La lettre juridique n°374 du 3 décembre 2009 : Licenciement

[Jurisprudence] Le juge des référés ne peut imposer le licenciement d'un salarié

Réf. : Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08 19.419, Société MBP marketing and business product c/ Société Armor, FS-P+B (N° Lexbase : A7499EN3)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Le juge des référés est souvent saisi dans le cadre de conflits professionnels. Le Code de procédure civile et le Code du travail tracent le cadre de son intervention et le juge des référés se voit rappeler régulièrement qu'il doit demeurer le juge de l'urgence et du provisoire (I), ce qui lui interdit logiquement d'ordonner le licenciement d'un salarié, même embauché en violation d'une clause de confidentialité, comme l'indique un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 18 novembre 2009 (II).
Résumé

Pas plus que le juge du principal, le juge des référés n'a le pouvoir, à la demande d'un tiers, d'ordonner la résiliation d'un contrat de travail ou de prendre une mesure entraînant la rupture de celui-ci.

I - Rappel des pouvoirs limités accordés au juge des référés

  • Cadre général

Les pouvoirs du juge des référés sont définis, d'une manière générale, par les articles 808 et suivants du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0695H4I), pour ce qui concerne les pouvoirs du président du tribunal de grande instance, et R. 1455-5 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L0822IAP), pour ce qui concerne le conseil de prud'hommes.

  • L'interdiction de trancher au principal

L'article 484 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6598H7I) précise que "l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge, qui n'est pas saisi du principal, le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires". Ce texte trace donc l'une des limites au pouvoir du juge des référés, qui n'a pas à trancher au principal, mais, simplement, si l'on peut dire, d'ordonner des mesures nécessaires et provisoires rendues en urgence soit par la nécessité de prévenir un dommage imminent, soit de faire cesser un trouble manifestement illicite.

C'est donc parce qu'il n'est pas juge du principal que le juge des référés ne peut trancher la question de fond de la détermination de la convention collective applicable dans l'entreprise (1), ni interpréter une clause de non-concurrence (2), ni condamner définitivement une partie au paiement de dommages et intérêts (3), ni statuer sur l'imputabilité de la rupture du contrat de travail (4). Les pouvoirs attribués au juge des référés ne comportent pas non plus celui de condamner un salarié gréviste à exécuter son travail même pendant la durée d'un service minimum (5).

  • Illustration des mesures ordonnées

En tant que juge de l'urgence et du provisoire, le juge des référés peut valablement accorder à l'une des parties une provision ou ordonner la réintégration d'un salarié dont le licenciement est manifestement illicite, sans préjudice de la décision à intervenir au principal sur la nullité du licenciement. Il peut également ordonner la remise d'une lettre de licenciement, ainsi que de l'ensemble des documents de fin de contrat (6).

  • Articulation des compétences avec le juge du principal

D'une manière générale, et lorsqu'est en cause le sort d'un acte juridique, la frontière entre les pouvoirs du juge du principal et celle du juge des référés est, désormais, relativement bien définie : au juge du principal le soin de statuer sur la validité de l'acte, au juge des référés le soin de prendre les mesures conservatoires qui s'imposent, notamment en paralysant les effets de l'acte manifestement illicite, soit en ordonnant la poursuite de l'exécution du contrat de travail, lorsque l'acte litigieux est un licenciement, soit en constatant l'inopposabilité de la clause de non-concurrence lorsque celle-ci est dépourvue de contrepartie financière (7), sans jamais pouvoir en prononcer, bien entendu, la nullité (8).

II - Les limites imposées au juge en cas de violation d'une clause de non-concurrence ou de confidentialité

  • Hypothèse de la violation de la clause de non-concurrence

S'agissant de la violation de la clause de non-concurrence, il a été admis que le juge des référés pouvait enjoindre, le cas échéant sous astreinte, à une entreprise concurrente, de faire cesser la situation de concurrence illicite réalisée en violation d'une clause valable, mais que le juge ne pouvait aller jusqu'à enjoindre à une entreprise concurrente de licencier le salarié en cause (9).

  • Confirmation, en l'espèce, s'agissant d'une clause de confidentialité

Deux sociétés avaient conclu un engagement de confidentialité, aux termes duquel les parties s'engageaient à se fournir mutuellement des informations à caractère économique et commercial et à ne pas recruter l'un des salariés de l'autre partenaire avec lequel elle aurait été en contact dans le cadre des échanges d'information et ce, pendant deux ans à compter de la cessation du contrat, une liste étant annexée au contrat et mentionnant les salariés concernés, au nombre desquels figurait le directeur commercial de l'une d'entre-elle. Ce directeur commercial fut licencié et réengagé par l'autre société en qualité de directeur du développement. Estimant que cette société avait violé l'accord de confidentialité et commis des actes de concurrence déloyale, son cocontractant, ancien employeur du salarié en cause, avait saisi la juridiction commerciale pour qu'elle soit condamnée à mettre un terme à toute collaboration avec le salarié.

La cour d'appel de Rennes avait fait droit à cette demande et ordonné en référé qu'il soit mis un terme au contrat de travail, dans la mesure où le recrutement du salarié était intervenu en violation de l'accord de confidentialité et constituait, par conséquent, un trouble manifestement illicite.

Cet arrêt est cassé, la Cour de cassation indiquant que, "pas plus que le juge du principal, le juge des référés n'a pas le pouvoir, à la demande d'un tiers, d'ordonner la résiliation d'un contrat de travail, ni de prendre une mesure entraînant la rupture de celui-ci", avant de prononcer l'annulation sans renvoi de l'ordonnance.

  • Confirmation de la solution et enrichissement de son fondement

La formule confirme les termes d'une précédente décision demeurée inédite (10) et s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence dégagée depuis 2003 en la matière (11).

La Cour de cassation ajoute, toutefois, une justification supplémentaire par voie d'obiter dictum. Jusqu'à présent, en effet, l'interdiction de prononcer une injonction de licencier était justifiée par l'analyse des pouvoirs du juge des référés, qui ne peut prononcer que des mesures provisoires, ce qui exclut le licenciement d'un salarié qui présente un caractère irrévocable.

Cette fois-ci, la Cour précise que le juge du principal ne dispose pas non plus de ce pouvoir, ce qui exclut, a fortiori, que le juge des référés puisse en disposer. L'affirmation est totalement inédite, même si elle relève d'une forme d'évidence dans la mesure où, comme le rappelle la Cour, la demande émane d'un tiers au contrat qui ne dispose, par hypothèse, d'aucun droit sur celui-ci et qui ne peut donc pas demander au juge de se mêler de ce qui ne le regarde pas.


(1) CA Versailles, 5ème ch., sect. B, 24 février 2000, n° 99/23612, Stefani c/ SARL Terminus (N° Lexbase : A3225A49), RJS, 6/00, n° 690.
(2) CA Bordeaux, ch. soc., sect. B, 13 juin 2001, n° 01/00710, Mena c/ SA Conseils patrimoine immobilier (N° Lexbase : A3624A4Y) (clause prévoyant la rémunération d'un salarié engagé en qualité de négociateur immobilier).
(3) Cass. soc., 5 mars 2003, 2 arrêts, n° 02-40.778, n° 02-40.778, Société Manufacture française des pneumatiques Michelin c/ M. Alain Raynaud, F-D (N° Lexbase : A3790A7I) et n° 02-40.779, Société Manufacture française des pneumatiques Michelin c/ M. Yves Douard, F-D (N° Lexbase : A3791A7K). Il peut, en revanche, la condamner à payer une provision.
(4) Le juge des référés n'a pas le pouvoir de se prononcer sur l'imputabilité de la rupture d'un contrat de travail. Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-45.228, Association sportive Montpellier Paillade Basket, prise en la personne de son liquidateur amiable, Michèle Tisseyre, liquidateur c/ M. Erwan Bouvier, F-P+B (N° Lexbase : A2360DIA) ; Cass. soc., 25 octobre 2007, n° 06-43.590, Société Stem propreté, F-D (N° Lexbase : A8593DYW).
(5) Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-10.847, Mme Nadia Soubiran c/ Clinique Ambroise Paré, F-D (N° Lexbase : A3081DAD).
(6) Cass. soc., 28 janvier 2003, n° 01-44.667, Mme Françoise Vaysse, veuve Sandin c/ M. Robert Louis Marie, F-D (N° Lexbase : A8230A4L).
(7) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-45.794, Société Piejac-Maingret c/ M. Christophe Vessière, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3957DIE) et lire nos obs., Le juge des référés peut constater l'inopposabilité d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, Lexbase Hebdo n° 170 du 2 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4885AIR).
(8) CA Agen, ch. soc., 3 avril 2001, n° 00/01059, SA Anconetti Star c/ Milinkovitch (N° Lexbase : A3553A4D).
(9) Cass. soc., 13 mai 2003, n° 01-17.452, Société à responsabilité limitée Vialatte Pneus c/ Société en nom collectif (SNC) Euromaster France, FS-P+B (N° Lexbase : A0207B7S) et nos obs., L'interdiction faite au juge des référés d'ordonner la résiliation du contrat de travail d'un ancien salarié violant sa clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 72 du 22 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7459AAI) : "le juge des référés n'a pas le pouvoir d'ordonner la résiliation du contrat de travail d'un salarié". Solution confirmée ultérieurement, Cass. soc., 15 mai 2007, n° 06-43.110, Mme Maria-Paz Baduel, FS-D (N° Lexbase : A2667DWP) : "le juge des référés n'a pas le pouvoir d'ordonner la résiliation d'un contrat de travail, ni de prendre une mesure entraînant la rupture de celui-ci". Déjà, s'agissant de la question voisine de la résiliation du contrat d'apprentissage : Cass. soc., 28 juin 1989, n° 86-43.642, Lemargue c/ Belot, inédit (N° Lexbase : A1905AB8) : "le juge des référés n'a pas le pouvoir de prononcer la résiliation du contrat d'apprentissage".
(10) Cass. soc., 15 mai 2007, n° 06-43.110, préc..
(11) Cass. soc., 13 mai 2003, n° 01-17.452, préc..


Décision

Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08 19.419, Société MBP marketing and business product c/ Société Armor, FS P+B (N° Lexbase : A7499EN3)

Cassation partielle sans renvoi CA Rennes, 2ème ch. com., 1er juillet 2008

Textes visés : C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR) ; C. pr. civ., art. 873 (N° Lexbase : L0850H4A)

Mots clef : juge du principal ; juge des référés ; pouvoirs ; limite ; injonction de licencier

Lien base : (N° Lexbase : E3875ETP)

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