La lettre juridique n°805 du 5 décembre 2019 : Construction

[Jurisprudence] Le juge du CCMI toujours aussi surprotecteur de l’accédant à la propriété ?

Réf. : Cass. civ. 3, 21 novembre 2019, n° 14-22.299, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0234Z33)

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par Juliette Mel, Avocat associé, Docteur en droit, Chargée d'enseignements à l'UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux de l'Ordre des avocats de Paris

le 04 Décembre 2019

Le législateur a mis en place un régime juridique impératif, particulièrement contraignant pour protéger l’accédant à la propriété (souvent un particulier, primo-accédant, non-sachant et emprunteur pour la totalité du prix de la construction et/ou du terrain) qui contracte avec un constructeur de maisons individuelles. La loi du 19 décembre 1990 (loi n° 90-1129 du 19 décembre 1990 relative au contrat de construction d'une maison individuelle), codifiée aux articles L. 231-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L7276AB4), a, en effet, instauré un dispositif qui tend à sécuriser l’accédant à la propriété de multiples façons, allant de la création d’une garantie de livraison à prix et délais convenus, en passant par l’échelonnement des paiements et, bien entendu, l’instauration de nombreuses mentions obligatoires qui conditionnent, tout simplement, la validité du contrat. En outre, s’inscrivant dans le sillage de la volonté du législateur de protéger l’acquéreur, le juge a, également, joué ce jeu de la protection, notamment, en multipliant les arrêts d’une grande sévérité à l’encontre du constructeur, au point de générer un contentieux d’un genre nouveau : celui de l’accédant qui a pris possession de sa maison mais qui refuse de réceptionner et de payer l’appel de fonds correspondant, ou encore, celui de l’accédant qui demande l’annulation rétroactive de son contrat, le remboursement de ce qu’il a versé ainsi que la démolition de sa maison pour le non-respect d’une mention contractuelle qui peut paraître, de premier abord, mineure. Loin de se laisser instrumentaliser, le juge multiplie, depuis lors, les décisions plus mesurées, dont l’accédant à la propriété ne sort pas forcément vainqueur. L’arrêt commenté, destiné à la plus large publication et mis en ligne sur le site de la Cour de cassation, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 21 novembre 2019, en est une parfaite illustration (Cass. civ. 3, 21 novembre 2019, n° 14-22.299, FS-P+B+I N° Lexbase : A0234Z33).

Aux termes d’un contrat de construction de maison individuelle (CCMI), les époux, maîtres de l’ouvrage, confient à une société spécialisée dans la construction de maisons individuelles, la réalisation de leur maison. Dans ce contrat, il a classiquement été convenu, entre les parties, que les accédants à la propriété se réservent les travaux de second œuvre. A la suite d’un différend, les accédants à la propriété refusent de payer une partie des travaux et de réceptionner l’ouvrage. Le constructeur saisit, alors, le juge statuant en la forme des référés aux fins de désignation d’un expert puis, après le dépôt de son rapport, le juge du fond aux fins de prononcer la réception judiciaire, d’une part, et de payer les factures impayées, d’autre part.

Le constructeur ayant obtenu gain de cause devant le tribunal, les accédants à la propriété ont, dès lors, interjeté appel. Devant la cour d’appel, ils ont sollicité, notamment, l’annulation rétroactive du contrat et la démolition de la construction.

La cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt rendu le 21 novembre 2013, a confirmé le jugement déféré en l’ensemble de ses dispositions. Les juges du fond ont, d’abord, estimé que l’article 1792-6 du Code civil (N° Lexbase : L1926ABX), relatif à la réception judiciaire, était applicable si bien qu’à défaut de réception amiable, la réception peut être prononcée judiciairement. Ils ont considéré, ensuite, que les demandes de nullité et de démolition sont infondées.

Les accédants à la propriété ne se découragent pas et forment un pourvoi en cassation mais celui-ci est rejeté. La Haute juridiction confirme, d’une part, que les dispositions applicables au contrat de construction de maison individuelle n’imposent pas une réception constatée par écrit si bien qu’une réception judiciaire n’est pas exclue. Elle considère, d’autre part, que la notice descriptive comportait le montant des travaux restant à la charge du maître de l’ouvrage en les détaillant ainsi que la mention manuscrite du maître d’ouvrage reprenant le total de ces travaux, si bien que le contrat n’est pas nul.

Cette décision permet, dès lors, de revenir sur la possibilité de forcer la réception dans le contrat de construction de maison individuelle (I) ainsi que sur les conditions de validité du contrat et, particulièrement, en ce qui concerne la mention manuscrite dans la notice descriptive (II).

I - De la mesure dans l’appréciation de la réception de l’ouvrage

Le moyen invoqué par les accédants à la propriété consiste à viser le IV de l’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L2643IX8) pour prétendre que la réception de l’ouvrage construit en application d’un contrat de maison individuelle ne peut résulter que d’un écrit. Autrement dit, par dérogation aux dispositions de l’article 1792-6 du Code civil, pourtant d’ordre public, la réception judiciaire ne serait pas possible, pas plus que la réception tacite, reconnue de façon prétorienne. Le moyen n’est retenu ni par les juges du second degré de juridiction ni par la Haute juridiction. Pourtant, nombreux sont les auteurs qui partageaient l’argument avancé par les accédants à la propriété, appuyés en cela par des décisions, en tous sens, rendues par les juges du fond. La Cour de cassation y a mis définitivement fin aux termes d’un arrêt également rendu par la troisième chambre civile le 27 février 2013 (Cass. civ. 3, 27 février 2013, n° 12-14.090, FS-P+B N° Lexbase : A8768I8A). Néanmoins, cette espèce n’était pas si claire puisque la Haute juridiction s’est appuyée sur la remise des clés, ce qui n’est pas le critère permettant de prononcer la réception judiciaire.

Il est désormais acquis que les dispositions de l’article L. 231-6 précité ne visent que les conditions de cessation de la garantie de livraison, même s’il est fait, effectivement, référence à une réception constatée par écrit. Autrement dit, cette disposition n’est pas transposable, elle ne s’applique qu’à la garantie de livraison. Aussi, cette disposition ne fait pas directement obstacle à une réception judiciaire. Mais, faute d’une constatation par écrit, la réception ne pourra pas être opposée par le garant au maître d’ouvrage.

L’arrêt commenté est ainsi confirmatif d’une jurisprudence ancienne mais éparse, qui méritait donc d’être confirmée. Si la Haute juridiction a rapidement reconnu au maître de l’ouvrage (Cass. civ. 3, 30 juin 1993, n° 91-18.696 N° Lexbase : A5850ABB) ainsi qu’à l’entrepreneur confronté au refus injustifié du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage (Cass. civ. 3, 30 octobre 1991, n° 90-12.659 N° Lexbase : A5096AH9), la possibilité de solliciter la réception judiciaire, l’essentiel des litiges consistait à départir la réception tacite de la réception judiciaire. Or, la Cour de cassation a, très vite, considéré qu’une cour d’appel ne peut, sans modifier l’objet du litige, décider de prononcer la réception judiciaire des travaux alors que les parties s’opposent sur la réception tacite (Cass. civ. 3, 22 février 1995, n° 93-13.343). Les deux formes de réception sont sans lien. La réception judiciaire, c’est la réception forcée. Il faut simplement démontrer que l’ouvrage est en l’état d’être reçu, pour reprendre la formule consacrée (pour exemple : Cass. civ. 3, 24 novembre 2016, n° 15-26.090, FS-P+B N° Lexbase : A3499SL8 ; J. Mel, 2017, une année placée sous le signe de la réception, Lexbase, éd. privée, 2017, n° 724). La réception tacite suppose, quant à elle, la preuve de la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage. L’intention est bien différente.

Par parallélisme des formes, semble, toutefois, également ouverte la voie de la démonstration de la réception tacite du contrat de construction de maison individuelle. A extrapoler encore sur les dernières jurisprudences rendues en des domaines autres que la maison individuelle, la réception tacite serait même présumée en cas de prise de possession et de paiement du prix (Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, n° 18-10.197, FS-P+B+I N° Lexbase : A5083YUS ; Cass. civ. 3,14 février 2019, n° 17-30.083 ; Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-13.734, FS-P+B+I N° Lexbase : A3818Y9B).

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II - De la mesure dans l’appréciation de la nullité du contrat

La jurisprudence rendue sur le sujet est particulièrement riche. Si le maître d’ouvrage se réserve l’exécution de certains travaux, ceux-ci devront, en application de l’article L. 231-2,d) du Code de la construction et de l’habitation être décrits et chiffrés par le constructeur dans un document dénommé «la notice». Cette notice doit indiquer le coût total du bâtiment à construire résultant de la somme du prix convenu et du montant des travaux dont le maître d’ouvrage se réserve l’exécution. Ces travaux doivent, en outre, faire l’objet d’une mention manuscrite spécifique et paraphée par le maître d’ouvrage, aux termes de laquelle il en accepte le coût et la charge. Le non-respect de ces règles est lourdement sanctionné par la nullité du contrat de construction de maison individuelle, soit la plus grave des sanctions (Cass. civ. 3, 20 avril 2017, n° 16-10.486, FS-P+B+I N° Lexbase : A0469WAM ; Cass. civ. 3, 21 juin 2018, n° 17-10.175, FS-P+B+I N° Lexbase : A8679XTM). Cela n’a pas été toujours le cas. Avant cet arrêt de 2017, la Haute juridiction avait pu estimer que les travaux nécessaires à l’habitation de l’immeuble, non prévus ou non chiffrés dans la notice descriptive et n’ayant pas fait l’objet d’une mention manuscrite par laquelle le maître de l’ouvrage accepte d’en supporter la charge, doivent être pris en charge par le constructeur (Cass. civ. 3, 13 novembre 2014, n° 13-18.937, FS-P+B N° Lexbase : A3088M3R). La solution semblait pourtant plus mesurée que la nullité. Mais, la Cour de cassation a voulu mettre un terme à la position adoptée par un certain nombre de juges du fond qui, au seul motif du non-respect d’une règle de forme, permettaient au maître d’ouvrage de bénéficier gracieusement de travaux non compris dans le prix convenu. La nullité semble avoir des conséquences encore plus critiquables pourtant. Elle peut, en effet, aboutir à la démolition de l’ouvrage. Heureusement, la Haute juridiction fait preuve de mesure. L’espèce commentée en est une nouvelle illustration. Si le non-respect des dispositions de l’article L. 231-2 du Code de la construction et de l’habitation est susceptible d’entraîner la nullité du contrat de construction de maison individuelle, la démolition de l’ouvrage n’est pas systématique ; cette sanction devant être proportionnée à la gravité des désordres et non-conformités qui l’affectent (Cass. civ. 3, 15 octobre 2015, n° 14-23.612, FS-P+B+R N° Lexbase : A5827NTY ; Cass. civ. 3, 22 novembre 2018, n° 17-12.537, FS-P+B+I N° Lexbase : A3876YMI). La Cour de cassation se place, donc, non plus sur la restitution mais sur la responsabilité pour sanctionner par la démolition. La solution ne peut qu’être approuvée.

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Cette décision implique une vigilance accrue, pour ne pas dire excessive, dans la rédaction du contrat de construction de maison individuelle. Entre les mentions dont le défaut entraîne la nullité de l’acte et celles qui font, à défaut, partie du prix forfaitaire ou qui demeurent à la charge du maître d’ouvrage, outre les cas où la nullité du contrat peut conduire à la démolition de l’ouvrage, ou pas, il peut paraître bien difficile de s’y retrouver, d’autant que les positions des juges ont évolué ces dernières années.

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