La lettre juridique n°390 du 8 avril 2010 : Avocats

[Jurisprudence] La qualité d'associé fondateur d'un cabinet d'avocats ne justifie pas l'inamovibilité de ce dernier et ne lui ouvre pas droit à interdire l'utilisation de la marque de l'association après son départ

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 1er décembre 2009, n° 08/16721 (N° Lexbase : A1637EQP)

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N7260BN9

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[Jurisprudence] La qualité d'associé fondateur d'un cabinet d'avocats ne justifie pas l'inamovibilité de ce dernier et ne lui ouvre pas droit à interdire l'utilisation de la marque de l'association après son départ. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212607-jurisprudence-la-qualite-dassocie-fondateur-dun-cabinet-davocats-ne-justifie-pas-linamovibilite-de-c
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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique, Université Toulouse 1 Capitole

le 07 Octobre 2010

L'existence d'une société suppose de la part de chaque associé la volonté de participer sur un pied d'égalité à l'entreprise commune ; c'est ce que la jurisprudence qualifie d'affectio societatis. Cette volonté qui s'exprime lors de la création doit, pour que la société puisse fonctionner, se maintenir tout au long de son existence. Or, l'entente cordiale qui préside à la naissance de la société peut se détériorer au fil du temps. Si cette dégradation s'avère profonde et durable, elle reflète la disparition de l'affectio societatis. Pour remédier à cette situation, différentes solutions relevant de conceptions opposées sont envisageables : l'une accorde la prééminence à l'intérêt personnel, la société étant un instrument au service de l'associé ; l'autre donne la préférence à l'intérêt social auquel les intérêts individuels ne sauraient porter préjudice. Solution radicale à la mésentente, la dissolution (1) peut, toutefois, être évitée grâce à des moyens, spécifiques à certaines catégories de sociétés permettant de gérer, voire de prévenir la crise : le retrait ou l'exclusion d'un associé (2). Cependant, les juges ne sauraient en principe rejeter une demande en dissolution et ordonner l'exclusion de l'associé demandeur en l'obligeant à céder ses titres à ses coassociés ou à la société (3). Dans pratiquement tous les cas, la sortie d'un associé consécutive à une mésentente avec les autres associés pose des difficultés de toutes sortes, notamment celle tenant à l'évaluation des droits de cet associé, à l'indemnisation de l'intéressé qui considère avoir subi un préjudice ou encore, plus rarement, à la qualification du départ de ce dernier : est ce un retrait comme l'invoquent les associés restant, ou une exclusion comme le prétend l'associé partant ? La situation se complique notablement lorsque cet événement s'accompagne de la révocation de l'associé en sa qualité de dirigeant et que de surcroît, ce dernier et les autres parties au litige expriment d'autres prétentions, en dépit d'un accord préalablement passé entre eux.

L'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 1er décembre 2009 constitue le réceptacle de ce type de difficultés.

1. Le litige puise son origine dans une sentence arbitrale intervenue entre un avocat et les autres membres de l'association professionnelle de confrères qu'il a créée en 1988 avec deux autres membres actuels de celle-ci. Cette sentence rendue le 29 juillet 2008 par le délégué du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris a constaté un certain nombre d'éléments dont les suivants :

- la notification faite le 30 juin 2008 par cet avocat de l'exercice de son droit de retrait de l'association ;

- le retrait de l'intéressé le 30 décembre 2008 en application des statuts de l'association, sauf meilleur accord des parties ;

- l'injonction des parties de se réunir afin de définir les conditions d'usage des locaux de l'association par l'associé retrayant ;

- l'irrecevabilité de la demande d'interdiction d'usage par l'association de la marque "BMH Avocats" et du signe utilisés par celle-ci ;

- l'engagement de ne plus utiliser le nom de l'intéressé dès son retrait effectif de l'association ;

- la liquidation du montant des frais d'arbitrage réglés par moitié par chacune des parties.

Pour autant, l'avocat plaignant poursuit l'infirmation de la sentence arbitrale et demande la reconnaissance qu'il a fait l'objet d'une exclusion abusive et fautive de la part de ses co-associés, en conséquence de quoi il réclame réparation des différents préjudices matériels et moraux subis par lui. Il revendique, également, l'interdiction d'usage de la marque actuelle de l'association d'avocats et ses dérivés, ainsi que le nom de l'un des fondateurs sans son accord et celui du troisième fondateur. Il propose, enfin, les règles de liquidation de la rémunération qui lui est due au titre de l'année 2008.

Cet avocat soutient, en outre, que les autres associés ont progressivement et insidieusement remis en cause les différentes prérogatives attachées à sa qualité d'associé fondateur, notamment l'inamovibilité et le droit de veto. Il réfute les différents griefs faits à son encontre par ses associés, notamment un conflit d'intérêts, qui ont conduit à son exclusion de fait en le contraignant à quitter son cabinet parce qu'il ne disposait plus des moyens en personnel et en matériel pour exercer sa profession. Enfin, il qualifie d'abusive la décision de mettre fin à ses fonctions de gérant dont il revendique l'inamovibilité en raison de sa qualité de fondateur et que l'arrivée de nouveaux associés ne pourrait remettre en cause.

Les associés intimés considèrent qu'aucune exclusion de droit ou de fait n'a été prononcée contre le demandeur qui, au contraire, a mis en oeuvre son droit de retrait. Aussi, demandent-ils à titre reconventionnel sa condamnation au remboursement de plusieurs sommes d'argent.

2. La cour d'appel de Paris tranche, en l'espèce, les différents points du litige dont elle se trouve saisie.

S'agissant de la qualité de fondateur de l'appelant, les juges du fond relèvent qu'au regard d'une convention d'association non contestée, datée du 1er juillet 2005 et plusieurs fois modifiée, l'intéressé a assuré les fonctions de gérant de droit, non point en cette qualité, mais en tant qu'associé senior, la qualité d'associé fondateur et l'inamovibilité invoquées par lui étant ignorées par les statuts de l'association. En effet, cette inamovibilité ne saurait provenir que d'une disposition statutaire de ladite association.

En ce qui concerne la destitution de ses attributions de dirigeant, la juridiction de seconde instance rejette la prétention de l'intéressé selon laquelle il a été victime d'un "coup de force" visant à le déposséder de son cabinet et à l'obliger à quitter l'association professionnelle. En revanche, elle retient l'argument des intimés faisant valoir l'atteinte portée par ses fautes déontologiques et professionnelles au bon fonctionnement de l'association, ainsi que par la violation des statuts et du règlement intérieur. En outre, la décision de mettre fin aux fonctions de dirigeant de droit au cours de l'assemblée générale du 19 mars 2008 est intervenue conformément aux dispositions de la convention d'association. Elle a donc été prise régulièrement, c'est-à-dire par le vote des associés représentant les trois-quarts des parts des bénéfices et l'unanimité des associés gérants, l'intéressé n'ayant pas participé au scrutin.

De surcroît, l'avocat plaignant a adressé le 7 février 2008 un message par lequel il a accepté d'abandonner la gestion de droit du cabinet, afin de rétablir la confiance essentielle à la bonne marche de l'association. Il est, par la suite, revenu sur sa décision en prétextant avoir pâti d'une procédure d'exclusion et, par courrier du 10 février 2008, a soumis au Bâtonnier de l'Ordre des avocats le différend l'opposant à ses associés.

A propos de l'exclusion de l'association professionnelle, la cour d'appel de Paris constate que par la multiplication de ses fautes et par son attitude d'obstruction et d'abstention, l'intéressé s'est personnellement placé dans une situation qui l'a conduit à quitter le cabinet.

Au regard des faits relevés et souverainement appréciés par elle, cette cour ne retient aucune faute à la charge des intimés à qui l'appelant ne peut faire grief d'une exclusion de droit ou de fait, abusive et fautive. Aussi, déboute-t-elle ce dernier de toutes ses demandes à caractère indemnitaire, en dépit de sa contestation des faits qui lui sont reprochés par ses associés. Plus précisément, elle lui refuse l'indemnisation des prétendus préjudices financiers tenant à la perte de clientèle, à l'usage illicite de la marque "BMH Avocats", à l'atteinte à l'image de la marque et aux frais de réinstallation, sans oublier l'indemnisation du préjudice moral. Elle approuve les motifs énoncés en première instance en vertu desquels le requérant n'est pas fondé à demander et à obtenir l'interdiction de la marque, dès lors que les statuts de l'association conformes aux dispositions de l'article 124 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L0256A9D) prévoient la dénomination "BMH Avocats", laquelle est protégée en tant que marque déposée.

En définitive, les juges d'appel lui accordent seulement l'engagement des autres associés de ne plus utiliser son nom dès son retrait effectif de l'association professionnelle. En d'autres termes, elle confirme la sentence arbitrale rendue le 29 juillet 2008 par le délégué du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris.


(1) P. Canin, La mésentente entre associés, cause de dissolution judiciaire anticipée des sociétés, Dr. Sociétés, janvier 1998, p. 4 ; H. Matsopoulou, La dissolution pour mésentente entre associés, Rev. Sociétés, 1998, p. 21.
(2) J.-P. Storck, La continuation d'une société par l'élimination d'un associé, Rev. Sociétés, 1982, p. 332 ; J.-M. de Bermond de Vaulx, La mésentente entre associés pourrait-elle devenir un juste motif d'exclusion d'une société ?, JCP éd. E, 1990, II, 15921 ; JCP éd. N, 1991, I, 439 ; S. Darriosecq et N. Métais, Les clauses d'exclusion, solution à la mésentente entre associés, Bull. Joly Sociétés, 1998, p. 908.
(3) J.-J. Daigre, L'exclusion d'un associé en réponse à une demande de dissolution, Bull. Joly Sociétés, 1996, p. 576.

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