pour appréhender un bien retenu.

Le créancier nanti avait eu, dans un premier temps, raison de faire opposition à l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente des biens nantis. En effet, la distribution du prix de vente par le liquidateur suppose le respect de l'ordre des privilèges et conduit à faire préférer par d'autres le créancier nanti. Tant que l'ordonnance autorisant le liquidateur à vendre les actifs mobiliers n'était pas devenue définitive, la demande d'attribution judiciaire pouvait prospérer. Or, la technique de l'attribution judiciaire est indépendante de l'exercice des droits de préférence, comme le retrait contre paiement. Le créancier nanti aurait donc pu être payé indépendamment de l'existence de créanciers de rang préférable, tels les créanciers superprivilégiés. Le créancier nanti aurait dû camper sur sa position et ne pas négocier avec le mandataire de justice car, à avoir voulu se montrer conciliant, il s'exposait au juste reproche formulé par l'AGS. Faute d'avoir exercé l'attribution judiciaire, le créancier nanti se voit justement opposer par l'AGS, que le retrait contre paiement est ici impossible, faute d'existence du droit de rétention. Le juge-commissaire et, à sa suite, le tribunal, ont donc commis un excès de pouvoir, que la cour d'appel a confirmé. D'ailleurs, le recours à la construction du recours nullité, que suppose la notion d'excès de pouvoir, n'est ici pas nécessaire. Pourquoi ? Parce que l'article L. 623-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L7033AIC) (anct L. 25 janv. 1985, art. 173, 2°) indique explicitement que les voies de recours sur les jugements statuant sur opposition aux ordonnances du juge-commissaire sont fermées, lorsque le juge commissaire reste "dans les limites de ses attributions". A contrario, si le juge-commissaire sort des limites de ses attributions, il y a ouverture des voies de recours. Le raisonnement a contrario s'impose ici puisque, par la mise à l'écart d'un texte d'exception, il y a retour au principe général de recevabilité de l'appel. La solution de la Cour de cassation mérite, donc, pleine approbation.

Les créanciers retiendront qu'à se montrer conciliants, ils peuvent parfois tout perdre au lieu d'être payés de la plus importante partie de leur créance. Le paradoxe n'est pas mince. Mais "dura lex concursus, sed lex concursus".

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