La lettre juridique n°390 du 8 avril 2010 : Interprofessionnalité

[Questions à...] Notaire et avocat : deux professions concurrentes ou complémentaires ? - Questions à Véronique Furnal, avocate associée du cabinet Gatienne Brault et Associés et Bruno Casteran, notaire à Paris

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[Questions à...] Notaire et avocat : deux professions concurrentes ou complémentaires ? - Questions à Véronique Furnal, avocate associée du cabinet Gatienne Brault et Associés et Bruno Casteran, notaire à Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212617-questions-a-notaire-et-avocat-deux-professions-concurrentes-ou-complementaires-questions-a-b-veroniq
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Depuis bientôt deux ans, la presse généraliste et spécialisée se fait l'écho des querelles (souvent passionnées) entre les notaires et les avocats sur leur champ d'activité respectif, chacun redoutant l'assaut de l'autre. Pour preuve, la polémique autour de la création de l'acte d'avocat. Mais, la presse s'intéresse, semble-t-il, moins à l'entente qui existe aussi entre ceux qui très souvent, par la force des choses ou par choix, travaillent ensemble. Au point que certains membres de ces professions envisagent celles-ci comme complémentaires l'une de l'autre et non forcément comme concurrentes. Des partenariats se sont formés pour permettre d'offrir un service sur mesure et de qualité à la clientèle. Parallèlement, le Gouvernement, séduit par la proposition du rapport "Darrois" de renforcer l'interprofessionnalité, plutôt que la création d'une grande profession du droit, devrait offrir des moyens supplémentaires pour permettre aux professionnels du droit de travailler ensemble. Un exemple récent : le projet de loi présenté par Michèle Alliot-Marie au Conseil des ministres le 17 mars dernier (1) comporte des dispositions ouvrant aux professions juridiques réglementées la possibilité de créer ensemble des holdings détenant une participation au sein des sociétés d'exercice de deux ou plusieurs de ces professions. A contre-courant, Lexbase Hebdo - édition professions laisse de côté les "sujets qui fâchent" et explore, cette semaine, la complémentarité des professions d'avocat et de notaire, avec Véronique Furnal, avocate associée du cabinet Gatienne Brault & Associés et Bruno Casteran, notaire à Paris (75017).

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter rapidement vos structures d'exercice ?

Véronique Furnal : Créé en 2000, Gatienne Brault & Associés est un cabinet "de niche", spécialisé en M&A (fusion/acquisition) et fonds de private equity. Nous conseillons les entreprises et les groupes pour l'ensemble de leurs opérations de haut de bilan (acquisitions, cessions d'entreprises, créations de filiales communes, structuration de véhicules d'investissement, etc.) et nous intervenons, également, dans la mise en place de plan d'accès du management au capital (stock options, actions gratuites, bons de créateurs d'entreprise -BCE-, instruments alternatifs).

Bruno Casteran : L'étude, créée en 2009, est née du regroupement de professionnels qui partagent une vision commune de leur métier et des compétences complémentaires. Outre les prestations classiques du notariat, nous offrons une expertise pointue, d'une part, en matière d'immobilier institutionnel et d'entreprise et, d'autre part, en droit de la famille et ingénierie patrimoniale. Notre première année d'existence a été satisfaisante, malgré le contexte de crise financière, et notre activité continue de se développer.

Lexbase : Comment avez-vous été amenés à travailler ensemble ? Sur quels dossiers vos interventions sont-elles complémentaires ? Quels avantages vos structures et clientèles respectives en retirent-elles ?

Véronique Furnal et Bruno Casteran : Aujourd'hui, nous collaborons sur un dossier mêlant des aspects "corporate" et immobiliers. Notre relation est sereine et nous envisageons de renouveler l'expérience chaque fois que cela sera opportun. Nos champs d'intervention sont complémentaires. Nous associons, donc, nos expertises et organisons nos réseaux ou pôles de compétences, en fonction des besoins de notre clientèle.

Véronique Furnal : Prenons l'exemple des opérations de croissance organique et/ou externe et de restructuration d'entreprises : aux côtés des aspects corporate et M&A, il arrive souvent que se posent des problématiques sous-jacentes essentielles, notamment, en matière immobilière, patrimoniale et/ou de donation.

C'est le cas du dossier sur lequel nous venons de travailler ensemble. L'un de nos clients envisageait une opération de croissance externe d'envergure, portant sur l'acquisition combinée des "murs et fonds". Le montage consistait à créer une SCI qui deviendrait propriétaire de l'immeuble et serait logée au sein d'une structure ad hoc (société foncière, société de crédit bail, etc.). Cette opération nécessitant l'intervention d'un notaire, en particulier sur la partie "acquisition des murs", nous avons fait appel à Bruno Casteran.

Nous connaissions l'étude et l'équipe de Bruno Casteran pour avoir déjà travaillé sur d'autres dossiers. Outre la qualité de leurs prestations, nous apprécions particulièrement la modernité de leurs méthodes de travail et leur réactivité. Si notre expertise diffère, nous travaillons de la même façon et avec les mêmes outils. La situation n'est finalement pas si différente de celle où nous faisons intervenir certains de nos confrères dont l'activité est complémentaire de la nôtre (droit de la concurrence, droit social, fiscalité, etc.).

Bruno Casteran : Notre collaboration sur différents dossiers fonctionne bien, car le partage du travail est sain : il repose sur nos domaines d'expertise respectifs. Nous choisissons de raisonner par spécialités, ce qui exclut la compétitivité entre nous.

Nous tenons, néanmoins, compte des spécificités de nos professions ; en particulier, déontologiques.

Lexbase : Le projet de loi présenté par Michèle Alliot-Marie sur la réforme des professions juridiques et judiciaires et réglementées prévoit un rapprochement capitalistique des professionnels du droit. Qu'est-il permis, aujourd'hui, pour les structures d'exercice des avocats et celles des notaires ? Qu'est ce que le texte pourrait changer ?

Véronique Furnal et Bruno Casteran : La loi "Murcef" (loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier N° Lexbase : L0256AWE) a permis la constitution de sociétés holdings de professions libérales, les sociétés de participations financières de professions libérales (SPFL).

Aux termes de l'article 48-2 du décret n° 2004-852 (N° Lexbase : L8898H3X), des avocats appartenant ou non à un même barreau peuvent constituer une SPFL d'avocats, dans laquelle peuvent, également, être associées des personnes exerçant une profession judiciaire ou juridique soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. En ce compris les notaires.

L'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 (loi n° 90-1258, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales N° Lexbase : L3046AIN) précise, toutefois, que plus de la moitié du capital et des droits de vote doivent toujours être détenus par des personnes exerçant la profession d'avocat. En outre, les dirigeants de la structure et, le cas échéant, les deux tiers au moins des membres du conseil d'administration ou de surveillance doivent appartenir à la profession d'avocat.

Parallèlement, la loi du 11 décembre 2001 a autorisé les personnes morales SCP et SEL à exercer la profession d'avocat et à détenir plus de la moitié des actions ou des parts d'une autre SEL ou d'une SPFL.

Quant aux notaires, s'ils pouvaient créer des SPFL, le décret du 23 août 2004 (décret n° 2004-856, pris pour l'application à la profession de notaire du titre IV de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 N° Lexbase : L1594GT9) fermait le capital à toute personne qui n'était pas membre de cette profession (contrairement au dispositif applicable aux avocats), sauf :

- pendant un délai de dix ans pour les personnes physiques qui, ayant cessé toute activité professionnelle, ont exercé la profession ; et

- pour leurs ayants droit, pendant un délai de cinq ans.

Cette restriction a été récemment supprimée par le décret du 22 septembre 2009 (décret n° 2009-1142, autorisant l'ouverture du capital des sociétés de participations financières de professions libérales d'huissiers de justice, de commissaires-priseurs judiciaires et de notaires aux membres des professions judiciaires ou juridiques N° Lexbase : L7937IEP), qui autorise l'ouverture du capital des SPFL de notaires aux membres des professions judiciaires ou juridiques soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

De la même façon que pour les SPFL d'avocats, la majorité du capital et des droits de vote de la holding doivent toujours être détenus par des notaires.

L'article 21 du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées étend les cas de figure : de la diversité des actionnaires, on passe à la diversité de la structure. Le texte, s'il est voté, permettrait, en effet, aux personnes physiques ou morales exerçant plusieurs professions juridiques ou judiciaires réglementées de constituer des SPFL détenant des droits sociaux dans des sociétés dont l'objet est l'exercice de deux ou plusieurs des professions d'avocat, d'huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de notaire. Ces sociétés pourront, par ailleurs, participer à tout groupement de droit étranger ayant pour objet l'exercice d'une des professions précitées. Une limite est ici aussi prévue : plus de la moitié du capital et des droits de vote devrait être détenue par des professionnels en exercice au sein des structures dans lesquelles la SPFL détient une participation.

Autrement dit, les professionnels de toutes les familles du droit (notaires, avocats, etc.) pourraient exercer au sein d'une même structure, détenue par une holding dont ils seraient les associés majoritaires.

Lexbase : L'objectif du projet de loi est de renforcer la compétitivité des structures françaises face aux cabinets anglo-saxons. Pensez-vous que la mesure remplisse cet objectif ?

Véronique Furnal et Bruno Casteran : Les rapprochements capitalistiques entre les avocats et les autres professions juridiques réglementées étaient admis depuis 2004 au sein des holdings de cabinets d'avocats. Le décret du 22 septembre 2009 (précité) a continué cette ouverture en transposant le régime aux notaires, mais également, aux huissiers et commissaires-priseurs judiciaires. Le projet de loi présenté par le Garde des Sceaux serait une étape supplémentaire et logique de ce dispositif. Il s'agirait, donc, d'une avancée, mais pas vraiment d'une révolution en soi.

Cette nouvelle possibilité peut s'adresser à des structures plus importantes que les nôtres en termes d'effectifs et qui souhaitent proposer un service global à leur clientèle, à l'instar des cabinets anglo-saxons.

Dans nos structures à taille "humaine", la démarche "all inclusive" est informelle, mais s'organise efficacement au gré des besoins. Nos profils sont différents, mais complémentaires. Notre valeur ajoutée repose sur notre technicité et notre collaboration nous permet de muscler notre intervention, de sorte que cette démarche pluridisciplinaire bénéficie pleinement au client.

En résumé, notre différence de culture professionnelle et de domaine d'intervention, loin d'être un frein à l'aboutissement d'un dossier, représente une réelle force pour le client, ce qui constitue toute la richesse de notre collaboration.


(1) Lire Ce qu'il faut retenir du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, Lexbase Hebdo n° 24 du 25 mars 2010 - édition professions (N° Lexbase : N6155BNB).

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