La lettre juridique n°711 du 14 septembre 2017 : Collectivités territoriales

[Jurisprudence] Les modalités d'encadrement du recours à une procédure de consultation du public par une collectivité locale - conclusions du Rapporteur public (première partie)

Réf. : CE Ass., 19 juillet 2017, n° 403928,403948, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2077WNA)

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N0027BXB

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par Vincent Daumas, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 14 Septembre 2017

Dans un arrêt rendu le 19 juillet 2017, la Haute juridiction administrative précise les modalités d'encadrement du recours à une procédure de consultation du public par une collectivité locale et plus précisément par un conseil général : elle rappelle le nécessaire respect des principes d'égalité et d'impartialité, dont il découle que la consultation doit être sincère. La régularité de la consultation implique également que la définition du périmètre du public consulté soit pertinente au regard de son objet, Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Vincent Daumas (voir la seconde partie N° Lexbase : N0028BXC). La loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015, relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (N° Lexbase : L5611I7X), a réduit à douze le nombre de régions en France continentale, par regroupement de certaines d'entre elles. L'article 2 de la loi avait prévu, à titre transitoire, que les nouvelles régions seraient dénommées par juxtaposition des noms des régions regroupées (1). Quant aux noms définitifs des nouvelles régions, ils devaient être fixés, toujours aux termes de l'article 2 de la loi, par décret en Conseil d'Etat, pris après avis du conseil régional de la nouvelle région concernée (2). Ce même article 2 a par ailleurs modifié les dispositions figurant à l'article L. 4121-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7978I7M) pour prévoir qu'à l'avenir, la modification du nom d'une région ne requerrait plus l'intervention du législateur mais se ferait par décret en Conseil d'Etat -tout comme la modification du nom d'une commune ou d'un département-.

En application de l'article 2 de la loi du 16 janvier 2015, le conseil régional de la nouvelle région issue du regroupement des anciennes régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon s'est prononcé en faveur de la dénomination "région Occitanie". Et c'est effectivement le nom retenu par l'article 1er du décret n° 2016-1264 du 28 septembre 2016 (N° Lexbase : L3011LAR). Une première association et deux particuliers par une première requête, une seconde association par une seconde requête, vous demandent d'annuler cette disposition. La première association a été constituée pour défendre une autre dénomination que celle retenue par le décret qu'elle attaque : "Occitanie - Pays Catalan". La seconde association requérante défend, plus largement, un objectif d'autodétermination des populations catalanes vivant au nord de la frontière franco-espagnole.

Disons immédiatement que ces deux requêtes sont recevables et que la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'Intérieur à l'encontre de la seconde, tirée d'une insuffisante motivation, n'est pas fondée. Disons aussi que de nombreux intervenants viennent à l'appui de la première : le département des Pyrénées-Orientales, la quasi-totalité des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre du département, un syndicat mixte, ainsi que le syndicat intercommunal pour la promotion des langues occitane et catalane. En guise de motivation, les intervenants se bornent à déclarer qu'ils s'approprient tous les moyens présentés par l'association requérante ; c'est suffisant, toutefois, pour que leurs interventions soient regardées comme motivées (5) et donc, à cet égard, recevables (6). Par ailleurs, ils nous paraissent tous disposer d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande d'annulation du décret. Vous pourrez admettre ces interventions.

1. Les moyens critiquant le choix du nom "Occitanie", tous soulevés à l'appui de la première requête, ne sont pas les plus difficiles.

1.1. Certains ne sont pas sérieux, voire non assortis des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé.

Ainsi de l'invocation d'une méconnaissance, par le choix du nom "Occitanie", de "l'unité linguistique de la République". Contrairement à ce que la requête paraît suggérer, il n'existe pas, dans le bloc de constitutionnalité, une telle règle ou un tel principe. Aux termes de l'article 2 de la Constitution (N° Lexbase : L0828AH7), certes, la langue de la République est le français. Mais le choix du nom incriminé ne porte en rien atteinte à ce principe. Au demeurant, l'invocation de "l'unité linguistique de la République" se distingue mal, dans la requête, du moyen selon lequel le décret attaqué porterait atteinte à l'indivisibilité de la République.

L'existence du principe constitutionnel d'indivisibilité de la République ne fait quant à elle aucun doute (7). Mais son invocation est selon nous inopérante à l'appui d'un recours contre un décret nommant une région. Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (8) que l'indivisibilité de la République est un principe d'organisation institutionnelle impliquant une forme unitaire de l'Etat et de l'exercice de la fonction législative. Or aucun nom de région, quel qu'il soit, ne peut avoir pour effet, par lui-même, de modifier l'équilibre des institutions. Le Conseil constitutionnel a par exemple jugé, en ce sens, que la dénomination "pays d'outre-mer", dès lors qu'elle n'emporte aucun effet de droit, n'est pas contraire à la Constitution (décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004 N° Lexbase : A8653DQK, cons. 13).

Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité n'est pas davantage sérieux. Il confine lui aussi à l'inopérance puisque le décret attaqué traite de la même manière tous les habitants de la région. On comprend, bien sûr, la logique de la requête : à partir du moment où le décret fait le choix d'une dénomination dont la connotation est moins géographique ou même historique que linguistique et culturelle, il aurait dû retenir un nom faisant référence, à la fois, à l'ensemble occitan et à l'ensemble catalan. Mais cette argumentation rejoint la critique de l'appréciation portée sur les faits par l'auteur du décret. Elle ne nous paraît pas revêtir une portée utile sur le terrain du principe d'égalité.

1.2. L'argumentation présentée sous la double bannière de l'erreur de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation donne davantage matière à discussion.

Les requérants critiquent le choix d'un nom qui, selon eux, n'aurait aucun lien avec une réalité historique ou géographique, en méconnaissance de ce qu'ils identifient comme une règle gouvernant la dénomination des régions.

Sous l'angle de l'erreur de droit, la critique ne peut être accueillie car la règle dont se prévalent les requérants n'existe pas. S'il est vrai que les noms de régions ont, jusqu'à présent, principalement fait référence à des entités géographiques ou à des provinces historiques, il ne s'en déduit pas l'existence d'une règle -il est même difficile d'y voir, tant la collectivité territoriale régionale est de création récente, une habitude-. Au demeurant, comme le fait remarquer la région en défense, le nom "Occitanie" n'est pas dépourvu de racines historiques : les Etats généraux du Languedoc, sous l'ancien régime, se réunissaient sous l'appellation -latine- Comitia Occitaniae.

Reste l'erreur manifeste d'appréciation invoquée par les requérants.

Vous confirmerez d'abord, ce que vous n'avez jamais eu l'occasion de juger, que le contrôle du juge de l'excès de pouvoir sur l'appréciation portée par l'autorité compétente pour nommer une région se limite bel et bien à l'erreur manifeste. Cette appréciation n'est guidée par aucune règle expresse, pas davantage que celle que porte l'autorité administrative lorsqu'elle nomme une commune, sur laquelle vous n'exercez qu'un contrôle restreint (voyez CE Sect., 22 avril 1955, n° 21262 N° Lexbase : A8990ALK, Rec., p. 203 ; CE 20 janvier 1988, n° 62900 N° Lexbase : A7534APQ, au Recueil).

Eu égard à ce contrôle restreint, nous ne croyons pas possible de censurer le choix fait par le décret attaqué. Certes, comme le font valoir les requérants, l'aire linguistique et culturelle occitane est loin de correspondre exactement aux limites administratives de la région : d'autres contrées marquées par la langue et la culture d'oc s'étendent au-delà de ces limites, principalement dans les régions Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur ; et à l'inverse, la quasi-totalité du territoire correspondant au département des Pyrénées-Orientales, inclus dans la nouvelle région, est marquée par la langue et la culture catalane, et non par l'occitan. Il n'en reste pas moins que la plus grande partie du territoire de la nouvelle région est incluse dans ce qui correspond, historiquement, au coeur de l'aire linguistique et culturelle occitane. Et ce constat suffit, à notre sens, pour considérer que l'appellation "Occitanie" retenue par le décret attaqué n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation manifeste.

Bien sûr, en opportunité, il est permis d'estimer, avec les requérants, qu'un nom plus neutre, faisant exclusivement référence à la géographie, eût été préférable ; ou que, le parti ayant été pris d'y refléter la marque imprimée par une langue et une culture régionale, il aurait été bon de faire une place à l'autre ensemble linguistique et culturel régional présent dans le ressort de la nouvelle collectivité territoriale. Mais ce débat, tout à fait légitime, ne nous paraît pas avoir sa place devant le juge.

2. Ce qui fait l'essentiel de l'intérêt de l'affaire, et ce qui justifie son examen par votre assemblée, ce sont les moyens critiquant les conditions dans lesquelles est intervenu le choix du nom "Occitanie".

Pour en apprécier la portée, quelques mots tout d'abord des circonstances dans lesquelles le conseil régional de la nouvelle région s'est prononcé en faveur de ce nom.

En vue de rendre sur ce point l'avis prévu par l'article 2 de la loi du 16 janvier 2015, le conseil régional a, par une délibération de sa commission permanente du 11 mars 2016, décidé d'adopter un calendrier et une méthode générale du "processus de détermination du nom" de la région, comportant une "phase institutionnelle" et une "phase citoyenne". Il s'est agi, dans un premier temps, de recueillir l'avis de divers institutions et organismes régionaux, notamment celui du conseil économique, social et environnemental régional, et de constituer un "comité du nom de la région", composé de diverses personnalités locales et chargé d'assister le conseil régional dans sa réflexion. Par une résolution du 4 avril 2016, ce comité a transmis au conseil régional une liste de huit propositions et il a recommandé l'organisation d'une consultation ouverte "au plus grand nombre" sur ces propositions, afin "d'éclairer la collectivité régionale" "aux côtés des avis exprimés dans le cadre de la consultation institutionnelle".

Par une délibération du 15 avril 2016, le conseil régional a clôturé la phase institutionnelle du processus et décidé de soumettre à une consultation publique, ouverte à toutes les personnes âgées de plus de quinze ans habitant la région ou déclarant y avoir leurs attaches, une liste de cinq propositions de nom issues des huit propositions transmises par le "comité du nom de la région". Ces propositions étaient les suivantes : "Occitanie", "Languedoc-Pyrénées", "Pyrénées-Méditerranée", "Occitanie-Pays Catalan" et "Languedoc". Dans le cadre de cette consultation, les personnes intéressées ont pu, du 9 mai au 10 juin 2016, faire connaître leur ordre de préférence entre les cinq noms proposés, soit en se connectant sur le site internet de la région, soit en renvoyant à ses services un formulaire papier. Les résultats de la consultation ont été publiés sur le site internet de la région. Le nom "Occitanie" a été placé au premier rang par 44,90 % des avis exprimés, très nettement devant le nom "Languedoc-Pyrénées", arrivé en deuxième position des propositions placées au premier rang.

C'est au vu du déroulement de l'ensemble de ce processus, et notamment des résultats de la consultation publique organisée, que le conseil régional s'est prononcé, par une délibération du 24 juin 2016, en faveur de la dénomination "région Occitanie".

Les moyens soulevés par les requérants autres que ceux déjà examinés tournent tous, d'une manière ou d'une autre, autour de la consultation publique organisée à l'initiative du conseil régional -que celui-ci n'a pu s'empêcher d'affubler de l'épithète "citoyenne"-. Résumons-les très brièvement : les requérants reprochent d'abord au Premier ministre, informé des résultats de la consultation, d'avoir abdiqué son pouvoir d'appréciation et ainsi méconnu l'étendue de sa compétence en s'en remettant entièrement à l'avis du conseil régional ; ils soulèvent ensuite un moyen tiré de ce que l'avis du conseil régional est entaché d'irrégularité, cette assemblée ayant selon eux commis la même erreur au vu des résultats de la consultation ; ils soutiennent enfin que la procédure de consultation du public organisée en amont de l'avis rendu par le conseil régional est irrégulière à plusieurs titres.

Ces différentes critiques, et tout particulièrement la dernière d'entre elles, posent la question du cadre juridique dans lequel s'inscrivent les différentes formes de consultation du public, lorsqu'elles interviennent à titre facultatif, en dehors des hypothèses prévues par des dispositions législatives ou réglementaires particulières. Elles invitent également à se pencher sur l'office du juge administratif lorsqu'il est saisi, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte pris à la suite d'une telle consultation, de moyens tirés de ce que cette consultation est irrégulière.

2.1. Avant d'explorer ces questions, il faut se faire une idée des pratiques auxquelles correspond le recours, à titre facultatif, à la consultation du public.

Ces pratiques, bien qu'elles ne soient pas nouvelles, suscitent un intérêt croissant. L'assemblée générale du Conseil d'Etat s'est penchée de manière approfondie sur le sujet à l'occasion de l'adoption du rapport annuel 2011, en adoptant l'étude intitulée "Consulter autrement, participer effectivement". Le conseil d'orientation de l'édition publique et de l'information administrative a adopté tout récemment, en novembre dernier, un document consacré aux consultations ouvertes sur internet organisées par les administrations. Enfin une mission d'information du Sénat a déposé, il y moins de deux mois, un rapport dont l'objet est plus large (9) mais qui consacre d'importants développements à la problématique de l'association du public aux décisions des autorités administratives. Les données dont font état ces différents rapports, complétées par les recherches effectuées par votre troisième chambre, reflètent une réalité bouillonnante, contrastée et évolutive.

Une réalité bouillonnante, d'abord : le recours à la consultation du public est de plus en plus fréquent. Le constat se vérifie quelle que soit l'administration concernée. C'est vrai de l'Etat, y compris dans l'exercice de la fonction législative. Le projet de loi pour une République numérique, devenu la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 (N° Lexbase : L4795LAT), a par exemple donné lieu à une consultation de grande ampleur sur internet, mobilisant plus de 20 000 contributeurs, qui ont voté près de 150 000 fois et déposé plus de 8 500 arguments. C'est vrai aussi, bien sûr, des collectivités territoriales. Il est ainsi frappant de constater que parmi les nouvelles régions dont l'organe délibérant devait, en application de l'article 2 de la loi du 16 janvier 2015, émettre un avis sur leur dénomination, toutes ont eu recours à des procédures préalables de consultation du public. Certaines pratiques de consultation acquièrent en outre un caractère permanent, à l'image des "budgets participatifs" mis en place par certaines collectivités territoriales, qui permettent aux habitants de proposer ou de commenter des projets et parfois de les soutenir en votant en leur faveur -une trentaine de communes sont dotées de telles procédures, articulées avec leur calendrier budgétaire, dont plusieurs agglomérations importantes comme Paris, Rennes, Grenoble, Dijon et Metz-. Ce bouillonnement s'explique facilement : consultation et participation du public apparaissent, à tort ou à raison, et non sans ambiguïtés, comme de possibles remèdes à la crise de la démocratie représentative et plus globalement de l'action publique.

Une réalité contrastée, ensuite : la consultation du public recouvre des enjeux et revêt des formes très diverses. Les enjeux peuvent être extrêmement variés, aussi bien au regard du sujet de la consultation que de sa proximité avec la décision. Les sujets sont aussi diversifiés que les domaines d'action de l'administration, et vont du plus anodin -par exemple les horaires d'ouverture qui arrangent le mieux les usagers de la crèche municipale- au plus sensible -on pense à la consultation organisée sur le projet de transfert, sur la commune de Notre-Dame-des-Landes, de l'aéroport de Nantes-Atlantique-. Mais l'enjeu dépend aussi de la plus ou moins grande proximité de la consultation par rapport à la décision : très en amont de toute décision, certaines consultations se bornent à recueillir le sentiment du public sur l'action de l'administration ; d'autres, à l'opposé, sont organisées en vue d'éclairer une décision particulière. Les formes de la consultation sont également variées, aussi bien au regard des moyens utilisés que de la nature de l'avis sollicité. Parmi les moyens utilisés pour recueillir l'avis du public, internet et les technologies qui l'accompagnent côtoient d'autres instruments plus classiques que sont, notamment, l'enquête publique au moyen d'un registre et d'un rapport, les panels de citoyens, les réunions publiques ou la consultation des électeurs par l'organisation d'un scrutin. Quant à la nature de l'avis sollicité, il est souvent davantage qualitatif que quantitatif : il s'agit de recueillir des observations, des idées, voire des propositions, et plus rarement de compter les avis favorables ou défavorables à un projet. Les deux aspects, qualitatif et quantitatif, peuvent au demeurant être présents simultanément lorsque les personnes consultées sont en mesure aussi bien d'émettre une suggestion que d'appuyer celle proposée par un autre participant à la consultation -ce que permettent les technologies d'internet-.

Une réalité évolutive, enfin : l'usage privilégié d'internet pour consulter le public suscite l'innovation. Cet usage d'internet a été rendu possible par ce que l'on a appelé le "Web 2.0", c'est-à-dire, au risque de simplifier à l'excès, l'évolution d'internet vers davantage d'interactivité, grâce au déploiement de technologies permettant aux usagers du réseau non seulement de recevoir, mais aussi de produire, partager et exploiter des données. Les consultations du public sur internet font ainsi souvent appel à des prestataires privés qui mettent à la disposition des administrations des services inspirés des réseaux sociaux ou des outils de travail collaboratif développés sur internet. Et en retour, les exigences de fiabilité et de sécurité formulées par les administrations qui recourent à ce type de consultation incitent ces prestataires privés à élaborer de nouveaux moyens techniques permettant de vérifier l'authenticité des avis émis et de sauvegarder l'intégrité des données recueillies. C'est ainsi un véritable "marché de la consultation" qui est en train d'émerger. Il est sans doute trop tôt pour prédire son avenir. Mais il n'est pas invraisemblable qu'au regard de l'intérêt général qui s'attache à l'utilisation, par l'administration, de services propres à garantir le déroulement dans de bonnes conditions des consultations qu'elles organisent, des formes de certification finissent par être mises en place.

2.2. Ce rapide tour d'horizon achevé, il est temps de se pencher sur le cadre juridique applicable aux consultations du public organisées à titre facultatif.

Ces consultations sont, en toute première analyse, parfaitement légales. Vous jugez depuis fort longtemps qu'en principe, une autorité administrative est libre de recueillir, avant de prendre sa décision, tous les éléments d'information qui lui paraissent utiles, et notamment de solliciter des avis, à la condition toutefois de ne pas s'estimer liée par ces avis (CE, 19 février 1904 n° 7497, au Recueil, p. 132, avec résumé des conclusions Romieu ; CE Sect., 27 avril 1956, n° 77398, au Recueil, p. 171 ; CE, 6 mars 1957, n° 94675, au Recueil, p. 147 ; CE Sect., 3 juillet 1981, n° 16496 N° Lexbase : A6253AKS, au Recueil, p. 295 ; plus récemment CE, 18 juin 2014, n° 369377 N° Lexbase : A6272MRQ, aux tables du Recueil, point 7). On tire ainsi, de votre jurisprudence ancienne et constante, une première condition de légalité qui vient encadrer le recours à une procédure de consultation du public : ce recours ne doit pas s'accompagner d'une abdication par l'administration de sa compétence. A la différence d'un référendum, dont la portée est décisionnelle, la consultation du public, quelle qu'en soit la forme, ne dessaisit pas l'administration, qui ne peut renoncer à son pouvoir d'appréciation et de décision (10).

A cette prohibition de l'incompétence négative s'ajoute, il est bon de le rappeler, la prohibition de toute incompétence positive. L'autorité administrative qui organise une consultation du public ne peut légalement le faire que lorsque l'objet de cette consultation ressortit à son champ de compétence. Une région ne pourrait ainsi organiser une consultation portant sur le nom d'une région voisine. Un département ne pourrait organiser une consultation sur les orientations souhaitables en matière de développement économique de son territoire -compétence qui n'appartient qu'à la région-. Une commune ne pourrait organiser une consultation sur la politique migratoire, qui relève de l'Etat. En revanche, n'encourt aucune critique d'incompétence l'autorité administrative qui organise une consultation du public sur un sujet à propos duquel, sans être compétente pour prendre aucune décision, elle est invitée à exprimer un avis. Cette solution vaudrait aussi bien, selon nous, lorsque le recueil de cet avis est prévu par un texte (11) que lorsqu'il est sollicité, à titre facultatif, par l'autorité administrative compétente pour prendre une décision.

Comme pour toute autre procédure suivie à titre facultatif, il faut encore que la consultation du public soit, au vu des règles de procédure applicables, possible dans son principe, à défaut d'être légalement requise. Il est en effet des hypothèses dans lesquelles les textes régissent étroitement la procédure préalable à l'édiction d'un acte administratif, à telle enseigne que l'ajout d'un élément de procédure non prévu par ces textes est susceptible de se traduire par un contournement, un affaiblissement ou un gauchissement de ceux qu'ils imposent. Vous aurez reconnu le courant jurisprudentiel illustré, notamment, par la décision de section SARL "Chocolat de régime Dardenne" du 8 janvier 1982 (CE, n° 17270 N° Lexbase : A8223AKR, au Recueil, p. 1 ; voir dans le même sens CE Sect., 26 janvier 1951, n° 88059, au Recueil, p. 43 ; CE, 7 février 1968, n° 65771 et 65797, aux tables du Recueil pp. 827-1021 ; CE, 19 mai 1993, n° 86743 N° Lexbase : A9619AM9, au Recueil ; plus récemment CE 18 juin 2014, n° 369377, préc.). Les autorités administratives doivent donc faire montre de prudence lorsqu'elles sont amenées à prendre des actes selon des modalités procédurales précisément prévues par les textes applicables, et d'autant plus que celles-ci incluent une forme de consultation du public (12). Prétendre, dans une telle hypothèse, y ajouter une autre forme de consultation du public aurait toutes les chances de se heurter à la jurisprudence précitée.

Enfin, et toujours suivant votre jurisprudence la plus classique, lorsque l'autorité administrative décide, sans y être légalement tenue, de recueillir un avis destiné à l'éclairer, elle doit procéder au recueil de cet avis dans des conditions régulières (CE Sect., 14 novembre 1969, n° 72330 N° Lexbase : A0326B8L, au Recueil, p. 499 ; CE Sect., 15 mars 1974, n° 85703 N° Lexbase : A0538B8G, au Recueil, p. 188 ; pour une illustration récente, CE, 4 juin 2012, n° 351976 N° Lexbase : A4053ING, aux tables du Recueil). Les conditions de régularité de cette consultation sont faciles à déterminer lorsque l'autorité administrative décide de recourir à une procédure qui, même si elle ne s'impose pas à elle, est définie par les textes (13) : il lui revient alors de respecter ces textes. Lorsqu'au contraire -et c'est l'hypothèse qui nous intéresse- l'autorité administrative organise une procédure de consultation sui generis, non prévue par les textes, cela ne signifie pas qu'elle peut agir à sa guise, de manière arbitraire. Elle reste soumise aux principes généraux qui régissent l'action administrative -nous pensons notamment aux principes d'égalité et d'impartialité, rappelés par les dispositions de l'article L. 100-2 du Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : L1765KNP)-. Elle doit également respecter les modalités de la procédure qu'elle a elle-même arrêtée -voyez en ce sens votre décision du CE, 10 octobre 1994, n° 108691 N° Lexbase : A2946ASW, aux tables du Recueil)-. Et elle doit, évidemment, ne pas détourner la procédure de consultation de son objet : alors même qu'elle serait organisée compétemment et légale dans son principe, une autorité administrative qui utiliserait une consultation du public non pour être éclairée sur un sujet mais dans un autre but -par exemple afin d'influencer, grâce aux résultats de la consultation, une décision relevant d'un tiers- entacherait cette consultation d'illégalité par détournement de pouvoir.

En outre, lorsqu'une autorité administrative décide, en dehors des cas régis par des dispositions législatives ou réglementaires particulières, d'associer le public à la conception d'une réforme ou à l'élaboration d'un projet ou d'un acte, elle se trouve soumise à une série d'obligations prévues par les dispositions de l'article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l'administration, issues de l'ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015, relative aux dispositions législatives de ce code (N° Lexbase : L0347KN8) (14). Ces dispositions constituent l'ensemble du chapitre Ier ("Principes généraux") du titre III ("L'association du public aux décisions prises par l'administration") du livre Ier ("Les échanges avec l'administration") du Code des relations entre le public et l'administration. Il s'agit de dispositions nouvelles, entrées en vigueur au 1er janvier 2016 (15), dont les autorités administratives et les requérants n'ont sans doute pas encore totalement pris la mesure -relevons que, dans le présent litige, aucune des parties n'en fait mention. Leur genèse mérite d'être rappelée : il ressort du rapport au Président de la République sur le projet d'ordonnance que les principes directeurs qu'elles énoncent traduisent la prise en compte de recommandations émises par le Conseil d'Etat dans le rapport public annuel pour 2011 que nous évoquions tout à l'heure. Ces principes directeurs sont les suivants : il incombe à l'autorité administrative qui organise la procédure d'en rendre publiques les modalités, de mettre à la disposition des personnes concernées les informations utiles, de leur assurer un délai raisonnable pour participer et de veiller à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics.

Au-delà de ces principes généraux énoncés par l'article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l'administration, au-delà des règles déjà explicitées par votre jurisprudence en matière de procédures non obligatoires, nous croyons également que toute procédure de consultation du public, même suivie à titre facultatif, est soumise à une exigence de sincérité.

Il vous est déjà arrivé à plusieurs reprises, presque par inadvertance, et très naturellement, de faire mention de cette idée de sincérité de la consultation dans vos décisions. Voyez par exemple, à propos de la consultation d'organes délibérants de collectivités territoriales, préalablement à la décision de création d'un parc national, CE Ass., 29 juin 1973, n° 81768 N° Lexbase : A9825B8E, au Recueil p. 447 : vous y vérifiez qu'aucune manoeuvre n'a été commise qui serait de nature à "vicier la sincérité de [la] consultation". Voyez aussi, à propos d'une procédure de concertation organisée en application du Code de l'environnement, CE, 28 mars 2011, n° 330256 N° Lexbase : A3739HMG, aux tables du Recueil, p. 967 sur un autre point : vous y vérifiez l'absence "d'irrégularités entachant la sincérité de la consultation du public". Voyez encore, à propos de l'avis du comité d'entreprise sollicité sur le projet de licenciement de l'un de ses membres, CE, 1er février 1995, n° 136334 N° Lexbase : A2564ANB, inédite au Recueil : vous y censurez une décision d'autorisation de licenciement au motif que le comité d'établissement "ne s'est pas prononcé dans des conditions de nature à assurer la sincérité de sa consultation". La circonstance que ces décisions aient été rendues dans des hypothèses de consultations organisées à titre obligatoire est à nos yeux sans incidence et nous croyons l'exigence de sincérité de la consultation tout aussi valide lorsque cette dernière est organisée à titre facultatif. Car l'exigence dont il s'agit se déduit de l'objet même de toute consultation, qui est, comme le rappelle votre jurisprudence, d'"éclairer" l'administration, ainsi que des principes d'égalité et d'impartialité qui s'imposent, en toute hypothèse, à son action. Le respect de cet objet et de ces principes implique, à notre sens, que la consultation du public soit organisée afin de parvenir à un résultat de nature à éclairer l'autorité administrative, sans qu'une partie du public consulté, voire des personnes extérieures à celui-ci, puissent avoir la possibilité de biaiser ce résultat, ni que l'autorité administrative puisse elle-même l'influencer dans un sens conforme à ses attentes.

Ces implications de l'exigence de sincérité vont loin.

Sans prétendre à l'exhaustivité, il nous semble s'en déduire, tout d'abord, que l'autorité administrative qui organise la consultation doit retenir une définition du public consulté qui soit en rapport avec l'objet de la consultation et de nature, au regard de cet objet, à lui permettre de recueillir un avis utile. Pourrait ainsi, à nos yeux, être regardée comme insincère une procédure pour laquelle le public consulté a été défini de telle sorte que son résultat est à coup sûr déjà acquis, par exemple parce qu'il ne peut, compte tenu de cette définition, qu'être favorable ou défavorable au projet qui lui est soumis.

De l'exigence de sincérité de la consultation découle encore la nécessité, pour l'autorité administrative qui l'organise, de se doter des moyens propres à empêcher que son résultat soit vicié, notamment par des avis à répétition ou par des avis émis par des personnes extérieures au public qu'elle a choisi de consulter. Il faut toutefois se garder, sur ce point, de faire peser des obligations disproportionnées sur l'administration. Le risque serait de mettre un coup d'arrêt au développement des procédures de consultation : non seulement parce que la sécurisation de ces procédures a toujours un coût pour l'administration ; mais aussi parce que cette sécurisation se traduit, en général, par davantage de contraintes pour le public consulté, en termes par exemple de renseignements à fournir, de sorte qu'un surcroît de précautions tend à décourager sa participation. C'est pourquoi -ce point est important à nos yeux- les moyens mobilisés par l'administration pour assurer la sincérité de la consultation doivent être adaptés en fonction de l'objet de cette consultation et de la délimitation du public consulté. Le critère de l'objet de la consultation permet, entre autres, de faire le départ entre les consultations purement qualitatives et celles qui revêtent une dimension quantitative : dans le cas des premières, qui tendent seulement à recueillir des idées ou des propositions, il importe assez peu qu'une même personne puisse réitérer la même contribution un très grand nombre de fois -car seule compte, au final, la pertinence de cette contribution- ; inversement, dans le cas des secondes, il est au contraire nécessaire de faire échec à des pratiques de "vote multiple" qui pourraient en fausser les résultats. Quant au critère de la délimitation du public consulté, il permet de prendre en compte la plus ou moins grande précision que l'autorité organisatrice a choisi de donner au périmètre de la consultation. Il s'agit, en recourant à ces deux critères, d'assurer une exacte adaptation des moyens de contrôle déployés par l'autorité qui organise la consultation aux enjeux de cette dernière.


(1) A l'exception de la région issue de la Haute-Normandie et de la Basse-Normandie, pour laquelle le nouveau nom a paru s'imposer...
(2) Vous avez refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité présentée, dans le cadre du présent contentieux, à l'encontre de cette disposition (CE, 13 décembre 2016, n° 403928 N° Lexbase : A2077WNA, inédite au Recueil).
(3) CGCT, art. L. 2111-1 (N° Lexbase : L6943I7B).
(4) CGCT, art. L. 3111-1 (N° Lexbase : L6936I7Z).
(5) Voir par exemple CE, 7 avril 2004, n° 250187 (N° Lexbase : A9799DBK), aux tables du Recueil sur un autre point.
(6) CE Sect., 12 juin 1981, n° 13173, 13175 (N° Lexbase : A4822AKS), au Recueil, p. 256.
(7) Voir en ce sens Cons const., décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976 (N° Lexbase : A7922ACE), cons. 5.
(8) Voir notamment Cons const., décisions n°s 84-177 DC du 30 août 1984 (N° Lexbase : A8094ACR), cons. 6-7 ; 93-329 DC du 13 janvier 1994 (N° Lexbase : A8296ACA), cons. 21 ; 99-412 DC du 15 juin 1999 (N° Lexbase : A8771ACT), cons. 6 et 10 ; 2014-407 QPC du 18 juillet 2014 (N° Lexbase : A5089MUZ), cons. 17-20.
(9) Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017, rapport enregistré à la présidence du Sénat le 17 mai 2017.
(10) Ce rappel dissipe une des ambiguïtés qui, très souvent, accompagnent le recours aux mécanismes de consultation du public : ils ne sont pas la manifestation d'une forme de démocratie directe.
(11) C'est l'hypothèse de la présente affaire.
(12) On pense au premier chef aux procédures préalables aux décisions administratives ayant une incidence sur l'environnement, qui mettent en oeuvre le principe constitutionnel et conventionnel de participation du public à l'élaboration de ces décisions (Charte de l'environnement, art. 7 ; Convention d'Aarhus du 25 juin 1998, sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement).
(13) Par exemple lorsqu'elle consulte sans y être tenue une commission administrative dont l'existence, la composition et les modalités de fonctionnement sont prévues par les textes.
(14) Ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015, relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l'administration.
(15) Voir l'article 10 de l'ordonnance.

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