La lettre juridique n°376 du 17 décembre 2009 : Baux commerciaux

[Chronique] La Chronique des baux commerciaux de Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris - Décembre 2009

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit immobilier de Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris et Directeur scientifique de l’Ouvrage "baux commerciaux". Sont à l'honneur, ce mois-ci, trois arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2009, tous promis aux honneurs du Bulletin : le premier arrêt, d'abord, retient qu'en présence d'un bail stipulant un usage d'habitation, l'autorisation accordée par le bailleur au preneur d'affecter l'une des pièces de la maison louée à l'exercice d'une activité de coiffure afin de requérir l'autorisation administrative nécessaire et sous la réserve exprimée que cet accord ne modifiât pas la nature de la location, ne fait que régulariser une situation administrative sans modifier les rapports contractuels entre le bailleur et le preneur ; le deuxième arrêt, ensuite, énonce le principe selon lequel l'usufruitier d'un immeuble à usage commercial donné à bail a le pouvoir de refuser seul le renouvellement de ce bail ; et le troisième arrêt, enfin, consacre le principe selon lequel la nécessité d'effectuer des travaux de remise en état de l'immeuble dont le coût excède la valeur de la chose louée s'assimile à une destruction totale de cette dernière.

  • Sur la portée d'une autorisation de changement de destination (Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-18.038, FS-P+B N° Lexbase : A4403EPR)

En présence d'un bail stipulant un usage d'habitation, l'autorisation accordée par le bailleur au preneur d'affecter l'une des pièces de la maison louée à l'exercice d'une activité de coiffure afin de requérir l'autorisation administrative nécessaire et sous la réserve exprimée que cet accord ne modifiât pas la nature de la location, ne fait que régulariser une situation administrative sans modifier les rapports contractuels entre le bailleur et le preneur.
Tel est l'enseignement issu d'un arrêt rendu le 9 décembre 2009 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, avait été donnée à bail une maison à usage d'habitation par acte du 8 juillet 1991. Par arrêté du 29 janvier 1996, le préfet avait autorisé le preneur à affecter à usage de salon de coiffure une pièce de l'immeuble loué. Le bailleur avait, ensuite, délivré au locataire un congé pour vendre à effet au 31 juillet 2006. Ce dernier a contesté en justice la validité du congé, soutenant être bénéficiaire d'un bail commercial.
A cette fin, le preneur s'appuyait sur l'autorisation donnée par le bailleur d'affecter l'une des pièces de la maison louée à l'exercice d'une activité de coiffure. Il est vrai, sans égard aux modalités et conditions selon lesquelles cet accord avait été donné, qu'une telle autorisation pouvait être interprétée comme valant modification amiable de la destination contractuelle. Le bail serait alors devenu mixte à usage d'habitation et commercial. Un tel bail est commercial pour le tout et soumis dans sa totalité aux dispositions du statut des baux commerciaux (en ce sens, Cass. civ. 3, 13 juin 1968, n° 66-12.134, Epoux Boireau c/ Dudognon N° Lexbase : A1000AUL ; Cass. civ. 3, 16 octobre 1974, n° 73-13.720, Epoux Bosc c/ Epoux Tournier N° Lexbase : A7067AGT ; Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-14.322, Etablissement Belmont Voyages Marco Polo c/ Madame Mazo N° Lexbase : A1844ACB). Ces dispositions sont en effet applicables "aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce" (C. com., art. L. 145-1 N° Lexbase : L2327IBS).

Seul un accord des parties pourrait valablement modifier la destination des lieux loués qui doit être déterminée en fonction des stipulations du bail et non de l'activité effectivement exercée par le preneur dans ces derniers (Cass. civ. 3, 5 février 1970, n° 68-12.317, Consorts Dijol c/ Fouchard N° Lexbase : A8328AHW ; Cass. civ. 3, 11 juin 1976, n° 75-12.809, Feuerbach c/ Epoux Witterkoer N° Lexbase : A7132AGA).
En conséquence, si l'exercice par le preneur d'une activité commerciale ou artisanale alors que la destination du bail est l'habitation ne peut entraîner l'application du statut des baux commerciaux, en revanche, l'exercice d'une telle activité pourrait entraîner l'application de ce statut si le bailleur l'a autorisée, sans que ce dernier puisse a priori se réfugier ensuite derrière la destination initiale pour échapper à l'application d'un statut locatif d'ordre public.

La question posée par l'arrêt rapporté était celle de la détermination de la portée de l'accord que semblait avoir donné le bailleur. La Cour de cassation, reprenant la motivation des juges du fond, relève que le bailleur n'avait accordé une autorisation d'affecter une pièce de la maison louée à l'exercice d'une activité de coiffure que pour requérir l'autorisation administrative nécessaire et sous la réserve exprimée que cet accord ne modifiât pas la nature de la location qui demeurait exclusivement à usage d'habitation. Elle précise, également, que l'autorisation accordée en vertu de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2362IB4), qui présente un caractère personnel et limitée dans sa durée, ne pouvait modifier l'affectation principale et originelle du bâtiment. La Haute cour approuve en conséquence les juges du fond d'en avoir déduit que l'autorisation donnée par le bailleur d'exercer une activité "professionnelle" dans le logement n'avait fait que régulariser une situation administrative sans modifier les rapports contractuels entre le bailleur et le preneur.
Cette motivation n'est pas totalement convaincante. En effet, il semble difficile de pouvoir logiquement affirmer que l'autorisation du bailleur d'affecter les locaux à un usage autre que l'habitation puisse n'avoir que pour objet de régulariser une situation administrative sans entraîner une modification de la destination du bail.

Si la Cour de cassation opère une distinction entre les deux champs de réglementation, celui, privé, qui régit les rapports bailleur/preneur et celui relatif à la police de l'affectation des locaux, qui concerne en premier lieu l'Administration, les conséquences tirées de cette distinction sont critiquables.
En effet, dans les rapports entre preneur et bailleur, et au regard des accords conclus entre les parties relatifs à la destination des locaux, l'exercice d'une activité peut être autorisé ou non. Indépendamment de cette question, l'exercice de cette même activité peut être conforme ou non à la règle de l'interdiction du changement d'usage des locaux à usage d'habitation (CCH, art. L. 631-7). Les deux réglementations sont, dans une certaine mesure, indépendantes.

Il est vrai, comme l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, que l'existence d'une autorisation administrative afin d'affecter les locaux à un usage autre que l'habitation ne peut modifier "l'affectation" de ces derniers (compte tenu de la question posée, le terme "affectation" semble utilisé ici dans le sens de "destination"). En revanche, et pour les mêmes raisons, il semble difficile de pouvoir affirmer que l'autorisation accordée d'exercer une activité artisanale dans les locaux puisse avoir pour seul objet de régulariser la situation administrative. En effet, étant rappelé que le bail est à l'origine à usage d'habitation, soit le bailleur autorise ensuite l'exercice d'une activité autre que l'habitation, soit il ne l'autorise pas, mais il ne peut l'autoriser pour la seule régularisation d'une situation administrative qui impliquerait au préalable la conformité de l'activité au regard de la destination du bail.

Les modalités selon lesquelles l'accord avait été donné peuvent expliquer la solution retenue car le bailleur avait autorisé l'exercice de l'activité de coiffure à la condition que la location demeure exclusivement à usage d'habitation. Cependant, la portée d'un tel accord est critiquable car le bailleur autorise alors une activité... tout en l'interdisant. Cette autorisation limitée et contradictoire pourrait s'analyser en une fraude à la loi dans la mesure où il pourrait être soutenu qu'elle a pour but d'éluder l'application du statut des baux commerciaux dont les dispositions essentielles sont d'ordre public.

  • L'usufruitier peut refuser seul le renouvellement d'un bail commercial (Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-20.512, FS-P+B N° Lexbase : A4470EPA)

L'usufruitier d'un immeuble à usage commercial donné à bail a le pouvoir de refuser seul le renouvellement de ce bail.
Tel est le principe énoncé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 décembre 2009 promis aux honneurs du Bulletin.

En l'espèce, le locataire de locaux à usage commercial, dont la propriété était démembrée entre des nu-propriétaires et un usufruitier, avait, par acte du 28 septembre 2001, notifié à ce dernier, tant en son nom personnel que comme représentant des nu-propriétaires, une demande de renouvellement du bail venu à échéance le 30 septembre 2000. L'usufruitier, par acte du 23 novembre 2001, avait refusé le renouvellement du bail et offert le paiement d'une indemnité d'éviction. Sur requête en référé des nus-propriétaires et de l'usufruitier, un expert avait été désigné pour réunir les éléments nécessaires à la fixation de l'indemnité d'éviction. Le locataire avait ensuite assigné les bailleurs en paiement de l'indemnité d'éviction. L'un des nu-propriétaires a alors invoqué la nullité de la demande de renouvellement qui ne lui avait pas été notifiée.

Aux termes de l'article 595, alinéa 4, du Code civil (N° Lexbase : L3176ABA), "l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte". L'accord du nu-propriétaires est donc exigé, aux termes mêmes de ce texte, lors de la conclusion d'un bail commercial. La Cour de cassation a jugé que cet accord était également nécessaire pour le renouvellement du bail (Cass. civ. 3, 24 mars 1999, n° 97-16.856, Epoux Kilmann c/ M. Bulgarelli et autres N° Lexbase : A0256AUZ). L'absence d'accord du nu-propriétaire est sanctionnée, en principe, par une nullité relative ne pouvant être invoquée que par le nu-propriétaire (Cass. civ. 3, 14 novembre 2007, n° 06-17.412, FS-P+B N° Lexbase : A9551DZR), étant précisé que seul l'usufruitier est tenu de s'assurer du concours du nu-propriétaire (Cass. civ. 3, 16 avril 2008, n° 07-12.381, FS-P+B N° Lexbase : A9679D7M).
La Cour de cassation a consacré une interprétation stricte de ces dispositions et dans la mesure où elles ne visent que la conclusion d'un bail rural ou commercial, cette dernière a jugé qu'un usufruitier pouvait seul délivrer un congé au preneur d'un bail rural (Cass. civ. 3, 29 janvier 1974, n° 72-13.968, Sasseigne c/ Lacalez N° Lexbase : A9761AGM).

En l'espèce, l'usufruitier n'avait pas délivré directement seul un congé mais avait refusé le renouvellement à la suite d'une demande de renouvellement formée par le preneur, comme l'y autorise l'article L. 145-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2308IB4). Les juges du fond avaient considéré que l'acte de refus de renouvellement était nul car il était subséquent à une demande de renouvellement elle-même nulle. Leur décision est censurée au motif, tout d'abord, que l'usufruitier d'un immeuble à usage commercial a le pouvoir de délivrer seul un congé au preneur. Est ainsi confirmée la solution énoncée dans un arrêt déjà ancien (Cass. civ. 3, 29 janvier 1974, n° 72-13.968, préc.) et appliquée, cette fois, dans le cadre d'un bail commercial. La Cour de cassation affirme ensuite que le refus de renouvellement a les mêmes effets qu'un congé. Il est vrai en effet qu'un refus de renouvellement, sous entendu ici en réponse à une demande de renouvellement, met fin, à l'instar d'un congé, au bail. Cette règle, consacrée par la jurisprudence (voir en ce sens, Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-21.806, Société Sécurité Pierre c/ Société Merval N° Lexbase : A0794ACE), a été expressément consacrée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR) qui a modifié l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2243IBP).

En conséquence, si l'usufruitier peut délivrer seul un congé refusant le renouvellement, il peut également, seul, refuser le renouvellement en réponse à une demande de renouvellement.

  • Sur la notion de destruction totale de la chose louée (Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-17.483, FS-P+B N° Lexbase : A4396EPI)

La nécessité d'effectuer des travaux de remise en état de l'immeuble dont le coût excède la valeur de la chose louée s'assimile à une destruction totale de cette dernière.
Telle est la solution énoncée par un arrêt rendu le 9 décembre dernier par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, le locataire de locaux à usage commercial et d'habitation avait assigné le propriétaire des ces derniers aux fins d'obtenir sa condamnation à réaliser des travaux de remise en état et à lui payer des dommages et intérêts pour trouble de jouissance. Le propriétaire avait assigné le locataire en résiliation de bail pour perte totale de la chose louée. Après jonction des instances, les juges du fond ont débouté le propriétaire de sa demande de résiliation au motif que bien que les locaux présentent des désordres quant à l'étanchéité de la toiture, l'état de la plomberie, l'installation électrique et la présence de parasites du bois, il n'en ressortait pas une destruction totale, les locaux étant toujours utilisés. Toujours selon les juges du fond, le bailleur ne pouvait, en outre, solliciter la résiliation du bail pour perte partielle, seul le locataire disposant de cette faculté.

Il résulte en effet de l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW) que :

- "si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ;
- si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail.
Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement
".

La question en l'espèce portait sur la notion de "chose détruite en totalité". Les premiers juges avaient retenu une conception fondée uniquement sur la possibilité ou l'impossibilité d'utiliser la chose louée. La motivation du reste peut étonner compte tenu de l'importance des désordres. Une chose est d'utiliser les locaux, une autre est l'état de ces derniers et les conditions de cette utilisation. Cette approche, en ce qu'elle est exclusive, est censurée. Rappelant une solution qu'elle avait déjà énoncée, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de n'avoir pas recherché, alors que le bailleur l'invoquait, si le coût des travaux de remise en état de l'immeuble loué n'excédait pas sa valeur. A la destruction totale de la chose louée, il convient en effet d'assimiler, certes, l'impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination, mais également la nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède la valeur de cette chose (Cass. civ. 3, 2 juillet 2003, n° 02-14.642, Société Les Ateliers de construction du Nord de la France (ACNF) c/ Société Technirevise-Cps France, FP-P+B N° Lexbase : A0383C93).

Même si en l'espèce, la cour de renvoi conclut à la nécessité de travaux de remise en état dont le coût serait supérieur à la chose louée, il incombera au bailleur, qui entend maintenir sa demande de résiliation sans indemnité, de prouver que la destruction totale est liée à un cas fortuit. S'il a été jugé que la vétusté peut s'assimiler à un cas fortuit (Cass. civ. 3, 7 juin 2000, n° 98-20.379, M. Paul Moula c/ Mme Simone Pierre N° Lexbase : A9365ATZ), c'est à la condition qu'il n'y ait pas une faute ou de défaut d'entretien imputable au bailleur (Cass. civ. 3, 3 octobre 1978, n° 77-11.120, SARL des Entreprises Bruno Rostand c/ Garzino N° Lexbase : A7299AGG).

Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l’Ouvrage "baux commerciaux"

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