La lettre juridique n°170 du 2 juin 2005 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le juge des référés peut constater l'inopposabilité d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière

Réf. : Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-45.794, Société Piejac-Maingret c/ M. Christophe Vessière, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3957DIE)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Depuis que la Cour de cassation a décidé d'imposer une contrepartie financière aux clauses de non-concurrence, les entreprises guettent chaque jour avec une inquiétude grandissante les derniers développements de la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans une nouvelle décision en date du 25 mai 2005 et promise à la plus large publicité, la Chambre sociale autorise le juge des référés à ordonner l'inopposabilité d'une clause dépourvue de contrepartie financière à la demande d'un salarié démissionnaire, et ce sans même attendre que l'entreprise s'en soit effectivement prévalu. Pour parvenir à une solution aussi étonnante, il convenait de caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite (1) et considérer l'inopposabilité comme une mesure que le juge est en droit d'ordonner (2).



Décision

Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-45.794, Société Piejac-Maingret c/ M. Christophe Vessière, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3957DIE)

Rejet (cour d'appel de Poitiers, chambre sociale, 25 mai 2004)

Textes concernés : C. trav., art. R. 516-31 (N° Lexbase : L0634ADT)

Mots-clefs : clause de non-concurrence ; défaut de contrepartie financière ; sanction ; pouvoir du juge des référés ; inopposabilité.

Lien bases :

Faits

1. Engagé le 8 janvier 2001 par la société Piejac-Maingret en qualité de cadre, M. Vessière a donné sa démission le 18 juin 2003. Son contrat comportait une clause de non-concurrence non assortie d'une contrepartie financière.

Il a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale afin de faire constater que cette clause lui était inopposable.

2. La cour d'appel de Poitiers, statuant en matière de référé, (Poitiers, 25 mai 2004) a dit la clause inopposable au salarié.

Problème juridique

Le juge des référés a-t-il le pouvoir de constater l'inopposabilité d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière ?

Solution

1. "La cour d'appel, qui a constaté que la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail de l'intéressé n'était assortie d'aucune contrepartie financière, en a exactement déduit que son exécution était de nature à caractériser un trouble manifestement illicite".

2. "Le chef du dispositif de l'arrêt qui, sans annuler la clause de non-concurrence, la déclare inopposable au salarié, constitue, au sens de l'article R. 516-31 du Code du travail, une mesure destinée à faire cesser ce trouble manifestement illicite".

3. Rejet

Commentaire

1. L'existence d'un trouble manifestement illicite

  • Le caractère illicite de la clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière

Le 10 juillet 2002, la Chambre sociale de la Cour de cassation a procédé à un spectaculaire revirement de jurisprudence en imposant, comme nouvelle condition de validité aux clauses de non-concurrence, l'existence d'une contrepartie financière (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1225AZE lire Christophe Radé, La Cour de cassation prise en flagrant délit de violation du principe de la prohibition des arrêts de règlement, Lexbase Hebdo n° 33 du 25 juillet 2002 - édition sociale N° Lexbase : N3574AAM), et ce même pour les clauses valablement conclues antérieurement (Cass. soc., 7 janvier 2003, n° 00-46.476, F-D N° Lexbase : A6000A4Y, lire Christophe Radé, Pour en finir avec la rétroactivité des revirements de jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 55 du 23 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5616AAA ; Cass. soc., 17 décembre 2004, n° 03-40.008, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4376DES, lire Christophe Radé, A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : une évolution en trompe l'oeil !, Lexbase Hebdo n° 148 du 23 décembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N4064AB7).

Confrontée à une telle clause, le salarié dispose de plusieurs solutions, selon qu'il souhaite bénéficier de la contrepartie indemnité ou être délié de son obligation. S'il désire bénéficier de l'indemnité, parce qu'il aura retrouvé un emploi compatible avec l'interdiction, il pourra en négocier l'octroi avec l'employeur ou saisir le juge d'une demande visant à se voir allouer une indemnité compensatrice. S'il souhaite, au contraire, être délié de la clause, il pourra en refuser la révision et saisir le juge d'une demande d'annulation.

L'existence d'une obligation contractuelle de non-concurrence, même dépourvue de contrepartie financière, est toutefois de nature à entraver la recherche d'emploi du salarié, notamment lorsqu'il souhaite s'engager au service d'un concurrent, ce dernier pouvant craindre que sa propre responsabilité soit mise en cause pour avoir embauché un salarié qu'il savait lié par une telle clause. Il peut alors être tenté de saisir le juge des référés afin d'en être débarrassé. Se pose alors la question de la compétence du juge et, singulièrement, du moment où, le trouble manifestement illicite étant constitué, il le pourra.

  • Le trouble manifestement illicite provoqué par l'exécution d'une telle clause

Dans cette affaire, le salarié avait saisi la formation des référés après avoir démissionné et avant même que l'entreprise n'ait agi pour le contraindre à respecter la clause.

Le demandeur prétendait qu'en l'absence d'actes positifs établissant la volonté de l'entreprise de faire exécuter la clause, il n'était pas possible de considérer que la seule existence de la clause, même dépourvue de contrepartie financière, constituait un "trouble manifestement illicite" justifiant la compétence du juge des référés.

L'argument semblait pertinent, l'entreprise pouvant valablement renoncer à en réclamer l'exécution et le salarié ne pas agir pour obtenir l'attribution d'une indemnité compensatrice, dans la mesure où il aurait effectivement été engagé par un concurrent.

Tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a considéré que l'exécution d'une telle clause, dépourvue de contrepartie financière, "était de nature à caractériser un trouble manifestement illicite". En d'autres termes, et cette précision est importante pour déterminer à quel moment le salarié peut saisir le juge, il suffit que la clause soit entrée en application, c'est-à-dire que le contrat de travail ait cessé de produire effet, pour que le salarié puisse saisir le juge des référés, et ce même si l'entreprise n'a mis en oeuvre aucune action particulière pour en assurer l'exécution effective.

  • Une solution étonnante

Il pourrait paraître curieux de considérer que la seule exigibilité de l'obligation de non-concurrence, car c'est bien de cela dont il s'agissait ici, puisse constituer un trouble manifestement illicite, en l'absence de tout acte visant à en assurer l'exécution. On comprend bien pourtant l'intérêt du salarié qui est de rassurer un futur employeur sur l'étendue de sa liberté contractuelle et donc de pouvoir plus facilement retrouver un emploi. Il faut, en réalité, rechercher l'explication de l'affirmation récente que "l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle" (Cass. soc., 17 décembre 2004 : préc.) ; le défaut de contrepartie porte donc atteinte à cette liberté fondamentale et constitue donc un "trouble" juridique.

  • Une solution sans véritable enjeu juridique

Sur un plan pratique, la solution ne nous paraît pas d'une grande utilité.

Le salarié n'avait, en réalité, pas grand chose à craindre dans cette affaire. Certes, l'entreprise bénéficiaire d'une clause de non-concurrence peut saisir le juge des référés pour enjoindre au salarié de respecter les termes de son engagement (mais pas au nouvel employeur de licencier le salarié : Cass. soc., 13 mai 2003, n° 01-17.452, Société à responsabilité limitée Vialatte Pneus c/ Société en nom collectif (SNC) Euromaster France, FS-P+B N° Lexbase : A0207B7S, lire Christophe Radé, L'interdiction faite au juge des référés d'ordonner la résiliation du contrat de travail d'un ancien salarié violant sa clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 72 du 22 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7459AAI).

Mais, saisi d'une demande d'exécution forcée d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, le juge des référés ne peut que débouter le demandeur puisque la violation d'une obligation nulle ne saurait constituer un trouble manifestement illicite. En d'autres termes, le créancier de cette clause nulle ne pourra jamais en obtenir l'exécution forcée, le salarié pouvant donc se contenter d'attendre sereinement sans rien risquer.

Une fois le débat clos sur l'existence du trouble manifestement illicite, restait à déterminer de quelle marge de manoeuvre le juge des référés bénéficiait effectivement.

2. L'inopposabilité comme mesure prise par le juge des référés

  • Etendue des pouvoirs du juge des référés

Les pouvoirs du juge des référés sont définis de manière très générale par l'article 809 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC) qui fait référence à la possibilité de prendre des "mesures conservatoires ou de remise en état", dispositions reprises en matière de référé prud'homal par l'article R. 516-31 du Code du travail (N° Lexbase : L0634ADT).

Dans cette affaire, le juge avait non pas prononcé l'annulation de la clause, ce qui aurait constitué une mesure au fond qui ne relève manifestement pas de sa compétence, mais simplement constaté son "inopposabilité" au salarié. Privée d'effet, la clause n'en demeurait pas moins valable, même si on sait que la Cour de cassation, elle-même, assimile parfois nullité et inopposabilité.

L'entreprise contestait qu'il puisse s'agir d'une "mesure", l'inopposabilité constituant plus un état qu'une action. Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui retient ici de la notion de "mesure" une conception étonnamment large.

Il paraît, en effet, singulier de permettre au juge de constater qu'une clause ne produit pas d'effet sans qu'il ne prenne aucune autre mesure positive.

Cette étrange "mesure" interdira tout au plus à l'employeur de saisir un autre juge des référés pour obtenir l'exécution forcée de la clause, à condition toutefois d'admettre, ce qui est parfois contesté, que l'absence d'autorité de la chose jugée en référé ne concerne que le principal et nullement d'autres instances de référé. Une telle action serait, en toute hypothèse, vouée à l'échec, comme nous l'avons déjà indiqué, aucun juge ne pouvant ordonner l'exécution forcée d'une convention aussi manifestement illicite, puisque dépourvue de contrepartie financière.

On se demande, dans ces conditions, pourquoi avoir mobilisé tant d'énergie. La Chambre sociale de la Cour de cassation a sans doute voulu manifester de nouveau son hostilité à l'égard des clauses dépourvues de contrepartie en renforçant symboliquement l'arsenal des mesures judiciaires offertes au salarié.

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