Lexbase Social n°842 du 5 novembre 2020 : Télétravail

[Le point sur...] Le lieu de télétravail

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par Audrey Probst, Avocat counsel, Cabinet Fromont Briens

le 22 Juillet 2021

Le droit du travail s’est historiquement construit sur le modèle économique industriel, lequel impliquait une présence physique des salariés dans l’établissement de l’employeur. Pour la majorité des salariés, ce schéma est encore d’actualité. Mais en télétravail, les fonctions s’exécutent depuis le réseau informatique de l’entreprise, et la réalisation de ces fonctions à distance ne nécessite aucunement la présence du salarié dans un lieu déterminé. Reprenant les dispositions de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, le législateur a défini le lieu de télétravail par opposition. Ainsi, l’article L. 1222-9 du Code du travail (N° Lexbase : L0292LMR) désigne le télétravail comme « toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication ».

Une telle définition permet d’exclure les salariés qui exécutent leur contrat de travail à distance depuis un autre bureau de l’entreprise (bureau satellite), et ceux dont les fonctions n’auraient pas pu, en tout état de cause, être exécutées dans les locaux de l’employeur. En revanche, tout autre lieu extérieur aux locaux de l’entreprise peut être un lieu de télétravail. En pratique, le télétravail s’exerce majoritairement depuis le domicile du salarié, ou depuis un télécentre ou espace de « co-working ». Mais le télétravail peut aussi s’exercer en d’autres lieux (depuis les locaux des clients de l’employeur, la résidence secondaire du salarié, une chambre d’hôtel, dans un train, une gare, un aéroport…). L’ANI précité prévoit d’ailleurs expressément l’hypothèse des télétravailleurs « dit nomades », à savoir des salariés pouvant exercer leurs fonctions totalement, ou partiellement, à distance grâce aux outils technologiques depuis n’importe quel lieu. Il pourrait dès lors être envisagé une relation de télétravail salarié sans détermination d’un quelconque lieu de travail. L’obligation du salarié se résumerait alors à devoir se connecter au réseau de l’entreprise pour y effectuer sa prestation de travail (recevoir les ordres et directives de l’employeur et les exécuter). Le salarié serait ainsi libre de choisir le lieu depuis lequel il se connecte au réseau de l’entreprise. A cet égard, il convient de noter que la Directive n° 2019/1152 du 29 juin 2019, relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union Européenne (N° Lexbase : L0121LRW), qui abroge la Directive du 14 octobre 1991 à compter du 1er août 2022, modifie l’obligation d’information de l’employeur notamment en ce qui concerne le lieu de travail, en permettant expressément de prévoir que le salarié peut être « libre de déterminer son lieu de travail ».

Pour autant, le contrat de travail peut-il se passer totalement de la détermination d’un lieu de travail ? En pratique, cela apparait difficile, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, ne serait-ce que pour des considérations pratiques, et notamment pour pouvoir adresser au salarié des correspondances, ou faire effectuer des visites, l’employeur doit, pour le moins, disposer de l’adresse du domicile du salarié. Il convient de préciser, à cet égard, que le fait pour l’employeur d’exiger du salarié qu’il communique l’adresse de son domicile a été jugé par la Cour de cassation, et régulièrement par les juges du fond, comme parfaitement licite, cette information étant nécessaire pour pouvoir remplir le salarié de ses droits [1], ou exercer son droit à faire pratiquer une contre-visite médicale [2].

Deuxièmement, à l’égard des télétravailleurs salariés, l’employeur reste débiteur de son obligation de sécurité. L’article L. 1222-10 du Code du travail (N° Lexbase : L8105LGB) dispose expressément que l’employeur est tenu à l’égard des salariés en télétravail à ses obligations de droit commun. L’article 8 de l’ANI du 19 juillet 2005 prévoit également expressément que « les dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité au travail sont applicables aux télétravailleurs », et que « l’employeur doit veiller à leur strict respect ». L’employeur doit donc respecter les dispositions du Code du travail relatives à l’hygiène, la santé et la sécurité, y compris à l’égard des salariés placés en situation de télétravail. Pour le moins, l’employeur doit s’enquérir des conditions de travail des salariés en télétravail, et donc du, ou des lieux potentiels de télétravail, afin de prévenir tout risque d’atteinte à leur santé et leur sécurité, et ce d’autant plus que l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail et pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident du travail (C. trav., art. L. 1222-9, in fine N° Lexbase : L0292LMR).

Troisièmement, le lieu depuis lequel le salarié exécute le télétravail peut avoir une incidence sur les règles de droit applicables en matière de droit du travail et de protection sociale, ainsi que sur la compétence du tribunal en cas de litige. Le coût des déplacements professionnels dépend également directement du lieu de télétravail. L’employeur peut donc avoir un intérêt à déterminer le, ou les lieux, de télétravail.

Enfin, il convient de noter qu’à défaut de fixation d’un lieu de télétravail, les juges considèrent que celui-ci s’exerce, au moins pour partie, au domicile du salarié, avec les conséquences juridiques qui en découlent. Tel est le cas, par exemple, d’un salarié itinérant devant effectuer une partie de ses fonctions (notamment gérer des commandes, préparer ses visites et en rendre compte, actualiser les informations, répondre aux courriels…), au moyen d’une connexion Internet (Wifi ou clé 3G fournie par l’employeur), et ce en tout lieu, alors que « l'employeur ne peut pour autant prétendre que l'exécution par les salariés de leurs tâches administratives à domicile ne résulte que de leur seul choix, compte tenu de la diversité de ces tâches et de la nécessité de pouvoir s'y consacrer sérieusement dans de bonnes conditions » [3]. Tel est également le cas d’un Directeur de région qui, à l’instar des commerciaux, ne dispose pas d’un bureau professionnel pour gérer et stocker les dossiers clients, se connecter aux données de l’entreprise, lire et répondre aux courriels [4].

Pour toutes ces raisons, les parties ont donc intérêt à prévoir, au sein du contrat le, ou les lieux d’exercice du télétravail, en particulier si le contrat de travail s’exécute uniquement depuis ce lieu, ainsi que, le cas échéant, les modalités de poursuite du contrat sans télétravail.

Le télétravail, en particulier lorsqu’il s’exécute au domicile du salarié, présente des particularités, liées à la fixation du lieu de télétravail (I.), aux conditions d’exercice du télétravail (II.) et à la fin du télétravail (III.).

I. La fixation du lieu de télétravail

Conformément au droit commun, le, ou les lieux de télétravail, font l’objet d’une clause au sein du contrat de travail, l’employeur étant tenu d’informer le salarié de son lieu de travail. La portée de cette clause dépend toutefois du lieu fixé pour le télétravail.

A. La fixation du lieu de télétravail autre qu’au domicile du salarié

Le télétravail exercé dans un autre lieu que le domicile du salarié, recouvre les hypothèses de télétravail en télécentre, et de télétravail nomade avec un bureau mis à disposition du salarié dans les locaux de l’employeur.

Lorsque le télétravail est exercé depuis un télécentre, l’adresse de celui-ci sera, en principe, indiquée à titre d’information au sein du contrat de travail. En effet, sauf accord des parties sur la fixation d’un lieu de travail exclusif au sein du contrat de travail, le lieu de travail mentionné au sein du contrat a, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une simple valeur d’information [5]. En conséquence, le contrat de travail n’est modifié que si le changement du lieu de travail se situe à l’extérieur du secteur géographique du lieu de travail initial. A l’intérieur du secteur géographique, la modification du lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail pouvant être imposé au salarié [6]. Le salarié refusant ce changement de ses conditions de travail est alors susceptible de se voir notifier son licenciement pour faute grave, sauf à démontrer, le cas échéant, une atteinte disproportionnée à sa vie personnelle et familiale [7].

Ces principes restent les mêmes dans le cadre du télétravail en télécentre. Le lieu du télécentre peut ainsi être changé unilatéralement par l’employeur à l’intérieur du même secteur géographique sans pour autant modifier le contrat de travail.

Pour des télétravailleurs « nomades », c’est-à-dire les salariés itinérants, dont l’exécution du contrat de travail nécessite de pouvoir recevoir des ordres et des directives de l’employeur et y répondre à distance par l’utilisation des outils technologiques, le lieu de travail est généralement fixé au siège social de l’entreprise ou dans un établissement, assorti de la définition d’un secteur géographique (secteur d’intervention, de prospection de la clientèle…). Le télétravail s’exécutera alors au sein de ce secteur géographique, tout changement de secteur devant alors faire l’objet d’un accord des parties, sauf clause éventuelle de mobilité géographique.

B. Spécificités du lieu de télétravail fixé au domicile du salarié

Le lieu de télétravail fixé au domicile du salarié présente plusieurs particularités. D’une part, le télétravail ne peut, en principe, jamais être fixé au domicile sans l’accord préalable du salarié (a.). D’autre part, le salarié reste libre de choisir le lieu d’établissement de son domicile, même si le télétravail s’exécute à son domicile et qu’il décide de déménager à plusieurs centaines de kilomètres ou à l’étranger (b.). En conséquence, se pose la question de la validité d’une clause contractuelle fixant le lieu de télétravail dans un secteur géographique déterminé (c.).

a. Le télétravail au domicile du salarié est subordonné à l’accord préalable de ce dernier

Par principe, l’accord du salarié pour l’exécution d’un télétravail au domicile est nécessaire. Parce qu’il est une forme particulière d’exécution du contrat de travail, le télétravail nécessite, par principe, l’accord tant de l’employeur que du salarié. Mais lorsque le télétravail s’exécute depuis le domicile du salarié, l’accord de ce dernier est doublement requis.

La Cour de cassation a posé ce principe dans un arrêt du 2 octobre 2001, au visa des articles L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) (anciennement L. 120-2 N° Lexbase : L5441ACI) du Code du travail et 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), selon lesquels « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » et que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». La Cour de cassation en conclut que « le salarié n'est tenu ni d'accepter de travailler à son domicile, ni d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail » [8]. L’accord du salarié est donc toujours nécessaire, que le domicile soit ou non situé dans le même secteur géographique que les locaux de l’employeur, le fait d’imposer au salarié de travailler à son domicile constituant une atteinte à l’intimité de la vie privée. La Cour de cassation a, par la suite, confirmé sa position précisant que « l'occupation, à la demande de l'employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n'entre pas dans l'économie générale du contrat de travail » [9].

Un télétravail au domicile du salarié requiert donc obligatoirement, et sauf circonstances exceptionnelles, l’accord exprès du salarié, non seulement sur le principe du télétravail, mais également sur le fait que celui-ci s’exercera au domicile du salarié.

En conséquence, le lieu du télétravail, à savoir le domicile du salarié, est nécessairement contractualisé, de sorte que, sauf clause de réversibilité, le retour du salarié dans les locaux de l’employeur nécessite également son accord [10]. Il est à noter qu’il en va ainsi, si une clause du contrat de travail prévoit expressément le télétravail au domicile, mais également lorsque le télétravail au domicile est implicitement, mais nécessairement, induit par l’absence de tout lieu de travail laissé à la disposition du salarié dans les locaux de l’employeur [11]. Et, il importe peu, à cet égard, que le contrat de travail comporte, par ailleurs, une clause de mobilité géographique [12]. Ce qui est contractualisé est, en effet, le principe d’une organisation du travail au domicile du salarié.

Par exception, des circonstances exceptionnelles, comme un risque d’épidémie, peut justifier d’imposer le télétravail au domicile. Selon les dispositions de l’article L. 1222-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8103LG9), « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés. » La crise de la pandémie de la covid-19 a conduit les entreprises, sur recommandation des pouvoirs publics, à imposer un télétravail au domicile des salariés. La solution n’allait pas de soi dans la mesure où le télétravail à domicile ne constitue pas seulement une modification du contrat de travail, mais également une atteinte à la liberté individuelle et à l’intimité de la vie privée du salarié. Nombre de salariés, ayant dû à la fois, assurer l’exécution de leur contrat de travail, le suivi scolaire de leurs enfants, et/ou les préoccupations diverses et variées de leurs enfants en bas âge, ont vite compris que cette immixtion de leur vie professionnelle dans l’intimité de leur vie privée n’était pas sans conséquences. Une telle atteinte ne peut qu’être très exceptionnelle. Lors de l’état d’urgence sanitaire, celle-ci a pu être, d’une part, justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise (devant assurer la poursuite de l’activité tout en assurant la santé et la sécurité des salariés au regard du contexte sanitaire et des restrictions aux libertés prises par les autorités publics) et proportionnée au but recherché (dès lors que celle-ci était temporaire et liée à la déclaration d’état d’urgence sanitaire). Il convient toutefois de bien noter que le recours à l’article L. 1222-11 du Code du travail pour imposer un télétravail au domicile, doit, compte tenu de l’atteinte particulière portée à la vie privée et familiale des salariés, être strictement encadré par le contrôle du caractère indispensable et proportionné de cette mesure. Les hypothèses où le télétravail peut être imposé au salarié à son domicile personnel sont donc, par nature, extrêmement limitées.

b. Le télétravailleur à son domicile est-il libre de fixer le lieu du télétravail ?

Par principe, le salarié est libre de fixer le lieu d’établissement de son domicile privé. Le domicile privé du salarié n’est pas un lieu comme un autre. Il est notamment protégé par les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) qui dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », et la Cour de cassation considère que le libre choix du domicile personnel et familial est un attribut de ce droit. Ainsi, le salarié est libre de choisir le lieu d’établissement de son domicile privé, et l’employeur ne peut pas, par principe, exiger qu’il soit situé dans un secteur géographique déterminé.

La Cour de cassation sanctionne ainsi, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des liberté fondamentales et/ou l’article 9 du Code civil et l’article L. 1121-1 du Code du travail, toute clause de domiciliation qui ne serait pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’employeur et proportionnée au but recherché. Le contrôle du caractère indispensable et proportionné des clauses de domiciliation est en outre particulièrement stricte, de sorte qu’il est possible de se demander si elles ne sont pas purement et simplement prohibées.

Par exemple, a été jugée nulle la clause réservant le droit, pour l’employeur, de modifier le secteur géographique d’un attaché commercial, en lui demandant d’être domicilié sur ce secteur dans les 6 mois du changement d’affectation. La Cour de cassation a, en effet, désapprouvé l’analyse de la cour d’appel qui avait estimé cette clause valable, exigeant que soit caractérisé le caractère indispensable de cette clause pour la protection des intérêts légitimes de l’employeur et le caractère proportionné de celle-ci, compte tenu de l’emploi occupé, précisant qu’en l’espèce, l’employeur ne justifiait pas de la nécessité d’un changement de domicile, le salarié ayant proposé de prendre une résidence sur son nouveau secteur d’affectation [13]. De même, elle a sanctionné la clause du contrat de travail d’un avocat salarié, stipulant que celui-ci devait être domicilié « dans l’environnement local », estimant que la justification tirée de la nécessité d’une bonne intégration de l’avocat salarié dans l’environnement local du cabinet, ne constituait pas un objectif justifiant l’atteinte portée à la liberté individuelle du salarié [14]. Elle a également sanctionné une clause de résidence, imposée à une employée gouvernante, chargée notamment de veiller au confort physique et moral des majeurs sous tutelle ou curatelle, logés par l'association dans un appartement, l’obligation faite à la salariée de résider à moins de 200 mètres de son lieu de travail n’étant ni justifiée, ni proportionnée [15]. N’est pas davantage justifié le fait, pour un employeur, d’exiger d’un salarié son déménagement, en raison du fait que celui-ci détenait dans le cadre de l’exécution de ses fonctions une importante collection de bijoux appartenant à l’entreprise, et qu’il avait déjà subi plusieurs agressions à son domicile, de sorte que la compagnie d’assurance refusait désormais de garantir tout sinistre survenant dans certains départements [16].

Une clause de domiciliation peut-elle être néanmoins valable dans le cadre spécifique du télétravail à domicile ?

L’employeur peut-il légitimement s’opposer au déménagement du télétravailleur à domicile ? Si le salarié est, par principe, libre de choisir le lieu d’établissement de son domicile privé, ce choix, surtout si le télétravail est exercé à temps plein au domicile, peut indéniablement avoir des conséquences sur l’économie générale du contrat de travail. En effet, le salarié pourrait parfaitement décider de s’installer à plusieurs centaines de kilomètres des locaux de l’employeur, voire à l’étranger. Quelles en sont les conséquences ? L’employeur peut-il s’y opposer ?

- Conséquences du déménagement à l’étranger du télétravailleur à domicile

Outre les frais de déplacement qui peuvent être considérablement alourdis, la décision du salarié de déménager son domicile à l’étranger, et donc d’y exercer le télétravail, peut bouleverser l’économie générale du contrat de travail.

En effet, la loi applicable au contrat est, à défaut de choix des patries, la loi du pays où est habituellement accompli le travail, sauf si le travail n’est pas habituellement accompli dans un même pays, et sauf s’il résulte des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays (Convention de Rome, art. 6 ; Règlement « Rome I » du 17 juin 2008, art. 8). Dans l’hypothèse d’un télétravail débuté en France, entre des parties de nationalité française et selon les lois françaises, il est possible que les juges considèrent que la loi applicable reste la loi française. Rappelons, à cet égard, que l’application de la loi française emporte également celle de la convention collective de branche applicable à l’entreprise. En revanche, le choix de la loi applicable à un salarié étranger, certes embauché en France, mais ayant immédiatement déménagé pour rejoindre son pays d’origine en télétravail, et exerçant, par exemple, ses fonctions avec des interlocuteurs situés dans cet Etat, pourrait bien emporter l’application de la loi étrangère. En tout état de cause, même si la loi applicable restait la loi française en raison d’un faisceau d’indices concordants, les lois impératives plus favorables au salarié trouveront à s’appliquer. D’autant que se pose également la question de l’application aux télétravailleurs des dispositions de la Directive n° 2018/957 du 28 juin 2018 (N° Lexbase : L3559LLE), imposant pour tout détachement de plus de 12 mois sur le territoire d’un autre Etat membre, l’application au salarié, au titre de l’égalité de traitement, de la législation et de la réglementation applicables dans l’Etat européen au sein duquel est exécuté le travail (sauf pour ce qui concerne la conclusion et la rupture du contrat de travail, ainsi que les régimes complémentaires de retraite). Cette disposition, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2019-116 du 20 février 2019 (N° Lexbase : L3486LPS) et codifiée à l’article L. 1262-4 du Code du travail (N° Lexbase : L3709LP3), l’a été tout autant dans les autres pays de l’Union européenne. Certes, les télétravailleurs ne sont pas expressément visés par ces dispositions, mais ils ne semblent pas pour autant exclus, compte tenu notamment de la définition du détachement posée à l’article L. 1262-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5748IA7) [17].

Il convient, en outre, de noter, qu’en cas de litige, le tribunal compétent sera celui du lieu habituel de travail, et donc le lieu du domicile du télétravailleur situé à l’étranger. Le litige pourrait donc échapper aux juridictions françaises.

Par ailleurs, l’application du régime de protection sociale du salarié établi et exerçant ses fonctions depuis l’étranger pose question. En effet, dans le cadre d’un télétravail volontairement organisé à l’étranger, et pour une courte durée, (inférieure à 24 mois), le régime des travailleurs détachés pourrait trouver à s’appliquer. Même si elle n’est pas (encore) expressément prévue, la situation des télétravailleurs à domicile à l’étranger ne contrevient pas, en effet à la définition du travailleur détaché et aux règles particulières posées à l’article 12 du Règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 (N° Lexbase : L7666HT4) [18], ou encore à l’article 14 du Règlement n° 987/2009 du 16 septembre 2009 (N° Lexbase : L8946IE3) [19].

Toutefois, si le déménagement du salarié ne s’effectue pas dans le cadre d’un « détachement », qui suppose que l’employeur « détache » volontairement le salarié dans un autre Etat-membre pour effectuer une prestation pour son propre compte, le télétravailleur devra alors être affilié aux régimes de Sécurité sociale de l’Etat dans lequel il a fixé son domicile. Il en va de même, si le salarié en situation de télétravail déménage à l’étranger pour une plus longue période, sans « esprit de retour ». Dans ce cas, une difficulté pratique se présente pour assurer l’affiliation du salarié et payer les cotisations, si l’employeur ne dispose d’aucun établissement dans le pays d’accueil.

Le déménagement du télétravailleur à l’étranger, à l’intérieur ou non de l’Union européenne, emporte donc des conséquences sur les règles de droit applicables au contrat de travail et sont susceptibles de bouleverser l’économie générale du contrat de travail [20].

- L’employeur peut-il valablement s’opposer au déménagement à l’étranger du télétravailleur à domicile ?

Compte tenu des conséquences engendrées par le déménagement du télétravailleur à l’étranger sur les règles applicables au contrat, l’employeur pourrait alors, a priori, disposer d’un motif légitime pour opposer un refus à un tel déménagement. Néanmoins, une telle solution apparait critiquable.

En effet, même dans cette hypothèse, l’entrave au libre choix du domicile du salarié ne sera pas nécessairement jugée comme indispensable aux intérêts légitime de l’entreprise. En outre, pour être licite, une telle entrave devra être proportionnée au but recherché. Or, le fait qu’un salarié décide d’établir son domicile à l’étranger (par exemple dans un Etat frontalier pour des raisons personnelles et familiales) n’aura pas de conséquences sur le contrat de travail si, par ailleurs, il exécute sa prestation en télétravail depuis une résidence située en France. Le choix du salarié d’effectuer des trajets entre son domicile privé et sa résidence en France lui appartient, et on voit dès lors mal comment l’employeur pourrait lui imposer le lieu de son domicile privé.

En conséquence, sauf à ce que le déménagement emporte des conséquences sur les autres conditions posées dans le contrat de télétravail, et rendant de fait, impossible la poursuite du télétravail (absence de connexion Internet…), le refus de l’employeur au déménagement du domicile du salarié nous apparait difficilement justifiable et proportionné au regard de l’atteinte portée à la vie privée du salarié.

Pour ces mêmes raisons, une clause contractuelle de domiciliation, même pour un salarié exécutant son contrat de travail à temps plein à son domicile, et sauf à justifier d’autres circonstances particulières indispensables aux intérêts légitimes de l’entreprise, sera illicite et réputée non écrite.

c. Peut-on fixer contractuellement le lieu du télétravail, sans entraver la liberté du salarié de choisir le lieu de son domicile ?

Ce qui est avant tout protégé par la Cour de cassation, c’est la liberté d’une personne d’établir son domicile personnel et familiale au lieu de son choix. Si cette liberté n’est pas entravée, l’employeur pourra davantage justifier le fait d’imposer le lieu du télétravail dans un secteur géographique déterminé (nécessité de pouvoir se déplacer dans l’entreprise à bref délai pour participer à des réunions, prise en charge des frais de déplacements…). Dans ce cas, la clause du contrat de travail devra alors préciser que le télétravail s’effectue dans tel secteur géographique, depuis le domicile du salarié, mais également dans toute autre résidence (voir depuis un télécentre) située dans ce secteur. Le salarié sera ainsi libre d’établir son domicile personnel et familial dans le lieu de son choix, mais conserverait l’obligation de télétravailler depuis un lieu personnel et stable, situé dans un périmètre géographique déterminé.

En pratique, les entreprises évitent bien souvent le sujet en organisant un télétravail au domicile pour une ou deux journées par semaine, obligeant ainsi le salarié à conserver son domicile, ou pour le moins une résidence, à proximité des locaux de l’employeur. La question devrait, en revanche, se poser avec plus d’acuité à l’avenir, avec le développement du télétravail à domicile à temps plein.

II. Les conditions d’exercice des fonctions au lieu du télétravail

Les parties au contrat peuvent librement déterminer les conditions d’exécution du télétravail, sous réserve toutefois, et notamment lorsque le télétravail s’exécute au domicile du salarié, de ne pas porter d’atteinte injustifiée ou disproportionnée à sa vie privée (A.). Par ailleurs, l’exécution du télétravail entraine, en application du principe d’égalité de traitement, l’application des mêmes avantages que ceux accordés aux salariés exerçant dans les locaux de l’employeur. La situation du lieu de télétravail au domicile du salarié pose alors la question des remboursements de frais (B.).

A. Le contrat de travail, ou l’avenant, peut fixer les conditions de l’exercice du télétravail, sous réserve du respect de la vie privée du salarié

Les parties au contrat peuvent contractuellement fixer les conditions d’exercice du télétravail. Les dispositions du Code du travail n’imposent pas de clauses contractuelles spécifiques au télétravail, l’article L. 1222-9 (N° Lexbase : L0292LMR) se contentant de prévoir que l’accord des parties sur le télétravail peut être formalisé par tout moyen.

Néanmoins, les parties peuvent parfaitement fixer au sein du contrat, ou d’un avenant, les conditions d’exercice du télétravail, notamment pour préciser :

  • le rythme du télétravail (x jours par semaine/par mois/an…), les jours de télétravail et les conditions de modification de ceux-ci, voire la liberté, pour le salarié, de choisir les jours de télétravail ;
  • le lieu d’exercice du télétravail (domicile, résidence, télécentre, autres lieux) ;
  • les horaires pendant lesquels le télétravailleur peut habituellement être joint ;
  • le cas échéant, son droit à la déconnexion ;
  • les modalités de contrôle du temps de travail ou d’évaluation de la charge de travail ;
  • les conditions imposées pour que le télétravail soit possible (condition de sécurité et d’ergonomie du lieu de télétravail, connexion Internet…) ;
  • les équipements fournis au télétravailleur, et/ou l’utilisation de certains équipements du salarié (connexion Wifi, 4G, mobilier, ordinateur…) ;
  • l'information du salarié sur les restrictions applicables à l'usage des équipements et outils informatiques et les sanctions encourues en cas de non-respect (si elles ne sont pas déjà prévues par ailleurs dans le règlement intérieur de l’entreprise et/ou une Charte informatique) ;
  • les conditions dans lesquels le salarié devra se déplacer dans l’enceinte de l’entreprise (délai de prévenance, jour fixe ou non…), ;
  • le cas échant, une clause de retour dans un emploi sans télétravail.

Les conditions d’hygiène et de sécurité applicables au lieu de télétravail. S’agissant du télétravail en télécentre, les conditions d’exécution du télétravail ne posent guère de difficulté juridique. Ce lieu dépend du choix de l’employeur, qui assume en conséquence, la responsabilité de la conformité de ce lieu aux normes d’hygiène et de sécurité. L’exécution de la relation de travail ne présentera que peu de différences avec celle des salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise.

Au domicile du salarié en revanche, l’employeur se trouve privé de la faculté d’organiser l’espace de travail. Tout au plus, peut-il remplir son obligation de prévention en assurant une information, voire une formation du salarié sur les risques en matière de santé et de sécurité, sur les règles d’ergonomie du poste du travail, du travail sur écran, d’éclairage, d’aération, de niveau sonore…et en sollicitant une attestation du salarié sur la conformité de son poste de travail à ces règles. Dès lors que l’employeur a connaissance d’un non-respect de ces règles, il devra alors mettre un terme au télétravail au domicile.

Les conditions du télétravail devront respecter la vie privée du télétravailleur. Les conditions d’exécution du télétravail ne devront pas porter une atteinte injustifiée ou disproportionnée à sa vie privée, conformément aux dispositions de l’article L. 1121-1 du Code du travail et de l’article 9 du Code civil.

En conséquence, le contrôle exercé par l’employeur sur l’activité du télétravailleur ne devra pas être excessif (webcam de l’ordinateur activée en permanence, logiciels de contrôle permanent de l’activité de l’ordinateur, appels intempestifs pour vérifier la présence du salarié…).Rappelons également qu’« aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance » [21], qu’il doit être informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles, et que celle-ci doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie [22]. En conséquence, de telles mesures de contrôle seraient non seulement illicites, mais également inefficaces.

De même, la protection de la vie privée des télétravailleurs impose une charge de travail et des horaires de disponibilité raisonnables. C’est la raison pour laquelle, les parties ont intérêt à prévoir :

  • d’une part, des plages horaires au cours desquelles le salarié peut habituellement être joint (horaire habituel de travail ou, pour les salariés au forfait-jour, horaire d’une journée « normale » en respectant les temps de repos) ;
  • et d’autre part, un droit à la déconnexion, a minima pendant les temps de repos obligatoire.

B. L’employeur doit prendre en charge les frais exposés par le salarié pour l’exercice du télétravail

Si, depuis le 24 septembre 2017, le Code du travail ne prévoit plus de règle expresse imposant à l’employeur de prendre en charge les coûts liés au télétravail, cette l’obligation demeure néanmoins. L’article 7 de l’ANI du 19 juillet 2005 prévoit expressément que « l’employeur prend en charge, dans tous les cas, les coûts directement engendrés par ce travail, en particulier ceux liés aux communications ». La Cour de cassation rappelle également régulièrement le principe selon lequel, il incombe à l’employeur de supporter les frais engendrer par l’exécution du contrat de travail [23]. Et une clause du contrat de travail ne peut pas valablement prévoir que le salarié supportera intégralement ces frais [24]. Le cas échant, les parties peuvent prévoir le versement d’une somme forfaitaire, fixée à l’avance, et correspondant aux remboursements de frais, si toutefois cette somme reste en adéquation avec le montant des frais réellement supportés par le salarié [25]. Dans ce cas, la qualification de la somme en remboursement de frais, exonérés de cotisations de Sécurité sociale, demeure toutefois soumise à la justification par l’employeur auprès de l’URSSAF des frais réellement exposés par le salarié [26].

S’agissant des télétravailleurs, il convient donc d’évaluer les frais engagés par le salarié pour l’exercice direct du télétravail, c’est-à-dire les frais que le salarié n’aurait pas eu à exposer s’il n’avait pas exercé ses fonctions depuis son domicile. Dans certaines circonstances, notamment lorsque le télétravail est ponctuel et/ou mis en œuvre en raison de circonstances exceptionnelles (telles que le confinement au domicile décrété actuellement par les autorités), le montant des frais peut être négligé, le salarié n’ayant pas, ou très peu, exposé de frais supplémentaires.

En revanche, dans le cadre d’un télétravail à domicile habituel, des frais supplémentaires sont généralement exposés par le salarié. Il convient alors de faire un tri dans les dépenses du salarié pour ne prendre en compte que celles qu’il n’aurait pas exposées s’il n’avait pas télétravaillé.

Par exemple, pourraient être exclus d’un remboursement de frais :

  • les équipements de travail (ordinateur, téléphone, connexion Internet, bureau, éclairage…) s’ils sont fournis par l’employeur ;
  • l’utilisation de la connexion Internet du salarié (bien souvent illimitée). Toutefois, il convient de noter qu’en l’absence de fourniture par l’employeur d’une clé 3, 4 ou même bientôt 5G, il ne pourra pas être reproché au salarié une panne de connexion et/ou le changement de son forfait auprès de son opérateur. L’employeur devra prendre directement à sa charge le forfait Internet. Il en va de même des communications téléphoniques ;
  • une quote-part du loyer, le surcoût apparaissant très théorique, le salarié ne déménageant généralement pas spécialement pour pouvoir télétravailler. L’URSSAF admet cependant une exonération de charges sur la base d’une quote-part (qu’il conviendra alors de la déterminer, sachant que l’espace de télétravail se résume bien souvent à un ordinateur, une chaise et un bureau, soit environ un mètre carré…) ;
  • des dépenses de chauffage, si celui-ci est collectif. Là encore, une quote-part peut néanmoins être prise en compte (reste à savoir sur quelle base, car dans ce cas, c’est généralement tout le logement qui est chauffé en journée)…

En revanche, dans le cadre d’un télétravail à domicile habituel, il existe nécessairement des surcoûts liés notamment à :

  • la consommation d’électricité ;
  • l’entretien de l’espace de travail ;
  • la consommation de chauffage et/ou de climatisation individuel ;
  • les consommables (papiers, encre de l’imprimante…) s’ils ne sont pas fournis par l’employeur ;
  • l’assurance pour les équipements personnels du salarié éventuellement utilisés…

Pour l’ensemble de ces frais, l’URSSAF applique désormais une tolérance sur l’exonération de cotisations de Sécurité sociale à hauteur de 10 € par mois pour un jour de télétravail dans la semaine, 20 € pour deux jours de télétravail, 30 € pour trois jours…

C. Une indemnité d’occupation du domicile doit-elle être nécessairement versée dans le cadre d’un télétravail au domicile ?

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’employeur a l’obligation de verser au salarié une indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles, si aucun bureau n’est laissé à sa disposition dans les locaux de l’entreprise [27]. A l’inverse, dès lors qu’un bureau est laissé à la disposition du salarié et que ce dernier n’exécute son contrat de travail depuis son domicile que par convenance personnelle, aucune indemnité d’occupation du domicile n’est due [28].

Ces arrêts, rendus dans des affaires intéressant des salariés itinérants, sont-ils transposables à la situation du télétravail à domicile, qui, par définition, doit avoir été expressément accepté par le salarié ? La solution dépend de l’existence et du degré de sujétion supplémentaire imposé au salarié. A notre sens, dans le cadre d’un télétravail à domicile sollicité par le salarié, il peut être soutenu que l’employeur n’ayant aucunement imposé le télétravail, aucune sujétion particulière n’a été imposée au salarié, de sorte qu’il n’y a pas lieu de lui verser une indemnité à ce titre. En revanche, la solution ne serait pas nécessairement identique si au fil de la relation de travail, le télétravailleur se voit contraint d’entreposer des dossiers, d’imprimer des documents, de les détruire de manière sécuriser, de recevoir ou d’adresser des correspondances par voie postale etc. Dans ce cas, une sujétion supplémentaire pourrait bien exister. Les parties pourraient alors convenir expressément d’inclure cette indemnité de sujétion dans le salaire forfaitaire du collaborateur.

D. Les télétravailleurs ont droit aux avantages accordés aux salariés non-télétravailleurs placés dans une situation comparable

Comme tout salarié, les télétravailleurs ont droit à tous les avantages légaux ou conventionnels accordés aux salariés placés dans une situation comparable. La situation du télétravail au domicile pose toutefois plus particulièrement la question du remboursement des frais de déplacement entre le domicile et les locaux de l’entreprise et celle du bénéfice des titres-restaurant.

Sur les remboursements de frais de déplacement domicile-entreprise. La confusion du domicile et du lieu de travail dans le cadre du télétravail à domicile pose la question de la qualification des trajets effectués par le salarié, entre ce lieu et l’entreprise. Si le salarié se déplace de son domicile vers l’entreprise les jours « non-télétravaillés », se déplacement sera, à notre sens, indéniablement un trajet domicile-lieu de travail. En revanche, dans l’hypothèse où l’employeur demanderait au télétravailleur de se rendre dans ses locaux au cours d’une journée de télétravail, le trajet devra être considéré comme un déplacement professionnel.

Dans le cadre de leur trajet domicile-lieu de travail, les télétravailleurs ont droit, comme tout salarié, au remboursement de 50 % de leur frais de transport en commun, dans les conditions de droit commun [29]. La proratisation de ce remboursement, selon les principes applicables aux salariés à temps partiel [30], se pose pour les salariés exerçant plus de la moitié de leur temps de travail à leur domicile. Une telle proratisation apparaitrait légitime et conforme au principe d’égalité de traitement. Un salarié exécutant sa prestation exclusivement à domicile n’aurait alors droit à aucun remboursement, alors qu’un salarié ne télétravaillant qu’un ou deux jours par semaine en bénéficierait intégralement.

En application du principe d’égalité de traitement, les télétravailleurs ont également droit aux remboursements de leurs frais de transport domicile-lieu de travail prévus conventionnellement ou mis en place unilatéralement par l’employeur. Dans l’hypothèse d’un télétravail exercé à 100 % au domicile, le salarié n’aura toutefois pas à exposer de frais et, de fait, ne bénéficiera donc pas de ces mesures. Dans l’hypothèse d’un télétravail pendulaire, le coût des remboursements de trajets pourra être alourdi, pour l’employeur, les jours de travail sur site, mais une économie sera par ailleurs réalisée les jours télétravaillés.

Sur les titres-restaurant. Au cours de la crise de la covid-19, tant le Gouvernement que l’URSSAF ont affirmé, reprenant la position de la Commission nationale des titres-restaurant, que les télétravailleurs à domicile devaient continuer à bénéficier de cet avantage en application du principe d’égalité de traitement.

C’est toutefois oublier que les télétravailleurs à domicile ne sont pas tout à fait dans la même situation que les salariés présents dans les locaux de l’employeur, s’agissant des frais exposés pour leur repas. Lors des journées de télétravail au domicile, le salarié n’expose pas, en effet, de frais de repas supplémentaires par rapport à une journée de repos. En outre, si l’on déconnecte totalement le titre-restaurant de son objet initial, qui était d’indemniser les salariés d’une partie de leurs frais de repas pris à l’extérieur du domicile en raison des contraintes liées au travail, on voit mal alors pourquoi maintenir l’exclusion des salariés dont l’horaire de travail n’est pas entre-coupé d’une pause déjeuner.

En pratique, il convient de noter que, dans la mesure où l’attribution de titres-restaurant résulte d’une décision de l’employeur, il est possible d’introduire des critères d’attribution objectifs, ayant pour effet d’exclure les télétravailleurs à domicile, mais aussi tout autre salarié pouvant prendre son déjeuner à domicile.

III. Le terme du télétravail

La fin du télétravail peut avoir été prévue par les parties au contrat de travail, dans le cadre soit d’un avenant à durée déterminée, soit dans le cadre d’une clause de « retour » ou de « réversibilité ». L’objet de cette clause est de mettre fin au télétravail pour revenir à une exécution des fonctions sans télétravail. L’article 3 de l’ANI du 19 juillet 2005 prévoit expressément cette possibilité [31]. L’article L. 1222-9 du Code du travail (N° Lexbase : L0292LMR) prévoit également que l’accord collectif ou la charte encadrant le télétravail doit préciser « les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ». Cette clause est donc très souvent prévue dans les contrats. Rappelons qu’à défaut d’une telle clause, l’employeur ne peut jamais mettre fin unilatéralement au télétravail à domicile, celui-ci ayant été contractualisé [32].

Pour autant, la question de sa validité pourrait se poser, a fortiori lorsque le télétravail a été prévu dès l’embauche. La Cour de cassation n’a pas encore eu à se prononcer sur cette question, mais à l’instar des clauses de mobilité géographique ou de non-concurrence, il est possible qu’une telle clause ne soit jugée valable que pour autant qu’elle soit précisément définie, justifiée par les intérêts légitimes de l’employeur et proportionnée au but recherché.

La clause de « retour » devrait ainsi :

  • préciser sa justification au regard de l’organisation de l’entreprise et de l’emploi occupé par le salarié, et parallèlement, du droit pour le salarié à disposer librement de son domicile ;
  • fixer précisément le lieu, ou dans quel secteur géographique se trouve le bureau où se poursuivra l’exécution du contrat ;
  • prévoir les conditions de sa mise en œuvre et notamment le délai de prévenance applicable à l’employeur et au salarié.

Dès lors que sa mise en œuvre répond à un objectif légitime, l’application de la clause de réversibilité ne constitue pas alors une modification du contrat de travail, mais sa mise en œuvre, de sorte qu’elle s’impose à l’autre partie. L’employeur ne pourra pas s’opposer au retour du salarié dans ses locaux. De même, le salarié ne sera pas en situation d’opposer valablement un refus. Un tel refus pourrait ainsi entrainer une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave, sauf, pour le salarié, à démontrer une atteinte disproportionnée à sa vie personnelle et familiale.

L’employeur peut-il également appliquer la clause de réversibilité à la suite d’un comportement fautif du salarié (salarié injoignable, absence de réponse à des courriels, non-respect de la Charte informatique…) ? La Cour de cassation a déjà admis la mise en œuvre d’une clause de mobilité géographique à ce titre et les solutions posées pourraient, à notre sens, être transposées à la clause de « réversibilité ». Dans ce cas, le contrat de travail ne serait pas modifié et le retour dans l’entreprise pourrait être imposé au salarié sous réserve toutefois que la mise en œuvre de la clause ne résulte pas d’un abus. L’employeur pourra, dès lors, avoir à justifier de la réalité de la faute du salarié [33]. Si la mise en œuvre de la clause est, en tout état de cause, justifiée au regard des intérêts de l’entreprise, aucun abus ne sera caractérisé, la Cour de cassation ayant précisé, dans le cadre d’une clause de mobilité géographique, que dans ce cas, il importe peu que la décision de l’employeur procède d’un motif disciplinaire [34]. En tout état de cause, la mise en œuvre de la clause de réversibilité ne devra pas résulter d’un abus.

 

[1] Cass. soc., 3 mai 2018, n° 17-11.048, F-D (N° Lexbase : A4337XML) ; CA Versailles, 14 octobre 2015, n° 14/01865 (N° Lexbase : A2427NT3).

[2] CA Metz, 24 avril 2001, n° 96/3965.

[3] Cass. soc., 8 novembre 2017, n° 16-18.499, FS-P+B (N° Lexbase : A8332WYA).

[4] Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-20.502, FS-P+B (N° Lexbase : A1167IZA) ; voir également Cass. soc., 14 avril 2016, n° 14-13.305, F-D (N° Lexbase : A6817RIC).

[5] Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 02-12.712, publié (N° Lexbase : A8593DAI) ; Cass. soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496, publié (N° Lexbase : A6000DNK) ; Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 09-71.322, F-D (N° Lexbase : A0725HZU).

[6] Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-15.461

[7] Cass. soc., 29 octobre 2014, n° 13-21.192, F-D (N° Lexbase : A4974MZA) ; Cass. soc., 7 juillet 2016, n° 15-15.342, F-D (N° Lexbase : A0112RXG) ; Cass. soc., 16 novembre 2016, n° 15-23.375, F-D (N° Lexbase : A2386SI9).

[8] Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.727, inédit (N° Lexbase : A6254AGQ).

[9] Cass. soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865, FS-P+B (N° Lexbase : A5814EUU).

[10] Cass. soc., 12 décembre 2000, n° 98-44.580 (N° Lexbase : A1659AIB) ; Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-22.360, F-D (N° Lexbase : A0415I8U).

[11] V. par exemple, Cass. soc., 13 avril 2005, n° 02-47.621, FS-P+B (N° Lexbase : A8645DHN).

[12] Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-43.592, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7230DPH).

[13] Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, publié (N° Lexbase : A4618AG7).

[14] Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 04-13.342, FS-P+B (N° Lexbase : A9337DIN).

[15] Cass. soc., 28 février 2012, n° 10-18.308, FS-P+B (N° Lexbase : A8829IDD).

[16] Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-40.434, FP-P+B (N° Lexbase : A3509ELK).

[17] C. trav., art. L. 1262-1 du Code du travail : « Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. Le détachement est réalisé :

1° Soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France ;

2° Soit entre établissements d'une même entreprise ou entre entreprises d'un même groupe ;

3° Soit pour le compte de l'employeur sans qu'il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire ».

[18] Règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004, art. 12 : « La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée ». 

[19] Selon lequel l’employeur doit exercer dans l’Etat-membre « des activités substantielles autres que des activités de pure administration interne sur le territoire de l'État membre dans lequel il est établi ».

[20] Pendant la crise de la covid-19, des mesures exceptionnelles ont été prises pour les salariés transfrontaliers, devant télétravailler, afin de maintenir leurs droits. Ces mesures sont maintenues, pour le moins jusqu’au 31 décembre 2020.

[21] C. trav., art. L. 1222-4 (N° Lexbase : L0814H9Z).

[22] C. trav., art. L. 1222-3 (N° Lexbase : L0811H9W).

[23] Cass. soc., 9 janvier 2001, n° 98-44.833 (N° Lexbase : A2029AIY).

[24] Cass. soc., 15 juin 2005, n° 03-44.936, F-D (N° Lexbase : A7551DII) ; Cass. soc., 3 mai 2012, n° 10-24.316, F-D (N° Lexbase : A6566IKE).

[25] Cass. soc., 2 décembre 2015, n° 14-17.038, F-D (N° Lexbase : A6984NYC).

[26] Cass. civ. 2, 28 mai 2014, n° 13-18.212, F-P+B (N° Lexbase : A6264MPP).

[27] Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-20.502, FS-P+B (N° Lexbase : A1167IZA) ; Cass. soc., 14 avril 2016, n° 14-13.305, F-D (N° Lexbase : A6817RIC) ; Cass. soc., 8 novembre 2017, n° 16-18.499, FS-P+B (N° Lexbase : A8332WYA) ; Cass. soc., 5 avril 2018, n° 16-26.526, F-D (N° Lexbase : A4467XKN).

[28] Cass. soc., 4 décembre 2013, n° 12-19.667, FS-P+B (N° Lexbase : A5541KQB).

[29] C. trav., art. L. 3261-2 (N° Lexbase : L2712ICG).

[30] C. trav., art. R. 3261-9 (N° Lexbase : L5239ICZ).

[31] ANI du 19 juillet 2005, art. 3 : « Si le télétravail ne fait pas partie des conditions d’embauche, l’employeur et le salarié peuvent, à l’initiative de l’un ou de l’autre, convenir par accord d’y mettre fin et d’organiser le retour du salarié dans les locaux de l’entreprise. Les modalités de cette réversibilité sont établies par accord individuel et/ou collectif. Si le télétravail fait partie des conditions d’embauche, le salarié peut ultérieurement postuler à tout emploi vacant, s’exerçant dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification. Il bénéficie d’une priorité d’accès à ce poste ».

[32] Cass. soc., 12 février 2014, n° 12-23.051, FS-P+B (N° Lexbase : A3612MEI).

[33] V. s’agissant de la mise en œuvre de clauses de mobilité géographique à titre disciplinaire : Cass. soc., 11 juillet 2001, n° 99-41.574 (N° Lexbase : A5096AGT) ; Cass. soc., 15 janvier 2002, n° 99-45.979, publié (N° Lexbase : A8113AXR).

[34] Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 11-21.365, F-D (N° Lexbase : A5678IYX).

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