Lexbase Social n°466 du 15 décembre 2011 : Discrimination et harcèlement

[Questions à...] Cadres et non-cadres : différence de catégorie professionnelle et avantages particuliers - Questions à Maître Marie-Hélène Bensadoun, Avocat Associé, August & Debouzy avocats

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[Questions à...] Cadres et non-cadres : différence de catégorie professionnelle et avantages particuliers - Questions à Maître Marie-Hélène Bensadoun, Avocat Associé, August & Debouzy avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5654439-questions-a-cadres-et-noncadres-difference-de-categorie-professionnelle-et-avantages-particuliers-qu
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 15 Décembre 2011

Cadres et non-cadres : soumis à la même convention collective mais à des avantages différents. Ces différences de traitement sont-elles justifiées ou méconnaissent-elles le principe d'égalité de traitement ? La distinction entre ces deux catégories professionnelles, socle des conventions collectives françaises, n'a eu cesse d'être étudiée depuis de nombreuses années par la Chambre sociale de la Cour de cassation. En 2009, par l'arrêt "Pain", la Cour de cassation énonçait que "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait, en elle-même, justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence" (1). L'inquiétude gagnait la doctrine et les partenaires sociaux (2). Alertée par ces remous, la Chambre sociale a consulté, début 2011, les représentants des organisations patronales et syndicales. Et quelques mois plus tard, elle rendait plusieurs arrêts, le 8 juin 2011 (3), où "sa volonté de compromis est perceptible" (4), la Cour de cassation se contentant "d'une belle opération de communication" selon certains auteurs (5). La Haute juridiction énonce ainsi que "repose sur une raison objective et pertinente la stipulation d'un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle, dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d'une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d'exercice des fonctions, à l'évolution de carrière ou aux modalités de rémunération". Le jugement du TGI de Paris, rendu le 29 novembre 2011 (6), est au coeur de cette problématique revenant ainsi sur la licéité de dispositions de la Convention collective Syntec remises en cause par plusieurs syndicats. Sur les six dispositions contestées portant, notamment, sur la durée de préavis, l'indemnité de licenciement, le paiement du travail de nuit, du dimanche et des jours fériés, l'incapacité temporaire de travail, aucune n'est annulée. Lexbase Hebdo - édition sociale revient, cette semaine, avec Maître Marie-Hélène Bensadoun, avocat de la Fédération des syndicats des sociétés d'études et de conseils (Syntec), sur ce jugement afin d'analyser la méthode employée par les juges du TGI. Lexbase : Le TGI de Paris, dans un jugement rendu le 29 novembre 2011, a procédé à une analyse de la Convention collective Syntec et plus particulièrement de plusieurs dispositions prévoyant des avantages différentiels pour les cadres et non-cadres. Ce jugement semble être le premier à intervenir à la suite des arrêts du 8 juin 2011, où la Chambre sociale a précisé les raisons objectives et pertinentes permettant à une stipulation d'un accord collectif de fonder une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle. Ces arrêts, prolongements de l'arrêt "Pain" rendu le 1er juillet 2009, modifient les justifications des différences de traitement. Qu'en pensez-vous ?

Marie-Hélène Bensadoun : Le jugement du TGI de Paris n'est pas la première décision rendue depuis les arrêts du 8 juin 2011. C'est, en revanche, la première fois qu'une juridiction prend position sur la licéité de dispositions conventionnelles remises en cause, sur le fondement de l'égalité de traitement, non par des salariés isolément, mais par des syndicats.

A mon sens, la jurisprudence n'a pas durci les justifications exigées pour opérer une différence de traitement.

Au contraire, comme le précise la Cour de cassation dans son communiqué publié à la suite des arrêts du 8 juin 2011, si le contrôle incombant au juge dans la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement n'est pas remis en cause, lorsque l'inégalité résulte de l'application de dispositions conventionnelles négociées, la jurisprudence admet désormais des différences de traitement dès lors qu'elles ont pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d'une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d'exercice des fonctions, à l'évolution de carrière ou aux modalités de rémunération.

Le jugement du TGI de Paris s'inscrit pleinement dans cette évolution. Il rappelle qu'il "appartient au juge, non pas de contrôler l'opportunité des résultats de la négociation collective et des choix effectués par les partenaires sociaux, mais de s'assurer qu'à travers ces choix il n'a pas été porté au principe d'égalité de traitement des salariés placés dans des situations identiques" et que "le tribunal qui serait amené à considérer que les dispositions critiquées seraient contraires au principe d'égalité de traitement des salariés ne pourrait que les annuler".

Dans ce contexte, le TGI de Paris, avant de conclure à la parfaite licéité de l'ensemble des dispositions conventionnelles critiquées, s'est attaché à vérifier, pour chacun des avantages catégoriels mis en cause, l'existence d'éléments objectifs, propres à la situation de chaque catégorie professionnelle, qui permettent de justifier l'inégalité de traitement.

Lexbase : Dans son jugement, le tribunal estime que les différences entre les durées de préavis et de période d'essai sont justifiées compte tenu, notamment, de la nature des missions et des responsabilités confiées aux cadres. Pouvez-vous revenir un peu plus précisément sur cette justification ?

Marie-Hélène Bensadoun : Suivant en cela notre argumentation, le TGI a reconnu que, compte tenu de la nature des missions et des responsabilités confiées aux cadres, il était logique que ces derniers disposent d'une période de préavis plus long. Ce délai plus long, qui s'accompagne d'ailleurs d'une période d'essai plus longue, se justifie par le temps nécessairement plus long devant être consacré à la passation des dossiers et la recherche d'un successeur, compte tenu notamment du fait qu'il est très difficile pour les entreprises du secteur de l'informatique et de l'ingénierie de recruter du personnel qualifié.

Lexbase : Ce jugement n'est-il pas le prolongement de l'arrêt de la Chambre sociale rendu le 12 octobre 2011 (7) où la Cour estimait que le juge devait rechercher si la différence de traitement résultant de la convention collective entre les cadres et assimilés cadres en matière de préavis n'avait pas pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation de chacune de ces deux catégories professionnelles distinctes ?

Marie-Hélène Bensadoun : A l'occasion de l'arrêt du 12 octobre 2011, la Cour de cassation a censuré les juges du fond parce qu'ils n'avaient pas recherché si la différence de traitement en matière de préavis entre les cadres et les non-cadres avait pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de chaque catégorie professionnelle.

Dans cette espèce, pour refuser à un agent de maîtrise le bénéfice du préavis conventionnel prévu pour les cadres, la cour d'appel de Dijon s'était limitée à retenir que les cadres n'étaient pas dans une situation identique aux non-cadres au regard de cet avantage dans la mesure où, dans l'hypothèse d'une démission, ils devaient observer un préavis plus long que les non-cadres.

Le jugement du TGI de Paris constitue donc un prolongement de l'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 12 octobre 2011, en ce qu'il s'est attaché à vérifier si la différence de traitement en matière de préavis était bien fondée sur des éléments objectifs, spécifiques à la catégorie des cadres. Le jugement, pour déclarer licite la disposition conventionnelle critiquée, a pris le soin d'énumérer les spécificités attachées à la catégorie de cadre comme, par exemple, le niveau des responsabilités confiées, la nécessité de finaliser les projets en cours ou encore les difficultés à recruter des profils qualifiés.

Lexbase : Le TGI est interrogé sur le versement d'une allocation en cas d'incapacité temporaire de travail. Pourquoi le tribunal a estimé cette différence justifiée ? Ne peut-on rapprocher son analyse de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers rendu le 8 novembre 2011 (8) ?

Marie-Hélène Bensadoun : Le TGI de Paris s'est appuyé sur les modalités spécifiques de rémunération des cadres pour justifier le mécanisme de garantie de salaire conventionnel plus avantageux pour les cadres que pour les ETAM (employé technicien agent de maîtrise).

En effet, partant du constat que la rémunération des cadres intègre des primes et gratifications dans des proportions plus importantes que celle des ETAM, et que les primes et gratifications ne sont pas prises en compte dans le calcul du salaire devant être maintenu en cas de maladie, le TGI de Paris a considéré que la différence de traitement entre les cadres et les ETAM permet de compenser la perte plus importante subie par les cadres au titre des primes et gratifications.

Sur ce point, le jugement du TGI de Paris peut, en effet, être rapproché de la décision prise par la cour d'appel d'Angers qui a jugé licite la disposition de la convention collective des établissements producteurs de graines de semences qui prévoit un calcul de l'indemnité de licenciement plus favorable pour les cadres que pour les non-cadres, en s'appuyant sur l'existence d'une spécificité conventionnelle de la catégorie cadre en termes d'évolution de carrière et de rémunération.

Cette disposition était néanmoins mise en cause par un seul salarié, non-cadre, qui demandait un rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Le TGI de Paris, saisi par la CGT, a rendu un jugement qui va bien au-delà de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers. En effet, le par jugement du 29 novembre 2011, il a validé l'ensemble des avantages catégoriels de la Convention collective Syntec (applicable à plus de 750 000 salariés) qui étaient mis en cause par la CGT.

Lexbase : Les arguments de la CGT ont également été rejetés sur le paiement du travail habituel de nuit, du dimanche et des jours fériés ainsi que sur les moyens de transport. Pourquoi ces différences de traitement étaient justifiées ?

Marie-Hélène Bensadoun : Le jugement du TGI de Paris est tout à fait logique. La convention collective ne prévoit le travail habituel de nuit, du dimanche et des jours fériés que pour les ETAM en raison du contenu même de leur emploi et de leur mission. Il n'y a donc aucune rupture d'égalité avec les cadres puisque ces derniers ne sont pas concernés par l'article 37 de la convention collective, mis en cause par la CGT.

S'agissant des moyens de transport, le TGI a reconnu qu'il n'était pas contestable que les déplacements professionnels des cadres étaient, en raison de leurs responsabilités et de la nature de leurs missions, plus fréquents et plus longs. Il a également reconnu qu'il n'était pas davantage discutable que cette catégorie de personnel est le plus souvent amenée à travailler durant les trajets ainsi effectués. La différence de traitement est donc, pour les juges, objectivement justifiée.

Lexbase : En conclusion, pensez-vous que ce type de contentieux va augmenter ? Que préconisez-vous (notamment au regard de l'importance du pouvoir du juge ?

Marie-Hélène Bensadoun : A la suite de l'arrêt du 1er juillet 2009, qui avait été très largement contesté par la doctrine, la Cour de cassation, par les arrêts rendus le 8 juin 2011, a réaffirmé la possibilité d'opérer, par la voie de la négociation collective, une distinction entre les cadres et les non-cadres, sous réserve de justification.

Soucieuse de ne pas remettre en cause tout l'édifice conventionnel, la Cour de cassation, dans son communiqué relatif aux arrêts du 8 juin 2011, a manifesté sa volonté de circonscrire le principe du contrôle du juge lorsque l'inégalité résulte de l'application de dispositions conventionnelles négociées.

Sur ce fondement, les juges du fond ont donc pu valider des avantages catégoriels prévus par des conventions collectives, ce qui devrait permettre d'éviter une multiplication de contentieux individuels sur le fondement de l'égalité de traitement entre catégories professionnelles.

A l'instar des déclarations de Madame le Conseiller Mazars dans la presse (9), on peut toutefois espérer que la jurisprudence de la Cour de cassation évolue encore et élargisse le cadre d'appréciation des raisons objectives permettant d'opérer une différence de traitement entre catégorie professionnelle. En effet, l'examen des raisons objectives ne devrait pas se faire avantage par avantage mais devrait prendre en compte l'économie globale de la convention collective. Cette approche plus réaliste reflèterait davantage le mécanisme même de la négociation collective qui est, par essence, génératrice de compromis.


(1) Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07 42.675, FS P+B (N° Lexbase : A5734EI9).
(2) P.-A. Antonmattéi, Avantage catégoriel d'origine conventionnelle et principe d'égalité de traitement : évitons la tempête !, Dr. soc., 2009, p. 1169 ; SSL, 28 septembre 2009, p. 16, chron. J. Barthélémy, p. 13, interview P. Bailly.. Pour Christophe Radé, "c'est sans doute l'arrêt "Pain", rendu le 1er juillet 2009, qui a cristallisé la tension très palpable entre une partie des acteurs sociaux et la Cour de cassation pour des raisons à la fois culturelles (les cadres ont de tous temps fait l'objet d'un traitement privilégié en droit du travail), juridiques (de nombreuses conventions collectives pratiquent les différences catégorielles) et économiques (singulièrement lorsque sont en cause les régimes de retraite)" in, La Cour de cassation et les avantages catégoriels : la montagne accouche d'une souris, Lexbase Hebdo n° 444 du 15 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N4332BSA).
(3) Cass. soc., 8 juin 2011, deux arrêts, n° 10-14.725, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3807HT8) et jonction, n° 10-11.933 à n° 10-13.663, P+B+R+I (N° Lexbase : A3806HT7).
(4) Fr. Champeaux, Egalité de traitement : le tournant, SSL, 12 décembre 2011, n° 1517.
(5) V. les obs. de Ch. Radé, La Cour de cassation et les avantages catégoriels : la montagne accouche d'une souris, préc..
(6) TGI Paris, 29 novembre 2011, n° 10/05909 (N° Lexbase : A1185H4N).
(7) Cass. soc., 12 octobre 2011, n° 10-15.101, F-D (N° Lexbase : A7648HYW) et les obs. de Ch. Radé, L'égalité de traitement, les cadres et le préavis de licenciement, Lexbase Hebdo n° 459 du 26 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8355BSA).
(8) CA Angers, ch. soc., 8 novembre 2011, n° 10/00514 (N° Lexbase : A7926H3X).
(9) Le Monde, 21 juin 2011.

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