La lettre juridique n°416 du 11 novembre 2010 : Droit des personnes

[Questions à...] Le changement de sexe à l'état civil, une procédure compliquée... Questions à Maître Laurent Cyferman, Avocat au barreau de Nancy

Réf. : CA Nancy, 3ème ch., 11 octobre 2010, n° 09/02179 (N° Lexbase : A7337GBD)

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 04 Janvier 2011

Il est des domaines sensibles dans lesquels le législateur français demeure timide, le changement de sexe à l'état civil en est un. Si certains pays d'Europe se lancent à légiférer sur le sujet, le droit français se caractérise par l'absence de toute disposition législative ou réglementaire en la matière, seule la jurisprudence ayant élaboré un régime juridique de nature à répondre aux demandes présentées en ce sens par des personnes transsexuelles ou transgenres. Une circulaire du directeur des Affaires civiles et du Sceau, en date du 14 mai 2010 (1), adressée à l'ensemble des procureurs, sollicitant plus de souplesse aux juges en la matière, annonce les prémices d'une ouverture, du moins à l'égard des personnes transsexuelles, les personnes transgenres estimant, dans un communiqué du 17 mai 2010 (2) de l'association Trans Aide (Association nationale transgenre), ne pas être visées par le texte. C'est dans ce contexte que la cour d'appel de Nancy, par un arrêt rendu le 11 octobre 2010 (3), a débouté M. R., qui suivait depuis plusieurs années un traitement d'hormonothérapie, de sa demande de changement d'état civil tendant à modifier son prénom et à remplacer la mention du sexe masculin par celle de sexe féminin. Pour autant, le requérant peut garder espoir de voir aboutir sa demande s'il produit, avant le 11 décembre 2010, tout document médical établissant le caractère irréversible du changement de sexe ou de genre consécutif au traitement d'hormonothérapie entrepris. Pour apprécier la portée de cet arrêt, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Laurent Cyferman, avocat du demandeur, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler, en l'état actuel de la jurisprudence communautaire et nationale, les critères d'admissibilité d'une demande de changement de sexe à l'état civil ?

Laurent Cyferman : Le changement du genre à l'état civil a toujours été problématique car il se heurte au principe de l'indisponibilité du corps. C'est pourquoi, avant 1992, la Cour de cassation refusait tout changement dès lors que la modification résultait de la volonté individuelle. Les seules modifications admises procédaient de circonstances étrangères à l'individu : intersexuel ou bien personnes ayant fait l'objet d'expérience médicale dans les camps de concentration durant la seconde guerre mondiale.

En 1992 (4), la Cour européenne des droits de l'Homme condamne la France en estimant, notamment, qu'en refusant à un transsexuel opéré le changement à l'état civil, la France portait une grave atteinte au respect dû à sa vie privée au regard du but d'intérêt général poursuivi...

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, en 1992 -sans attendre que le législateur intervienne-, rend plusieurs arrêts (5) et définit le régime juridique du changement en soumettant les impétrants à un véritable parcours du combattant : examen psychiatrique préalable, pour s'assurer de l'existence du "syndrome de Benjamin", puis autorisation de suivre un traitement hormonal, sous le contrôle d'un endocrinologue, puis, enfin, autorisation de pratiquer une "réassignation sexuelle" rendant irréversible le changement.

Ce n'est qu'après cette opération que l'on peut demander au tribunal la modification de l'état civil tant au regard du genre que du prénom comme conséquence du changement de sexe.

Des décisions isolées (6), rendues dans des contextes particuliers ont permis le changement sans opération dès lors qu'un pronostic vital était en jeu (cas du sida ne permettant pas de réaliser l'opération), et la CEDH (7) a maintenu sa jurisprudence tout en se réservant la possibilité d'en changer si l'état des connaissances scientifiques le justifiait.

Lexbase : En l'espèce, le traitement d'hormonothérapie subi par le demandeur n'avait pas été suivi dans un but thérapeutique. Cela a-t-il constitué, selon vous, un motif de réticence des juges à accueillir la demande ?

Laurent Cyferman : Non, je ne pense pas. Au cas présent, le problème se posait sous un angle très différent et se situait dans un contexte d'évolution. Ma cliente estime être un transgenre et non un transsexuel et n'être pas malade et, par conséquent, non atteinte du "syndrome de Benjamin".

Le traitement suivi a pour but de mettre en concordance l'apparence souhaitée et la personnalité profonde de l'individu. Cet aspect des choses, très longuement plaidé, et après une audition approfondie de l'intéressée, a très bien été compris par la cour. Pour cela, elle était aidée par la résolution du Conseil de l'Europe (8), par le rapport de la Haute autorité de Santé et par la demande de déclassification de la maladie formée par le ministre de la Santé.

Lexbase : En exigeant la production d'attestations médicales justifiant du caractère irréversible des transformations subies à la suite du traitement d'hormonothérapie, les juges admettent implicitement la possibilité d'obtenir le changement de sexe, alors même que le demandeur n'aurait pas subi d'opération chirurgicale, et aurait suivi un traitement dans un but non thérapeutique. Cet arrêt annonce-t-il une ouverture importante pour ce type de demandes ?

Laurent Cyferman : Oui et non... En fait, des sources médicales mettent en évidence une modification du métabolisme et une stérilisation progressive par le biais du traitement hormonal. La Chancellerie a tiré les conséquences de cette "découverte" dans une circulaire du 14 mai 2010 (9) pour inviter les Parquets à ne plus demander systématiquement de rapporter la preuve d'une réassignation dès lors qu'un certificat médical d'un endocrinologue était produit....

Si l'on est bien en présence d'une évolution visant, notamment, à ne plus exiger une stérilisation forcée qui aurait pu faire l'objet d'une condamnation par la CEDH, cette évolution est cependant très limitée d'autant que le principe d'indisponibilité est réaffirmé.

Lexbase : La demande de modification d'état civil de votre client était fondée à titre principal sur la possession d'état. Cela signifie-t-il qu'une personne n'ayant subi ni opération chirurgicale, ni traitement médical, devrait, selon vous, sur le fondement de la possession d'état, pouvoir prétendre à changer de sexe à l'état civil ?

Laurent Cyferman : Les transgenres sont en quête de normalité et entendent obtenir que leur trouble identitaire soit, en tant que tel, consacré et que la société en tire des conséquences positives, notamment -mais ce n'est pas le principal-, du point de vue de l'état civil. Cela signifie qu'elles souhaitent pouvoir obtenir une modification des registres à partir du moment où la situation apparente, mais néanmoins stabilisée, le justifie sans que cela ne se traduise par des mesures coercitives.

A partir de ce souhait, j'ai estimé que la notion de possession d'état était l'institution la plus appropriée à la résolution de leur problème : il appartient au législateur de prendre ses responsabilités et de légiférer en tenant compte tout à la fois de l'intérêt général et de celui des personnes impliquées.

Lexbase : Pensez-vous que la production des documents médicaux enjointe par les juges nancéens soit aisément réalisable ?

Laurent Cyferman : La notion d'irréversibilité n'a médicalement aucun sens : la seule chose qui soit irréversible, c'est la mort. Cela signifie qu'il sera bien difficile d'obtenir un certificat médical consacrant cette irréversibilité. Tout au plus, l'endocrinologue pourra certifier qu'un traitement a été suivi durant un certain temps et que cela produit une modification du métabolisme.


(1) Circulaire de la DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010, relative aux demandes de changement de sexe à l'état civil (N° Lexbase : L5909IMS).
(2) Communiqué du 17 mai 2010.
(3) CA Nancy, 3ème ch., 11 octobre 2010, n° 09/02179 (N° Lexbase : A7337GBD).
(4) CEDH, 25 mars 1992, Req. 57/1990/248/319, B. c. France (N° Lexbase : A7476AHD).
(5) Ass. plén., 11 décembre 1992, deux arrêts, n° 91-11.900 (N° Lexbase : A5254AB9) et n° 91-12.373 (N° Lexbase : A9662ATZ).
(6) CA Rennes, 6ème ch., 26 octobre 1998, n° 97/07389 (N° Lexbase : A4183GGZ), Dalloz, 1999, p. 508, comm. M. Friant-Perot ; CA Aix-en-Provence, 6ème ch., sect. A, 9 novembre 2001, n° 00/20236 (N° Lexbase : A2833GGZ), qui se présente de façon différente dans la mesure où certaines modifications étaient intervenues sans être cependant totales.
(7) CEDH, 8 janvier 2009, Req. 29002/06 (N° Lexbase : A2458EMY).
(8) Résolution 1728 (2010).
(9) Circulaire de la DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010, relative aux demandes de changement de sexe à l'état civil, préc..

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