Lexbase Social n°459 du 27 octobre 2011 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] La déloyauté du salarié en congé maladie

Réf. : Cass. soc., 12 octobre 2011, n° 10-16.649, FS-P+B (N° Lexbase : A7586HYM)

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N8348BSY

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 27 Octobre 2011

Le repos prescrit par le médecin traitant d'un salarié malade est destiné à lui permettre de se reposer, de guérir, de se remettre. Il arrive parfois, malheureusement, que ce temps de suspension du contrat de travail soit instrumentalisé par le salarié qui "profite" de cette occasion pour travailler pour son compte ou pour le compte d'autrui, que cela soit à titre onéreux ou à titre gratuit. Un tel comportement peut constituer, aux yeux de la Cour de cassation, un acte de déloyauté envers l'employeur qui subit l'absence du salarié. Pour autant, les caractères du comportement déloyal du salarié ne sont guère aisés à identifier. Il convient, dès lors, de se féliciter de l'apparition, dans un arrêt rendu par la Chambre sociale le 12 octobre 2011, d'un nouveau critère, plus malléable, lié à la caractérisation du préjudice subi par l'employeur ou l'entreprise (I). Si ce critère n'est pas irréprochable sur le plan de la technique contractuelle, il a cependant le mérite d'équilibrer la jurisprudence de la Chambre sociale en matière de santé du salarié (II).
Résumé

L'inobservation par le salarié de ses obligations à l'égard de la Sécurité sociale ne peut justifier un licenciement. L'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt. Pour fonder un licenciement, l'acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l'employeur ou à l'entreprise.

Commentaire

I - L'exigence nouvelle d'un préjudice né du comportement déloyal

  • Suspension du contrat de travail et maintien de l'obligation de loyauté

Dans le cadre de son contrat de travail, le salarié est tenu de différentes obligations. Au titre de l'obligation principale lui incombe le devoir de fournir une prestation de travail et de ne pas s'opposer au pouvoir de direction de l'employeur sous peine de commettre un acte d'insubordination. Pour autant, cette obligation principale s'accompagne d'obligations accessoires au nombre desquelles figurent, notamment, une obligation de sécurité (1) et une obligation de loyauté (2).

L'une des particularités des obligations accessoires au contrat de travail tient à ce que ces obligations sont maintenues lorsque le contrat de travail du salarié est suspendu (3) : qu'il soit en congés, qu'il soit malade ou qu'il fasse grève, le salarié demeure tenu de l'obligation de loyauté envers son employeur alors même qu'il est dans ce cas déchargé de son obligation principale. Ainsi, le salarié ne doit il pas faire concurrence à son employeur durant la suspension du contrat de travail (4), doit collaborer avec l'employeur en lui remettant les documents ou matériels nécessaires à la continuation de l'activité durant son absence (5), etc.. Le salarié qui, durant une suspension causée par une maladie, exerce une activité, manque-t-il à son obligation de loyauté ?

  • Déclinaison de l'obligation de loyauté : l'activité du salarié malade

Lorsque le salarié obtient de son médecin traitant un arrêt de travail, c'est en principe qu'il n'est pas apte à travailler, que ce soit pour le compte de son employeur ou pour celui de qui que ce soit. Ce raisonnement simple l'est peut-être un peu trop si bien que la Cour de cassation distingue différentes situations.

D'abord, elle juge constamment que "l'inobservation par le salarié de ses obligations à l'égard de la Sécurité sociale et tenant aux heures de sortie autorisées ne peut justifier son licenciement" (6). Il existe donc une frontière a priori étanche, dans ce domaine, entre droit de la Sécurité sociale et droit du travail.

Ensuite, la Cour de cassation accepte qu'un licenciement puisse être justifié par l'activité d'un salarié durant son congé maladie, mais cela à condition que l'activité du salarié constitue un manquement de sa part à son obligation de loyauté envers l'employeur, ce qui n'est pas nécessairement le cas puisque l'exercice de cette activité ne constitue pas "en lui-même" un manquement à cette obligation (7). De subtiles distinctions ont parfois été opérées, selon que l'activité était exercée à titre gratuit ou à titre onéreux, selon que l'activité du salarié pouvait ou non entrer en concurrence avec celle de l'employeur (8). Celles-ci semblent ne plus aujourd'hui être d'actualité, le juge distinguant "seulement" entre manquement à l'obligation de loyauté ou absence de manquement à cette obligation (9).

Reste qu'une telle appréciation reste relativement délicate et empirique, si bien que les nouvelles précisions apportées en la matière par l'arrêt sous examen sont fort utiles.

  • L'espèce

Un salarié avait profité de son arrêt de travail pour maladie pour apporter son aide au stand tenu par son épouse sur un marché local. Apprenant que le salarié avait maintenu une activité durant son arrêt de travail, l'employeur le licencia pour faute grave. Le salarié contesta le licenciement devant les juges du fond, lesquels jugèrent que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse en relevant que le salarié "était comme d'habitude présent, sur trois marchés, avec l'attitude d'un vendeur tenant le stand de son épouse, en dehors des heures de sortie autorisées par le certificat médical établi pour justifier son arrêt de travail et que l'instrumentalisation d'arrêts de travail pour maladie aux fins de se consacrer à une activité lucrative, même non concurrentielle de celle de l'entreprise au service de laquelle une activité salariée est exercée, constitue un manquement grave du salarié à son obligation de loyauté".

Par un arrêt rendu le 12 octobre 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette solution d'appel au visa assez banal des articles L. 1234-1 (N° Lexbase : L1300H9Z), L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B) et L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK) du Code du travail. Si les visas sont classiques, l'argumentation portée en chapeau l'est moins. Après avoir rappelé que "l'inobservation par le salarié de ses obligations à l'égard de la Sécurité sociale ne peut justifier un licenciement et que l'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt", la Chambre sociale innove en énonçant que, "pour fonder un licenciement, l'acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l'employeur ou à l'entreprise".

II - L'exigence équilibrée d'un préjudice né du comportement déloyal

  • Le préjudice subi par l'employeur, nouveau critère du manquement à l'obligation de loyauté

Pour déterminer si l'employeur peut licencier un salarié qui exerce une activité durant son arrêt maladie, l'essentiel tiendrait donc aujourd'hui à l'identification d'un préjudice subi par l'employeur. Compte tenu de l'articulation des arguments avancés par la Chambre sociale, on peut penser que le manquement à l'obligation de loyauté ne sera caractérisé qu'à la condition qu'un préjudice soit subi par l'employeur ou l'entreprise.

Ce n'est, à dire vrai, pas tout à fait la première fois que la Chambre sociale adopte un raisonnement semblable. Dans une affaire jugée en 1996, la Chambre sociale analysait la faute du salarié qui avait profité d'un arrêt de travail pour effectuer d'importants travaux dans son immeuble et avait, à cette occasion, "trompé son employeur sur son état de santé réel et avait indûment privé de ses services l'entreprise qui l'employait, provoquant, en raison de l'effectif réduit, une grave perturbation dans l'organisation du travail" (10). Si la recherche d'un préjudice n'avait pas été clairement exigée par la Chambre sociale à cette époque, elle pesait certainement sur l'appréciation du manquement à l'obligation de loyauté.

D'un point de vue purement technique, on peut douter de l'opportunité de rechercher le préjudice causé à l'entreprise ou à l'employeur. En effet, on perçoit ici la ligne adoptée par la Cour de cassation en matière de réparation du dommage lié à une inexécution contractuelle (11) et qui implique qu'à elle seule, l'inexécution d'une obligation contractuelle ne suffise pas à fonder l'octroi d'une réparation (12). Pour autant, l'existence d'un préjudice n'est pas une condition de la résiliation judiciaire ou de la mise en oeuvre d'une clause résolutoire (13) si bien que, rapportée au contrat de travail, la nécessité de démontrer l'existence d'un préjudice ne devrait pas être nécessaire pour justifier un licenciement.

Sur le plan pratique, en revanche, la solution paraît plus intéressante. En effet, comme en témoigne la jurisprudence depuis une quinzaine d'années, il est particulièrement difficile de déterminer si le salarié a manqué à son obligation de loyauté à partir de l'analyse de son seul comportement. L'introduction d'un critère reposant sur le préjudice de l'employeur ou de l'entreprise devrait permettre de rendre l'appréciation plus aisée.

  • Le caractère (trop ?) malléable du nouveau critère du manquement à l'obligation de loyauté

L'employeur ou l'entreprise devra désormais démontrer que l'activité du salarié durant son congé maladie lui a causé un préjudice pour justifier le licenciement. A première vue, cela peut sembler constituer un critère supplémentaire rendant la démonstration de la déloyauté plus délicate. Il n'en est probablement rien, quand bien même cette exigence n'est pas remplie dans l'espèce sous examen, d'abord parce que la démonstration de l'existence d'un tel préjudice devrait être particulièrement simple, ensuite parce que la démonstration du préjudice aura pour effet de caractériser le manquement à l'obligation de loyauté.

En effet, le manquement à une obligation de loyauté cause, presque à coup sûr, un préjudice à l'entreprise ou à l'employeur. Dès lors, il devrait être relativement simple pour un employeur de démontrer, à l'avenir, que l'attitude du salarié durant son arrêt de travail lui a causé un préjudice. Ainsi, l'absence d'un salarié, quelle qu'en soit la raison, constitue toujours une perturbation du fonctionnement de l'entreprise, cela sans compter les coûts que cette absence peut éventuellement induire (retards de production, frais de recrutement d'un remplaçant, etc.). La preuve de l'existence d'une faute du salarié dans ces hypothèses sera donc plus aisée.

Au-delà des critiques techniques déjà avancées, faut-il considérer que ce nouveau critère est trop malléable ? Nous ne le pensons pas et, dans une certaine mesure, il peut même être considéré qu'il s'agit là d'une mesure de rééquilibrage opportune.

En effet, depuis plusieurs années déjà, le législateur et, surtout, la Chambre sociale de la Cour de cassation mettent, à juste titre, l'accent sur la protection de la santé et de la sécurité du salarié (14). La santé du salarié est sanctuarisée car il n'est plus acceptable que le travail puisse l'altérer. Pour autant, le renforcement de la protection de la santé du salarié doit logiquement s'accompagner, par effet de contrepoids, d'une lutte plus sévère contre l'instrumentalisation de la protection de la santé. En matière de santé du salarié, si l'employeur doit aujourd'hui être irréprochable et sera sévèrement sanctionné en cas de manquement à ses devoirs, le salarié doit l'être également dans l'utilisation des outils mis à sa disposition pour protéger son état de santé. Or, un salarié qui n'est pas apte à travailler pour son employeur ne l'est pas pour qui que ce soit... Le raisonnement n'était, finalement, peut-être pas aussi simpliste que cela.


(1) V. tout récemment encore, Cass. soc., 4 octobre 2011, n° 10-18.862, FS-P+B (N° Lexbase : A5970HYR) et nos obs., L'obligation de sécurité du salarié à l'égard de ses collègues, Lexbase Hebdo n° 458 du 20 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8229BSL).
(2) Ch. Vigneau, L'impératif de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail, Dr. soc., 2004, p. 706.
(3) L. Fin-Langer, Suspension du contrat de travail (Règles générales), Rép. dr. trav., Dalloz, n° 79 et s..
(4) Cass. soc., 21 octobre 2003, n° 01-43.943, F-P (N° Lexbase : A9403C97), Dr. soc., 2004, p. 114, obs. J. Savatier.
(5) Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.343, F-D (N° Lexbase : A5289A7Z), JSL, n° 123, 13 mai 2003, p. 12, obs. M. Hautefort.
(6) V. not. Cass. soc., 27 juin 2000, n° 98-40.952, publié (N° Lexbase : A8770AHB) ; Cass. soc., 4 juin 2002, n° 00-40.894, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8561AYQ) et les obs. de S. Koleck-Desautel, Le seul exercice d'une activité pendant un arrêt de travail pour maladie ne peut justifier un licenciement, Lexbase Hebdo n° 29 du 27 juin 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N3264AA7) ; Cass. soc., 21 octobre 2003, préc..
(7) "L'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt", Cass. soc., 4 juin 2002, préc..
(8) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 26ème édition, 2011, p. 369.
(9) Ibid.
(10) Cass. soc., 21 mai 1996, n° 95-40.032, inédit (N° Lexbase : A8995AHM).
(11) V. par ex. Cass. soc., 4 décembre 2002, n° 00-44.303, F-P (N° Lexbase : A1986A4C) ; RDC, 2003, p. 54, obs. Ph. Stoffel-Munck ; Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, n° 00-22.202, inédit (N° Lexbase : A0940C9P) ; RTD Civ., 2003, p. 709, obs. J. Mestre et B. Fages.
(12) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit des obligations, Dalloz, 10ème édition, pp. 566-567.
(13) Que ce soit en droit commun des contrats ou en droit du travail. V. C. civ., art. 1184, al. 1er (N° Lexbase : L1286ABA) qui soumet la résolution à la seule existence d'une inexécution de l'engagement contractuel.
(14) Parmi les manifestations les plus éclatantes, v. le renforcement de l'obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur, V. les deux arrêts du 3 février 2010 (Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-40.144, FP-P+B+R N° Lexbase : A6060ERU et n° 08-44.019, FP-P+B+R N° Lexbase : A6087ERU) et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN).

Décision

Cass. soc., 12 octobre 2011, n° 10-16.649, FS-P+B (N° Lexbase : A7586HYM)

Cassation, CA Poitiers, ch. soc., 30 juin 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 1234-1 (N° Lexbase : L1300H9Z), L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B) et L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK)

Mots-clés : licenciement, obligation de loyauté, suspension du contrat de travail pour maladie, activités du salarié, préjudice subi par l'entreprise ou l'employeur

Liens base : (N° Lexbase : E3242ETA) ; (N° Lexbase : E3216ETB)

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