Lexbase Social n°842 du 5 novembre 2020 : Télétravail

[Le point sur...] Covid-19 : le télétravail à l’heure de la seconde vague

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par Sibylle Gustin, Avocat, Cabinet Fromont Briens

le 04 Novembre 2020

« Le recours au télétravail doit être le plus massif possible » pendant le confinement, a affirmé jeudi 29 octobre dernier Jean Castex, en précisant que « dans le secteur privé, toutes les fonctions qui peuvent être télétravaillées doivent l'être cinq jours sur cinq [...]. Il y aura des dérogations lorsque cela n'est pas possible ». De même, dans les administrations publiques, le télétravail sera mis en place pour toutes les missions pouvant se faire « à distance », a-t-il précisé.

« Nous devons continuer à travailler autant que possible, bien entendu dans des conditions sanitaires protectrices et tout en stoppant la circulation virale », car « le chômage et la pauvreté peuvent aussi tuer », a ajouté le Premier ministre devant les députés.

C’est dans ce contexte que le protocole national de déconfinement, ainsi que le question-réponse du ministère du Travail, ont été modifiés respectivement les 29 octobre et 3 novembre dernier.

Ci-après un tour d’horizon des réponses pratiques apportées.

Généralisation du télétravail dans le cadre du reconfinement

Désormais, « le télétravail n'est pas une option, mais une obligation », comme l’a rappelé Elisabeth Borne, la ministre du Travail qui s'est montrée très claire à ce sujet.

Le protocole sanitaire, dans sa version actualisée du 29 octobre 2020, précise que : « Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l’épidémie, il doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100% pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance ».

Pour la première fois, le protocole prévoit désormais que la généralisation du télétravail est mise en œuvre dans le cadre « du dialogue social de proximité » et doit permettre de veiller :

  • au maintien des liens au sein du collectif de travail ;
  • à la prévention des RPS liés à l’isolement des salariés en télétravail.

Trois cas peuvent donc être distingués désormais :

  • ceux qui peuvent exercer leur activité en télétravail doivent le faire cinq jours sur cinq ;
  • ceux qui ne peuvent pas remplir toutes leurs tâches en télétravail peuvent se rendre une partie de leur temps sur le lieu de travail ;
  • ceux qui ne peuvent pas télétravailler (notamment dans les usines, les exploitations agricoles, le BTP), le travail pourra se poursuivre en présentiel afin que l’activité puisse continuer.

L’employeur doit malgré tout veiller à mettre en place :

  • une organisation du travail permettant regrouper les activités afin de réduire les déplacements domicile-travail (avec remise d’un justificatif professionnel de l’employeur pour les trajets) ;
  • un aménagement du temps de présence en entreprise pour réduire les interactions sociales (lissage des horaires de départ et d’arrivée) ;
  • un renforcement des gestes barrières et la distanciation sociale conformément aux préconisations gouvernementales.

En tout état de cause, l’employeur doit privilégier les réunions à distance. Les réunions en audio ou visioconférence doivent constituer la règle, et les réunions en présentiel l’exception.

Des sanctions pour les entreprises qui refuserait de faire du télétravail ?

Dans sa dernière mise à jour du 3 novembre, le question réponse du ministère du Travail précise qu’un employeur qui, alors que son activité s’y prête, refuserait de mettre en place le télétravail pourrait, au vu des conditions d’exercice du travail et des mesures de prévention mises en place dans l’entreprise, engager sa responsabilité d’employeur au titre de son obligation de protéger la santé et d’assurer la sécurité de ses salariés.

Dialogue social et télétravail

La mise à jour du 3 novembre du question réponse sur le télétravail rappelle que dans les entreprises d’au moins 50 salariés, en application de l’article L. 2312-8 du Code du travail (N° Lexbase : L8460LGG), l’employeur consulte en principe le CSE de son entreprise lorsqu’il décide que les salariés doivent être placés en télétravail.

Néanmoins, face à l’urgence de la crise sanitaire et pour répondre rapidement à la mesure de confinement décidée par le Gouvernement, l’employeur pourra d’abord s’appuyer sur le fondement du L. 1222-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8103LG9) pour mettre en place cette nouvelle organisation et consulter dès que possible le CSE après la mise en œuvre de sa décision de recourir au télétravail.

Néanmoins, l’employeur devra, sans délai, informer le CSE de sa décision.

En outre, l’employeur est invité à recourir au dialogue social de proximité avec les représentants syndicaux ou les représentants de proximité s’ils sont mis en place par l’entreprise.

Activité partielle et télétravail

Il est possible d’alterner des périodes d’activité partielle (réduction d’activité) et des périodes de télétravail.

Pour autant, le question-réponse rappelle que ces périodes ne peuvent pas se cumuler de sorte que le salarié en période d’activité partielle ne peut télétravailler en même temps. Dans ces conditions, l’employeur qui demande à ses salariés de travailler alors qu’ils sont en même temps en activité partielle s’expose à des sanctions, y compris pénales.

Refus/accord de l’employeur sur le télétravail

Le question-réponse rappelle qu’en principe aucune disposition n’impose à l’employeur de donner suite à une demande de télétravail.

C’est uniquement sur le fondement de l’article L. 1222-11 du Code du travail que le ministère considère que le télétravail pourrait être imposé à l’employeur dans des circonstances exceptionnelles.

Il s’agirait dans ce cas d’un aménagement du poste de travail du salarié rendu nécessaire notamment pour garantir la protection des salariés en cas d’épidémie, ou en cas de recommandation expresse des autorités à raison du contexte sanitaire ou encore de situation de vulnérabilité attestée médicalement.

À la suite des dernières annonces du Gouvernement, ce point n’a néanmoins pas été mis à jour à la suite de la modification du protocole national.

En dehors de ces cas de circonstances exceptionnelles, si le poste est éligible au télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou à défaut par un document unilatéral de l’employeur, ce dernier doit motiver son refus.

Des conditions renforcées pour justifier le refus de l’employeur ?

Dans sa mise à jour du 3 novembre, le question-réponse est venu préciser que, pour refuser une telle demande, l’employeur doit démontrer que la présence sur le lieu de travail du salarié est indispensable au fonctionnement de l’entreprise et à l’exercice de son activité.

Horaires de travail en télétravail

Les plages horaires pendant lesquelles le salarié est disponible et opérationnel doivent être précisément déterminées par l’employeur et respectées par le salarié.

La distinction entre temps de travail et temps de repos doit être claire et garantir le droit à la déconnexion des salariés.

Attention : les modalités de suivi et de contrôle du temps de travail à distance ne pourront en aucun cas conduire à une surveillance systématique du poste de travail du salarié.

Outils du télétravail

L’employeur doit fournir au salarié l’équipement nécessaire lui permettant d’exercer ses fonctions à distance.

A cet égard, le question-réponse précise que si l’employeur n’est pas en mesure de fournir les solutions techniques (accès VPN permettant accès aux mails et données professionnelles) pour exercer les fonctions à distance, le poste n’est pas compatible avec le télétravail, ce qui constitue un motif légitime de refus de sa part.

S’agissant des équipements personnels, qui faisaient déjà l’objet d’une tolérance dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, le question-réponse rappelle que l’employeur doit fournir un ordinateur si le salarié n’en a pas ou s’il ne souhaite pas utiliser son ordinateur personnel. En aucun cas l’utilisation de l’ordinateur personnel ne peut être imposée au salarié.

Indemnisation du télétravail

Pour mémoire, la prise en charge par l'employeur de tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci, prévue par l’ex-article L. 1222-10 du Code du travail (N° Lexbase : L8105LGB) a été supprimée par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7629LGN).

Toutefois, le rapport au Président de la République, relatif à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, précisait que l'accord collectif ou la Charte permettant la mise en place du télétravail devait comporter les modalités de prise en charge des coûts découlant directement de l'exercice régulier du télétravail à la demande de l'employeur.

C’est cette position qui était reprise et étendue par l’une des questions-réponses de la FAQ générale du ministère du Travail (supprimée le 3 mai 2020) sur les conditions d’emploi pendant l’épidémie qui prévoyait que l’employeur devait verser à l’ensemble des salariés placés en télétravail une indemnité de télétravail, destinée à rembourser au salarié les frais découlant du télétravail, compte tenu de l’obligation de prise en charge des frais professionnels incombant à l’employeur.

Il était à ce titre recommandé de verser une somme forfaitaire exonérée de charges sociales par journée de télétravail sur la semaine, conformément aux tolérances fixées par l’Acoss et l’Urssaf, à hauteur de 10 € par mois, pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine, 20 € par mois pour un salarié effectuant deux jours de télétravail par semaine, etc.

Pour autant, le question-réponse précise désormais que l’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui la prévoit.

Il semblerait donc que le gouvernement revienne sur la position générale initialement prise.

Point sur le régime fiscal et social de l’indemnité de télétravail

S’agissant du régime social de l’indemnité, il convient de noter que :

  • L’indemnité versée sera exonérée de charges sociales dans les limites prévue par l’Acoss. L’employeur peut verser une somme inférieure.
  • En revanche, lorsque le montant dépasse ces limites, l’exonération de charges sociales est admise à condition de justifier de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié.
  • Le fait de verser l’indemnité en fin d’année en une seule fois, et non mensuellement, ne fait pas obstacle au bénéfice de la franchise de cotisation.

S’agissant du régime fiscal, comme pour les frais professionnels, l’article 81, 1° du Code général des impôts (N° Lexbase : L7510LXG) vise de manière exhaustive les diverses indemnités qui ne sont pas soumises à imposition et notamment « les allocations spéciales destinées à couvrir les frais inhérents à la fonction ou à l'emploi et effectivement utilisées conformément à leur objet ».

Ainsi, sous réserve du respect des conditions dudit article et de la position de l’administration, les indemnités de télétravail versées pourraient également être exonérées d’impôt sur le revenu.

Télétravail et Tickets restaurants

Le principe d’égalité de traitement entre les salariés placés en situation de télétravail et les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise est issu des dispositions de l’article L. 1222-9 du Code du travail (N° Lexbase : L0292LMR) qui prévoit que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ».

Les salariés en télétravail doivent donc bénéficier des mêmes conditions de travail que ceux présents physiquement dans les locaux de l’entreprise, ce qui inclut les tickets restaurant, sans distinction pour les salariés effectuant leur fonction en télétravail depuis leur domicile que pour les salariés dans les locaux.

En effet, la règle d’attribution des titres restaurant, à savoir, la fourniture d’un ticket pour toute journée de travail organisée en deux vacations entrecoupées d’une pause réservée à la prise d’un repas, ne permet pas de justifier une différence de traitement sur la situation, ou non, de télétravail du salarié [1].

Ce point est d’ailleurs confirmé par le question-réponse du Gouvernement qui précise que les droits habituels en matière de restauration sont maintenus (tickets restaurant, primes de repas…).

Télétravail et Pass Navigo/abonnement de transport 

S’agissant du maintien du remboursement du Pass Navigo/abonnement de transport aux salariés en télétravail, il n’existe pas de position tranchée de l’administration sur cette question alors que cette dernière s’est clairement prononcée en faveur du maintien des tickets restaurant pour les salariés en télétravail.

Pour autant, si ces salariés ne sont plus du tout amenés à se déplacer compte tenu de l’exercice de leur fonction depuis leur domicile, la différence de traitement entre les salariés présents sur site amenés à se déplacer est justifiable ce qui permettrait aux employeurs le souhaitant de stopper le remboursement du Pass Navigo/abonnements de transports.

Cette position ne pourra bien évidemment pas être soutenue en cas de télétravail partiel, tel que préconisé par le Gouvernement.

Sécurisation des réseaux et protection des données personnelles

En outre, la CNIL a mis à jour en dernier lieu le 12 mai 2020 ses recommandations concernant la mise en place du télétravail [2].

Ainsi, afin de sécuriser le système d’information de l’entreprise et protéger ses données ainsi que celles du salarié, elle recommande désormais les actions suivantes :

  • Éditer une charte de sécurité dans le cadre du télétravail ou, dans le contexte actuel, au moins un socle de règles minimales à respecter, et communiquer ce document aux salariés suivant le règlement intérieur.
  • En cas de modification des règles de gestion du système d’information pour permettre le télétravail, mesurer les risques encourus et, au besoin, prendre les mesures nécessaires.
  • Équiper tous les postes de travail des salariés au minimum d'un pare-feu, d'un antivirus et d'un outil de blocage de l'accès aux sites malveillants.
  • Mettre en place un VPN pour éviter l'exposition directe des services sur internet, dès que cela est possible. Activer l'authentification du VPN à deux facteurs si c'est possible.

Des recommandations spécifiques sont prévues en cas d’utilisation de services sur Internet, à savoir :

  • Utiliser des protocoles garantissant la confidentialité et l’authentification du serveur destinataire, par exemple HTTPS pour les sites web et SFTP pour le transfert de fichiers, en utilisant les versions les plus récentes de ces protocoles.
  • Appliquer les derniers correctifs de sécurité aux équipements et logiciels utilisés (VPN, solution de bureau distant, messagerie, vidéoconférence etc.).
  • Mettre en œuvre des mécanismes d’authentification à double facteur sur les services accessibles à distance pour limiter les risques d'intrusions.
  • Consulter régulièrement les journaux d’accès aux services accessibles à distance pour détecter des comportements suspects.
  • Ne pas rendre directement accessibles les interfaces de serveurs non sécurisées.

Le télétravail, une expérience à grande échelle dont l’entreprise doit tirer les enseignements

Involontairement, la crise sanitaire liée au covid-19 a créé des espaces de test et d’expérimentation autour de nouveaux modes de management et d’organisation à distance.

La crise a en effet permis de déployer le recours au télétravail de façon très inégale dans le secteur privé où 39 % des employés d’entreprises de plus de 10 salariés auraient télétravaillé en avril 2020 soit environ 5 à 8 millions de salariés.

Dans ces entreprises, le temps du déconfinement a amorcé le temps du bilan et des enseignements.

Pour les salariés, les principaux enjeux portent sur l’envahissement de la sphère privée par la vie professionnelle et l’impact psychologique de la distanciation sociale sur les travailleurs.  Le lien à l’entreprise et la relation au travail est également entrain d’évoluer de façon différente entre les générations.

Pour l’entreprise, les impacts en termes de productivité, de qualité du travail et de qualifications des salariés restent à mesurer. La relation contractuelle de travail va certainement être amenée à évoluer mais à l’avantage de qui ?


[1] Sur ce point, voir l’article 4 de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail qui disposait d’ores et déjà que : « Les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Cependant, pour tenir compte des particularités du télétravail, des accords spécifiques complémentaires collectifs et/ou individuels peuvent être conclus ».

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