La lettre juridique n°364 du 24 septembre 2009 : Famille et personnes

[Jurisprudence] La fin de la toute puissance maternelle....

Réf. : TGI de Bordeaux, 15 septembre 2009, RG n° 09/01408, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A2048ELG)

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N9309BLD

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

La décision du 15 septembre 2009 rendue par un juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux constitue une illustration assez remarquable du refus de laisser l'un des parents détruire les relations de l'enfant avec l'autre. Il impose, en effet, l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec ses deux parents malgré une opposition persistante de la mère. Celle-ci, qui avait été victime de violence de la part de son ex-compagnon, faisait systématiquement obstruction au droit de visite de ce dernier depuis la séparation et ce, malgré plusieurs injonctions du juge aux affaires familiales et de plusieurs condamnations pour non-représentation d'enfant du tribunal correctionnel. La ténacité du père, qui a multiplié les démarches et les procédures pour voir son enfant, a trouvé un écho favorable auprès du juge de la famille comme d'ailleurs auprès du juge pénal. Après avoir tenté à plusieurs reprises d'obliger la mère à respecter le droit du visite du père (I), le juge aux affaires familiales n'a finalement pas hésité, face à l'obstination de la mère, à modifier la résidence de l'enfant, seule façon d'obtenir le maintien du lien de l'enfant avec son père (II). I - Les tentatives pour imposer le respect du droit de visite du père

Evolution des modalités d'exercice de l'autorité parentale. La première décision rendue en 2006 à propos de l'enfant alors âgé de dix mois était particulièrement favorable à la mère puisqu'elle lui attribuait l'exercice unilatéral de l'autorité parentale, la résidence de l'enfant et fixait seulement un droit de visite en lieu neutre -dans un point rencontre- pour le père en attendant les résultats de l'enquête sociale qui avait été, par ailleurs, ordonnée. Sept mois plus tard, "au vu du rapport d'enquête sociale et de la non présentation de l'enfant au point rencontre cinq samedis", l'exercice de l'autorité parentale devenait conjointe et un droit de visite progressif du père était organisé, d'abord au domicile de la mère puis au domicile du père. Au moment où le juge aux affaires familiales statue le 15 septembre 2009, la mère n'a toujours pas respecté le droit de visite, alors même que le magistrat lui avait laissé une dernière chance, en lui enjoignant, à l'audience début août, de la confier à son père jusqu'au délibéré.

Procédure pénale pour non-représentation d'enfant. La juridiction pénale a également fait preuve de patience avec la mère. En janvier 2009, elle l'a, en effet, déclarée coupable du délit de non représentation d'enfant tout en ajournant le prononcé de la peine avec obligation de présenter l'enfant au point rencontre. Devant le non-respect de cette obligation, l'ajournement de la peine a ensuite été prorogé jusqu'en juin avec obligation de présenter l'enfant au point rencontre ! Finalement, devant l'obstination de la mère, le tribunal correctionnel l'a condamnée à deux mois de prison ferme en juin 2009.

La négation totale des relations de l'enfant avec son père. La résistance acharnée de la mère aboutit effectivement à l'absence de relations de l'enfant, âgée de plus de trois ans, avec son père depuis la séparation de ses parents, au mépris à la fois des droits de ce dernier mais également -et surtout- du droit de l'enfant d'entretenir des relations avec ses deux parents consacré, notamment, par la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL). D'aucuns, à la place du père, auraient pu se lasser et renoncer. Heureusement, en l'espèce, le père lui aussi s'est acharné. Il a fini par obtenir gain de cause, et ce, alors même que la mère, avec une mauvaise foi sans commune mesure, mettait en avant le fait que l'enfant ne connaissant pas son père -et pour cause-, il n'était pas de son intérêt de vivre avec lui !

II - Le maintien des relations de l'enfant avec son père par le transfert de la résidence

Transfert de la résidence. Même s'il peut être perçu comme tel, le transfert de la résidence de l'enfant chez son père ne constitue pas, juridiquement, une sanction de l'attitude de la mère, contrairement à la condamnation pénale. C'est, en effet, bien l'intérêt de l'enfant qui motive le choix de la résidence de ce dernier chez son père. Le juge bordelais considère, à juste titre, que "l'abandon des liens d'un enfant avec son parent est analysé comme une amputation pour ce dernier d'un élément essentiel à son développement harmonieux. [...]". Cette analyse est au fondement de l'article 373-2-6 du Code civil (N° Lexbase : L6973A4Z) enjoignant au juge aux affaires familiales de prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec chacun de ses parents. Dans la mesure où le changement de résidence est, comme en l'espèce, le seul moyen de maintenir ce lien, il est conforme à l'intérêt de l'enfant.

Le refus du "fait accompli". L'argument de la non-connaissance par l'enfant de son père est écarté au motif que c'est l'attitude de la mère qui a provoqué cette situation, alors même que le père avait multiplié les démarches pour voir sa fille. Ce faisant, le juge aux affaires familiales s'inscrit dans une tendance générale récente visant à refuser la manoeuvre "du fait accompli" consistant pour un parent -souvent la mère il faut bien l'admettre- à provoquer une situation de fait en violation des droits de l'autre parent, pour ensuite la faire entériner par le juge au nom de la nécessité de faire correspondre le droit et le fait (1). Les violences exercées par le père contre la mère au moment de la séparation ne sont pas, non plus, retenues par le juge qui, tout en les qualifiant d'inadmissibles, constate qu'"elles ne se sont jamais tournées contre l'enfant et ne doivent pas priver celui-ci de tout contact avec son père".

Mesure d'accompagnement. La décision, quoique sévère pour la mère, est, néanmoins, tempérée par une certaine prudence. Le changement de résidence est en effet ordonné à titre provisoire, dans l'attente d'une expertise médico-psychologique et d'une enquête sociale pour apprécier l'évolution de chacun des parents, notamment la capacité de la mère à admettre la place du père.

Droit de visite conditionné par le respect des droits du père. La mère n'est, en outre, pas privée de tous ses droits à l'égard de l'enfant. Le juge refuse, tout d'abord, lui retirer l'exercice de l'autorité parentale qui reste conjoint. Il lui accorde, ensuite, un droit de visite et d'hébergement une fin de semaine sur deux qui pourra être élargi par l'accord des parties. Toutefois, la mère est clairement avertie qu'en cas de non représentation de l'enfant à l'issue de son droit de visite, celui-ci sera supprimé jusqu'à la prochaine audience.

Exécution forcée. La question de l'exécution de la décision de justice reste, cependant, entière. Il est, en effet, probable que l'enfant, au moment de la signification de la décision, sera avec sa mère. Il n'est pas certain que celle-ci se soumette à la décision rendue "contre elle" et qu'elle accepte de confier l'enfant au père. Si tel est le cas, la seule issue consisterait en une véritable exécution forcée des décisions de justice, civile et pénale, sous la forme sans aucun doute tragique pour l'enfant de l'intervention autoritaire des forces de l'ordre. Face à une situation similaire, quoique rendue dans des circonstances quelque peu différentes (2), la Cour européenne des droits de l'Homme a estimé que le respect du maintien des liens de l'enfant avec ses deux parents, conforme à son intérêt, justifiait le recours à la force (3). Si l'on ne peut qu'approuver le raisonnement, on ne peut s'empêcher de penser que le prix à payer est bien lourd pour un enfant...


(1) Dans le même sens, Cass. civ. 1, 4 juillet 2006, n° 05-14.442, Mme Marie-José Bonomi, F-D (N° Lexbase : A3771DQQ), Dr. fam., 2006, comm. n° 188, obs. P. Murat.
(2) Il s'agissait d'un enlèvement international d'enfant.
(3) CEDH, Req. 39388/05, 6 décembre 2007, Maumousseau Washignton c/ France (N° Lexbase : A9936DZZ), Dr. fam., 2008, Etude n° 14, obs. A. Gouttenoire.

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