La lettre juridique n°364 du 24 septembre 2009 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La fusion Caisse d'épargne-Banque populaire suspendue à la consultation du comité d'entreprise

Réf. : CA Paris, pôle 1, ch. 1, 31 juillet 2009, n° 09/14577, Comité d'entreprise de la Caisse d'épargne d'Ile-de-France et a. c/ Caisse d'épargne d'Ile-de-France et a. (N° Lexbase : A9544EKP)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Mené "tambour battant" sous la pression du Gouvernement, le processus de rapprochement de la Caisse d'épargne et de la Banque populaire a, semble-t-il, été quelque peu précipité, au moins au regard des exigences du droit du travail. C'est ce qui ressort d'un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 31 juillet 2009, qui met un sérieux coup d'arrêt, certes provisoire, au processus précité. La faute en revient aux représentants légaux de la Caisse d'épargne d'Ile-de-France, coupables, selon les magistrats parisiens, de n'avoir pas suffisamment informé le comité lors de la procédure d'information/consultation précédant la décision de rapprochement. De facture fort classique, cette décision invite à revenir sur les attributions du comité dans le domaine économique et sur les sanctions civiles encourues par l'employeur qui ne les respecte pas.



Résumé

A défaut d'une information suffisante délivrée au comité d'entreprise sur le projet en cours, il convient de considérer que l'institution représentative n'a pas été valablement informée et consultée. Par conséquent, il convient d'interdire à l'employeur de mettre en oeuvre le projet en cause tant qu'il n'aura pas respecté les obligations que la loi lui impose en matière d'information/consultation du comité d'entreprise.

I - L'obligation d'information

  • Les exigences légales

S'il est des hypothèses dans lesquelles le comité d'entreprise doit être informé sans qu'il ait pour autant à formuler un avis, il ne saurait y avoir de consultation sans information. C'est ce que signifie clairement l'article L. 2323-4 du Code du travail (N° Lexbase : L2727H9U) en affirmant que "pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur".

Une telle exigence relève de l'évidence dans la mesure où l'on ne voit pas comment le comité d'entreprise pourrait formuler un avis motivé sur une décision de l'employeur sans être pleinement informé de celle-ci, spécialement lorsqu'elle revêt un caractère complexe. Tel était le cas dans l'espèce rapportée qui concernait le "projet de rapprochement" des Caisses d'épargne et de la Banque populaire. Il ne fait aucun doute que ce projet devait être soumis à l'avis du comité d'entreprise, que ce soit sur le fondement de sa compétence générale (C. trav., art. L. 2323-6 N° Lexbase : L2734H97), ou de sa compétence spéciale en matière de modification dans l'organisation économique ou juridique de l'entreprise visée par l'article L. 2323-19 (N° Lexbase : L2773H9L). Selon cette dernière disposition, en effet, "le comité d'entreprise est informé et consulté sur les modifications de l'organisation économique ou juridique de l'entreprise, notamment, en cas de fusion, de cession, de modification importante des structures de production de l'entreprise, ainsi que lors de l'acquisition ou de la cession de filiales". L'opération de rapprochement précitée pouvait être assimilée à une fusion entre les deux groupes bancaires.

  • L'affaire

En l'espèce, l'employeur, en l'occurrence la Caisse d'épargne d'Ile-de-France (CEIDF), n'avait pas manqué de mettre en branle la procédure d'information et de consultation de son comité d'entreprise sur le projet en cause. Il apparaît, d'ailleurs, que cinq réunions avaient eu lieu à ce titre, la dernière s'étant tenue le 23 juin 2009. Le comité d'entreprise, auquel s'étaient jointes deux organisations syndicales, a, néanmoins, saisi le juge des référés, contestant avoir été régulièrement informé et consulté.

Le comité d'entreprise soutenait que les informations qui lui avaient été fournies par l'employeur étaient insuffisantes pour lui permettre une "lisibilité minimum du projet". Il était, notamment, argué qu'aucun projet industriel précis définissant la stratégie du nouveau groupe, ni business plan, ni étude d'impact sur l'emploi ne lui avait été communiqués et que l'expert auquel le comité avait fait appel avait relevé ces carences et n'avait pu émettre que des hypothèses fondées sur les seules informations dont il disposait. On devine sans peine que l'employeur soutenait à l'inverse que les élus avaient reçu une documentation complète et précise sur le projet. En outre, il était avancé que celui-ci s'avérant d'une grande complexité, il devait être mené selon plusieurs étapes et, de ce fait, le comité d'entreprise serait appelé à être consulté à l'occasion de chacune de celles-ci.

La cour d'appel de Paris sera restée sourde à ces arguments et considère que le comité d'entreprise n'a pas été complètement et loyalement informé par l'employeur.

  • Les enseignements

Ainsi que l'a décidé la Cour de cassation, les juges du fond apprécient souverainement le caractère suffisant des informations transmises au comité d'entreprise avant la réunion et du délai dont celui-ci dispose pour en prendre connaissance (1). Il serait, dès lors, vain de discuter du caractère suffisant ou non des informations qui avaient, en l'espèce, été données au comité d'entreprise. Tout au plus peut-on relever le caractère particulièrement motivé de la décision des juges d'appel, de nature sans doute à écarter une cassation pour défaut de base légale si la décision venait à être soumise à la Haute juridiction. Il convient, par ailleurs, de relever qu'est moins reprochée à l'employeur une absence pure et simple d'information, qu'un défaut d'information suffisante.

Cela étant, l'arrêt sous examen comporte plusieurs aspects intéressants. Tout d'abord, reprenant une jurisprudence désormais bien assise de la Cour de cassation, les juges parisiens rappellent qu'en cas de projet particulièrement complexe, il est nécessaire d'informer et de consulter le comité d'entreprise à chaque étape du projet (2). C'est, cependant, moins la complexité du projet qui exige d'informer et de consulter le comité à chacune de ses étapes que la pluralité de décisions de l'employeur qu'elles impliquent. Il importe surtout de relever la précision apportée par les juges du second degré selon laquelle, dans une telle situation, "l'information fournie dès l'origine doit être suffisamment détaillée pour que les représentants du personnel puissent se prononcer en ayant une vision satisfaisante des objectifs poursuivis, des moyens pour y parvenir et des conséquences en termes d'emploi". Cela nous paraît devoir être approuvé. L'information/consultation des représentants du personnel à chaque étape d'un projet complexe ne doit pas conduire à ce qu'ils reçoivent une information morcelée et parcellaire qui leur ferait perdre de vue l'ensemble du projet. Il faut comprendre que, dès le départ, le comité doit disposer d'une information suffisante pour lui permettre d'apprécier l'ensemble des tenants et des aboutissants du projet, mais que cette information peut être précisée au fur et à mesure de l'avancement de celui-ci.

Par ailleurs, et dans la mesure où nul ne peut être tenu à l'impossible, on ne saurait exiger de l'employeur qu'il délivre des informations qu'il ne peut donner. Cela étant, et l'affaire est de ce point de vue édifiante, l'employeur ne saurait s'en tirer à bon compte en arguant que la stratégie du groupe, avec ses conséquences quant au business plan et à l'impact sur l'emploi, ne pourra être défini que par l'organe mis en place postérieurement à la fusion, en l'occurrence le "Nouvel Organe Commun", créé par la loi du 18 juin 2009 (loi n° 2009-715, relative à l'organe central des caisses d'épargne et des banques populaires N° Lexbase : L3911IEL). Ainsi que le relèvent les magistrats parisiens, cet argument ne résiste pas à l'examen, "la loi du 18 juin qui a institué cet organe central et en a défini le statut et les prérogatives ne disposant que pour l'avenir, une fois la fusion réalisée et seules les deux entités à l'origine de la fusion ayant la capacité de définir la nature de leur projet et ses conséquences". La solution doit, là encore, être approuvée. En cas de projet de fusion, le représentant de chacune des entités parties à l'opération doit être en mesure d'informer son comité sur les implications prévisibles de celle-ci, même si cela ne peut, en aucune façon, présumer de ce que fera a posteriori l'organe dirigeant de l'entité nouvellement créée.

II - Les sanctions de l'insuffisance d'information

  • Interdiction de poursuivre le projet

L'employeur qui ne respecte pas les obligations que lui impose la loi en matière d'information et de consultation du comité d'entreprise encourt une condamnation pénale sur le fondement du délit d'entrave. Mais, il peut paraître préférable que le comité saisisse le juge civil, spécialement si la procédure n'est pas arrivée à son terme.

Il est, en effet, parfaitement concevable que la violation par l'employeur de ses obligations légales se produise à un moment où cette situation ne présente aucun caractère irréversible. Il en ira ainsi lorsque le comité n'est pas convoqué à l'approche d'une décision importante, alors qu'il peut encore l'être, ou lorsque les informations transmises au comité sont insuffisantes, mais qu'il espère en obtenir d'autres avant d'avoir à formuler son avis. Dans cette dernière hypothèse, le comité ne se contentera pas de demander au juge de faire injonction à l'employeur de lui transmettre des informations précises et complètes sur le projet en cause. Il lui demandera, également, de faire interdiction à ce dernier de poursuivre la mise en oeuvre de ce projet tant qu'il n'aura pas satisfait à ses obligations. Admise par la Cour de cassation (3), cette possibilité est mise en oeuvre, à très juste titre, par la cour d'appel de Paris dans l'arrêt rapporté, qui l'assortit, en outre, d'une lourde astreinte journalière de 100 000 euros.

Conforme à la jurisprudence, la solution a quelque chose de rassurant, car elle démontre que les prérogatives du comité d'entreprise ne sauraient être "bafouées", alors même que le projet a le soutien du législateur. Il reste que l'on peut s'interroger sur les conséquences de la décision des juges du fond sur le processus de rapprochement entre la Caisse d'épargne et la Banque populaire. En effet, seule la Caisse d'épargne d'Ile-de-France était en cause dans l'espèce sous examen. Partant, pourrait-on considérer que le processus précité n'est interrompu qu'à son égard, mais qu'il peut se poursuivre entre les autres entités des groupements bancaires en question ? La loi ne l'interdit pas et cette voie, à supposer qu'elle soit concrètement possible, ne doit pas être considérée comme fermée. On peut, toutefois, se demander si la décision retenue par les magistrats parisiens ne serait pas de nature à donner quelques idées aux autres comités d'entreprise concernés par la fusion des deux groupements bancaires.

  • Suspension de la décision

Soucieuse de garantir que les prérogatives du comité d'entreprise sont bel et bien respectées par l'employeur, la Cour de cassation est allée encore plus loin. En effet, après quelques tergiversations, elle a fini par admettre que le juge peut décider qu'il y a lieu, pour permettre le respect de l'obligation de consultation du comité d'entreprise, de suspendre la mise en exécution de la décision de l'employeur, privant celle-ci de tout effet (4).

Cette sanction, au même titre, d'ailleurs, que l'interdiction de poursuivre le projet, est suffisamment dissuasive pour inciter l'employeur à respecter les prérogatives du comité d'entreprise. Elle conduit, en outre, à relativiser les regrets que fait naître l'impossibilité pour le juge d'annuler la décision prise par l'employeur en méconnaissance de ces mêmes prérogatives. Il n'y a là qu'une illustration des rapports difficiles qu'entretiennent droit du travail et droit des sociétés. Il convient, en effet, de rappeler qu'en application de l'article L. 235-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL), la nullité d'une délibération d'un organe social ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II dudit code ou de la violation des dispositions régissant les contrats. Or, l'absence d'information/consultation du comité d'entreprise n'entre en aucune façon dans ces prévisions.


(1) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-12.990, Société Alstom entreprise Paris c/ Comité d'établissement de Nanterre de la société anonyme Alstom entreprise Paris, FS-P (N° Lexbase : A9725C8P), Bull. civ. V, n° 210.
(2) V., en ce sens, Cass. soc., 7 février 1996, n° 93-18.756, Société générale et a. c/ Comité d'établissement des agences de Paris et banlieue de la Société générale et a., (N° Lexbase : A2346ABI), Bull. civ. V, n° 47.
(3) Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-20.939, Société Honeywell (N° Lexbase : A0106AZX), Bull. civ. V, n° 217.
(4) Cass. soc., 28 novembre 2000, Union des assurances de Paris (UAP) Collectivités et autres c/ Comité d'établissement de l'Union des assurances de Paris Diderot (UAP) et autres (N° Lexbase : A9364AHB), Dr. soc., 2001, p. 212, obs. Ch. Radé.

Décision

CA Paris, pôle 1, ch. 1, 31 juillet 2009, n° 09/14577, Comité d'entreprise de la Caisse d'épargne d'Ile-de-France et a. c/ Caisse d'épargne d'Ile-de-France et a. (N° Lexbase : A9544EKP)

Textes concernés : C. trav., art. L. 2323-4 (N° Lexbase : L2727H9U), L. 2323-6 (N° Lexbase : L2734H97) et L. 2323-19 (N° Lexbase : L2773H9L)

Mots-clefs : comité d'entreprise ; prérogatives économiques ; information insuffisante ; sanctions

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