La lettre juridique n°436 du 14 avril 2011 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Avril 2011

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N9647BRQ

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le 14 Avril 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Cour de cassation. Dans le premier, en date du 15 mars 2011, la Chambre commerciale refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le respect de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, relatif au droit de propriété, par l'action en revendication telle qu'elle est encadrée par l'article L. 624-9, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008. Dans le second arrêt soumis à une large publicité (P+B+I), la même formation statue, le 8 mars 2011, sur la prescription de la substitution en cours d'instance de l'extension-sanction par l'obligation aux dettes sociales.
  • L'action en revendication face à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : confrontation manquée (Cass. com. QPC, 15 mars 2011, n° 10-40.073, FS-P+B N° Lexbase : A6681HDS)

Le propriétaire d'une machine-outil avait donné celle-ci en location à une entreprise ayant ultérieurement fait l'objet, en octobre 2009, d'une procédure de redressement judiciaire convertie quelques mois plus tard en liquidation. A l'expiration du contrat de location, le propriétaire avait tenté de récupérer son matériel, mais en vain dans la mesure où la revendication avait été présentée plus de trois mois après la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective au BODACC. Le propriétaire avait alors demandé la transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 624-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3492ICC), applicable en la cause. Cette QPC était rédigée en ces termes : "l'article L. 624-9 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, porte-t-il atteinte au droit de propriété constitutive d'une violation de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1364A9E)" qui dispose que "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité" ?

Par arrêt en date du 15 mars 2011, la Cour de cassation dit n'y avoir lieu à renvoi de cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Ainsi, nous assistons, avec regret, à une confrontation manquée entre les dispositions de l'article L. 624-9 du Code du commerce et celles de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Pourtant l'importance et la pertinence de la question soulevée méritaient sans doute qu'elle soit portée à la connaissance du Conseil constitutionnel.

Rappelons qu'il résulte des dispositions de l'article L. 624-9 du Code de commerce que "la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure". Cet article comportait, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008, un second alinéa aux termes duquel "pour les biens faisant l'objet d'un contrat en cours au jour de l'ouverture de la procédure, le délai court à partir de la résiliation ou du terme du contrat". La suppression de cet alinéa par l'article 41 de l'ordonnance du 18 décembre 2008 avait conduit à l'irrecevabilité de la demande en revendication du propriétaire dans l'espèce en cause : sa revendication aurait été jugée recevable sous l'empire des dispositions anciennes mais s'avérait tardive sous l'empire des dispositions nouvelles car la revendication n'avait pas été faite dans le délai unifié de trois mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC.

Précisons que cette unification des délais de revendication n'a pas été instaurée dans l'optique de tendre un nouveau piège aux propriétaires mais dans celle de leur assurer une sécurité juridique. Cette sécurité juridique est trouvée dans le fait que le point de départ du délai de revendication est aujourd'hui, en tout état de cause, aisément déterminé : il s'agit de la publication du jugement d'ouverture du BODACC. Au contraire, la détermination de la date de résiliation d'un contrat en cours n'est pas aisée, ce qui pouvait conduire le cocontractant propriétaire à se méprendre sur la date de la résiliation du contrat qui constituait, jusqu'à l'ordonnance de 2008, le point de départ du délai de revendication. En effet, la date de résiliation du contrat est différente selon qu'elle survient par suite d'une absence de réponse à la mise en demeure d'avoir à se prononcer sur le sort du contrat, par suite d'un refus exprès de continuation, par suite du défaut de paiement de la contrepartie du contrat poursuivi ou encore par suite de la renonciation spontanée de l'administrateur... L'unification du délai de présentation de la demande en revendication coupe court à toute hésitation du cocontractant et assèche ainsi un important puit de contentieux (1).

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, se focalisant essentiellement sur cette modification apportée à l'article L. 624-9, considère qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel dans la mesure où les dispositions de cet article, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008, "se bornent à unifier le point de départ du délai de l'action en revendication du meuble en le faisant courir, dans tous les cas, à compter de la publication au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales du jugement d'ouverture sous peine de rendre inopposable à la procédure collective le droit de propriété du revendiquant". Il est regrettable que la question ait été conçue étroitement -portant seulement sur le point de départ unifié du délai de revendication- et qu'il en ait donc été apporté une réponse étroite. Pourtant, dans son avis (2), l'avocat général avait relevé que "la critique présente une plus large portée dès lors que le texte qui rétablit l'unicité des délais [de revendication] peut impliquer l'expropriation des propriétaires, sans recours et sans indemnité, alors que l'article 17 précité soumet la régularité de l'atteinte au droit à la 'nécessité publique' et à la 'juste et préalable indemnité'". L'avocat général considérait que "parce que la question prioritaire de constitutionnalité demande de s'interroger sur la constitutionnalité de l'article L. 624-9 dans sa rédaction issue de l'ordonnance de 2008 et que ce texte ne prévoit aucun recours en cas de revendication hors délais, elle nous oblige à faire porter l'examen sur la disposition dans tous ses aspects et pas seulement en ce que l'ordonnance de 2008 a supprimé l'alinéa 2". Hélas, l'appel n'a pas été entendu et l'avis n'a pas été suivi.

C'est en cela que l'on assiste à une confrontation manquée entre l'article L. 624-9 du Code de commerce et l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Cette confrontation était pourtant appelée des voeux de l'avocat général dont l'avis concluait à la transmission de la question au Conseil constitutionnel, "en raison de son sérieux qui mérite le débat".

La Chambre commerciale ne partage pas cet avis et considère, de façon critiquable nous semble-t-il, qu'au contraire, la question ne présente pas de caractère sérieux : elle estime que "les restrictions aux conditions d'exercice du droit de propriété qui peuvent résulter de ce texte répondent à un motif d'intérêt général et n'ont ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la privation du droit de propriété ou d'en dénaturer la portée ; que la question posée ne présente donc pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent au principe de valeur constitutionnelle invoqué".

Cette affirmation péremptoire aurait sans doute mérité d'être nuancée.

Certes, la sanction du défaut de revendication n'est pas la perte pure et simple du droit de propriété, lequel n'est donc pas transféré ipso facto au débiteur sous procédure (3). C'est la raison pour laquelle, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR), la Cour de cassation avait considéré que les dispositions de son article 115 "aux termes desquelles la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois à compter du jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire, ne sont pas contraires à celles de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9en ce qu'il protège le droit de propriété, et sont applicables à la revendication exercée par le bailleur sur le bien mobilier faisant l'objet du contrat de location" (4).

La sanction du défaut de revendication est autre : elle consiste en l'inopposabilité (5) à l'égard de la procédure collective (6) du droit de propriété. En théorie donc, l'absence de revendication ne porte pas atteinte au droit de propriété. Cependant, force est de constater que, dans la plupart des procédures collectives -c'est-à-dire, hélas, celles de liquidation judiciaire-, cette inopposabilité du droit de propriété aura des effets équipollents à ceux d'une confiscation du droit de propriété : l'inopposabilité du droit de propriété autorisera le liquidateur à vendre le bien non revendiqué, qui devient alors le gage des créanciers (7). Le tiers aura alors acquis de bonne foi un bien meuble (8) et sera ainsi protégé par l'article 2276 du Code civil (N° Lexbase : L7197IAS) contre toute revendication émanant du précédent propriétaire. Ainsi, alors même que le propriétaire n'est pas consentant, le droit de propriété sur une chose lui appartenant est transféré à une autre personne, ce qui induit nécessairement, in fine, une perte du droit de propriété. Ainsi, dans la majeure partie des cas, l'absence de revendication aura, par ricochet, un effet d'expropriation du propriétaire.

Quid en cas de plan de redressement ou de sauvegarde ? La vente du bien non revendiqué apparaît possible pendant la période d'observation, le produit de la vente étant alors affecté au débiteur sous procédure collective. En revanche, en l'absence de vente du bien pendant la période d'observation, l'absence de revendication ne pourra plus produire d'effet néfaste pour le propriétaire lorsque le débiteur aura obtenu un plan de redressement ou de sauvegarde et qu'il sera donc redevenu in bonis (9). Si le plan de continuation est résolu, l'inopposabilité du droit de propriété à la procédure n'interdira pas au propriétaire de faire déclarer opposable à la seconde procédure son droit de propriété (10). Ainsi, comme l'a relevé l'avocat général, la portée de l'absence de perte de droit de propriété est limitée au cas où le débiteur redevient in bonis. C'est donc bien, comme le souligne l'avis de l'avocat général, à une "quasi expropriation du propriétaire" qu'aboutit l'absence de revendication. C'est la raison pour laquelle il semblerait peut-être opportun que, de façon plus nette (et plus large), soit à nouveau posée la question de la constitutionnalité de l'article L. 624-9 du Code de commerce : l'interprétation de la Cour de cassation qui considère, en liquidation judiciaire, que le bien non revendiqué devient le gage des créanciers de la procédure collective et interdit toute prérogative du propriétaire ne porte-t-elle pas atteinte au droit de propriété constitutionnellement protégé ?

De lege ferenda, nous appelons de nos voeux qu'il soit opéré un aménagement de l'action en revendication. Pour mettre les dispositions de l'article L. 624-9 du Code de commerce à l'abri d'une inconstitutionnalité, il nous semble qu'il faille prévoir, à l'image de ce qui existe en matière de déclaration de créance, une possibilité de relevé de forclusion. Il serait bienvenu que le propriétaire retardataire dispose de la possibilité d'être relevé de forclusion lorsqu'il est lié au débiteur par un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture. On pourrait imaginer de prévoir la possibilité pour le créancier de solliciter un relevé de forclusion dans le délai de trois mois à compter de la résiliation ou de l'arrivée à terme du contrat. Cela offrirait au propriétaire un délai d'action aussi long que celui qui existait avant l'ordonnance du 18 décembre 2008. La solution serait cohérente avec l'esprit de l'ordonnance qui, rappelons-le, ne visait pas à sanctionner les propriétaires, mais à leur éviter d'être victimes d'une insécurité juridique.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • La prescription de la substitution en cours d'instance de l'extension-sanction par l'obligation aux dettes sociales (Cass com., 8 mars 2011, n° 09-70714, FS-P+B+I N° Lexbase : A0442G7I)

Les premières difficultés suscitées par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT) ont été liées à l'application de celle-ci dans le temps. On les croyait peut-être toutes réglées. Eh bien, non ! Et rassurons-nous, il y en aura, sans doute, encore bien d'autres.

Le contentieux de l'application de la loi de sauvegarde des entreprises a été alimenté par la question des sanctions. La solution ne peut surprendre. La construction législative s'y prêtait particulièrement. En effet, tout en posant un principe classique en droit des entreprises en difficulté, selon lequel la loi ancienne continue à régir les procédures ouvertes avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, une double série de dérogations était posée : certaines dispositions de la loi nouvelle s'appliquaient immédiatement aux procédures en cours, qui normalement auraient dû être seulement régies par la loi ancienne. En sens inverse, certaines dispositions de la loi ancienne devenaient inapplicables après le 1er janvier 2006 aux procédures pourtant ouvertes sous l'empire du texte ancien.

Et, de fait, le contentieux a été d'ampleur.

Mention spéciale, dans le cadre de ce contentieux lié à l'application de la loi dans le temps, à la suppression des extensions de procédure, soit au titre de la solidarité (C. com., art. L. 624-1, anc. N° Lexbase : L7040AIL), soit sur le fondement des fautes retenu contre des dirigeants fautifs (C. com., art. L. 624-4, anc. N° Lexbase : L7043AIP et L. 624-5, anc. N° Lexbase : L7044AIQ). Aux yeux des dirigeants poursuivis en extension-sanction, l'opportunité d'échapper à toute sanction est apparue. Et, logiquement, les plaideurs se sont ingéniés à trouver des arguments. De leur côté, les mandataires de justice, pris "de cours législatif", ont imaginé des stratégies procédurales. L'une d'elle est au centre de l'arrêt commenté.

En l'espèce, un dirigeant est assigné en 2005, alors que la liquidation judiciaire de la société débitrice avait été ouverte en 2003, en liquidation judiciaire à titre personnel (extension-sanction). Aucune condamnation n'est intervenue au 1er janvier 2006, ce qui est une donnée très importante, en l'espèce. En 2009, le liquidateur, en cause d'appel, modifie sa demande et, au lieu de solliciter la condamnation à la liquidation judiciaire à titre personnel du dirigeant poursuivi, demande sa condamnation à l'obligation aux dettes sociales. Le pouvait-il, en 2009, au regard des règles de la prescription de l'action en obligation aux dettes sociales ?

Telle était la question que devait résoudre la Cour de cassation. Avant d'y répondre, il importe de procéder à un rappel.

La loi de sauvegarde des entreprises a modifié, dans un double sens, le périmètre des personnes éligibles aux procédures collectives. D'un côté, elle pose la règle nouvelle de l'application des procédures collectives à tout professionnel indépendant, ce qui permet d'englober en son sein les professionnels libéraux. D'un autre, elle supprime toutes les ouvertures de procédures collectives par voie de fausses extensions, qu'il s'agisse de celles intéressant les associés de sociétés, sur le fondement de la solidarité (C. com., art. L. 624-1, anc.), ou qu'il soit question de celles reposant sur des fautes légalement déterminées frappant les dirigeants de la personne morale débitrice (C. com., art. L. 624-5, anc.). Ainsi, si toutes les entreprises relèvent désormais du droit des entreprises en difficulté, seules ces dernières y sont assujetties.

Une disposition transitoire de la loi de sauvegarde (loi n° 2005-845, art. 192) prévoit que la procédure ouverte en vertu de l'article L. 624-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, n'est pas affectée par son entrée en vigueur. Ce texte ne fait que confirmer le principe de survie de la loi ancienne aux procédures ouvertes avant son entrée en vigueur.

Il s'en déduit, a contrario, que l'action en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel contre le dirigeant fautif, qui n'a pas abouti à une condamnation au 1er janvier 2006, ne plus prospérer après cette même date (11). Le texte de l'article 192 de la loi du 26 janvier 2005 permet de régler l'hypothèse où, après ouverture de la procédure à titre de sanction, la cour d'appel réforme ou annule la décision par un arrêt antérieur au 1er janvier 2006. A cette date, la procédure à titre de sanction n'est plus ouverte et ne peut donc plus l'être après cette même date (12).

Tout en supprimant le redressement et la liquidation judiciaires à titre personnel contre le dirigeant fautif, la loi de sauvegarde des entreprises crée l'obligation aux dettes sociales, action devant permettre de condamner le dirigeant social sur le fondement de fautes légalement déterminées à toutes les dettes sociales, et non pas seulement à l'insuffisance active, comme cela est le cas dans le domaine de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. Cette sanction peut être prononcée en remplacement de la procédure-sanction à l'encontre des dirigeants à compter du 1er janvier 2006, et même pour les procédures ouvertes contre les personnes morales avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, art. 191-5°) (13). Il n'y a pas là violation de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), les faits justifiant l'obligation aux dettes sociales étant, sous l'empire de la législation antérieure, des faits justifiant le prononcé de l'extension-sanction (14).

Les mandataires de justice ayant assigné au titre d'une action en redressement ou en liquidation judiciaire avant le 1er janvier 2006, action non couronnée de succès à cette date, se sont naturellement demandés s'ils pouvaient remplacer, en cours d'instance, une demande d'ouverture d'une procédure collective pour faute par une action en obligation aux dettes sociales. Les juridictions du fond ont répondu par l'affirmative. Il a été jugé que la demande en substitution de l'action en obligation aux dettes sociales à l'ouverture d'une procédure collective à titre de sanction présentée en cause d'appel était recevable (15), car l'article 564 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0394IGP), qui interdit la présentation en cause d'appel de demandes nouvelles, prévoit à titre d'exception la recevabilité des demandes nouvelles tendant à faire juger des questions nées d'un fait, ce qui est le cas d'une loi promulguée en cause d'appel, dès lors qu'elle se déclare immédiatement applicable (16).

Une nouvelle assignation tendant au prononcé de cette sanction est-elle nécessaire ? Il a été répondu en jurisprudence par la négative. La demande de substitution peut prospérer par voies de conclusions (17).

La nature juridique de cette substitution se pose et, derrière elle, se profile une question, au centre de l'arrêt commenté : la demande de substitution d'une action en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel, par une action en obligation aux dettes sociales est-elle enfermée dans le délai de l'action en obligation aux dettes sociales ? Autrement dit, la prescription attachée à cette dernière action s'applique-t-elle à la demande de substitution, alors que l'action en redressement ou en liquidation judiciaire personnel a, quant à elle, été introduite dans le délai de prescription qui la concerne ?

La cour d'appel avait relevé que la demande en obligation aux dettes sociales avait été formée par le liquidateur dans ses conclusions signifiées le 12 février 2009, tandis que la liquidation judiciaire de la société avait été prononcée le 21 novembre 2003. Dans ces conditions, estime la Cour de cassation, "la cour d'appel en a exactement déduit que cette action, qui se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire de la personne morale en application de l'article L. 652-4 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, était prescrite".

La solution s'impose.

Tout d'abord, il n'est pas douteux que la demande tendant à substituer à l'action en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel une action en obligation aux dettes sociales pouvait être présentée par voie de conclusions. De quoi s'agit-il ? D'une demande additionnelle (18), variété de demande incidente. Or il n'y a pas de discussion pour considérer que la demande incidente doit être présentée dans le délai de l'action. Autrement dit, la demande de substitution doit impérativement être introduite dans le délai pour agir en obligation aux dettes sociales, c'est-à-dire trois ans à compter de la liquidation judiciaire. Le Service d'études et de documentation de la Cour de cassation l'avait annoncé (19). La Cour de cassation le confirme. Tel n'était pas le cas en l'espèce, puisque les conclusions, tendant à la substitution, n'avaient été signifiées que plus de cinq ans après la liquidation judiciaire.

Il importe de remarquer que la demande de substitution avait été présentée en appel : seule la signification de conclusions, dans cette procédure écrite, valait présentation de la demande incidente.

Cette possibilité de substitution est précieuse pour les plaideurs, puisqu'elle évite au demandeur à l'action de se retrouver dans une instance qui ne peut plus prospérer. Rappelons qu'après le 1er janvier 2006, toute condamnation au redressement et à la liquidation judiciaires est exclue.

Pour autant, cette possibilité de substitution ne règle pas toutes les difficultés. Pour s'en convaincre, il suffit de raisonner sur l'exemple suivant. Le commissaire à l'exécution d'un plan de cession a introduit, avant le 1er janvier 2006, une action en redressement judiciaire à titre personnel. A cette même date, son action n'a pas abouti à une condamnation. Après le 1er janvier 2006, il ne peut poursuivre une telle demande. Pour autant, il ne peut présenter une demande de condamnation à l'obligation aux dettes sociales, puisqu'il n'a pas qualité, l'action étant réservée au liquidateur. Son action tombe en déshérence, ce qui peut apparaître choquant (20).

Tout n'est donc pas résolu avec cette possibilité de substitution et il resterait à observer la position que prendrait la Cour de cassation, dans le cas de l'action engagée par un commissaire à l'exécution du plan.

Une dernière précision s'impose au lecteur, sur ces strates législatives successives. L'article 133 de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT) prévoit l'abrogation des dispositions régissant l'obligation aux dettes sociales. L'article 173 du même texte précise qu'il ne sera plus possible d'engager une action en obligation aux dettes sociales à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, soit le 15 février 2009. Il indique, toutefois, que les actions en obligation aux dettes sociales déjà engagées au jour de l'entrée en vigueur de l'ordonnance se poursuivent (21).

On le voit, il faut être très attentif pour s'y retrouver dans ce dédale de sinueuses législations, qui permet, au passage, de remarquer ce plaisir intense, et toujours renouvelé, dans ce tango argentin au rythme législatif toujours plus endiablé.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) V. F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ,8 ème éd., n° 551.
(2) Avis de l'avocat général R. Bonhomme auquel nous adressons nos remerciements pour sa transmission.
(3) Ainsi, Cass. com., 26 novembre 2002, n° 01-03.980, FS-P (N° Lexbase : A1231A4D), Bull. civ. IV, n° 176 ; D., 2003, AJ 67, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2003/1, n° 7 ; RTDCiv., 2003, 316, n° 3, obs. Th. Revet ; Gaz. Pal., somm. 5-6 septembre 2003, p. 9, note C. Denner ; RTDCom., 2003, 570, n° 7, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2003, p. 309, n° 8, obs. M.-H. Monsérié-Bon.
(4) Cass. com., 8 mars 1994, n° 92-14.394, publié (N° Lexbase : A6948ABX), Bull. civ. IV, n° 101.
(5) Par exemple, Cass. com., 3 décembre 2003, n° 01-02.177, F-D (N° Lexbase : A3562DA8).
(6) Sur la réapparition, au travers de la "procédure collective", de la masse des créanciers que la loi du 25 janvier 1985 avait pourtant supprimée, v. M. Cabrillac, L'impertinente réapparition d'un condamné à mort ou la métempsychose de la masse des créanciers, in Mélanges Gavalda, Dalloz, 2001, p. 69.
(7) Cass. com., 23 mai 1995, n° 93-10.439, publié (N° Lexbase : A8218ABY), Bull. civ. IV, n° 153, Gaz. Pal., 1996, pan. 59 ; Cass. com., 3 décembre 2003, n° 01-02.177, F-D (N° Lexbase : A3562DA8) ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 2 juillet 2004, n° 2002/22190 (N° Lexbase : A2814DDL). L'inopposabilité du droit de propriété autorise identiquement le liquidateur à faire procéder à la destruction de biens non revendiqués dans les délais légaux : Cass. com., 3 décembre 2003, préc. ; Act. proc. coll., 2004/3, n° 30.
(8) Cass. com., 28 juin 1994, n° 92-17.311, inédit (N° Lexbase : A6682C4A).
(9) Cass. com., 4 janvier 2000, n° 96-19.511, inédit (N° Lexbase : A7857BSS), Act. proc. coll., 2000/4, n° 40, D., 2000, jur. 533, nos obs., RJ com., 2000, p. 266, n° 1561, note C. Dumesnil-Rossi et L. Santana, RTDCom., 2002, 159, n° 9, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 24 mars 2004, n° 02-18.048, FS-P+B sur le 1er moyen (N° Lexbase : A6332DB7), Bull. civ. IV, n° 61, D., 2004, AJ 1084, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2004/8, n° 105, obs. C. Régnaut-Moutier, JCP éd. E, 2004, chron. 1292, p. 1384, n° 2, obs. M. Cabrillac, Rev. proc. coll., 2004, p. 378, n° 1, obs. M.-H. Monsérié-Bon, nos obs. Les conséquences de l'inopposabilité du droit de propriété résultant de l'absence de revendication du propriétaire, Lexbase Hebdo n° 121 du 20 mai 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N1628ABW) ; Cass. com., 30 octobre 2007, n° 06-18.328, F-D (N° Lexbase : A2370DZS), Gaz. proc. coll., 2008/1, p. 67, note F. Pérochon, Rev. proc. coll., 2008/4, p. 44, n° 150, note M.-H. Monsérié-Bon.
(10) Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-17.009, inédit (N° Lexbase : A8095AHB), Rev. proc. coll., 1995, 482, n° 21, obs. B. Soinne ; Cass. com., 20 mai 1997, n° 94-16.733, inédit (N° Lexbase : A3888A77), D. Affaires, 1997, 860.
(11) Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-20.252, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A4796DNX), Bull. civ. IV, n° 60, D., 2006, AJ 856, obs. A. Lienhard, D., 2006, pan. 2252, obs. F.-X. Lucas, JCP éd. E, 2006, chron. 2331, p. 1530, n° 1, obs. Ph. Pétel, Act. proc. coll., 2006/8, n° 95, note C. Régnaut-Moutier, Dr. sociétés, 2006, n° 88, obs. J.-P. Legros, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 256, n° 7, obs. Ph. Roussel Galle, nos obs. in Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mars/avril 2006 (1ère partie) Lexbase Hebdo n° 212 du 27 avril 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N7539AKG) ; Cass. com. 30 mai 2006, n° 05-12.311, F-D (N° Lexbase : A7578DPD), Gaz. proc. coll., 2006/4, p. 37, note Th. Montéran, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 256, n° 7, obs. Ph. Roussel Galle.
(12) Cass. com., 30 janvier 2007, n° 05-17.125, F-D (N° Lexbase : A7809DTE) et nos obs. in La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 249 du 19 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0608BAR).
(13) V. ainsi, CA Dijon, ch. civ., sect. B, 17 mars 2009, n° 08/01219 (N° Lexbase : A8201GYE) ; Rev. proc. coll., juillet/août 2009, étude 97, p. 56, note A. Martin-Serf.
(14) CA Orléans, ch. éco. et fin., 24 septembre 2009, n° 08/03420 (N° Lexbase : A3145GKP), Rev. proc. coll., 2011, comm. 17, note A. Martin-Serf.
(15) CA Orléans, ch. com., 23 mars 2006, n° 05/00620, D., 2006, AJ 1600, obs. A. Lienhard, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 257, n° 9, obs. Ph. Roussel Galle, Rev. proc. coll., 2007/2, p. 82, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; CA Orléans, ch. éco. et fin. 29 juin 2006, n° 05/2969, Rev. proc. coll., 2007/2, p. 89, n° 7, obs. A. Barret ; CA Versailles, 7 décembre 2006, n° 05/02872, Gaz. proc. coll., 2007/1, p. 50, note Th. Montéran ; CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 31 mai 2007, n° 06/01787 (N° Lexbase : A9336DZS), JCP éd. E, 15 novembre 2007, 2402, p. 42.
(16) CA Orléans, ch. com., 23 mars 2006, n° 05/00620, préc. et les obs préc. ; CA Versailles, 7 décembre 2006, n° 05/2872, préc., RJDA, 2007/12, p. 1245, n° 1268.
(17) V. ainsi, CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 31 mai 2007, n° 06/01787, préc., Dr sociétés, 2008/1, p. 22, n° 9, note J.-P. Legros, Act. proc. coll. 2008/15, n° 237 ; CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 26 mars 2008, n° 07/00393 (N° Lexbase : A0647G9T), Rev. proc. coll., 2008/4, p. 54, n° 163, note A. Martin-Serf.
(18) V. ainsi, CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 31 mai 2007, n° 06/01787, préc. et les obs. préc. ; CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 26 mars 2008, n° 07/00393, préc. et les obs. préc..
(19) BICC du 1er avril 2006, p. 3.
(20) Sur cette problématique, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 5ème éd., 2010/2011, n° 073.35.
(21) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 avril 2009, n° 08/13421 (N° Lexbase : A1762EGD) ; Dr. sociétés, 2010/2, comm. 33, p. 33, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll., 2011, comm. 17, note A. Martin-Serf.

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